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Procureur général du Québec c. Murray-Hall, 2021 QCCA 1325 (CanLII)

Date :
2021-09-02
Numéro de dossier :
200-09-010109-194
Autres citations :
AZ-51792418 — [2021] CarswellQue 13667 — [2021] JQ no 10432
Référence :
Procureur général du Québec c. Murray-Hall, 2021 QCCA 1325 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jhxwl>, consulté le 2024-03-28

Procureur général du Québec c. Murray-Hall

2021 QCCA 1325

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-010109-194

(200-17-028561-181)

 

DATE :

 2 septembre 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT- défendeur

c.

 

JANICK MURRAY-HALL

INTIMÉ - demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

Introduction

[1]         La validité constitutionnelle des articles prohibant la possession et la culture de plantes de cannabis, tels qu’ils figurent dans la Loi encadrant le cannabis[1] [la Loi], se trouve au cœur du pourvoi interjeté par le procureur général du Québec. Celui-ci estime en effet qu’est entaché d’erreur le jugement de la Cour supérieure[2] ayant conclu à l’invalidité des dispositions dont il s’agit. Selon lui, la juge de première instance se serait méprise en concluant que les dispositions attaquées relevaient de la compétence exclusive dévolue au Parlement du Canada en matière de droit criminel, en vertu du paragraphe 27 de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867[3].

[2]         La Cour se serait volontiers référée à la mise en contexte figurant dans le jugement de première instance, car la juge y brosse un portrait de la situation correspondant dans ses grandes lignes à la réalité telle que perçue par la Cour. Il y a toutefois lieu de s’abstenir de le faire, car cette mise en contexte recèle subtilement quelques imprécisions de langage, lesquelles emportent des conséquences décisives sur le résultat que doit connaître l’affaire.

[3]         Pour les fins du pourvoi à l’étude, la Cour rappelle les éléments essentiels suivants.

[4]         En juin 2018, le Parlement du Canada sanctionne la Loi sur le cannabis[4] [LC] dans laquelle figurent les dispositions suivantes :

Possession

 (1) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi :

 

[…]

 

e) il est interdit à tout individu d’avoir en sa possession plus de quatre plantes de cannabis qui sont ni en train de bourgeonner ni en train de fleurir;

 

[…]

 

Culture, multiplication ou récolte — individu âgé de dix-huit ans ou plus

12 (4) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi, il est interdit à tout individu âgé de dix-huit ans ou plus de se livrer aux activités suivantes :

 

 

[…]

 

b) cultiver, multiplier ou récolter plus de quatre plantes de cannabis au même moment dans sa maison d’habitation, ou offrir de le faire.

Possession

8 (1) Unless authorized under this Act, it is prohibited

 

[…]

 

(e) for an individual to possess more than four cannabis plants that are not budding or flowering; or

 

 

 

[…]

 

Cultivation, propagation and harvesting — 18 years of age or older

12 (4) Unless authorized under this Act, it is prohibited for an individual who is 18 years of age or older to cultivate, propagate or harvest, or to offer to cultivate, propagate or harvest,

 

[…]

 

(b) more than four cannabis plants at any one time in their dwelling-house. [5]

[5]         Cette loi entrera en vigueur quelques mois plus tard, soit le 17 octobre 2018[6].

[6]         Toujours en juin 2018 et parallèlement à la LC, le Québec adopte le projet de loi 157[7]. Ce projet crée notamment la Société québécoise du cannabis [SQDC], une filiale à fond social propriété exclusive de la Société des alcools du Québec [SAQ], et promulgue du même souffle la Loi (Loi encadrant le cannabis)[8].

[7]         Comme son nom le laisse présager, la Loi entend officiellement encadrer plusieurs volets liés de façon plus ou moins étroite à la consommation de cannabis sur le territoire du Québec. On y traite donc de la possession, de la culture, de l’usage, du transport, de l’entreposage, de la vente et de la promotion de cette substance[9].

[8]         Entre autres choses, la Loi interdit, par ailleurs, la possession de plantes de cannabis, de même que sa culture à des fins personnelles. Pour assurer la sanction des interdictions dont il s’agit, elle prévoit pour les contrevenants des amendes allant de 250 $ à 750 $[10]. Ce sont précisément ces dispositions qui font l’objet de l’attaque constitutionnelle introduite par l’intimé. En voici la facture :

5. Il est interdit d’avoir en sa possession une plante de cannabis.

 

Quiconque contrevient aux dispositions du premier alinéa commet une infraction et est passible d’une amende de 250 $ à 750 $. En cas de récidive, ces montants sont portés au double.

 

 

10. Il est interdit de faire la culture de cannabis à des fins personnelles.

 

Cette interdiction de culture s’applique notamment à la plantation des graines et des plantes, la reproduction des plantes par boutures, la culture des plantes et la récolte de leur production.

 

Quiconque contrevient aux dispositions du premier alinéa en faisant la culture de quatre plantes de cannabis ou moins dans sa maison d’habitation commet une infraction et est passible d’une amende de 250 $ à 750 $. En cas de récidive, ces montants sont portés au double.

 

Aux fins du troisième alinéa, une « maison d’habitation » a le sens que lui donne le paragraphe 8 de l’article 12 de la Loi sur le cannabis (L.C. 2018, c. 16).

5. It is prohibited to possess a cannabis plant.

 

Anyone who contravenes the first paragraph commits an offence and is liable to a fine of $ 250 to $ 750. Those amounts are doubled for a subsequent offence.

 

 

 

10. It is prohibited to cultivate cannabis for personal purposes.

 

That prohibition against cultivating cannabis applies, in particular, to the planting of seeds and plants, the propagation of plants from cuttings, the cultivation of plants and the harvesting of their production.

 

Anyone who contravenes the first paragraph by cultivating four cannabis plants or less in their dwelling-house commits an offence and is liable to a fine of $ 250 to $ 750. Those amounts are doubled for a subsequent offence.

 

 

 

For the purposes of the third paragraph, “dwelling-house” has the meaning assigned by subsection 8 of section 12 of the Cannabis Act (S.C. 2018, c. 16).[11]

Le jugement de la Cour supérieure

[9]         Le jugement de première instance est soigné.  Il convient d’en relater les éléments centraux.

[10]      De l’avis de la juge, il y a matière à analyser les dispositions attaquées sous l’éclairage de la doctrine dite du « caractère véritable », de celle portant sur les pouvoirs accessoires, et en cas de nécessité, de celle concernant la prépondérance fédérale[12].

[11]      À la première étape de cette analyse, elle se réfère à la Loi elle-même dont le premier article décrit les objectifs poursuivis :

1. La présente loi a pour objet de prévenir et de réduire les méfaits du cannabis afin de protéger la santé et la sécurité de la population, particulièrement celles des jeunes. Elle a aussi pour objet d’assurer la préservation de l’intégrité du marché du cannabis.

À ces fins, elle encadre notamment la possession, la culture, l’usage, la vente et la promotion du cannabis.

 

La présente loi lie l’État. »

 

[Soulignement ajouté]

1. The purpose of this Act is to prevent and reduce cannabis harm in order to protect the health and security of the public and of young persons in particular. The Act also aims to ensure the preservation of the cannabis market’s integrity.

To those ends, it regulates such aspects as the possession, cultivation, use, sale and promotion of cannabis.

 

This Act is binding on the State. [13]

 

[Underline added]

[12]      Cette entrée en matière n’a cependant rien de déterminant pour la juge. En effet, elle concentre rapidement son attention sur les dispositions attaquées, en l’occurrence les articles 5 et 10, au sujet desquels elle écrit :

[43]      Le Tribunal tient à souligner qu’il a été question du fait que les articles 5 et 10 de la Loi provinciale tentent de contrer les effets de la nouvelle législation fédérale légalisant la consommation de cannabis. Le 6 juin 2018, en vue des dernières étapes menant à l’adoption de la version finale du projet de loi 157, madame Lucie Charlebois conclut :

« Ce projet de loi positionne et prépare le Québec à l'entrée en vigueur prochaine de la légalisation du cannabis, imposée, il faut se le dire, là, Mme la Présidente, unilatéralement par le gouvernement fédéral. Je veux que les citoyens comprennent bien, là, que ce n'est pas le gouvernement du Québec puis ce n'est pas les députés de l'opposition puis ce n'est pas personne ici, à Québec, qui ont demandé ça. Ça s'est ramassé dans notre agenda suite à une décision du gouvernement fédéral. Alors, on s'est activés avec des échéanciers extrêmement courts et un degré d'incertitude élevé quant aux intentions fédérales. Dire que c'était un réel défi, c'est peu dire, Mme la Présidente. Le but ultime, le même pour nous depuis le départ, était d'offrir le meilleur encadrement possible à cette substance sur notre territoire, compte tenu des enjeux qu'elle comporte. Et, je tiens à le répéter, Mme la Présidente, le cannabis n'est pas une substance banale et inoffensive. Je dis aux jeunes : Ce n'est pas génial de fumer du cannabis.

Notre action se doit d'être réfléchie et ferme. Nous avons la volonté d'offrir le meilleur à la population québécoise, et c'est le fruit d'un travail sérieux et rigoureux qui me permet d'être devant vous aujourd'hui et devant le Québec avec cette version finale du projet de loi n° 157. Les mesures proposées ont pour objectif de prévenir et réduire les méfaits du cannabis afin de protéger — c'est toujours ça qu'on a eu comme objectif en tête, tout le monde autour de la commission — protéger la santé et la sécurité de la population, particulièrement les jeunes. Elles visent aussi à préserver l'intégrité du marché légal du cannabis. Elles servent à lutter contre la banalisation de la substance, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes de même que chez les personnes les plus vulnérables de notre société.

Cette substance, je le répète à nouveau, comporte d'importants risques pour la santé et la sécurité du public, et nous nous devons de mettre en place un encadrement rigoureux à cet égard, nous l'affirmons depuis le début, et c'est notre priorité, c'est la priorité de l'ensemble des parlementaires, Mme la Présidente. Il y a eu peu de place à l'erreur, parce qu'il en va de la santé des Québécois, particulièrement celle de nos jeunes et des générations futures. En ce sens, énormément de gens, dont les experts, nous ont recommandé un encadrement strict dès le départ, qui pourrait évoluer dans le futur en fonction de la situation. »[14]

[Reproduction intégrale]

[13]      De l’avis de la juge, les articles visés ne viennent non pas restreindre la culture personnelle du cannabis, qui serait désormais permise par le Parlement fédéral; ils ont pour objectif réel de l’interdire purement et simplement[15]. De cette prémisse, elle dégage le constat préliminaire suivant :

[45]      Cela laisserait donc entendre que la province cherchait en réalité à pallier l’abrogation des anciennes dispositions rendant la culture personnelle et la possession de plante de cannabis criminelles.[16]

[14]      À son avis, les débats parlementaires font ressortir un sentiment de désapprobation générale en ce qui concerne la consommation du cannabis, ce qui confirmerait la justesse de son constat préliminaire :

[46]      De plus, il se dégage des débats parlementaires une désapprobation générale relativement à la pratique que constitue la consommation de cannabis. Le Tribunal est donc d’avis que les dispositions en cause ont été adoptées afin de réprimer la production personnelle de cannabis, et ce, afin de restreindre l’accessibilité à ce produit et de renforcer son contrôle. Au final, on veut éviter une hausse de sa consommation, particulièrement chez les jeunes.[17]

[15]      Toujours aux fins de l’analyse du caractère véritable, la juge exprime l’avis que les dispositions contestées ont pour effet d’empêcher les citoyens de posséder ou de cultiver des plantes de cannabis à des fins personnelles. Elle conclut en ces termes :

[51]      En somme, l’analyse de l’objet et des effets des dispositions amène le Tribunal à conclure que le caractère véritable des articles 5 et 10 de la Loi provinciale est d’établir une interdiction complète de la culture personnelle de cannabis, car elle est de nature à nuire à la santé et la sécurité publique.[18]

[16]      De cet ensemble et dans la mesure où ces articles 5 et 10 de la Loi répriment une activité autrement licite[19], se dégage selon elle le caractère véritable des dispositions contestées. Or, un tel objet se rattache au pouvoir fédéral de légiférer en droit criminel.

[17]      Pour étayer cette conclusion, la juge souligne la présence des trois caractéristiques d’une loi criminelle, soit une interdiction, une peine et un objet de droit criminel :

[62]      D’ailleurs, les trois caractéristiques d’une loi criminelle sont ici présentes. En l’occurrence, les objectifs d’éviter les méfaits et la banalisation de la consommation du cannabis, de prévention et celui de la légalisation progressive s’apparentent aux objectifs légitimes de droit criminel. Les articles 5 et 10 de la Loi provinciale sont explicitement des interdictions totales à la possession de plante de cannabis et à la culture de cannabis à des fins personnelles. Enfin, les dispositions en cause imposent une sanction en cas d’infraction, soit une amende de 250 à 500 $.[20]

[18]      Elle ajoute que les textes attaqués sont similaires à ceux des lois fédérales interdisant auparavant la possession et la culture de produits liés au cannabis, notamment à ceux de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances [LRDS][21]. Une telle similarité confirmerait le caractère véritable des dispositions de la Loi faisant l’objet de l’attaque constitutionnelle[22].

[19]      Tout en reconnaissant la validité de la Loi[23], la juge ne retient pas l’argument selon lequel les dispositions contestées ne représenteraient qu’un moyen pour atteindre les objectifs annoncés à son article 1[24], soit la santé et la sécurité de la population, particulièrement celles des jeunes. À son avis, la preuve intrinsèque et extrinsèque de même que l’effet des dispositions contestées « permettent de soutenir que le caractère dominant des articles 5 et 10 relève du paragraphe 91(27) L.C. 1867 »[25].

[20]      Toujours en fonction du caractère véritable qu’elle leur attribue, la juge rejette l’application de la théorie du double aspect. Elle écrit :

[84]      Le sujet des drogues en général a effectivement un volet provincial et un volet fédéral. Toutefois, la théorie du double aspect ne peut recevoir application dans la présente affaire puisque le caractère véritable des articles 5 et 10 se rattache uniquement à la compétence fédérale en matière criminelle. Le sujet dominant de ces dispositions, soit l’interdiction complète de la culture personnelle de cannabis et la possession de plante afin de préserver la santé de la population, ne comporte pas à la fois une facette provinciale comme cela était le cas dans les arrêts Schneider et Rio Hotel Ltd.[26]

[21]      C’est le caractère absolu de l’interdiction qui, selon elle, emporte la perte de compétence du Québec. Elle ajoute « qu’au-delà de zéro plant, il aurait été envisageable que la province puisse légiférer, soit au niveau de la santé ou de la sécurité […] »[27].

[22]      Dans les circonstances, la juge estime devoir procéder à l’examen du volet de l’analyse concernant l’intégration des dispositions jugées ultra vires.

[23]      S’agissant d’un empiètement qu’elle estime d’importance dans le champ de compétence fédéral, elle se dit d’avis que, pour être préservées, les dispositions attaquées doivent entretenir un rapport de nécessité vis-à-vis l’ensemble de la Loi[28]. Or, pour elle, tel n’est pas le cas puisqu’il s’agirait au contraire de législation déguisée dont la mise en œuvre ne serait pas nécessaire à la réalisation de l’objectif annoncé[29].

[24]      De l’ensemble de ces considérations, la juge conclut à l’invalidité constitutionnelle des dispositions attaquées[30] et, compte tenu de ce constat, elle juge non nécessaire l’examen du caractère opérant de celles-ci. Elle décline enfin la demande subsidiaire de suspension de la déclaration d’invalidité au motif qu’aucun vide juridique ou chaos n’est susceptible de résulter du dispositif retenu[31].

Analyse

[25]      Il n’est guère contesté que la norme de contrôle applicable en matière de litige constitutionnel est celle de la décision correcte[32].

[26]      D’entrée de jeu et avant même de procéder à l’analyse proprement dite de la constitutionnalité des dispositions attaquées, l’appelant invite la Cour à prendre en compte l’existence d’une importante erreur affectant, selon lui, une des prémisses sur lesquelles repose le jugement entrepris.

[27]      La juge de première instance, avance-t-il, postule dès le départ que la LC[33] permet la culture de quatre plantes de cannabis à domicile. Elle écrit :

[5]        Le 21 juin 2018, le gouvernement fédéral édicte la Loi fédérale afin de permettre un accès légal au cannabis, de contrôler et de réglementer sa production, sa distribution et sa vente. Entre autres, cette loi permet dorénavant de cultiver jusqu’à quatre plantes de cannabis à domicile :

[…][34]

[Renvoi omis; soulignement ajouté]

[28]      De l’avis de la Cour, cet argument concerne en réalité le caractère opérant des dispositions contestées. Il conviendra donc d’en traiter dans le cadre de l’analyse de ce volet de l’affaire.

[29]      Il y a lieu d’aborder dès maintenant l’examen de la justesse du dispositif déclarant que l’objet des articles 5 et 10 de la Loi[35] ne relève pas de la compétence du législateur provincial.

[30]      À titre de rappel, la méthode classique d’examen de la constitutionnalité d’une loi entière ou de dispositions spécifiques attaquées prévoit deux étapes, celle de la qualification et celle de la classification[36].

[31]      À la première, l’exercice consiste à cerner le caractère véritable de la loi ou des dispositions contestées et, à la seconde, de le rattacher à l’une ou l’autre des matières énumérées aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867[37].

A)        Étape de la qualification

[32]      En l’espèce, la démarche de la juge de première instance paraît conforme aux enseignements jurisprudentiels[38], du moins à l’étape de l’analyse du caractère véritable. La conformité du processus d’analyse n’est toutefois pas toujours garante du résultat auquel conduit un examen donné et c’est, selon la Cour, ce qui se produit dans le dossier à l’étude.

1)   l’analyse du caractère véritable des articles 5 et 10 de la Loi

[33]      Le caractère véritable se définit comme étant l’objet principal, l’idée maîtresse ou encore la caractéristique la plus importante de la règle mise en place[39]. L’analyse doit porter à la fois sur l’objet et sur les effets de la législation à l’étude[40].

a)   l’objet de ces dispositions

[34]      Ce premier volet de l’analyse commande en général la prise en compte de la structure générale de la Loi et des dispositions énonçant ses objectifs, un exercice que la jurisprudence désigne souvent comme étant l’analyse de la preuve intrinsèque[41].

i)            la preuve intrinsèque

[35]      L’attaque constitutionnelle menée par l’intimé se concentre sur des dispositions particulières, soit les articles 5 et 10 de la Loi. Il convient de s’y attarder en premier lieu, du moins est-ce là l’enseignement qui se dégage notamment de l’arrêt de la Cour suprême dans Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture). Parlant pour le compte d’une Cour unanime, le juge LeBel écrit :

[56] À mon avis, dans un tel cas, il convient d'examiner tout d'abord les dispositions contestées. Cette règle est formulée par le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans Procureur général du Canada Ltée c. Transports Nationaux du Canada Ltée, 1983 CanLII 36 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 206, p. 270-271 (cité par le juge en chef Dickson dans General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, 1989 CanLII 133 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 641, p. 665) […][42].

[Citation omise]

[36]      La Cour l’a déjà évoqué, dans le cadre de son analyse, la juge de première instance postule que l’objet des dispositions contestées vise à réprimer la production personnelle de cannabis, et ce, afin de restreindre l’accessibilité à ce produit et de renforcer son contrôle[43].

[37]      Sauf, à remplacer le terme réprimer par celui d’interdire, la Cour est d’accord avec cette description de l’objectif particulier des articles dont la validité constitutionnelle est à l’étude. Il faudra cependant revenir sur le texte intégral de ce paragraphe [46] du jugement, car, à l’analyse, il recèle aussi les éléments à l’origine de l’erreur de fond viciant la conclusion retenue en première instance.

[38]      L’analyse du caractère véritable ne peut s’arrêter dans tous les cas au seul texte des dispositions attaquées. C’est d’ailleurs ce qu’il faut retenir de l’extrait des motifs du juge Dickson, alors puîné, cité par le juge LeBel au paragraphe 56 de l’arrêt Bande Kitkatla[44]. La Cour reproduit ci-après le passage qui lui paraît le plus pertinent :

La bonne méthode, lorsque l'on doute que la disposition contestée ait la même caractérisation constitutionnelle que la loi dont elle fait partie, est de prendre pour point de départ ladite disposition plutôt que de commencer par démontrer la validité de la loi dans son ensemble. Je ne crois pas toutefois que cela signifie qu'il faille interpréter isolément la disposition en cause. Si l'argument de validité constitutionnelle se fonde sur la prétention que la disposition contestée fait partie d'un système de réglementation, il semblerait alors nécessaire de l'interpréter dans son contexte. Si, en fait, elle peut être considérée comme faisant partie d'un tel système, il faudra alors examiner la constitutionnalité de ce système dans son ensemble.[45]

[Soulignement ajouté]

[39]      Or, l’intégration des dispositions contestées dans le système mis en place par la Loi se trouve précisément à être l’un des arguments avancés par le procureur général du Québec pour conclure à leur validité.

[40]      Le principe de l’opportunité d’élargir en certains cas l’analyse du caractère véritable des dispositions attaquées a entre autres été repris dans l’arrêt de la Cour suprême portant sur la validité de l’article 29 de la Loi sur l'abolition du registre des armes d'épaule[46]. Sous la plume des juges Cromwell et Karakatsanis, la majorité exprime l’avis suivant :

[30]      Lorsque la contestation vise la disposition précise d'un régime général, l'analyse du caractère véritable a comme point de départ la disposition attaquée : Bande Kitkatla, par. 56. La "matière" de la disposition doit cependant être examinée dans le contexte du régime général, vu que son lien avec ce régime peut être une considération importante lorsqu'il s'agit d'établir son caractère véritable : Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302, par. 20-21.[47]

[41]      La constitutionnalité des articles 5 et 10 de la Loi ne se prête pas à une analyse en vase clos, indépendante de la Loi dans sa globalité. C’est d’abord sous ce rapport que l’examen de l’affaire préconisé par la Cour se démarque de celui fait par la juge de première instance.

[42]      En isolant ces dispositions, la juge déduit l’existence d’un objectif et des effets participant, par leur nature, à la sphère du droit criminel. Elle écrit à ce sujet :

[98]      L’examen du caractère véritable des articles 5 et 10 de la Loi provinciale a mis en lumière l’ampleur du débordement sur la compétence du Parlement fédéral en vertu du paragraphe 91 (27) L.C. 1867. L’examen de l’objet de ces dispositions révèle que les dispositions constituent une « législation déguisée ». Quant à l’examen de ses effets, celui-ci montre que les articles 5 et 10 entravent l’objectif des articles 8 (1) e) et 12 (4) b) de la Loi fédérale, lesquels ont été adoptés par le Parlement fédéral en vertu de son pouvoir en droit criminel. On ne peut donc conclure qu’il est question d’un empiètement minime.[48]

[43]      Certes, une telle inférence n’est pas dénuée de sens dans la mesure où on ne s’en tient qu’au texte des articles en cause. Cependant, la juge paraît dénaturer l’objet et les effets de ces dispositions, car leur véritable objectif ne se dégage que lorsqu’on les analyse dans le contexte global de la Loi.

[44]      Sous ce dernier rapport, il y a d’abord lieu de se référer à l’article 1 de la Loi dont la Cour a précédemment reproduit le texte. On l’a vu, la juge fait de même, en prenant toutefois soin de souligner un segment qui lui paraît propre à appuyer ses conclusions :

[37]      D’emblée, il convient de reproduire l’article 1 de la Loi provinciale, qui expose les objectifs suivants : 

« 1. La présente loi a pour objet de prévenir et de réduire les méfaits du cannabis afin de protéger la santé et la sécurité de la population, particulièrement celles des jeunes. Elle a aussi pour objet d’assurer la préservation de l’intégrité du marché du cannabis.

À ces fins, elle encadre notamment la possession, la culture, l’usage, la vente et la promotion du cannabis.

La présente loi lie l’État. »[49]

[Soulignement dans l’original]

[45]      L’accent mis sur ce segment conduit la juge dans une direction qui se révélera incorrecte. Les dispositions visées par l’attaque constitutionnelle se rattachent de façon générale au premier alinéa, bien sûr, mais de façon beaucoup plus spécifique au second alinéa de ce même article, celui qui décrit les moyens retenus par le législateur québécois pour parvenir à l’objectif décrit au premier :

À ces fins, elle encadre notamment la possession, la culture, l’usage, la vente et la promotion du cannabis.[50]

[Soulignement ajouté]

[46]      En introduction à ce volet de l’affaire, il est utile de rappeler que, parallèlement à l’adoption de la Loi, le législateur québécois a modifié la Loi sur la société des alcools du Québec[51]. Il s’agissait alors de créer la SQDC, une société d’État destinée à être une filiale à part entière de la SAQ. Or, la SQDC joue un rôle central dans ce qui constitue le plan visant à mettre la Loi en œuvre.

[47]      Cette précision faite, certaines dispositions de la Loi projettent un éclairage essentiel à la mise en contexte des dispositions attaquées. De l’avis de la Cour, l’analyse de la juge minimise indûment leur importance. En voici une énumération qui, la Cour le précise, n’a rien d’exhaustif :

25. Seuls la Société québécoise du cannabis et un producteur de cannabis peuvent acheter du cannabis d’un producteur et vendre du cannabis. Toutefois, un producteur ne peut vendre du cannabis qu’à la Société ou à un autre producteur, sauf s’il l’expédie à l’extérieur du Québec.

 

Le gouvernement peut, par règlement, prévoir les conditions qui s’appliquent à la vente de cannabis entre producteurs et les normes qu’ils doivent respecter. Il peut aussi déterminer, parmi les dispositions d’un tel règlement, celles dont la violation constitue une infraction et indiquer, pour chaque infraction, les amendes dont est passible le contrevenant, lesquelles ne peuvent excéder 100 000 $.

 

Quiconque contrevient aux dispositions du premier alinéa commet une infraction et est passible d’une amende de 5 000 $ à 500 000 $.

 

En cas de récidive, les montants des amendes prévues au deuxième et au troisième alinéa sont portés au double.

 

[…]

 

25. Only the Société québécoise du cannabis and a cannabis producer may purchase cannabis from a producer and sell cannabis. However, a producer may sell cannabis only to the Société or to another producer, unless the producer ships it outside Québec.

 

The Government may, by regulation, prescribe the conditions applicable to the sale of cannabis between producers and the standards they must comply with. It may also determine the provisions of such a regulation whose violation constitutes an offence and prescribe, for each offence, the fines to which an offender is liable, which may not exceed $ 100,000.

 

 

Anyone who contravenes the first paragraph commits an offence and is liable to a fine of $ 5,000 to $ 500,000.

 

 

 

The amounts of the fines set out in the second and third paragraphs are doubled for a subsequent offence.

 

 

[…]

 

33. La Société québécoise du cannabis ne peut exploiter un point de vente de cannabis à proximité d’un établissement d’enseignement qui dispense des services d’éducation préscolaire, des services d’enseignement primaire ou secondaire, des services éducatifs en formation professionnelle ou des services éducatifs pour les adultes en formation générale, ni à proximité d’un établissement d’enseignement collégial.

 

Un point de vente de cannabis est situé à proximité d’un établissement d’enseignement lorsque le trajet le plus court pour s’y rendre par une voie publique, au sens du troisième alinéa de l’article 66 de la Loi sur les compétences municipales (chapitre C-47.1), est de moins de 250 m ou, sur le territoire de la Ville de Montréal, de moins de 150 m, à partir des limites du terrain où se situe cet établissement.

 

Le gouvernement peut, par règlement, prévoir d’autres normes relatives à l’emplacement des points de vente de cannabis. Ces normes peuvent notamment concerner la distance minimale qui doit séparer un point de vente de cannabis d’autres lieux qui sont fréquentés par des mineurs ou de lieux qui sont fréquentés par des clientèles vulnérables.

 

Le premier alinéa et le règlement pris en vertu du troisième alinéa s’appliquent sous réserve de tout règlement municipal de zonage qui, par dérogation expresse, autorise spécifiquement l’exploitation d’un point de vente de cannabis.

 

33. The Société québécoise du cannabis may not operate a cannabis retail outlet near an educational institution providing preschool education services, elementary or secondary school instructional services, educational services in vocational training or educational services to adults in general education or near a college-level educational institution.

 

 

 

A cannabis retail outlet is considered to be near an educational institution if, from the boundaries of the grounds on which the institution is situated, the shortest route to the retail outlet by a public road, within the meaning of the third paragraph of section 66 of the Municipal Powers Act (chapter C-47.1), is less than 250 m or, in the territory of Ville de Montréal, less than 150 m.

 

 

The Government may, by regulation, prescribe other standards relating to the location of cannabis retail outlets. Those standards may in particular relate to the minimal distance required between a cannabis retail outlet and other places frequented by minors or places frequented by vulnerable clienteles.

 

 

 

The first paragraph and the regulation made under the third paragraph apply subject to any municipal zoning by-law which, by express derogation, specifically authorizes the operation of a cannabis retail outlet.

 

34. Une personne âgée de moins de 21 ans ne peut être admise dans un point de vente de cannabis et sa présence ne peut y être tolérée.

 

Toutefois, le gouvernement peut, par règlement, déterminer des cas où une personne de moins de 21 ans peut être admise dans un point de vente de cannabis et sa présence y être tolérée, notamment pour la réalisation de travaux d’entretien ou la livraison de produits.

 

34. A person under 21 years of age may not be admitted to a cannabis retail outlet and their presence may not be tolerated there.

 

However, the Government may, by regulation, determine cases where a person under 21 years of age may be admitted to a cannabis retail outlet and their presence may be tolerated there, in particular to carry out maintenance work or deliver products.

35. Il est interdit de vendre du cannabis à une personne âgée de moins de 21 ans.

 

35. It is prohibited to sell cannabis to a person under 21 years of age.

36. Toute personne qui désire être admise dans un point de vente de cannabis ou y acheter du cannabis est tenue de prouver qu’elle est âgée de 21 ans ou plus sur demande d’un préposé de la Société québécoise du cannabis.

 

Cette preuve doit se faire au moyen d’une pièce d’identité avec photo, délivrée par un gouvernement ou l’un de ses ministères ou par un organisme public, sur laquelle sont inscrits le nom et la date de naissance de la personne qui désire être admise dans le point de vente ou y acheter du cannabis.

 

Le préposé doit refuser d’admettre une personne dans un point de vente ou de lui vendre du cannabis lorsqu’il considère que la pièce d’identité présentée ne permet pas de prouver son identité.

36. A person who wishes to be admitted to or to purchase cannabis in a cannabis retail outlet is required to provide proof of age on the request of an employee of the Société québécoise du cannabis.

 

 

When required to provide proof of age, such a person must produce photo identification issued by a government, a government department or a public body showing the person’s name and date of birth.

 

 

 

 

 

The employee must refuse to admit a person to a retail outlet or refuse to sell cannabis to the person if the employee considers that the identification produced cannot prove the person’s identity.

 

37. La Société québécoise du cannabis ne peut vendre du cannabis à une personne âgée de 21 ans ou plus si elle sait que celle-ci en achète pour une personne âgée de moins de 21 ans.

 

37. The Société québécoise du cannabis may not sell cannabis to a person 21 years of age or over if it knows the person is purchasing cannabis for a person under 21 years of age.

38. Il est interdit à une personne âgée de moins de 21 ans d’acheter du cannabis.

 

La personne âgée de moins de 21 ans qui contrevient aux dispositions du premier alinéa commet une infraction et est passible d’une amende de 100 $.

 

[…]

 

38. It is prohibited for a person under 21 years of age to purchase cannabis.

 

 

A person under 21 years of age who contravenes the first paragraph commits an offence and is liable to a fine of $ 100.

 

 

[…]

 

58. Est constitué, au ministère de la Santé et des Services sociaux, le Fonds de prévention et de recherche en matière de cannabis. Ce fonds est affecté au financement :

 

1°d’activités et de programmes de surveillance et de recherche concernant les effets du cannabis sur l’état de santé de la population;

 

2°de soins curatifs en lien avec l’usage du cannabis;

 

 

 

3°d’activités et de programmes de prévention des méfaits du cannabis et de promotion de la santé.

 

[Soulignement ajouté

58. The Cannabis Prevention and Research Fund (the Fund) is established at the Ministère de la Santé et des Services sociaux. The Fund is dedicated to the financing of

 

(1) monitoring and research activities and programs relating to the effects of cannabis on the health status of the population;

 

(2) curative care in relation to cannabis use; and

 

(3) cannabis harm prevention activities and programs and health promotion activities and programs.[52]

 

[Underline added]

[48]      Ces quelques dispositions permettent de tirer les conclusions qui suivent.

[49]      Tenant pour avéré le fait que la consommation de cannabis constitue une activité susceptible de présenter des risques pour la santé, le législateur a voulu qu’un organisme étatique, la SQDC, en supervise la production et la vente, et, par voie de conséquence, la consommation sur le territoire québécois.

[50]      Il convient d’ouvrir ici une courte parenthèse pour indiquer que le législateur fédéral partage les craintes de son homologue provincial au sujet des dangers associés à la consommation de cannabis. La Cour reviendra sur ce sujet dans le cadre de l’analyse du caractère opérant des dispositions attaquées.

[51]      En résumé, aux fins de prévenir et de réduire les méfaits du cannabis et de protéger la santé et la sécurité de la population, particulièrement celles des jeunes, le législateur québécois a créé un monopole d’État. Celui-ci s’est vu chargé de la mission de contrôler, au mieux possible, la consommation de cette substance jugée à risque. L’efficacité d’un pareil contrôle implique la supervision de chacune des étapes préalables à l’entrée en possession par les citoyens de la substance à être consommée. On comprendra, dès lors, que la possession de plantes de cannabis et la culture à des fins personnelles ne peuvent s’insérer dans la mise en œuvre du moyen choisi pour l’atteinte de cet objectif. Bien au contraire, une brèche dans le monopole octroyé à la SQDC est de nature à en réduire l’efficacité.

[52]      Analysée sous cet angle, la preuve intrinsèque de l’objet des dispositions attaquées fait donc voir que celles-ci ne poursuivent pas l’objectif autonome d’interdire purement et simplement la possession et la culture de plantes de cannabis à des fins personnelles, contrairement à la conclusion tirée en première instance.

[53]      La mise en garde de la Cour suprême dans l’arrêt Ward prend ici tout son sens :

[25]      Quant aux effets de la mesure législative, l’art. 27 influe sur les droits des personnes qui y sont assujettis en interdisant la vente de blanchons et de jeunes à dos bleu qui ont, par ailleurs, été capturés légalement. Monsieur Ward fait valoir que l’art. 27 a pour effet juridique de réglementer la propriété et la transformation d’un produit de phoque capturé. Cet argument revient à dire que, parce que la mesure législative est une interdiction de vente, elle porte nécessairement, de par son caractère véritable, sur la réglementation de la vente. C’est là confondre l’objet de la mesure législative avec les moyens choisis pour réaliser cet objet. D’après le contexte de la mesure législative dans son ensemble et son historique législatif, rien n’indique que le Parlement tentait de réglementer le marché local du commerce du phoque et des produits du phoque.  L’argument de M. Ward voulant que l’art. 27 vise à réglementer un produit déjà transformé, du fait que les phoques sont écorchés et que leur viande est conservée à bord des bateaux, confond de la même façon l’objet de l’art. 27 avec les moyens choisis pour réaliser cet objet.[53]

[Soulignement ajouté]

ii)         la preuve extrinsèque

[54]      La Cour supérieure conclut que les articles contestés constituent une législation déguisée :

[98]      […] L’examen de l’objet de ces dispositions révèle que les dispositions constituent une « législation déguisée ». […][54]

[55]      Certes, il peut arriver que certaines dispositions d’une loi visent un objectif autre que celui officiellement déclaré. La jurisprudence a connu des situations de ce genre et le Renvoi relatif à Upper Churchill Water Rights Reversion Act[55] en fournit un exemple classique. Cela dit, la lourdeur du fardeau de preuve requis pour supporter une conclusion de législation déguisée est tout aussi bien établie. Voici ce qu’en dit la Cour suprême dans Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général) :

[31]      Les tribunaux doivent toutefois prendre garde de donner leur aval à une loi « déguisée », c’est-à-dire une loi qui, de par sa forme, semble porter sur une matière ressortissant à la compétence législative de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée, mais qui traite au fond d’une matière dépassant sa compétence […]. La théorie du détournement de pouvoir veut simplement dire que [traduction] « la forme n’est pas déterminante lorsqu’il s’agit d’établir le caractère essentiel » […]. Les tribunaux sont, à juste titre, réticents à conclure qu’une loi est déguisée […]. Une application plus étendue de la théorie du détournement de pouvoir risque d’amener les tribunaux à dépasser leur fonction de statuer sur la constitutionnalité d’une loi et à manifester plutôt leur désapprobation soit du principe directeur du texte législatif, soit du moyen par lequel la loi cherche à l’appliquer […].[56]

[Soulignement ajouté]

[56]      En l’espèce, de l’avis de la juge, l’interdiction de posséder des plantes de cannabis poursuivrait un objectif distinct et différent de celui de la Loi en général, et ce, en raison de son caractère absolu. La création d’une infraction destinée à remplacer celle auparavant créée par la LRDS serait ce but inavoué, bien que, sous ses autres rapports, la Loi en général poursuive un objectif constitutionnellement valide[57].

[57]      À ce sujet, la juge propose notamment la démonstration que voici :

[63]      Dans la présente affaire, il s’avère utile de comparer les dispositions contestées avec les interdictions d’autrefois, car « [on] peut inférer de la similitude avec les termes du Code criminel que la province a empiété sur le domaine de droit criminel; plus la reproduction est exacte, plus on doit en conclure que c’est là l’objet principal de la loi ».

[64]      Considérant que le cannabis figurait à l’Annexe II de la LRDS, l’ancienne disposition de cette loi qui interdisait toute culture de cannabis non thérapeutique se lit comme suit :

« Production de substance

7 (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, la production de toute substance inscrite aux annexes I, II, III, IV ou V est interdite. »

[Le Tribunal souligne]

[65]      La production est définie dans la LRDS comme incluant la culture d’une substance visée à l’Annexe II.

[66]      Quant à la possession, elle était prohibée selon les termes suivants :

« Possession de substances

4 (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, la possession de toute substance inscrite aux annexes I, II ou III est interdite. »

[Le Tribunal souligne]

[67]      Les nouvelles dispositions de la Loi fédérale visant à décriminaliser, à l’intérieur des limites fixées, la culture de cannabis à des fins personnelles dans une maison d’habitation ainsi que sa possession se lit comme suit :

« Possession

8 (1) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi :

[…]

e) il est interdit à tout individu d’avoir en sa possession plus de quatre plantes de cannabis qui sont ni en train de bourgeonner ni en train de fleurir; 

[…]

Production

12 (4) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi, il est interdit à tout individu âgé de dix-huit ans ou plus de se livrer aux activités suivantes :

[…]

b) cultiver, multiplier ou récolter plus de quatre plantes de cannabis au même moment dans sa maison d’habitation, ou offrir de le faire. »

[Le Tribunal souligne]

[68]      Aujourd’hui, les dispositions contestées reprennent essentiellement les mêmes libellés :

« 5. Il est interdit d’avoir en sa possession une plante de cannabis. Quiconque contrevient aux dispositions du premier alinéa commet une infraction et est passible d’une amende de 250 $ à 750 $. En cas de récidive, ces montants sont portés au double.

[…]

10. Il est interdit de faire la culture de cannabis à des fins personnelles.

Cette interdiction de culture s’applique notamment à la plantation des graines et des plantes, la reproduction des plantes par boutures, la culture des plantes et la récolte de leur production. »

[Le Tribunal souligne]

[69]      La simple comparaison de ces dispositions démontre à quel point les dispositions contestées sont similaires aux dispositions fédérales et conséquemment, prouve que l’effet des dispositions provinciales est un retour en arrière, comme si la nouvelle Loi fédérale visant l’accessibilité et la légalisation du cannabis n’avait jamais existé.[58]

[Reproduction intégrale; renvois omis]

[58]      L’exercice paraît court, à tout le moins.

[59]      Il y a bel et bien une similitude de vocabulaire entre les dispositions de la Loi et celui utilisé alors par la LRDS. Mais ce constat ne dit pas tout.

[60]      En l’espèce, en application de la LRDS et du Code criminel, la culture de cannabis était passible d’un emprisonnement de 14 ans[59], un étalon permettant de mesurer l’intensité de la gravité objective des crimes alors visés[60]. Les amendes allant de 250 $ à 750 $ prévues pour la contravention aux articles 5 et 10 de la Loi n’entretiennent aucun rapport véritable avec les peines associées à la commission de crimes se situant à un niveau élevé dans l’échelle de gravité mise en place par le Code criminel. Les sanctions retenues par le législateur provincial se présentent plutôt comme des incitatifs ayant pour simple but le respect de la Loi conformément au paragraphe 92 (15) Loi constitutionnelle de 1867 et non des peines destinées à réprimer un comportement relevant du droit criminel.

[61]      On peut importer ici, avec les adaptations nécessaires, les commentaires du juge Major, parlant au nom d’une Cour suprême unanime, dans Siemens c. Manitoba (Procureur général) :

[25]  Toutefois, même si la Loi sur les ALV créait une infraction provinciale ou prévoyait une amende, elle ne représenterait pas nécessairement une tentative de légiférer en matière criminelle. Le paragraphe 92(15) de la Loi constitutionnelle de 1867 permet à la législature d'une province d'infliger des amendes ou d'autres sanctions pour assurer l'application d'une loi provinciale valide; les provinces ont créé, dans leurs domaines de compétence législative, d'innombrables infractions assorties de sanctions. Les infractions relatives à la conduite d'un véhicule à moteur, qui en sont l'exemple classique, ont été jugées constitutionnelles, notamment dans les arrêts O'Grady c. Sparling, 1960 CanLII 70 (SCC), [1960] R.C.S. 804 (conduite imprudente), et Ross c. Registraire des véhicules automobiles, 1973 CanLII 176 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 5 (suspension du permis provincial à la suite d'une déclaration de culpabilité d'infraction criminelle de conduite avec facultés affaiblies). La seule existence d'une interdiction et d'une sanction n'invalide pas l'exercice par ailleurs acceptable d'une compétence législative provinciale.[61]

[62]      Toujours en rapport avec la conclusion selon laquelle les articles en cause constituent de la législation déguisée, la juge trace un parallèle entre le cas à l’étude et celui jugé dans l’affaire Morgentaler[62] :

[60]      L’arrêt Morgentaler, quant à lui, souligne que « [l’interdiction] d’un acte dans l’intérêt moral public était et reste l’une des fins classiques du droit criminel ». Ainsi, malgré les pouvoirs provinciaux étendus en matière d’établissement de santé, il a été jugé que la loi provinciale qui interdit les avortements sauf en milieu hospitalier constituait une loi de nature criminelle. Cette dernière visait en fait à supprimer ce qui était perçu comme un mal social, soit les cliniques d’avortement.

[61]      Par analogie, comment peut-on alors prétendre que les dispositions contestées interdisant la culture de cannabis, sauf dans des endroits autorisés par la SQDC, ne sont pas de nature criminelle? Pour le Tribunal, il est clair que les articles 5 et 10 de la Loi provinciale tentent de s’attaquer à un mal touchant la santé et la sécurité publique, soit aux effets potentiellement nocifs pour la santé de la consommation de cannabis. Il s’agit de son objectif dominant.[63]

[Soulignement ajouté; renvoi omis]

[63]      Il paraît utile de commenter brièvement la teneur de ces deux paragraphes.

[64]      Tout d’abord, l’analogie faite avec l’arrêt Morgentaler ci-dessus ne peut tenir la route. Au regard de la preuve intrinsèque et dans la foulée de l’analyse qui précède, la Cour est d’avis qu’on ne peut soutenir la thèse selon laquelle le législateur provincial aurait poursuivi l’objectif occulte de réprimer la possession et la culture personnelle de cannabis en tant que telles.

[65]      Par ailleurs, dans Morgentaler, la preuve extrinsèque révélait sans équivoque que l’avortement était perçu comme un mal social à réprimer. L’analyse de la preuve extrinsèque portant sur les articles 5 et 10 de la Loi est loin de soutenir une conclusion de cette nature. On le verra un peu plus en détail à la lecture des quelques extraits reproduits plus loin.

[66]      En second lieu, à l’analyse, le paragraphe 61 ci-devant reproduit fait ressortir la subtile confusion assimilant, sans distinction, la possession et la culture de la plante à la consommation du produit.

[61]      […] il est clair que les articles 5 et 10 de la Loi provinciale tentent de s’attaquer […] aux effets potentiellement nocifs pour la santé de la consommation de cannabis. Il s’agit de son objectif dominant.[64]

[Soulignement ajouté]

[67]      En réalité, les articles 5 et 10 de la Loi ne s’attaquent pas en eux-mêmes à la consommation de cannabis et ce n’est pas là leur objectif dominant. Ils visent tout simplement à interdire la possession et la culture personnelle de plantes de cannabis. Mais s’ils le font, c’est dans le but de mettre en place un des moyens accessoires nécessaires à l’efficacité du moyen privilégié par le législateur provincial pour « s’attaquer […] aux effets potentiellement nocifs pour la santé de la consommation de cannabis »[65] : le monopole de vente octroyé à la SQDC.

[68]      La confusion entre le caractère véritable des articles attaqués, d’une part, et l’objectif poursuivi par la Loi dans son ensemble, d’autre part, est la source de la conclusion selon laquelle les dispositions en cause constituent une législation déguisée[66].

[69]      Ceci nous ramène au paragraphe [46] du jugement frappé d’appel, et plus particulièrement à sa première phrase, laquelle introduit l’idée que les articles 5 et 10 de la Loi poursuivraient une fin occulte :

[46]      De plus, il se dégage des débats parlementaires une désapprobation générale relativement à la pratique que constitue la consommation de cannabis. […]

[70]      Cette proposition peut sans doute trouver appui dans la preuve extrinsèque, mais, encore une fois, elle ne concerne que la consommation de la substance et non pas la culture des plantes. Pourtant la juge associe à tort la désapprobation générale à ce dernier volet :

[46]      […] Le Tribunal est donc d’avis que les dispositions en cause ont été adoptées afin de réprimer la production personnelle de cannabis […][67]

[71]      La juge écrit d’ailleurs un peu plus loin :

[54]      […] l’objet et l’effet principal du régime provincial sur la possession et la culture de plante de cannabis constituent une interdiction absolue d’une pratique qui est de nature à saper des valeurs morales et à créer des maux pour la santé et la sécurité publique. Par conséquent, le législateur provincial a cherché à réprimer une activité dorénavant licite et ultimement, à renforcer le droit criminel.[68]

[Soulignement ajouté]

[72]      La Cour ne peut partager cette vision de la preuve extrinsèque. Loin de soutenir la thèse du but détourné d’interdire une « pratique de nature à saper des valeurs morales »[69] et de mettre en place des éléments coercitifs propres à remplacer les mesures de droit criminel auparavant en vigueur, l’impression générale qui se dégage des débats parlementaires va plutôt à contresens. Leur lecture tend en effet à mettre en évidence la concordance des interventions portant sur les dispositions contestées avec le but précédemment dégagé lors de l’analyse de la preuve intrinsèque. On y envisage les textes en cause comme des moyens propres à assurer l’efficacité du monopole d’État dans la poursuite d’un objectif de santé publique. En voici quelques exemples, parmi plusieurs.

[73]      Le député Jolin-Barrette, alors dans l’opposition :

M. Jolin-Barette : Nous, dans un souci de sécurité publique, dans un souci de santé publique, dans un souci d'aller progressivement, nous faisons le choix, comme État, de ne pas permettre la culture à domicile, et on veut, à des fins de santé publique et de sécurité, orienter les consommateurs vers les magasins d'une filiale de la société d'État pour faire en sorte que la consommation se fasse d'une façon responsable.[70]

[74]      Cette intervention reçoit l’assentiment exprès de la ministre Charlebois, chargée de piloter le projet qui allait devenir la Loi.

[75]      Au cours des débats, cette même ministre fait montre d’ouverture quant à l’adoption d’éventuels assouplissements dans la mesure où les rapports à venir de la santé publique s’y montrent favorables :

Mme Charlebois : Et il y a toujours le risque de détournement. Puis je le sais, que ce n'est pas tout le monde qui a des mauvaises intentions, j'entends bien la députée de Sainte-Marie — Saint-Jacques. Mais l'objectif de la loi en ce moment... Oui, on ne veut pas que ça devienne facilement accessible, et, dans ce sens-là, c'est pour ça qu'on a mis l'interdiction. Mais, si, comme je vous dis, dans trois ans, on décide de permettre un plant, deux plants, quatre plants, on le fera, là, on le fera, ça va être... Il va y avoir de toute façon une évaluation obligatoire du modèle de vente. Ça va être obligatoire. Il y a le comité de vigilance qui, à tous les ans, va faire un rapport. Ça fait qu'on va commencer à être plus structurés. Puis il va y avoir de la recherche qui va se faire à l'institut national, le directeur national de santé publique va pouvoir donner des mandats — il est assis derrière moi — il va pouvoir donner des mandats à l'Institut national de santé publique pour nous indiquer... de nous donner des données probantes pour prendre des meilleures décisions.[71]

[76]      Quelques jours plus tard, elle ajoute :

Mme Charlebois : Mais je ne dis pas que jamais il n'y en aura [de culture permise à domicile]. Ce que je dis, c'est : Débutons avec ce que nous avons, et, d'ici trois ans, si le législateur décide de faire comme vous le dites, que le Nouveau-Brunswick, je crois, dont vous avez parlé, eux autres veulent mettre en place une différente façon de faire avec un registre, et tout... Moi, je pense que, déjà, de mettre en place ce qu'on a à faire et de le faire correctement, au niveau de la prévention, au niveau de tout le déploiement des boutiques associées à tout ça, comment on fait pour protéger nos jeunes, comment on fait pour donner la formation adéquate, ne serait-ce qu'aux travailleurs à l'intérieur de ces boutiques-là, mais aussi à tous les professionnels, que ce soit en santé, en sécurité publique, en transport...[72]

[77]      En somme, l’objectif de protection de la santé publique par le contrôle de la distribution de substances de qualité transparaît clairement. Il s’ensuit que la conclusion de législation déguisée tirée en première instance ne peut prendre appui sur la preuve extrinsèque, pas plus qu’elle ne pouvait le faire en se fondant sur la preuve intrinsèque. De l’avis de la Cour, en aucun cas celle administrée en première instance ne pourrait-elle satisfaire les exigences requises pour conclure à la présence d’une législation déguisée[73].

b)   l’effet de ces dispositions

[78]      La juge exprime les considérations suivantes avec lesquelles la Cour est en accord :

[49]      Selon le Tribunal, l’application des articles 5 et 10 a pour conséquence pratique d’une part, d’empêcher les citoyens de posséder et de cultiver des plantes de cannabis à des fins personnelles et d’autre part, d’obliger les consommateurs à s’approvisionner en cannabis auprès de la SQDC.

[50]      Quant aux conséquences juridiques, les dispositions provinciales ont pour effet, tout d’abord, de prohiber la possession d’une plante de cannabis et la culture personnelle de cannabis ainsi que d’imposer des sanctions pénales en cas de contravention. Elles entraînent aussi des conséquences de nature pénale à des actes qui étaient autrefois criminalisés par une loi fédérale, soit la LRDS. […][74]

[79]      Il y a effectivement interdiction totale de la culture personnelle de cannabis, laquelle est assortie de sanctions pénales, en l’occurrence, l’imposition d’amendes.

[80]      Un effet pratique indirect de ce moyen particulier consiste aussi à protéger la population, principalement les adolescents et les jeunes adultes contre une perception erronée les induisant à croire au caractère normal ou inoffensif de la consommation du produit. Ce constat fait, il paraît inutile de commenter davantage les effets pratiques et juridiques des dispositions attaquées. Dans le cas spécifique à l’étude, ce volet de l’analyse ne permet pas de progresser plus avant dans l’étude de leur validité constitutionnelle, et ce, dans la mesure où l’interdiction de culture personnelle entretient un rapport logique et cohérent avec la protection du monopole d’État instauré par la Loi.

2)   Conclusion quant au caractère véritable des articles 5 et 10 de la Loi

[81]      La Cour conclut que le jugement entrepris attribue erronément aux articles 5 et 10 de la Loi l’objectif autonome et indépendant d’interdire la culture personnelle de cannabis. À l’étape de la qualification, il s’agit d’un constat qui vicie l’analyse faite en première instance.

[82]      En replaçant ces dispositions dans le contexte général de Loi, leur « caractéristique dominante »[75], ou la matière sur laquelle elles portent essentiellement, consiste à mettre en place l’un des moyens choisis pour assurer l’efficacité du monopole d’État confié à la SQDC. Cette mesure, combinée aux autres également retenues par la Loi, a pour objet de diriger les consommateurs de cannabis vers l’unique source d’approvisionnement ayant, pour l’instant, reçu la confiance du législateur québécois.

B)        Étape de la classification

[83]      Les articles 5 et 10 de la Loi entrent-ils dans le champ de compétence des provinces ou constituent-ils une intrusion dans celui du Parlement fédéral?

[84]      En l’espèce, l’appelant soutient que les dispositions contestées, considérées dans le contexte global de la Loi, relèvent du domaine de la propriété et les droits civils, un champ reconnu aux législatures provinciales par le paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867[76]. Il s’agirait plus précisément de sujets appartenant au domaine de la santé.

[85]      Incidemment, la Loi constitutionnelle de 1867 n’attribue la compétence générale en cette matière à aucun des deux ordres de gouvernement. La Cour suprême reconnaît toutefois aux provinces un rôle de première ligne en vertu des paragraphes 92(13) et (16)[77].

[86]      À l’instar de la juge de la Cour supérieure, l’intimé avance pour sa part que les articles attaqués s’inscrivent plutôt dans le champ de la compétence conférée au Parlement en droit criminel[78].

[87]      Comme le mentionne avec justesse le jugement entrepris[79], certaines caractéristiques permettent de reconnaître l’appartenance d’une norme donnée à la sphère du droit criminel. La Cour suprême les a récemment rappelées en ces termes :

[67]      Le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement l’autorité législative exclusive en ce qui a trait au droit criminel. Les articles 1 à 7 de la Loi sur la non-discrimination génétique constitueront des dispositions de droit criminel valides si, par leur caractère véritable : (1) ils contiennent une interdiction (2) assortie d’une sanction et (3) reposent sur un objet de droit criminel : Renvoi sur les armes à feu, par. 27; Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act,), 1948 CanLII 2 (SCC), [1949] R.C.S. 1, p. 49 50 (Renvoi sur la margarine), conf. par 1950 CanLII 342 (UK JCPC), [1951] A.C. 179 (C.P.).[80]

[Soulignement ajouté]

[88]      À première vue, les articles attaqués, considérés isolément, paraissent satisfaire aux critères dont il s’agit.

[89]      Ces prémisses posées, il faut garder en mémoire que les chefs de compétence dans les matières en cause, la propriété et les droits civils, d’une part, et le droit criminel, d’autre part, sont larges et pléniers[81]. À ce propos, la Cour suprême enseigne que la plénitude d’une matière n’est pas sans borne et qu’elle ne saurait valablement permettre à un ordre de gouvernement d’empiéter sur une compétence relevant de l’autre ordre :

[48]      […] aucun chef de compétence ne peut recevoir « une interprétation générale au point d’élargir à n’en plus finir la compétence en cause » (Ward, par. 30) de sorte qu’il puisse être « utilisé d’une manière telle que cela revienne en réalité à en vider un autre de son essence » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 7). Il s’ensuit que les vastes compétences du fédéral doivent nécessairement demeurer dans les limites qui s’imposent, surtout lorsqu’elles ont le potentiel — comme dans le cas du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 — d’empiéter considérablement sur les compétences des provinces. Sinon, les compétences législatives provinciales risqueraient d’être affaiblies par l’effet des doctrines de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale (voir Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 71-72).[82]

[90]      Les chefs de compétence larges et pléniers servent assez souvent de cadre à des débats contradictoires[83], surtout lorsqu’une matière donnée, comme la santé, comporte des volets susceptibles de relever de la compétence de l’un et l’autre des deux ordres de gouvernements[84] :

[66]      […] Il peut y avoir un chevauchement entre les deux lorsqu’un objet donné est abordé de deux perspectives différentes, l’une étayant l’exercice de la compétence fédérale et l’autre l’exercice de la compétence provinciale, c. à d. lorsque l’objet a un double aspect […].[85]

[91]      En l’espèce, l’appelant plaide l’existence d’une situation de cette nature, ce qui, selon lui, donne ouverture à l’application de la doctrine du double aspect. La juge de la Cour supérieure a reconnu l’existence d’un chevauchement, mais a répudié la thèse selon laquelle il y aurait en conséquence matière à appliquer la doctrine du double aspect :

[83]      En principe, la doctrine du double aspect s’applique lorsqu’une loi traite d’un sujet ayant un aspect provincial et fédéral, et lorsqu’il n’y a pas de contraste marqué entre l’importance relative des caractéristiques fédérales et des caractéristiques provinciales d’un sujet particulier.

[84]      Le sujet des drogues en général a effectivement un volet provincial et un volet fédéral. Toutefois, la théorie du double aspect ne peut recevoir application dans la présente affaire puisque le caractère véritable des articles 5 et 10 se rattache uniquement à la compétence fédérale en matière criminelle. Le sujet dominant de ces dispositions, soit l’interdiction complète de la culture personnelle de cannabis et la possession de plante afin de préserver la santé de la population, ne comporte pas à la fois une facette provinciale comme cela était le cas dans les arrêts Schneider et Rio Hotel Ltd.[86]

[Renvois omis]

[92]      La Cour déjà conclu à la présence d’une erreur de qualification dans le jugement entrepris en ce que les articles attaqués ont pour objectif ultime non pas de créer une interdiction totale de possession et de culture de plantes de cannabis, mais bien de mettre en place l’un des moyens choisis pour assurer l’efficacité du monopole d’État confié à la SQDC. Partant, elle estime qu’est erronée la motivation soutenant le rejet en première instance de la théorie du double aspect.

[93]      En l’espèce, le législateur fédéral cherche à mieux contrôler l’immixtion des organisations criminelles dans le phénomène de la consommation d’une substance au potentiel dangereux. Dans ce but, il remplace une mesure jugée inefficace, la prohibition totale de possession, par une autre plus susceptible de minimiser le rôle du crime organisé et ainsi d’assurer la protection de la santé et de la sécurité de la population. Il s’agit en l’occurrence de la décriminalisation d’une possession en quantité restreinte de la substance au potentiel dangereux.

[94]      De son côté, le législateur provincial poursuit essentiellement un but parallèle en ce qu’il cherche à assurer un contrôle efficace de l’accès ordonné à cette même substance. À cette fin, il choisit la création d’un monopole étatique de distribution. Les dispositions attaquées font partie d’un ensemble de mesures propres à assurer l’efficacité du moyen choisi par le législateur québécois pour protéger la population.

[95]      La doctrine du double aspect s’oppose à celle de l’exclusivité des compétences et le courant moderne favorise son application :

[70]      Bref, la doctrine de l’exclusivité des compétences a une portée limitée. Le principe des compartiments étanches fixes sur lequel elle repose va à contrecourant de l’évolution de linterprétation constitutionnelle canadienne, qui tend vers les notions plus souples du double aspect et du fédéralisme coopératif. L’appliquer en l’espèce perturberait les compétences bien établies et créerait de l’incertitude quant aux nouvelles.[87]

[96]      Pour conclure, la Cour est d’avis que le cas à l’étude entre dans la catégorie permettant l’application de la doctrine du double aspect, au sens où l’entend la Cour suprême :

[66]      Le droit constitutionnel canadien reconnaît depuis longtemps que le même sujet ou la même « matière » peut avoir à la fois un aspect provincial et un autre fédéral. Ainsi, une loi fédérale peut régir une matière d’un point de vue et une loi provinciale la régir d’un autre point de vue. La loi fédérale vise alors un objectif dont le caractère véritable relève de la compétence du Parlement, tandis que la loi provinciale vise un objectif différent qui relève de la compétence provinciale (Banque canadienne de l’Ouest, par. 30). Ce concept, connu sous le nom de doctrine du double aspect, ouvre la voie à l’application concurrente de législations fédérales et provinciales, mais ne crée pas de compétence concurrente sur une matière (comme le fait, par exemple, l’art. 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 en matière d’agriculture et d’immigration).[88]

[97]      L’objet de la Loi, incluant les dispositions attaquées, entre dans le champ de compétence dévolu aux provinces par les paragraphes 92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867.

C)        Subsidiairement, les dispositions contestées sont-elles inopérantes en raison d’un conflit avec la Loi fédérale?

[98]      En appel, l’intimé soutient qu’en application de la doctrine de la prépondérance fédérale, il y a matière à déclarer inopérantes les dispositions attaquées, et ce, dans l’hypothèse où la Cour ne les invaliderait pas en raison de leur caractère véritable. Il convient de rappeler que la juge de première instance a pour sa part estimé inutile de se prononcer sur cette question :

[101]   Compte tenu de la conclusion du Tribunal quant à l’invalidité des articles 5 et 10 de la Loi provinciale, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’argument du demandeur portant sur le principe de la prépondérance des lois fédérales.[89]

[99]      Ayant conclu à l’inverse, c’est-à-dire, à la validité des articles 5 et 10 de la Loi au regard de leur caractère véritable, la Cour doit donc traiter du moyen dont il s’agit.

[100]   À titre de remarque préliminaire, cependant, et avant d’entrer dans le vif du sujet, la Cour rappelle que la juge de première instance paraît reprocher au législateur provincial sa désapprobation générale relativement à la pratique que constitue la consommation de cannabis[90]. Elle semble y voir une approche opposée à celle dorénavant préconisée par le législateur fédéral.

[101]   Comme précédemment mentionné, il paraît au contraire que le législateur fédéral partage ce sentiment de désapprobation à l’endroit de la consommation de cannabis.

[102]   Plusieurs interventions faites lors des débats à la Chambre des communes reflètent l’inquiétude des parlementaires à cet égard. Elles mettent aussi en évidence l’un des objectifs principaux de la LC, si ce n’est le principal, celui de mieux combattre le rôle du crime organisé dans la production, la vente et la consommation de cannabis. En voici quelques exemples :

M. Pat Finnigan (Miramichi—Grand Lake, Lib.) :

À l'heure actuelle, le cannabis est cultivé et vendu illégalement et sa vente profite aux criminels et aux organisations criminelles, qui ne se soucient nullement de la santé ou de la sécurité publique. L'approche actuelle pour le cannabis ne fonctionne pas. Les données scientifiques montrent que les risques associés à la consommation de cannabis sont plus grands chez les jeunes que chez les adultes. Qui plus est, les risques sont plus grands chez ceux qui commencent à en consommer à un jeune âge ou qui en consomment fréquemment.[91]

M. Marco Mendicino (secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, Lib.) : 

Il convient d'abord de reconnaître que le système actuel ne fonctionne pas. Les Canadiens et les Canadiennes, y compris les enfants et les jeunes, affichent certains des plus forts taux de consommation de cannabis dans le monde. Le système actuel permet au marché clandestin de prospérer, un marché qui n'est ni réglementé ni testé et qui peut être dangereux.

Le projet de loi C-45 a été élaboré en tenant compte des grands objectifs stratégiques du gouvernement, à savoir : protéger les jeunes et les empêcher d'accéder au cannabis et d'en consommer; sensibiliser la population aux risques liés à la consommation de cannabis; décourager les activités illégales au moyen de mesures adéquates et proportionnelles à la gravité du crime; réduire le fardeau imposé au système de justice pénale par les infractions mineures liées au cannabis.[92]

M. David Lametti (secrétaire parlementaire du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Lib.) :  

Le projet de loi C-45 est une mesure législative importante qui donne suite à un engagement fondamental du gouvernement, soit de présenter une mesure législative visant à légaliser et à réglementer rigoureusement le cannabis afin qu'il soit hors de portée des jeunes et que les criminels et le monde interlope n'en tirent pas profit.

Le projet de loi C-45 fera progresser le Canada en s'attaquant aux préjudices sociaux et aux problèmes de santé qui découlent de l'approche inefficace actuelle en matière de cannabis. Il contribuera à réduire le rôle que le crime organisé joue actuellement dans la production et la distribution du cannabis au Canada. De plus, il placera le gouvernement dans une meilleure position pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens, particulièrement les jeunes.

[…]

Le taux de consommation de cannabis chez les Canadiens, tant les jeunes que les adultes, est très élevé. Beaucoup en consomment sans bien comprendre les risques qui y sont associés. Ils obtiennent leur cannabis illégalement, ce qui profite au crime organisé. Les produits qu'ils achètent sont souvent produits dans des milieux dangereux, sans égard pour la qualité du produit ou la santé du consommateur.[93]

M. Bill Blair (secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, Lib.) : 

Je veux aussi lui poser la question suivante. Le Canada a le plus haut taux de consommation de cannabis chez les jeunes au monde. Le cannabis que consomment les jeunes Canadiens provient d'organisations criminelles et de gens qui ne se soucient aucunement de leur santé, de leur sécurité, des contaminants et des substances dangereuses qu'il contient, des effets néfastes qu'il peut avoir sur la santé des jeunes ou du fait qu'il les expose à un plus grand risque de préjudice social. Nous savons également qu'en vendant cette drogue aux enfants, le crime organisé empoche des milliards de dollars au Canada.[94]

[103]   Au demeurant, la juge de la Cour supérieure souligne elle-même que la loi fédérale a fait un crime de la consommation de cette substance pendant près d’un siècle. Pareil constat manifeste on ne peut plus clairement la réprobation du législateur fédéral. Or, ce n’est certainement pas parce que ce sentiment a changé que celui-ci a promulgué la LC.

[104]   Constatant en effet l’inefficacité de la prohibition totale pour faire obstacle à la consommation, particulièrement chez les jeunes, il a choisi de mettre en place des moyens qu’il a estimés plus propices au succès de son combat.

[105]   À noter au passage que, sous le sous-titre Activités criminelles, la LC conserve nombre d’infractions concernant la production, la possession et la consommation de cannabis. On y retrouve, incidemment, les dispositions mêmes citées par la Cour supérieure au soutien de la thèse portant sur l’invalidité des dispositions provinciales prohibant la possession et la culture de plantes[95].

[106]   Parmi les multiples exemples qui soutiennent l’affirmation selon laquelle le législateur fédéral partage le sentiment général de désapprobation de son homologue provincial, la Cour retient, entre autres, cet extrait des notes liminaires du projet de loi C 45 :

[…]

La loi a pour objectif de restreindre l'accès des jeunes au cannabis, de protéger la santé et la sécurité publiques par l'établissement d'exigences strictes en ce qui a trait à la sécurité et à la qualité des produits et de décourager les activités criminelles par l'imposition d'importantes sanctions pénales aux personnes agissant en dehors du cadre juridique.[…] [96]

 

[Soulignement ajouté]

[…]

The objectives of the Act are to prevent young persons from ac- cessing cannabis, to protect public health and public safety by establishing strict product safety and product quality requirements and to deter criminal activity by imposing serious criminal penalties for those operating outside the legal framework.[…]

 

 

[Underline added]

 

[107]   Qui plus est, la LC fait expressément état des dangers associés à la consommation de cannabis :

7 La présente loi a pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques, et notamment :

 

[…]

 

g) de mieux sensibiliser le public aux risques que présente l’usage du cannabis pour la santé.

7 The purpose of this Act is to protect public health and public safety and, in particular, to

 

[…]

 

(g) enhance public awareness of the health risks associated with cannabis use.[97]

[108]   Bref, un premier examen comparatif de la Loi et de la LC donne plutôt à penser que les deux sont animées par le même désir de combattre les méfaits associés à la consommation. À ce titre, elles paraissent donc plus complémentaires que conflictuelles.

[109]   Cela dit, l’argument avancé en l’espèce par l’intimé se fonde sur la prétention que le législateur ne visait pas seulement à décriminaliser la culture à domicile de plantes de cannabis, mais entendait véritablement la permettre. De là, le conflit allégué entre les dispositions faisant l’objet de l’attaque constitutionnelle et l’un des objets de la LC.

[110]   Pour l’essentiel, la doctrine de la prépondérance fédérale envisage deux types de conflits. Le premier concerne l’application de la loi fédérale potentiellement conflictuelle avec la loi provinciale, alors que le second porte sur l’entrave à la réalisation de son objet[98].

[111]   L’intimé concède que les citoyens peuvent aisément se conformer aux exigences des deux lois, de sorte qu’il n’y a pas ici de conflit d’application. Son argument se concentre dès lors sur le second type, celui de l’entrave à la réalisation de l’objet de la LC. Sous ce rapport, l’examen peut porter tant sur la preuve intrinsèque que sur celle extrinsèque.

[112]   Au chapitre de la preuve intrinsèque, l’intimé rappelle que le législateur fédéral a retiré le cannabis de la liste des substances énumérées dans la LRDS[99]. Il soutient que l’un des objets de la LC consisterait à permettre expressément la production de cannabis :

7 La présente loi a pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques, et notamment :

 

[…]

 

c) de permettre la production licite de cannabis afin de limiter l’exercice d’activités illicites qui sont liées au cannabis;

7 The purpose of this Act is to protect public health and public safety and, in particular, to

 

[…]

 

(c) provide for the licit production of cannabis to reduce illicit activities in relation to cannabis;[100]

[113]   À son avis, l’autorisation de faire la culture à domicile figurerait au nombre des moyens qu’aurait prévus le législateur fédéral pour limiter l’exercice d’activités illicites liées au cannabis. Pareille autorisation contribuerait aussi à l’atteinte d’un autre objet visé par la LC, celui de réduire le fardeau du système de justice pénale au Canada.

66.      À la suite de l'adoption du projet de loi C-45 à la Chambre des communes, de nombreux débats ont eu lieu au sujet de la culture à des fins personnelles, tant au Sénat qu’avec les gouvernements provinciaux, dont celui du Québec, souhaitant que la culture à des fins personnelles soit interdite.

67.      Le ministre québécois des Relations canadiennes, Jean-Marc Fournier, a comparu, le 25 avril 2018, devant le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles afin de, notamment, énoncer la position du Québec au sujet de la culture personnelle de cannabis, soit que la province avait l’intention de l’interdire.

68.      Peu de temps avant, le professeur de droit Mark Walters, de l’Université McGill, avait recommandé au Sénat d'adopter un amendement précisant que les provinces auraient la possibilité de limiter la culture à domicile ou de l’interdire complètement. En effet, le professeur Walters et les sénateurs craignaient alors qu’une contestation constitutionnelle de la Loi provinciale puisse se solder par l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale. La Loi fédérale, alors considérée simplement permissive, aurait pu être interprétée distinguée de l’arrêt Rothmans, étant donné que la culture à domicile était recherchée afin d’éradiquer le marché illicite.

69.      Suite à l’étude du projet de loi C-45 et de la présentation du ministre Fournier, un amendement a été adopté au sénat afin de prévoir explicitement que les provinces auraient le droit de limiter ou d’interdire la culture à domicile de cannabis pour des fins personnelles.

70.      C’est aujourd’hui cet amendement qui vient établir, de façon claire, l’objectif de la Loi fédérale, soit la création de manière de positive d’un droit de cultiver du cannabis à domicile.

71.      Le 13 juin 2018, suite à la réception des amendements du Sénat, la ministre Petitpas-Taylor indique au Sénat que la chambre :

[...] respectfully disagrees with amendment 3 because the government has been clear that provinces and territories are able to make additional restrictions on personal cultivation but that it is critically important to permit personal cultivation in order to support the government’s objective of displacing the illegal market.

72.      La ministre Petitpas-Taylor explique aussi :

Une autre question que l'autre Chambre a attentivement examinée est la question de la culture à domicile. Comme on le sait, le projet de loi propose de permettre aux adultes de faire pousser quatre plants par ménage. Trois raisons justifient l’autorisation de la culture limitée à domicile.

D'abord, en permettant aux gens de faire pousser un petit nombre de plants pour usage personnel, nous aidons à prévenir la criminalisation inutile de citoyens qui, autrement, sont respectueux de la loi. Ensuite, la culture limitée à domicile permettra de déplacer le marché illégal, un marché non sécuritaire et non réglementé qui appuie les criminels et le crime organisé.

The bill sets out strict rules for growing cannabis at home. Setting a very low limit on the number of plants is a reasonable way to allow adults to cultivate cannabis for their personal use while prohibiting larger-scale grow ops.

Under the proposed legislation, provinces and territories have the flexibility to impose additional restrictions on personal cultivation should they wish to do so. This flexibility will allow provinces and territories to tailor their legislation to local circumstances and priorities in keeping with the public health and safety objectives set out in the proposed cannabis act.

(Langue d’origine)

73.      Finalement, après le rejet de l’amendement du Sénat qui visait à permettre aux provinces d’interdire la culture personnelle de cannabis, les dispositions présentes dans le projet de loi C-45 initial ont été adoptées telles quelles.

74.      L’historique législatif des sous-paragraphes 8(1)e) et 12(4)b) de la Loi fédérale, ainsi que les interventions des élus et du gouvernement démontrent que l’intention du législateur fédéral en adoptant ces articles était de permettre aux Canadiens de cultiver du cannabis à des fins personnelles.

[Reproduction intégrale; renvois omis]

[115]   L’argument de conflit d’objet n’est pas frivole, mais la Cour ne saurait y adhérer.

[116]   Tout d’abord, en ce qui a trait à l’objectif selon lequel le législateur aurait entendu permettre la culture à domicile d’un nombre restreint de plantes, il y a lieu de noter en premier lieu que la LC ne contient aucune disposition octroyant de façon expresse le droit positif de posséder ou de cultiver des plantes de cannabis à domicile. L’exclusion du spectre des interdictions de la possession ou de la culture de quatre plants de cannabis ou moins dans une maison d’habitation n’est, en somme, qu’un effet indirect de cette Loi :

Possession

 (1) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi :

 

[…]

e) il est interdit à tout individu d’avoir en sa possession plus de quatre plantes de cannabis qui sont ni en train de bourgeonner ni en train de fleurir;

 

[…]

 

 

Culture, multiplication ou récolte — individu âgé de dix-huit ans ou plus

12 (4) Sauf autorisation prévue sous le régime de la présente loi, il est interdit à tout individu âgé de dix-huit ans ou plus de se livrer aux activités suivantes :

 

 

[…]

 

b) cultiver, multiplier ou récolter plus de quatre plantes de cannabis au même moment dans sa maison d’habitation, ou offrir de le faire. »

Possession

8 (1) Unless authorized under this Act, it is prohibited

 

[…]

(e) for an individual to possess more than four cannabis plants that are not budding or flowering; or

 

 

 

[…]

 

 

Cultivation, propagation and harvesting — 18 years of age or older

12 (4) Unless authorized under this Act, it is prohibited for an individual who is 18 years of age or older to cultivate, propagate or harvest, or to offer to cultivate, propagate or harvest,

 

[…]

 

(b) more than four cannabis plants at any one time in their dwelling-house.[101]

[117]   Dès lors, il semble plus exact de dire non pas que la LC a légalisé certains volets liés à l’usage de cette substance, mais, plutôt, qu’elle les a décriminalisés.

[118]   Voici maintenant quelques commentaires concernant l’objectif de réduction du fardeau sur le système de justice pénale au Canada.

[119]   La Cour a déjà fait état de la lourdeur des peines applicables auparavant en vertu de la LRDS et du Code criminel pour réprimer la possession et la culture de plantes de cannabis. La décriminalisation des cas de possession et de culture de quatre plantes ou moins permet sans doute l’atteinte de l’objectif d’allégement relatif du fardeau du système de justice pénale. Les amendes prévues par la Loi viennent-elles contrecarrer ce but de la législation fédérale? La Cour estime qu’une réponse négative s’impose.

[120]   Tout d’abord, les montants relativement modestes de ces amendes font en sorte qu’elles sont peu susceptibles d’inciter les contrevenants à s’engager dans des procès longs et coûteux. De surcroît, les déclarations de culpabilité en pareille matière n’emportent pas la conséquence de criminaliser les contrevenants, contrairement aux condamnations prononcées en application de la LRDS et du Code criminel.

[121]   La Cour rappelle à ce sujet que la juge de première instance reconnaît que des dispositions de la Loi, qui auraient eu pour effet de réduire davantage l’impunité associée à la production et à la culture de plantes, auraient pu résister à une attaque fondée sur le partage des compétences. Elle écrit :

[87]      Il est évident qu’au-delà de zéro plant, il aurait été envisageable que la province puisse légiférer, soit au niveau de la santé ou de la sécurité, mais considérant les interdictions absolues qui ne visent aucun endroit en particulier ni même une catégorie de personnes, et les motifs justifiant ces interdictions, il est impossible de motiver les dispositions contestées aux dépens de la santé et la sécurité de la population.

[…]

[99]      Il serait possible de prétendre que les articles 5 et 10 ont un lien rationnel et fonctionnel avec les objectifs poursuivis par la Loi provinciale. Cependant, les interdictions générales établies par ces dispositions ne sont pas absolument nécessaires. En effet, imposer une restriction plus sévère que la Loi fédérale relativement à la possession et la culture personnelle de plantes de cannabis, au lieu de prohiber, auraient permis d’atteindre les objectifs de protection de la santé et de la sécurité publique sans empiéter illégalement sur le pouvoir fédéral.[102]

[122]   Toujours en regard de la preuve intrinsèque, la Cour estime que la LC fait elle‑même voir que le législateur fédéral ne considérait pas que des amendes prévues par des lois provinciales entreraient automatiquement en conflit avec son objectif de réduction du fardeau du système judiciaire canadien. Sa définition du cannabis illicite permet en effet de tirer cette conclusion :

Définitions

 

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

cannabis illiciteCannabis qui est ou a été vendu, produit ou distribué par une personne visée par une interdiction prévue sous le régime de la présente loi ou d’une loi provinciale ou qui a été importé par une personne visée par une interdiction prévue sous le régime de la présente loi. (illicit cannabis)

 

[Soulignement ajouté]

Definitions

 

2 (1) The following definitions apply in this Act.

[…]

illicit cannabismeans cannabis that is or was sold, produced or distributed by a person prohibited from doing so under this Act or any provincial Act or that was imported by a person prohibited from doing so under this Act. (cannabis illicite) [103]

 

 

 

[Underline added]

[123]   En somme, selon la Cour, la prétention de conflit d’objet ne peut prendre appui sur la preuve intrinsèque relative à la LC.

[124]   En ce qui concerne la preuve extrinsèque, il est exact que les commentaires de la ministre Petitpas-Taylor[104] concernant le rejet d’un amendement proposé par le Sénat appuient apparemment la thèse selon laquelle l’exécutif aurait eu l’intention de permettre la culture à domicile de quatre plantes ou moins.

[125]   Cela dit, il n’est pas aussi sûr que le texte adopté par le législateur reflète cette intention. La Cour suprême met en garde contre le fait de donner trop de poids au discours d’un ministre puisque ce dernier ne représente pas nécessairement l’intention du législateur[105]. Ce dernier décrit la finalité de sa loi à l’article 7. La Cour estime utile d’en reproduire le texte en entier :

La présente loi a pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques, et notamment :

 

a) de protéger la santé des jeunes en restreignant leur accès au cannabis;

 

 

b) de préserver les jeunes et toute autre personne des incitations à l’usage du cannabis;

 

c) de permettre la production licite de cannabis afin de limiter l’exercice d’activités illicites qui sont liées au cannabis;

 

d) de prévenir les activités illicites liées au cannabis à l’aide de sanctions et de mesures d’application appropriées;

 

e) de réduire le fardeau sur le système de justice pénale relativement au cannabis;

f) de donner accès à un approvisionnement de cannabis dont la qualité fait l’objet d’un contrôle;

 

g) de mieux sensibiliser le public aux risques que présente l’usage du cannabis pour la santé.

7  The purpose of this Act is to protect public health and public safety and, in particular, to

 

(a) protect the health of young persons by restricting their access to cannabis;

 

(b) protect young persons and others from inducements to use cannabis;

 

 

(c) provide for the licit production of cannabis to reduce illicit activities in relation to cannabis;

 

 

(d) deter illicit activities in relation to cannabis through appropriate sanctions and enforcement measures;

 

(e) reduce the burden on the criminal justice system in relation to cannabis;

 

(f) provide access to a quality-controlled supply of cannabis; and

 

 

(g) enhance public awareness of the health risks associated with cannabis use.[106]

[126]   L’intimé se réclame notamment du paragraphe 7 c) pour soutenir sa thèse. Or, ce paragraphe ne fait que décrire l’intention générale de permettre la production à l’intérieur du cadre défini par la LC. Il ne fait aucun renvoi à la possession ou à la production dans une maison d’habitation. Mais il y a plus. Le texte du paragraphe 7 a) et surtout celui du paragraphe 7 f) ne semblent guère conformes aux commentaires de la ministre.

[127]   Tout d’abord, en ce qui concerne le paragraphe 7 a), les adultes auraient fort à faire pour restreindre l’accès au cannabis cultivé dans leur domicile par les jeunes qui y habitent ou qui le fréquentent. Dans la mesure où la LC vise à éloigner les jeunes de cette substance, la production privée paraît donc aller à contre-courant.

[128]   En second lieu, comment peut-on contrôler la qualité d’un produit essentiellement élaboré dans une maison privée? Voilà une autre cible à première vue difficilement atteignable si, du même souffle, la LC poursuit aussi l’objectif d’autoriser la culture à domicile.

[129]   En réalité, seule la cible de réduire le fardeau sur le système de justice pénale paraît s’harmoniser sans trop de peine avec une volonté ferme de permettre la production privée à domicile.

[130]   Certes, la Chambre des communes n’a pas accepté l’amendement proposé par le Sénat, mais la LC, telle que promulguée, n’a pas non plus énoncé qu’elle autorisait spécifiquement la culture à domicile. Il n’est pas sans intérêt de noter que ce volet de la question s’est révélé particulièrement controversé lors des débats, comme le font voir les exemples qui suivent :

L’hon. Erin O'Toole (Durham, PCC)

L'Association médicale canadienne s'oppose également à la culture du cannabis à domicile parce qu'il est alors impossible de garantir le taux de THC et les bienfaits médicaux et que cette pratique peut faire grimper en flèche la consommation de cannabis. Le crime organisé peut également tirer profit des dispositions de ce projet de loi sur la culture à domicile.[107]

M. Bob Saroya (Markham—Unionville, PCC):

Permettre la culture à domicile ne mènera certainement pas à la réglementation de l'industrie. De plus, les services de police ont déclaré devant le comité de la santé que, étant donné qu'ils ne peuvent pas voir à l'intérieur des domiciles, ils seraient incapables de faire respecter la limite de quatre plants par ménage. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est qu'un vaste réseau de culture à domicile légal pourrait facilement tomber entre les mains du crime organisé. On ne parlerait pas de réglementer l'industrie. Le projet de loi n'éliminerait pas le marché noir. Il est contradictoire en soi.[108]

[131]   Certaines interventions font par ailleurs état de l’importance cruciale de l’établissement d’une chaîne d’approvisionnement sécuritaire ainsi que d’un système de distribution approprié, des conditions qu’une production essentiellement privée ne saurait aisément réunir :

L’hon. Jody Wilson-Raybould (ministre de la Justice et procureure générale du Canada, Lib.) :

En deuxième lieu, le Groupe de travail a demandé l’établissement d’une chaîne d’approvisionnement sécuritaire et responsable, ainsi que d’un système de distribution approprié. Le Groupe de travail a noté que le principal intérêt du gouvernement devrait être d’établir un système efficace, responsable et transparent de surveillance réglementaire de la chaîne d’approvisionnement, en mettant l’accent sur la protection de la santé et de la sécurité et la réduction du détournement vers le marché illicite. Il a en outre recommandé que la distribution en gros du cannabis soit réglementée par les provinces et les territoires.[109]

[132]   En résumé, la volonté du législateur fédéral de permettre la culture d’une quantité réduite de plantes de cannabis à domicile ne se dégage pas clairement de la LC. Or, il faut garder en mémoire la sévérité de la norme justifiant l’invalidation d’une loi provinciale au motif d’entrave à la réalisation des objectifs d’une loi fédérale[110] :

[66]      […] Cette personne doit prouver que la loi contestée va à l’encontre de l’objet d’une loi fédérale. Pour ce faire, elle doit d’abord établir l’objet de la loi fédérale pertinente et ensuite prouver que la loi provinciale est incompatible avec cet objet. La norme d’invalidation d’une loi provinciale au motif qu’elle entrave la réalisation de l’objet fédéral est élevée; une loi fédérale permissive, sans plus, ne permettra pas d’établir l’entrave de son objet par une loi provinciale qui restreint la portée de la permissivité de la loi fédérale […].[111]

[Soulignement ajouté]

[133]   En l’espèce, l’appelant souligne la concordance des objectifs primordiaux poursuivis par la Loi et la LC. La Cour partage cet avis, car il est possible d’interpréter les dispositions attaquées dans un sens compatible avec le principe directeur du fédéralisme coopératif. La Cour suprême privilégie d’ailleurs une approche de cette nature :

[20]      […] La règle d’interprétation constitutionnelle fondamentale veut plutôt que « [c]haque fois qu’on peut légitimement interpréter une loi fédérale de manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait un conflit » : Banque canadienne de l’Ouest, par. 75, citant Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, 1982 CanLII 29 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 307, p. 356; voir également Ryan (Succession), par. 69.

[21]      Compte tenu du principe directeur du fédéralisme coopératif, la doctrine de la prépondérance doit recevoir une interprétation restrictive. Que l’analyse fondée sur la doctrine de la prépondérance porte sur le conflit d’application ou sur l’entrave à l’objet d’une loi fédérale, les tribunaux doivent adopter une « approche restrictive » et donner aux lois provinciale et fédérale une interprétation harmonieuse plutôt qu’une interprétation qui donne lieu à une incompatibilité : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 59-60, citant SEFPO c. Ontario (Procureur général), 1987 CanLII 71 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 18, le juge en chef Dickson (motifs concordants); voir également Banque canadienne de l’Ouest, par. 37 et 75.[112]

[Soulignement ajouté]

[134]   Tout récemment, elle a réitéré cette approche :

[22]  L'approche adoptée par notre Cour quant au partage des compétences a évolué pour englober la possibilité de collaboration intergouvernementale et de chevauchement entre des exercices valides des compétences provinciales et fédérales. Conformément à l'évolution du droit constitutionnel vers une vision plus souple du fédéralisme qui reflète les réalités politiques et culturelles de la société canadienne, l'approche fixe des "compartiments étanches" est dépassée depuis longtemps et la doctrine de l'exclusivité des compétences a été circonscrite : voir Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 23, 67 et 77; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 60-66. En fait, le principe plus souple du "fédéralisme coopératif" et les doctrines du double aspect et de la prépondérance ont été élaborés en partie pour tenir compte de la complexité croissante de la société moderne : Banque canadienne de l'Ouest, par. 24, 30 et 37; Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693, par. 17; Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs

mobilières, par. 18. La vision moderne du fédéralisme "permet le chevauchement des compétences et [...] encourage la coopération intergouvernementale" : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 57.[113]

[135]   La thèse de l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale est d’autant fragile qu’elle repose ici sur un champ de compétence large et plénier, celui du droit criminel. Les contours de celui-ci sont difficiles à tracer et il faut se garder de les élargir au point de scléroser les champs de compétence provinciale :

[48]      […] aucun chef de compétence ne peut recevoir « une interprétation générale au point d’élargir à n’en plus finir la compétence en cause » (Ward, par. 30) de sorte qu’il puisse être « utilisé d’une manière telle que cela revienne en réalité à en vider un autre de son essence » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 7). Il s’ensuit que les vastes compétences du fédéral doivent nécessairement demeurer dans les limites qui s’imposent, surtout lorsqu’elles ont le potentiel — comme dans le cas du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 — d’empiéter considérablement sur les compétences des provinces. Sinon, les compétences législatives provinciales risqueraient d’être affaiblies par l’effet des doctrines de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale (voir Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 7172).[114]

[136]   On retrouve le même principe dans l’arrêt récent portant sur le Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique :

[69]  La compétence du Parlement en matière de droit criminel est large et plénière : voir RJR-MacDonald, par. 28; R. c. Hydro-Québec, 1997 CanLII 318 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 213, par. 34; R. c. Malmo-Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 73. Le droit criminel doit pouvoir s'adapter aux phénomènes nouveaux, et notre Cour "a pris soin de ne pas geler la définition [de la compétence en matière criminelle] à une époque déterminée ni de la restreindre à un domaine d'activité fixe" : RJR-MacDonald, par. 28; voir aussi Proprietary Articles Trade Association c. Attorney General for Canada, 1931 CanLII 385 (UK JCPC), [1931] A.C. 310 (C.P.), p. 324.

[70]  Or, le recours à la compétence en matière de droit criminel pour répondre à ces phénomènes nouveaux doit aussi être limité. Notre Cour a rejeté une approche purement formelle qui aurait permis au Parlement de faire relever pratiquement toute matière du par. 91(27), dans la mesure où il se servait d'une interdiction assortie d'une sanction pour y parvenir : Renvoi sur la margarine; Scowby c. Glendinning, 1986 CanLII 30 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 226, p. 237.[115]

[137]   Ce qui est encore plus troublant, en l’espèce, c’est que l’argument de l’intimé repose sur le pouvoir que posséderait le Parlement d’autoriser des comportements en vertu de sa compétence en matière de droit criminel. Sans prétendre à l’inexistence d’un tel pouvoir en toutes circonstances, il n’en demeure pas moins que la compétence en droit criminel confère en premier lieu au Parlement le droit d’interdire et non celui d’autoriser. Voici comment s’exprime la Cour suprême dans l’affaire du Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée :

[38] [...] L’exigence voulant qu’une disposition de droit criminel renferme une interdiction fait obstacle à l’affaiblissement de la compétence provinciale en matière de santé. Le pouvoir fédéral de légiférer en droit criminel ne peut être exercé que pour interdire des actes, et non pour promouvoir des pratiques médicales bénéfiques. Une loi fédérale (comme celle visée en l’espèce) peut prévoir de nombreuses exceptions pour les pratiques que le Parlement n’entend pas interdire. Or, ce faisant, elle n’autorise pas vraiment ces pratiques, elle s’abstient seulement de les interdire. […][116]

[Soulignement ajouté]

[138]   Dans Rothmans, le juge Major avait écrit auparavant :

[19]  Premièrement, tout comme la Loi réglementant les produits du tabac, L.C. 1988, ch. 20, qui l'a précédée, la Loi sur le tabac s'attaque à un mal en matière de santé publique et comporte des interdictions assorties de sanctions pénales. Dès lors, comme l'ont à bon droit conclu les tribunaux de la Saskatchewan à la suite de l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, elle relève du pouvoir du Parlement en matière de droit criminel prévu au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il convient de préciser qu'aucun argument n'a été soulevé au sujet de la possibilité que la loi ait été adoptée en vertu de la disposition concernant "la paix, l'ordre et le bon gouvernement" de l'art. 91. Cet argument n'aurait pu non plus être plaidé en raison des admissions sur la base desquelles la procédure judiciaire s'est engagée devant le juge siégeant en son cabinet. En raison de la nature essentiellement prohibitive du pouvoir en droit criminel, les dispositions adoptées en vertu de ce pouvoir, comme l'art. 30 de la Loi sur le tabac, ne permettent généralement pas de créer des droits autonomes qui limitent la capacité des provinces de légiférer plus rigoureusement dans le domaine que le Parlement. Cette portée limitée du par. 91(27) est bien établie : voir, par exemple, O'Grady c. Sparling, 1960 CanLII 70 (SCC), [1960] R.C.S. 804; Ross c. Registraire des véhicules automobiles, 1973 CanLII 176 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 5; Spraytech.[117]

[139]   Pour conclure, la Cour estime que la LC n’a pas limité le pouvoir de l’Assemblée nationale d’interdire la culture privée du cannabis dans le cadre de la mise en œuvre de moyens propres à atteindre ses objectifs. Ceux-ci sont de prévenir et de réduire les méfaits du cannabis, afin de protéger la santé et la sécurité de la population, particulièrement celles des jeunes, et aussi d’assurer la préservation de l’intégrité du marché du cannabis. Ces objectifs sont en harmonie avec ceux visés par la LC.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[140]   ACCUEILLE l’appel;

[141]   INFIRME le jugement de première instance et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu :

REJETTE les conclusions recherchées dans la demande introductive d’instance modifiée du demandeur;

[142]   Le tout avec les frais de justice, tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

Me Patricia Blair

Lavoie Rousseau

Avocate de l’appelant

 

Me Maxime Guérin

Saraïlis avocats

Avocat de l’intimé

 

Date d’audience :

27 avril 2021

 



[2]    Murray Hall c. Procureure générale du Québec, jugement du 3 septembre 2019, honorable Manon Lavoie, j.c.s., 2019 QCCS 3664.

[3]    Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, n° 5.

[5]    Id., al. 8(1)e) et 12(4)b).

[6]    Décret fixant au 17 octobre 2018 la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de la loi, TR/2018-52.

[7]    Projet de loi no 157, Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière, 41e lég. (Qc), 1re sess., 2018.

[8]    Loi encadrant le cannabis, supra, note 1.

[9]    Id., art. 1 al. 2.

[10]    Id., art. 5 et 10.

[11]    Ibid.

[12]    Murray Hall c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCS 3664, paragr. 31-32 [jugement entrepris].

[13]    Loi encadrant le cannabis, supra, note 1, art. 1.

 

[14]    Jugement entrepris, paragr. 43.

[15]    Id., paragr. 44.

[16]    Id., paragr. 45.

[17]    Id., paragr. 46.

[18]    Id., paragr. 51.

[19]    Id., paragr. 54 et 61.

[20]    Id., paragr. 62.

[21]    Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, paragr. 4(1) et 7(1), telle qu’en vigueur jusqu’au 16 octobre 2018.

[22]    Jugement entrepris, paragr. 63-69.

[23]    Id., paragr. 91.

[24]    Loi encadrant le cannabis, supra, note 1, art. 1.

[25]    Jugement entrepris, paragr. 71-76.

[26]    Id., paragr. 84.

[27]    Id., paragr. 86-87.

[28]    Id., paragr. 95.

[29]    Id., paragr. 98-99.

[30]    Id., paragr. 100 et 107.

[31]    Id., paragr. 102-105.

[32]    Procureur général du Québec c. Association canadienne des télécommunications sans fil, 2021 QCCA 730, paragr. 62, citant Consolidated Fastfrate inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, paragr. 26.

[33]    Loi sur le cannabis, supra, note 4.

[34]    Jugement entrepris, paragr. 5.

[35]    Loi encadrant le cannabis, supra, note 1.

[36]    Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, paragr. 86.

[37]    Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 3.

[38]    Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, supra, note 36, citant Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, paragr. 28; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, paragr. 63-65; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, paragr. 15.

[39]    Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, paragr. 184, repris par Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17, paragr. 29.

[40]    Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, paragr. 53, repris par Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, paragr. 18.

[41]    Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra, note 39, paragr. 34-35; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, paragr. 20.

[42]    Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), supra, note 40, paragr. 56.

[43]    Jugement entrepris, paragr. 46.

[44]    Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), supra, note 40, paragr. 56.

[45]    Procureur général du Canada Ltée c. Transports Nationaux du Canada Ltée, 1983 CanLII 36 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 206, p. 270-271.

[46]    Loi sur l'abolition du registre des armes d'épaule, L.C. 2012, ch. 6.

[47]    Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), supra, note 38, paragr. 30.

[48]    Jugement entrepris, paragr. 98.

[49]    Id., paragr. 37.

[50]    Loi encadrant le cannabis, supra, note 1, art. 1 al. 2.

[52]    Loi encadrant le cannabis, supra, note 1, art. 25, 33, 35-38 et 58.

[53]    Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, paragr. 25, repris par Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), supra, note 38, paragr. 29. Voir aussi Goodwin c. Colombie Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, paragr. 24.

[54]    Jugement entrepris, paragr. 98.

[55]    Renvoi relatif à Upper Churchill Water Rights Reversion Act, 1984 CanLII 17 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 297.

[56]    Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), supra, note 38, paragr. 31.

[57]    Jugement entrepris, paragr. 91 et 98.

[58]    Id., paragr. 63-69.

[59]    Paragr. 4(5) et al. 7(2)b) de l’ancien C.cr. (2018).

[60]    R. c. Fedele, 2018 QCCA 1901, paragr. 38-40, citant R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, paragr. 42.

[61]    Siemens c. Manitoba (Procureur général), 2003 CSC 3, paragr. 25

[62]    R. c. Morgentaler, 1993 CanLII 74 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 463.

[63]    Jugement entrepris, paragr. 60-61.

[64]    Id., paragr. 61.

[65]    Ibid.

[66]    Id., paragr. 98.

[67]    Id., paragr. 46.

[68]    Id., paragr. 54.

[69]    Ibid.

[70]    Assemblée nationale, Journal des débats, 41e lég., 1re sess., vol. 44, no 189, 21 mars 2018, 15 h 50 (S. Jolin-Barette).

[71]    Id., 17 h 30 (L. Charlebois).

[72]    Assemblée nationale, Journal des débats, 41e lég., 1re sess., vol. 44, no 191, 27 mars 2018, 10 h 10 (L. Charlebois).

[73]    Voir notamment à ce sujet Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, no VI-2.31; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 954; Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), supra, note 38, paragr. 31; Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d'alcool), 1987 CanLII 72 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 59, p. 66.

[74]    Jugement entrepris, paragr. 49-50.

[75]    Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, supra, note 40, paragr. 17.

[76]    Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 3, paragr. 92(13).

[77]    Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, paragr. 16-24.

[78]    Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 3, paragr. 91(27).

[79]    Jugement entrepris, paragr. 58.

[80]    Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra, note 39, paragr. 67.

[81]    Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2019 CSC 58, paragr. 48. Voir aussi Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra, note 39, paragr. 69-70.

[82]    Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., supra, note 81, paragr. 48.

[83]    Voir notamment RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199; R. c. Morgentaler, supra, note 62; Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra, note 39.

[84]    Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., supra, note 81, paragr. 4.

[85]    Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra, note 39, paragr. 66.

[86]    Jugement entrepris, paragr. 83-84.

[87]    Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, paragr. 70. Voir aussi Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra, note 39, paragr. 67; Renvoi relatif à la Loi sur la nondiscrimination génétique, supra, note 39, paragr. 22; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, supra, note 38, paragr. 59.

[88]    Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, supra, note 38, paragr. 66.

[89]    Jugement entrepris, paragr. 101.

[90]    Id., paragr. 46.

[91]    Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 183, 30 mai 2017, p. 11706 (P. Finnigan).

[92]    Id., p. 11714 (M. Mendicino).

[93]    Id., p. 11716 (D. Lametti).

[94]   Id., p. 11720 (B. Blair).

[95]    Loi sur le cannabis, supra, note 4, art. 8 à 38.

[96]    Projet de loi C-45, Loi sur le cannabis, 42e lég. (Can.), 1re sess., 2018, « sommaire ».

[97]    Loi sur le cannabis, supra, note 4, art. 7 g).

[98]    Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., 2015 CSC 53, paragr. 17.

[100] Loi sur le cannabis, supra, note 4, art. 7 c).

[101] Loi sur le cannabis, supra, note 4, paragr. 8(1) et 12(4).

[102] Jugement entrepris, paragr. 87 et 99.

[103] Loi sur le cannabis, supra, note 4, paragr. 2(1).

[104] Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 314, 13 juin 2018, p. 20841 (G. P. Taylor). L’extrait est reproduit dans le cadre du paragraphe 114 des présents motifs.

[105] Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), supra, note 38, paragr. 17; R. c. Morgentaler, supra, note 62, p. 483-484; Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra, note 39, paragr. 40-41.

[106] Loi sur le cannabis, supra, note 4, art. 7.

[107] Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 188, 6 juin 2017, p. 12184 (E. O'Toole).

[108] Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 233, 9 novembre 2017, p. 15204 (B. Saroya).

[109] Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 183, 30 mai 2017, p. 11639 (J. Wilson-Raybould).

[110] Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, paragr. 75; H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, supra, note 73, no VI-2.73.

[111] Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, supra, note 40, paragr. 66.

[112] Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., supra, note 98, paragr. 20-21.

[113] Renvoi relatif à la Loi sur la nondiscrimination génétique, supra, note 39, paragr. 22.

[114] Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., supra, note 81, paragr. 48.

[115] Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra, note 39, paragr. 69-70.

[116] Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra, note 39, paragr. 38.

[117] Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, 2005 CSC 13, paragr. 19.