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Landry c. Bernard, 2024 QCCQ 845 (CanLII)

Date :
2024-03-13
Numéro de dossier :
400-22-010458-202
Référence :
Landry c. Bernard, 2024 QCCQ 845 (CanLII), <https://canlii.ca/t/k3v5f>, consulté le 2024-05-08

Landry c. Bernard

2024 QCCQ 845

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

LOCALITÉ DE

TROIS-RIVIÈRES

« Chambre civile »

N° :

400-22-010458-202

 

 

 

DATE :

 13 mars 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE ALLEN, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

LYNDA LANDRY

Demanderesse

c.

MICHEL R. BERNARD

Et

CONSEIL DE BANDE DES ABÉNAKIS DE WÔLINAK

Défendeurs

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]         Le présent jugement a pour objet la demande de la demanderesse en modification de sa demande introductive d’instance à laquelle s’opposent les défendeurs.

CONTEXTE

[2]         Par sa demande introductive d’instance en diffamation et en dommages déposée le 25 juin 2020 dans le présent dossier « la Demande initiale », la demanderesse, qui est membre des Abénakis de Wôlinak et qui fut élue registraire de la Bande le 27 avril 2019, allègue être victime de propos et de publications de nature diffamatoire tenus par les défendeurs Michel R. Bernard, le chef de la bande, et le Conseil de bande des Abénakis de Wôlinak « Le Conseil » entre le 6 mai 2019 et le 29 août 2019 pour lesquels elle réclame 50 000 $ en compensation pour atteinte à sa réputation.

[3]         Ce dossier est joint à un autre recours parallèle par lequel le demandeur Denis Landry allègue être aussi victime de propos et de publications de nature diffamatoire de la part des mêmes défendeurs, soit Michel R. Bernard et le Conseil[1]. Les recours font l’objet de mesures de gestion d’instance communes.

[4]           Ces recours s’inscrivent dans un conflit impliquant les Landry et les Bernard, deux familles de Wôlinak qui se disputent le pouvoir politique au sein du Conseil depuis plusieurs années et dont des litiges impliquant certains membres de ces familles ont fait l’objet de recours devant différentes juridictions, soit la Cour fédérale, la Cour supérieure du Québec et la Cour du Québec.

[5]           Les deux affaires en cause devant la Cour du Québec, soit le présent dossier et celui de Denis Landry, sont prêtes et inscrites pour enquête et audition depuis le 28 juillet 2021, date de production de la demande commune d’inscription pour instruction et jugement.

[6]           Les deux affaires ont été fixées une première fois pour enquête et audition les 24 et 25 mai 2022, mais reportées ensuite au rôle général en raison de l’encombrement du rôle.

[7]           Le 19 janvier 2024, le juge Alain Trudel convoque les parties à une conférence de gestion dans le but de fixer de nouvelles dates pour la tenue du procès dans les deux dossiers. Au cours de la conférence de gestion, la demanderesse informe le Tribunal qu’elle souhaite modifier sa procédure introductive d’instance afin d’augmenter la valeur de la réclamation, ce qui pourrait avoir un impact sur la compétence de la Cour du Québec pour entendre le litige.

[8]           Le juge Trudel ordonne à la demanderesse de prendre position et de produire, le cas échéant, une demande introductive modifiée en conséquence et reporte la tenue de la conférence de gestion au 2 février 2024.

[9]           Le 29 janvier 2024, la demanderesse produit au dossier de la Cour une demande pour permission de modifier sa demande introductive d’instance ainsi qu’une demande introductive d’instance modifiée par laquelle elle souhaite alléguer de nouveaux faits, qu’elle soutient être de nature diffamatoire à son endroit, relatifs à l’adoption de résolutions du Conseil datées des 19 mai 2021, 25 mars 2022, 14 juillet 2022 et 28 septembre 2022 et par ailleurs augmenter le montant de sa réclamation à 85 000 $.

[10]        À la conférence de gestion du 2 février 2024, le juge Trudel fixe au 21 février suivant l’audition de la demande pour permission de modifier la demande initiale et autorise les avocats des parties à communiquer les pièces et autorités qu’ils souhaitent invoquer au soutien de leurs prétentions avant le 9 février 2024.

[11]        La demanderesse a ensuite communiqué et déposé une demande introductive d’instance remodifiée datée du 9 février 2024 « la Demande remodifiée » reprenant les modifications présentées à la demande introductive d’instance modifiée du 29 janvier 2024, mais présentant celles-ci avec une nouvelle numérotation des paragraphes conforme aux exigences du Code de procédure civile

[12]        La demande pour permission de modifier la Demande initiale, à laquelle s’opposent les défendeurs, est entendue à la Cour de pratique de la chambre civile du 21 février 2024.

QUESTION EN LITIGE

[13]        Le litige soulève la question suivante :

         Y a-t-il lieu de faire droit à la demande de modification de la procédure introductive d’instance de la demanderesse?

ANALYSE ET DÉCISION

[14]        L’article 206 du Code de procédure civile « C.p.c. » énonce :

206.      Les parties peuvent, avant le jugement, retirer un acte de procédure ou le modifier sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une autorisation du tribunal. Elles peuvent le faire si cela ne retarde pas le déroulement de l’instance ou n’est pas contraire aux intérêts de la justice; cependant, s’agissant d’une modification, il ne doit pas en résulter une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande initiale.

La modification peut notamment viser à remplacer, rectifier ou compléter les énonciations ou les conclusions d’un acte, à invoquer des faits nouveaux ou à faire valoir un droit échu depuis la notification de la demande en justice.

[15]        En cas d’opposition des autres parties à cette modification, la partie qui entend retirer ou modifier un acte présente sa demande au Tribunal pour qu’il en décide[2].

[16]        Le principe général en matière de modification des procédures judiciaires invite à faire droit à l’amendement de manière à permettre aux parties et au Tribunal d’examiner le litige dans sa globalité et de le vider entièrement. Ce principe n’est toutefois pas absolu.

[17]        Bien que le droit de modifier un acte de procédure soit la règle et non l’exception, le Tribunal doit, avant d’autoriser la modification recherchée, s’assurer que les critères prévus à l’article 206 du C.p.c. soient rencontrés, à savoir :

a)   Que la modification ne retarde pas le déroulement de l’instance;

b)   Qu’elle ne soit pas contraire aux intérêts de la justice;

c)   Qu’il n’en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande principale.

[18]        Qu’en est-il dans le présent cas?

[19]        Abordons d’abord la condition relative à la nature de la modification et son caractère distinct ou non de la Demande initiale.

[20]        La Demande initiale comprend 78 paragraphes et invoque les pièces P-1 à P-21. Les faits, reproches et fautes allégués y sont présentés aux paragraphes 41 et suivants. Après avoir présenté le contexte et ses relations difficiles avec les membres du Conseil quant à son mandat de registraire, la demanderesse présente plus spécifiquement aux paragraphes 51 et suivants la diffamation dont elle allègue avoir été victime et qu’elle invoque au soutien de ses prétentions et de sa réclamation.

[21]        Il s’agit essentiellement des propos et commentaires que le défendeur Michel R. Bernard, chef de bande depuis 2016, aurait publiés sur sa page Facebook entre le 6 mai 2019 et le 29 août 2019 qui, selon la demanderesse, font référence à elle et qu’elle présente aux paragraphes 51, 62, 63 et 64 de sa demande initiale et dont les extraits sont reproduits ci-dessous[3] :

            51.  Le 6 mai 2019 […]

                        « Ouff y a une méchante cruche au conseil ce matin c’est toujours quand je suis pas là que ça arrive mais je vais revenir et régler ça »

                  []

                           « Pas c’était lundi passé et elle est jamais venue »

                           C’est une menteuse c’est une Landry

Et elle a jamais demandé de rencontre c’est nous qui avons réussi à la rejoindre mercredi passé

   On parle en pv pas sur facebook »

                  […]

            62.  Le 12 juin 2019 […]

                           « J’ai encore vu des e maild une personne stupide qui a un quotient intellectuel égale à un sac de vidange ce qu’elle est de toute évidence… »

                  […]

 

            63.  Le 7 août 2019…

                          « Pour faire suite, la cruche à récidiver pas plus de quotient intellectuel qu’une patte de table ouff pénible » 

                  […]

            64.  Le 29 août 2019…

                           « Je viens de lire un courriel je suis abasourdi la femme tronc est complètement déconnecté une vrai agitée de la jacquette flottante bonne bonne pour la camisole!!! »

                  […]

                           « Beaucoup de personnes me demande c’est qui la femme troc c’est une personne incompétente et stupide et qui plus est une autochtone par usurpation donc une blanche plus blanc que blanc »

[Reproduction intégrale]

[22]        Elle évoque également, au paragraphe 71 de sa Demande initiale, un courriel du 26 février 2020 que le directeur général du Conseil, Dave Bernard, lui a transmis par lequel celui-ci lui reproche son retard à avoir communiqué avec le Conseil pour préparer les listes de membres en prévision de la tenue d’élections et conclut en disant : « … vous vous êtes personnellement mis beaucoup de pression sur les épaules avec le laxisme de votre démarche, ou devrais-je dire l’absence de celle-ci. »[4]

[23]        Les modifications que la demanderesse souhaite apporter à sa Demande initiale se trouvent aux paragraphes 73.1 à 73.12 de la Demande remodifiée au soutien desquels elle invoque les pièces additionnelles P-23 à P-31.

[24]         Alors que les faits invoqués à la Demande initiale que la demanderesse qualifie de propos diffamatoires sont essentiellement des commentaires publiés par le défendeur Bernard sur sa page Facebook entre le 6 mai 2019 et le 29 août 2019, les allégués des paragraphes 73.1 à 73.12 de la Demande remodifiée réfèrent à des faits survenus presque deux ans plus tard, soit à partir du 19 mai 2021, et ont essentiellement pour objet des résolutions adoptées et des avis de convocation du Conseil.     

[25]        La demanderesse invoque ainsi au paragraphe 73.2 de sa Demande remodifiée une résolution adoptée par le Conseil le 19 mai 2021 remettant en question la liste des membres de la Première Nation transmise par la demanderesse et indiquant que la liste a dû être corrigée par le Conseil pour la rendre conforme au Code d’appartenance des Abénakis de Wôlinak et au Code électoral de la bande et faisant allusion au manque de collaboration, d’impartialité et d’indépendance de la registraire[5].  

[26]        Elle allègue, au paragraphe 73.3, que l’adoption de cette résolution par le Conseil reposerait sur son « interprétation manifestement et délibérément fausse et mensongère du jugement rendu par l’honorable Jocelyne Gagné, J.C.F., dans le dossier de la Cour fédérale T-1227-20 » afin de manipuler la liste des membres pour favoriser des membres du Conseil qui se présentaient aux élections et ainsi influencer le vote en leur faveur.

[27]        La demanderesse invoque d’autre part, au paragraphe 73.4, l’adoption d’une résolution du Conseil du 25 mars 2022[6] dans laquelle le Conseil réfère à un jugement du 1er octobre 2020 de la Cour fédérale et à un jugement de la Cour d’appel fédérale du 6 octobre 2021, ainsi qu’aux procédures entreprises à la suite de ces décisions, et réitère les reproches adressés à la demanderesse à la résolution précitée du Conseil du 19 mai 2021. 

[28]        Considérant les motifs qui y sont invoqués, cette résolution du Conseil du 25 mars 2022 conclut que les élections du 12 juin 2022 se tiendront à partir de la liste électorale préparée par le Conseil plutôt que par celle de la demanderesse. 

[29]        Par ailleurs, aux paragraphes 73.7 et suivants, la demanderesse invoque l’adoption d’une résolution par le Conseil le 28 septembre 2022 visant à convoquer une assemblée générale spéciale des membres de la Première Nation des Abénakis de Wôlinak le 22 octobre 2022 afin de procéder à sa destitution comme registraire[7]. Elle invoque également la publication d’un avis de convocation d’une assemblée générale spéciale, par le biais de son directeur général, dans lequel le contexte et les motifs invoqués par le Conseil pour demander sa destitution sont présentés[8]. On y fait entre autres mention du manque de collaboration de la registraire et de son défaut de se conformer à ses obligations et devoirs.

[30]        La demanderesse qualifie de mensonger le contenu de cet avis et soutient qu’il s’agit en fait d’une façon détournée pour les défendeurs de l’écarter de sa charge de registraire et de contrôler la liste électorale. Elle invoque également le fait que le conflit l’opposant aux défendeurs a été couvert par les médias et que ceux-ci y ont commenté et répété leurs propos diffamants[9]

[31]        Enfin, les dommages moraux de 25 000 $ réclamés à la Demande initiale sont augmentés à 60 000 $, faisant ainsi passer le montant total de la réclamation à la Demande remodifiée à 85 000 $.

[32]        Quoiqu’on fasse allusion à la non-conformité de la liste électorale préparée par la demanderesse, qu’on y invoque le manque de collaboration, d’impartialité et d’indépendance de la demanderesse, il ressort de l’ensemble des nouvelles allégations et pièces invoquées que le principal objectif  de ces modifications que souhaite apporter la demanderesse à sa Demande initiale est de contester la légitimité du processus électoral, d’attaquer la légalité de la liste électorale préparée par le Conseil et des résolutions qu’il a adoptées et que, au bout du compte, la diffamation alléguée n’est qu’un très lointain accessoire de ce principal objectif.

[33]        C’est également ce qui ressort des représentations de l’avocat de la demanderesse lors de l’audition de la demande pour permission de modifier la demande initiale alors qu’il invoque avec insistance les procédures et recours intentés par la demanderesse en Cour fédérale, qu’il soulève l’irrégularité de la liste électorale préparée par le Conseil, qu’il dénonce l’illégalité des résolutions qu’il a adoptées et qu’il remet en cause les élections qui ont suivi. Il va même jusqu’à soulever l’illégalité du processus ayant mené à l’implantation d’un casino sur le territoire de la Communauté.

[34]        Bien que les événements concernent les mêmes parties, une lecture attentive des nouvelles allégations incorporées à la Demande remodifiée démontre qu’il n’existe aucun lien de connexité entre les événements de l’été 2019 à ceux du printemps 2021 et de l’été 2022, si ce n’est qu’ils ont pour trame de fond le conflit opposant les familles Landry et Bernard et leurs luttes incessantes pour accéder et contrôler le Conseil et qu’ils impliquent la demanderesse, en sa qualité de registraire, et les mêmes défendeurs.

[35]        Le Tribunal reprend les propos du juge Jacques Viens tenus dans l’affaire Gagnon c. Labeaume[10] qui trouvent application dans le présent dossier :

[15]      Une lecture de la requête originaire en relation avec les événements du 20 décembre 2012 et de la requête introductive d’instance amendée qui y incorpore les événements qui se déroulent du 25 mars au 9 avril 2013 montre bien qu’il n’y a aucun lien entre les deux événements, si ce n’est qu’ils concernent le demandeur Jean Gagnon, président du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec, et Régis Labeaume, maire de la Ville de Québec.

[16]      En effet, les propos du 20 décembre 2012 tenus par le défendeur Régis Labeaume font suite à une affirmation du demandeur relativement aux tables de mortalité utilisées pour certains calculs concernant le régime de retraite des employés municipaux et alors qu’il fait référence à la santé du demandeur Jean Gagnon.

[17]      Par ailleurs, lorsque, le 9 avril 2013, le défendeur Régis Labeaume qualifie les propos du demandeur Jean Gagnon de scénarios « d’apocalypse », il s’exprime à la suite d’une affirmation du demandeur relativement à la stabilité d’un édifice à bureaux de la Ville de Québec.

[18]      Manifestement, outre le fait que le demandeur soit président du Syndicat des fonctionnaires municipaux de la Ville de Québec et que le défendeur soit maire de la Ville de Québec et que l’un comme l’autre est appelé à s’exprimer publiquement relativement à certaines situations, il n’y a aucun lien entre les événements du 20 décembre 2012 et du 9 avril 2013.

[19]      Avec raison, le défendeur invoque qu’introduire cet événement du 9 avril 2013 dans le présent dossier exigerait une preuve complète sur les événements de mars et avril 2013 relativement à l’édifice Chauveau, sans que ceux-ci n’aient quelque pertinence que ce soit avec les propos tenus par le défendeur le 20 décembre 2012.

[20]      Par ailleurs, que les propos tenus par le défendeur le 20 décembre 2012 soient diffamatoires ou non n’aura définitivement aucun impact sur la nature diffamatoire ou non des propos tenus le 9 avril 2013 et vice versa.

[21]      Bref, le demandeur, par sa requête introductive d’instance amendée, tente d’exercer un recours complètement distinct, invoquant une nouvelle faute et un nouveau dommage sans aucun lien avec les propos tenus le 20 décembre 2012.

[22]      Puisqu’il n’existe aucun lien de connexité entre la demande originaire et celle résultant de l’amendement, il s’agit donc d’une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire.

[23]      Ce motif permet de conclure que les amendements proposés ne doivent pas être autorisés. 

[36]        Dans le présent dossier, l’examen des allégués de la Demande initiale et de ceux de la Demande remodifiée ainsi que des pièces invoquées au soutien de ceux-ci amène le Tribunal à conclure, à l’instar du juge Viens dans l’affaire Gagnon c. Labeaume précitée, à l’absence de connexité suffisante et que la demande pour permission de modifier la demande doit être rejetée puisqu’il en résultera une demande entièrement nouvelle et sans rapport avec la Demande initiale.

[37]        Et même si ce premier motif suffit pour rejeter la demande pour permission de modifier la Demande initiale, l’analyse des deux autres critères de l’article 206 C.p.c. amène également à conclure à son rejet puisque la modification recherchée serait susceptible de retarder le déroulement de l’instance et serait contraire aux intérêts de la justice.

[38]        Tel qu’expliqué précédemment, les prétentions de la demanderesse quant aux nouveaux faits et reproches qu’elle allègue à sa Demande remodifiée ont pour prémisse ses prétentions quant à la légitimité du processus électoral et, plus particulièrement, la légalité de la liste électorale préparée par le Conseil et les résolutions qu’il a adoptées.

 

[39]        Or, tel qu’il appert des paragraphes 73.1 à 73.12 de sa Demande remodifiée, des pièces additionnelles P-23 à P-31 invoquées au soutien de ceux-ci et tel qu’il ressort des représentations et arguments de l’avocat de la demanderesse, pour déterminer si les faits allégués aux modifications recherchées constituent ou non de la diffamation, il est d’abord  nécessaire de se prononcer sur la question de la conformité de la liste électorale préparée par le Conseil par rapport aux exigences du Code d’appartenance des Abénakis de Wôlinak et à celles du Code électoral de la bande[11], sur la légalité des résolutions adoptées par le Conseil[12] ainsi que sur l’interprétation que le Conseil fait du jugement rendu par la juge Gagné de la Cour fédérale dans le dossier T-1227-20[13].

[40]        L’avocat du défendeur Bernard plaide que les motifs, résumés au paragraphe précédent du présent jugement, que la demanderesse invoque à sa Demande remodifiée sont essentiellement similaires à ceux qu’elle invoquait dans sa demande amendée intentée contre le Conseil et Michel R. Bernard dans le dossier de la Cour fédérale T‑98‑22[14]. Il soutient que ce que la demanderesse cherche à faire, par l’ajout des modifications recherchées à sa Demande remodifiée dans le présent dossier, est de reprendre en quelque sorte le débat faisant l’objet de son recours en Cour fédérale après qu’elle s’en soit désistée le ou vers le 15 février 2024. 

[41]        Lors de sa gestion de l’instance, le juge Trudel et les avocats des parties avaient provisoirement établi une période de cinq journées d’audience au mois d’octobre 2024 afin d’entendre les deux dossiers réunis, soit le présent dossier et celui de Denis Landry.

[42]        Or, le Tribunal considère que permettre la modification recherchée par la demanderesse nécessitera que les parties présentent une preuve complète et distincte sur les événements de mai 2021 et sur ceux survenus en mars, juillet et septembre 2022 relatifs aux résolutions du Conseil, alors que cette preuve n’a aucune pertinence sur l’analyse des propos allégués et tenus au cours de l’année 2019 par le défendeur Bernard sur sa page Facebook.

[43]        Une telle décision aura nécessairement un impact considérable sur la durée prévisible de l’audition et en retardera sa fixation.

[44]        En effet, il y a un risque probable, et même annoncé, que les défendeurs demanderont la possibilité de procéder à des interrogatoires supplémentaires et soulèveront de nouveaux incidents liés aux faits nouveaux allégués à la Demande remodifiée, ce qui aura inévitablement pour effet de retarder le déroulement de l’instance et pourrait remettre en question la tenue de l’audience au mois d’octobre 2024.

 

[45]        Notons que la demanderesse a procédé à la notification et au dépôt au dossier de la Cour d’une liste de pièces comptant 11 pièces supplémentaires à ajouter aux 22 pièces produites originalement, ce qui ajoute au caractère distinct des fautes alléguées à la demande remodifiée.

[46]        En prenant en considération la preuve que les défendeurs devront administrer au soutien de leurs contestations respectives, il y a fort à parier que la durée retenue de cinq jours ne soit plus suffisante pour entendre l’affaire.

[47]        Considérant ce qui précède et prenant en compte les principes directeurs de la procédure civile et de la règle de la proportionnalité, le Tribunal conclut qu’il serait contraire aux intérêts de la justice de permettre la modification recherchée par la demanderesse.

[48]        D’autre part, le Tribunal souligne que la nature particulière de la relation hautement conflictuelle qu’entretiennent les parties et la nécessaire proximité que le débat politique crée entre elles au sein de leur communauté fait en sorte que ces dernières seront vraisemblablement confrontées l’une à l’autre de manière régulière à l’avenir.

[49]        Dans l’affaire Gagnon c. Labeaume précitée, le Tribunal était confronté à une situation semblable. Discutant du critère relatif à l’intérêt de la justice, le juge Viens a bien exprimé les limites qui doivent être imposées en pareilles circonstances. Il mentionne :

[25]  Comme nous l’avons souligné, tant le demandeur, en sa qualité de président du Syndicat des fonctionnaires municipaux de la Ville de Québec, que le défendeur, en sa qualité de maire de la Ville de Québec, ont régulièrement à s’exprimer publiquement en relation avec des dossiers qu’ils ont à traiter dans le cadre de leur fonction respective.

[26]      Est-ce que dès que l’un ou l’autre se prononcera sur des sujets touchant la politique municipale ou les relations patronales/syndicales, le débat proposé par la requête introductive originaire sera élargi?  Est-ce que chaque confrontation entre les parties au présent litige permettra par amendement d’ajouter un tout nouveau litige au débat initial?

[27]    Comme le soulignait le juge Binnie dans Bande indienne des Lax KW ’Alaams c. Canada (P.G.)[1] :

« [41]  […].  L’instruction d’une action ne doit pas ressembler à un voyage perpétuel du Vaisseau fantôme, dont l’équipage est condamné à errer sans fin sur les mers, sans destination précise. »

[50]        Pour les mêmes considérations, il n’est pas dans l’intérêt de la justice de permettre une modification des procédures en raison du fait qu’une partie, dans un cadre distinct de la trame factuelle initiale, a émis une position sur une question relevant de la politique au sein de la communauté, des affaires du Conseil, d’élection ou encore du travail de la registraire élargissant ainsi indûment le litige en diffamation logé à l’origine. 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[51]        REJETTE la demande de la demanderesse pour permission de modifier la demande introductive d’instance;

[52]        LE TOUT AVEC FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________

PIERRE ALLEN, J.C.Q.

 

Me Paul-Yvan Martin

Martin Camirand Pelletier

Avocats de la demanderesse

 

Me Sébastien Chartrand

Larochelle Avocats

Avocats du défendeur Michel R. Bernard

 

Me Marie-Christine Leboeuf

Robillard Avocats inc.

Avocats de la défenderesse

Conseil de bande des Abénakis de Wôlinak

 

 

Date d’audience :

 

21 février 2024

 



[1]      Dossier 400-22-010361-190.

[2]      Article 207 C.p.c.

[3]      Pièces P-7, P-17, P-18 et P-19.

[4]      Pièce P-21.

[5]      Pièces P-23 à P-25.

[6]      Pièce P-27.

[7]      Pièce P-30.

[8]      Id.

[9]      Pièce P-31.

[11]     Paragraphe 73.2.

[12]     Paragraphes 73.2, 73.4 et 73.7.

[13]     Paragraphe 73.3.

[14]     Pièce R-1.