•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Le fédéral finance un organisme jugé « non autochtone »

Une femme joue du tambour lors de la marche à la mémoire des femmes autochtones disparues et assassinées.

Des nations autochtones du Québec ne reconnaissent pas l'AAQ et estiment que l'argent pourrait plutôt aller aux conseils de bande.

Photo : Radio-Canada / Maggie MacPherson

L'Alliance autochtone du Québec (AAQ) n'est pas reconnue par des nations autochtones. La Cour supérieure du Québec dit que ses membres n'ont aucun droit particulier. Pourtant, l’AAQ perçoit du financement de la part du fédéral.

Ces cinq dernières années, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) a versé plus précisément 2 174 048 dollars de contribution à l’AAQ.

Selon le service média du ministère, ce montant a été fourni par l’intermédiaire de trois programmes différents.

Deux d’entre eux ont établi comme critères d’admissibilité d’être une organisation autochtone représentative reconnue à l’échelle nationale, ou une organisation mandatée par ses membres pour représenter ou défendre leurs intérêts.

RCAANC n’a pas voulu détailler les critères auxquels répondait l’AAQ et a expliqué que cela pourrait poser un risque de bris de confidentialité.

Un logo circulaire avec un oiseau, un poisson, un arbre et un soleil.

Le logo de l'Alliance autochtone du Québec, un organisme qui dit représenter les « Indiens non inscrits et hors réserve ».

Photo : Tirée du site web de l'Alliance autochtone du Québec

Espaces autochtones a toutefois épluché la liste des organismes qui ont reçu du financement de RCAANC et de Services aux Autochtones Canada. Fearless R2W, un OBNL pour réunir les familles, Coalition des familles LGBTQ+ de Montréal et la fondation Walter and Dundcan ont aussi reçu du financement.

Ces organismes ne déclarent toutefois pas représenter des Autochtones, mais œuvrent pour ces populations.

Dans l’autre programme, les contributions de RCAANC peuvent être faites auprès d’organisations ou institutions de Métis ou d’Indiens non inscrits, ou autres organisations ou institutions d’Autochtones hors des réserves.

Le ministère ajoute que les organisations n'ont pas nécessairement besoin d'être titulaires de droits en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle (qui reconnaît et affirme les droits ancestraux ou issus de traités, NDLR) pour être admissibles à une contribution financière dans le cadre de ces programmes.

Il ajoute : Le ministère reconnaît l'AAQ comme une organisation représentant les intérêts de ses membres qui sont composés d’Indiens non inscrits et d'autres Autochtones vivant hors réserve au Québec.

L’AAQ s’affiche sur son site Internet comme représentant les Autochtones qui vivent en dehors des communautés et se dit donc mandatée par ses membres pour représenter leurs intérêts.

Des chefs autochtones contre l’AAQ

Pourtant, plusieurs figures politiques autochtones du Québec ont assuré à Espaces autochtones ne pas reconnaître cet organisme.

On ne reconnaît pas la trentaine de communautés qu’ils disent représenter. C’est un club social et ils veulent jouer aux Indiens, dit Jacques T. Watso, élu au sein du conseil d’Odanak qui rappelle que les Abénakis ont déjà publié un communiqué officiel en ce sens.

Un homme porte un chapeau traditionnel autochtone.

Jacques T. Watso est conseiller du Conseil des Abénakis d'Odanak.

Photo : Facebook

Même son de cloche auprès de Gilbert Dominique, chef de Mashteuiatsh (innu), Dylan Whiteduck, chef de Kitigan Zibi (anishnabeg) et Constant Awashish, grand chef du Conseil de la nation atikamekw.

Jacques T. Watso et Constant Awashish déplorent d’ailleurs que l’AAQ reçoive de l’argent du fédéral, car ils estiment que les besoins sont déjà criants dans les communautés reconnues.

Le grand chef et président de la Nation Atikamekw, Constant Awashish derrière un micro.

Le grand chef et président du Conseil de la nation atikamekw, Constant Awashish, s'étonne du financement qu'a reçu l'AAQ.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Monik Kistabish, cheffe de Pikogan, ajoute : On ne s’improvise pas autochtone. La cheffe croit qu’une personne ne pourrait pas se déclarer autochtone sans appartenir à l'une ou l'autre des nations officiellement reconnues.

L'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador n'a pas répondu à nos demandes d'entrevue à ce sujet.

Pas reconnue par le tribunal québécois

En février 2022, la Cour supérieure du Québec a estimé que l’AAQ et ses membres n’ont aucun statut officiel et aucun droit particulier et qu’elle n’est pas une communauté qui constitue l’une ou l’autre [des onze nations autochtones du Québec].

À la question de savoir si RCAANC va, à la lumière de cette décision de justice qui a été portée en appel par l’AAQ, continuer à lui verser des subventions, le service média du ministère a indiqué par courriel que l’AAQ respecte les modalités du programme concernant les critères d’admissibilité des organisations aux trois programmes de contribution de RCAANC pour le financement qu’elle reçoit actuellement ou a reçu dans le passé.

La tour de la Paix du parlement.

Le gouvernement fédéral estime que l'AAQ répond aux critères pour obtenir du financement.

Photo : Reuters / Chris Wattie

Il ajoute que les critères d'admissibilité au financement ne sont pas les mêmes que les critères de la Cour supérieure du Québec pour déterminer si l'AAQ est une instance avec laquelle le gouvernement du Québec négocierait dans le contexte particulier et limité du cas cité.

Le gouvernement fédéral estime que la Cour supérieure a été saisie sur une question précise : savoir si l'AAQ répond à certains critères établis par le gouvernement du Québec dans sa résolution de 1985 et non sur la question plus large de savoir si l'AAQ est autochtone.

Cette résolution porte sur la reconnaissance des droits des Autochtones.

La décision [du juge Godbout, NDLR] portait sur des droits qui pourraient être accordés selon l’article 35 de la Constitution, qui propose une définition du terme "autochtone", mais ce n’est pas la seule possible, précise Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

Portrait de Sébastien Brodeur-Girard.

Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

Photo : École d'études autochtones de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

C’est là que c’est glissant, car l’AAQ se donne ses propres critères pour dire c’est quoi être autochtone.

Une citation de Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

Rappelons que l’AAQ demandait à la cour de reconnaître qu’elle est une organisation autochtone représentative, habilitée à négocier et à conclure au bénéfice de ses membres toute entente avec le gouvernement du Québec, ses ministres et représentants. Et ce, dans le cadre d’une résolution adoptée par Québec en 1985, modifiée en 1989, qui porte sur la reconnaissance des droits des Autochtones.

Montants perçus par l’AAQ de RCAANC :

  • 322 252 $ ont été versés au cours des exercices 2019-2020 et 2020-2021 dans le cadre du Programme de capacité organisationnelle de base (fonds de roulement).
  • 225 000 $ ont été versés en 2019-2020 dans le cadre du Programme de contribution de l'interlocuteur fédéral (en lien avec des projets).
  • 64 450 $ a été fourni en 2021-2022 dans le cadre du Programme de consultation et d'élaboration de politiques (fonds de roulement).

Comment un organisme qui n’est pas reconnu par des communautés autochtones ni par les tribunaux québécois peut-il bénéficier de fonds de RCAANC?

La question va beaucoup plus loin, selon Sébastien Brodeur-Girard.

Il estime que l’AAQs’insère dans cette espèce de vide historique pour se donner une légitimité. Cela devient compliqué pour les ministères de tracer des lignes claires pour dire ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, et l’AAQ joue sur cette ligne pour continuer de se faire reconnaître. Ils l’ont été dans le passé [notamment avant que les femmes autochtones mariées à des non-Autochtones puissent récupérer leur statut en 1985, NDLR]; aujourd’hui, on peut se poser la question plus sérieusement.

Le juge Godbout les a déboutés, mais l’AAQ a décidé de faire appel de ce jugement.

Enfin, RCAANC assure que la décision de la Cour supérieure du Québec n'a aucune incidence sur la capacité du gouvernement du Canada à reconnaître une organisation comme représentant des personnes titulaires de droits autochtones.

Contactée par Espaces autochtones, l’AAQ n'a pas répondu à nos questions.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Espaces autochtones

Chaque semaine, suivez l’essentiel de l’actualité autochtone au Canada.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Espaces autochtones.

Espaces autochtones

Un travail journalistique sérieux, constant et curieux est le meilleur moyen de dévoiler et expliquer des réalités que beaucoup ne soupçonnent peut-être pas. Et donc de comprendre. C'est ce que nous nous proposons de faire. Découvrir, informer, comprendre, expliquer.

— Soleïman Mellali, rédacteur en chef