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Revirement judiciaire : 300 personnes sans-abri ne font plus face à la prison

La Ville de Gatineau suspend la menace d'emprisonnement de personnes en situation d’itinérance pour non-paiement d’amendes.

Deux policiers debout devant un homme sans-abri assis sur le bord d'un édifice.

La Ville de Gatineau suspend la menace d'emprisonnement de personnes sans-abri pour non-paiement d’amendes.

Photo : iStock / Robert vt Hoenderdaal

De plus en plus contestée devant les tribunaux, la Ville de Gatineau demande la suspension de milliers de mandats d’emprisonnement qui visent de manière disproportionnée des personnes en situation d’itinérance.

Il s’agit d’une volte-face pour la quatrième grande ville du Québec, qui pourrait mettre fin à une pratique judiciaire qui était pourtant déjà proscrite à l’échelle de la province depuis 2020.

Jusqu’en décembre dernier, en effet, la Cour municipale de Gatineau émettait deux fois par année des centaines de mandats d’emprisonnement de manière expéditive, y inclus contre des personnes qui n’avaient pas la capacité de payer.

Dans une demande déposée devant la Cour supérieure, la Ville de Gatineau veut maintenant suspendre immédiatement 1669 mandats d’emprisonnement émis au cours des dernières années contre des individus qui n’ont pas payé des amendes municipales.

Selon la Ville, 309 de ces mandats visent des individus résidant dans un refuge ou un centre pour personnes en situation d’itinérance au moment des infractions.

Dans plusieurs cas, ces personnes font face à la justice pour des infractions liées à des problèmes de consommation ou d’absence de domicile – et n’ont pas la capacité de payer les amendes de plusieurs centaines de dollars qu’elles reçoivent.

Des règles en vigueur au Québec depuis 2020 exigent pourtant que les tribunaux vérifient si les personnes visées par de tels mandats d’emprisonnement sont bel et bien capables d’acquitter leurs amendes. Dans le cas contraire, l’emprisonnement est prohibé.

Des centaines de dossiers à analyser

Contrairement à plusieurs autres municipalités du Québec, Gatineau a continué à requérir la prison pour des personnes en situation d’itinérance qui n’ont pas payé des amendes municipales au cours des dernières années.

La Ville de Montréal, par exemple, n’applique plus de tels mandats d’emprisonnement contre des personnes en situation d’itinérance depuis 2011, alors que les villes de Drummondville et Québec ne l’ont pas fait depuis 2017 et 2018, respectivement.

Des personnes sont installées dans des tentes à l'extérieur de l'aréna Robert-Guertin, dans le secteur Hull.

À Gatineau, la mairesse Bélisle interpelle le gouvernement Legault pour qu'il s'engage davantage sur l'itinérance. (Photo d'archives)

Photo : Capture d'écran - Radio-Canada

Pour expliquer sa demande de suspension de 1669 mandats, la Ville de Gatineau dit vouloir analyser les circonstances dans lesquelles ceux-ci ont été émis.

Dans tous ces cas, les personnes n’étaient pas présentes ou représentées devant la Cour au moment de l’émission des mandats.

Même si son analyse n’est pas terminée, la Ville affirme dans sa demande judiciaire qu’elle ne peut rester impassible en réponse à la contestation croissante de ses pratiques et des préoccupations quant à leur impact sur les personnes visées.

La Ville souhaite ainsi éviter que ces personnes ne soient exposées à un risque d’emprisonnement qui pourrait subséquemment être jugé illégal, affirme-t-elle dans le document déposé devant la Cour supérieure.

Pour se défendre dans ce dossier, la Ville de Gatineau a d’ailleurs fait appel à trois avocats de la firme Norton Rose Fulbright Canada à Montréal.

Une pratique interdite par Québec

Le gouvernement du Québec a cherché à mettre fin à l’emprisonnement de personnes qui n’avaient pas les moyens de payer leurs amendes en modifiant le Code de procédure pénale en juin 2020.

Le 10 mars dernier, la juge Catherine Mandeville de la Cour supérieure du Québec a forcé Gatineau à adhérer à la politique québécoise dans un jugement oral.

En plus d’annuler douze mandats d’emprisonnement visant un citoyen du nom de David Bonfond, la juge Mandeville a dénoncé le fait que la Ville et la Cour municipale n’avaient pas respecté les règles en omettant de vérifier la capacité de celui-ci à acquitter ses amendes.

David Bonfond a ainsi été libéré de prison grâce à une procédure en habeas corpus. S’il s’agit d’une procédure amplement utilisée en matière carcérale, par exemple pour contrôler la légalité d’un transfert d’établissement pénitentiaire, il en va autrement pour ce qui concerne l’emprisonnement pour non-paiement d’amendes.

Me Sylvie Bordelais.

Me Sylvie Bordelais pratique en droit carcéral.

Photo : Radio-Canada

Me Sylvie Bordelais, avocate en droit carcéral, n’a jamais été témoin de l’utilisation d’une telle procédure dans ce contexte.

Je suis un peu éberluée de penser qu’un juge, qui a quand même le devoir de protéger les droits constitutionnels des citoyens, ne s’en serait pas soucié plus qu’il le faut, qu’il aurait plus simplement pris une pile de dossiers qu’on lui transmet, se désole Me Bordelais.

On ne parle pas de gens qui ont commis un crime. On parle de gens qui ont des infractions pénales, […] qui ont dormi au mauvais endroit. Ce sont ces gens-là qu'on veut envoyer en prison sans se soucier de savoir s'ils ont les moyens de payer une amende ou sans se soucier de savoir ce que ça va leur causer comme traumatisme de les envoyer en prison.

Une citation de Me Sylvie Bordelais, avocate en droit carcéral

Marie-Ève Sylvestre, doyenne de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, estime que plusieurs acteurs sont interpellés dans le contexte actuel, y compris les juges des cours municipales.

Les juges [de cours municipales] devraient prendre acte du fait qu’ils ne peuvent pas tout simplement passer à travers [des centaines] de dossiers en une audience sans se préoccuper de l’application de la loi, et en particulier de la capacité de payer des justiciables, avance l’avocate.

Marie-Ève Sylvestre au micro de Catherine Perrin

Marie-Ève Sylvestre étudie les questions de justice et d'itinérance depuis le début des années 2000.

Photo : Radio-Canada / Olivier Lalande

On parle de privation de liberté, on parle d’incarcération dans des conditions souvent horribles. […] Avant de prendre une décision avec de telles conséquences, c’est le minimum, je pense, que les juges respectent la loi, conclut-elle.

Demande d’autorisation d’action collective

Dans une demande d'autorisation d'action collective déposée le mois dernier, des avocats qualifient les mandats d’emprisonnement émis à Gatineau de pratique totalement illégale et de véritable vestige de l’ère de Dickens.

La demande d’action collective critique le processus de traitement de ces dossiers en bloc deux fois par année, sans même que soit dressé un procès-verbal. Cette demande est portée conjointement par les cabinets Kugler Kandestin, à Montréal, et JFB Avocats criminalistes, à Gatineau.

Il appert que les demandes d’imposition de peine d’emprisonnement (DIPE) sont traitées de façon administrative, sans contrôle judiciaire réel, peut-on lire dans le document de 35 pages daté du 13 mars dernier.

Sans limitation, la Ville savait ou devait savoir que les DIPE [visant des personnes en situation d’itinérance] étaient infondées, injustifiées et illégales, qu’elle n’avait pas enquêté ni effectué des vérifications mêmes les plus élémentaires sur leur capacité de payer leurs amendes, et a choisi d’ignorer les informations indiquant que les membres du groupe étaient vulnérables et démunis.

Les avocats des demandeurs souhaitent obtenir un dédommagement pour chaque personne victime d’un tel emprisonnement à hauteur de 10 000 $ par jour passé en prison, en plus de verser à chacune quelque 50 000 $ en dommages punitifs.

En réponse, la Ville de Gatineau souligne qu’elle n’est pas directement responsable des demandes d’emprisonnement, qui sont effectuées par des percepteurs chargés de percevoir les sommes dues devant les tribunaux

Ces démarches relèvent du percepteur des amendes, qui est un officier de justice, et ultimement de la Cour municipale, qui a délivré les mandats visés par vos questions. Il va de soi que la Ville prône le respect de toutes les règles applicables dans le cadre des procédures devant la Cour municipale, souligne la Ville de Gatineau dans une déclaration écrite.

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