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Protecteur de l’élève : des parents d’enfants intimidés restent sur leur faim

Des parents dont les enfants ont été intimidés alors qu’ils fréquentaient des écoles privées sont soulagés à l’idée que celles-ci seront assujetties au protecteur de l’élève si le projet de loi de la CAQ est adopté. Ils auraient cependant souhaité que la réforme ait plus de mordant.

Une mère de dos regardant un garçon portant un sac à dos s'éloigner sur le trottoir

Cette mère regarde son jeune garçon s'éloigner vers sa nouvelle école en espérant qu'il n'y subira pas d'actes d'intimidation et de violence.

Photo : Radio-Canada / Fannie Bussières McNicoll

Frédéric* (nom fictif) rentre à la maison, les joues rougies par le froid et le sourire aux lèvres. « Comment ç'a été avec les nouveaux amis aujourd’hui? » demande sa mère, aux aguets. « Très bien! On a joué au soccer dans la cour », répond le petit bonhomme, tout en ouvrant son sac à dos. Ses nouveaux cahiers viennent d’arriver, il est content. C’est que Frédéric vient de changer d’école primaire au beau milieu de l’année scolaire. Tout un bouleversement de vie! « Ça n’a pas été facile, mais on croit qu’on a pris la bonne décision », confie sa mère.

Les actes d’intimidation avaient commencé à la fin de l’année scolaire précédente, affirme-t-elle, mais la situation s’est vraiment envenimée au cours de l’automne. Victime de coups, de moqueries et même de menaces de mort de la part d’un camarade de classe, soutiennent ses parents, Frédéric est devenu stressé, anxieux. Il ne voulait plus retourner à l’école, il ne se sentait plus en sécurité. Il dormait mal. Il était démotivé, se rappelle sa mère.

Elle dit avoir fait plusieurs démarches auprès de la direction de l’école privée en question avec des résultats décevants à ses yeux. La situation d’intimidation est à peine reconnue, les actions prises semblent timides et la gestion de leur plainte très insatisfaisante, disent les parents de Frédéric. On se disait ''mais qu’est-ce qu’il vous faut de plus pour agir?"

Le couple tente une nouvelle fois la discussion, mais a la surprise de recevoir une lettre lui demandant de reconsidérer l’inscription de ses deux enfants l’année suivante en raison d’un bris de confiance entre la famille et l’école.

Le couple sent que la direction préfère les écarter plutôt que de gérer le problème. La mère de Frédéric multiplie les démarches pour connaître ses recours et résoudre le problème le plus rapidement possible. Elle réalise que les informations sont difficiles à trouver et en vient à un constat désolant.

En ce moment, sur le plan des recours pour le secteur privé, c’est très limité. On n’a pas de protecteur de l’élève. On est complètement seul.

Une citation de Mère d'un jeune garçon intimidé

Elle se résout à interpeller le ministre de l’Éducation et la direction de l’enseignement privé au ministère de l’Éducation. Comprenant que les délais seront longs avant une quelconque résolution de leur dossier, le couple  prend la difficile décision de retirer ses deux enfants de l’école en question et de les relocaliser.

Ce qu’on est en train de montrer à nos enfants, c’est que l’agresseur a raison, qu’il a gagné. Parce que c’est eux qui doivent subir tout ce stress-là en plus d’un changement d’école, dit avec amertume le père de Frédéric.

Nous avons choisi de ne pas dévoiler l'identité des membres de la famille afin de protéger la vie privée de leurs enfants.

Un projet de loi qui réjouit et déçoit tout à la fois

Les parents de Frédéric se sont réjouis d’apprendre, il y a quelques jours, le dépôt du projet de réforme du protecteur de l’élève et du mécanisme de plaintes attendu depuis des années par nombre d’acteurs du milieu de l’éducation. La CAQ entend ainsi remplir sa promesse d’assujettir les écoles privées à ce protecteur de l’élève 2.0, dont le mandat est notamment de réviser les plaintes des élèves et des parents lorsque leur gestion a été jugée insatisfaisante. 

Mais ils déchantent rapidement à sa lecture. 

C’est un pas dans la bonne direction, mais c’est insuffisant, dit le père du garçon. Deux éléments l’inquiètent : les nouveaux protecteurs régionaux de l’élève ne pourront formuler que des recommandations non contraignantes aux directions d’école et les délais de révision des plaintes, bien que sensiblement écourtés, demeurent trop longs, à ses yeux, pour permettre une réaction rapide dans des cas de violence et d’intimidation.

Il estime que, même avec l’existence de ce nouveau recours, lui et sa conjointe auraient probablement dû se résoudre à changer leurs enfants d’école.

Christine Gingras, qui milite depuis des années avec trois autres mères pour une réforme du protecteur de l’élève, est elle aussi déçue du projet de loi. Je suis contente qu’enfin les enfants du privé aient la même protection que ceux du public, mais c’est un projet de loi mince, qui est très peu précis et qui soulève beaucoup de questions, explique celle dont la fille a vécu de l’intimidation dans une école privée il y a quelques années.

Une femme blonde regarde la caméra.

Christine Gingras n'est pas convaincue que le projet de loi 9 sera suffisant pour assurer une résolution rapide de conflit lorsqu'un parent est insatisfait de la gestion d'une plainte pour intimidation de son enfant.

Photo : Radio-Canada / Fannie Bussières McNicoll

Un pouvoir de recommandation, c’est clairement insuffisant selon nous. Ça prend un pouvoir décisionnel pour imposer rapidement une solution et des mesures pour que le bien-être de l’enfant ne se dégrade pas.

Une citation de Christine Gingras, mère militante pour la protection des enfants intimidés et violentés en milieu scolaire 

Elle pense aussi que les délais de révision des plaintes ne sont pas adaptés à des dossiers de violence et d’intimidation. Chaque journée dans la vie d’un enfant qui vit de l’intimidation, c’est très long, dénonce-t-elle. Pour les adultes, avec la CNESST, on réagit dans les 48 heures. Pourquoi est-ce différent pour les enfants?

Le cabinet du ministre Roberge indique qu’un article du projet de loi prévoit que le protecteur régional de l’élève peut, dans certains cas, examiner une plainte même si les étapes prévues à la procédure du traitement de plainte n’ont pas été suivies. Christine Gingras aurait cependant voulu que les mesures soient précisées pour des cas d’intimidation ou de violence.

Le test de la réalité

Des experts de la question de la violence en milieu scolaire accueillent plus favorablement le projet de loi, même s’ils émettent quelques réserves.

François Bowen, qui est professeur en psychopédagogie à l’Université de Montréal, entend les critiques des parents. C’est des délais, effectivement, reconnait-il. Mais le protecteur de l’élève pourra faire des recommandations pour une meilleure application par les écoles des protocoles de lutte contre l’intimidation établis par la loi. Ça pourrait mettre de la pression. Ce n’est pas la panacée qui va régler tous les problèmes liés à l’intimidation, convient-il, mais c’est une partie de la solution.

Claire Beaumont, experte reconnue de la prévention de la violence à l’école, est heureuse que la réforme proposée assure une indépendance nouvelle à l’institution, critiquée pour son inefficacité depuis des années. Elle demeure malgré tout prudente.

C’est une amélioration à première vue, mais c’est sûr que ça va dépendre de comment c’est appliqué. Il faut voir si les protecteurs ont réellement les moyens de faire tout ce qui est mentionné dans le projet de loi et s’ils sont en nombre suffisant pour répondre à la tâche.

Une citation de Claire Beaumont, de la Chaire de recherche Bien-être à l’école et prévention de la violence de l’Université Laval

Comme ç'a été le cas pour la famille du petit Frédéric, les parents sont souvent démunis et peinent à trouver l’information pour connaître leurs recours, ajoute Claire Beaumont, qui est aussi membre fondatrice de l’Observatoire canadien pour la prévention de la violence à l’école.

Le projet de loi 9 prévoit que des informations seront données au début de chaque année scolaire aux parents à propos du rôle des protecteurs de l’élève. Toutefois, Mme Beaumont aurait aimé que ça aille plus loin, qu’une ligne téléphonique, par exemple, soit créée pour pouvoir répondre aux questions des parents sur les recours possibles en cas de conflit avec une école et sur le rôle du protecteur de l’élève.

Les écoles privées peu enthousiastes quant au projet

David Bowles assure que la Fédération des établissements d’enseignement privés ne s’opposera pas à la réforme proposée et collaborera avec le protecteur de l’élève si le projet de loi est adopté. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais on sent que ce n’était peut-être pas nécessaire, estime-t-il. On a déjà tout ce qu’il faut à l’intérieur de nos écoles pour répondre aux plaintes des parents, aux questionnements, aux insatisfactions.

Un directeur d'école et des élèves en arrière-plan.

David Bowles, de la Fédération des établissements d'enseignement privés, est aussi directeur général du Collège Charles-Lemoyne à Longueuil.

Photo : Radio-Canada / Fannie Bussières McNicoll

L’autonomie de nos écoles, on y tient beaucoup. C’est peut-être de là que vient notre manque d'enthousiasme. On met en place des politiques de tolérance zéro en ce qui concerne la violence et l’intimidation et j’ai pleinement confiance que les écoles les respectent bien.

Une citation de David Bowles, président de la Fédération des établissements d'enseignement privés (FÉEP)

Les recommandations que pourront formuler les protecteurs de l’élève n’auront pas un caractère contraignant, ce qui le rassure. Si on leur donnait le pouvoir d’imposer toutes leurs recommandations, c’est certain que ça diminuerait notre autonomie. Et là, on aurait un problème.

Le professeur en psychopédagogie à l’Université de Montréal François Bowen estime que le gouvernement laisse déjà aux écoles privées beaucoup de latitude quant à la gestion de leur approche pédagogique. Quand la santé et la sécurité d’un enfant est en jeu, on peut, je pense, mettre un peu de côté la question de l'indépendance scolaire. Parce que c’est l’intérêt de l’enfant qui prime, toujours.

Des pouvoirs suffisants selon le gouvernement

L'attaché de presse du ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, de son côté, souhaite rassurer les parents inquiets et affirme que les recommandations de cet ombudsman à l’éducation, qui repose sur un modèle semblable à celui des coroners, du Protecteur du citoyen et de la vérificatrice générale, permettront aux acteurs du réseau de prendre les meilleures décisions afin d’assurer le respect des droits des élèves.

Pour le traitement des plaintes, le modèle d’un ombudsman indépendant a fait ses preuves.

Une citation de Florent Tanlet, attaché de presse du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge

M. Tanlet ajoute que des groupes représentant les parents du Québec ont été consultés avant la rédaction du projet de loi et que les parents qui souhaitent partager leur expérience auront la possibilité de déposer un mémoire à la commission parlementaire qui étudiera le projet de loi 9.

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