Première ligne de soins et pandémie du COVID-19 : les centres de santé privés à but non lucratif et les cabinets médicaux en Guinée

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En Guinée, le système de santé est essentiellement public. Sa première ligne de soins regroupe 410 centres de santé publics, une centaine de centres de santé et centres médicaux communautaires privés à but non lucratif et de nombreux cabinets médicaux privés lucratifs.

La Guinée a connu plusieurs épidémies dont celle d’Ebola entre 2013 et 2016 qui a fait émerger une Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS), des Equipes Préfectorales d’Alerte et de Riposte aux épidémies (EPARE), ainsi que plusieurs Centres de Traitement Epidémiologique (CT-Epi).

Durant les épidémies successives, la première ligne de soins, a su interagir avec les autorités locales et sanitaires, relais communautaires et ONG d’urgence et à se familiariser avec des stratégies d’intervention.

Avant l’annonce du premier cas de COVID-19 en Guinée le 12 mars 2020, l’ANSS avait mis en alerte toutes les structures de santé, l’administration sanitaire et les communautés pour qu’elles réactivent le dispositif connu pendant Ebola. Les centres de santé forts de leurs expériences, sont devenus incontournables dans tout dispositif de riposte. A la date du 4 avril 2020, la Guinée comptait 111 cas de Coronavirus dont 5 guéri.

Contrairement à l’épidémie d’Ebola où le rôle fondamental des centres de santé était la détection, le référencement et la promotion des mesures de prévention, dans la pandémie du coronavirus ils ont un rôle plus que majeur. Ils jouent un rôle important dans le suivi des personnes dépistés et la mobilisation autour de la population confinée.

Mais les équipes cadres de district dont ils relèvent n’ont pas reçu des moyens pour appliquer les mesures préconisées. A l’absence de kits de lavage des mains et de matériels de protection individuelle, s’ajoutent une pénurie de gants dans certains dépôts régionaux d’approvisionnement et un personnel de santé non formé. Ce déficit est exacerbé par une tension et des bisbilles entre l’ANSS et le ministère de la santé. La situation a amené le Président de la République à taper du poing sur la table, demandant aux protagonistes (ministre de la santé et directeur général de l’ANNS) de jurer à mener ensemble la «guerre».

Pour tout le pays, un seul centre de traitement est reconnu et un seul laboratoire est capable de faire le dépistage par PCR du COVID-19, tous deux à Conakry. Une décentralisation du dépistage est prévue par l’ANSS, mais elle tarde encore.

C’est dans la région de Labé, à l’intérieur du pays, que l’un des premiers cas de coronavirus a été recensé ce 1er avril 2020 avec l’aide d’un relais communautaire affilié à un centre de santé. Ce malade avant d’être transféré à Conakry, situé à 450 km à l’aide de l’ambulance de l’hôpital régional, avait consulté dans deux structures de soins de premier niveau, fermées aujourd’hui. Les contacts du patient sont en cours d’identification.

Au début de l’épidémie de COVID-19, la population guinéenne se sentait peu concernée du fait des rumeurs qui faisaient échos d’une maladie des chinois, puis des blancs et enfin des riches « patrons » dont des hautes personnalités, comme un ministre et le premier responsable d’une institution républicaine.

En plus de ces rumeurs, du fake news et l’état d’urgence décrété avec effet immédiat a créé de la panique. La fermeture des lieux de cultes, l’interdiction de regroupement, le nombre limité de personnes dans les moyens de transport font parties des mesures prises. La fermeture des mosquées et l’interdiction de la prière du vendredi sont considérées comme une atteinte à la foi pour une population de plus de 85% de musulmans.  Les médias et réseaux sociaux bien suivis dans le pays font passer depuis des semaines des informations sur les modes de prévention et les moyens thérapeutiques du coronavirus. Le battage médiatique sur l’Hydroxychloroquine (HCQ) connue en Guinée sous le nom de chloroquine et de nivaquine attire l’attention des guinéens. Ce produit a été retiré dans les années 2005 de l’arsenal thérapeutique contre le paludisme. La floraison d’informations sur le médicament dans une population majoritairement analphabète a amené des familles à s’en procurer, d’abord dans les pharmacies, rapidement vidées, puis au marché noir très prolifique. En une journée, toutes les plaquettes de nivaquine ont été rachetées dans la ville de Boké et utilisées par des nombreuses familles à titre préventif.

Map of COVID-19 In Africa (from Africa CDC)
Map of COVID-19 In Africa (from Africa CDC)

La rumeur sur le mode de traitement de COVID-19 qui consisterait à faire boire de l’eau ou de la bouillie chaude aux citoyens pour tuer le virus dans la gorge où il séjournerait longtemps avant de rejoindre les voies respiratoires, s’est répandue.

En plus des questions médicales dont les médecins des centres de santé doivent s’occuper, s’ajoutent la gestion des rumeurs, des fausses informations et des préjugés. A partir de leurs associations professionnelles, les médecins s’organisent pour assumer leur rôle de structures de proximité s’occupant de tous les problèmes de santé de leurs communautés.

Un groupe WhatsApp et des communications par mail entre médecins sont fonctionnels. Les médecins du sous-secteur à but non lucratif travaillent ainsi en synergie sur des programmes de plaidoyer pour l’accès aux kits de dépistage et matériels de protection, à l’information et la formation. Suite à un message envoyé par l’animateur de la plateforme aux médecins dans le but de sonder leurs impressions sur le coronavirus, tous ont exprimés leurs craintes, renforcés par l’indisponibilité de matériels de protection et un manque de soutien des pouvoirs publics qui concentrent l’appui aux seuls centres de santé publics.  Ils encouragent les barrières de protection, des rendez-vous personnalisés avec les malades chroniques, la surveillance des personnes récemment rentrés des pays affectées, un planning de travail qui réduit le nombre de personnel quotidiennement dans les cabinets, des affiches de communication, l’utilisation de chaque contact pour faire passer des messages et la lutte contre le fake news.

D’autres initiatives comme la fabrication par les tailleurs locaux des bavettes réutilisables, l’utilisation de la télévision de la salle d’attente pour passer des informations, les visites à domiciles ciblées et l’animation des rubriques d’éducation à la santé dans certaines radios, sont également à l’œuvre.

Conflit d’intérêts : Aucun

Biographie :

Abdoulaye Sow, médecin généraliste et de santé publique, directeur de Fraternité Médicale Guinée et promoteur des services de santé de première ligne et de la Formation de médecins de famille en Guinée.

Bart Criel est médecin généraliste et professeur dans le Département de santé publique de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, en Belgique.

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