Par manque d’épargne, parce qu’elles ont peu ou mal planifié ou alors parce que leurs prévisions ne tiennent plus dans le contexte actuel, de nombreuses personnes se retrouvent proches de leur retraite avec un haut stress financier.

De plus en plus de gens se retrouvent dans des « situations délicates »

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La retraite est beaucoup plus qu’une simple étape : c’est le début de la fin de la vie active, professionnellement parlant. De nombreux jeunes retraités en rêvent depuis longtemps, l’ont imaginée belle, remplie de projets impossibles à réaliser avant, mais pas tous ont pris le temps de bien la préparer.

« On voit de plus en plus de gens qui se retrouvent dans des situations délicates et qui entrevoient la retraite avec anxiété », explique Julie Brissette, conseillère budgétaire à l’ACEF de l’Est de Montréal.

Cela a un impact sur le moral des nouveaux retraités qui croyaient avoir accès à un certain style de vie. Les lendemains sont tristes.

La conseillère côtoie deux clientèles types. D’abord, il y a des gens de la « classe moyenne » ou autour, qui ont de l’épargne, mais dont les prévisions ne tiennent plus la route, avec un coût de la vie plus élevé, explique Julie Brissette.

« On ne parle pas de fonds de pension d’employeur, mais surtout de gens qui avaient épargné par eux-mêmes, avec certaines prévisions. […] Ils arrivent à 65 ans et se rendent comptent qu’ils n’en ont pas tant que ça. »

Dans ce cas-là, il faut plutôt réviser le style de vie qui était prévu pour l’adapter à ce qui est possible avec le coût de la vie actuel. Ce qui n’est pas sans créer un stress financier. « Ils croyaient avoir un certain niveau de vie à la retraite et réalisent qu’ils devront couper », dit Julie Brissette.

Et puis, il y a ceux et celles qui n’avaient pratiquement pas d’épargne et qui dans le contexte économique actuel se retrouvent carrément en mode survie. Quelqu’un qui reçoit le minimum de la pension de vieillesse avec le supplément de revenu garanti va avoir 1792 $ par mois, explique la conseillère. Il faut alors faire la révision des dépenses et s’assurer d’avoir accès à toutes les prestations. Dans le pire des cas, ces gens seront redirigés vers des ressources communautaires, ce qui peut être particulièrement éprouvant pour quelqu’un qui n’y a jamais eu recours.

Changer de vie

La clé, c’est le taux de remplacement, explique Pierre-Carl Michaud, directeur scientifique de l’Institut sur la retraite et l’épargne de HEC Montréal. C’est-à-dire la capacité d’avoir une partie des revenus avec lesquels on vit avant la retraite.

« D’un point de vue de la retraite, les gens à faibles revenus ont un taux de remplacement très élevé », explique-t-il. Si on accumule la pension de vieillesse, le revenu garanti, le régime des rentes, ça peut faire un bon taux de remplacement, estime Pierre-Carl Michaud. Donc le rythme de dépenses est maintenu.

Environ 35 % à 40 % du revenu avant la retraite d’un salarié moyen proviennent de la RRQ et de la Sécurité de vieillesse.

Mélanie Noël, gestionnaire de patrimoine chez Desjardins

Reste que le pouvoir d’achat des retraités est actuellement diminué : « Les prix ne vont pas redescendre. Il n’y aura pas d’inflation négative, rappelle Pierre-Carl Michaud. Donc si les gens n’ont pas des revenus de retraite indexés à l’inflation, ils vont la sentir [la diminution du pouvoir d’achat]. »

Parfois, les indexations compensent en partie un taux d’inflation élevé ; souvent, ça n’est pas le cas.

Les gens sans régime complémentaire ou avec un régime complémentaire sans indexation risquent donc d’avoir davantage de difficulté à s’adapter.

« Beaucoup de ces travailleurs se retrouvent avec la surprise de ne pas avoir une rente qui augmente autant que le taux d’inflation », précise le professeur Michaud. Si en plus ils avaient des revenus de travail substantiels, la différence de style de vie risque d’être difficile à accepter.

D’autant qu’un retraité n’a pas vraiment de marge d’ajustement. Un travailleur peut décider de faire des heures supplémentaires pour augmenter ses revenus, rappelle Pierre-Carl Michaud. « Quand on est retraité, si on revient sur le marché du travail, on n’obtiendra pas le même genre d’emploi qu’on avait », dit-il.

Heureusement, plus de la moitié des gens ont accumulé un patrimoine substantiel pour maintenir le rythme de dépenses qu’ils avaient avant la retraite, selon les données de ce spécialiste. « De 50 % à 80 %, d’une étude à l’autre », précise-t-il.

Être un retraité endetté

Dans le meilleur des mondes, on arrive à la retraire sans dettes. Dans la vie, ça n’est parfois pas le cas.

« On ne peut pas mettre toutes les dettes dans le même panier », nuance néanmoins Mélanie Noël, gestionnaire de patrimoine chez Desjardins.

« Je crois qu’il y a des dettes qui sont moins pires que d’autres, dit-elle. Par exemple, si la dette, c’est l’hypothèque – et c’est souvent la grosse dette que les gens vont avoir –, si on est capable de faire les paiements, ça n’est pas une dette qui est si mal. On ajoute du capital à chacune des mensualités. »

Surtout si on est en fin de parcours de remboursement. Dans l’éventualité d’une vente, ce capital va être récupéré. On estime à de 20 % à 25 % de gens qui arrivent à la retraite avec un solde hypothécaire.

Les dettes liées à produire du revenu sont moins inquiétantes, ajoute Mélanie Noël. Et de vouloir régler ces dettes au détriment de son patrimoine est une mauvaise stratégie, dit-elle.

À l’inverse, les dettes d’emprunt ou de cartes de crédit sont à proscrire à l’aube de la retraite.

Mélanie Noël conseille de se débarrasser des dettes de consommation, si c’est possible, mais de ne pas céder à la tentation de piger dans son REER pour s’en libérer à tout prix. D’autant que les solutions sont plus nombreuses que l’on pense, dit-elle : « Il s’agit de mettre en place une stratégie pour arriver à la retraite l’esprit tranquille. »

Dettes et actifs

Dans l’étude Jouer avec le feu, les dettes des ménages qui approchent la retraite, on calcule qu’entre 1999 et 2016, la dette est en augmentation par rapport au revenu pour les gens qui approchent la retraite. Et ce n’est pas une tendance qui diminue, estime Pierre-Carl Michaud, l’un des auteurs de cette étude. « La dette en pourcentage de revenu augmente, mais les actifs aussi et les taux d’intérêt faibles font en sorte que les paiements de dettes sont restés relativement constants », précise Pierre-Carl Michaud, directeur scientifique de l’Institut sur la retraite et l’épargne de HEC Montréal. « Oui, les ménages s’endettent plus, mais ils ont plus d’actifs parce qu’il y a eu une baisse des taux d’intérêt sur ces 20 ans-là. En général, les gens ont maintenu les paiements constants. C’est ce qui a permis de s’endetter davantage. » Avec les taux d’intérêt qui ont augmenté, la situation devrait changer, mais au final, l’important est de bien évaluer le bilan. Il faut regarder à quoi sert la dette pour évaluer la position nette du ménage, dit Pierre-Carl Michaud.

La retraite parfaite en quatre étapes faciles

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Soyez honnêtes

« Il faut être franc avec soi-même pour ne pas avoir de choc. »

C’est Nadine qui le dit. Fin cinquantaine, elle est à la retraite depuis quelques années. Et elle pourrait difficilement être plus heureuse : en entrevue, elle rayonne. Son amoureux Jocelyn, à ses côtés, est aussi un jeune retraité. Jocelyn a commencé par ralentir. Nadine a arrêté d’un coup.

Quand tu veux prendre ta retraite, pour que ça se passe bien, il faut que tu reconnaisses qui tu es, quels sont tes besoins, ton style de vie et qu’est-ce que tu espères. Il faut être réaliste.

Nadine, retraitée

« Ça n’est pas vrai qu’à la retraite, tu dépenses moins, poursuit-elle. Et c’est important d’être réaliste quand tu fais ta planification financière parce que c’est ton filet. Ça ne fait pas ton bonheur à la retraite, mais c’est certain que si tu vis une insécurité financière, tu ne pourras pas bien faire la transition vers cette étape de la vie qui est merveilleuse, bien honnêtement. »

Depuis la retraite, le couple tient un budget d’une manière très rigoureuse.

« On voulait confirmer que la planification qu’on avait faite était exacte, explique-t-il, en chœur. Et on n’était pas pire pantoute. Ça donne de la confiance. »

Selon Jocelyn, une bonne planification fait que la retraite, au final, coûte moins cher. Ça permet de faire des choix, d’établir des priorités, sans se priver.

Leur rythme de vie est resté identique, économiquement parlant. Par contre, Nadine a découvert l’éloge de la lenteur…

« Pour moi, la retraite, c’est avoir du temps. Quand tu as des enfants et tu travailles, tu cours. À la maison, au travail et entre les deux. Pendant 35 ans, j’ai couru. Avec bonheur, j’ai été choyée, mais j’ai couru. La retraite, c’est prendre mon temps. »

Et Nadine précise aussi, très réfléchie, que c’est le moment de faire à la fois le bilan financier et de vie : « Il faut se connaître, dit-elle, se reconnaître. Faire un bilan, savoir ce qui nous rend heureux dans la vie, ce qui nous allume et nous motive. »

Soyez prévoyants. Surtout si vous ne l’êtes pas…

« Même si on est près de la retraite, il n’est jamais trop tard pour faire les bonnes choses. Il faut faire un budget et faire un plan financier », dit Mélanie Noël, gestionnaire de patrimoine chez Desjardins, qui rappelle que les plans de retraite ne sont pas universels. Il y en a un pour chacun.

On calcule qu’il faut environ 70 % du revenu avant la retraite pour maintenir le niveau de vie.

On ne peut pas improviser une retraite. Sincèrement, ça prend un plan.

Mélanie Noël, gestionnaire de patrimoine chez Desjardins

Par ailleurs, un plan de retraite est dynamique. Celui fait il y a cinq ans ne convient peut-être plus. Il faut être agile et souple dans sa planification, ne pas s’accrocher à une stratégie qui ne convient plus à ses réalités qui, inévitablement, évoluent. Il permet aussi de planifier des projets qui sont réalistes. Ce qui évite d’arriver à la retraite fauché ou sans les ressources financières nécessaires pour réaliser un rêve. Que ce soit de faire le tour du monde ou de s’offrir des sorties au cinéma toutes les semaines.

Soyez lucides

Le sujet est délicat, mais doit être abordé avec son planificateur financier afin d’élaborer une stratégie qui se tient, pour vous. Dans le calcul des finances de la retraite, il y a de grandes inconnues : la mort, d’abord. La maladie potentielle, ensuite.

Si je meurs à 82 ans ou si je meurs à 95 ans, ce sont deux situations complètement différentes. Entre les fonds de pension à prestations déterminées, les rentes à vie, les REER, comment faire le calcul ?

Julie Brissette, de l’ACEF de l’Est de Montréal

Les planificateurs et conseillers voient fréquemment deux comportements de la part des retraités : ceux qui préfèrent dépenser le moins possible pour en avoir jusqu’à la fin de leurs jours – où les imprévus liés à la santé deviennent plus… probables. À l’inverse, il y a ceux et celles qui veulent bien profiter des premières années de la retraite pour voyager, quitte à vivre beaucoup plus modestement plus tard.

« Ça dépend beaucoup de la personnalité de la personne, dit Julie Brissette. C’est comme la gestion budgétaire. Des gens sont plus prudents, plus économes ; d’autres ne vont pas épargner pour plus tard parce qu’ils se disent qu’ils vont peut-être mourir demain donc ils veulent en profiter. »

Mélanie Noël, de Gestion du patrimoine Desjardins, rappelle toutefois que lorsque les retraités cessent de voyager ou sont moins actifs, avec l’âge, il faut prévoir de l’argent pour des dépenses liées au vieillissement, parfois à la maladie. « Les gens croient que lorsqu’ils vont cesser de voyager, le train de vie va baisser, dit-elle, lucide. Mais les soins, parfois ça coûte cher. »

Soyez heureux

Un soir, après une très mauvaise journée au boulot, Jocelyn a confié à son amoureuse qu’il prenait sa retraite. En fait, c’était plus un cri du cœur, mené par la colère qui l’animait. Nadine, à ses côtés, l’a écouté. Puis, elle lui a doucement glissé à l’oreille qu’il ne pouvait pas prendre sa retraite furieux.

On n’aborde pas cette étape par dépit, dit-elle. Et ce fut fait. Jocelyn a attendu une meilleure journée pour en faire sa dernière, au boulot.

Depuis, le couple vit sa meilleure vie. Golf, vacances, restos, des dépenses planifiées et surveillées, sans stress. « On a fait des choix sur nos plaisirs », dit Jocelyn, qui confie que son côté épicurien est bien assumé.

Le couple est heureux. C’est évident. « On est deux caractères forts, deux indépendants. Et malgré ça, on est tissés serré », dit-il.

« Le travail a libéré plein de temps que je m’offre à moi-même, explique Nadine. Je prends soin de moi, je prends soin de ceux que j’aime. »

« Quand tu travailles, les mêmes opportunités se présentent, dit-elle aussi. C’est juste que tu fermes la porte, à cause du travail. Alors que là, tu les saisis. »