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Un organisme autochtone accusé « d’élitisme » et de licenciements abusifs

L’Association des femmes autochtones du Canada a récemment licencié 78 employés, soit la moitié de son personnel. Plusieurs s’inquiètent de la manière dont elle gère ses fonds, après l’annonce d’un projet de construction d’hôtel de charme.

Lynne Groulx pose devant l'objectif.

Lynne Groulx est la PDG de l'Association des femmes autochtones du Canada. (Photo d'archives)

Photo : AFAC

Radio-Canada

L’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), dont le mandat est l’amélioration du bien-être des femmes autochtones, est accusée d'avoir voulu démanteler le syndicat en licenciant des dizaines d'employés.

Ce sont au total 78 employés, soit la moitié de son personnel, qui ont été remerciés.

L'AFAC a confirmé que les licenciements récents concernaient 33 employés permanents et 45 personnes dont les contrats ne seront pas renouvelés.

Après que CBC News s'est renseignée sur les licenciements, l'AFAC a publié un communiqué de presse indiquant qu'elle était obligée de réduire ses effectifs en raison de la fin d'un programme national d'apprentissage et d'autres projets financés par le gouvernement.

Emploi et Développement social Canada, qui a financé le programme d'apprentissage, a déclaré à CBC News qu'il ne mettait pas fin au projet, mais qu'il avait toujours été prévu qu'il se termine le 31 mars.

Un programme sous la loupe

Au cours des deux dernières années, Emploi et Développement social Canada a versé 54 millions de dollars à l'AFAC pour créer un minimum de 4000 stages pour les femmes autochtones dans les métiers spécialisés. Cela fait partie de ce programme national d'apprentissage.

CBC News a appris que l'AFAC a mis en place un total de 28 stages, ce qui représente moins de 1 % du minimum prévu.

Neuf apprenties ont été licenciées et 19 occupent toujours leur poste.

C'est choquant et consternant, insiste Pamela Palmater, titulaire de la chaire de gouvernance autochtone à l'Université métropolitaine de Toronto.

L'association était censée créer 4000 stages et il en reste moins de 20 : c'est un échec cuisant, poursuit-elle.

La PDG de l'organisme, Lynne Groulx, a déclaré dans un communiqué que le programme d'apprentissage présentait de nombreux défis, notamment des métiers qui n'intéressaient pas beaucoup les femmes autochtones.

Pour qu'un programme comme celui-ci réussisse, il doit être mis en œuvre sur une période beaucoup plus longue, se défend-elle.

Dans une plainte déposée devant la Commission des relations de travail de l'Ontario, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) allègue que l'AFAC a utilisé la fin du programme d'apprentissage pour éliminer le personnel impliqué dans la syndicalisation.

Elle allègue que l'AFAC a congédié un certain nombre d'organisateurs internes et de partisans du syndicat, y compris ceux qui travaillaient à des projets entièrement financés par le gouvernement fédéral pour plusieurs années encore.

Un bâtiment vitré et de pierres grises avec le logo de l'association.

Les nouveaux locaux de l'AFAC sont situés dans une ancienne banque. (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté de l'AFAC

Les licenciements massifs planifiés par l'employeur sont une tactique opportuniste, affirme la plainte.

La Commission du travail du Québec a reçu trois plaintes similaires, ainsi qu'une demande d'accréditation syndicale, qui a également été déposée en Ontario.

La plainte de l'Ontario indique que les avis de licenciement ont commencé en février, un mois après que les employés ont lancé une campagne syndicale.

Elle allègue également que l'AFAC s'est opposée à la demande de l'AFPC de créer une unité de négociation parce que tous les employés qui feraient partie de l'unité, sauf un, ont reçu un avis de mise à pied. L'AFPC a décliné la demande d'entrevue de CBC.

Si ces allégations sont vraies, il s'agit d'un cas classique de démantèlement de syndicat, dit l'avocate mi'kmaw Pamela Palmater.

Pamela Palmater.

L'avocate mi'kmaw Pamela Palmater estime que, si ces faits sont avérés, ils sont très graves. (Photo d'archives)

Photo : James Andrew Kachan / Avec la permission de Pamela Palmater

L'AFAC nie ces allégations.

Dans une déclaration à CBC News, l'organisation a déclaré qu'elle respectait le droit du personnel de se syndiquer et qu'elle répondrait aux plaintes.

Actes de sabotage

CBC News s'est entretenue avec plus d'une douzaine d'employés actuels et anciens de l'AFAC qui ont déclaré vouloir se syndiquer en raison du taux élevé de rotation du personnel et de la crainte de représailles de la part de la direction.

Avoir un syndicat ajouterait une couche de protection pour le personnel afin qu'il puisse exprimer ses préoccupations sans craindre d'être licencié, plaide un témoin qui a voulu rester anonyme par peur de représailles.

Depuis le début des licenciements, CBC News a appris que l'AFAC a récemment suspendu un nombre non divulgué d'employés avec salaire pour une enquête concernant des actes de sabotage.

L’organisation n'a pas précisé ce qu'elle entendait par actes de sabotage, mais a confirmé qu'elle avait nommé un enquêteur indépendant pour se pencher sur la question.

Des femmes frappent sur un tambour et chantent lors d'un rassemblement.

L'AFAC défend les droits des femmes autochtones. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / SvetlanaSF

L'AFAC a déclaré que ses revenus projetés chutent de 39 millions de dollars – de 49 millions de dollars en 2023 à 10 millions de dollars cette année – parce qu'elle perd 24 projets.

Lynne Groulx, directrice générale de l'association, a décliné la demande d'entrevue de CBC.

Bien que nous comprenions la frustration des employés et leur droit de se plaindre, il est regrettable que leur frustration ne soit pas dirigée vers le gouvernement du Canada, explique Mme Groulx dans un communiqué transmis à CBC News.

Certains ont décidé de se venger en diffusant des informations erronées pour ternir la réputation de l'AFAC, ajoute-t-elle.

L’organisme estime que ces licenciements sont la cause directe d’une baisse de financement de la part du gouvernement fédéral.

Dépenses inadmissibles

Le conflit de travail survient alors que l’organisme aurait dépensé des sommes qui n’auraient pas été approuvées.

Une enquête est actuellement menée par le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord (RCAANC) et le ministère des Services aux Autochtones.

Ces informations se trouvent dans des notes de service internes de l'AFAC datant de septembre 2023 et obtenues par CBC News.

Une dizaine de femmes arborent des vêtements de couleur rouge et lèvent le poing droit.

Le conflit de travail survient alors que l’organisme aurait dépensé des sommes qui n’auraient pas été approuvées. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Noémie Moukanda

Les notes ne précisent pas quelles sont les dépenses présumées inadmissibles, mais les documents indiquent que l'audit s'est concentré sur 36 des 50 projets financés par le ministère fédéral, ce que l'AFAC a qualifié de lourd.

Habituellement, le nombre d'audits est de deux ou trois par an, indique l'un des mémos.

Les documents montrent que le ministère fédéral a menacé de geler le financement de base de l'association.

De son côté, l'AFAC a déclaré que les résultats préliminaires de l'audit contenaient des erreurs, ce qui pourrait conduire à des informations erronées, et a demandé des éclaircissements.

L'expression dépenses inadmissibles n'est pas définie dans les accords, ce qui prête à confusion, selon l'AFAC.

Le ministère a déclaré à CBC News que l'audit fédéral a été déclenché en raison de la valeur de l'accord de financement de l'AFAC et du temps écoulé depuis son dernier audit, qui était d'environ 10 ans.

Le ministère fédéral a également affirmé que l'audit se concentrait sur l'utilisation par l'AFAC des fonds fédéraux au cours des exercices 2019-2020 et 2020-2021, dont les états financiers vérifiés de l'AFAC montrent qu'ils s'élevaient à 13,5 millions de dollars et à 13,2 millions de dollars.

L'AFAC a confirmé qu'elle recevait des fonds de divers ministères fédéraux, de gouvernements provinciaux et du secteur privé.

Le RCAANC fournit à l'AFAC un million de dollars en financement de fonctionnement chaque année, et ce, jusqu'en 2027-28. Le ministère est également en pourparlers pour renouveler un accord de financement qui a fourni 14,7 millions de dollars à l'organisation depuis 2018.

Mme Groulx a déclaré que l'AFAC avait fourni toutes les informations nécessaires pour prouver que ses dépenses étaient admissibles et qu'elle était en train de donner des détails supplémentaires pour compléter l'audit.

Un hôtel, une galerie d'art et un centre de congrès en vue

Alors que l'AFAC fait l'objet d'une surveillance financière de la part d'Ottawa, Mme Groulx a déclaré qu'elle développait des sources de revenus supplémentaires afin de réduire sa dépendance au financement fédéral.

Elle exploite déjà un café et un magasin d'artisanat à son siège social de Gatineau, au Québec. CBC News a appris que l'AFAC cherche désormais à ouvrir un hôtel-boutique et un centre de congrès à proximité.

Une boutique d'objets autochtones au style épuré.

L'Association des femmes autochtones du Canada possède déjà une boutique. (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté de l'AFAC

L'AFAC a reçu 100 000 dollars de Services aux Autochtones Canada pour embaucher un cabinet d'experts-conseils afin de mener une étude de faisabilité sur le projet.

Les plans examinés par CBC News montrent que l'hôtel comprendrait une galerie d'art, une salle d'exposition et un centre de congrès.

Selon Mme Groulx, ce gros projet vise à générer des revenus qui seraient ensuite investis.

Mais plus d'une douzaine d'employés actuels et anciens qui ont parlé à CBC News ont exprimé des inquiétudes quant à la nouvelle orientation de l'organisme à but non lucratif, en particulier lorsque des licenciements ont lieu.

C'est honnêtement une gifle, déclare l'un d'entre eux, dont CBC News a accepté de protéger l'identité par crainte de représailles de la part de l'organisation.

Cela ne correspond absolument pas à la mission de l'AFAC.

Une citation de Une source confidentielle

Sur son site web, l'AFAC déclare que sa mission est de défendre et inspirer les femmes autochtones, les filles, les personnes bispirituelles, transgenres et de genre différent, ainsi que les familles de nombreuses nations autochtones.

Crystal Semaganis, ancienne employée de l'AFAC, a déclaré que l'organisation à but non lucratif avait besoin d'une refonte en profondeur.

Cette femme, originaire de la Première Nation Little Pine en Saskatchewan, a été embauchée en tant que gardienne du savoir en 2021. Elle a démissionné en 2023.

L'AFAC est devenue un modèle élitiste qui est déconnecté des femmes autochtones.

Ces ressources sont dépensées pour quelque chose d'élitaire que des gens comme moi n'utiliseront jamais, ajoute-t-elle.

Selon Mme Semaganis, l'AFAC doit repenser la manière dont elle dépense son argent et les personnes qu'elle sert.

Je ne comprends pas comment ils peuvent justifier cela auprès de notre peuple, de nos chefs, de nos sans-abri.

Une citation de Crystal Semaganis, ancienne employée

L'AFAC possède également deux propriétés, l'une à Gagetown, au Nouveau-Brunswick, l'autre à Chelsea, au Québec, juste au nord d'Ottawa, pour des retraites de guérison.

L'organisation soutient que les pavillons sont financés par les gouvernements fédéral et provincial et par le secteur privé.

Deux femmes marchent vers une grande demeure.

L'Association des femmes autochtones du Canada a récemment ouvert un pavillon de résilience à Gagetown, au Nouveau-Brunswick.

Photo : Gracieuseté : Association des femmes autochtones du Canada

Le pavillon de Gagetown se trouve sur une propriété de 6,5 hectares qui, selon l'AFAC, est utilisée pour des activités agricoles. Le pavillon de Chelsea, d'une valeur de 1,3 million de dollars, comprend une piscine intérieure, un sauna et un bain à remous.

Les employés actuels et anciens qui ont parlé à CBC News ont scruté les pavillons à la loupe.

Les seules personnes qui étaient autorisées à entrer dans les pavillons de résilience étaient celles qui avaient un statut, par exemple les députés ou les PDG, et les quelques femmes autochtones qui avaient des liens avec l'AFAC, dit un deuxième témoin, dont CBC News a accepté de protéger l'identité parce qu'il craint également des représailles.

Il n'y avait aucun moyen pour les victimes de violence ou celles qui fuyaient des situations dangereuses de faire une demande officielle, ajoute cette personne.

Au cours de l'année écoulée, des documents internes montrent que ces pavillons ont accueilli 26 événements en personne et 47 en ligne. Il y a également eu 24 nuitées individuelles.

L'AFAC a déclaré à CBC News qu'elle souhaitait pouvoir répondre à la forte demande de retraites de guérison dans ses pavillons, mais qu'elle n'avait pas le budget nécessaire pour le faire.

Elle a également confirmé que des membres du conseil d'administration de l'AFAC ont séjourné au pavillon de Chelsea.

Les membres de notre conseil d'administration sont des travailleurs de première ligne qui traitent quotidiennement de questions très sensibles, litigieuses et exigeantes, détaille l'AFAC dans un communiqué.

Ils ont visité le pavillon pour se familiariser avec les installations et, de temps en temps, ils ont besoin de se soigner aussi, écrit encore l’organisme.

Mme Groulx a indiqué que l'AFAC avait dépensé 13 millions de dollars pour des campagnes médiatiques nationales, l'infrastructure du programme, la sensibilisation et les frais de personnel.

D'après un reportage d'Olivia Stephanovic, de CBC

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