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Les technologies numériques au service de la revitalisation des langues autochtones

Une photo d'un téléphone affichant une page du site web dictionnaire.innu-aimun.ca.

Les peuples autochtones cherchent par tous les moyens à transmettre leurs langues ancestrales et à les archiver afin qu'elles ne sombrent pas dans l'oubli. Les technologies numériques font parties de la solution pour de nombreuses communautés.

Photo : Radio-Canada

Avec l’avènement de nouvelles technologies numériques, de plus de plus de communautés autochtones des quatre coins du pays s’associent au Conseil national de recherches du Canada (CNRC) dans un effort conjoint pour catalyser les projets de revitalisation des langues autochtones.

Le besoin principal exprimé par les instructeurs [autochtones] était de recourir à des outils pédagogiques pour aider la formation des élèves qui étudient une langue autochtone, tant à l'oral qu’à l'écrit, soutient Roland Kuhn, responsable du projet Technologies des langues autochtones (TLA) au Centre de recherche en technologies numériques (TN) du CNRC.

Destinées aux étudiants, aux enseignants, aux traducteurs, aux transcripteurs et à d'autres professionnels dans le domaine des langues autochtones, les diverses technologies vocales et textuelles mises au point depuis 2017 par l’équipe de M. Kuhn couvrent plus de 25 langues autochtones.

Selon Statistique Canada, environ un Autochtone sur huit (237 420 personnes) a déclaré parler suffisamment bien l’une des 70 langues autochtones distinctes pour tenir une conversation lors du recensement de 2021, ce qui représente 10 750 personnes de moins qu’en 2016.

La Décennie internationale des langues autochtones

Consulter le dossier complet

Un tableau noir où est écrit Bienvenue en plusieurs langues autochtones.

Bien qu'il existe des variations grammaticales importantes entre les langues autochtones au Canada, la majorité d'entre elles sont caractérisées par un degré élevé de complexité morphologique et de polysynthèse. Autrement dit, les divers éléments d’une phrase se soudent pour former de longs mots composés.

Le kanien'kéhà, la langue mohawk, ne fait pas exception à cette règle.

Notre méthode d'enseignement est basée sur les mots racines, les morphèmes, de la langue mohawk. Nous les assemblons à l'aide d'un ensemble de modèles qui nous permettent de composer des mots équivalents à une phrase anglaise complète, explique Brian Maracle, professeur retraité et fondateur de la Onkwawenna Kentyohkwa Adult Immersion School, établie sur le territoire des Six Nations de la rivière Grand, dans le sud de l'Ontario.

M. Maracle laisse entrevoir la complexité du kanien'kéhà avec quelques exemples : "Je l'ai acheté" : c'est une phrase simple en anglais. En mohawk, il s'agit d'un verbe et d'un seul mot. Nous pouvons aussi la rendre beaucoup plus complexe. En un seul mot, nous pourrions dire : "J'ai acheté de la nourriture." On peut aussi dire en un seul mot : "J’ai acheté de la nourriture là-bas.”

Il serait donc futile de tenter de transcrire dans un manuel imprimé les innombrables formes conjuguées.

Si, avec le français et l'anglais, on a le Bescherelle, par exemple, l'équivalent en kanien'kéhà prendrait, même pour les 600 verbes les plus fréquents, un livre imprimé de 22 étages. Les conjugaisons dans ces langues sont incroyablement compliquées.

Une citation de Roland Kuhn, responsable du projet « Technologies des langues autochtones » au Centre de recherche en technologies numériques du Conseil national de recherche du Canada
Un homme regarde en direction du photographe.

Roland Kuhn se dit « très heureux » de travailler sur le projet « Technologies des langues autochtones » (TLA), qu’il qualifie d’ailleurs de « meilleur projet » de sa carrière.

Photo : Roland Kuhn

Lorsque son équipe a approché Brian Maracle, il a accueilli à bras ouverts cet engouement pour l'aider dans son travail de revitalisation de la langue.

Il m'est apparu, ainsi qu'aux élèves, qu'il existe des schémas très prévisibles et réguliers dans le fonctionnement de la langue. Les élèves créaient d’ailleurs leurs propres générateurs de verbes en carton, soutient l’ex-professeur.

Il y a donc vu une occasion en or de numériser un tel générateur de verbes.

J'ai suggéré à l'époque qu'il serait utile de créer un générateur numérique de verbes qui nous permettrait d'introduire tous les éléments constitutifs dans un ordinateur géant, de donner au CNRC tous les éléments constitutifs, les morphèmes, les préfixes et les suffixes, les modèles qui régissent la façon dont ils sont assemblés et les exceptions pour toutes les descriptions verbales courantes de la vie quotidienne.

C’est ainsi que Kawennón:nis a vu le jour. Il s'agit d'un outil interactif qui permet de générer des verbes conjugués au moyen d’un système de menus comprenant diverses modalités, telles que des personnes, des sujets, des objets et des temps de verbes.

Un point de départ plus qu’une destination

Bien que ce logiciel se soit avéré très utile, il a toujours comporté de sérieuses limites.

À l'heure actuelle, Kawennón:nis ne permet de créer qu'environ 150 000 verbes parmi les plus communs. Aux dires de Brian Maracle, il ne s’agit que d’un bon début.

Il a la capacité de créer des verbes simples, ce qui est le point de départ de l'apprentissage de la langue par les étudiants débutants. Mais nous voulons enseigner quelque chose de plus complexe et de plus difficile sur le plan grammatical.

Le kanien'kéhà étant essentiellement une langue orale, cette version textuelle ne permet pas non plus d’apprendre la prononciation des verbes conjugués. C'est là un défi tout aussi grand que si on voulait imprimer un document qui rassemblerait toutes les conjugaisons possibles des verbes.

Il serait impossible d'enregistrer tous les verbes de la langue. Cela représente des millions de mots, avance Brian Maracle.

C’est pourquoi le CNRC conçoit présentement le prototype d'un système qui permettrait d’entendre la prononciation des mots en kanien'kéhà grâce à un simple clic de souris.

Nous fournissons des milliers d'enregistrements vocaux de mots isolés et de phrases entières pour leur fournir la matière première, les ingrédients linguistiques bruts de notre langue. Puis, le CNRC conçoit un logiciel qui permettrait de vocaliser notre langue, explique Brian Maracle au sujet de la conceptualisation de cette technologie.

Enfin, toute modification aux paramètres préétablis exige d’avoir de fines connaissances en programmation puisqu’il faut se plonger dans un torrent de codage informatique.

Pour rendre les enseignants plus autonomes, le CNRC travaille présentement sur un nouveau logiciel qui permettra aux Autochtones d'adapter plus facilement le système selon leurs propres besoins.

Basé sur des feuilles de calcul, Gramble a déjà été utilisé pour créer des logiciels éducatifs dans huit langues, offrant de simples activités pour les élèves de l'école primaire aussi bien que des outils de référence de niveau universitaire.

Il est actuellement utilisé par au moins quatre communautés au Canada et il devrait être rendu accessible au public sous peu.

Une capture d'écran d'une feuille de calcul.

Un exemple de feuille de calcul avec divers menus qui constituent Gramble.

Photo : Conseil national de recherches du Canada (CNRC)

Les communautés autochtones aux commandes

Si ce type de technologies linguistiques numériques s'est rapidement répandu dans les communautés autochtones, c’est que le processus de conception met l'accent sur les bonnes relations avec les communautés et non pas simplement sur l'outil lui-même.

Quand les instructeurs et les communautés comprennent qu'on les écoute, qu'on essaie de les aider, qu'on n’essaie pas d'imposer nos propres idées, on peut bâtir d'excellentes relations avec eux. C'est très clair que ce sont eux, les maîtres du jeu, pas nous.

Une citation de Roland Kuhn, responsable du projet « Technologies des langues autochtones » au Centre de recherche en technologies numériques du Conseil national de recherche du Canada

Brian Maracle semble d’ailleurs avoir grandement apprécié cette approche empreinte de déférence et de respect.

Toutes les personnes avec lesquelles nous avons travaillé ont été très claires sur le fait qu'elles nous approchaient en tout respect pour notre langue, notre identité et nos préoccupations. Tout ce qu'elles font, elles veulent le faire pour nous aider et non pas pour se vanter de ce qu'elles ont fait, pour réaliser des prouesses intellectuelles ou techniques.

Si certaines communautés voient dans les technologies une occasion de renforcer leur identité en transmettant des connaissances à leurs membres, d’autres cherchent à rendre plus accessible leur patrimoine culturel aux allochtones.

C'est le cas de Brian Maracle. Pour lui, la langue est une manière de mieux saisir qui ils sont.

Apprendre la langue, apprendre comment les mots sont construits, comment ils sont dits ou prononcés, est la clé par laquelle les gens peuvent regarder pour apprendre et apprécier une partie des pensées, des croyances, de l'histoire et de la culture de notre peuple.

Rendre les communautés plus autonomes

Malgré ce travail de collaboration, Roland Kuhn redoute que les communautés autochtones développent une dépendance envers ces technologies et se retrouvent à la merci du gouvernement du Canada.

Idéalement, les gens n'auraient plus jamais besoin de nous voir dans 10 ans, avance-t-il. Ce serait quelque chose qui serait passé d’une école autochtone à une autre.

Le financement gouvernemental des projets du CNRC n’est pas toujours prévisible. Une épée de Damoclès pend donc au-dessus des projets de revitalisation et de documentation des langues autochtones.

Aujourd'hui, la situation est assez précaire, aux dires de Roland Kuhn, qui qualifie ces projets de fardeau financier pour le CNRC : On a épuisé l'argent de départ depuis longtemps. On survit grâce à la charité de la haute gestion.

Bien que ses hauts dirigeants cherchent désespérément du financement supplémentaire, Roland Kuhn se dit très conscient que les vents politiques pourraient tourner subitement.

C’est d’ailleurs pourquoi les logiciels sont tous rendus accessibles gratuitement. L'idée, c'est que si le projet est annulé d'ici deux ans, au moins, il y aura des logiciels dans le monde que d'autres personnes pourront utiliser pour bâtir sur nos réalisations.

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