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Les Autochtones tirent-ils vraiment profit du développement des ressources naturelles?

Pipelines dans un paysage.

L’Institut économique de Montréal soutient que les projets pétroliers et gaziers sont bénéfiques pour les Premières Nations.

Photo : La Presse canadienne / JASON FRANSON

Une note de l’Institut économique de Montréal (IEDM) publiée la semaine dernière soutient que la réconciliation économique avec les Premières Nations passe par le développement des ressources naturelles et que ce développement est appuyé par la majorité des Autochtones. Toutefois, des experts et des chefs de communautés ont des réserves face aux conclusions de la publication.

La note économique (Nouvelle fenêtre), qui se base sur un sondage réalisé en 2021 par Environics Research, souligne que 65 % des Autochtones appuient le développement des ressources naturelles.

On mentionne également que les Autochtones qui occupent un emploi dans les secteurs gaziers et pétroliers (exploitation, exploration et transport) perçoivent un salaire annuel médian de 145 000 $.

Le développement des ressources naturelles, notamment gazier et pétrolier, offre une qualité d’emploi pour les membres des Premières Nations. [...] Ce sont aussi les meilleurs emplois accessibles [pour les Autochtones vivant dans les régions rurales ou sur les réserves].

Une citation de Gabriel Giguère, analyste à l’Institut économique de Montréal

Dans la dernière partie de la note économique, on déplore que le gouvernement fédéral ait annulé ou reporté trois projets de développement des ressources naturelles dans les dernières années, soit le projet de pipeline Northern Gateway, le projet de mine de sables bitumineux Frontier et le projet d'oléoduc Énergie Est.

Au premier plan, une plage rocailleuse et des maisons. Au fond, les montages et le port industriel de Kitimat.

Le tracé du projet de pipeline Northern Gateway projetait de transporter du pétrole de la ville de Bruderheim, en Alberta, à Kitimat, en Colombie-Britannique (photo). Le projet a finalement été rejeté par le gouvernement canadien en 2016. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Benoît Ferradini

Pour M. Giguère, c'étaient des projets porteurs pour les communautés qui auraient entraîné plusieurs milliards de dollars de retombées.

Lorsqu’on entend que ce n’est pas la majorité des Autochtones qui soutiennent ces projets, ce n’est pas la réalité, poursuit celui qui a contribué à la publication.

La réconciliation économique est un concept basé sur l’autonomie et l'autosuffisance, donc avoir des emplois rémunérés à hauteur de 145 000 $, ça contribue fortement à ça. Donc, c’est pour cette raison que le gouvernement ne devrait pas freiner de tels projets pour les membres des Premières Nations, avance l’analyste.

Une publication très critiquable

Martin Papillon, professeur au Département de science politique à l’Université de Montréal, regrette que la note n’ait pas contextualisé le sondage qui rapporte que 65 % des Autochtones sont en faveur du développement des ressources naturelles.

Quand on va voir les détails, on se rend compte que les Autochtones appuient ce type de développement lorsqu’il est fait dans le respect des règles environnementales, des normes en santé, et avec consultations et consentement préalables chez les communautés. Mais tout cela n’est pas précisé, relève celui qui se spécialise sur les questions autochtones et la gestion des ressources naturelles.

Tout en tenant à préciser que l’IEDM est un think tank prodéveloppement économique, M. Papillon regrette que la note omette de mentionner les impacts environnementaux de ces industries.

Il ne faut pas oublier que le développement économique minier, pétrolier, hydroélectrique et forestier au Canada s’est beaucoup fait sur le dos des Autochtones.

Une citation de Martin Papillon, professeur à l'Université de Montréal

Les peuples autochtones ont été les premières victimes en termes de santé, mais aussi en termes d’accès au territoire et à leur mode de vie. Ils ont eu peu de bénéfices par rapport à ce développement économique, poursuit-il.

De plus, ce ne sont pas tous les Autochtones qui travaillent dans le secteur qui sont bien payés. Ceux-ci ont très souvent des emplois en bas de l'échelle, fait-il savoir.

Pour Thierry Rodon, professeur en science politique à l'Université Laval, la note économique est très critiquable, notamment pour le cas du projet Énergie Est qui avait été appuyé par certaines communautés autochtones, mais qui ont changé d’avis rapidement quand elles ont mieux compris le projet.

Les projets énergétiques Northern Gateway et Frontier se sont aussi heurtés à l'opposition de plusieurs communautés autochtones, rappelle M. Papillon.

Manifestation.

Des personnes défilent lors d'un rassemblement organisé pour manifester leur opposition au pipeline Enbridge Northern Gateway à Vancouver, en Colombie-Britannique, le mardi 17 juin 2014.

Photo : La Presse canadienne / DARRYL DYCK

Ce n’est pas mauvais qu’il y ait ce genre de discussion, car on a tendance à croire que les Autochtones sont systématiquement contre le développement des ressources naturelles, mais ce n’est pas vrai. La plupart des sondages le montrent, dont celui de la note économique. Par contre, ce n’est pas le développement en soi qui pose problème, mais c’est la manière de le faire, tient-il à préciser.

On n'en tire presque pas de bénéfices

Pour Steeve Mathias, ancien chef de la Première Nation de Long Point, au Témiscamingue, et désormais devenu négociateur en chef, les Anishnabeg ne sont pas contre le développement des ressources naturelles, mais ce développement doit respecter les valeurs culturelles et les modes de vie traditionnels, et minimiser les impacts sur l’environnement.

Un homme en chandail rouge au bord de la rivière des Outaouais.

Steeve Mathias a été le chef de la communauté de Winneway entre 1998 et 2010, puis de 2017 à 2022, avant de devenir négociateur. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Toutefois, ce dernier ajoute que les Anishnabeg ne tirent presque pas de bénéfices de ces industries, principalement minières, qui sont installées sur le territoire. Elles exploitent les ressources sur notre territoire non cédé, c’est-à-dire qui n’a pas fait l’objet d’un traité. Donc, ces compagnies s’enrichissent, et quand on essaie de négocier avec elles pour obtenir du financement, elles nous disent de nous tourner vers le gouvernement québécois.

De plus, M. Mathias ajoute que certaines compagnies minières installées sur le territoire anishinaabe ne respectent pas toujours les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

On essaie de rendre les compagnies plus imputables, qu’elles se conforment aux critères ESG, mais on a de la difficulté à les convaincre.

Une citation de Steeve Mathias, négociateur en chef pour la communauté de Long Point

Quant à la communauté innue de Matimekush-Lac John, près de Schefferville, son chef Réal McKenzie n'ose pas aller jusqu'à dire que la communauté s'est enrichie depuis que la minière Tata Steel s'est installée sur le territoire ancestral des Innus et des Naskapis, il y a 12 ans.

Il préfère plutôt affirmer que cela les a aidés, notamment grâce aux redevances qui ont permis de bâtir de nouvelles maisons, paver des routes, soutenir financièrement les étudiants qui partent à l’extérieur, en plus d'être un gagne-pain pour 20 % des gens de la communauté.

Réal Mckenzie en gros plan.

Le chef de Matimekush-Lac John, Réal Mckenzie. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / LAURENCE ROYER

Il n’y a aucune communauté qui s’enrichit avec ces ententes-là, mais ça nous donne des revenus. Avant ça, on n’avait rien, donc ça permet de nous développer, ajoute-t-il.

Mais le chef l'assure : il n’y aura pas d'autre compagnie minière. On veut protéger ce qu’il reste de notre territoire. L’argent c’est une chose, mais maintenant, c’est une question d’environnement, lâche-t-il, catégorique.

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