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Protection de l’enfance autochtone : ne pas avancer les yeux fermés

Malgré la décision du plus haut tribunal du pays le 9 février, la suite des choses ne sera pas simple pour les Premières Nations qui choisiront de développer leur propre loi de protection de la jeunesse.

Boîte de jouets avec des blocs et un ourson en peluche.

Des Premières Nations qui choisiront de développer leur propre loi de protection de la jeunesse au Québec ont certaines appréhensions, car elles devront quand même travailler dans une certaine mesure avec le gouvernement provincial, qui menait la contestation de C-92 devant les tribunaux.

Photo : Getty Images / Mindstyle

La poussière retombe, quelque temps après que la Cour suprême du Canada eut débouté Québec dans sa contestation de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Les différentes organisations autochtones avancent à différents rythmes, mais il reste beaucoup de travail à faire et l'incertitude demeure dans les relations avec Québec.

Ça va prendre plusieurs générations avant que tout soit atténué, mais il faut commencer quelque part, explique la directrice générale de Mino Obigiwasin, Peggie Jérôme. Il s'agit d'un service à l’enfance et à la famille fondé il y a quatre ans qui regroupe quatre communautés anishinabeg de l'Abitibi : Lac-Simon, Kitcisakik, Winneway et Abitibiwinni.

Selon Ottawa, au Canada en 2021, 53,8 % des enfants en famille d'accueil étaient autochtones, bien que les enfants autochtones ne représentaient que 7,7 % de la population d'enfants au pays. La loi, adoptée aux Communes en 2019, vise à renverser la vapeur.

Malgré la contestation de Québec, près d'une vingtaine de communautés ont entamé un processus afin de se doter de leur propre loi en matière de protection de la jeunesse. La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis est entrée en vigueur en janvier 2020.

Le défi est de taille, car les communautés devront non seulement s'occuper de la rédaction de leur loi, mais aussi de la formation d'intervenants, des financements et de la prestation des services.

La protection de l'enfance chez les Autochtones

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Une maman tenant son bébé dans ses bras.Ils sont assis de dos.

Chaque paragraphe compte

Certaines décident d'y aller seules, d'autres se regroupent. C'est le cas, notamment, des quatre Premières Nations de Mino Obigiwasin qui ont entamé le processus en 2021. Selon Peggie Jérôme, se mettre ensemble pour la prestation de services à l'enfance et à la famille allait de soi.

Peggie Jérôme, directrice générale de l'organisation Mino Obigiwasin, pose devant des tableaux.

Peggie Jérôme, directrice générale de l'organisation Mino Obigiwasin

Photo : Gracieuseté Peggie Jérôme

Le monde est petit chez nous, tout le monde se connaît, on a des liens d'appartenance et même familiaux. Dans le temps, l'été, on se regroupait les quatre communautés ensemble, précise Peggie Jérôme.

Alors chaque paragraphe de cette loi qu'ils rédigent et qu'ils veulent très anishinaabe est réfléchi, de même que les différentes instances. C'est quelque chose de beau qui s'en vient.

On a vraiment un espoir qu’on va avoir notre propre gouvernement en matière de services aux enfants et à la famille. Je suis sûre à 100 % que ça va fonctionner, et que les gens vont y adhérer, au lieu de se faire imposer un système.

Une citation de Peggie Jérôme, directrice générale de Mino Obigiwasin

À Mashteuiatsh, communauté innue située près de Roberval, au Lac-Saint-Jean, les travaux de la Commission législative sur la protection de la jeunesse battent leur plein depuis l'automne.

Selon sa présidente, Carina Dominique, il est fondamental d'inclure la population dans l'écriture de la future loi. Même si cette approche présente plusieurs défis.

Il n'y a pratiquement personne dans la communauté qui n'a pas été touché de près ou de loin par la protection de la jeunesse. Ça a fait des ravages ici, ce qui rend souvent le dialogue plus difficile avec les gens qui ont des blessures. Mais on doit avoir leurs avis, leurs expériences pour réaliser une loi qui prend en compte tous nos besoins, explique-t-elle.

Portrait de Carina Dominique.

La présidente de la Commission législative sur la loi de la protection de la jeunesse de Mashteuiatsh, Carina Dominique, est consciente des défis à venir. Elle estime que le travail avance, cependant, et que la vision est claire.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Depuis quelques mois, des cercles de partage et des rencontres publiques et communautaires ont été organisés. Les membres de la Commission ont également proposé à certaines personnes d'aller les rencontrer directement, pour qu'elles puissent se confier en privé.

Et même lorsque la rédaction de la loi sera terminée, en 2025, selon les plans actuels, le texte sera soumis à un référendum auprès des Pekuakamiulnuatsh (les Ilnus de Mashteuiatsh).

On n'est pas pressés, on veut s'assurer d'avoir une loi adéquate. Pour ce genre de projets, la mobilisation est essentielle, on ne pourra pas avancer sans l'appui de la population, explique-t-elle.

Elle explique qu'il s'agira d'un exercice d'autant plus important puisque la communauté souhaite s'engager de plus en plus sur la voie de l'autodétermination et de l'autonomie gouvernementale.

On doit travailler avec presque tous les secteurs, puisqu'ils seront mis à contribution lorsque la loi sera mise en application. On parle des services de sécurité publique, de santé et d'éducation et d'autres. C'est un gros défi, mais ça pourrait mettre la table pour d'autres projets, explique-t-elle.

À la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL), le mot d'ordre est le soutien des communautés, peu importe les processus choisis.

Notre mandat n'est pas politique, mais on accompagne les communautés dans la prestation des services et, depuis C-92, dans la rédaction de leur loi, au besoin. On encourage la prise en charge de la protection de la jeunesse par les communautés, mais on respectera le rythme de chacune, explique Marjolaine Siouï, directrice générale de la CSSSPNQL.

Marjolaine Sioui en entrevue à Radio-Canada.

Marjolaine Siouï, Directrice générale, Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador

Photo : Radio-Canada

Consciente des capacités variables dans les communautés, tant sur le plan financier qu'administratif, elle indique que des outils sont actuellement en voie de conception pour faciliter le processus.

On est en train de bâtir une trousse d'outils qui sera disponible au printemps pour la rédaction des lois [...] Un modèle de loi générique où l'on dit aux communautés : "voici tout ce que vous pourriez mettre dedans". Un peu comme un menu où l'on peut choisir les différents ingrédients.

Une citation de Marjolaine Siouï, directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador

Malgré toute la bonne volonté, et l'expérience de plus en plus grande des Premières Nations en matière de prestations de services sociaux, la tâche demeure immense, et il n'est pas exclu que plusieurs communautés choisissent de rester sous le régime de la protection de la jeunesse du Québec.

L'importance des ententes avec Québec

Bien que la décision du 9 février ait rejeté sans équivoque les doléances du gouvernement du Québec, il y a néanmoins une relation à bâtir entre l'administration provinciale et les communautés dans ce dossier. Pour prendre en compte les contextes des différentes provinces, l'esprit de C-92 vise la création d'ententes tripartites entre les gouvernements autochtones, provinciaux et fédéraux.

Il s'agit pour les organisations autochtones de l'approche à privilégier, mais ils demeurent sceptiques quant à l'ouverture actuelle de Québec en la matière.

Selon Marjolaine Siouï, il n'y a pas eu de dialogue avec Québec depuis la décision du 9 février. Ce qui ne la surprend pas, elle qui ressent une certaine complaisance de la part de la province à reconnaître la capacité des Premières Nations à se gouverner, notamment en matière de services sociaux.

Dans une réponse écrite envoyée à Espaces autochtones, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a répondu qu'il s'affairait à analyser présentement, avec le ministère de la Justice du Québec, les prochaines étapes pour l’application de la Loi C-92 à la suite du jugement de la Cour Suprême. Cela inclut les accords tripartites prévus dans cette Loi.

Les signaux perçus par les différents acteurs contactés laissent entendre que les différends avec Québec sur la question ne sont pas terminés. Pour Marjolaine Siouï, la situation est d'autant plus déplorable que ce sont les enfants des Premières Nations qui en paient le prix.

Elle juge que Québec n'a pas de leçon à donner en matière de protection de la jeunesse, et qu'il est impératif que le gouvernement change d'approche et s'engage dans la collaboration.

Et elle n'est pas la seule à espérer un changement d'attitude de la part de la province. La grande cheffe des Mohawks de Kahnawake, Kahsennenhawe Sky-Deer, s'est aussi dite fatiguée d'être en conflit avec Québec.

J'aimerais que nous ayons une meilleure relation, basée sur nos principes. Nous devons cohabiter et partager ce territoire et leurs lois ne devraient pas avoir prépondérance sur les nôtres. Vendredi [le 9 février] était une grosse victoire, mais je reste un peu sceptique par rapport à Québec, explique la grande cheffe.

Kahsennenhawe Sky-Deer assise sur un divan. Une tête de caribou est accrochée au mur au-dessus d'elle.

La grande cheffe Kahsennenhawe Sky-Deer estime que les relations avec le gouvernement du Québec doivent passer à une autre étape.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

De son côté, Mino Obigiwasin appuie sur l'accélérateur. Dès l'automne, l'organisation déposera une entente de coordination auprès de Québec pour que leurs rapports soient clairs au moment d'adopter leur loi de protection de la jeunesse. La balle sera donc dans le camp de la province.

Ça va être important de savoir qui fait quoi et dans quelles situations on devra collaborer, explique Peggie Jérôme. Avec ou sans accord tripartite, Mino Obigiwasin prévoit adopter sa loi en 2026.

On a intérêt à être prêt, à avoir formé les intervenants, les travailleurs, les gens qui vont prendre les décisions et arrimer les services pour aider les parents. On devra avoir les financements. C'est beaucoup de travail qui s’en vient!

Une citation de Peggie Jérôme, directrice générale de Mino Obigiwasin

Alors, si Québec y met de la bonne volonté, ça facilitera les choses, lance-t-elle. C'est notre territoire, et si le gouvernement du Québec n'embarque pas, c'est incohérent. S'il ne réagit pas à notre demande de coordination, ce sera comme nous cracher au visage, faire encore comme si on était invisibles sur notre territoire.

S'occuper des jeunes hors des communautés

Une autre grande inconnue reste la question des enfants hors communauté.

Bien que les communautés contactées souhaitent toutes avoir la responsabilité de ces dossiers, elles admettent que la réalité ajoute une couche de complexité. Présentement, plus de la moitié des membres des Premières Nations du Québec résident à l'extérieur de leur communauté.

Il faudrait être ingénieux, avoir des ententes de collaboration, c'est sûr. Par exemple, on ne pourrait peut-être pas se rendre à Montréal toutes les semaines, mais on pourrait peut-être s'entendre avec les Mohawks ou avec le Regroupement des centres d'amitiés autochtones pour que nos membres puissent avoir des services, explique Peggie Jérôme.

La seule communauté qui applique sa propre loi, Opitciwan, n'a pas eu non plus de nouvelles de Québec. Elle va demander une rencontre avec le gouvernement Legault notamment pour discuter des enfants hors communauté. À ce sujet, des démarches judiciaires ont été lancées.

Le chef Jean-Claude Mequish rappelle les problèmes rencontrés par les enfants placés hors communauté qui perdent leur langue, leur culture et ont de la misère à s'adapter dans la communauté une fois que le placement à la majorité est fini.

Si Québec s'assoit à la table, ce serait plus facile, dit-il, mais il s'attend à ce que le gouvernement mette encore des bâtons dans les roues.

On est dans un mode de transition ou les choses vont encore se placer, rappelle Marjolaine Siouï. Chacun à son rythme, chacun selon ses moyens. Il peut y avoir une certaine complexité, mais en même temps, c'est la beauté de la chose que d'avoir cette souplesse de venir changer [l'avenir des enfants], avec une approche plus personnalisée.

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— Soleïman Mellali, rédacteur en chef