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La violence latérale autochtone, selon l’avocate Fanny Wylde

Fanny Wylde est porte-parole francophone de l'Enquête nationale sur les filles et les femmes autochtones disparues et assassinées.

Fanny Wylde est porte-parole francophone de l'Enquête nationale sur les filles et les femmes autochtones disparues et assassinées.

Photo : Courtoisie Fanny Wylde

La conseillère juridique de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) Fanny Wylde rend un témoignage sur la « violence latérale autochtone ». À partir de son expérience personnelle, Me Wylde montre comment cette violence, héritée du colonialisme, s'immisce dans les relations entre Autochtones pour devenir destructrice. Une façon pour Mme Wylde de répondre aux nombreuses critiques qui ont fusé au sujet de l'ENFFADA.

Un texte de Fanny Wylde

Voici ce qui m'habite depuis quelques jours, je vais vous parler de la violence latérale autochtone.

La première fois que j'ai eu conscience d'en avoir été victime, c'était dans le cadre de mon mandat au sein du conseil de bande de ma communauté. Je ne comprenais pas, j'étais complètement désorientée! Je me questionnais encore et encore, tentant de trouver pourquoi on me « tablettait » au travail, pourquoi la plupart des mandats juridiques étaient confiés à un cabinet privé non autochtone facturant deux à trois fois plus que mon salaire annuel, alors que je travaillais exclusivement au conseil et à plein temps!

Je suis compétente, pourtant. J'avais été procureure aux poursuites criminelles et pénales, et j'avais œuvré auprès de la nation crie pendant deux ans en droit autochtone, administratif notamment.

Femmes autochtones disparues et assassinées

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Quatre personnes se serrent dans les bras en portant la photo d'une femme.

Toute ma vie, depuis l'enfance, j'avais reçu le message, qui était diffusé haut et fort par les leaders de ma communauté : « La relève est importante, elle est l'avenir. Allez chercher cette éducation si précieuse et revenez travailler au sein de la communauté! »

C'est donc ce que j'ai fait. J'ai quitté ma communauté, pour y revenir avec le titre d'avocat en poche, en fait, le premier avocat de l'histoire de ma nation.

J'ai vécu un réel choc, de subir tout ce que j'ai subi au travail de façon quotidienne. Presque aucun mandat ne m'était confié et, à la fin, certains des membres du conseil ne m'adressaient même plus la parole ou tentaient de me faire congédier pour des raisons injustifiées.

Je suis donc partie, constatant après quatre ans à vivre cet enfer que je valais et méritais mieux. Malheureusement, j'ai vécu ce phénomène, ou lorsque j'étais épargnée, j'ai pu l'observer à chacun de mes mandats, ou presque, auprès de conseils de bande ou d'organisations autochtones au cours de ma carrière.

Triste et déchirant constat, encore actuellement, dans le cadre de mon présent mandat au sein de l'Enquête nationale : je peux à nouveau observer cette violence latérale qui nous est adressée. Des Autochtones qui projettent cette violence sur cette commission nationale alors qu'elle est constituée majoritairement d'Autochtones justement.

Les critiques viennent d'Autochtones, contre d'autres Autochtones. Des commentaires constructifs, des suggestions et des recommandations, oui! Mais de la condescendance, des propos déplacés et des attaques personnelles, non!

La violence latérale entre Autochtones, un phénomène répandu

Cette histoire et ces exemples, je suis convaincue et persuadée hors de tout doute que je ne suis pas la seule à les avoir vécus. C'est un phénomène universel dans nos communautés, dans nos organisations autochtones, dans notre gouvernance. C'est ça, de la violence latérale, du moins un de ses aspects, parce qu'il y a beaucoup d'autres exemples.

Obtenir un emploi parce que quelqu'un de ta famille siège au conseil de bande, ou l'inverse, perdre son emploi parce que quelqu'un au conseil ne t'aime pas, avoir du succès et être l'objet de critiques et de reproches, ne pas recevoir de financement pour les études alors que d'autres en ont, l'employeur c. l'employé, la gouvernance c. le peuple, le peuple c. la gouvernance, et entre nous, en tant que peuple, etc. Et que dire de ce qui se passe pendant nos élections?

Quand j'ai commencé à comprendre, je me suis documentée sur le sujet. J'ai pu comprendre et pardonner, je n’en veux aucunement à ceux qui ont traversé ma vie professionnelle. D'ailleurs, quand je rentre chez moi, je les salue et leur parle sans rancune, parce que je sais que ce principe est involontaire, qu'il est au niveau du subconscient.

Aussi, j'ai choisi de voir au-delà de tout ça et d'avancer, de déjouer ce phénomène en me disant qu'un jour, au bon moment, je parlerai pour entamer ce chemin de guérison collectif. Par conséquent, malgré le risque de subir des contrecoups, de la violence latérale à nouveau, je publie ceci.

Je suis convaincue que je continuerai d'avancer, ayant déjà survécu à plusieurs années d'agression sexuelle et à tellement d'autres épreuves. Je choisis aujourd'hui de vous parler de cette partie de ma vie, non pas pour punir, me venger, ni être péjorative d'aucune façon. Mais je choisis d'en parler pour briser ce silence, ce silence qui nous tue tous! Afin de se sortir de ce cycle, la première étape, comme dans toute chose sur cette terre, c'est de prendre parole. Ce pouvoir nous est donné à tous.

La violence latérale, ce n'est pas nous, ça ne vient pas de nous, c'est un résultat du colonialisme qui nous a tant dévastés. L'oppresseur nous a tant fait de mal, que nous sommes devenus l'oppresseur à notre tour, contre les nôtres, nos propres peuples.

Nous devons nous soutenir, nous aider, nous appuyer et travailler ensemble, et non l'un contre l'autre, tels nos ancêtres bien avant le contact avec l'homme blanc. Ce que la violence latérale enlève à nos peuples, c'est l'unité, cet ingrédient tellement puissant et important qui nous permettrait de faire front commun contre l'adversité et de changer le cours de notre histoire.

Je continuerai d'exécuter mon mandat avec passion et dévouement comme je le fais depuis le tout début en demeurant concentrée et attentive auprès des familles et des survivants, avec qui je développe une relation privilégiée. C'est auprès d'eux que j'évalue la qualité de mon travail et celui de cette commission. Je les remercie de leur soutien. C'est eux qui me permettent de continuer à livrer cette magnifique bataille.

Merci de m’avoir lue.

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