Un an de guerre

Un bouleversement historique dans le monde de l’énergie

L’année 2022 aura marqué l’histoire sur le plan énergétique. En envahissant l’Ukraine, et en voulant se servir de la dépendance de l’Europe envers son gaz pour la subjuguer, Vladimir Poutine a déclenché une crise énergétique mondiale sans précédent.

La crise de 2022 rappelle les deux crises pétrolières des années 1970, qui eurent lieu à la suite d’évènements au Moyen-Orient : embargo des pays arabes en 1973 et Révolution iranienne en 1979. Ces deux évènements ont fait monter en flèche les prix du pétrole, entraînant avec eux une crise économique de grande ampleur au début des années 1980. Les crises des années 1970 n’ont pas été sans conséquence, tant s’en faut. Elles ont convaincu les États-Unis de déployer des troupes au Moyen-Orient afin de protéger les sites pétroliers (elles y sont toujours), lancé résolument la France dans le nucléaire et, au Québec, accéléré l’électrification du chauffage.

La crise de 2022 ne sera pas non plus sans conséquence. En faisant exploser les prix du pétrole, mais aussi du gaz, les coffres de la Russie, grand producteur d’énergies fossiles, ont pu être remplis.

En réaction, les pays occidentaux ont imposé un embargo sur son pétrole et exigé des transporteurs et assureurs situés dans leurs pays d’imposer un prix plafond (60 $ le baril) sur le pétrole transporté par la Russie, signant là une première. Aux États-Unis, l’imposition de sanctions contre la Russie et son pétrole a aussi eu certaines conséquences jamais vues jusqu’ici.

Washington a notamment eu recours de façon massive aux barils de sa Réserve stratégique de pétrole afin d’apaiser les prix à la pompe. Près de 200 millions de ces barils ont été injectés dans le marché, ce qui constitue, de très loin, le recours le plus important à cette réserve mise en place en 1975.

Côté gaz, les deux principaux gazoducs reliant la Russie et l’Allemagne, Nord Stream 1 et 2, ont été rendus inopérants, en raison d’actions de sabotage. Nord Stream 2, tout juste achevé au début de 2022, et qui aurait rendu les Allemands encore plus dépendants de la Russie, n’a de toute manière jamais été mis en service, une perte sèche de 11 milliards de dollars pour Moscou.

Devant ce manque à gagner de gaz russe, et en raison de leur volonté de s’affranchir de leur principal pourvoyeur d’énergie, les Européens ont dû réagir rapidement, notamment en prévision du présent hiver.

La Norvège est notamment venue à leur secours grâce aux gazoducs qui la relient au Vieux Continent. Mais les Européens ont surtout pu compter sur du gaz liquéfié et livré par transport maritime.

Les États-Unis ont été les grands gagnants de ce virage en exportant en masse leur gaz vers l’Europe. Le pays est devenu rien de moins que le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, devant l’Australie et le Qatar.

L’industrie américaine n’exportait pourtant aucun gaz en 2015. Cette nouvelle position de leadership est un revirement inattendu.

La crise a par ailleurs renforcé la volonté des États de réduire leur vulnérabilité en matière d’énergie. Résolue et déterminée à réduire sa trop forte dépendance, l’Europe a adopté un plan fort ambitieux visant à accélérer sa transition énergétique (REPower EU). Projets solaires, éoliens, électrolyseurs pour produire de l’hydrogène, thermopompes, batteries, économies d’énergie, tout est sur la table pour renforcer la sécurité énergétique du continent.

Washington a aussi adopté son Inflation Reduction Act, sa plus importante loi proclimat, comportant de généreuses incitations fiscales afin d’accélérer la transition vers des énergies à faibles émissions. Cette loi devrait remodeler le paysage énergétique aux États-Unis de manière substantielle au cours de la prochaine décennie.

Des effets réels au Québec

La crise énergétique de 2022 aura eu des effets très concrets au Québec.

Hors de son territoire, aux États-Unis, Hydro-Québec a pu profiter grassement de la hausse fulgurante des prix du gaz, son principal concurrent. Son prix a en effet explosé, vers les plus hauts sommets en 15 ans, en raison de la forte demande mondiale. Hydro-Québec a ainsi pu vendre son électricité sur ses marchés d’exportation à un prix nettement supérieur : 7,6 cents/kilowattheure en 2022, contre 4,4 cents/kilowattheure en 2021, une augmentation de plus de 70 %. Ces ventes à prix plus élevé ont entraîné pour Hydro-Québec des bénéfices en progression très significative par rapport à l’an dernier. Son dernier profit trimestriel, par exemple, affichait une hausse de 90 % par rapport à la même période l’an dernier. L’an 2022 est une année charnière et devrait accélérer la transition énergétique. À preuve : selon une analyse de BloombergNEF⁠1, on a investi l’an dernier autant d’argent dans les technologies associées à la transition que dans les énergies fossiles. C’est une première, annonciatrice d’une nouvelle ère dans le monde de l’énergie.

1. Consultez l’analyse de BloombergNEF (en anglais)

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