Les chefs de police du Québec défendent le droit d’intercepter au hasard sur la route
Pierre Brochet est président de l'Association des directeurs de police du Québec.
Photo : Radio-Canada / Jonathan Morin, caméraman
L’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) a dévoilé mercredi des statistiques destinées à démontrer que les interceptions aléatoires sont nécessaires pour assurer la sécurité routière dans la province.
Le président de l'Association, Pierre Brochet, a présenté un bilan préparé par les chefs de police au sujet de l’article 636 du Code de la sécurité routière en marge de son colloque annuel, qui se déroule à Saint-Hyacinthe. Les données ont été compilées par 24 corps policiers au cours de l'année 2022.
Lors de ma dernière sortie publique, plusieurs journalistes m'ont demandé des chiffres, des données, pour prouver l'utilité de l'article 636 pour l'ensemble de nos policiers
, a déclaré Pierre Brochet.
Cet article du Code de la sécurité routière est actuellement contesté devant les tribunaux en raison d'une cause de profilage racial. Depuis plus de 30 ans, les policiers ont eu le droit d'immobiliser aléatoirement un véhicule en déplacement sur la route, et ce, sans motif valable.
L'an dernier, ce droit, selon Pierre Brochet, a permis d'arrêter près de 6000 automobilistes qui représentaient un risque pour la sécurité routière. Et ce n'était qu'un premier échantillon de l'ensemble des services de police du Québec, a-t-il précisé.
Ces données sont un aperçu de la réalité.
Il a souligné que l'ADPQ a demandé à la Sûreté du Québec de préparer une banque de données pour regrouper des statistiques afin de prouver l'utilité de l'article 636 pour ses membres.
Interceptions aléatoires en 2022
Conducteurs sans permis de conduire : 3500 arrestations
Conducteurs aux facultés affaiblies : 1064 arrestations
Véhicule sans immatriculation : 1881 interceptions
Source : Association des directeurs de police du Québec (ADPQ)
Cette prise de position des directeurs de police du Québec découle du jugement Yergeau, rendu en octobre 2022 au Palais de justice de Montréal.
Cette cause impliquait un jeune étudiant haïtien de 18 ans, Joseph-Christopher Luamba, qui s'était plaint d'avoir été arrêté 10 fois sans motif valable au cours de la première année et demie qui avait suivi l'obtention de son permis de conduire.
Joseph-Christopher Luamba accompagné de sa mère et de son père au Palais de justice de Montréal.
Photo : The Canadian Press / Ryan Remiorz
Dans une décision qui a causé une onde de choc dans la profession policière, le juge Michel Yergeau avait ordonné, en octobre 2022, la fin des interpellations aléatoires au Québec.
Le magistrat avait déterminé qu'elles donnaient lieu à du profilage racial chez les policiers et qu'elles violaient les droits constitutionnels des automobilistes qui les subissaient.
En prenant cette décision historique, l'arrêt Ladouceur de 1990 de la Cour suprême, sur lequel s'appuient tous les policiers canadiens pour défendre cette pratique, est devenu techniquement invalide momentanément.
Article 636 du Code de la sécurité routière
Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu'il exerce en vertu du présent code, exiger que le conducteur d'un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.
La bataille devant la Cour suprême du Canada
Le 25 novembre dernier, le ministre de la Sécurité publique François Bonnardel a porté la décision du juge Yergeau devant la Cour d'appel du Québec au nom du gouvernement du Québec.
La Ligue des droits et libertés (LDL) réitère que les pratiques policières qui sont source de profilage racial doivent cesser afin d’assurer le respect des droits [de la personne]
, a déclaré Laurence Guénette, porte-parole de l'organisation.
Laurence Guénette est coordonnatrice à la Ligue des droits et libertés.
Photo : Gracieuseté
C’est le cas des interceptions routières sans motif réel. Non seulement les impacts sur les personnes racisées ont été démontrés et sont connus de longue date, mais aucune démonstration n’a été faite de la nécessité de cette pratique pour assurer la sécurité sur les routes
, a ajouté Mme Guénette.
La porte-parole rappelle que dans le jugement Luamba, le juge Yergeau avait été sans équivoque quant au fait que le ministère public n’avait pas fait une telle démonstration.
La Ligue des droits et libertés déplore l'absence d'indépendance des personnes qui ont fourni lesdits chiffres à l'ADPQ.
Par ailleurs, l'Association canadienne des libertés civiles a déjà annoncé qu'elle portera le débat sur les interpellations aléatoires devant la Cour suprême du Canada si la Cour d'appel du Québec décide d'invalider le jugement Yergeau.