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Caribou : Ottawa envisage des décrets d’urgence au Québec

Toute activité industrielle ou tout développement pourrait ainsi être interdit sur certains territoires.

On voit un caribou mâle, de profil, avancer sur un sol rocheux, en hiver.

Le caribou de la Gaspésie est le dernier troupeau au sud du Saint-Laurent.

Photo : SEPAQ/Denis Desjardins

À la demande de certaines Premières Nations, le cabinet du ministre de l'Environnement du Canada, Steven Guilbeault, étudie désormais la possibilité d'intervenir au Québec par décrets d'urgence pour protéger certaines parties de l'habitat du caribou forestier, a appris Radio-Canada.

Selon nos informations, des communautés autochtones de la province ont fait pression sur le cabinet de M. Guilbeault, réclamant une action musclée pour éviter le déclin de certaines hardes en situation plus critique.

Des sources près du dossier ont confirmé que des analyses sont en cours à Environnement et Changement climatique Canada depuis le mois de septembre.

Des demandes d'information auraient notamment été formulées par les fonctionnaires fédéraux envers leurs homologues provinciaux afin d'étoffer le dossier, lequel permettra ensuite au cabinet de M. Guilbeault de prendre une décision sur d'éventuels décrets d'urgence. Ces derniers devront au préalable être adoptés par le Conseil des ministres à Ottawa.

Le ministre de l'Environnement et du changement climatique, Steven Guilbeault.

Le ministre de l'Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault

Photo : La Presse canadienne / Arlyn McAdorey

Lettre à Benoit Charette

Steven Guilbeaut a récemment fait part de ses intentions au ministre québécois de l'Environnement, Benoit Charette. Dans une lettre acheminée le 10 octobre, M. Guilbeault invitait notamment le gouvernement de François Legault à rencontrer les Premières Nations pour entamer avec elles un dialogue sur la protection du cervidé.

Le cabinet de M. Charette a confirmé avoir reçu la missive en question, mais n'a pas l'intention de rencontrer les Premières Nations à ce stade-ci.

Cette nouvelle initiative du fédéral survient alors que Québec retarde toujours le dépôt de sa nouvelle stratégie de protection de l'habitat du caribou forestier et montagnard. L'an dernier, M. Guilbeault avait demandé à la province de déposer son document au plus tard en juin 2023. D'abord prévue pour 2019, la stratégie est repoussée depuis près de cinq ans par le gouvernement caquiste.

Le ministre de l'Environnement Benoit Charette et le premier ministre François Legault.

Le ministre de l'Environnement Benoit Charette et le premier ministre François Legault (Photo d'archives)

Photo : The Canadian Press / FRANCIS VACHON

Le fédéral a cependant accordé un nouveau délai en raison de feux de forêt historiques qui ont sévi au cours de l'été. Ottawa semble maintenant s'impatienter, le Québec n'ayant toujours pas fixé d'échéancier. Le gouvernement québécois attend les nouveaux calculs de la possibilité forestière réalisés par le Forestier en chef, en tenant compte des feux, pour ajuster sa stratégie.

Décret d'urgence

Le décret d'urgence est prévu à l'article 80 de la Loi sur les espèces en péril au Canada. Le ministre compétent est tenu de faire la recommandation [d'adopter un décret d'urgence] s’il estime que l’espèce est exposée à des menaces imminentes pour sa survie ou son rétablissement, peut-on y lire.

Au Québec, cet article a déjà été invoqué pour freiner des travaux dans l'habitat essentiel de la rainette faux-grillon à Longueuil. Tout comme la rainette, le caribou boréal figure à la liste des espèces en péril au pays et pourrait donc se qualifier pour un tel décret si les preuves étaient suffisantes dans un secteur donné.

Il revient alors au gouvernement fédéral d'établir quel est l'habitat nécessaire à la survie de l'espèce qui serait assujetti au décret.

Un bébé caribou est couché dans la forêt.

Le caribou forestier est une espèce assujettie à la Loi sur les espèces en périls au Canada. (Photo d'archives)

Photo : fournie par le Ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs / Valentin Bonnefont / SEPAQ

Le décret d'urgence n'est pas à confondre avec le décret dit de filet de sécurité, lui aussi envisagé par le gouvernement fédéral au Québec pour protéger le caribou forestier. Jamais utilisé au Canada, il est prévu à l'article 61. Il viendrait couvrir l'ensemble de l'habitat essentiel du caribou au Québec et pourrait durer jusqu'à cinq ans.

Le décret sur l'habitat essentiel doit être recommandé par le ministre fédéral de l'Environnement s'il estime que les lois et les mesures de protection en vigueur dans une province ne protègent pas une partie ou l'ensemble de l’habitat essentiel d'une espèce jugée en péril.

Dans le cas du caribou forestier, les deux processus d'analyse des décrets se poursuivront conjointement, ont indiqué nos sources. Les décrets d'urgence ne viseraient que des portions de territoire restreintes, alors que le décret sur l'habitat essentiel pourrait toucher jusqu'à 35 000 km2 de territoire québécois.

Pipmuacan et Val-d'Or

Michael Ross, directeur du développement et du territoire au Conseil de la Première Nation des Innus Essipit, confirme que sa communauté fait partie de celles qui ont interpellé le ministre Steven Guilbeault. Avec la Première Nation des Innus de Mashteuiatsh, Essipit demande une protection immédiate de certains secteurs au nord des monts Valin.

L'objectif est d'interrompre tout développement ou toute activité industrielle dans l'aire de répartition de la harde du Pipmuacan. En déclin, cette harde ne comptait plus que 225 bêtes lors du dernier inventaire du gouvernement québécois, en 2020.

Toujours selon des données du ministère de la Faune, son habitat est perturbé à plus de 80 %, entre autres par les coupes forestières.

Un lac en plein milieu du réservoir Pipmuacan.

Le réservoir Pipmuacan est le coeur de l'aire de répartition d'une harde de caribous forestiers. Les Innus d'Essipit, de Pessamit et de Mashteuiatsh travaillent conjointement pour la protéger. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

À en croire M. Ross, il aura fallu un certain temps pour que l'option du décret d'urgence soit considérée par Ottawa. On a écrit une lettre en mars 2022, a-t-il confié. Dans cette lettre, les Innus ne précisaient pas quel type de décret ils souhaitaient voir Ottawa adopter, évoquant les deux options.

M. Ross, à ce moment, rappelle que les communautés autochtones voulaient surtout lancer un signal sur l'urgence d'agir, alors que Québec tergiverse depuis 2016 sur la future mouture de la stratégie de protection de l'habitat du caribou forestier.

Outre celle du Pipmuacan, les hardes de Charlevoix, de Val-d'Or, et de la Gaspésie (montagnard) sont actuellement en situation critique au Québec.

Signal fort

Malgré les délais, les Innus d'Essipit se réjouissent de voir que le fédéral bouge et considère maintenant le décret d'urgence, un an après avoir montré les dents avec le décret sur l'habitat essentiel. C'est bien qu'ils reconnaissent l'inaction du Québec. On accueille ça favorablement et on espère que, si le Québec n'améliore pas sa gestion, le fédéral aille de l'avant, a déclaré M. Ross à Radio-Canada.

Ce dernier rappelle que les Innus ont aussi lancé une procédure judiciaire contre le Québec pour avoir manqué à ses obligations de consulter les Premières Nations concernant la protection du caribou forestier.

La semaine dernière, l'Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador déplorait, par la voix du chef Ghislain Picard, que la province continuait d'ignorer les Autochtones dans l'élaboration de sa stratégie. Le réveil pourrait être brutal, a-t-il prévenu.

Outre les Innus, la Première Nation Anishnabeg a aussi réclamé un décret d'urgence à Ottawa.

Ghislain Picard prend place devant des drapeaux de différentes Premières Nations canadiennes.

Le chef de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard, somme Québec de consulter les Autochtones. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Guy Bois

On ne peut plus attendre

Pour Alain Branchaud, directeur général à la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec (SNAP Québec), c’est un autre signal qui est envoyé pour rapidement rendre publique l’ébauche de stratégie de protection du caribou.

À son avis, le Québec n'a plus de raison valable pour ne pas déposer son projet qui, rappelle le biologiste, n'en sera pas à sa version finale au moment du dépôt. Le document devra en effet passer l'étape des consultations publiques avant d'être adopté à l’Assemblée nationale.

M. Branchaud craint que les délais ne discréditent les consultations qui ont déjà eu lieu et même celles à venir. Il craint aussi de voir les initiatives pour forcer le gouvernement à agir se multiplier, créant plusieurs fronts.

On va se retrouver à un endroit où on va devoir emprunter plein de chemins probablement divergents qui vont mettre les gens en confrontation plutôt que de les placer comme des collaborateurs. [...] La protection du caribou, ça ne se fera pas chacun de son bord, c’est tout le monde ensemble.

Dans ce contexte, la SNAP Québec exige du Québec qu’il rende disponible rapidement la stratégie. Le gouvernement fédéral, les organisations non gouvernementales, l’industrie forestière, les Premières Nations, tout le monde attend après ça. Il faut qu’on aille de l’avant.

À Québec, le gouvernement promet le dépôt de la stratégie avant la fin de l'année.

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