Négliger de donner signe de vie à ses anciens employeurs, c’est l’équivalent de ne jamais regarder dans les craques du sofa. On risque d’y laisser de l’argent.

Même si la perte potentielle peut se compter en milliers de dollars, des milliers de Québécois omettent de signifier leurs changements d’adresse. Les régimes de retraite incapables de retrouver d’ex-cotisants doivent alors transférer les rentes abandonnées à Revenu Québec. Devinez quelle somme se trouve dans la cagnotte : plus de 325 millions de dollars, ai-je appris en demandant la compilation de données inédites.

Avec les autres sommes non réclamées qui se retrouvent à Québec, en provenance d’héritages, par exemple, le solde grimpe à 486 millions. Ça donne envie d’aller voir sous les coussins, n’est-ce pas ?

Si j’attire votre attention sur les dossiers de régimes de retraite, c’est parce qu’ils constituent 67 % de la valeur totale de tout ce qui est inscrit au Registre des biens non réclamés (RBNR). C’est loin d’être anecdotique, donc.

Pour vous donner une idée, à lui seul, le Régime de retraite des employés du gouvernement, le RREGOP, a transmis à Revenu Québec 6659 dossiers totalisant 48,7 millions de dollars... uniquement de 2020 à 2022. Le régime de retraite des enseignants a transféré 558 dossiers (216 700 $), celui du personnel d’encadrement, 83 (2,9 millions). Un dossier peut inclure plus d’une personne.

Les régimes de retraite offerts par les entreprises privées ont les mêmes obligations de transfert des fonds à Revenu Québec après avoir pris des « moyens raisonnables » pour retrouver leurs propriétaires.

Revenu Québec n’a aucune idée du nombre de personnes qui se privent d’une somme d’argent issue de leurs cotisations à un régime complémentaire de retraite. Car les inscriptions dans le registre s’effectuent « par bien et non par personne ». Mais chose certaine, la somme qui dort dans son compte de banque est bien trop élevée. Sans doute serait-il temps qu’une mégacampagne publicitaire incite les Québécois à vérifier en ligne si une partie de ces millions leur appartient. On pourrait appeler ça « Opération sofa ».

L’exercice ne prend que quelques secondes et ne requiert aucune inscription chronophage ni aucun document. Il suffit d’entrer son nom ou celui d’autrui (un conjoint décédé, par exemple) dans le moteur de recherche du Registre des biens non réclamés1.

Dans le contexte où l’on change de plus en plus souvent d’emploi au cours d’une carrière, il n’est peut-être pas si étonnant que des régimes de retraite perdent la trace d’ex-participants. Certains ne savent même pas qu’ils ont cotisé ! Mais il importe de trouver des solutions pour s’assurer que personne ne soit privé de son argent.

Certains régimes complémentaires de retraite forcent leurs cotisants à quitter le navire avec leur pécule. Cela réduit leurs coûts de gestion et élimine le risque d’être forcé un jour à jouer aux détectives. Quand la somme en jeu atteint un certain seuil, autour de 13 300 $, cette avenue est toutefois interdite. Selon Isabelle Bouchard, spécialiste en administration des régimes de retraite chez Aon, 50 % des régimes forcent le retrait, une proportion stable ces dernières années.

De toute évidence, c’est loin d’être suffisant.

J’ignore pourquoi il est si difficile pour Revenu Québec de retrouver le propriétaire des sommes qui lui sont confiées. D’autant plus que chaque somme transmise par un régime de retraite est associée à un numéro d’assurance sociale (NAS).

Bernard Morency, professeur associé à l’Institut sur la retraite et l’épargne de HEC Montréal et ancien premier vice-président de la Caisse de dépôt, s’étonne lui aussi qu’on ait pu se retrouver avec 325 millions dans le fonds. Mais au moins, toute l’information est centralisée. « Revenu Québec, théoriquement, devrait avoir des traces de ces gens-là, qui doivent faire leurs impôts. Peut-être que l’enjeu n’est pas suffisamment pris au sérieux ? Avec le NAS, on pourrait faire un blitz. On envoie une lettre à tout ce monde-là et on leur demande : “Que voulez-vous qu’on fasse avec vos droits ?” »

Revenu Québec affirme « déployer de nombreux efforts » pour aider les contribuables à retrouver leur argent. Il fait la promotion de son registre, publie des avis publics et utilise « toutes les informations disponibles dans ses bases de données » pour contacter les citoyens ou leurs héritiers, énumère son porte-parole.

Pour régler le problème en amont, le coordonnateur de l’Observatoire de la retraite, François L’Italien, croit que le gouvernement pourrait créer sans trop de difficultés un registre des cotisations, comme en France. « On y verrait toutes les cotisations, par année, par employeur. »

Les employés ont la responsabilité de suivre leurs affaires. Mais encore faut-il leur donner les outils pour le faire, surtout dans le contexte où le niveau de littératie financière, comme on sait, n’est pas optimal. « On ne peut pas juste dire à du monde avec un secondaire 5 de se débrouiller, dit François L’Italien. Avec un registre, je suis persuadé qu’il y a des personnes qui découvriraient des affaires. » C’est aussi mon avis, puisque même des professionnels embauchés par l’État se retrouvent avec des millions dans le RBNR.

D’ici à ce que de véritables solutions soient trouvées, prenez une minute pour consulter le site de Revenu Québec. S’il est agréable de tomber sur un 2 $ en soulevant les coussins du sofa, imaginez la sensation de trouver des milliers de dollars en quelques clics de souris.

1. Consultez le registre
En savoir plus
  • Valeur totale des biens inscrits au RBNR
    Décembre 2020 : 383 millions
    Décembre 2021 : 413 millions
    Décembre 2022 : 486 millions
    Source : Revenu Québec