•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Cindy Blackstock, finaliste pour le « prix Nobel des enfants »

Cindy Blackstock, qui mène un combat pour la reconnaissance et la réparation des torts vécus par les enfants des Premières Nations du Canada depuis 30 ans, est l’une des trois personnes nommées pour le Prix des enfants du monde. Souvent appelée le « prix Nobel des enfants », cette distinction est attribuée par des enfants de 120 pays.

Cindy Blackstock pose pendant une discussion Zoom.

Cindy Blackstock estime que si le public est passif sur la question de la protection de la jeunesse autochtone, les gouvernements ne seront pas enclins à changer.

Photo : Radio-Canada

La vraie justice est de réparer et changer le système afin que plus aucun autre enfant n'ait à vivre de la discrimination. C'est le cri du cœur de Cindy Blackstock, honorée d'être finaliste pour ce prix, car pendant si longtemps, précise-t-elle, l’injustice vécue par les enfants des Premières Nations n’a pas été reconnue.

Au fil des années, après la fin des pensionnats pour Autochtones, la discrimination envers les enfants autochtones s’est aggravée, précise cette membre de la nation gitxsan en Colombie-Britannique. Mais Cindy Blackstock a espoir dans la population qui fait changer les gouvernements. Elle plaide d’ailleurs pour que les universitaires se jettent davantage dans ces batailles afin d’aider les personnes sur le terrain. Entrevue.

Cindy Blackstock est directrice générale de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, en plus d’être professeure à l'École de service social de l'Université McGill. Son combat contre la discrimination envers les enfants des Premières Nations a permis d'aboutir à un accord avec Ottawa début avril.

Espaces autochtones : Vous vous retrouvez en nomination pour le prix mondial de l’enfance. Qu’est-ce que cela vous fait?

Cindy Blackstock : C’est un véritable honneur d’être nommée en compagnie d’autres personnes au niveau international et de voir le travail des enfants reconnu, surtout par d’autres enfants, car ce sont eux qui décernent le prix, cela le rend encore plus spécial.

La protection de l'enfance chez les Autochtones

Consulter le dossier complet

Une maman tenant son bébé dans ses bras.Ils sont assis de dos.

J’ai toujours senti qu’il s’agissait d’un véritable mouvement collectif. Pendant si longtemps, les enfants des Premières Nations ont été traités injustement et pendant si longtemps, cette injustice n’a pas été reconnue et il n’y a pas eu de réparation. Donc, que maintenant leur travail en faveur de la justice soit reconnu par un public international, c'est vraiment spécial. C'est donc un hommage à tous ces enfants, à toutes ces familles.

Cette reconnaissance valide aussi les expériences des enfants et des familles des Premières Nations au Canada et de tous les enfants non autochtones qui les ont soutenus. Et j'espère que cela donne l'exemple à d'autres communautés du monde entier pour qu'elles s'allient aux peuples autochtones de leurs nations.

Cindy Blackstock avec des peluches.

Selon Cindy Blackstock, « la vraie justice est de réparer le système ».

Photo : The Canadian Press / Sean Kilpatrick

Vous êtes en nomination auprès de personnes qui œuvrent pour les droits des enfants au Bangladesh et au Vietnam, pensez-vous que cela va mettre les projecteurs sur le Canada et sur le fait qu’ici aussi, nous avons ce problème?

Trop souvent, les pays développés ne sont pas questionnés sur ces enjeux de droits de la personne. Pourtant, ils devraient faire l'objet d'un examen plus approfondi, car ils ont les ressources nécessaires pour résoudre ces problèmes. Cela rend cette injustice encore plus inexplicable.

[Moi, Mohammed Rezwan et Thích Nu Minh Tú] (Nouvelle fenêtre) sommes unis par un amour pour les enfants et un amour qui nous oblige à faire plus que simplement nous plaindre des injustices, mais à nous impliquer dans des solutions avec tant d’autres personnes.

Les deux autres personnes nommées cette année sont :

  • Mohammed Rezwan, du Bangladesh. Depuis 25 ans, il se bat pour le droit des enfants, notamment des filles, d'aller à l’école, en créant notamment une vingtaine d'écoles flottantes.
  • Thích Nu Minh Tú, du Vietnam. Depuis près de 40 ans, elle se bat en faveur des orphelins et des enfants dont les parents n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins.
  • La cérémonie de remise du prix aura lieu le 4 octobre 2023 en Suède.
  • Depuis 2000, plus de 55 héros des droits de l’enfant ont été célébrés par ce prix.

Un accord de 23 milliards de dollars a été proposé finalement afin qu’Ottawa indemnise les enfants autochtones discriminés dans les systèmes de protection de l’enfance. Ce sont 3,34 milliards de dollars ajoutés aux 20 milliards prévus dans l’accord initial, le Tribunal canadien des droits de la personne considérant que ce montant ne permettait pas d'indemniser toutes les personnes admissibles. Êtes-vous satisfaite?

Il s’est avéré que 20 milliards de dollars n’étaient pas suffisants pour indemniser les enfants et les familles qui ont été si gravement blessés par le Canada, et dans certains cas qui ont perdu la vie. Cet ajout de 3,4 milliards de dollars vise à s’assurer que ceux qui ont droit à une indemnisation obtiennent la somme minimale prévue.

Environ 110 000 enfants ont été retirés à leurs familles parce qu’elles ont été privées de service de prévention. Mais pensez aux parents de ces enfants? Sans oublier les enfants touchés par le principe de Jordan, des enfants qui avaient parfois besoin de produits de base, comme des sondes d’alimentation, et que le Canada leur a refusés. Ou qui avaient besoin d’aide pour apprendre et qu’on leur a refusée aussi. Le chiffre exact est difficile à déterminer. [...] Si je devais faire une estimation, je dirais environ un quart de million pendant toute la durée visée par cet accord (1991-2022).

C’est tellement tragique parce que la fermeture des pensionnats pour Autochtones en 1996 aurait dû être la fin des dommages causés aux enfants des Premières Nations, mais au lieu de cela [le gouvernement] a continué consciemment à leur donner moins de services que les autres enfants et [il a tissé] un récit public comme s’ils en recevaient plus. Les gens sont indemnisés parce qu’ils ont perdu leur vie ou leur enfance, mais nous devons faire mieux. La vraie justice est de réparer le système pour qu’aucune autre personne n’ait à traverser cela.

En 2000, les enfants des Premières Nations étaient 7 fois plus susceptibles d'être placés en famille d'accueil. Maintenant, ils sont 17,2 fois plus susceptibles d'être placés en famille d'accueil parce que les familles n'ont pas reçu le soutien dont elles avaient besoin. Ainsi, le traumatisme s'est aggravé et le nombre d'enfants retirés de leur famille a donc dépassé celui des pensionnats par un facteur de trois.

Quand le Tribunal canadien des droits de la personne aura donné son accord pour le règlement avec Ottawa, pensez-vous que ce sera la fin de cette bataille?

J’aurais aimé penser cela, mais je n’ai pas vu de changements profonds suffisants de la part du gouvernement. Par contre, de voir le changement dans la population canadienne depuis la découverte des tombes anonymes à Kamloops, voir les Canadiens de toutes les diversités porter des chandails orange en guise de solidarité, ça me donne beaucoup d’espoir.

Le gouvernement fédéral a mis en œuvre plus d’appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation au cours de ces six semaines qu’au cours des six dernières années. Les Canadiens commencent à prendre plus conscience de ce qui arrive aux enfants autochtones et trouvent cela inacceptable. Donc, ils exigent plus des gouvernements. Et tant qu’ils le feront, il y a de meilleurs jours devant nous pour les Premières Nations et les enfants. Si nous nous endormons encore comme public, il est peu probable que les gouvernements changent.

Nommé en mémoire de Jordan River Anderson, le principe de Jordan est un principe qui place l’intérêt et les besoins de l’enfant en priorité pour s’assurer que les enfants des Premières Nations peuvent accéder aux services gouvernementaux dans les mêmes conditions que les autres enfants.

La loi C-92 concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuit et des Métis, adoptée en 2020, donne le droit aux gouvernements autochtones de gérer eux-mêmes leurs services à l'enfance et à la famille.

Vous dites que l’attitude des Canadiens a changé… Le gouvernement fédéral a aussi fait une réforme de la protection de la jeunesse avec la loi C-92, mais des gouvernements provinciaux la combattent, comme le Québec.

Et il y en aura toujours. [...] Les gouvernements retournent en quelque sorte dans les périodes les plus sombres sur ce sujet. Les gouvernements ne créent pas le changement, ils y réagissent. C’est pourquoi la pression publique est si importante. [...] Où était le Québec depuis 156 ans, lorsque les enfants des Premières Nations souffraient de ces inégalités? Il restait à l’écart sans rien faire et perpétuait aussi cette idéologie coloniale.

[...] En 2009, nous avons écrit à toutes les provinces au sujet du principe de Jordan leur demandant de faire pression sur le fédéral. Certains ont répondu et reconnu que les enfants autochtones méritent des services équitables. Le Québec a répondu qu’il n’y a pas besoin de principe de Jordan au Québec parce qu’il n’y a pas de cas correspondant au principe. C’est complètement faux. De nombreux enfants des Premières Nations et leurs familles profitent de ce principe pour obtenir des services de base indispensables. Le Québec a donc l'habitude de laisser faire la discrimination devant lui et d'utiliser ensuite ces arguments juridictionnels pour protéger d'autres intérêts, mais ce n'est certainement pas au service des enfants des Premières Nations.

Vous militez pour que le milieu académique soit plus impliqué concrètement. Selon vous, le milieu universitaire doit embaucher beaucoup plus de gens qui sont prêts à avoir des ennuis, que voulez-vous dire?

Ce que j’ai appris dans notre cas est que les inégalités pour les enfants des Premières Nations ont été documentées depuis plus de 100 ans, tout comme les décès et les préjudices causés par ces inégalités, y compris dans les pensionnats pour Autochtones. Ce n’est pas le manque de réponses qui a causé les blessures et les morts, c’est le manque de mise en œuvre de ces réponses.

Les personnes dans les établissements universitaires sont protégées par la liberté académique, elles sont donc protégées contre les représailles du gouvernement, contrairement à beaucoup de gens sur le terrain. Pour moi, lorsque la recherche est terminée et qu’il est clair que quelque chose doit être fait pour le bien public, nous devons, en tant qu’universitaires, aller au-delà de la simple rédaction d’articles et nous joindre à la communauté [afin d’améliorer les conditions de vie] grâce aux preuves [récoltées lors de travaux universitaires par exemple]. Il faut financer les recherches, mais aussi leur mise en œuvre. [Les universitaires] doivent enseigner aux gens comment faire un plaidoyer efficace et respectueux. Ils doivent se tenir droits face à la discrimination systémique afin que les enfants, les familles, les jeunes, les personnes âgées ne soient pas seuls à se battre.

Vous devez avoir de bonnes preuves pour faire une bonne politique publique. En ce qui nous concerne, cette preuve [nous] a permis de résister au contre-interrogatoire très rigoureux dans les cours de justice… Les tribunaux ont ainsi été convaincus que les enfants avaient raison, que ce que le Canada leur faisait était mal et qu’il fallait y remédier. Il est évident que si vous travaillez en tant qu’universitaire sur les droits de la personne, vous devriez avoir un peu d’activisme ou de militantisme. Trop souvent, on parle, mais on ne fait pas. Parfois, nous comptions simplement sur le changement volontaire. Or, il doit y avoir une responsabilisation et nous devons être meilleurs, plus forts dans le milieu universitaire et être au service de la communauté.

Quelle est votre prochaine bataille?

Nous continuons à travailler pour mettre fin à la discrimination et empêcher qu'elle ne se reproduise pour ce groupe d'enfants. C'est le prochain grand objectif. Nous y travaillons depuis le début, mais nous espérons être en mesure de faire de sérieux progrès à ce sujet rapidement. Puis, je suis très consciente que beaucoup d'inégalités existent encore. Par exemple, seuls 35 % des foyers des Premières Nations ont Internet. Ceux qui en sont dépourvus ont traversé la pandémie sans possibilité d’avoir des appels Zoom ou de suivre les cours d’école à distance. Il y a aussi tout ce qui concerne l’accès à l’eau. Il y a donc d’autres inégalités encore à régler.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre Espaces autochtones

Chaque semaine, suivez l’essentiel de l’actualité autochtone au Canada.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Espaces autochtones.

Espaces autochtones

Un travail journalistique sérieux, constant et curieux est le meilleur moyen de dévoiler et expliquer des réalités que beaucoup ne soupçonnent peut-être pas. Et donc de comprendre. C'est ce que nous nous proposons de faire. Découvrir, informer, comprendre, expliquer.

— Soleïman Mellali, rédacteur en chef