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Les réceptions de Golgotha picnic

« Mais c’est une fiction ! » Mobilisation et démobilisation d’une notion controversée dans l’affaire Golgotha picnic

Anna Arzoumanov, Mathilde Barraband et Marty Laforest

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Texte intégral

  • 1 Voir notamment Agnès Tricoire, « Quand la fiction exclut le délit », Légipresse, n° 240, avril 2007 (...)
  • 2 Édouard Treppoz, « Pour une attention particulière du droit à la création : l’exemple des fictions (...)

1La fiction est-elle une catégorie de réception centrale pour appréhender les pouvoirs de la littérature dans l’espace social et ses possibles effets illicites ? C’est ce qu’avancent la jurisprudence et de nombreux travaux émanant de juristes, qui invitent à appréhender l’œuvre d’art, et en particulier l’œuvre littéraire, avec des catégories de réception distinctes des autres productions de l’esprit. La fiction est alors présentée comme une catégorie particulièrement efficace pour protéger l’expression artistique des condamnations judiciaires. Pionnière en la matière, Agnès Tricoire considère que les magistrats devraient se fonder sur un principe consistant à faire valoir une exception de fiction dès lors qu’ils sont amenés à juger une création. C’est l’idée qu’elle défend dans plusieurs articles ainsi que dans son ouvrage Petit Traité de la liberté de création paru en 20111. Partant du constat que le magistrat n’a pas le droit de se prononcer sur la valeur artistique des créations et qu’il doit s’appuyer sur des éléments dans lesquels sa subjectivité n’est pas engagée, elle propose d’accorder une place centrale à la notion de fiction et s’appuie notamment sur les travaux de Jean-Marie Schaeffer pour défendre la thèse de l’existence d’un « pacte de feintise ludique partagée » dans les fictions qui en désamorcerait les possibles effets illicites (diffamation, atteinte à la vie privée, provocation à la haine). On retrouve également cette idée sous la plume d’autres juristes qui considèrent que cette catégorie de la fiction pourrait être au fondement d’un principe permettant de protéger davantage les créations2. La fiction est ainsi devenue une catégorie majeure dans les études juridiques consacrées au droit de la création.

  • 3 Ce sont bien ces fictions « artistiques » qui nous intéressent dans le présent article, celles qui (...)
  • 4 Jean-Marie Schaeffer, « Préface » à Olivier Caïra, Définir la fiction. Du roman au jeu d’échec, Par (...)

2Pourtant, il est peu de notions qui soient si difficiles à appréhender, y compris par les spécialistes. Comme le souligne Jean-Marie Schaeffer lui-même, les controverses visant à définir « cette attitude anthropologique fondamentale » qu’est la fiction, et plus particulièrement les « fictions artistiques3 », perdurent depuis l’Antiquité, et elles se sont intensifiées depuis les années 1970, mobilisant aussi bien les études littéraires que la philosophie, la psychologie cognitive que l’histoire et l’historiographie, la sociologie que l’anthropologie4. Une telle longévité et une telle intensité, que la dernière décennie confirme encore, semblent pouvoir défier celles de n’importe quel autre débat théorique animant le champ de la recherche. C’est donc paradoxalement sur une notion particulièrement insaisissable que les juristes contemporains fondent leurs espoirs.

  • 5 Voir par exemple Mathilde Barraband, « Ce qu’il faut comprendre de l’affaire Hansel et Gretel », La (...)
  • 6 Olivier Caïra, Définir la fiction. Du roman au jeu d’échec, op. cit., spécialement p. 153-168.

3Or ils ne sont pas les seuls. L’étude des polémiques sur l’art montre que l’argument de l’exception de fiction circule assez largement dans l’espace social. Présent dans la réception journalistique, il l’est aussi sur les divers forums qu’ouvre internet, où il n’est pas rare de lire un internaute qui proteste « Mais c’est une fiction ! » pour défendre une œuvre controversée 5. À tel point que le sociologue Olivier Caïra a pu s’insurger, il y a une dizaine d’années déjà, contre la banalisation de cette idée que la fiction constituerait une « zone de non-droit6 ».

4L’affaire qui a entouré la présentation au public de la pièce et du livre Golgotha picnic de Rodrigo García est exactement contemporaine de ces débats théoriques, comme du succès dans les prétoires de la notion de fiction. Au cours des années 2011-2017, elle a mis aux prises des catholiques, s’insurgeant notamment contre la représentation “blasphématoire” qui y était faite de leur Sauveur, et des tenants de la liberté de création, avançant que le Christ est un personnage comme un autre, dans une société sécularisée. Portée devant les tribunaux, elle a suscité divers jugements émanant de tribunaux administratifs, civils comme pénaux. Le grand public a assisté à ces disputes, qui ont joui d’une large couverture médiatique, en émettant régulièrement son opinion à l’occasion de micros-trottoirs ou de commentaires sur les réseaux sociaux. L’affaire Golgotha picnic, qui concerne une œuvre mimétique, sous une forme performée comme livresque, constitue ainsi un cas particulièrement intéressant pour observer la circulation dans l’espace social de cette notion aussi populaire qu’épineuse qu’est la fiction.

  • 7 Voir notamment Ruth Amossy, Apologie de la polémique, Paris, Presses universitaires de France, 2014 (...)

5Quel rôle, donc, la notion de fiction a-t-elle occupé dans la réception de l’œuvre de García ? Au cours des procès devant les tribunaux et sur la place publique, est-elle utilisée pour défendre ou pourfendre Golgotha picnic ? Le statut fictionnel de la pièce est-il en débat et en quels termes ? On le verra, étonnamment peut-être, la catégorie de fiction a été quantitativement peu mobilisée dans le débat public, mais abondamment utilisée dans son volet judiciaire. C’est probablement le résultat le plus évident de notre enquête. Elle n’en a pas moins soulevé des débats cruciaux, éclairant l’affaire Golgotha picnic elle-même, et plus largement la série d’affaires dont elle relève, au cœur desquels résident d’importants conflits de normes. Pour mieux comprendre les usages (et non-usages) de ce terme au cours de l’affaire, il nous a semblé particulièrement pertinent de distinguer trois postes d’observation : la réception religieuse, la réception juridique et la réception que nous appellerons « citoyenne », en empruntant à Ruth Amossy l’adjectif dont elle se sert pour désigner la parole qui s’affiche dans l’espace public à titre non-professionnel7. Plus précisément, nous avons étudié la place que la notion de fiction a occupée dans les argumentaires de l’institut Civitas et de l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (AGRIF) qui sont les deux principales associations catholiques traditionalistes protestataires, des juges siégeant dans les diverses instances judiciaires sollicitées et, enfin, des internautes commentant l’affaire à la suite d’articles journalistiques en ligne. L’enjeu était de confronter les usages du terme fiction de deux communautés, les associations catholiques et les institutions judiciaires, dont la réception est guidée par un protocole d’interprétation contraignant car fondé sur des principes religieux et sur un système législatif, et celui de la communauté hétérogène et transitoire que forment les lecteurs se prononçant sur les sites de journaux. Nous les envisagerons dans cet ordre, pour respecter une certaine chronologie de l’affaire : 1) ce sont les associations catholiques qui lancent la controverse, 2) puis les juges qui la tranchent, 3) les internautes réagissant aux arguments des uns et des autres. La façon d’analyser ces trois postes d’observation ne pouvait être la même : seules les deux premiers relèvent de communautés à proprement parler, voire de communautés interprétatives. Nous les traiterons en conséquence, en nous attachant à rappeler l’usage qu’elles ont fait de la catégorie de fiction au long cours, avant d’en arriver à l’usage qu’elles en ont fait dans l’affaire Golgotha picnic en particulier. Le dernier poste d’observation, celui de la parole « citoyenne », permettra, comme un point d’orgue, d’observer les échos des arguments analysés précédemment, mais formulés, par les mêmes individus ou par d’autres, dans un espace non spécialisé, où ils s’avancent de surcroît de manière souvent anonyme.

Traditionalisme religieux et fiction

L’argument de la fiction dans les polémiques et procès à enjeux religieux

  • 8 Jean Boulègue, Le Blasphème en procès 1984-2009. L’Église et la Mosquée contre les libertés, Paris, (...)
  • 9 Il s’agit des procès contre les films Je vous salue Marie de Jean-Luc Godard et La Dernière tentati (...)
  • 10 C’est l’hypothèse de Philippe Portier dans « La question du “droit au blasphème” dans la France con (...)

6Des associations catholiques, et le clergé lui-même, ont régulièrement tenté de faire interdire des œuvres d’art qu’ils considéraient blasphématoires, depuis Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot de Jacques Rivette en 1966, et surtout depuis les années 1980. Dans Le Blasphème en procès, 1984-2009. L’église et la mosquée contre les libertés8, Jean Boulègue recense ainsi dix-huit procès intentés par des catholiques pour blasphème, dont la majeure partie vise des œuvres d’art ou leur promotion9. On peut y voir, pour cette période, les effets d’une aggravation des attaques contre le catholicisme, la montée d’un catholicisme plus revendicateur et intransigeant, voire une conjugaison des deux phénomènes10. L’année 2011 marque en tout cas une intensification des conflits, qui éclatent coup sur coup suite à l’exposition du Piss Christ en Avignon au début de l’été, puis aux représentations de Sur le concept du visage du fils de Dieu de Castellucci à Paris et de Golgotha picnic à Toulouse et à Paris en automne.

  • 11 Selon la terminologie de Portier qui propose de distinguer un « catholicisme d’ouverture », porté à (...)

7Si la presse réagit à chaque nouveau cas avec la même stupeur, comme si c’était la première fois, il est pourtant possible de distinguer plusieurs constantes dans l’ensemble de ces affaires. Elles tiennent en premier lieu au contexte, celui d’un pays largement sécularisé dans lequel les catholiques d’identité ne se reconnaissent pas11. Elles tiennent encore, de manière moins circonstancielle, au rapport que la croyance entretient à ce dont elle doit se distinguer pour convaincre, c’est-à-dire à la fiction, ainsi qu’aux rouages de la fiction elle-même. Ce sont ces derniers points que nous proposons d’examiner.

  • 12 Sur cette question, voir Jean-Marie Schaeffer, « Quelles vérités pour quelles fictions ? », art. ci (...)
  • 13 Le problème ne tient pas seulement dans la nature fictionnelle des productions artistiques mais plu (...)
  • 14 Voir par exemple les lettres encycliques des papes Pie xi et Pie xii disponibles sur le site de Civ (...)

8Entre croyance et fiction, le conflit semble en premier lieu porter sur les modalités du croire. Croire en une religion et croire en une fiction répondraient à des mouvements différents voire opposés, l’acte de foi n’ayant aucune commune mesure avec la suspension de l’incrédulité12. De là une tradition de méfiance de certains croyants à l’encontre de la fiction artistique. Cette attitude est patente dans les rangs de l’institut Civitas qui a été à l’origine de la mobilisation contre Golgotha picnic. Dans son discours, l’institut tente de tenir les plus distincts possible la croyance en l’histoire sacrée et le goût pour la fiction, situant la première du côté du vrai, de l’absolu et de l’unicité et, par opposition, la seconde, de celui du faux, du relatif et de la pluralité. L’amour de l’une est même présenté comme tout à fait incompatible avec l’amour de l’autre13. Dans ses textes visant à définir et publiciser ses positions théologiques et politiques, Civitas réactive de manière remarquable un sens désormais désuet du terme de fiction, proche de celui d’hérésie, afin de désigner une théorie (profane ou non) qui va à l’encontre de la doctrine intégriste14. Dans un tel contexte, qu’une fiction artistique s’empare de l’histoire sainte et de ses figures appelle bien entendu une condamnation de principe.

  • 15 Nous reprendrons désormais ce terme dans le sens précis et non péjoratif que lui donne Jeanne Favre (...)
  • 16 Voir l’analyse de Favret-Saada des réactions de catholiques au film Je vous salue, Marie ! (Les Sen (...)
  • 17 Dans les termes de la théorie des mondes possibles, on peut dire que « [l]’analogie est jugée scand (...)

9Il faut donc le souligner, pour les promoteurs d’une affaire de blasphème, pour ceux que Jeanne Favret-Saada appelle les dévots15, le caractère évidemment fictionnel d’une représentation et le fait que son auteur ne cherche pas à entrer dans un débat exégétique sont loin d’être des éléments à décharge. L’exemple des actualisations et des parallèles est éclairant à cet égard. Même s’ils ne cherchent pas à faire concurrence à l’histoire sainte ou à la contester, ils sont régulièrement reçus comme tels. Le Concile d’amour d’Oskar Panizza, qui transpose l’histoire du Christ à la Renaissance, comme Je vous salue, Marie de Jean-Luc Godard, qui raconte l’histoire d’un couple des années 1980 semblable à celui de Joseph et Marie, ont ainsi suscité les foudres de dévots, choqués par exemple de « ne plus reconnaître Marie16 ». Si l’identité est seule acceptable et la ressemblance, problématique, c’est parce que cette dernière pluralise ce qui doit rester unique, c’est parce qu’elle rapatrie en quelque sorte l’histoire sainte dans le régime du possible et non plus du vrai17. Cette logique explique que les actualisations et les parallèles évidemment « imaginaires » soient reçus par les dévots exactement comme les variations contrefactuelles « réalistes ». Toute variation à partir de l’histoire sainte est ainsi considérée comme blasphématoire.

  • 18 Ibid., p. 254.
  • 19 C’est très précisément ce qui intéresse Marino Formenti, montrer un Christ réel, comme il l’expliqu (...)
  • 20 Voir Isabelle Saint-Martin, « Sensibilités catholiques et réactions militantes devant les “blasphèm (...)
  • 21 Ce poème a été l’occasion pour les tribunaux anglais de remettre en vigueur dans les années 1970 l’ (...)

10Selon une telle conception, le projet de l’auteur et la tonalité de l’œuvre entrent peu en ligne de compte. Une œuvre est répréhensible si elle ne respecte pas la lettre des évangiles et quand même elle en respecterait l’esprit (inventant par exemple un épisode afin de montrer que le Christ est « tout amour »). Comme le souligne Françoise Lavocat, les œuvres suscitant des polémiques et procès pour blasphème combinent toutefois toujours à la récriture une « atteinte à l’image18 ». Dans Sur le concept du visage du fils de Dieu, où des enfants lancent des projectiles sur une peinture représentant le Christ, l’atteinte à l’image trouve un sens propre. Mais il arrive souvent que ce que les dévots considèrent comme l’imputation d’un trait ou d’un fait répréhensible ne le soit que selon leurs lois intransigeantes. En témoigne leur rejet de figurations qui certes désacralisent le Christ mais sont largement acceptées par la communauté chrétienne, que ces figurations le présentent, comme en Amérique du Sud, avec un béret révolutionnaire ou un cigare, ou qu’elles visent simplement à le montrer « humain19 ». Dans les faits, c’est souvent la mise en scène d’un Christ non seulement aimant mais amoureux qui est considérée comme diffamatoire, l’offense étant considérée comme plus grande encore quand cet amour se fait charnel. Le Da Vinci Code de Dan Brown (2003) aura ainsi fait sortir le clergé français de sa réserve20 et, dès avant cela, toute une série d’œuvres mettant en scène les amours homosexuelles du Christ, comme dans La Dernière Tentation du Christ de Níkos Kazantzákis (1954) et de Martin Scorsese (1988), et dans le poème de James Kirkup intitulé « The Love That Dares to Speak Its Name » (1976)21. Dans ce dernier cas, les accusateurs ont dû se défausser devant les tribunaux britanniques de l’accusation d’homophobie, l’homosexualité ayant été dépénalisée.

  • 22 François Boespflug note que « Les associations croix/femmes […] constituent au xxe siècle un sous-g (...)

11À l’aune de ces différents exemples, on voit que Golgotha picnic cumule plusieurs traits traditionnellement jugés répréhensibles par les dévots. Le seul fait que la pièce actualise la figure christique est problématique : elle se constitue ainsi en variation contrefactuelle. Mais en outre, la pièce appuie les effets de contraste parodiques produits par cette actualisation, en mettant en scène un monde contemporain particulièrement trivial (les références à la culture populaire actuelle sont multiples) et des événements notoirement anodins (le calvaire du Christ est comparé à celui d’un employé des postes). Autant de désacralisations qui ont été perçues comme des atteintes à l’image. De surcroît Golgotha picnic s’inscrit dans une longue tradition, celle de la féminisation du Christ en croix. Lorsqu’elle enfile un costume de Christ qui laisse apparaître le volume de ses propres seins puis pose les bras en croix (l’image est reprise sur les affiches), la comédienne de Golgotha picnic s’inscrit en effet dans la continuité de tout une série d’images de femmes crucifiées, depuis les dessins de Félicien Rops au xixe siècle, jusqu’à la couverture de l’album I.N.R.I. de Bettina Rheims et Serge Bramly un siècle plus tard22.

  • 23 Selon la définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL). URL : http:// (...)
  • 24 Le Robert historique de la langue française, 1998, 2e édition, p. 416.
  • 25 Françoise Lavocat, Fait et fiction, op. cit., p. 246.
  • 26 Françoise Lavocat, Fait et fiction, op. cit., p. 247.
  • 27 Alain Escada, « Golgota picnic, le spectacle blasphématoire contre lequel il nous faut nous mobilis (...)

12Comme le montrent les différents cas de polémiques et de procès à enjeux religieux, la figuration du Christ est particulièrement sensible. À cet égard, il faut rappeler que, si le blasphème peut, par extension, prendre la forme d’une parole comme d’un acte et être dirigé contre une personne comme une chose23, il désignait plus strictement à l’origine une « parole outrageant la divinité24 ». L’enjeu a été en premier lieu pour les chrétiens de faire taire les critiques contre celui qu’ils considéraient comme le fils de Dieu et dont la crédibilité était contestée : « Le christianisme et l’islam ont en commun d’avoir eu à utiliser l’accusation de blasphème pour contrer l’opposition au Christ et à Mahomet, eux-mêmes accusés de leur vivant de magie et d’imposture25 ». Ceci explique pourquoi une représentation du Christ jugée inconvenante reste encore aujourd’hui au cœur de la plupart des procès pour blasphème intentés par des chrétiens. Dans l’affaire Golgotha picnic, Civitas comme l’AGRIF se sont ainsi tout particulièrement offusqués du traitement qui était réservé au « fils de Dieu ». Les premiers messages de mobilisation de Civitas évoquent une « diffamation du Christ » et quinze des dix-neuf passages incriminés par l’AGRIF, au cours des procédures judiciaires, concernent le Christ et le présentent notamment comme peu fiable et mal intentionné. Mais l’« atteinte à l’image » est plus grave encore quand c’est le statut de divinité du Christ qui est remis en cause. Comme le formule Françoise Lavocat, « La question centrale posée par le blasphème contemporain repose sur le statut non partagé de ces entités [Dieu, Marie et Jésus] : personnes humaines, historiques et divines, personnages intervenant dans le culte, la culture et les fictions26. » En retenant le recours canonique à des périphrases et des majuscules pour désigner le Christ (« Celui qui est mort sur la Croix pour notre rédemption »), le secrétaire général de Civitas rappelle dans ses missives le statut d’exception du messie. Quant à ses comparaisons répétées du Christ à un père (« C’est du Christ qu’il s’agit. Celui qui est Notre Père. Qui laisserait sans réagir son père se faire insulter, humilier27 ? »), elles visent à nouveau à rappeler le lien d’exception qui le lie à chaque croyant mais aussi à souligner son caractère bien « réel ». En d’autres termes, c’est au titre que le Christ est une personne divine, c’est-à-dire à la fois vraie et unique, que Civitas et l’AGRIF refusent que l’on en fasse un personnage ou plutôt des personnages fictionnels.

13Ainsi, selon ce raisonnement, l’image du Christ sera toujours le Christ lui-même ou, pour le dire autrement, le Christ se tiendra dans chacune des représentations que l’on fait de lui. Peu importe la distanciation que crée la scène, voire la prise en charge de la parole par un personnage dont les propos seraient contredits par un autre personnage. Sur ce point, Lavocat n’est d’ailleurs par loin de donner raison à ceux qui portent des accusations de blasphème. À propos des deux chapitres « incontestablement fictionnels » des Versets sataniques, où un personnage fictif rêve de Mahomet, elle remarque :

  • 28 Françoise Lavocat, Fait et fiction, op. cit., p. 263.

Pourtant, même si on l’on ne se situe pas dans la perspective d’un croyant, on ne lit pas, ou pas seulement, ces chapitres comme le « feuilleton des rêves » d’un personnage romanesque. On ne le lit même pas, à proprement parler, comme de la fiction, mais bien comme une version alternative d’une autre histoire, dont on sait bien qu’il est (selon et pour certains) interdit de contester la factualité. Cela tient tout d’abord au statut logique des contrefactuels. La version autorisée est le monde de départ sans lequel le monde possible contrefactuel n’existerait pas. […] En d’autres termes, [le monde premier de référence] fait obstacle à l’opération de « recentrement » par lequel le lecteur entre, s’immerge dans un autre monde fictionnel et parvient à le considérer provisoirement comme un monde-actuel-pour-lui. À la lecture d’une œuvre contrefactuelle à sujet religieux, l’opération cognitive requise est inévitablement de mesurer un écart […]28

  • 29 Françoise Lavocat, Fait et fiction, op. cit., p. 272.

14Le plaisir de la lecture ou du spectacle viendrait aussi de cette mesure des écarts voire de la transgression que constituent ces écarts. Comme le souligne Lavocat, les fictions qui prennent pour héros un personnage sacralisé permettent ainsi de mieux saisir les rouages de la fiction. Tout en restant des fictions, elles contiennent un mélange d’éléments fictionnels et d’éléments « factuels » ou « référentiels ». La « factualité » de ces derniers éléments peut faire débat, ils n’en demeurent pas moins « factuels » ou « référentiels », au sens où ils ne gagnent pas automatiquement un statut fictionnel parce qu’ils sont intégrés à une fiction. L’autonomie des fictions à sujet religieux constitue donc elle-même une vue de l’esprit, et il semble peu pertinent de l’opposer aux accusateurs de blasphème. Lavocat propose plutôt de contester un autre de leur postulat, celui de l’univocité des référents qu’ils cherchent à sanctuariser : « Mieux vaut sans doute garantir la circulation, la mise en concurrence, la cohabitation des versions alternatives des référents sacralisés29 », avance-t-elle. En d’autres termes, plutôt que de prétendre que le Christ de Golgotha picnic est une fiction, il vaut mieux défendre le droit de chacun à forger les images et les interprétations qu’il souhaite de cette entité.

  • 30 Philippe Portier, « La question du “droit au blasphème” dans la France contemporaine », art. cit., (...)
  • 31 Jeanne Favret-Saada, Les Sensibilités religieuses blessées, op. cit., p. 17.
  • 32 Ibid., p. 15.

15On reconnaît ici une des trois lignes de défense que repère Philippe Portier30 en matière de défense contre les accusations de blasphème, celle qui consiste, à côté des arguments philosophiques et juridiques, à énoncer le problème en termes de propriété : les écritures, pas plus que les figures et les objets du christianisme, n’appartiennent à un groupe restreint. Ils appartiennent à toutes et tous. C’est aussi la position de Jeanne Favret-Saada, qui dénonce la conviction de certains chrétiens que « tout ce qui a trait au christianisme – les nonnes des siècles passés, la Palestine du ier siècle, la mère de Jésus telle qu’elle apparaît dans les Évangiles, et, bien sûr, les textes évangéliques eux-mêmes – est la propriété exclusive des croyants et surtout des autorités religieuses qui parlent en leur nom et qui, seules, sont compétentes pour dire leur signification, programmer leur représentation, et juger celles que produisent les profanes qui se hasardent à cet exercice31. » Elle rappelle que certains chrétiens eux-mêmes la contestent : les Réformés français partent ainsi du principe que le christianisme ne leur appartient pas en propre mais au contraire appartient à tous les héritiers de Jésus. Les dévots, quant à eux, sont « engagés dans une entreprise d’imposition de leurs valeurs à la société pluraliste dont ils sont des membres parmi d’autres32 ». En dernière instance, les procès pour blasphème semblent ainsi relever davantage du problème de l’intégrisme religieux, c’est-à-dire du refus de la pluralité en général, que strictement du refus de la fiction.

Le refus de la fiction par les groupes traditionalistes dans l’affaire Golgotha picnic

  • 33 Sur l’histoire et la vocation de ces groupes, sur leurs points communs et divergents, voir, dans ce (...)
  • 34 Nous avons pu répertorier 21 publications autour de Golgotha picnic parues sur le site de Civitas e (...)
  • 35 Les messages datés de 2011 encore disponibles sur le site de Civitas sont pour la plupart signés pa (...)
  • 36 Par exemple : Alain Escada, « Golgota picnic, le spectacle blasphématoire contre lequel il nous fau (...)

16S’ils visent un but commun, celui de défendre le catholicisme français, l’institut Civitas et l’AGRIF ont assumé des rôles différents dans l’affaire Golgotha picnic : celui d’alerter les catholiques contre une pièce jugée blasphématoire, pour le premier, et celui d’engager des procédures judiciaires visant à faire interdire les représentations et le livre, pour la seconde33. Leurs publications respectives autour de l’affaire34 répondent ainsi à des calendriers et des stratégies de communications différentes : Civitas, en première ligne, a travaillé à mobiliser ses réseaux en multipliant les missives virulentes à l’adresse de ses membres, alors que l’AGRIF, dans un second temps, a porté la cause devant les tribunaux, dans un langage nettement plus policé. Si Alain Escada, secrétaire général puis président de Civitas, et Me Jérôme Triomphe, avocat de l’AGRIF, principaux signataires des argumentaires des deux groupes dans cette affaire35, en appellent respectivement aux textes sacrés et aux textes de loi dans des tonalités fort différentes, ils ont toutefois des réflexes communs, qui sont ceux que l’on retrouve de longue date chez les accusateurs de blasphème, à commencer par celui de ne pas prendre en considération le contexte dans lequel sont émis les propos jugés préjudiciables. L’un et l’autre font ainsi de la dimension fictionnelle de la pièce un point aveugle de leurs réquisitoires. Le terme de fiction et ses corollaires sont absents de leurs messages destinés à une circulation interne, comme de leurs communiqués de presse et de leurs plaidoyers judiciaires. Le terme n’est jamais utilisé, ni de manière dépréciative ou distanciée (usages de modalisateurs), ni dans des formulations dénégatives (X n’est pas une fiction). Il n’y a pas là qu’un problème de vocabulaire : leur discours confond constamment les propos tirés de la pièce et ceux d’entretiens accordés par leur auteur, avec une totale indifférence pour la question du statut et du mode d’existence des énoncés auxquels ils renvoient. En fait, les porte-parole de Civitas et de l’AGRIF escamotent non seulement le caractère fictionnel de la pièce, mais aussi sa vocation artistique. Dans ses plaidoiries, l’AGRIF désigne de manière neutre Golgotha picnic comme un « spectacle » ou une « représentation », et se contente de manière remarquable de rappeler les limites de la liberté d’expression (et non de création). De manière plus crue, le bulletin trimestriel de l’association, La Griffe, réservé aux abonnés, et les messages internes de Civitas, multiplient des modalisations méprisantes visant à dénier aux productions contemporaines leur statut d’œuvre, se moquant des prétentions « pseudo-artistiques » et des « faux artistes »36.

  • 37 « Selon le journal “Libération” du 15 novembre 2011, “Golgota Picnic” est l’un des plus beau specta (...)
  • 38 TGI Paris, 17e ch., 10 décembre 2015, Jugement (copie de travail), no parquet 12305023020, p. 5
  • 39 TGI Paris, 17e ch., Ordonnance de référé, op. cit., p. 4.
  • 40 TGI Paris, 17e ch., Jugement (copie de travail), op. cit., p. 6.

17À titre de comparaison, les défendeurs rappellent aussi souvent que possible tout au long des procédures le caractère fictionnel, artistique et poétique37 de Golgotha picnic. Ils invoquent aussi explicitement ce qui, alors, n’avait de réalité que jurisprudentielle, c’est-à-dire la « liberté de création38 », et même la « liberté de fiction », arguant que « l’œuvre de fiction ne peut avoir pour obligation de respecter la morale ou les bonnes mœurs39 » et que « les propos incriminés [doivent] bénéficier de la liberté attachée aux œuvres de fiction, et tout particulièrement à celles de nature parodique, humoristique ou satirique prenant pour cible non les croyants, comme prétendu à tort par la partie civile, mais les croyances40 ». L’expression « œuvre de fiction » paraît ici employée dans un sens galvaudé et comme mauvais synonyme d’« œuvre artistique », il n’en reste pas moins que la prise en considération du statut et du mode d’existence des propos reste l’apanage des créateurs, des diffuseurs et de leurs partisans et qu’elle fait l’objet d’une dénégation marquée de la part des dévots.

  • 41 (S. a.), « “Golgota Picnic”, ou la haine du monde médiatico-culturelle contre le Christ », La Griff (...)
  • 42 L’idée générale que le christianisme est trop facilement pris à parti est plus largement répandue c (...)
  • 43 En 1984, Bernard Antony a fondé l’AGRIF, à Paris, et été élu député au Parlement européen sous l’ét (...)
  • 44 (S. a.), « “Golgota Picnic”, ou la haine du monde médiatico-culturelle contre le Christ », art. cit

18À mesure que se déploie l’affaire Golgotha picnic, Civitas et l’AGRIF sont tout de même amenés à prendre en considération l’argument de la fictionnalité qu’on leur oppose. La plupart du temps, les tribuns et militants des deux groupes se contentent de réfuter le principe d’une liberté de création (ou de fiction) qui excèderait la stricte liberté d’expression. Ponctuellement toutefois, un débat s’initie au sein de l’AGRIF qui prend au sérieux l’argument spécifique de la fiction et s’attache à sa réfutation. C’est la procédure déclenchée par la plainte de l’AGRIF devant la 17e chambre en octobre 2012 qui est à l’origine de ce débat. Suite à la plaidoirie de la défense lors de l’audience du 30 octobre 2015, Me Triomphe initie un argumentaire contre le principe d’une liberté de fiction qui sera repris et développé dans les pages de La Griffe41. La réfutation de l’avocat repose sur deux arguments complémentaires. Le premier reprend un procédé classique de la rhétorique de l’AGRIF, qui consiste à dire que la justice française est injuste car elle tolère une atteinte à la religion chrétienne qu’elle ne tolérerait pas pour les religions juive et musulmane42. Ce faisant, les membres de l’AGRIF se livrent à un exercice provocateur dans lequel le président de l’AGRIF, Bernard Antony43, excelle : celui d’imaginer des scénarios d’œuvres mettant en scène de façon particulièrement dégradante les personnages, les représentants et les objets du judaïsme et de l’islam, avec une prédilection pour les victimes de la Shoah, en affirmant que ces fictions seraient jugées criminelles, notamment dans un contexte où le négationnisme est explicitement constitué en délit depuis la loi Gayssot de 1994. L’exercice tend aussi à prouver qu’une histoire, même fictionnelle, peut porter préjudice voire inciter à l’action haineuse, que la fiction est efficace en somme : « quand on étudie l’histoire ne découvre-t-on pas que toutes les abominations révolutionnaires, tortionnaires, exterminatrices, génocidaires, ont été précédées de semblables campagnes de dérision et d’excitation obscènes et sanguinaires44. »

  • 45 Idem.

19Le second argument est plus inattendu. Au lieu de décrire les supposés effets réels d’un récit fictionnel, il insiste sur l’utilisation réelle des outils de l’art et de la fiction, en l’occurrence la parodie et la mise en scène, par des idéologues et des tortionnaires. Évoquant un lieu commun du discours anticommuniste de Bernard Antony, c’est-à-dire la prison roumaine de Pitesti, où les dissidents étaient « rééduqués » par la torture au tournant des années 1950, Me Triomphe raconte avec force détails « les abominations imposées aux chrétiens », en l’occurrence de fausses messes imposées aux séminaristes, les pseudo-baptêmes infligés aux chrétiens, qui étaient l’occasion de sévices sexuels, scatologiques et psychologiques45. Et ces « abominations » sont mises sur un pied d’égalité avec ce qui a lieu sur la scène de Golgotha picnic, pareillement jugé pornographique, scatologique et sacrilège, au prix d’une omission grossière : outre le fait que les actes n’ont aucune commune mesure, et quand bien même certains seraient performés plutôt que feints, dans le cas de la pièce ils sont pris en charge par des acteurs devant des spectateurs qui sont les uns et les autres volontaires. Ainsi, la prise en considération par les groupes traditionalistes de l’argument de la fiction aboutit elle aussi au refus de la fiction : soit au titre que le discours fictionnel a la même portée qu’un discours référentiel, soit à celui que le « théâtre » n’est pas l’apanage d’un art désintéressé et inoffensif.

20Si l’argument de la fiction fait l’objet soit d’une dénégation soit d’une réfutation de leur part, qu’en est-il des juges amenés à trancher les litiges qu’ils initient ? Quelle place, en somme, les juges accordent-ils à la dimension fictionnelle d’une œuvre dans les procès contre l’art en général et dans l’affaire Golgotha picnic en particulier ?

La réception judiciaire : un usage hétérogène de la catégorie

  • 46 Pour rappel, lorsqu’une juridiction prononce un jugement, ordonne un référé ou rend un arrêt, elle (...)

21La pièce a été au centre de plusieurs procédures, toutes initiées par l’AGRIF : devant le tribunal administratif de Toulouse, devant le tribunal des référés et devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris (cette dernière affaire a ensuite été portée devant la cour d’appel puis la Cour de cassation). On dispose donc d’un abondant corpus d’observation de la réception judiciaire de Golgotha picnic : deux ordonnances de référé, un jugement de première instance et deux arrêts rendus par la cour d’appel de Paris et par la Cour de cassation46.

22Dans le cas de Golgotha picnic, on l’a vu, les groupes catholiques éludent le caractère fictionnel de la pièce : ce silence est révélateur d’une volonté de traiter les énoncés produits sur scène comme n’importe quelle autre forme d’expression. La défense, elle, insiste sur le caractère fictionnel de la pièce. Qu’en retiennent, donc, les diverses juridictions pour motiver leurs décisions ? On peut distinguer deux points qui engagent la question de la fiction : le traitement du caractère fictionnel de la pièce et celui de Jésus-Christ comme personne ou personnage.

Sur le caractère fictionnel de la pièce 

  • 47 Sur ce point, voir Arnaud Latil, Création et droits fondamentaux, Issy les Moulineaux, LGDJ, 2014.
  • 48 Sur ce point, voir Anna Arzoumanov, « La fiction objet de droit ? Réflexions sur une catégorie juri (...)

23Depuis les années 2000, sous l’influence de la jurisprudence européenne mais également de l’Observatoire de la liberté de création créé sous l’égide des droits de l’homme, la jurisprudence française a tendance à considérer que la création artistique et littéraire doit faire l’objet d’une protection renforcée47. C’est dans ce cadre, au prix parfois d’une assimilation entre création et fiction, sur laquelle nous reviendrons, que l’appréciation du pacte fictionnel s’est retrouvée au cœur du protocole interprétatif permettant de déterminer si un énoncé constitue une infraction de presse (diffamation, injure, provocation à la haine) ou porte atteinte à autrui (atteinte à la vie privée), et le terme est récurrent dans les motivations des décisions rendues par les différentes juridictions. À en croire quelques décisions judiciaires de ces vingt dernières années et un bon nombre de travaux universitaires, la fiction serait en effet le nouveau graal permettant d’appréhender les limites de la création artistique et d’en renforcer la protection. Si la notion de fiction ne figure dans aucun des textes qui régissent le droit de la presse, elle est régulièrement mobilisée par la jurisprudence dès lors qu’il s’agit de désigner des œuvres de création qui ne sont ni historiques, ni journalistiques, ni scientifiques48.

  • 49 Pour une étude de la manière dont ce protocole d’analyse s’applique, voir Anna Arzoumanov, « Littér (...)

24C’est le cas premièrement de tous les conflits concernant une atteinte aux droits de la personnalité dans un roman. Les juges ont coutume d’évaluer la distanciation entre le plaignant et le personnage dans lequel il affirme se reconnaître et de considérer que si le plaignant est identifiable, le roman bascule du côté de la non-fiction et lui porte atteinte. La méthode consiste donc à évaluer de quel côté de la frontière entre fiction et non-fiction se situe une œuvre49.

  • 50 Une phrase suffira pour se rendre compte de la teneur des propos : « Qu’est-ce que ça sait faire un (...)
  • 51 Voir notamment Agnès Tricoire, « Quand la fiction exclut le délit », art. cit.
  • 52 TGI Paris, 17e ch., 16 novembre 2006, no 051150817.

25Mais cet argument de la fiction est également régulièrement mobilisé au tribunal pour arbitrer les conflits d’artistes jugés pour une provocation à la haine, comme c’est le cas dans le dossier Golgotha picnic. Dans plusieurs espèces, la question du seuil entre fait et fiction se trouve au centre des débats, particulièrement depuis le jugement prononcé par le tribunal de grande instance de Paris en 2006. En effet, un jugement du 16 novembre 2006 rendu sur Pogrom, roman pour lequel Éric Bénier-Bürckel était accusé d’incitation à la haine raciale, consacre l’argument de la fiction pour faire valoir la liberté de création. Le litige concernait les propos antisémites50 de l’un des personnages, dont le contenu s’inscrivait parfaitement dans les restrictions prévues par la loi de 1881. La relaxe de l’auteur a été très abondamment commentée51 parce que la motivation du tribunal s’appuie très largement sur le principe selon lequel la fiction entraînerait de manière systématique « la disparition de l’élément matériel des délits » : « la notion même d’œuvre de fiction impliquerait l’existence d’une distanciation, qui peut être irréductible, entre l’auteur lui-même et les propos ou actions de ses personnages52 ». Le raisonnement consiste à associer la fiction à une « distanciation » intrinsèque. Parce que les propos sont tenus par des personnages de roman qui n’ont pas d’existence en dehors de l’univers fictionnel, il n’est pas pertinent de les imputer à leur auteur. La fiction est donc évaluée du point de vue de la prise en charge par l’auteur de l’énoncé litigieux. S’il est clairement démontré qu’il ne le prend pas en charge, qu’il s’en distancie, alors il est considéré comme ne provoquant pas à la haine. La fiction est donc reconnue comme catégorie décisive pour juger les créations et lorsqu’une création est identifiée comme une pure fiction, elle peut apparaître comme apportant une distance suffisante pour constater l’absence de préjudice personnel ou de provocation à la haine. Ce qui peut étonner dans cette jurisprudence, c’est que pour examiner le moyen de la provocation à la haine, il n’y a pas de prise en compte des effets réels du discours. L’argument de la fiction est mobilisé pour évaluer le degré de prise en charge d’un énoncé par le locuteur, comme s’il suffisait que l’auteur s’en distancie pour qu’il perde son efficacité pragmatique. Rien ne certifie pourtant que parce qu’un énoncé est attribuable à un personnage de fiction, il n’a pas vocation à provoquer à la haine de la même façon que s’il était pris en charge par un locuteur réel.

  • 53 L’association « Ni putes ni soumises » s’est constituée partie civile dans l’affaire jugée le 12 ju (...)
  • 54 TGI Paris, 17e ch., 12 juin 2012, Ministère public et Ni putes ni soumises c/ Cotentin.
  • 55 CA Versailles, ch. 8, 18 février 2016, RG 15/02687 Cotentin c/ Chiennes de garde et consorts.
  • 56 Françoise Lavocat, Fait et Fiction. Pour une frontière, Paris, Le Seuil, 2016, p. 276.
  • 57 Les débats lors du procès de Christine Angot rejouent par exemple l’opposition entre les intégratio (...)

26C’est sur le même principe que surgit la catégorie de la fiction dans les diverses décisions rendues à l’égard du chanteur de rap Orelsan également accusé de provocation à la haine et d’injure, mais cette fois-ci envers les femmes, et cité à comparaitre dans plusieurs procès intentés par des associations féministes53. Le rappeur a ainsi gagné son procès en 2012 pour la chanson « Sale pute » au motif que ses menaces sont adressées à une « femme particulière et fictive et non à l’ensemble des femmes en général54 ». Le chanteur apparaissait dans le clip de la chanson sous les traits d’un personnage ivre qui s’adresse à sa petite amie qu’il vient de surprendre avec quelqu’un d’autre. En 2013, le chanteur est cette fois condamné par le TGI de Paris pour des paroles chantées au Bataclan lors de son spectacle « Perdu d’avance ». Pour ses juges, la distanciation est considérée comme insuffisante, car les différents éléments biographiques parsemés dans l’ensemble du spectacle du Bataclan « Perdu d’avance » mettraient à mal le pacte fictionnel et auraient tendance à confondre le rappeur et l’énonciateur de ses chansons. Cette décision a été cassée par la cour d’appel de Versailles en 201655, qui a au contraire estimé que le chanteur incarnait successivement plusieurs personnages fictifs dont il se distanciait et qu’il ne revendiquait pas à titre personnel le contenu de leurs discours. C’est donc le caractère fictionnel de l’œuvre qui est en débats. Si elle relève de la fiction, son auteur est considéré comme irresponsable des propos litigieux, si elle relève du fait, il est au contraire condamnable. Les critères d’évaluation de la fiction varient ainsi considérablement d’une espèce à l’autre, voire d’une juridiction à l’autre. Ils sont établis « non sans tâtonnements et parfois à la faveur d’arguments non juridiques56 ». Au tribunal se confrontent des conceptions de la fiction qui reflètent de manière singulière les débats théoriques du champ universitaire57.

27Or les différentes décisions concernant Golgotha picnic n’échappent pas elles non plus à cette tendance à user de cette catégorie un peu hétéroclite de la fiction. On la retrouve dans le discours de la défense dès le début de la procédure. Du côté des parties civiles, l’AGRIF refuse de prendre en compte ce critère au début de l’affaire, mais conformément à la tendance que l’on peut repérer dans le journal La Griffe, elle est progressivement amenée au tribunal à prendre en compte l’argument de la fiction afin de le rejeter. Quant aux motivations des décisions à proprement parler, la catégorie de la fiction occupe là aussi une place évolutive.

  • 58 TGI Paris, 17e ch., Ordonnance de référé, op. cit., p. 4.

28Dans la procédure en référé de 2011, la défense évoque la fiction en visant en creux l’absurdité d’une censure qui lui imposerait des limites éthiques : « La définition de la dignité humaine est difficile à cerner et l’œuvre de fiction ne peut avoir pour obligation de respecter la morale et les bonnes mœurs58 ». « Œuvre de fiction » apparaît dans un énoncé généralisant qui consacre une indépendance de la fiction par rapport à la morale : il s’agit d’un principe déconnecté du domaine du droit à proprement parler, dans la mesure où ce dernier n’est précisément pas un arbitre de la morale et des bonnes mœurs. Dans les motivations de l’ordonnance de référé rendue par le juge des référés, « œuvre de fiction » sert à qualifier l’œuvre en lien avec la notion de prise en charge du discours litigieux. Parce que c’est une fiction, ce n’est pas le point de vue du dramaturge qui s’y exprime, mais celui de personnages complètement inventés :

  • 59 TGI Paris, 17e ch., Ordonnance de référé, op. cit., p. 7

Il s’agit bien d’une œuvre de fiction qui ne restitue pas la seule expression de la pensée de l’auteur ou de quiconque mais qui est une création composée d’un ensemble d’éléments ayant vocation à permettre au spectateur de ressentir les interrogations, opinions, sensations que des personnages inventés par l’auteur traduisent par la parole et le geste dans un contexte musical et visuel spécifique59.

29Conformément à l’usage qui en est fait dans la jurisprudence Bénier-Bürckel, la catégorie de la fiction est dotée d’une définition énonciative : elle sert à distinguer les points de vue de l’auteur et de ses personnages et implique un pacte de réception consistant à interpréter leurs paroles comme des paroles inventées, non imputables à l’auteur. 

  • 60 Nous citons ici le réquisitoire de la Procureure d’après les notes prises lors de l’audience du 30 (...)

30Lorsque la pièce est de nouveau examinée en 2015 par le tribunal correctionnel à la suite de la plainte de 2012, la catégorie de la fiction occupe une place importante à l’audience. La procureure articule son réquisitoire autour de deux points : le contexte de publication et la cible des propos. Le premier point est précisément fondé sur la catégorie de la fiction : « c’est incontestablement une œuvre de fiction et ce point n’est pas contesté par l’AGRIF60 ». Est donc opéré ici un jugement de fictionnalité par le biais d’un énoncé définitoire affirmatif sans aucune modalisation. Cette qualification s’accompagne ensuite de l’identification d’une distance intrinsèque entre la pensée de l’auteur et les propos poursuivis parce qu’ils sont émis par des « personnages inventés », avec une référence explicite à la jurisprudence Pogrom.

  • 61 Selon les notes prises par Anna Arzoumanov lors de l’audience du 30 octobre 2015.
  • 62 Sur ce point, voir par exemple Gérard Genette, Fiction et Diction, Paris, Le Seuil, 1991.

31Lors des débats qui suivent ce réquisitoire, le mot n’est jamais prononcé à la barre par Jean-Michel Ribes, mais il est utilisé par l’avocate des prévenus qui affirme que la jurisprudence est constante quand il s’agit de fictions, en citant là encore le jugement prononcé pour « l’horrible roman Pogrom », afin d’affirmer que la fiction a le devoir de « provoquer ». Pour appuyer cette thèse, la défense fait venir à la barre deux témoins de la Ligue des Droits de l’homme (LDH), Françoise Dumont et Agnès Tricoire, l’auteure de Petit traité de la liberté de création que nous évoquions plus haut. La première remet en cause la catégorie de la christianophobie et la seconde argumente plutôt en faveur de la liberté de création et contre la censure. Agnès Tricoire dénonce le danger qui pèserait sur les arts depuis les années 2000 du fait notamment de la « politique d’activisme » d’associations comme l’AGRIF qui a pour résultat qu’« on demande de plus en plus de comptes aux artistes »61. Or, précisément, dans ce plaidoyer en faveur de la liberté artistique, elle procède à un jugement de fictionnalité (« il s’agit d’une œuvre, d’une œuvre de fiction ») afin d’authentifier le fait qu’il s’agit d’une création. On reconnaît ici précisément sa thèse postulant que le statut fictionnel est un critère objectif permettant d’identifier la vocation artistique d’un discours, au prix d’une assimilation systématique entre fiction et littérature ou art62. Si l’accusation entend que la pièce soit traitée au même titre que n’importe quel discours, la défense insiste donc tout au contraire sur l’argument de l’exception artistique qui se trouve formulé dans le principe d’une exception de fiction.

  • 63 TGI Paris, 17e ch., Jugement (copie de travail), op. cit., p. 6.

32Lorsqu’il rend son jugement qui déboute l’AGRIF, le tribunal correctionnel se fonde surtout sur la cible du discours (la religion chrétienne et pas les chrétiens) afin de rejeter le moyen de provocation à la haine des chrétiens. Néanmoins, il retient l’argument de la fiction dans ses motivations, tout en lui donnant un statut secondaire, le plaçant dans des « remarques liminaires », comme si le statut fictionnel du discours était un présupposé impossible à remettre en cause : « il doit être relevé que les propos s’intègrent, ce point n’étant contesté par aucune des parties, dans une œuvre de fiction à vocation purement artistique et ne prétendant nullement à l’affirmation d’une vérité historique ou scientifique63. » 

  • 64 Interrogée sur la manière dont elle motive ses jugements en matière de création, la présidente de l (...)

33Ce jugement de fictionnalité repose sur une reprise de l’argumentation de la défense qui consistait à associer fiction et création par la mention de sa « vocation purement artistique ». Sa présence dans le jugement peut surprendre : l’absence de ciblage de la communauté chrétienne aurait suffi à montrer qu’il n’y avait pas de provocation à la haine et à débouter l’AGRIF. Le tribunal a en effet retenu comme principal argument le fait que les propos visant le Christ « ne sauraient être considérés comme incitant au rejet ou à la haine des chrétiens ». En outre, dans la partie où il expose ses motifs, il retient la « dimension humoristique ou satirique » qui « interdi[t] de les prendre au pied de la lettre ». La fiction ne fait donc pas vraiment figure d’argument car elle n’est pas mentionnée dans les motifs. Nous faisons donc l’hypothèse que le tribunal a jugé utile d’avoir recours à la catégorie pour donner des gages aux défenseurs de la liberté de création64 et montrer qu’il réservait un statut particulier à l’œuvre artistique en ne la traitant pas de la même façon qu’un document.

34Pourtant, malgré ce caractère secondaire de la catégorie de la fiction dans le jugement du tribunal, elle devient l’un des enjeux du débat en appel. En effet, retournant contre les magistrats l’argument du déni de fiction qu’on lui a opposé, l’avocat de l’AGRIF souligne l’absence de pertinence de cette catégorie pour évaluer une provocation à la haine, comme on peut le lire dans la partie de l’arrêt consacré à la présentation des arguments donnés par les parties :

  • 65 CA Paris, pôle 2, ch. 7, 22 juin 2016, no 16/00342, p. 8.

considérant que l’AGRIF fait valoir au soutien de son appel, en premier lieu, que le fait qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction ou artistique est indifférent, en donnant l’exemple de Dieudonné qui bien que faisant profession d’artiste et d’humoriste est, malgré tout, régulièrement judiciairement condamné65

  • 66 Voir notamment TGI Paris, ch. 17, 27 octobre 2009, Association Ben Gourion et consorts c/ M’Bala M’ (...)
  • 67 Sur la question de la responsabilité de l’écrivain, on se reportera aux travaux de Gisèle Sapiro, L (...)

35La conjonction de coordination ou donne comme équivalents « de fiction » et « artistique ». Le raisonnement consiste à dire que si la jurisprudence consacrait le principe d’une exception de fiction, alors tous les artistes devraient pouvoir être relaxés. Si Dieudonné ne l’a pas été, il apparaît faux d’affirmer que la fiction bénéficie de manière constante d’une protection. Or si l’on revient aux différentes condamnations de Dieudonné66, elles reposaient sur un jugement de non-fictionnalité au sens énonciatif, à savoir l’absence de distance entre les discours de l’humoriste et les prises de position de l’homme. L’avocat de l’AGRIF, en reprenant l’argument de la fiction, montre bien le flou définitionnel qui l’entoure : la fiction peut désigner la « création » et donc la vocation artistique d’une œuvre, tout autant qu’un « discours non pris en charge par l’auteur », ce qui revient à refuser de lui en imputer la responsabilité67. Un tel passage de l’un à l’autre s’effectue au prix d’un raccourci, mais n’en est pas moins révélateur du flou qui entoure la notion de fiction, et qui donne l’impression d’une jurisprudence inconstante.

  • 68 Idem.

36Si la cour d’appel confirme le jugement de première instance, elle prend cependant une position remarquable face à l’argument de la fiction. Elle le confirme en le dissociant de l’art et en soulignant que la pièce représente une « image totalement inventée et désacralisée68 » de Jésus-Christ, ce qui revient à dire qu’elle met en scène un personnage et qu’elle est donc une fiction par opposition à un texte factuel. Mais en même temps elle semble entendre en partie l’argument de l’AGRIF concernant l’illégitimité de l’impunité de la fiction, en rappelant par le biais d’une précision parenthétique :

  • 69 Idem.

que ces propos sont extraits d’une œuvre de fiction ayant donné lieu à des représentations théâtrales, ce qui, certes, n’exclut pas nécessairement qu’ils ne puissent délivrer, sous couvert de l’humour notamment, un message clairement incitatif à la discrimination ou au rejet de la communauté choisie par l’auteur comme cible par l’auteur du spectacle69.

  • 70 Cass. crim., 17 novembre 2017, pourvoi no 16-84.945, p. 8.

37Pour la première fois dans cette affaire, il est question des possibles effets du discours fictionnel sur le public. Si la remarque est très secondaire dans les motivations (par le biais d’une simple relative), une telle indication souligne la faiblesse de l’argument de la fiction, en défaisant la relation d’implication systématique entre statut fictionnel et absence de provocation. La cour refuse ainsi de consacrer l’exception de fiction en arguant du fait qu’elle n’est pas dénuée d’effets dans l’espace social. D’ailleurs lorsque la Cour de cassation rejette à son tour le pourvoi de l’AGRIF, elle évacue complètement l’argument de la fiction dans l’exposé de ses motifs, se fondant uniquement sur le fait qu’il n’y a pas d’« exhort[ation] à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe déterminé de personnes en raison de leur appartenance religieuse70. »

  • 71 Cette question a certes fait l’objet d’investigations dans le champ académique (Käte Hamburger et D (...)
  • 72 Sur ce point, voir Anna Arzoumanov et Arnaud Latil, « Juger la provocation onirique : éléments pour (...)

38Ces variations concernant l’argument de la fiction et ses modalités de compréhension et d’application introduisent donc un flou dans les motivations qui laisse une impression d’arbitraire et a tendance à gommer les spécificités des différents cas d’espèce. Il apparaît beaucoup moins pertinent que celui de l’évaluation de la cible du discours (en l’occurrence Jésus-Christ et non les chrétiens). Il est en effet fragilisé pour plusieurs raisons. D’une part, il est mobilisé pour désigner plusieurs phénomènes (valeur artistique, statut logique et rapport à la vérité d’un discours, distance énonciative). D’autre part, il est peu objectivable linguistiquement, dans la mesure où les théoriciens ne s’accordent pas eux-mêmes sur les possibles marques grammaticales de la fiction71. Enfin, dans les cas de provocation à la haine, il est fondé sur une analyse énonciative (qui parle ?), le plus souvent sans considérations pragmatiques, comme si la parole d’un personnage n’avait aucun pouvoir dans l’espace social72. L’on comprend dès lors que, du tribunal de grande instance à la Cour de cassation, l’argument de la fiction soit utilisé avec une circonspection plus grande au point même de disparaître dans l’arrêt rendu par la plus haute juridiction française.

Sur le traitement de Jésus : personne ou personnage ? 

39Qu’en est-il de la manière dont Jésus-Christ est traité ? Précisons d’emblée que la catégorisation de Jésus n’a pas d’impact sur le jugement et qu’il ne s’agit pas ici de faire une analyse juridique. Même s’il est traité comme une personne ayant existé, on ne peut poursuivre sur le moyen d’une atteinte faite aux droits de la personnalité car il est décédé. Pour autant, le sort réservé à la figure christique est intéressant ici car il varie considérablement au cours de l’affaire et montre des différences notables de représentation, ou à tout le moins révèle que l’évocation de cette figure peut être accompagnée d’un parti pris, volontaire ou non, sur son statut référentiel et sur le droit à développer une appropriation personnelle de la figure.

40Dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal, la juge d’instruction a introduit une motivation surprenante, et ce d’autant plus qu’il n’est pas usuel de trouver une partie intitulée « motivation » dans ce type d’écrits juridiques. Elle se prononce sur le fond de l’affaire en estimant que : 

  • 73 TGI Paris, 17e ch., 18 juillet 2014, Ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, no 2410 (...)

Les propos extraits de la pièce et qualifiés de diffamatoires par la partie civile dépassent les limites de la liberté d’expression et peuvent s’analyser, par le discrédit qu’ils font peser sur la personne du Christ et son action, par leur violence et par la stigmatisation de la communauté de ceux qui en sont les disciples, en une incitation à la haine et au rejet des catholiques73

  • 74 Notes prises lors de l’audience du TGI par Anna Arzoumanov.

41La qualification du Christ comme « personne » le désigne plutôt comme une entité réelle, dont on peut certes discuter (en historiens par exemple) mais qu’on ne peut « discréditer ». Cette formulation n’est donc pas loin de réintroduire un délit de blasphème, étant fondé sur l’idée implicite qu’on ne peut tout dire sur la figure christique. Lors de l’audience du 30 octobre 2015, la présidente du tribunal correctionnel a d’ailleurs dit sa perplexité face à cette motivation. Au moment où elle interroge la témoin Agnès Tricoire, laquelle dit « s’étonner au nom de la LDH que la poursuite soit parvenue jusqu’à vous [le tribunal] », Fabienne Siredey Garnier confie : « Il y a un élément étonnant dans cette affaire, c’est le fait que la juge d’instruction ait introduit un passage qui s’appelle motivation, puisque d’habitude le juge ne doit pas faire de motivation portant sur le fond de l’affaire74 ».

  • 75 TGI Paris, 17e ch., Ordonnance de référé, op. cit., p. 7.
  • 76 TGI Paris, 17e ch., Jugement (Copie de travail), op. cit., p. 8.
  • 77 Ibid., p. 7.
  • 78 Idem.

42Dans les décisions qu’ils rendent sur l’affaire, les juges de la 17e chambre et de la cour d’appel n’évoquent plus le « discrédit » pesant sur le Christ et gomment la question du blasphème. Dans l’ordonnance de référé, le tribunal de grande instance évoque « une représentation du Christ qui lui [à l’artiste] est personnelle75 », ce qui revient à dire qu’il existe une pluralité de « visions » ou d’« images » du Christ, autrement dit qu’il est licite de créer une infinité de mondes possibles inspirés des Évangiles et que l’on a le droit de le mettre en scène de manière dégradée dans des fictions. Dans le jugement du tribunal correctionnel, les juges font des choix terminologiques qui semblent varier selon les points de vue qu’ils adoptent. On peut ainsi relever une alternance personne/personnage qui, que ce soit intentionnel ou non, correspond à un changement de focalisation. Lorsqu’il s’agit d’évaluer la réception des « passages incriminés » « par certains », sous-entendu les catholiques, le Christ est qualifié de « personne » (« l’ensemble des passages incriminés peuvent être certes jugés par certains caustiques, violents, injustes, choquants ou infondés, mais ne visent que la personne même du Christ et les idées et les croyances qu’il a propagées76 »). Lorsqu’au contraire, il est question d’adopter le point de vue de « l’auteur », le Christ est un « personnage » (« Au demeurant il n’est nullement exclu que pour l’auteur les chrétiens, loin d’apparaître comme une cible, doivent bien davantage être considérés comme les dupes ou les victimes d’un tel personnage77. ») Mais cette distribution égale des qualificatifs est toute relative, car lorsque le tribunal motive sa décision sans prendre en compte cette fois les points de vue des parties qui s’opposent, il utilise le terme de « personnage », tout en formulant à son tour l’idée d’une pluralité de représentations possibles : « Force toutefois est de constater que si ces propos, au moins pour certains d’entre eux, ont pu et peuvent, de fait, paraître provocants pour certains lecteurs, tant par les termes utilisés, parfois crus ou grossiers, que par la stylistique ou les termes retenus, qui tranchent avec une vision plus traditionnelle du personnage du Christ78 ».

43L’usage de certains mots révèle ainsi des conceptions variées de la figure christique : figure intouchable pour la juge d’instruction, objet culturel voire fictionnel pouvant faire l’objet d’appropriations variées pour les juges de première instance. Dans l’arrêt de la cour d’appel, le traitement de la figure du Christ apparaît plus neutre. L’usage qui y est fait du seul nom propre de Jésus-Christ permet de ne pas statuer sur la nature du référent et il s’agit seulement de dire que le Christ est ici personnage d’une fiction, sans préjuger de son existence réelle ou non. Enfin, dans les motivations de la Cour de cassation, il n’est à aucun moment question de Jésus-Christ : le discours apparaît neutre à l’égard des droits à se l’approprier. L’appréciation du caractère fictionnel de la figure christique peut donc être différent dans les motivations des décisions de justice étudiées et peut trahir un rapport variable des magistrats à la religion chrétienne. Ce résultat est d’autant plus remarquable au regard de l’exigence d’impartialité et de neutralité auquel doit tendre le magistrat lorsqu’il juge une affaire. On voit donc à quel point la détermination du pacte fictionnel dépend de facteurs divers, dont l’idéologie du récepteur, et ce même dans des espaces supposés aussi hermétiques aux opinions que le tribunal. C’est dire combien la réception d’une fiction est impossible à décrire comme un ensemble homogène. C’est d’ailleurs ce que confirme l’étude de la réception citoyenne.

La réception citoyenne

  • 79 Voir Olivier Turbide, Diane Vincent et Éric Kavanagh, « Repères méthodologiques pour l’analyse des (...)

44Populaire chez les juristes, la notion de fiction se trouve ainsi dotée d’un usage technique dans un différend à régler. La jurisprudence en a fait un critère décisif de sa méthode d’analyse, son usage est donc requis par un système normatif et contraignant. À ce titre, le discours « citoyen » – celui de l’individu s’exprimant en ligne à titre privé (et non professionnel, comme le fait un journaliste par exemple)79 – apparaît beaucoup plus libre et spontané. C’est la raison pour laquelle il est intéressant de confronter l’usage systématisé de la catégorie fiction dans la réception judiciaire de la pièce à des témoignages de commentateurs qui n’appartiennent a priori pas à une communauté définie par des codes de réception homogènes. C’est à ces derniers usages de la notion, qui ont plus de chances d’être intuitifs, que sera consacrée cette dernière partie de l’article.

  • 80 À ce sujet, voir Chantal Enguehard et Robert Panico, « Technologies et usages de l’anonymat à l’heu (...)

45Les plateformes qui permettent aujourd’hui à tout individu de prendre part à une controverse comme celle de Golgotha Picnic sont très nombreuses ; aussi le premier problème qui se pose à l’analyste souhaitant travailler sur ce que nous appelons ici la « réception citoyenne » est celui de la délimitation du corpus, que l’on doit nécessairement restreindre et dont il est difficile d’apprécier la représentativité. Cela est notamment dû aux caractéristiques mêmes de la communication en ligne : l’anonymat des commentateurs et l’usage du pseudonyme ne permettent souvent pas de savoir qui est l’auteur d’un commentaire, les mêmes individus peuvent intervenir sur différents forums, en outre, les phénomènes de trolling peuvent brouiller les cartes80. Il importe donc de dire d’emblée que les remarques issues de l’observation de nos données n’ont aucune prétention à l’exhaustivité. Mais les commentaires dont elles visent à synthétiser la teneur témoignent néanmoins de points de vue qu’on ne peut qualifier de totalement singuliers, elles rendent compte de mouvements d’opinion qui, s’il est difficile d’en évaluer l’ampleur et la représentativité, n’en sont pas moins des indicateurs de la participation active de citoyens interpellés par l’affaire.

  • 81 Les représentations ont eu lieu du 16 au 20 novembre à Toulouse et du 8 au 17 décembre 2011 à Paris (...)
  • 82 Jean-Pierre Thibaudat, « “Golgota picnic” : Rodrigo Garcia fait la nique aux intégristes », Rue 89 (...)

46Pour observer les usages (ou non-usages) de la catégorie fiction par les commentateurs non professionnels, nous avons choisi de nous pencher sur des commentaires d’internautes apparaissant à la suite de critiques consacrées à la pièce. Une soixantaine d’articles ont été dédiés à l’affaire Golgotha picnic au cours de la période où la pièce a été jouée en France, mais un nombre important d’entre eux évoque les manifestations et les procès sans commenter la pièce elle-même. Si l’on veut se donner la chance d’observer comment Golgotha picnic est qualifiée et décrite, c’est donc aux critiques au sens strict, c’est-à-dire celles qui proposent une évaluation de la qualité du spectacle, qu’il faut s’arrêter – il y en a 22, publiées entre le 17 novembre et le 12 décembre 201181, dont cinq82 sont suivies de commentaires émanant de lecteurs. Ce sont ces commentaires, au nombre de 446, qui ont servi de base à notre analyse.

  • 83 Jean-Marie Schaeffer, « Quelles vérités pour quelles fictions ? », art. cit.

47Nous avons, dans un premier temps, répertorié tous les messages contenant le mot clé ficti (fiction, fictionnel, fictif…). Puisqu’il est rapidement apparu à la lecture de ce corpus que la réflexion sur la fiction qui s’y exprime ne peut être restreinte aux seules occurrences du terme lui-même, nous avons aussi relevé tous les messages dans lesquels l’auteur prend position pour ou contre l’existence ou la réalité des référents du texte, ce que nous appelons un jugement de fiction. Ces messages que nous observons débordent de ce fait du cadre strict de la fiction artistique, telle que définie par Jean-Marie Schaeffer83. Ils contiennent parfois les mots clés exist (exister, existence) et réel/réalité, accompagnés d’une négation ou d’un préfixe privatif (x n’existe pas/x est irréel/x n’a pas de réalité), ou encore construisent une opposition entre personne et personnage. Le jugement de fiction énoncé dans un message peut donc être positif ou négatif et, suivant le cas, le message contient au moins un énoncé paraphrasable par « x est de la fiction » ou « x n’est pas de la fiction ». Il importe ainsi de tenir compte du fait qu’indépendamment du jugement posé, la notion de fiction peut être mobilisée de manière explicite ou implicite. Ainsi, dans l’exemple 1, le contenu paraphrasable par « x est/n’est pas de la fiction » est linguistiquement posé, alors que, dans l’exemple 2, ce jugement relève de la présupposition :

  • 84 Tous les extraits de commentaires sont reproduits tels qu’ils ont été publiés, sans qu’aucune corre (...)

Exemple 184
« [le Christ est] un rabbin dont la réalité historique n’est pas démontrée » (Colleàbois, message no 12)
Exemple 2
« [la pièce est irrespectueuse] à l’égard de la personne du Christ » (Jessica1984, message no 6)

  • 85 Le contenu présupposé résiste à la négation, ce qui permet de l’identifier : si je transforme l’éno (...)

48Si, dans l’exemple 1, l’auteur se positionne explicitement sur le caractère fictif de l’existence du Christ, dans l’exemple 2, la prise de position sur l’existence réelle, et non fictive ou fictionnelle, du Christ ne tient qu’à l’usage du terme personne, une personne n’étant pas un personnage85.

  • 86 Sur ce point, voir Thomas Hochmann, « L’interprétation juridictionnelle d’un texte fictionnel », da (...)

49Le premier résultat évident de cette enquête est que la question de la fiction est très peu productive : elle n’est mobilisée que dans 23 des 446 commentaires, qui sont en outre publiés sous 19 pseudonymes différents seulement, sans compter que parmi ces 23 messages la grande majorité ne pose qu’un jugement de fiction implicite. La place très marginale que la question de la fiction occupe dans l’arsenal argumentatif des commentateurs offre ainsi un net contraste avec sa place au tribunal. Cet écart semble indiquer que la catégorie de la fiction nourrit peu la polémique hors du tribunal, alors même que l’interprétation juridique est censée viser celle du lecteur dit moyen, conformément à la théorie dite des standards86. Il est toutefois un point commun entre les usages au sein et à l’extérieur du tribunal. On l’a vu, au tribunal, l’argument de la fictionnalité de la pièce est mobilisé dans le camp de la défense. Il en va de même avec les jugements positifs de fiction relevés dans nos commentaires : tous les messages qui en contiennent soutiennent Golgotha picnic. À une exception près, ces jugements positifs de fiction sont explicites, condition nécessaire de leur utilisation à des fins argumentatives. Mais là s’arrête le parallèle avec les usages juridiques de la catégorie fiction. Si, au tribunal, les avocats ou les juges font souvent valoir la distanciation intrinsèque à la fiction, qui suppose que les prises de position d’un personnage d’une œuvre littéraire ne sauraient être prises au sérieux et que pour cette raison, elles ne peuvent être imputées à la personne de l’écrivain, les commentateurs ne formulent jamais cette idée de manière totalement explicite.

50En réalité, l’immense majorité des messages contenant un jugement positif de fiction ne l’évoquent pas à propos de l’œuvre (ou pas exclusivement), mais à propos de la personne même de Jésus, comme en témoignent l’exemple 1 ci-dessus. Dans la plupart des messages où s’opère un jugement de fiction, on n’a donc rien à dire sur l’œuvre, que l’on défend contre les attaques des catholiques en prenant plutôt position sur les croyances religieuses. Toutefois, quelques messages jouent sur les deux tableaux, comme en témoigne l’exemple 3.

Exemple 3
« Ce qui est drôle c’est de faire encore une énième pièce sur un gugus qui n’a jamais existé. ? Du moins dont on à aucune preuve formelle de sont existence […]
Tous ces gugus sont sacrement tordus comme on peu le constater : .
Ceux qui font un truc sur un mec qui n’a jamais existé, mais qui aurait dit plein de trucs. Et les autres, qui détestent une pièce comique qui existe sur un mec qui n’a jamais existé, mais dont ils croient qu’il a existé tel qu’ll se l’imagine. […]
Comme nous le savons et à la décharge des artistes : le théâtre peut être aussi une métaphore à partir d’éléments irréelles, c’est aussi ce qui peut faire son intérêt. » (Djinette, message no 75)

51L’argumentation consiste à affirmer qu’il n’y a pas lieu pour les catholiques de s’indigner pour ce qu’on dit d’un être qui n’a jamais été une personne réelle. Les tenants de cette idée n’utilisent pas le terme fiction (ou l’un de ses dérivés) à ce propos ; ils diront plutôt que Jésus n’existe pas. L’exemple 3 est à cet égard révélateur : l’auteur se moque de ceux « qui détestent une pièce comique qui existe sur un mec qui n’a jamais existé ». Cependant la fin du commentaire se situe de nouveau au niveau de l’œuvre. En évoquant « une métaphore à partir d’éléments irréelles », le commentateur se prononce sur le statut ontologique de la pièce et postule ainsi un double niveau de fictionnalité : des « éléments irréelles » (les référents bibliques) eux-mêmes représentés par « métaphore », ce qui est une autre façon de dire qu’ils sont fictionnalisés, parce qu’il s’agit d’art. En outre, le commentateur affirme explicitement que c’est l’aspect dit métaphorique du théâtre qui doit être mis « à la décharge des artistes ». Il formule donc en ses termes le principe d’une exception artistique.

  • 87 Jean-Marie Schaeffer « Quelles vérités pour quelles fictions ? », art. cit.

52D’autres commentaires associent explicitement la foi religieuse à la croyance en des récits mensongers, mythiques. On fait relever l’histoire « sainte » du mythe, et l’argumentation consiste cette fois à mettre en parallèle deux « fictions », celle que propose la religion catholique et celle que propose García. Les auteurs de tels commentaires s’étonnent que les catholiques, qui ont le plus grand respect pour ce qui ne serait qu’une fiction, s’en prennent à une autre fiction. Ce faisant, ils glissent constamment entre deux sens du terme que distingue Jean-Marie Schaeffer87 : la fiction manipulatrice, mensongère, et la fiction artistique, fictionnelle au sens strict.

Exemple 4
« Le monothéisme est le plus grand scandale de l’humanité, d’avoir ainsi abruti des millions de gens avec ces mensonges, ces promesses, et ces croyances stupides. Et l’on s’en va faire le procès du théatre, de la fiction, du roman, d’une pièce ? Par qui ? Les inventeurs de la plus grande fable qu’il soit ? Honte à eux. » (Daiko, message no 32)

53Ainsi, la plupart des jugements positifs de fiction relèvent moins d’une discussion sur la valeur performative ou non du discours littéraire que de l’attribution d’une valeur de vérité ou de la prise de position sur l’existence référentielle de Jésus.

  • 88 Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris, Hermann, 1972.

54Dans une opposition parfaitement symétrique, les jugements négatifs de fiction (« x n’est pas une fiction ») sont formulés, à une exception près, par des opposants à la pièce. Ces jugements ont le même objet dans tous les cas : il s’agit encore une fois de Jésus et non de la pièce de García. Ces jugements sont présupposés, jamais posés – on ne dit jamais « Jésus existe/a existé ». En d’autres termes, le statut de réalité attribué à Jésus va tellement de soi pour les auteurs de ces messages qu’il n’est aucun besoin de se prononcer explicitement sur cette question (le contenu présupposé d’un énoncé relevant de l’information tenue pour acquise, faisant partie du savoir partagé énonciatif88). C’est en évoquant le blasphème, les insultes, les outrages subis par le Christ qu’ils présupposent son existence, dans la mesure où on ne peut insulter un être dépourvu d’existence référentielle. Et on peut faire l’hypothèse que si les commentateurs pro García de notre corpus, lorsqu’ils mobilisent la notion de fiction, le font à propos de l’être Jésus beaucoup plus fréquemment qu’à propos de l’œuvre elle-même, c’est qu’ils semblent éprouver le besoin d’expliciter ce présupposé des commentateurs anti-García pour le remettre en cause. Quoi qu’il en soit, cette focalisation des commentaires sur le Christ montre que le débat entre les internautes relève plus de la controverse religieuse qu’artistique.

  • 89 Voir, dans ce dossier, l’article de Mathilde Barraband et Jean-Yves Camus.

55Le cas Golgotha picnic semble ainsi indiquer un décalage entre le tribunal et le grand public qui n’usent pas autant ni semblablement de la catégorie de fiction, constat qui mériterait toutefois un examen plus approfondi. L’affirmation doit en effet être nuancée, car il est difficile de savoir dans quelle mesure le peu d’intérêt que portent les commentateurs à la question de la fiction artistique est un indice de l’impopularité de la notion auprès des « lecteurs moyens » ou un indice de leur identité. Certains éléments laissent penser que le groupe de commentateurs ici réuni n’est pas aussi représentatif qu’on pourrait le croire du lectorat des médias dans lesquels ils s’expriment. Les cinq journaux et magazines dans lesquels nous avons recueilli nos données ont des orientations politiques et des vocations variées, de la presse d’information papier ou en ligne conservatrice (Le Figaro) et de centre-gauche (Rue 89, Le Monde, L’Obs) au « webzine culturel » plus confidentiel comme Arkult. En dépit de ces différences, la polémique se déploie de manière comparable sur les cinq forums et ne reflète pas l’orientation du journal qui les héberge. On sait par ailleurs que des groupes catholiques traditionalistes impliqués dans l’affaire Golgotha, et notamment Civitas, ont invité leurs militants à faire connaître leur position sur toutes les tribunes qui leur seraient offertes et leur ont fourni un argumentaire89. On peut donc raisonnablement croire que les catholiques traditionalistes forment une proportion plus élevée des commentateurs de l’ensemble considéré dans cette analyse que de la population en général ou mêmes des seuls commentateurs habituels des journaux en question. Si c’est bien le cas, notre analyse ne fait apparaître que la singularité de l’affaire Golgotha Picnic, l’écart de normes qu’elle amène à mesurer en dernière instance étant peut-être essentiellement celui qui sépare les usages de la catégorie de fiction dans la communauté juridique et dans la communauté des traditionalistes catholiques, quand les uns et les autres sont conduits à considérer des œuvres artistiques.

Conclusion

56Il ressort de notre analyse que la catégorie de la fiction occupe une place contrastée selon les différentes instances de réception. Si ce terme est parfois utilisé par Civitas et l’AGRIF pour qualifier toute théorie susceptible de remettre en cause la doctrine traditionaliste, il est soigneusement évité dans leurs messages à propos de Golgotha picnic. Il n’y a là rien d’étonnant ; la fiction repose sur une suspension provisoire de l’incrédulité consentie par le lecteur ou le spectateur d’une œuvre alors que la foi religieuse implique au contraire la croyance. C’est pourquoi l’avocat de l’AGRIF ne commence à parler de fiction que parce qu’il s’y voit forcé par la défense au tribunal.

57Dans l’arène judiciaire, on observe un usage de la catégorie qui est conforme à une tendance observée dans la jurisprudence de ces vingt dernières années. La catégorie est ressentie comme nécessaire par les juristes, même si elle recouvre des définitions très variées et souvent floues. Cependant l’évacuation progressive de cette notion, à mesure que l’on monte dans les instances, montre qu’elle est peu à peu ressentie comme inadaptée à l’évaluation du potentiel d’incitation à la haine reproché à la pièce. Par ailleurs, le traitement de la figure du Christ dans les décisions peut trahir un positionnement idéologique de la part des magistrats, alors même que leur jugement doit répondre à une exigence de transparence et de neutralité.

58L’analyse des positions prises par les commentateurs anonymes de la pièce révèle que, comme au tribunal, ceux qui posent un jugement positif et explicite de fiction sont ceux qui se portent à la défense de la pièce, bien que l’objet de ces jugements soit beaucoup plus souvent le Christ que l’œuvre de García. Il semble que les internautes recourent à la catégorie fiction pour les mêmes raisons que les groupes catholiques l’évitent ; Golgotha picnic leur offre l’occasion de discréditer la croyance religieuse, l’argument étant qu’on ne peut se permettre d’attaquer une œuvre de fiction quand on adhère soi-même à une autre fiction. Mais il est clair que la fiction ne sert pas ici d’arbitre. La rareté du recours à cette notion dans la réception que l’on pourrait dire « spontanée » des internautes (si l’on fait un rapprochement avec ce qu’on appelle la linguistique spontanée) semble ainsi montrer qu’elle se révèle peu intuitive lorsqu’il s’agit de réfléchir aux possibles effets illicites ou pragmatiquement violents des œuvres.

59En tout état de cause, l’affaire Golgotha picnic ne permet pas de conclure à l’efficacité de l’argument de la fiction dans les poursuites intentées contre un artiste. Il montre que l’arbitrage de tels conflits n’est pas qu’affaire d’intention du locuteur ou d’évaluation du caractère référentiel de tel ou tel énoncé, comme le laisse penser la jurisprudence. L’exemple du traitement de Jésus montre que la lecture fictionnelle peut relever d’un choix du lecteur conditionné par des options idéologiques. En outre, la fictionnalité d’une œuvre invoquée dans une poursuite pour incitation à la haine ne permet en rien d’exclure la possibilité de réels effets performatifs dans l’espace social, ce que n’ont pas manqué de relever les groupes catholiques, et ce qui explique probablement l’abandon progressif de cette notion au tribunal. L’argumentation fondée sur la distance à établir entre la position de l’auteur et la position d’un personnage, l’une ne reflétant pas forcément l’autre, est plus intéressante. Cette question de l’énonciation – qui prend véritablement en charge un propos ? Quels indices permettent d’inférer l’intention, plus ou moins parodique par exemple, d’un texte ? – est abordée sous le couvert de la notion de fiction, mais d’une manière aussi maladroite qu’incomplète. Les théories de l’énonciation fournissent des outils linguistiques tels que la notion de polyphonie, qui permettent d’analyser finement cette prise en charge des propos tenus ; il est étonnant qu’elles ne soient pas davantage mobilisées dans des affaires semblables. Elles éclairent la dimension pragmatique de l’œuvre littéraire, que la notion de fiction ne peut couvrir à elle seule. La relative impuissance de l’argument de la fiction mise en évidence dans cette étude de la polémique suscitée par l’œuvre de García fait donc apparaître l’importance d’explorer d’autres pistes d’analyse de la réception dans la réflexion à poursuivre sur la judiciarisation de l’art, de même que l’importance d’un dialogue interdisciplinaire – droit de la presse, étude littéraire, linguistique – dans l’appréhension du phénomène.

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(S. a.), « “Golgota Picnic”, ou la haine du monde médiatico-culturelle contre le Christ », La Griffe, novembre-décembre 2015, p. 5.

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Notes

1 Voir notamment Agnès Tricoire, « Quand la fiction exclut le délit », Légipresse, n° 240, avril 2007 et Petit Traité de la liberté de création, Paris, La Découverte, 2011 et « Les dangers du relativisme pour la liberté de l’art », L’Étrangère, no 21-22, 2009, p. 120-156.

2 Édouard Treppoz, « Pour une attention particulière du droit à la création : l’exemple des fictions littéraires », Recueil Dalloz, 2011, p. 2487 et Thomas Hochman, « L’application des limites de la liberté d’expression aux “assertions de feintise partagée” et plus particulièrement aux énoncés fictionnels », dans Censures, Les violences du sens, sous la direction de Nassim Amrouche et al., Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2011, p. 147-164.

3 Ce sont bien ces fictions « artistiques » qui nous intéressent dans le présent article, celles qui sont au centre de l’article de Jean-Marie Schaeffer « Quelles vérités pour quelles fictions ? » (L’Homme [En ligne], no 175-176, juillet-septembre 2005, mis en ligne le 01 janvier 2007, consulté le 27 novembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/29493.) Le philosophe définit la « fiction artistique » comme « une œuvre d’art qui met en scène un univers imaginaire » (par. 3) avant de déployer les différents « attracteurs sémantiques » qui rendent la notion de fiction confuse.

4 Jean-Marie Schaeffer, « Préface » à Olivier Caïra, Définir la fiction. Du roman au jeu d’échec, Paris, éditions de l’EHESS, « En temps et lieux », 2011, p. 7-12.

5 Voir par exemple Mathilde Barraband, « Ce qu’il faut comprendre de l’affaire Hansel et Gretel », La Conversation [En ligne], 31 octobre 2019. URL : https://theconversation.com/ce-quil-faut-comprendre-de-laffaire-hansel-et-gretel-115792.

6 Olivier Caïra, Définir la fiction. Du roman au jeu d’échec, op. cit., spécialement p. 153-168.

7 Voir notamment Ruth Amossy, Apologie de la polémique, Paris, Presses universitaires de France, 2014. Pour comprendre la construction d’une affaire médiatique à l’ère d’internet, outre les « documents journalistiques [produits] par des professionnels de l’information (journalistes, chroniqueurs, éditorialistes, etc.) », il faut tenir compte 1) des « documents para-journalistiques [produits] par ces mêmes professionnels de l’information en dehors de leur créneau traditionnel (blogues, carnets, Twitter, Facebook, etc.) », 2) des documents médiatiques publiés par des individus à titre non-professionnel qui apparaissent dans les médias traditionnels (courrier des lecteurs, tribunes téléphoniques, etc.) ou sur les blogues et forums de discussion, 3) des documents diffusés à titre non-professionnel sur les réseaux sociaux privés/publics (Facebook, Twitter, YouTube, etc.). Ce sont ces deux derniers types de document qui sont usuellement qualifiés de « citoyens » (en opposition, donc, à professionnel). Voir Olivier Turbide, Diane Vincent et Eric Kavanagh, « Repères méthodologiques pour l’analyse des discours sociaux. Lorsqu’un tweet devient une “affaire” », dans Danielle Londei, Sophie Moirand, Sandrine Reboul-Touré et Licia Reggiani (dir.), Dire l’événement : langage, mémoire, société, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, p. 23-34 et Geneviève Bernard Barbeau, Le dossier Maclean’s et le Québec bashing. Analyse sociodiscursive d’une affaire médiatique controversée, Thèse de doctorat, 2014, p. 77.

8 Jean Boulègue, Le Blasphème en procès 1984-2009. L’Église et la Mosquée contre les libertés, Paris, Nova Éditions, 2010.

9 Il s’agit des procès contre les films Je vous salue Marie de Jean-Luc Godard et La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese sortis en 1985 et 1988, contre les affiches des films Ave Maria de Jacques Richard en 1984, Larry Flint de Milos Forman en 1996, Ceci est mon corps de Rodolphe Marconi en 2001 et Amen de Costa Gavras en 2002, contre la couverture de l’album de photographies INRI de Bettina Rheims en 1996. Les autres procès sont intentés contre des dessins, des articles, un slogan, une campagne de publicité. Un dernier procès mérite d’être mentionné, celui intenté contre une interview de l’écrivain Michel Houellebecq dans Lire. Les requérants ont en effet plus de chance de succès en visant la promotion de l’œuvre d’art que l’œuvre d’art elle-même. Sa visibilité et sa finalité mercantile jouent contre elle.

10 C’est l’hypothèse de Philippe Portier dans « La question du “droit au blasphème” dans la France contemporaine. Genèse et structure d’une controverse » (dans Amandine Barb et Denis Lacorne (dir.), Les Politiques du blasphème, Paris, Karthala, « Recherches internationales », notamment p. 49). Pour des avis parfois contrastés sur ces questions, voir les travaux d’Isabelle Saint-Martin (« Christ, Pietà, Cène, à l’affiche : écart et transgression dans la publicité et le cinéma », Ethnologie française, vol. 36, no 1, 2006, p. 65-81 et « Sensibilités catholiques et réactions militantes devant les “blasphèmes en image” », dans Bruno Dumons et Frédéric Gugelot, Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Paris, Karthala, « Signes des temps », 2017, p. 228-249 ) ainsi que ceux de François Bœspflug (notamment : « Brève histoire de la caricature des figures majeures du christianisme », Théologiques, vol. 17, no 2, 2009, p. 85-110 et « La crucifixion déportée, sur la sécularisation en Occident d'un thème majeur de l'art chrétien » dans Jean-Marie Husser, Religions et modernité, actes de l’université d’automne de Guebwiller, 27-30 octobre 2003, p. 124-144). À noter aussi l’observation que fait la commissaire Catherine Grenier du succès de la thématique chrétienne dans l’art contemporain (L’art contemporain est-il chrétien ? Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 2003). Toutefois François Bœspflug discute l’épithète choisie par la commissaire, puisque lesdites œuvres récupèrent certes un héritage religieux mais, selon lui, témoignent d’une grande inculture en la matière.

11 Selon la terminologie de Portier qui propose de distinguer un « catholicisme d’ouverture », porté à s’adapter à la modernité, et un « catholicisme d’identité », plus prompt à se replier sur ses valeurs (« Pluralité et unité dans le catholicisme français », dans Céline Béraud, Frédéric Gugelot, Isabelle Saint-Martin (dir.), Catholicisme en tensions, Paris, EHESS, 2012, p. 19-36). La terminologie ne fait pas l’unanimité, notamment en raison de la proximité avec l’adjectif « identitaire » désignant une mouvance de l’extrême droite. Mais elle est souvent reprise par les historiens et sociologues qui tentent de définir la persistance ou la résurgence sur la scène publique d’un catholicisme « décomplexé » depuis les années 2000. Voir Bruno Dumons et Frédéric Gugelot (dir.), Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Paris, Karthala, « Signes des temps », 2017 et Céline Béraud et Philippe Portier, Métamorphoses catholiques. Acteurs, enjeux et mobilisations depuis le mariage pour tous, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme, « Interventions », 2015.

12 Sur cette question, voir Jean-Marie Schaeffer, « Quelles vérités pour quelles fictions ? », art. cit., par. 35.

13 Le problème ne tient pas seulement dans la nature fictionnelle des productions artistiques mais plus largement dans la fréquentation d’une culture profane, voir Kevin Geay, « Messire Dieu premier servi ». Étude sur les conditions de la prise de parole chez les militants traditionalistes de Civitas, mémoire de maîtrise, Paris, Université Paris Dauphine, 2010.

14 Voir par exemple les lettres encycliques des papes Pie xi et Pie xii disponibles sur le site de Civitas : URL : http://www.civitas-institut.com/2004/08/09/casti-connubii/ et URL : http://www.civitas-institut.com/2004/08/09/humani-generis/. Voir aussi l’usage de « réel ».

15 Nous reprendrons désormais ce terme dans le sens précis et non péjoratif que lui donne Jeanne Favret-Saada, celui d’un « attachement intense à Dieu ou à la religion », voir Les Sensibilités religieuses blessées. Christianisme, blasphèmes et cinéma (1965-1988), Paris, Fayard, 2017, p. 15.

16 Voir l’analyse de Favret-Saada des réactions de catholiques au film Je vous salue, Marie ! (Les Sensibilités religieuses blessées, op. cit., p. 287 et suiv.)

17 Dans les termes de la théorie des mondes possibles, on peut dire que « [l]’analogie est jugée scandaleuse parce qu’elle suggère que, si la version fictionnelle ressemble à la version sacralisée, c’est qu’elles sont peut-être l’une et l’autre des mondes possibles du même monde de départ, des variantes de la même histoire », Françoise Lavocat, Fait et fiction, Paris, Seuil, « Poétique », 2016, p. 253.

18 Ibid., p. 254.

19 C’est très précisément ce qui intéresse Marino Formenti, montrer un Christ réel, comme il l’explique dans sa préface de la pièce de García (« Le piano est un cercueil », dans Rodrigo García, Golgotha picnic, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2015, p. 12).

20 Voir Isabelle Saint-Martin, « Sensibilités catholiques et réactions militantes devant les “blasphèmes en image” », art. cit., p. 233.

21 Ce poème a été l’occasion pour les tribunaux anglais de remettre en vigueur dans les années 1970 l’accusation de Blasphemous libel, pourtant tombée en désuétude. Voir l’analyse de ce cas par Jeanne Favret-Saada, Les Sensibilités religieuses blessées, op. cit., pp. 184 et suiv.

22 François Boespflug note que « Les associations croix/femmes […] constituent au xxe siècle un sous-groupe très fourni [des reprises de la crucifixion] : elles répondent à des intentions les plus diverses, avec une dose variable de provocation, d’innovation et de militantisme féministe » (« La crucifixion déportée, sur la sécularisation en Occident d'un thème majeur de l'art chrétien », art. cit., p. 137.) La transposition du corps du Christ par celui d’une femme permet en effet de penser la relativité de ce qui est considéré comme sexuel : un torse d’homme ne l’est pas, un torse de femme, oui. L’interdiction de la nudité féminine est d’ailleurs un des chevaux de bataille de Civitas et de l’AGRIF, qui combattent les Femen pour cette raison, comme en témoigne la procédure judiciaire de cette dernière contre un groupe de femmes qui y est affilié et qui a réalisé une performance à Notre-Dame.

23 Selon la définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL). URL : http://www.cnrtl.fr/definition/blasphème.

24 Le Robert historique de la langue française, 1998, 2e édition, p. 416.

25 Françoise Lavocat, Fait et fiction, op. cit., p. 246.

26 Françoise Lavocat, Fait et fiction, op. cit., p. 247.

27 Alain Escada, « Golgota picnic, le spectacle blasphématoire contre lequel il nous faut nous mobiliser », Civitas [En ligne], 2011, mis en ligne le 17 juillet 2011, consulté le 22 avril 2017. URL : http://www.civitas-institut.com/2011/07/17/golgota-picnic-le-spectacle-blasphematoire-contre-lequel-il-nous-faut-nous-mobiliser/. L’argument est un classique. Il est encore au cœur d’un échange entre Me Triomphe et Jean-Michel Ribes : « Prenant à témoin Jean-Michel Ribes, l’avocat de l’AGRIF lui rappelle ses propos lors d’une émission télévisée qui les avait opposés en 2015 : à Jérôme Triomphe qui lui demandait si Ribes accepterait que l’on couvre d’excréments le visage de sa propre mère sous couvert de la création artistique, ce dernier répondit : “Oui, si c’est Andy Warhol qui le fait !” On voit là tout le raisonnement pervers au fondement de l’art contemporain. » (Pierre Henri, « Face aux Tribunaux. Haine anti-chrétienne : Golgota Picnic », La Griffe, mai-juin 2016, p. 3).

28 Françoise Lavocat, Fait et fiction, op. cit., p. 263.

29 Françoise Lavocat, Fait et fiction, op. cit., p. 272.

30 Philippe Portier, « La question du “droit au blasphème” dans la France contemporaine », art. cit., p. 47 et suiv.

31 Jeanne Favret-Saada, Les Sensibilités religieuses blessées, op. cit., p. 17.

32 Ibid., p. 15.

33 Sur l’histoire et la vocation de ces groupes, sur leurs points communs et divergents, voir, dans ce dossier, l’article de Mathilde Barraband et Jean-Yves Camus.

34 Nous avons pu répertorier 21 publications autour de Golgotha picnic parues sur le site de Civitas entre le 11 juillet 2011 et le 8 décembre 2011 (appels à la mobilisation, comptes rendus de manifestation, entretiens, etc.). L’institut a aussi publié deux numéros de Civitas, revue catholique des questions politiques et sociales au cours de cette période de mobilisation : le numéro 40 (juin 2011), dont le dossier « Le combat culturel » revient sur l’affaire Piss Christ et annonce la mobilisation de l’automne, et le numéro spécial 41 (septembre 2011), qui comporte un dossier intitulé « Répondre à la christianophobie » évoquant Golgotha picnic. Entre janvier 2013 et mars 2017, huit nouvelles publications paraissent sur le site évoquant l’affaire et ses conséquences. Les argumentaires de l’AGRIF, quant à eux, se voient repris et reformulés tout au long des procédures judiciaires, dont on peut trouver les traces dans l’ensemble des décisions rendues de novembre 2011 à novembre 2017, ainsi que dans neuf livraisons de La Griffe parues entre juillet 2011 et novembre 2017.

35 Les messages datés de 2011 encore disponibles sur le site de Civitas sont pour la plupart signés par Alain Escada. Ce dernier est encore soit l’auteur, soit l’objet (entretien avec lui, résumé de son passage à la télévision, etc.) des messages postérieurs. Me Jérôme Triomphe représente l’AGRIF dans toutes les actions contre Golgotha picnic, Bruno Le Griel intervient en cassation.

36 Par exemple : Alain Escada, « Golgota picnic, le spectacle blasphématoire contre lequel il nous faut nous mobiliser », art. cit. et Alain Escada, « Appel à la manifestation nationale contre la christianophobie », Civitas [En ligne], 2011, mis en ligne le 3 octobre 2011, consulté le 10 mai 2017. URL : http://www.civitas-institut.com/2011/10/03/appel-a-la-manifestation-nationale-contre-la-christianophobie/.

37 « Selon le journal “Libération” du 15 novembre 2011, “Golgota Picnic” est l’un des plus beau spectacles (sic) de Rodrigo Garcia, une méditation souriante et implacable dont il serait absurde que la portée poétique soit occultée par l’agitation qu’il suscite », TGI Paris, 17e ch., 7 décembre 2011, Ordonnance de référé, no RG 11/59621, p. 4.

38 TGI Paris, 17e ch., 10 décembre 2015, Jugement (copie de travail), no parquet 12305023020, p. 5

39 TGI Paris, 17e ch., Ordonnance de référé, op. cit., p. 4.

40 TGI Paris, 17e ch., Jugement (copie de travail), op. cit., p. 6.

41 (S. a.), « “Golgota Picnic”, ou la haine du monde médiatico-culturelle contre le Christ », La Griffe, novembre-décembre 2015, p. 5. Voir aussi Henri (Pierre), « Face aux Tribunaux. Haine anti-chrétienne : Golgota Picnic », art. cit. et Smits (Jeanne), « Face aux tribunaux. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’AGRIF dans l’affaire “Golgota picnic” », La Griffe, novembre-décembre 2017, p. 3.

42 L’idée générale que le christianisme est trop facilement pris à parti est plus largement répandue chez les catholiques d’identité, qui prolongent en cela l’indignation de René Rémond telle qu’elle s’est exprimée dans une série d’entretiens parus eu tournant du xxie siècle (Le Christianisme en accusation et Le Nouvel Antichristianisme, Paris, Desclée de Brouwer, 2000 et 2005).

43 En 1984, Bernard Antony a fondé l’AGRIF, à Paris, et été élu député au Parlement européen sous l’étiquette du Front national (FN). Pour un portrait, voir dans la présente livraison l’article de Mathilde Barraband et Jean-Yves Camus.

44 (S. a.), « “Golgota Picnic”, ou la haine du monde médiatico-culturelle contre le Christ », art. cit.

45 Idem.

46 Pour rappel, lorsqu’une juridiction prononce un jugement, ordonne un référé ou rend un arrêt, elle a le devoir de motiver sa décision et de développer ses analyses. Une décision de justice est donc un discours dans lequel on peut identifier des arguments ad hoc permettant de justifier telle ou telle qualification de l’espèce examinée. En droit de la presse, les motivations développent l’interprétation qui est faite du discours litigieux. Pour compléter ce corpus, nous utiliserons également les notes prises par Anna Arzoumanov lors de l’audience qui a eu lieu devant le tribunal correctionnel de Paris le 30 octobre 2015 ainsi que la retranscription d’un entretien de cette dernière avec la présidente de la 17e chambre de l’époque, Fabienne Siredey Garnier, dans son bureau du Palais de justice de Paris. Nous tenons d’ailleurs à remercier chaleureusement Fabienne Siredey-Garnier pour le temps qu’elle nous a accordé.

47 Sur ce point, voir Arnaud Latil, Création et droits fondamentaux, Issy les Moulineaux, LGDJ, 2014.

48 Sur ce point, voir Anna Arzoumanov, « La fiction objet de droit ? Réflexions sur une catégorie juridique émergente en droit de la presse », La Licorne, à paraître.

49 Pour une étude de la manière dont ce protocole d’analyse s’applique, voir Anna Arzoumanov, « Littérature versus droit ? L’exemple du procès Angot », Entertainment. Droit médias art culture, no 2018-1, pp. 45-57 et Mathilde Barraband, « La non-fiction au tribunal. Peut-on faire parler et penser des personnages réels ? », dans Judith Sarfati Lanter, Anna Arzoumanov, Arnaud Latil (dir.), Le Démon de la catégorie. Droit et littérature, Paris, Mare & Martin, 2017, p. 117-131.

50 Une phrase suffira pour se rendre compte de la teneur des propos : « Qu’est-ce que ça sait faire un Juif en dehors de brailler qu’il mérite le respect parce qu’il fait partie du peuple élu ? » (Éric Bénier-Bürckel, Pogrom, Paris, Flammarion, 2004, p. 138)

51 Voir notamment Agnès Tricoire, « Quand la fiction exclut le délit », art. cit.

52 TGI Paris, 17e ch., 16 novembre 2006, no 051150817.

53 L’association « Ni putes ni soumises » s’est constituée partie civile dans l’affaire jugée le 12 juin 2012 par le TGI de Paris. Cinq associations féministes se sont constituées parties civiles et ont porté plainte contre le chanteur à la suite d’un concert public au Bataclan le 14 mai 2009. L’affaire a été jugée par le TGI de Paris le 31 mai 2013, puis par la cour d’appel de Versailles le 18 février 2016.

54 TGI Paris, 17e ch., 12 juin 2012, Ministère public et Ni putes ni soumises c/ Cotentin.

55 CA Versailles, ch. 8, 18 février 2016, RG 15/02687 Cotentin c/ Chiennes de garde et consorts.

56 Françoise Lavocat, Fait et Fiction. Pour une frontière, Paris, Le Seuil, 2016, p. 276.

57 Les débats lors du procès de Christine Angot rejouent par exemple l’opposition entre les intégrationnistes et les ségrégationnistes. Voir Anna Arzoumanov, « Littérature versus droit ? L’exemple du procès Angot », art. cit.. Le débat continue pourtant d’opposer ces deux approches de la fiction. Il a ainsi pu aller jusqu’à mobiliser pendant plus de sept heures de nombreux intervenants lors du procès de la fiction qui s’est tenu à l’hôtel de ville de Paris le samedi 7 octobre 2017 dans le cadre de la nuit blanche (sur une proposition d’Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós).

58 TGI Paris, 17e ch., Ordonnance de référé, op. cit., p. 4.

59 TGI Paris, 17e ch., Ordonnance de référé, op. cit., p. 7

60 Nous citons ici le réquisitoire de la Procureure d’après les notes prises lors de l’audience du 30 octobre 2015.

61 Selon les notes prises par Anna Arzoumanov lors de l’audience du 30 octobre 2015.

62 Sur ce point, voir par exemple Gérard Genette, Fiction et Diction, Paris, Le Seuil, 1991.

63 TGI Paris, 17e ch., Jugement (copie de travail), op. cit., p. 6.

64 Interrogée sur la manière dont elle motive ses jugements en matière de création, la présidente de la 17e chambre de l’époque, Fabienne Siredey-Garnier reconnaît d’ailleurs faire preuve de beaucoup de précaution dans la rédaction afin de ne pas être accusée de censurer l’art.

65 CA Paris, pôle 2, ch. 7, 22 juin 2016, no 16/00342, p. 8.

66 Voir notamment TGI Paris, ch. 17, 27 octobre 2009, Association Ben Gourion et consorts c/ M’Bala M’Bala, CA Paris, ch. 7, pôle 2, 17 mars 2011, RG 09/11980, Association Ben Gourion et consorts c/ M’Bala M’Bala, TGI Paris, ch. 17, 4 mars 2015, Ministère public c/ M’bala M’bala Dieudonné, TGI Paris, ch. 17, 19 mars 2015, Ministère public, LICRA et association Ben Gourion c/ M’Bala M’Bala.

67 Sur la question de la responsabilité de l’écrivain, on se reportera aux travaux de Gisèle Sapiro, La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (xixe-xxie siècles), Paris, 2011.

68 Idem.

69 Idem.

70 Cass. crim., 17 novembre 2017, pourvoi no 16-84.945, p. 8.

71 Cette question a certes fait l’objet d’investigations dans le champ académique (Käte Hamburger et Dorrit Cohn ont tâché d’en déterminer des critères d’identification). Mais cette approche de la fiction est désormais largement remise en question. Voir Gilles Philippe, « Existe-t-il un appareil formel de la fiction ? », Le Français moderne, vol. LXXIII, no 1 : Des Procédures de fictionnalisation, 2005, pp. 75-88.

72 Sur ce point, voir Anna Arzoumanov et Arnaud Latil, « Juger la provocation onirique : éléments pour une interprétation des expressions polyphoniques », Commentaire de Crim. 28 mars 2017, n°15-87.415, Juris Art etc., octobre 2017, pp. 38-43.

73 TGI Paris, 17e ch., 18 juillet 2014, Ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, no 2410/13/8, p. 3.

74 Notes prises lors de l’audience du TGI par Anna Arzoumanov.

75 TGI Paris, 17e ch., Ordonnance de référé, op. cit., p. 7.

76 TGI Paris, 17e ch., Jugement (Copie de travail), op. cit., p. 8.

77 Ibid., p. 7.

78 Idem.

79 Voir Olivier Turbide, Diane Vincent et Éric Kavanagh, « Repères méthodologiques pour l’analyse des discours sociaux. Lorsqu’un tweet devient une “affaire” », op. cit.

80 À ce sujet, voir Chantal Enguehard et Robert Panico, « Technologies et usages de l’anonymat à l’heure d’internet », Terminal [En ligne], no 105, 2010. URL : https://journals.openedition.org/terminal/1848.

81 Les représentations ont eu lieu du 16 au 20 novembre à Toulouse et du 8 au 17 décembre 2011 à Paris.

82 Jean-Pierre Thibaudat, « “Golgota picnic” : Rodrigo Garcia fait la nique aux intégristes », Rue 89 [En ligne], 2011, mis en ligne le 17 novembre 2011, consulté le 12 février 2019. URL : http://rue89.nouvelobs.com/blog/balagan/2011/11/17/golgotha-picnic-rodrigo-García-fait-la-nique-aux-integristes-225785 ; Armelle Heliot, « Golgota Picnic ne vaut pas un scandale », Le Figaro [En ligne], 2011, mis en ligne le 8 décembre 2011, consulté le 12 février 2019. URL : http://www.lefigaro.fr/theatre/2011/12/07/03003-20111207ARTFIG00814-golgota-picnic-ne-vaut-pas-un-scandale.php ; Brigitte Salino, « Chez Rodrigo Garcia, le sauveur, c’est le verbe », Le Monde [En ligne], 2011, mis en ligne le 9 décembre 2011, consulté le 12 février 2019. URL : https://www.lemonde.fr/culture/article/2011/12/08/chez-rodrigo-garcia-le-sauveur-c-est-le-verbe_1615099_3246.html ; Hadrien Volle, « “Golgota Picnic”, un doux pétard mouillé », Arkult [En ligne], 2011, mis en ligne le 9 décembre 2011, consulté le 12 février 2019. URL : http://www.arkult.fr/2011/12/golgota-picnic-un-doux-petard-mouille/golgota/ ; Raphaël de Gubernatis, « ‘Golgota picnic’ : intolérance et malentendus », L’OBS [En ligne], 2011, mis en ligne le 12 décembre 2011, consulté le 12 février 2019. URL: http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20111209.OBS6376/golgota-picnic-intolerance-et-malentendus.html.

83 Jean-Marie Schaeffer, « Quelles vérités pour quelles fictions ? », art. cit.

84 Tous les extraits de commentaires sont reproduits tels qu’ils ont été publiés, sans qu’aucune correction n’y ait été apportée.

85 Le contenu présupposé résiste à la négation, ce qui permet de l’identifier : si je transforme l’énoncé 2 en énoncé négatif (« la pièce n’est pas irrespectueuse à l’égard de la personne du Christ »), le présupposé de l’existence du Christ se maintient.

86 Sur ce point, voir Thomas Hochmann, « L’interprétation juridictionnelle d’un texte fictionnel », dans Christine Baron (dir.), Littérature, droit, transgression, La Licorne, 2013, p. 23-34.

87 Jean-Marie Schaeffer « Quelles vérités pour quelles fictions ? », art. cit.

88 Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris, Hermann, 1972.

89 Voir, dans ce dossier, l’article de Mathilde Barraband et Jean-Yves Camus.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anna Arzoumanov, Mathilde Barraband et Marty Laforest, « « Mais c’est une fiction ! » Mobilisation et démobilisation d’une notion controversée dans l’affaire Golgotha picnic  »COnTEXTES [En ligne], 26 | 2020, mis en ligne le 15 janvier 2020, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/contextes/8709 ; DOI : https://doi.org/10.4000/contextes.8709

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Anna Arzoumanov

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