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Feux de forêt : « Sans les animaux, je ne suis plus un Cri! »

Chez les Autochtones touchés par les feux de forêt au Québec, la perte des camps dans le territoire ancestral signifie bien plus que la destruction d’un chalet : c’est un pan de la culture qui est touché, voire leur identité. Ces lieux sont en effet remplis de souvenirs et servent à transmettre les savoirs de génération en génération.

Langis Chachai marche au milieu des arbres brûlés.

L'Atikamekw Langis Chachai constate l'ampleur des dégâts au camp familial où il venait régulièrement.

Photo : Gracieuseté: Pauline Chachai

Pauline Chachai, une Atikamekw d’Opitciwan, avait encore espoir lorsque la camionnette s’est approchée du camp familial où il y avait quatre chalets, une tente carrée et un tipi. Mais après 1 h 15, soit la durée du trajet entre Opitciwan et le lac Lagacé où se trouve le camp, l’ampleur des dégâts lui a sauté aux yeux. Son regard s'est aussitôt embué et les larmes ont coulé.

Quand on est arrivés, ça a été un choc. C’est plus qu’un chalet. Tous les bons souvenirs ont disparu. Ceux de mes parents, de mon conjoint.

Une citation de Pauline Chachai

Devant elle et les autres membres de la famille, tout est calciné. Il ne reste que quelques troncs brûlés, du grillage, des armatures de chaise… et des cendres fumantes sur une terre brûlée.

On a tout perdu, il n’y a plus rien. Le matériel, les photos, les souvenirs avec son mari décédé l’an dernier, mais aussi ce qu'il y a autour : les sorties pour chasser la perdrix, pour tendre des collets, pour ramasser les plantes médicinales, les baies…

Pauline Chachai se tient debout dans une pièce.

Pauline Chachai espère que son camp sera reconstruit avant les prochaines semaines culturelles, à l'automne.

Photo : Gracieuseté: Pauline Chachai

Les communautés autochtones face aux feux de forêt

Consulter le dossier complet

Feu de forêt avec fumée et flammes, près d'une rivière, le 15 mai 2023, à Hay River, aux Territoires du Nord-Ouest.

Car Pauline Chachai venait presque chaque fin de semaine dans le camp et y restait pendant les semaines culturelles. Au printemps et à l’automne, les Autochtones passent du temps en territoire pour se ressourcer et transmettre les traditions.

De l’autre côté, deux heures et demie à l’ouest d’Opitciwan, les mêmes scènes se déroulent au camp Dubé. Des cris de douleur, des pleurs, des regards qui vont d’un côté à l’autre du camp familial de la famille Dubé : un canot rouge et vert est détruit, de la tôle ondulée d’un toit est par terre et des membres de la famille cherchent quelques objets à sauver.

Le camp Dubé avant les feux :

Le camp Dubé après les feux :

Nicolas Mathias Chachai a accompagné son père, ses oncles et ses tantes pour constater lui aussi l’ampleur des pertes. Il a filmé le tout et ses vidéos ont été amplement partagées sur les réseaux sociaux.

On y voit son père, assis sur ce qu’il reste d’une chaise, regarder devant lui, sans bouger. Il a eu beaucoup de peine en observant sa tante Hélène Dubé, la tête entre les mains, pleurer son chalet et ses souvenirs.

Pour l'Atikamekw de 35 ans, c’est une partie de son enfance qui est disparue dans les flammes.

C’est comme si j’avais perdu un être cher, un sentiment de mortalité. Je n’ai jamais pensé que j’allais perdre un endroit comme cela. Même le canot de mon défunt grand-père est passé au feu. C’est comme si notre histoire était partie, raconte Nicolas Mathias Chachai.

Selon le coordonnateur des mesures d’urgence d’Opitciwan, Martin Awashish, une quinzaine de chalets ont brûlé. Un nombre appelé à augmenter, car des feux sont toujours actifs sur le territoire atikamekw, et l’interdiction d’accès en forêt est maintenue dans de nombreuses zones au Québec.

Des grilles et un sol fumant devant un lac.

La fumée est encore bien présente, le camp a été détruit il y a peu.

Photo : Gracieuseté : Pauline Chachai

Si Martin Awashish est occupé par le retour des quelque 400 personnes évacuées, ses intervenants sont déjà mobilisés auprès de ceux qui ont perdu un chalet, un camp et qui sont en état de choc.

C’est triste mais, au moins, personne n'est décédé, concède Martin Awashish. Néanmoins, c’est patrimonial, c’est le territoire. Ils ont grandi là. La plupart vont essayer de reconstruire.

Le chef du conseil des Atikamekw d’Opitciwan, Jean-Claude Mequish, a promis que le conseil allait aider ceux qui ont perdu leurs chalets.

On a des revenus autonomes, notamment avec la scierie. On va les utiliser pour aider les gens. Dans notre culture, on est intimement liés au territoire.

Une citation de Jean-Claude Mequish, chef du conseil des Atikamekw d'Opitciwan

Sans faune, je ne suis plus un Cri!

Plusieurs communautés, comme Lac-Simon, Oujé-Bougoumou et Waswanipi, ne sont pas non plus encore au stade d'évaluer les dégâts matériels sur le territoire. L’heure est au retour et à la gestion des évacués.

Mais dans la communauté crie de Waswanipi, située à 300 kilomètres au nord-est de Val-d’Or, Paul Dixon est déjà inquiet.

Des gens nous disent que leur camp a brûlé, mais ils n’ont pas pu aller voir, car nous ne sommes pas autorisés à aller sur les chemins forestiers, explique celui qui a été à la tête de l’Association des trappeurs cris de Waswanipi.

Le camp de l’homme de 65 ans semble pour l’instant sauvé des flammes. Mais qui sait, note-t-il, la saison des incendies n’est pas terminée. Hier, un autre feu s’est déclaré.

Alors, il surveille de près la situation près du lac Venteux où se trouve son camp, avec une dizaine d’autres.

Vous savez où est ma première maison?, demande-t-il.

La réponse est simple. Chez les Cris, mon adresse principale, ma première maison est mon camp, car mes ancêtres y sont enterrés, mon père y est né, il a rencontré ma mère. Ma résidence secondaire est dans la communauté, répond-il.

Le peu qu’il a, il l’a mis dans la construction de ces cabanes afin d’être proches de [ses] terres ancestrales et pour pratiquer la chasse de subsistance. Nous reconstruirons à partir des cendres, lance Paul Dixon. Nous reviendrons à la maison, car nous n’avons nulle part où aller!

Cependant, le feu aura emporté la flore, et probablement la faune. Et cela rend mal Paul Dixon.

S’il n’y a plus d’animaux, alors je ne suis plus un Cri.

Une citation de Paul Dixon, Cri de Waswanipi

Paul Dixon parle des orignaux, des perdrix, des ours…

Un joyau innu détruit

Chez les Innus de Uashat mak Mani-utenam sur la Côte-Nord, il est possible que quelques camps soient passés au feu.

Mais il faut confirmer, nous n’avons pas encore eu l’occasion de longer la rivière Nipissis, explique le directeur du Bureau de la protection des droits et du territoire du conseil de bande innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam (ITUM), André Michel.

Le gigantesque incendie au nord de Sept-Îles avait forcé notamment l’évacuation des membres de la communauté de Mani-utenam le 2 juin.

André Michel devant la rivière Moisie.

Le biologiste André Michel dit que le retour des clients met du « baume au coeur sur leur tristesse et désarroi d'avoir perdu un tel joyau ».

Photo : Radio-Canada / Daniel Fontaine

Si l’avenir des chalets est incertain, une chose est sûre, les Innus ont perdu leur joyau : la pourvoirie Moisie Nipissis qu’ITUM exploite au confluent des rivières Moisie et Nipissis.

La dizaine de bâtiments ainsi que le bâtiment principal construits en pleine forêt ne sont plus que des cendres. On a vu que la SOPFEU a tenté de quoi, mais le feu était trop intense, ils n’ont pas réussi à la sauver, explique André Michel.

Un unique camp, où se trouve le principal lieu de pêche, a été épargné et les activités ont pu reprendre. Le seul bémol : les clients doivent dormir à Sept-Îles.

Sur le côté gauche, une île avec des installations et de la verdure. Sur le côté gauche, le même endroit réduit en cendres.

La pourvoirie innue Moisie-Nipissis avant et après le passage des flammes.

Photo : Gracieuseté d'Anne Rock et d'ITUM

La Moisie Nipissis n’était pas qu’un joyau pour les Innus, la pourvoirie était aussi le symbole d’une lutte. ITUM en a fait l’acquisition en 2019. Elle représente le développement économique avec une trentaine d’Innus qui y travaillent et un accès au territoire. Environ 600 membres y ont eu accès pendant les deux ans de la pandémie.

La pourvoirie représente le sommet des avancées d’ITUM. C’était une grosse étape dans la réappropriation de la rivière Moisie, précise André Michel.

Mais il se reprend aussitôt.

C’est vraiment un désastre. Ça fait mal, mais la pourvoirie appartient encore aux Innus de Uashat mak Mani-utenam. On va faire le deuil, c’est juste du matériel. La rivière est encore là, le poisson aussi. On va reconstruire!

Une citation de André Michel, directeur du Bureau de la protection des droits et du territoire d'ITUM

Il est encouragé par les nombreux messages de soutien reçus et les réservations de séjours de pêche.

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