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Les grandes ambitions immobilières de la Nation Squamish

Vue aérienne du centre-ville de Vancouver avec de très hautes tours dans un secteur résidentiel.

Le projet, qui, une fois terminé, comportera 11 tours d'habitation, transformera la densité au sud du centre-ville de Vancouver.

Photo : Nch'ḵay̓ Development Corporation

À Vancouver, la Nation Squamish est en train de transformer le paysage de la métropole. À travers des projets d’envergure, la Première Nation a l’ambition de devenir le plus influent promoteur immobilier de la région. Or, si elle est pleine de promesses, cette ambition impose aussi des défis.

Dans le quartier de Kitsilano, un secteur résidentiel paisible et recherché aux abords de l’eau, les duplex et les maisons unifamiliales côtoient depuis un peu plus d’un an un immense chantier. Des tours allant jusqu’à 56 étages, installées aux abords du pont Burrard, poussent lentement, là où se trouvait jusqu'à maintenant un terrain boisé.

Je savais qu’on allait éventuellement y construire quelque chose! s’exclame Eve Munro. Mais c’est sans précédent. C’est une petite ville, essentiellement.

Un chantier de construction avec des travailleurs.

Des travailleurs s'affairent sur le chantier de construction de Sen̓áḵw, en décembre 2023.

Photo : Autre banques d'images / Justine Beaulieu-Poudrier

Depuis qu’elle a appris, en 2019, l’existence de ce projet monstre visant à héberger jusqu’à 12 000 personnes dans quelque 6000 appartements locatifs, Eve Munro s’est battue pour convaincre la Ville et le promoteur immobilier d’en réduire l’ampleur, ou, du moins, de répondre à ses questions.

Atteignant une densité 13 fois plus grande que celle du centre-ville de Vancouver et 8 fois plus forte que celle de Manhattan, à New York, le projet Senakw, porté par la nation Squamish, est le plus grand projet immobilier jamais réalisé par une Première Nation au Canada.

Ça va faire venir le centre-ville de ce côté-ci du pont Burrard, confirme l’urbaniste Meg Holden, pour qui le projet est unique non seulement en raison de sa taille, mais aussi par le caractère particulier du terrain : une réserve autochtone en plein cœur de la ville.

Comme ce terrain appartient entièrement à la Nation Squamish, ce projet n’est pas obligé de suivre le même processus de réglementation publique, explique la chercheuse de l’Université Simon Fraser.

C’est ce qui a permis, en un temps record et grâce à un prêt de 1,4 milliard de dollars du gouvernement fédéral, de transformer le paysage de Vancouver.

Deux hommes prennent une pose pour une photo.

Le porte-parole de la Nation Squamish, Wilson Williams, en compagnie du premier ministre Justin Trudeau (à droite) en juillet 2022 à Vancouver, lors de la cérémonie de la première pelletée de terre du projet

Photo : Nch'ḵay̓ Development Corporation

Une revanche sur l’histoire

La ville de Vancouver a été érigée sur des terres non cédées qui appartenaient aux Nations Musqueam, Tsleil-Waututh et Squamish.

Des membres de la Nation Squamish ont vécu dans le village de Sen̓áḵw, dans le quartier de Kitsilano, jusqu’en 1913, quand le gouvernement provincial de l’époque les a forcés à partir. Plusieurs familles ont été évacuées par barge vers d’autres secteurs plus au nord.

Après des décennies de bataille devant les tribunaux, la Cour fédérale du Canada a redonné le contrôle d’une parcelle de territoire près du pont Burrard à la Première Nation Squamish en 2003. La communauté voit aujourd’hui ce terrain de 4,7 hectares comme une façon d’assurer sa prospérité.

Le projet Sen̓áḵw est né en 2019 à la suite d’un référendum lors duquel 87 % des membres de la Nation Squamish qui l'ont appuyé.

On appelle ce projet notre diamant brut, explique Wilson Williams, ou Sxwixwtn en langue squamish.

Une vue aérienne du projet et de son implantation au coeur de la ville.

Les terrains récupérés et développés par les Squamish à Vancouver sont particulièrement bien situés.

Photo : CBC News

À travers la société de développement économique Nch’ḵay̓, il espère voir la Nation Squamish atteindre son indépendance économique tout en s’attaquant à l'importante crise du logement qui sévit au sein de la communauté de quelque 4000 membres dispersés dans 23 villages. De l’ensemble des logements construits, 250 seront subventionnés pour être loués à des membres de la nation à très bas prix.

De négligés à incontournables

En quatre ans, les peuples autochtones du Grand Vancouver sont passés de négligés à force incontournable en matière de développement immobilier.

On verra bientôt une situation où il ne se fera plus d’aménagement sans partenariat avec une ou plusieurs Premières Nations à Vancouver. C’est devenu une obligation profonde dans la culture et même dans la politique d'urbanisme, croit Meg Holden.

Une femme avec un manteau et un livre dans un parc.

L'urbaniste Meg Holden, de l'Université Simon Fraser, s'intéresse au rôle des Premières Nations sur les terres fédérales Jericho, dans l'ouest de Vancouver.

Photo : Radio-Canada / Francis Plourde

L’urbaniste cite deux autres projets d’envergure prévus sur des terres appartenant au gouvernement fédéral et qui visent, à travers un partenariat avec les nations Squamish, Tsleil-Waututh et Musqueam, à créer de véritables quartiers.

On fait le constat que les Premières Nations d’ici existent, ont toujours existé et vont toujours être-là, explique-t-elle. C’est tout un changement de paradigme auquel on assiste en quelques années.

Kennedy Stewart, qui a été maire de 2018 à 2022, est l’un de ceux qui se sont rangés derrière la Nation Squamish en négociant une entente de service avec les promoteurs. Il s’agissait du principal obstacle qui aurait pu freiner le projet, la Ville n’ayant aucun autre moyen d’influencer sa planification.

Quand on m’a approché, j’étais aux anges, car ce projet remplissait mes objectifs de construire plus de logements locatifs et de promouvoir la réconciliation.

Une citation de Kennedy Stewart, ex-maire de Vancouver

Racisme ou craintes légitimes?

Des citoyens comme Eve Munro ont toutefois critiqué l'entente, qu'ils disaient avoir été signée derrière des portes closes sans tenir compte de l'incidence sur les quartiers avoisinants, et ils l’ont contestée devant les tribunaux, sans succès. La juge a néanmoins admis la légitimité de leurs inquiétudes et souligné l’absence de forum pour en faire part à d'autres.

Pour l’ex-maire de Vancouver, les opposants faisaient plutôt preuve de mauvaise foi, car ils refusent toute augmentation de la densité dans leur quartier, d’autres, par racisme.

Des gens nous ont dit qu’on était en train de transformer leur quartier en ghetto, qu’on détruisait – et je cite – le caractère de leur quartier, raconte Kennedy Stewart. Le racisme existe; ça ressort lorsque les gens pensent qu’ils ont quelque chose à perdre et qu'ils ne se sentent pas responsables des actions passées de l'État envers ce qui a été officiellement qualifié comme un génocide ici, au Canada.

La réalité est plus complexe que cela, croit Eve Munro, pour qui le malaise entourant le passé entre Autochtones et allochtones a réduit des voix discordantes au silence, au détriment de la planification urbaine.

J’aurais espéré que la réconciliation n’empêche pas les discussions, fait-elle valoir. Les gens appuient la réconciliation, mais sont aussi confus sur ce que ça signifie. Est-ce que ça signifie que quand des Premières Nations tentent de développer un projet commercial, d’autres intérêts ne devraient pas être pris en compte? Je ne suis pas convaincue.

Une femme avec un parc et de l'eau en arrière-plan.

Eve Munro est présidente de l'association des résidents de Kits Point. Après avoir subi un revers en Cour provinciale, les résidents espèrent que leurs craintes en ce qui a trait à la congestion routière et au manque d'infrastructures seront non fondées.

Photo : Radio-Canada / Francis Plourde

Un modèle pour d’autres Premières Nations

Pour la Nation Squamish, il ne fait toutefois aucun doute qu’il s’agit d’un projet de réconciliation. À terme, l’entreprise pourrait lui permettre, à travers Nch'ḵay̓ et son partenaire, Westbank Corp., d’engranger des bénéfices de plus de 20 milliards de dollars.

La Nation espère que son approche servira de modèle à d’autres communautés ailleurs au pays.

Avec le développement de grands projets immobiliers viennent aussi des promesses d’emplois pour ses membres et des revenus à long terme pour répondre à ses besoins grandissants.

On a une crise de la santé publique dans notre communauté, on fait face à de la pauvreté et on a encore des étudiants qui ont des difficultés dans le système scolaire. On doit aussi augmenter nos budgets annuels pour l’éducation postsecondaire, parce que de plus en plus de nos jeunes poursuivent leurs études, explique Wilson Williams, qui ajoute : C’est le genre de choses auxquelles nous devons penser pour assurer notre avenir.

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