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Surfacturation dans les contrats fédéraux : les fraudeurs dans la mire d’Ottawa

Le gouvernement fédéral lance une vaste enquête pour débusquer les sous-traitants qui abusent du système de contrats publics. Dans la foulée de l’affaire ArriveCan, Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, promet d’avoir à l'œil les sous-traitants qui souhaitent faire affaire avec le gouvernement.

Daniel Thibeault s'entretient avec le ministre fédéral Jean-Yves Duclos.

Le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, est l'invité de Daniel Thibeault à l'émission « Les coulisses du pouvoir ».

Photo : Radio-Canada

L’annonce a de quoi frapper l’imaginaire. Une fraude mise au jour mercredi dernier par Ottawa a révélé que trois consultants du secteur des technologies ont facturé les mêmes heures travaillées sur les mêmes dossiers à 36 ministères et organismes fédéraux.

Cette fraude de cinq millions de dollars met en évidence les failles du système d’approvisionnement gouvernemental et les angles morts du processus d’octroi de contrats.

En entrevue à l'émission Les Coulisses du pouvoir, le ministre Jean-Yves Duclos souligne que c’est une petite portion des contrats à l'externe du gouvernement qui serait visée par cette fraude. Près d’une dizaine d’autres cas serait déjà dans le viseur de ses fonctionnaires.

Ils [les citoyens] ont raison d'être choqués. On est tous choqués, on est tous fâchés. On voudrait que ces cas n'existent pas, mais ils existent malheureusement, parce que c'est comme ça que la nature humaine fonctionne.

Une citation de Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement

Les enquêtes internes sur ces cas de fraude allégués ont commencé il y a déjà quelques années. Elles n’ont rien à voir avec le rapport dévastateur de la vérificatrice générale Karen Hogan concernant la gestion des contrats externes entourant la conception de l’application ArriveCan, même si le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a été impliqué.

Si l’annonce de Jean-Yves Duclos peut ressembler à un exercice de relations publiques ou de gestion de crise, le professeur et spécialiste en administration publique Denis Saint-Martin estime que la recherche d’un bon coup de pub et d’une bonne politique publique ne sont pas incompatibles.

Tant mieux si cela ressemble à une chasse aux sorcières, c'est ce que ça devrait être. Il faut que ça soit l'espèce [...] de coup d'épée qui fait en sorte que tous ceux qui sont habitués à passer à côté des règles savent qu’il y a une épée de Damoclès au-dessus [de leur tête]. Ce n'est pas vilain en temps de crise.

Une citation de Denis Saint-Martin, professeur au département de sciences politiques de l’Université de Montréal

Les résultats des enquêtes internes sur les trois consultants impliqués dans cette fraude de cinq millions, dont la cote de sécurité a été suspendue, ont été transférés à la Gendarmerie royale du Canada. Le gouvernement fédéral a également entamé des démarches pour récupérer les sommes payées en trop.

Une goutte d’eau dans l’océan des contrats

La prise annoncée la semaine dernière peut sembler modeste, soit trois  transactions d’une valeur de cinq millions de dollars sur les 400 000 contrats d’une valeur de 35 milliards de dollars octroyés par Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) en 2023.

Cependant, le ministre Duclos se défend d’exagérer son ampleur. Non, on n’en fait pas trop de cas. Il faut faire tout ce qu'il faut [...] pour tous les trouver. Ça demande beaucoup de travail, mais c’est essentiel pour [...] la confiance des Canadiens.

Il admet cependant qu’il faut éviter de généraliser; la situation ne touche pas l'ensemble des entreprises qui font affaire avec Ottawa.

Ce sont des pommes pourries dans un très gros panier de pommes. Il faut éviter de croire que c'est tout le panier qui est pourri.

Une citation de Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement
Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement à l'émission «Les coulisses du pouvoir».

Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement

Photo : Radio-Canada

Le fait que 36 ministères aient été touchés par cette fraude souligne la tendance lourde des ministères de travailler encore en silo, juge Denis Saint-Martin. Selon lui, il s’agit d’un élément sur lequel il faut, ultimement, travailler.

Le professeur souligne aussi l’importance de mécanismes de reddition de comptes pour éviter de tomber dans le trou noir de la responsabilité.

L’intelligence artificielle aux trousses des fraudeurs

C’est une dénonciation au moyen d'une ligne téléphonique qui a mis SPAC sur la piste des fraudeurs. Ensuite, des techniques poussées d’analyse de données lui ont permis de constater que les trois consultants avaient facturé les mêmes heures de travail à plusieurs ministères.

L’intelligence artificielle fait partie des nouveaux outils à la disposition des enquêteurs. Sans cela, il est difficile – même impossible – de compiler, de rapprocher et d'analyser les données liées aux centaines de milliers de contrats fédéraux.

Si l'intelligence artificielle peut être un outil, elle peut s’avérer contreproductive, selon le professeur Saint-Martin.

Les algorithmes peuvent aider les fonctionnaires à la recherche d’indices, mais aussi les sous-traitants à tenter de contourner les règles.

Avoir les fournisseurs à l'œil

Parmi les autres outils sur lesquels mise le ministère pour garder les fournisseurs à l'œil se trouve le Bureau de l'intégrité et de la conformité des fournisseurs (BICF). Il verra le jour en mai prochain.

La mission du BICF et de ses futurs employés :  veiller à ce que le gouvernement fédéral ne fasse pas affaire avec des fournisseurs ayant des comportements préoccupants. Pour cela, le bureau aura la capacité de détecter les cas de fraude et les actes répréhensibles liés à l'approvisionnement fédéral.

Il pourra prendre des mesures telles que suspendre ou radier un fournisseur, en l’absence de poursuite ou d’accusation, et collaborer avec d’autres territoires comme le Québec ou les États-Unis, selon des informations fournies lors d’un breffage technique.

Si la pandémie a causé un électrochoc qui a accéléré les efforts numériques de l’administration publique, selon Denis Saint-Martin, l’épisode a surtout mis à l’épreuve la fonction publique en situation d’urgence. Une bonne administration publique et le concept d'urgence sont incompatibles, ajoute-t-il.

Cependant, le professeur y voit un possible retour du balancier où la sous-traitance quasi systématique à l’externe – une façon de faire qui date des années 1990 – serait remplacée progressivement par plus de travail des fonctionnaires à l’interne.

Personne n'aime la bureaucratie. Puis, quand il arrive des scandales comme ça, c'est sûr que c'est facile de casser du sucre sur le dos des mauvais fonctionnaires, déclare Denis Saint-Martin.

Il ajoute : C'est des sales moments à passer, mais certains diraient que ce sont des dossiers et des occasions en or de vraiment travailler à fond.


L'entrevue du ministre Duclos sera diffusée aux Coulisses du pouvoir à 11 h, dimanche, sur ICI RDI et ICI TÉLÉ.

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