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Le Manitoba analyse la légitimité des œuvres autochtones dans ses bureaux ministériels

La première ministre du Manitoba Heather Stefanson.

La première ministre Heather Stefanson est interviewée dans son bureau le 11 janvier 2023. La sculpture derrière elle se trouve dans le bureau du premier ministre depuis des décennies.

Photo : Gary Solilak/CBC

Radio-Canada

Le gouvernement du Manitoba procède actuellement à un examen afin de s'assurer que toutes les œuvres d'art à thème autochtone exposées dans les bureaux des ministres ont été créées par des artistes autochtones.

Cette annonce survient à la suite d’une enquête de CBC News sur une statue qui se trouvait dans le bureau du premier ministre du Manitoba depuis des décennies, mais qui a depuis été retirée, et elle ne sera pas replacée.

La figure de porcelaine intitulée Blackfeet Beaverhead Medicine Man fait l’objet de critiques d’experts en art qui voient dans cette œuvre un exemple d’appropriation culturelle et la représentation d'une image stéréotypée des premiers peuples.

La sculpture créée par la Winnipégoise Helen Granger Young était exposée dans le bureau du premier ministre depuis au moins 1988, d'après des photos d’archives.

Bonne à étudier, mais pas à exposer

Ces types d'œuvres ne sont pas appropriées dans le bureau d’un représentant de l’État, a déclaré Gerald McMaster, professeur à l'université Ontario College of Art and Design (OCAD).

Le lendemain de l'enquête de CBC News sur la statue, celle-ci a été retirée du bureau de la première ministre Heather Stefanson, selon des documents obtenus grâce à une demande d'accès à l'information.

Gerald McMaster.

Gerald McMaster est professeur émérite à l'Université OCAD. Il a reçu le Prix du Gouverneur général 2022 en arts visuels et médiatiques pour sa contribution exceptionnelle. Il est Cri des Plaines, de la Nation crie Red Pheasant, et citoyen de la Nation Siksika.

Photo : Université OCAD

Un rapport sur l'état de la sculpture indique qu’elle était très poussiéreuse et fragilisée et que sept morceaux étaient brisés, dont un tuyau de 11 centimètres qui gisait librement sur la figurine.

Le porte-parole de Mme Stefanson a déclaré que la sculpture ne reviendrait pas dans son bureau même si elle était réparée. La province ne compte toutefois pas se débarrasser totalement de l'œuvre pour le moment, une décision à laquelle M. McMaster souscrit.

Ce dernier souligne que ce type d’œuvre peut être étudié pour mieux comprendre la façon dont les groupes étaient représentés par le passé. Les chercheurs voudront peut-être regarder une pièce comme Blackfeet Beaverhead Medicine Man pour faire la lumière sur des histoires de stéréotypes, des histoires d'appropriation, des histoires de croyances, a déclaré M. McMaster.

Par contre, ces œuvres ne devraient pas être exposées au grand public sans les informations liées aux problèmes qu'elles soulèvent, ajoute le professeur, qui est lui-même Cri des Plaines.

Il souligne que la sculpture a été conçue par un artiste non autochtone, ce qui soulève de nombreux problèmes, comme l'appropriation culturelle et potentiellement la représentation d'une cérémonie spirituelle sans autorisation.

Ce n'est pas quelque chose que les artistes autochtones, même ceux des Blackfeet, feraient sans la permission d’anciens ou de chefs spirituels.

La question de la représentation autochtone dans l'art était d'ailleurs au menu de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, il y a huit ans.

Le 67e appel à l'action demande au gouvernement fédéral de financer l'Association des musées canadiens pour travailler avec les peuples autochtones afin d'examiner les politiques et les meilleures pratiques pour s'assurer qu'elles soient conformes à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).

 La DNUDPA est claire que les peuples autochtones, qu'ils soient employés ou visiteurs de musée, ont le droit d'être à l'abri de la discrimination et de voir leurs cultures représentées de manière juste et respectueuse, et de disposer d’espaces pour mettre en pratique leurs protocoles et leurs traditions culturelles, selon le rapport 2022 de l'Association des musées canadiens.

Deux hommes se serrant la main.

La statuette peut être vue en arrière-plan de cette photo de l'ancien premier ministre Gary Doer passant les rênes à l'ancien premier ministre Greg Selinger en 2009. CBC a ajouté un cercle pour mettre en évidence la sculpture sur cette photo de La Presse canadienne.

Photo : La Presse canadienne

L'œuvre de Granger Young

Helen Granger Young était une artiste prolifique et célèbre à son époque qui a remporté de nombreux prix, dont l'Ordre du Manitoba. Sa statue Famous Five (Célèbres cinq), représentant la militante manitobaine pour le droit des femmes Nellie McClung, a été inaugurée sur le terrain de l'Assemblée législative en 2010.

De 1962 à 1982, Granger Young a conçu une série de sculptures qui sont devenues une partie de la collection The Cybis North American Indians, des objets de collection vendus entre 2000 $ et 7000 $, selon un article de journal daté de 1981.

Lorsque des artistes non autochtones s'approprient ces histoires pour leur propre profit, c'est autre chose qui soulève de nombreux problèmes, selon Gerald McMaster.

Helen Granger Young a créé les pièces en se basant sur des recherches dans les archives et les galeries nationales et provinciales, ainsi qu'à la Smithsonian Institution, selon un reportage de presse de 1983.

Blackfeet Beaverhead Medicine Man a été créée en 1969. Cybis, un fabricant de porcelaine aujourd'hui disparu du New Jersey, a produit 350 sculptures en édition limitée de Blackfeet Beaverhead Medicine Man, selon le site web Cybis Archive. L’un des modèles, portant le numéro 36, était en vente sur eBay pour 850 $ US récemment.

Sculptures comme cadeaux officiels

Dans les années 1970 et 1980, les porcelaines de la série North American Indian de Granger Young étaient présentées comme cadeaux officiels de la province aux membres de la monarchie britannique. Au moins quatre autres pièces de Granger Young qui prétendent représenter des peuples et des légendes autochtones ont ainsi été offertes.

Les reportages des années 1970 citent Granger Young disant que les galeries canadiennes ont ignoré ses figurines en porcelaine. Les galeries canadiennes semblent ne s'intéresser qu'aux maîtres anciens et aux nouveautés farfelues, a déclaré Granger Young au Calgary Herald en 1973.

Granger Young est décédée à l'âge de 100 ans en avril dernier.

Une femme pointant une statuette.

Helen Granger Young explique l'histoire derrière Eskimo Mother: Alea au premier ministre progressiste-conservateur Sterling Lyon en 1981.

Photo : Archives du Manitoba, série de photographies du gouvernement

Contexte nécessaire

La directrice des collections de la Winnipeg Art Gallery-Qaumajuq, Riva Symko, reconnaît que les artistes sont complexes et qu'ils sont le produit de leur époque.

Aucune œuvre d'art n'existe dans le néant, elle change toujours. Sa signification change toujours… et c'est une bonne chose, a déclaré Mme Symko.

Elle souligne que Blackfeet Beaverhead Medicine Man parle d'une tradition coloniale plus large dans laquelle les artistes représentaient les peuples autochtones – ou l’image qu’ils se faisaient d’eux.

Le travail de chacun mérite un regard critique, mérite d'être mis en contexte et c’est ce qu’il y a de mieux à faire quand on veut évaluer l'héritage laissé par un artiste, explique Riva Symko.

Ainsi, ces types de figurines vont de pair avec l'idée que la culture autochtone est quelque chose qui peut être possédé, quelque chose qui peut être collectionné, quelque chose qui peut être vraiment dominé ou colonisé par un colon collectionneur ou un acheteur, ajoute-t-elle.

Disant ne pas vouloir parler au nom du premier ministre, elle affirme qu'elle ne souhaite pas faire le travail de décolonisation pour d'autres institutions. Je pense que c'est vraiment à eux de trouver les moyens de penser et de reconsidérer leurs collections et les œuvres qu'ils exposent dans leurs bureaux qui sont facilement accessibles aux visiteurs internationaux, nationaux et locaux.

Le consultant en art Gilles Hébert ne connaissait pas Granger Young, mais il connaît la période où l’artiste manitobaine a créé la série des Indiens d'Amérique du Nord.

Il mentionne que les pièces en porcelaine comme celles-ci étaient très populaires dans les années 1940, 1950 et 1960. C'était une autre époque, a déclaré M. Hébert. Je ne pense pas qu’à l’époque c’était considéré comme offensant.

Inapproprié

Le consultant en art ajoute que lorsque la pièce a été conçue, il est possible qu'elle ait pu être considérée comme une œuvre romantique honorant l'autochtonie, alors qu’en réalité, des représentations comme celles-ci donnent l’impression que le sujet est étranger, exotique et ne fait pas partie de la communauté.

M. Hébert a déclaré qu'il y aurait eu une forte réaction à Blackfeet Beaverhead Medicine Man il y a 40 ans parmi les conservateurs et les artistes – autochtones ou autres – qui s'y seraient opposés, mais pas autant qu'ils le feraient de nos jours.

Compte tenu de notre histoire récente, de l'histoire des peuples autochtones et de l'engagement en faveur de la réconciliation, il semble tout à fait déplacé que cette œuvre se trouve dans le bureau du premier ministre. Cela semble tout à fait inapproprié, a déclaré M. Hebert.

Un porte-parole du ministère des Sports, de la Culture et du Patrimoine de la province affirme que la collection d'art provinciale se concentre actuellement sur la diversité, le travail d'artistes vivants contemporains du Manitoba et d'artistes autochtones.

Des œuvres d'artistes autochtones ont ainsi été achetées en 2022, dont celles de Lita Fontaine, Dee Barsy, Jackie Traverse, Michel St. Hilaire, Len Fairchuk, Carly Morrisseau et Christine Kirouac, selon le porte-parole.

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