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Politique autochtone : « semer une graine pour une forêt de bienveillance »

Suzanne Charland, Nadia Robertson et Monik Kistabish sont accoudées à un bar et regardent la caméra.

Suzanne Charland, Nadia Robertson et Monik Kistabish ont lancé le projet de bienveillance latérale Mamu-Mawiomi-ma8osak.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Trois femmes élues ou ex-élues autochtones ont décidé de lancer un projet de bienveillance latérale afin de contrer la violence latérale qui mine les communautés, impacte les familles et empêche la relève politique.

L’élue de Gespeg Nadia Robertson est formelle. Si elle n’avait pas rencontré Suzanne Charland, vice-cheffe de Pessamit, et Monik Kistabish, alors cheffe d’Abitibiwinni, elle aurait démissionné.

La violence latérale nous a réunies. Et c’est plutôt notre vulnérabilité, notre désir de bienveillance et de changer les choses qui fait qu’on est encore là.

Une citation de Nadia Robertson, conseillère de la Première Nation Gespeg

À la base, les trois femmes se connaissaient peu, mais lors d’un programme qu’elles ont suivi en même temps à l’École des dirigeants des Premières Nations (EDPN), elles ont connecté et se sont rendu compte qu’elles vivaient les mêmes réalités.

Notamment qu’en politique on n’a pas le droit ou moins le droit de montrer sa vulnérabilité, indique Nadia Robertson. Encore moins quand on est une femme, précise Monik Kistabish.

Comme pour les élus dans le monde municipal, ceux et celles dans le monde autochtone sont harcelés, menacés verbalement, parfois physiquement, etc. Une violence latérale que ces trois femmes ont décidé de combattre de front avec le projet Mamu-Mawiomi-ma8osak, qui veut dire ensemble en innu-aimun, en anicinapemowin et en mi’kmaw, respectivement.

Selon l’Institut national de santé publique du Québec (Nouvelle fenêtre), la violence latérale est décrite comme une forme de violence relationnelle dirigée vers un membre d'un groupe par d'autres membres d'un même groupe. Cette forme de violence paraît facilitée dans les communautés opprimées. Agissant sous l'effet de la colère, de la frustration ou d'un sentiment d'impuissance, des individus peuvent retourner leur colère les uns contre les autres et, en ce sens, intérioriser et reproduire la violence qu'ils ont subie. Au Canada, les pensionnats ont été identifiés comme la cause principale de la violence latérale vécue par les populations autochtones.

La bienveillance latérale, c’est l’inverse de la violence latérale, c’est d’être bienveillant les uns envers les autres, lance Nadia Robertson, dans l’Hôtel-Musée Premières Nations où les trois femmes sont réunies. Leur connexion est évidente et chacune rappelle le pouvoir des mots.

Nommer le bobo

En premier, il faut nommer ce bobo. Car les gens ont besoin d’être écoutés, rassurés. Quand elles ont présenté au Conseil des femmes élues leur projet, cela a ouvert la porte. Les témoignages se sont succédé. C’était touchant de voir autant de femmes vivre ça. Des fois, tu le vis, tu te sens toute seule. Tu te demandes comment tu vas régler cela, t’en sortir, raconte Suzanne Charland.

Suzanne Charland regarde la caméra habillée avec une veste noire et blanche.

L'Innue de Pessamit Suzanne Charland, 37 ans, rappelle la force d'être ensemble pour réussir ce projet qu'elle considère magnifique.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Mais là, tu vois que tu n’es pas toute seule. Ça nous ramène ensemble, à Mamu, le nom du projet. Des fois, on est dans une brume totale, on vit de la violence latérale et d’avoir un petit coup de vent, un rayon de soleil qui nous dit que ça va aller, c’est ce qui nous a aidées, témoigne l’élue de Pessamit, en poste depuis 2018.

Si on peut aider les autres communautés, si on peut semer la graine, après, on aura une forêt qui va être bienveillante.

Une citation de Suzanne Charland, vice-cheffe de Pessamit

Tout le monde, tout le monde est affecté par ça, assure Monik Kistabish. Il faut s’élever, s’élever entre nous, s’élever dans nos mots, dans nos paroles.

La violence latérale se présente sous de multiples formes et n’aide ni la communauté ni les élus.

Tu es la propriété de ta communauté 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, lance Nadia Robertson. Scrutés à la loupe, les élus doivent faire attention à leurs moindres faits et gestes. Tu dois être irréprochable, renchérit Monik Kistabish.

Difficile de mettre des limites. La proximité dans les communautés rend les personnes élues encore plus accessibles. Insultes, violences verbales, parfois même menaces de mort… Se balader, sortir ses poubelles ou aller faire ses courses, des petits gestes quotidiens peuvent tourner à la longue conversation, à l’altercation, à la réflexion désobligeante, voire pire.

Sans compter la violence numérique, un fléau qui peut détruire une réputation, la vie d’une personne, d’une famille par la médisance. Les fake news, ça va tellement vite détruire les gens, s’insurge Nadia Robertson.

Deux mains qui se tiennent et une femme en arrière.

Parler, sensibiliser et s'unir pour ne plus être seules. C'est pour cela que ces trois femmes se sont lancées dans ce projet commun.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Elles savaient pourtant dans quoi elles s’embarquaient avant d’entrer en politique. Plusieurs avaient des proches dans les conseils ou ont été témoins de violence. On m’avait dit qu’il faut avoir les reins solides et ne pas se décourager. C’est dur, mais j’adore, précise Suzanne Charland.

Elles sont conscientes que, bien souvent, les personnes sont animées par une souffrance personnelle et un manque d’éducation politique. Les membres de nos communautés n’ont pas conscience du travail politique qu’on fait. Tous les jours, il faut débattre pour prouver un point, et chaque jour, c’est un combat contre un gouvernement, une politique. Les gens n’en sont pas conscients. Ils veulent juste savoir pourquoi on n’a pas gratté la rue.

Tu gères la souffrance au lieu de combattre les gouvernements.

Une citation de Monik Kistabish, ex-cheffe d’Abitibiwinni.

Guerre de clans et jackpot

La violence latérale peut aussi être établie depuis des générations avec des conflits de famille qui se répercutent. Nadia Robertson en sait quelque chose. Elle reconnaît y avoir participé, raison pour laquelle elle sait que c’est possible de changer.

Elle indique avoir suivi un mouvement, une forme d’allégeance à son entourage contre une personne sans rien savoir, sans la connaître. Elle ne l’aimait pas. Un jour, elles se sont assises et ont discuté. Maintenant, cette personne est devenue une personne qu’elle admire, qui lui a ouvert des portes, sa mentore.

On se parle quasi tous les jours, alors qu’on s’est détestées si longtemps. Je me demande encore comment j’ai passé autant de temps loin d’elle. On a tellement à s’apporter, confie-t-elle. C’est ce que je veux partager, apporter un vent de changement, se tendre la main, sinon on frappe un mur.

Nadia Robertson regarde la caméra avec un sourire. Elle porte des boucles d'oreille en forme de raquettes traditionnelles aux oreilles.

Nadia Robertson est élue au Conseil de la Nation Micmac de Gespeg depuis 2019.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Ce n’est pas anodin que le projet Mamu-Mawiomi-ma8osak découle de trois femmes.

Être une femme élue autochtone, c’est le jackpot en termes de difficultés, affirment-elles. Il faut affronter le regard des autres qui ne vous voient pas réussir, les compétences sont remises en question. Il faut toujours prouver et la violence peut être de ne pas avoir la confiance de ton conseil ou de ta communauté de porter des dossiers, alors que tu as les compétences, explique Nadia Robertson.

Grâce à une lettre ouverte de Fanny Wylde publiée en 2017 sur Espaces autochtones, la Mi’kmaw a découvert que ce qu’elle vivait, ce qu’elle pensait qui n’était que juste ça, la communauté, les affaires de clans, des familles… était en fait de la violence latérale. Une violence banalisée? Normalisée, répondent en chœur les trois femmes en se regardant.

La violence latérale, ce n'est pas nous, ça ne vient pas de nous, c'est un résultat du colonialisme qui nous a tant dévastés. L'oppresseur nous a tant fait de mal que nous sommes devenus l'oppresseur à notre tour, contre les nôtres, nos propres peuples.

Une citation de Extrait de la lettre ouverte de Fanny Wylde de 2017.

Il faut aussi ne pas trop s’élever, rester à sa place en tant que femme autochtone. Au début, avoue Suzanne Charland, j’avais tendance à me taire. Maintenant, elle veut briser des barrières, ce qu’elle fait avec ce projet.

Afin de se concentrer sur sa mission d’élue, Nadia Robertson affirme avoir fait un cheminement et mis fin à ce cycle. Quand il y a un événement de violence, elle est attristée, mais n'est plus en colère.

C’est de briser ce cycle en disant malgré tout ce que la personne m’a fait ou dit, malgré les blessures, j’ai un devoir. Je le fais. Je suis là pour la collectivité, souligne Nadia Robertson.

T’es un produit de ton environnement, mais si tu n'es pas trop consciente de cela, tu perpétues cela, lance Monik Kistabish. Il faut revenir à la bienveillance.

Monik Kistabish sourit. Sur son bras, une main posée.

L'ancienne cheffe Monik Kistabish résume la violence latérale ainsi : « Ce qu'on fait subir, on l'a subi et vice-versa ». Il faut donc en prendre conscience et ne pas le perpétuer.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Elles parlent pour briser le cycle, mais aussi pour attirer la relève en politique. Selon elles, beaucoup de jeunes veulent sauter le pas, mais ils n’osent pas, par peur des conséquences d’être élu. Car cette violence latérale dissuade énormément. Elle empêche aussi les gens de s’impliquer dans leur communauté.

En résumé, cela empêche la communauté de s’épanouir, de suivre les projets politiques. Ça désengage les jeunes (la relève) et la population.

#bienveillancelatérale

En juin dernier, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador a adopté le principe de Bienveillance latérale et son plan d’action. Cela comprend, quand les financements seront trouvés, la mise en œuvre d’un Bureau de l’autodétermination où se trouverait un bureau d’éthique avec un espace sécuritaire pour ventiler et des outils pour les élus : soutien moral, juridique, psychologique.

En attendant, preuve du besoin d’en parler, Suzanne Charland, Nadia Robertson et Monik Kistabish sont de plus en plus invitées à venir sensibiliser, à discuter de bienveillance latérale dans les communautés et les organisations, des conversations douloureuses, mais nécessaires.

Et pour commencer, elles suggèrent une solution simple. Pour répondre à la violence numérique, peu importe contre qui, élu ou citoyen, elles proposent de répondre par un simple mot-clic : #bienveillancelatérale. Pour fermer le discours. Car si on continue, on s’abaisse au même titre. Or, on veut s’élever. Là, on dit : "soyons bienveillants". Qu’est-ce que tu veux rajouter à cela? Rien!

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