•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

La réconciliation avec les Autochtones, un travail de « longue haleine » pour la GRC

« Est-ce qu’on a commis des erreurs? Oui, on en a commis. Il faut apprendre de ces erreurs-là pour ne pas les répéter. » En entrevue à Espaces autochtones, le commissaire par intérim de la GRC aborde les grands défis de son organisation dans la délicate tâche de rebâtir les ponts avec les Autochtones.

Des gendarmes de la GRC en pleine cérémonie.

La Gendarmerie royale du Canada célèbre cette année son 150e anniversaire.

Photo : La Presse canadienne / DARRYL DYCK

Depuis sa création, il y a 150 ans, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a été liée à des épisodes douloureux de l’histoire des Premières Nations. De la sédentarisation au système des pensionnats, on dénonce son rôle dans la colonisation et on critique ses relations passées et actuelles avec les Autochtones.

Le commissaire intérimaire de la GRC, Michael Duheme, dit comprendre l’impatience de certains qui veulent voir des changements au sein de la police fédérale. Mais il comprend aussi que son organisation est engagée dans un long processus pour restaurer sa relation avec les communautés autochtones.

Je sais que des gens trouvent que ça ne bouge pas vite, dit-il. Mais la réconciliation, ce n’est pas quelque chose qui se fait en deux, trois semaines. C’est un travail qui doit être soutenu sur une longue période et qui doit être accompagné de gestes concrets, ce qu’on a fait. C’est à force de continuer à bâtir des relations avec les communautés qu’on va réussir à rétablir la confiance.

Le commissaire Duheme insiste : la GRC n’est pas restée les bras croisés à la suite du dépôt des rapports de la Commission de vérité et réconciliation, en 2015, et de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), en 2019. Elle a révisé ses politiques et établi une stratégie pour regagner la confiance des Premières Nations, des Métis et des Inuit, indique-t-il.

La stratégie se décline en quatre axes et comprend une vingtaine de mesures concrètes pour se rapprocher des communautés autochtones, afin de mieux les comprendre et de mieux les servir. Ces mesures comprennent notamment des formations, des séances de sensibilisation, la mise sur pied de comités consultatifs et de partenariats avec des groupes autochtones.

Un homme s'adresse à la presse.

Michael Duheme assume la fonction de commissaire intérimaire de la GRC depuis le départ à la retraite de Brenda Lucki, en mars dernier.

Photo : Frederic Pepin

Après le dépôt du rapport final de l’ENFFADA, qui montre que les femmes autochtones du Canada ont sept fois plus de risques de se faire assassiner, la GRC a lancé une autre série de mesures. L’ancienne commissaire Brenda Lucki a aussi présenté des excuses aux familles de certaines victimes, pour lesquelles la GRC n'a pas été à la hauteur.

Il y a des enquêtes qui n’ont pas eu l’attention qu’elles auraient dû avoir, reconnaît le commissaire Duheme.

La GRC a donc créé un groupe national pour assurer une surveillance des enquêtes majeures. Elle a également procédé à la mise à jour des politiques et des procédures liées aux enquêtes sur les personnes disparues ou mortes subitement.

Après le rapport [de l'ENFFADA], on a réexaminé plus de 30 000 dossiers d’agressions sexuelles au pays pour améliorer la façon dont on fait les enquêtes, explique le commissaire Duheme. Et en matière de formation, cinq modules ont été créés pour les enquêteurs de première ligne pour les personnes disparues.

Miser sur le facteur humain

Au-delà de toutes ces mesures et des nouvelles formations obligatoires, le commissaire Duheme est persuadé d’une chose : c’est le facteur humain qui améliorera les choses relativement au processus de réconciliation.

Les formations, ça reste des formations. Ça prend un profond désir des gens pour faire changer les choses [...] Lorsqu’on travaille dans les communautés, les gens ne doivent pas juste être impliqués, ils doivent être engagés.

Une citation de Michael Duheme, commissaire par intérim à la GRC

M. Duheme raconte avoir été marqué par un événement lors d’un récent voyage au Nunavut, alors qu’il visitait une communauté de 1500 habitants en périphérie d’Iqaluit. Une jeune femme avec son bébé s’est approchée d’eux et a posé une question à l’un des gendarmes qui travaillent dans la localité. Celui-ci a rapidement pris en charge la demande de la résidente en s’adressant à elle par son prénom.

Juste cette petite chose-là, ça me touche. Le fait qu’il connaisse les gens par leur prénom, ça démontre l’engagement de cette personne envers la communauté. On partait rencontrer le maire, qui n’avait que des éloges pour ce gendarme et notre petite équipe là-bas, explique le commissaire Duheme.

Je ne prétends pas que c’est comme ça dans toutes les communautés. Mais ça démontre l’impact que peut avoir quelqu’un qui est vraiment engagé. C’est comme ça qu’on va changer les choses.

Des réformes espérées

La GRC traverse des années difficiles et une véritable crise de confiance. Celle-ci a été exacerbée par certains événements, comme les tueries de masse survenues en Nouvelle-Écosse, en avril 2020, et dans la Nation James Smith en Saskatchewan, en septembre 2022, à la suite desquels les interventions de la police fédérale ont été critiquées.

Depuis un an, des appels ont été lancés, notamment à Terre-Neuve-et-Labrador, en Colombie-Britannique et en Alberta, pour mettre fin aux ententes avec la GRC et la remplacer par un autre corps de police.

Au Canada, la GRC est le corps de police principal dans environ 150 municipalités situées dans les trois territoires et dans toutes les provinces, à l'exception de l'Ontario et du Québec. Bien des communautés autochtones du pays reçoivent les services de l’organisation. Toutefois, en raison d’allégations de racisme systémique la visant, un comité parlementaire de la Chambre des communes recommande de retirer la GRC de ces communautés.

Le rapport déposé en juin 2021 par le Comité permanent de la sécurité publique recommandait aussi à la GRC de mettre en œuvre des politiques disciplinaires afin de prévenir le recours excessif à la force, le racisme systémique et le profilage racial.

Brenda Lucki en uniforme devant plusieurs drapeaux du Canada.

La commissaire Brenda Lucki a dirigé la GRC de 2018 à 2023. Sous son règne, le corps de police fédéral a connu des années difficiles et a été la cible de nombreuses critiques.

Photo : La Presse canadienne

Imputabilité et congédiement, si nécessaire

Le commissaire Duheme a rejoint la GRC il y a plus de 36 ans. Il a grandi dans cette organisation qu’il adore, et il avait annoncé sa retraite quand on lui a demandé de remplacer la commissaire Brenda Lucki, en mars dernier.

Je me suis engagé pour deux ans dans ce poste et je n’ai pas l’intention de rester assis à garder les choses à la surface, affirme-t-il.

Il croit lui aussi que certains changements sont nécessaires à la GRC. D’après lui, ces changements doivent passer par une adhésion totale aux valeurs de respect, d’intégrité et de professionnalisme de l’organisation de la part de chacun de ses membres.

Ça doit venir de tout le monde. Tout le monde doit être imputable de ce qu’il fait. Et si on fait quelque chose qui n’est pas correct, on doit le dénoncer et prendre des actions, croit M. Duheme. C’est comme ça qu’on va changer la culture.

La GRC n’est pas reconnue pour congédier ses membres [...] Mais nos mesures en cas de bris du code de déontologie sont dépassées et il faut les mettre à jour. Il faut être un peu plus agressif avec nos mesures et aller jusqu’au congédiement dans les cas totalement inacceptables.

Une citation de Michael Duheme, commissaire par intérim à la GRC

Les valeurs, c’est juste des mots si tu ne rends pas les gens imputables. Il faut qu’il y ait une conséquence quand les gens ne les respectent pas, poursuit-il. La journée qu’on rendra les gens imputables et qu’on ira jusqu’au congédiement, le message va passer.

La mobilité des policiers, un modèle dépassé

Concernant la recommandation du comité parlementaire de retirer la GRC des communautés autochtones, le commissaire Duheme n’est pas prêt à acquiescer. Mais là encore, il croit que le modèle de l’organisation, qui est basé sur la mobilité de ses membres, est dépassé. Pour améliorer la prestation de service et le travail de proximité, il pense que la solution est ailleurs.

Je crois sincèrement qu’on doit représenter les communautés qu’on sert, dit le commissaire Duheme. Quand tu as des gens qui sont représentatifs de la communauté, qui comprennent la communauté et sa culture, ça rend la vie plus facile.

Si on pouvait ramener les gens dans leur province ou leur municipalité, évidemment il y aurait une meilleure compréhension et une meilleure influence sur les gens, dit-il. Mais à la GRC, les gens entrent à un endroit et partent ailleurs après quatre ans.

Il faut aller vers un modèle où la mobilité n’est pas une priorité pour que les gens viennent.

Ce nouveau modèle serait susceptible de faciliter le recrutement auprès des Premières Nations et, conséquemment, d'améliorer la prestation de services dans les communautés autochtones.

Dans un rapport interne sur les avancées de la GRC en matière de réconciliation publié en 2022 et obtenu par La Presse canadienne, l’organisation soulignait ses difficultés à recruter et à conserver des membres autochtones dans ses rangs. La représentation autochtone au sein de la police fédérale serait passée à 7 % en 2020, alors qu'elle était à 8 % en 2010.

Confiance en l’avenir

À l’instar du premier ministre Justin Trudeau, le commissaire Duheme reconnaît que le travail à faire sur les structures des institutions canadiennes est colossal pour s’assurer que les populations autochtones soient pleinement respectées.

Pour y parvenir, il faut, selon lui, reconnaître les erreurs du passé et accepter de se lancer dans un travail de longue haleine.

Il ne faut pas oublier notre passé. Des gens me demandent des fois : "T’es pas gêné d’être à la GRC?" Non, je ne le suis pas. Je trouve qu’on est une très belle organisation. Est-ce qu’on a commis des erreurs? Oui, on en a commis. Il faut apprendre de ces erreurs-là pour ne pas les répéter. Il faut travailler avec les gens et voir où on s’en va. Je crois sincèrement qu’on est sur la bonne voie avec le travail qui a été fait par rapport aux appels à la justice.

Une citation de Michael Duheme, commissaire par intérim à la GRC

Est-ce qu’on risque de cafouiller ou de s’enfarger en s’en allant dans cette voie-là [celle de la réconciliation]? Oui. Mais il faut juste s’assurer de corriger les choses, ajoute-t-il. Je suis confiant, car je sais qu’on a du bon monde qui travaille fort pour rétablir les ponts.

Avec les informations de La Presse canadienne

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Espaces autochtones

Chaque semaine, suivez l’essentiel de l’actualité autochtone au Canada.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Espaces autochtones.

Espaces autochtones

Un travail journalistique sérieux, constant et curieux est le meilleur moyen de dévoiler et expliquer des réalités que beaucoup ne soupçonnent peut-être pas. Et donc de comprendre. C'est ce que nous nous proposons de faire. Découvrir, informer, comprendre, expliquer.

— Soleïman Mellali, rédacteur en chef