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De l’impression d’une mort « précipitée » à un sentiment de « délivrance » : le deuil consécutif à la perte d’un être cher ayant eu recours à l’aide médicale à mourir n’est pas univoque.

Aide médicale à mourir

L’épreuve de ceux qui restent

Sept ans après l’adoption de l’aide médicale à mourir au Québec, l’expérience des proches aidants demeure un enjeu majeur dans l’application de cette mesure. Deux témoins se sont confiés à La Presse sur la manière dont ils avaient vécu la perte d’un être cher.

« Comme un coup de fusil »

Le conjoint de Diane Marquis, Pierre Camirand, a reçu l’aide médicale à mourir (AMM) en février dernier à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Atteint à 65 ans d’une sclérose en plaques « agressive et fulgurante », il avait perdu l’usage d’une jambe et d’un œil et avait beaucoup de difficultés à manger et à faire ses besoins. « C’était un workaholic, il travaillait tout le temps. D’être confiné, couché sans pouvoir rien faire était devenu révoltant pour lui », explique Mme Marquis.

Son conjoint avait d’abord envisagé de recevoir l’euthanasie en Suisse, avant d’apprendre que le Canada avait étendu l’accès à l’AMM aux patients atteints de maladies neurodégénératives sans espoir de guérison en mars 2021. « Il avait trois plans : la Suisse, le Québec, sinon c’était la rivière des Prairies. » Elle et ses enfants craignaient en effet un suicide.

Malgré cela, la décision de Pierre Camirand de recevoir l’aide médicale à mourir a été vécue très difficilement par sa famille, informée de manière tardive. « J’étais sous le choc », admet Mme Marquis en se rappelant le moment où son conjoint lui a annoncé avoir déjà choisi la date de sa mort. « Je voyais la vie changer, parce que c’était le départ de quelqu’un avec qui j’avais partagé plusieurs années de ma vie. »

« Traumatisant » est le terme qu’elle retient pour décrire le moment des injections. « C’est comme un coup de fusil. Il était là, souriant, il parlait, et puis soudain c’était terminé. » Après le décès, Diane Marquis dit s’être sentie coupable, souffrant de troubles d’adaptation pendant plusieurs semaines. Malgré l’offre de soutien disponible, elle n’a pas souhaité être accompagnée dans son deuil par des professionnels de la santé.

« Je ne me voyais pas rencontrer une psychologue ou des gens que je ne connaissais pas du tout pour leur confier ma peine. »

— Diane Marquis, dont le conjoint a eu recours à l’AMM

L’écriture et le sport l’ont aidée à surmonter la perte de son conjoint. « La peine est là, elle revient périodiquement, mais j’ai appris à l’apprivoiser », témoigne-t-elle, ajoutant avoir été beaucoup soutenue par sa famille et ses collègues de travail. Mme Marquis tient finalement à saluer le travail et le dévouement des proches aidants. « C’est un travail exigeant et très généreux, dit-elle. Parfois les gens y laissent leur propre vie. Il faut beaucoup d’amour. »

« Un moment de joie et de délivrance »

Réjean Morin a vu son père adoptif, Claude Vachon, recevoir l’aide médicale à mourir en février 2021. Combattant une grave maladie des poumons depuis une dizaine d’années, ce dernier était devenu très dépendant pendant la pandémie. Admis à l’hôpital, informé par les médecins qu’il ne pourrait plus vivre seul, il a très mal vécu cette perte d’autonomie. « Il trouvait cela difficile que l’on ait à s’occuper de lui. Il s’en voulait d’être un fardeau pour nous, mais il ne l’a jamais été », explique Réjean Morin d’une voix émue.

Après quelques mois d’hospitalisation, c’est Claude Vachon lui-même qui a décidé de recourir à l’AMM. Malgré des réticences initiales, son fils a rapidement compris pourquoi il désirait mettre un terme à ses souffrances.

« Si on avait pensé à nous, on aurait dit : “Non, on va s’occuper de toi.” Mais lui, il nous expliquait que mentalement, il souffrait tellement d’être dans cet état-là, à dépérir à vue d’œil, qu’il ne voyait plus de sens à sa vie. »

— Réjean Morin, dont le père adoptif a eu recours à l’AMM

Le père adoptif de M. Morin a alors été transféré dans un centre de soins palliatifs, où lui et ses trois fils ont pu vivre de précieux moments de convivialité tous ensemble. « On regardait le hockey, on soupait avec lui. Et mon père, de jour en jour, disait : “C’est correct, je suis bien” », relate Réjean Morin, précisant que le patient qui reçoit l’aide médicale à mourir a le droit de changer d’avis jusqu’au dernier moment.

Le jour J, toute la famille était réunie pour dire adieu à M. Vachon. « C’était un moment de joie et de délivrance, se souvient son fils. Toute la douleur mentale qui apparaissait sur son visage est partie soudainement. » Le soulagement de son père l’a donc aidé à surmonter sa peine, ainsi qu’une amie psychologue et le personnel du centre, « des anges », selon M. Morin.

Ayant déjà connu un deuil difficile après la mort de ses parents, l’AMM reste pour lui une expérience extrêmement positive. « Si c’était à refaire, je le referais. C’est ce que je conseillerais à tous ceux qui sont malheureusement dans cet état irréversible. »

Aide médicale à mourir

Quelle expérience de deuil pour les proches ?

L’aide médicale à mourir (AMM) ne facilite pas nécessairement le deuil des proches, rapporte une étude récente. Un constat qui met en question l’accompagnement apporté à l’entourage des personnes recourant à l’AMM, pratiquée au Québec depuis 2015.

Le deuil est-il plus ou moins difficile à vivre dans le cas d’une aide médicale à mourir ? C’est la question qu’a explorée Philippe Laperle, doctorant en psychologie à l’Université de Montréal, dans une étude publiée le mois dernier dans le Journal of Death and Dying. Le chercheur a interrogé au moyen d’un questionnaire 60 personnes ayant perdu un proche depuis une période minimale de six mois : 25 à la suite d’une aide médicale à mourir, 35 de mort naturelle en soins palliatifs. Il a ensuite mené des entretiens guidés avec huit participants de chaque groupe, afin de comparer la manière dont ils avaient vécu leur deuil.

Les résultats de ses recherches sont pour le moins contrastés. « Au niveau quantitatif, en comparant les résultats des deux questionnaires aux données liées à d’autres types de décès, notamment des accidents ou des suicides, l’aide médicale à mourir semble faciliter le deuil », détaille M. Laperle en entrevue avec La Presse. Cependant, entre le deuil consécutif à une mort naturelle et celui qui suit une aide médicale à mourir, il ne constate pas de différence significative dans l’expérience : « Les résultats sont assez similaires [pour ces deux situations]. »

Les données qualitatives mises en avant par l’étude révèlent toutefois une grande pluralité d’expériences dans le cas d’une AMM.

« Il y a des participants qui ont vécu très difficilement l’aide médicale à mourir, avec le sentiment que quelque chose avait été précipité. Certaines personnes avaient l’impression qu’elles n’étaient pas au même point que leur proche qui allait recevoir l’aide, et c’est ce décalage qui rend le deuil plus difficile. »

— Philippe Laperle, doctorant en psychologie à l’Université de Montréal

Pour d’autres personnes, au contraire, l’AMM permet de conserver un souvenir positif de l’être aimé jusque dans ses derniers instants. Philippe Laperle parle alors d’une « métaphore du héros », la personne décédée incarnant « des valeurs de liberté, de contrôle et de courage ». « On a même évoqué la question de l’immortalité », explique M. Laperle. Le processus de deuil peut parfois passer consécutivement par ces deux étapes chez une même personne.

Suivi pour les proches

Ces résultats conduisent le doctorant à interroger la pertinence d’un suivi de deuil spécifique dans le cas de l’aide médicale à mourir. « De façon globale, je ne pense pas qu’on ait besoin de développer des programmes spécialisés qui s’adresseraient uniquement à ces personnes, étant donné que la majorité d’entre elles semblent quand même bien se porter », estime-t-il.

Un avis loin d’être partagé par Jean-Marc Barreau, titulaire de la Chaire Jean-Monbourquette sur le soutien social des personnes endeuillées, qui supervise actuellement un projet de recherche autour de l’AMM.

« Pour qu’un deuil se réalise, il faut un aspect linéaire dans le processus de deuil. L’aide médicale à mourir vient couper cet aspect, car les proches n’ont pas tant de temps que cela pour se préparer par rapport à un décès naturel », avance celui qui est également professeur à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

Le sentiment de culpabilité est selon lui particulièrement présent chez les proches endeuillés à la suite d’une aide médicale à mourir, et demande donc une approche différente par rapport à une mort naturelle, afin d’anticiper les difficultés d’acceptation de la décision.

« Cette nécessité d’anticipation permet de libérer les proches de ce poids de la culpabilité. Ils sauront ainsi que la décision de la personne qui va recourir à l’AMM est vraiment un acte libre, pas entremêlé de trop d’affects. »

— Jean-Marc Barreau, titulaire de la Chaire Jean-Monbourquette

Il avance également comme difficulté spécifique le « manque d’assentiment total de la société autour de cette question, qui fait que le soutien social nécessaire à la résolution du deuil n’est pas le même aujourd’hui qu’il le serait dans le cas d’un décès naturel ». Face à cette situation, M. Barreau prône la mise en place d’une véritable « culture de l’accompagnement » pour les personnes recourant à l’aide médicale à mourir, les proches endeuillés ainsi que le personnel soignant.

Les deux chercheurs s’accordent malgré tout sur le fait qu’un accompagnement personnalisé des proches est essentiel pour faciliter l’expérience de deuil, quel que soit le type de décès. Cet accompagnement est notamment assuré par les centres de soins palliatifs pratiquant l’aide médicale à mourir, qui effectuent un suivi de l’entourage endeuillé avant, pendant et après le décès. « Lorsque la mort naturelle est accompagnée de soins palliatifs, cela a des effets positifs sur le deuil, explique Philippe Laperle. Donc, si on peut augmenter notre offre de soins palliatifs, dans les deux cas on peut imaginer que les endeuillés vont mieux se porter. »

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