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Relations chercheurs-Autochtones : « il faut y aller avec humilité et respect »

Deux hommes assis sur une scène discutent devant la foule.

Le chef de la communauté d'Ekuanitshit, Jean-Charles Piétacho, était l'invité d'une discussion avec le professeur Marc Amyot, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie et changements mondiaux.

Photo : Benjamin Seropian

Dans un contexte où les initiatives de rapprochement entre Autochtones et non-Autochtones se multiplient sur tous les plans, les chercheurs ont aussi un rôle à jouer. Pour y réfléchir, le chef innu Jean-Charles Piétacho était invité à discuter avec le biologiste Marc Amyot, dans le cadre du 27e colloque du Chapitre Saint-Laurent. Nous nous sommes entretenus avec M. Amyot sur les bonnes pratiques à adopter et les écueils à éviter.

Comment qualifiez-vous la relation entre les chercheurs et les Autochtones aujourd’hui au Québec? Et comment cette relation a-t-elle évolué?

Dans mon domaine, celui des sciences naturelles, on ne travaille pas avec l’humain, donc les contacts sont moins nécessaires. Ceci dit, je connais beaucoup d'équipes, y compris la mienne, qui sont allées échantillonner en territoire autochtone sans trop s'en rendre compte. Et même s'ils s’en rendent compte, la volonté d’aller rencontrer la communauté n’est pas toujours là. C’est aussi un peu intimidant, on ne sait pas comment s’y prendre même si on voulait. On ne sait pas si on sera bien reçus. Mais ça évolue, comme avec, par exemple, le réseau ArcticNet, dans lequel les chercheurs de différents horizons travaillent ensemble dans le Nord, et où c’est évident qu’il faut collaborer avec les premiers peuples. Donc, on voit que ça commence à évoluer.

Il semble encore exister un fossé entre chercheurs et membres des premiers peuples qui s’orientent peu vers le domaine de la recherche. À quoi cela tient-il, selon vous?

Pour de longues études, le principal obstacle est celui de l’accès à l’éducation. Et ceux qui entament un long parcours académique vont plus aller vers des disciplines comme le droit ou les sciences sociales, mais peu vers les sciences naturelles. C’est un peu dommage et surprenant parce que souvent, dans les communautés, il y a déjà un lien avec l’environnement grâce aux aînés et à travers diverses activités. J’ai aussi entendu dire que dans certaines communautés, il y a encore un manque de confiance envers le système scolaire à cause du poids du passé (l’époque des pensionnats pour Autochtones).

Notes à la main, un homme écoute son interlocuteur de façon attentive.

Le biologiste et professeur à l'Université de Montréal Marc Amyot est spécialisé dans l'étude des contaminants comme le mercure, l'arsenic, le sélénium et les contaminants organiques pétroliers.

Photo : Benjamin Seropian

Si vous deviez donner un conseil à un chercheur allochtone qui va faire du terrain dans une communauté, quel serait-il? Quels écueils éviter?

Il faut y aller avec humilité et respect. Prendre le temps de parler aux gens et ne pas s'attendre à ce qu’ils soient réceptifs dès le début. C’est important aussi d’intégrer les intérêts de la communauté dans la recherche. Par exemple, avec Hydro-Québec, je collabore à l’étude de trois projets hydroélectriques. La recherche a été co-construite avec trois communautés. On a donc demandé aux communautés concernées quels éléments ils voudraient voir étudier. À Inukjuak, c’était notamment les effets sur leur eau potable, tandis que les Atikamekw étaient plus concernés par l’érosion des berges à cause des routes menant au chantier. Quant aux Innus de La Romaine, ils voulaient des données sur la possible contamination au mercure du saumon et des myes (un mollusque) engendrée par le barrage. Pour eux, ça leur procure des données indépendantes qui les aident à prendre des décisions. Le fait que la communauté s’implique dans la recherche dès le début permet une meilleure appropriation des résultats, et donc la recherche a plus d’impact localement.

Auriez-vous un exemple de projet de recherche qui symbolise les bonnes pratiques en matière de relations avec les peuples autochtones?

Une des bonnes pratiques, désormais, c’est de signer des ententes de recherche avec les communautés, même si ça prend du temps à réaliser. Ce sont des sortes de contrats qui détaillent les parties impliquées, comment les décisions vont se prendre durant la recherche, le processus de co-création, les modalités de diffusion des résultats et à qui appartiennent les données obtenues. On fait cela parce que, des fois, les chercheurs s'approprient la recherche et ne retournent pas les informations à la communauté.

L’autre aspect important, c’est de valoriser les savoirs autochtones dans le cadre de la recherche. Par exemple, la chercheuse de l’Université Laval Mélanie Lemire travaillait sur la question du sélénium, un oligo-élément présent en proportion plus élevée chez les femmes. Elle avait plusieurs hypothèses pour expliquer cela, jusqu’à ce qu’elle anime un atelier avec des femmes inuit qui lui ont expliqué qu’elles avaient accès à certaines parties du béluga (en particulier la queue), et c’est ainsi qu’elle a pu réorienter sa recherche dans la bonne direction.

Une personne coupe un morceau de maqtaaq avec un couteau.

Plusieurs communautés nordiques disposent d'un programme de distribution alimentaire qui permet aux habitants d'avoir accès à de la nourriture traditionnelle, comme du maqtaaq de béluga.

Photo : Gracieuseté : Rachel Blais

Quelle est, en recherche, l’approche Une seule santé, et en quoi se rapproche-t-elle des croyances autochtones?

C’est un cadre pour faire de la recherche interdisciplinaire où l’on aborde à la fois les problématiques de la santé humaine, de la santé animale et de la santé environnementale. Par exemple, dans le cas des zoonoses (virus, bactéries, etc.), la dégradation de l’environnement entraîne une plus grande proximité entre animaux sauvages et humains, ce qui favorise la transmission de certaines maladies. Cette approche a l’air toute récente, mais quand on regarde du côté autochtone, on voit que ça rejoint beaucoup leur philosophie, au point où ça a causé quelques flammèches dans certaines conférences où le phénomène d’appropriation culturelle a été évoqué.

Si la recherche devait être centrée sur les besoins des membres des premiers peuples, quels sujets devrait-on approfondir en priorité?

Question piège, vous demandez à un allochtone ce qu’il faut éviter de faire : dire aux Autochtones ce qui est bon pour eux. Personnellement, j’étudie en toxicologie, ce qui m’amène à travailler sur la présence de contaminants comme le mercure dans les poissons et les mammifères marins consommés par les Autochtones. Or, quand on s’intéresse à cette question, la tentation est grande de leur conseiller d’abandonner leur nourriture traditionnelle, mais si c’est pour adopter la nourriture du Sud riche en gras saturés et en sucre, y a-t-il réellement un gain? C’est pour cela que j’essaie de plus en plus de travailler aussi sur la question des nutriments, pas juste sur celle des contaminants, afin de pouvoir évaluer les risques de façon beaucoup plus précise et ciblée, selon les types de populations.

Un groupe de personnes pêchent des moules dans la toundra.

Au Nunavik, comme ailleurs, la pêche et la chasse, qui assurent depuis plusieurs siècles la subsistance des Inuit, sont perturbées par le déclin de certaines espèces et l’apparition d’autres.

Photo : Radio-Canada / Matisse Harvey

Le savoir des aînés peine parfois à être transmis aux jeunes. Quel pourrait être le rôle des scientifiques?

Encore une fois, ce serait aux Autochtones de se prononcer. Mais l’initiative de l’UQTR au Nunavik mérite d’être soulignée ici. Il s'agit de camps du savoir, sur le territoire inuit, où l’on jumelle de jeunes Autochtones, des scientifiques et des aînés. Les jeunes vont par exemple apprendre à prélever des échantillons d’eau en vue de les analyser, tout en apprenant à chasser, trapper ou construire des abris. Les thématiques doivent être élaborées tous ensemble. Ce genre d’activités ont fait naître des vocations, pas juste scientifiques, mais aussi de leadership.

Nous avons invité le chef Piétacho à répondre à nos questions, mais il n'était malheureusement pas disponible.

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