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2020

Soutien à la grève des revues en sciences humaines et sociales et à la mobilisation de nos collègues français.e.s

COnTEXTES

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Texte intégral

  • 1 Isabelle This Saint-Jean, « La colère gronde et enfle dans les amphis et les labos », AOC, 31/01/20 (...)
  • 2 Philippe Blanchet, « Universitaires : la fin de l’indépendance ? », AOC, 28/01/2020, URL : https:// (...)

1En France, les mobilisations se multiplient dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, à la fois contre le projet d’une réforme des retraites dont les personnels des universités feront partie des perdants1 et contre celui d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) qui s’inscrit dans un processus au long cours de mise en péril de l’indépendance et de la liberté académiques2.

  • 3 Antoine Petit, « Nous avons un impérieux besoin d’une grande loi ambitieuse et vertueuse sur la rec (...)
  • 4 En 2007, la LRU (« loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités » ou « loi Pécr (...)

2La LPPR promeut en effet une recherche par projets (avec l’injonction à la recherche de subventions et les contrats à durée limitée afférents), prévoit une diminution des recrutements de chercheur.e.s titulaires et ne cache pas son ambition d’être discriminante (pour ne pas dire « darwinienne » et « inégalitaire », cf. les mots d’Antoine Petit, PDG du CNRS3) en prônant des modalités d’évaluation punitive, en encourageant les profils jugés « excellents » et en reléguant les charges d’enseignement à d’autres statutaires, au risque de désarticuler la liaison entre recherche et enseignement qui fait l’essence même des institutions universitaires. Pour beaucoup d’enseignants-chercheur.e.s, cette loi s’inscrit dans un mouvement plus vaste d’imposition d’un projet politique néolibéral aux universités françaises (dans le sillage de la LRU en 2007, de la ORE et de Parcoursup4).

  • 5 Tribune collective, « Réforme de la recherche : vers des jeunes chercheurs toujours plus précaires  (...)

3Telle qu’annoncée, cette loi prévoit donc de miner ce qui conditionne l’existence et le fonctionnement des revues scientifiques. Ces périodiques mobilisent un ensemble d’actrices et d’acteurs (qui évaluent, discutent, amendent, rejettent et éditent des textes) dépendants d’une certaine conception du service public. Ce qui rend effectivement possible la diffusion en revues d’un savoir indépendant, fiable et novateur, c’est tout un contingent de chercheur.e.s (et en particulier de jeunes chercheur.e.s, qui contribuent majoritairement au renouvellement de la production scientifique et qui font partie des premières cibles de la LPPR5) capables d’engager du temps et de l’énergie dans ces lieux de production de savoirs qui ne les rémunèrent pas directement. Pour le dire autrement, la LPPR attaque les fondements (financiers, scientifiques, humains) de l’économie des savoirs revuistiques.

  • 6 Sur ce sujet, voir par exemple Florence Audier, « L’évaluation et les listes de revues », La Vie de (...)
  • 7 Voir ce témoignage rédigé par plusieurs employé.e.s d’OpenEdition à la suite de ce blocage et dispo (...)

4Or, cette économie est pourtant aujourd’hui au cœur des systèmes d’évaluations de la qualité de la recherche (le fameux « Publish or perish » qui valorise davantage les publications en périodiques que les monographies6), de sorte que la mise en circulation des savoirs fait aujourd’hui des revues de véritables leviers de pouvoir. La preuve en est : lorsque les employé.e.s d’OpenEdition ont décidé en novembre dernier du blocage pour 24 heures de leurs plateformes, ils et elles se sont exposé.e.s aux reproches de leurs tutelles et laboratoires (CNRS, Aix-Marseille Université, EHESS, Avignon Université) et ont fait l’objet d’un « recadrage administratif7 ».

5Plus d’une centaine de revues en sciences humaines et sociales ne se sont pas trompées sur ce rapport de force et ont fait le choix de se déclarer en grève (cf. la liste ici tenue à jour8) en ce début d’année civile. Chacune d’elles a choisi de modaliser ce que permet d’envisager et d’inventer la grève pour un organe de publication : depuis le gel des processus d’évaluation jusqu’au relai d’informations liées au mouvement social ou à la préparation de dossiers thématiques spéciaux.

6Pour nous, membres du comité de rédaction de COnTEXTES, ces enjeux nous forcent à un positionnement crucial, à double titre : animée par des chercheuses et chercheurs belges, notre revue souhaite manifester son soutien à nos camarades français.e.s en lutte avec lesquel.le.s nous entretenons d’une part des proximités évidentes (la consultation de nos statistiques de fréquentations place par exemple la France au premier rang des pays depuis lesquels on lit COnTEXTES, et ce, avant même la Belgique) et avec lesquel.le.s nous nous trouvons, d’autre part, soumis à des dynamiques similaires, les logiques qui affectent aujourd’hui l’enseignement supérieur et la recherche en France étant arrimées à des tendances dépassant les seules frontières étatiques.

7COnTEXTES se déclare donc solidaire des actions engagées par ces revues grévistes, et ce, pour plusieurs raisons :

  • De manière générale, parce que nous avons conscience d’appartenir à des écosystèmes fragilisés par des logiques similaires qui s’exercent à un niveau global ; notre soutien se manifeste ainsi notamment en réponse à l’appel lancé par « Université Ouverte » à faire percoler ces débats français au-delà des frontières nationales9.

  • Plus concrètement, parce que COnTEXTES entretient des liens étroits avec les chercheuses et chercheurs hexagonaux. La seule accessibilité de nos contenus s’appuie sur la plateforme Revue.org et dépend donc du portail OpenEdition (dont nous avons précédemment rappelé la lutte initiée par les travailleuses et travailleurs en novembre 2019). En outre, en tant que périodique à visée internationale (avec peer-reviewing et comité de lecture international), COnTEXTES accueille de nombreuses publications évaluées, dirigées, signées et/ou lues (cf. nos statistiques de fréquentation) par des chercheuses et chercheurs français.e.s avec lesquels nous entretenons des affinités intellectuelles fortes.

  • Plus spécifiquement, enfin, parce que la grève menée par ces revues permet de rendre visible ce que cachent bien souvent l’accessibilité et la gratuité des connaissances dans les humanités numériques : à savoir que celles-ci dépendent directement de travailleuses et de travailleurs. En tant que revue de sociologie de la littérature attachée à réinscrire ses objets dans des matérialités, des territoires et des champs de lutte, COnTEXTES ne peut que saluer la grève actuelle : celle-ci révèle que l’accessibilité permanente aux savoirs n’est possible que grâce à un investissement humain important, qu’on a trop souvent tendance à évacuer.

Pour aller plus loin

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Notes

1 Isabelle This Saint-Jean, « La colère gronde et enfle dans les amphis et les labos », AOC, 31/01/2020, URL : https://aoc.media/opinion/2020/01/30/la-colere-gronde-et-enfle-dans-les-amphis-et-les-labos/.

2 Philippe Blanchet, « Universitaires : la fin de l’indépendance ? », AOC, 28/01/2020, URL : https://aoc.media/opinion/2020/01/27/universitaires-la-fin-de-lindependance/.

3 Antoine Petit, « Nous avons un impérieux besoin d’une grande loi ambitieuse et vertueuse sur la recherche », tribune, Le Monde, 18/12/2019, URL : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/18/antoine-petit-nous-avons-un-imperieux-besoin-d-une-grande-loi-ambitieuse-et-vertueuse-sur-la-recherche_6023322_3232.html.

4 En 2007, la LRU (« loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités » ou « loi Pécresse ») visait à accorder aux universités davantage d’autonomie dans la gestion de leur budget et de leur personnel, ce qui a surtout concouru à la faillite de certaines institutions et au recours massifs à des emplois contractuels. En 2018, la loi ORE (« loi orientation et réussite des étudiants » ou « loi Vidal ») a modifié les conditions d’entrée au premier cycle à l’université (ajoutant des prérequis et prévoyant des candidatures motivées des étudiants via la plateforme « Parcoursup »).

5 Tribune collective, « Réforme de la recherche : vers des jeunes chercheurs toujours plus précaires », Libération, 05/02/2020, URL : https://www.liberation.fr/debats/2020/02/05/reforme-de-la-recherche-vers-des-jeunes-chercheurs-toujours-plus-precaires_1777275.

6 Sur ce sujet, voir par exemple Florence Audier, « L’évaluation et les listes de revues », La Vie des Idées, 15/09/2009, URL : https://laviedesidees.fr/L-evaluation-et-les-listes-de-revues.

7 Voir ce témoignage rédigé par plusieurs employé.e.s d’OpenEdition à la suite de ce blocage et disponible sur un blog hébergé par Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/les-invisibles-de-lusr-2004/blog/100120/une-nouvelle-place-de-greve-retour-sur-un-blocage-numerique.

8 Liste tenue à jour sur le site « Université ouverte » : https://universiteouverte.org/2020/01/20/liste-et-motions-des-revues.

9 Appel « To Support French Scientific Journals », URL: https://universiteouverte.org/2020/01/29/to-support-french-scientific-journals.

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Pour citer cet article

Référence électronique

COnTEXTES, « Soutien à la grève des revues en sciences humaines et sociales et à la mobilisation de nos collègues français.e.s »COnTEXTES [En ligne], Prises de position, mis en ligne le 12 février 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/contextes/8805 ; DOI : https://doi.org/10.4000/contextes.8805

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