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ChroniquePierre Dufour, les Autochtones et la loi de Pareto

Pierre Dufour, accoté sur un lutrin, s'adresse aux gens présents dans la salle.

Pierre Dufour lors de son intervention, le 15 mai, au cours de l'assemblée publique du conseil municipal de Val-d'Or.

Photo : Radio-Canada / Marc-André Landry

Connaissez-vous la loi de Pareto? C’est un principe statistique qui est souvent étiré hors du champ des mathématiques et appliqué à la vie quotidienne. Selon cette loi, la quantité d’efforts requise pour atteindre 80 % des résultats est la même que pour les 20 % restants.

Bon, vous me direz sans doute que ce n’est pas vraiment une loi, c’est un peu comme la loi de Murphy, en vertu de laquelle la tartine tombe toujours du côté garni. En effet, ces lois, sorties de leurs cadres théoriques, relatent des tendances qui correspondent à l’expérience et aux observations de la vie ordinaire.

J’ai pensé à cette loi de Pareto quand un ami m’a transmis la rediffusion de la dernière séance du conseil municipal de Val-d’Or (Nouvelle fenêtre). Vers la fin de la séance, on peut entendre le député de la CAQ d’Abitibi-Est, Pierre Dufour, parler devant l’assemblée de ses préoccupations en matière de sécurité publique.

Ses propos sont troublants à plusieurs égards. Qualifiant de tas de marde la situation avec laquelle la mairesse se retrouve à composer, il poursuit sur sa lancée en montrant du doigt le manque de soutien et la détresse des policiers de Val-d’Or qui, toujours selon Dufour, vivent encore les contrecoups de la vague de dénonciations de la part de femmes autochtones survenues en 2015, alors qu’elles ont raconté les abus horrifiants subis de la part de certains officiers.

Edith Bélanger est une diplômée de philosophie de l’Université Laval et de l’ENAP en administration publique en contexte autochtone. Elle est candidate au doctorat en gouvernance traditionnelle autochtone à l’UQAT. Elle travaille à l'Institut Ashukan comme conseillère à la recherche et au développement et elle donne une charge de cours à la Faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa. Edith est membre de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk (Malécite).

Ce scandale porté à l’attention du public grâce à un reportage primé de l’émission Enquête de Radio-Canada avait indigné la population, avec raison. Cet épisode a aussi été à l’origine de la mise sur pied de la Commission d’enquête sur les autochtones et certains services publics, la commission Viens.

Pendant des semaines, des experts de plusieurs disciplines ont travaillé non seulement à consigner les témoignages de courageux intervenants, mais ont aussi effectué un colossal travail de recherche scientifique servant à documenter, faits à l’appui, l’existence d’un racisme envers les personnes autochtones, bien infiltré dans plusieurs endroits des institutions publiques.

Des appels à l’action ont été formulés, des processus d’enquêtes indépendantes sur les interactions entre les Autochtones et les services policiers ont aussi été mis sur pied. Bref, tout cela a mené à des bouleversements. Pas étonnant. Comment pourrait-il en être autrement devant une situation aussi indigne? C’est juste la loi du gros bon sens, non?

Or, Pierre Dufour ne semble pas voir les choses sous cet angle. Lors de la séance du conseil de lundi soir, il ridiculise le reportage de l’émission Enquête qui est, à ses yeux, bourré de menteries. Il s’en prend aussi à la commission Viens qui, selon lui, a dit que les policiers de Val-d'Or racisaient les Autochtones en donnant plus de tickets aux itinérants.

On peut se demander comment une personne politique peut se permettre des propos aussi indignes de sa fonction. En plus de rejeter le blâme sur les femmes autochtones et les journalistes, il en appelle à des mesures plus drastiques et punitives pour contrôler les itinérants autochtones.

Dans ces quelques minutes qui m’ont semblé durer une éternité, l’ancien ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (sujets de nature particulièrement délicats dans la relation avec les peuples autochtones) nous révèle-t-il le fond de sa pensée? Bourrés de préjugés et infusés de la pensée coloniale, ses mots évoquent de grands principes fréquemment associés aux gouvernements totalitaires. Bref, on se range derrière la loi du plus fort.

En affirmant que le reportage d’Enquête était bourré de menteries, le député Dufour remet en cause la parole de femmes autochtones qui se plaignent d’avoir été violentées par ceux-là mêmes qui sont censés les protéger. Estimons-nous chanceuses et chanceux qu’il n’ait pas été ministre de la Justice ou de la Sécurité publique!

Les chefs d’opposition ont réagi en dénonçant ces propos troublants et choquants. Le député a quant à lui dit qu’il s’était exprimé sous le coup de l’émotion. Probablement qu’il ignore complètement à quel point d’autres personnes réagiront aussi émotivement à ces propos dans les prochains jours.

Par exemple, je ne peux m’empêcher de penser à ces femmes courageuses qui ont osé parler, au travail sensible des journalistes, à tous les chercheurs et juristes qui ont travaillé à documenter, étayer les faits mis en lumière, les abus vécus au quotidien par les Autochtones au sein des services publics. Je suis découragée pour eux.

J’ai peine à croire que certains refusent encore de voir la réalité. C’est ça la loi de Pareto, parce que c’est sans doute pour ces 20 % d’irréductibles que tous ceux qui, comme moi, travaillent dans le domaine de l’éducation aux enjeux autochtones doivent dépenser tant d’efforts.

Comment rester motivés devant ces déclarations? Comment ne pas avoir envie de baisser les bras en entendant l’assemblée applaudir ces propos odieux, en plus d’être témoin du silence des élus municipaux qui n’osent pas contredire le député de la CAQ sur ce point délicat.

Pourtant, il faut en parler. D’ailleurs, j’attends avec beaucoup d’impatience la réaction du gouvernement de la CAQ, particulièrement celle du ministre Lafrenière, responsable des relations avec les Premières Nations et les Inuit et, lui-même, ancien policier. Cette fois-ci, la loi du silence ne doit pas avoir le dernier mot.

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