Et si c’était toi qui devais passer la nuit au grand froid ?

LETTRE OUVERTE | Surprise, l’hiver arrive encore cette année ! Mais à Montréal, il manque encore des centaines de places pour accueillir les personnes itinérantes.

Audréanne Smith, Table des organismes communautaires montréalais de lutte contre le Sida (TOMS).
Catherine Marcoux, Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).
La lettre est co-signée par une quinzaine de chercheur·euses et d’organisations communautaires.

Surprise, l’hiver arrive encore cette année ! Il va commencer à faire de plus en plus froid, on va accélérer le pas en revenant du travail, reconnaissant·es de se retrouver au chaud à la maison.

Dans ces moments, on s’imagine ce que ça peut être de ne pas avoir d’endroit où rentrer ou de lieu pour se réchauffer. Alors que les restaurants demandent de consommer pour rester sur place, que les métros et les centres commerciaux sont fermés durant la nuit, que les hébergements et les ressources d’urgence débordent, une question se pose : serais-je capable de passer une seule nuit dehors en hiver ?

Cette situation difficile à concevoir est pourtant la réalité pour bon nombre de personnes. À Montréal, alors que l’hiver est à nos portes, il manque des centaines de places dans les refuges d’urgence, haltes-chaleur et les hébergements transitoires. Plusieurs organismes communautaires vont encore devoir agir à contrecœur et refuser l’accès faute de places. Des travailleur·euses de rue manqueront d’options pour référer des personnes vers un endroit capable de les accueillir.

C’est en hiver que les conséquences sur la santé et la sécurité des personnes en situation d’itinérance sont les plus marquées.

Bien que le manque de places se constate à l’année, c’est en hiver que les conséquences sur la santé et la sécurité des personnes en situation d’itinérance sont les plus marquées, et ce, même lorsque le froid n’est pas considéré comme « extrême ». Si d’une part le danger d’engelures et d’hypothermie est incontestable, le risque de surdoses mortelles augmente aussi avec le gel qui rend la Naloxone [NDLR : médicament qui renverse temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes] inutilisable ou inefficace et l’épaisseur des vêtements qui complique son administration.

Un manque de ressources, encore

Dans certains arrondissements, il n’y a tout simplement pas de ressource d’urgence mise en place. Par manque d’infrastructures adéquates, par manque d’employé·es ou encore par manque de financement permanent et adéquat, le milieu communautaire, qui en fait déjà beaucoup, n’est pas en mesure d’en faire davantage.

La Ville de Montréal continue à démanteler systématiquement les campements de personnes en situation d’itinérance.

Les personnes qui consomment et les femmes qui ont besoin de lieux d’accueil non mixtes et adaptés à leurs besoins sont particulièrement laissées pour compte, sans oublier les personnes à mobilité réduite, les jeunes ou celles qui sont accompagnées d’animaux : les options sont plus que limitées, voire absentes.

Malgré la situation connue de l’ensemble des acteurs, la Ville de Montréal continue à démanteler systématiquement les campements de personnes en situation d’itinérance sans être en mesure d’offrir une réelle alternative.

Face à l’absence d’alternatives, ces personnes peuvent être contraintes de se cacher pour éviter la judiciarisation. Pour les femmes cisgenres, trans ou les personnes non binaires, les risques d’atteinte à leur intégrité physique et psychologique s’amplifient.

Une responsabilité publique

À qui incombe la responsabilité de s’assurer que personne ne meure de froid à Montréal ? Il est primordial que les instances municipales et provinciales en fassent davantage et participent concrètement au déploiement de mesures d’urgence suffisantes, adaptées aux besoins et en nombre suffisant durant toute l’année.

On en appelle également à ce que les voix des personnes domiciliées s’élèvent et démontrent leur soutien face aux réalités des personnes en situation de marginalité urbaine et d’exclusion sociale qui ont droit de cité. Il faut que les mentalités changent afin que nos élu·es aient le courage d’innover et mettent enfin en place des programmes et des politiques qui incluent aussi les besoins des personnes qui habitent la rue.

Il est primordial que les instances municipales et provinciales en fassent davantage.

Le milieu communautaire ne peut pas porter ce poids à lui seul : une solidarité collective et un leadership provenant de l’ensemble des institutions et instances politiques par l’écoute des recommandations du communautaire, la mise à disponibilité de locaux adéquats ainsi qu’un financement à la mission rehaussé et permanent sont essentiels.

La situation est d’autant plus préoccupante dans un contexte de manque de logements réellement abordables et où les listes d’attentes s’allongent pour accéder à un logement social ou communautaire. On observe une hausse marquée des demandes d’aide provenant de personnes qui jamais auparavant ne se seraient tournées vers les ressources en itinérance (femmes seules avec enfants, demandeurs d’asile).

Nous savons que le froid revient chaque année et que des personnes en décèdent. Mettons-nous à la place de celles qui passeront la nuit dehors ce soir : il est plus que nécessaire de faire preuve de solidarité et s’assurer que les droitsde l’ensemble des membres de la collectivité soient pris en compte et respectés.

Tables, regroupements et chercheur·euses co-signataires

Anne-Marie Boucher, co-coordonnatrice, Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ)

Julie Corbeil, coordonnatrice, Table régionale des organismes volontaires d’éducation populaire (TROVEP) de Montréal

Audrey Sirois, coordonnatrice, Regroupement des organismes communautaires québécois pour le travail de rue

Julien Clusiau-Perreault, président, Association des travailleurs et travailleuses de rue du Québec

Chanel Gignac, chargée de projet, Partenariat pour la prévention et la lutte à l’itinérance des femmes (PPLIF)

Paule Dalphond, directrice générale, Regroupement des Auberges du coeur du Québec (RACQ)

Marie-Andrée Painchaud-Mathieu, coordonnatrice, Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM)

Véronique Martineau, coordonnatrice, Table des groupes de femmes de Montréal

Diana Lombardi, coordonnatrice, Réseau d’action des femmes en santé et services sociaux

Céline Bellot, professeure titulaire, École de travail social, Université de Montréal et directrice de l’Observatoire des profilages

Sue-Ann MacDonald, professeure agrégée, École de travail social, Université de Montréal

Michel Parazelli, professeur associé, École de travail social, Université du Québec à Montréal

Jade Bourdages, professeure agrégée, École de travail social, Université du Québec à Montréal

Maria Nengeh Mensah, professeure titulaire, École de travail social, UQAMCaroline Leblanc, Candidate au doctorat en santé commun

Caroline Leblanc, candidate au doctorat en santé communautaire, Université de Sherbrooke

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