Chère lectrice, cher lecteur,
 
C’est une banalité que d’affirmer qu’une partie substantielle de la vie d’une personne se déroule désormais en ligne. Même pour nous, créature institutionnelle dont le travail dépend en partie de l'étude des objets ainsi que des rencontres et conversations que ces objets peuvent susciter, il est difficile d'imaginer ce que signifierait la mise en sommeil de notre présence numérique croissante. Avant tout, nous ne saurions pas comment communiquer avec vous.

Mais bien que nous continuions à nous réjouir de la facilité et des avantages apparents du monde numérique, il existe de nombreuses raisons d'être sceptique. Dans notre livre Une portion du présent, publié en 2021, et l'exposition qui l'accompagnait, tous deux s'inscrivant dans le cadre d'une année d'exploration de la capacité, ou de l'incapacité, de l'architecture à évoluer en dialogue avec la société, nous avons étudié la manière dont la technologie numérique et les exigences du capitalisme tardif impactent des aspects de nos vies aussi variés que le travail et les loisirs. À mesure que nos vies se déroulent de plus en plus dans la sphère numérique et que notre « moi » corporel est de plus en plus cloisonné, notre société s’enfonce dans ce que Lucy McRae, artiste de science-fiction et architecte corporelle, appelle une « crise du toucher ».

Cette réflexion a donné lieu à une collaboration avec gta exhibitions de l'ETH Zurich pour examiner comment la technologie et les nouvelles normes sociales redéfinissent un aspect fondamental de l'existence d'une ville : l'arène des transactions commerciales, ou encore les espaces et les pratiques qui définissent la vente et l'achat de marchandises. S’il y a vingt ans, le Harvard Guide to Shopping affirmait que le consumérisme avait imprégné la vie publique urbaine au point de la réduire au magasinage, Fredi Fischli et Niels Olsen, codirecteurs de gta exhibitions, ont proposé de revoir cette affirmation à la lumière des transformations contemporaines du commerce de détail, et en particulier du développement du commerce en ligne, une activité mettant en péril les implications urbaines du commerce. Lorsque nous faisons des achats en ligne, la seule chose que nous touchons est l'écran ou le clavier de notre appareil numérique; nous ne voyons plus les autres acheteurs, seulement la séquence de produits établie par des algorithmes.

Dirigée par Fischli et Olsen, cette collaboration a été conçue dès le départ comme un dialogue entre notre équipe de conservateurs et celle de l'ETH Zurich, et entre nos collections respectives. Elle est pensée comme une occasion d’interroger le format d'une exposition d'architecture : ce que nous y vivons et comment nous le vivons. Une première itération de l'exposition a été inaugurée à l'ETH Zurich en février 2020, en utilisant une œuvre captivante de Lynn Hershman Leeson dans leur communication, représentant la main d'un mannequin traversant une vitrine d'exposition, afin de souligner l'animation des objets qui nous regardent à travers l'écran.

Dans cette nouvelle itération au CCA, Vente finale se déroule sous la forme d’un récit en trois chapitres qui retracent les cycles historiques de l'accumulation du commerce de détail (le développement du grand magasin et du centre commercial), du déclin (les espaces vacants qui s'accumulent le long des rues commerçantes) et de la réinvention (les architectes et les designers qui saisissent leur chance de remodeler les villes). Parmi les œuvres incluses dans cette nouvelle itération de l'exposition figurent le Design shop à Montecatini de Superstudio (chapitre I), la Domesticated Mountain d'Andreas Angelidakis (chapitre 2) et les dessins Pre War Abstraction de Georgie Nettell (chapitre 3), trois projets qui proposent des représentations de la technologie de l'information d'abord comme concept utopique, puis comme manifeste post-architectural, puis finalement comme critique post-numérique.

Vente finale est accompagnée d'un livre publié par gta Verlag (également disponible dans notre librairie si vous nous lisez depuis l'Amérique du Nord) et par une série d'entretiens réalisés en collaboration avec la plateforme éditoriale SSENSE et menés par Jack Self, avec des praticiens du monde de l'architecture, du design, de la mode et des arts. Avec cette multiplicité de formats et d'œuvres, l'exposition suggère que les espaces de vente au détail peuvent être des sites de discours critique et d'action politique, abordant et remettant en question les notions de travail, de genre, de classe et de valeur.

Peut-être paradoxalement, nous partageons certains de ces entretiens en ligne, en commençant cette semaine par la publication d'une conversation avec Kateřina Frejlachová et Tadeáš Říha sur l'architecture opaque des infrastructures logistiques, qui semblent fleurir grâce aux achats en ligne, ainsi que sur les histoires de vie qu'elles contiennent. Nous vous invitons à nous rejoindre dans cette réflexion.
 
Cordialement,
le CCA
 
P.S. Veuillez consulter notre calendrier pour obtenir des informations sur les activités en cours et à venir. Si vous êtes curieux d'en savoir plus sur les travaux et les discussions qui président à leur planification, notre festival annuel de performances institutionnelles a lieu la semaine prochaine.

P.P.S. Si vous êtes à Montréal cette fin de semaine et que vous souhaitez toucher et feuilleter des livres, notre librairie fait partie des exposants du salon du livre d'art Volume MTL de cette année.

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