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Documenter les savoirs autochtones pour aider la recherche sur la santé et le bien-être

Des fleurs sauvages dans la région du Petit lac des Esclaves, en Alberta.

Ărramăt est un projet de recherche qui vise à documenter les connaissances autochtones, notamment en matière de conservation de la biodiversité, au nom de la santé et du bien-être.

Photo : Fournie par Carrie Oloriz

Les collaborations entre chercheurs et détenteurs de savoirs traditionnels peuvent comporter des risques de biopiraterie. Ărramăt, un projet de recherche pancanadien basé à l’Université de l’Alberta, se penche pour sa part sur la documentation des connaissances autochtones dans un but de promotion et de partage équitable.

Il s'agit d'un projet interdisciplinaire codirigé par des Autochtones et financé par le fonds canadien Nouvelles frontières en recherche.

Quelque 150 organisations autochtones et institutions universitaires au pays et à travers le monde y participent.

Ărramăt s’intéresse aux connaissances des peuples autochtones en matière de conservation de la biodiversité, et notamment à leur application à la santé et au bien-être.

Nous nous sommes assis avec nos collaborateurs non autochtones, qui sont des chercheurs chevronnés reconnus dans leur discipline, pour réfléchir sur la façon dont nos savoirs peuvent se parler de façon équitable.

Une citation de Mariam Wallet Aboubakrine, chercheuse
Mariam Wallet Aboubakrine se tient devant devant un micro, une feuille en main.

Membre du peuple touareg du Mali, Mariam Wallet Aboubakrine (ici à la COP15) est à l'origine du nom Ărramăt, qui, dans sa langue maternelle, décrit un état de bien-être partagé par l'environnement, les animaux et les humains.

Photo : Ben Powless/Fournie par Amabel D'Souza

Une approche holistique

La chercheuse explique que l’approche du projet à la santé comprend aussi bien la santé physique que la santé mentale.

D'après elle, tout comme la recherche conventionnelle s’intéresse aux déterminants de la santé, notamment les facteurs liés à l'environnement social et économique des personnes, les savoirs traditionnels abordent aussi la santé en tenant compte d'aspects comme l’accès à la terre, la nutrition ou encore la justice.

Le fait de s’intéresser à ces éléments a permis aux chercheurs d’Ărramăt d’avoir des mots et des concepts plus élaborés en la matière, dit-elle.

En ce sens, Mme Aboubakrine exhorte les chercheurs à considérer la spiritualité chez les Autochtones parmi les déterminants de la santé, pour que leurs membres soient plus disposés à s’ouvrir lorsqu’on entre en contact avec eux.

Elle donne l’exemple d’une rencontre organisée en marge du pow-wow d’été de la Nation crie Enoch, près d'Edmonton, qui a permis de saisir l’importance que revêt cette cérémonie du point de vue de la spiritualité.

La chercheuse cite également la danse de la transe qui, chez certains peuples d’Afrique, permet de soigner certains types de dépressions.

Un médicament traditionnel à base de plante dans un contenant sous forme de chapeau.

Grâce à leur proximité avec la nature, les peuples autochtones ont accumulé des connaissances sur les vertus des plantes. Sur la photo, une plante utilisée chez les Touaregs pour soigner les maladies du foie et de la rate.

Photo : Mariam Wallet Aboubakrine/fournie par Amabel D'Souza

À l'écoute des gardiens des savoirs

Le projet s’est penché aussi sur la cartographie des noms de lieux en langue crie qui ont une signification pour la conservation de la biodiversité, d'autant plus que les Autochtones possèdent une mémoire de l’évolution des lieux et des écosystèmes, grâce à la transmission de connaissances d’une génération à une autre.

De cette mémoire, on peut apprendre, par exemple, que l’eau de telle ou telle rivière atteignait un tel niveau, ou qu’il y a eu un changement dans la fréquence des crues ou dans l’aspect des poissons.

Mariam Wallet Aboubakrine rapporte qu’un aîné autochtone a témoigné avoir pêché, à plusieurs reprises et à des périodes précises, un poisson bicéphale. Cela peut amener à réaliser des tests sur les changements hormonaux [...] ou pour voir le lien avec des contaminants.

Certaines données de recherche issues du projet seront rendues publiques. Celles relevant de l’aspect sacré doivent être partagées dans un cercle donné, tandis qu’il faudra suivre une procédure formelle pour avoir accès à d’autres types de résultats.

Le projet entend ainsi respecter le principe du consentement préalable libre et éclairé, conformément à la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Un groupe de femmes près d'un cours d'eau, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Des membres de l'équipe d'Ărramăt, lors d'un atelier organisé dans la Première Nation Lutsel K'e Dene, dans les Territoires du Nord-Ouest. De gauche à droite : Maria Eugena Choque Quispe, Natalia Landivar, Cleo Reece (aînée de la Première Nation de Fort McMurray), Brenda Parlee, Mariam Wallet Aboubakrine et Abby D'Souza.

Photo : Fournie par Amabel D'Souza

Le Protocole de Nagoya, un important garde-fou

À cet égard, on peut citer aussi le Protocole de Nagoya. Il s’agit d’un accord multilatéral qui lutte contre l’appropriation indue de savoirs traditionnels par des chercheurs ou des entreprises.

L'entente est entrée en vigueur en 2014. À ce jour, 141 pays l’ont déjà ratifiée.

En vertu de ce protocole juridiquement contraignant, un utilisateur qui veut avoir accès aux savoirs traditionnels est tenu de satisfaire à deux conditions, soit le consentement préalable et le commun accord, explique Rosa Ortiz Quijano, enseignante en environnement à l’Université de Sherbrooke.

Le commun accord réfère par exemple au fait, pour une entreprise, d’avoir l’aval du détenteur de savoirs traditionnels.

Il peut avoir un caractère monétaire, comme un certain pourcentage des profits que ferait l’utilisateur, ou non monétaire, notamment un transfert de technologie, une participation à une recherche de bioprospection, ou encore sous forme de renforcement des capacités.

Une citation de Rosa Ortiz Quijano, Université de Sherbrooke

Elle cite en exemple le Pérou, qui exige une redevance obligatoire de 15 % sur les profits avant impôts tirés de l’accès aux savoirs traditionnels. Deux tiers sont destinés aux communautés autochtones, tandis que le reste est versé dans un fonds administré par l’État.

Ce pays a aussi mis en place une commission interministérielle de lutte contre la biopiraterie, souligne-t-elle.

Une femme avec le regard fixe et un sourire aux lèvres.

Enseignante en environnement à l'Université de Sherbrooke, Rosa Ortiz Quijano insiste sur l'importance, pour les pays, d'adhérer au Protocole de Nagoya, pour protéger davantage les savoirs autochtones des risques de biopiraterie.

Photo : Karine Couillard/Fournie par Rosa Ortiz Quijano

Le Canada se fait désirer

Le Canada n’a pas encore adhéré à ce protocole. Le ministère de l’Environnement explique qu’une telle adhésion nécessite une consultation approfondie avec les provinces, les territoires, les peuples autochtones et d’autres parties prenantes, car c'est une entente qui porte sur des questions complexes.

Les implications d’une possible adhésion sont encore à l’étude.

Une citation de Ministère de l'Environnement du Canada

En attendant, le Canada dit qu'il s'emploie à élaborer et à mettre en œuvre des mesures fondées sur les principes généraux de la Convention sur la diversité biologique.

Le ministère cite aussi le Programme sur la propriété intellectuelle autochtone (PPIA), qui vise notamment à rendre le système de propriété intellectuelle plus inclusif pour les peuples autochtones.

Ottawa dit par ailleurs soutenir les initiatives visant à construire des passerelles entre les savoirs autochtones et les sciences conventionnelles.

Le précédent Hoodia

Rosa Ortiz Quijano insiste sur l'importance du Protocole de Nagoya. Elle rappelle une affaire de biopiraterie concernant une plante semblable au cactus et utilisée depuis des millénaires par les San, un peuple d’Afrique australe, pour couper la sensation de faim et de soif pendant la chasse.

Un centre de recherche sud-africain, ayant détecté la molécule de cette plante appelée Hoodia gordonii, l’a alors brevetée. Pfizer a obtenu l’autorisation d’utiliser le brevet pour concevoir un médicament contre l’obésité, moyennant 25 millions $US.

Le peuple San, appuyé par des organisations, a poursuivi le centre de recherche et obtenu une redevance.

Un projet similaire de NAIT

Le Centre pour la recherche boréale de l’Institut des technologies du Nord de l’Alberta (NAIT), à Peace River, mène un projet similaire. Ses chercheurs et les communautés locales partagent leurs connaissances, notamment en matière de triage des semences, de restauration des tourbières et de remise en état des terres contaminées par l'exploitation pétrogazière.

Le projet travaille également avec la Première Nation de Blueberry River, dans le nord de la Colombie-Britannique.

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