Décidément, le merveilleux monde des relations de travail est friand de métaphores. Outre celle de « monter le chat dans le poteau »1, pour décrire l’opération de mobilisation des syndiqués, on ne dédaigne pas non plus les images plus coquines.

Comme celle de comparer les séances de négos à un long strip-tease derrière des portes closes…

Véronique Pharand éclate de rire en entendant l’analogie. L’avocate, médiatrice et professeure à l’Université d’Ottawa, utilise une autre image, celle « d’ouvrir graduellement son kimono ». Mais l’idée est la même : se dévoiler lentement à son partenaire, révéler ses forces et ses vulnérabilités qu’on gardait cachées, jusqu’à se retrouver tout nu.

Que le déballage se fasse dans une chambre à coucher ou dans une salle de négos, ça prend beaucoup de confiance entre les participants pour y arriver. Qui a envie de se déshabiller devant un partenaire qui, non seulement ne dévoilera aucun bout de peau, mais risque aussi de s’enfuir avec le kimono ?

C’est un peu pour ça que les parties qui veulent faire débloquer une négociation décident de faire appel à un médiateur-conciliateur. Si les acteurs de la négo n’ont pas confiance l’un envers l’autre, s’ils craignent de faire une concession qui pourrait se retourner contre eux, peut-être qu’un intervenant indépendant, qui n’est pas émotivement impliqué dans le conflit, arrivera à les rapprocher.

Et c’est pour ça que Véronique Pharand voit d’un très bon œil la demande du Front commun d’avoir recours à la conciliation. « Pour moi, c’est une démonstration de la motivation du Front commun de vouloir sortir de l’impasse pour trouver une entente. »

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les dirigeants syndicaux Magali Picard, de la FTQ (à l’avant), François Enault, de la CSN (à gauche), Éric Gingras, de la CSQ (au centre), et Robert Comeau, de l’APTS (à droite), en octobre dernier

Volontaire, non contraignant, confidentiel

« La conciliation est un processus volontaire, rappelle l’avocate. On ne peut pas forcer une partie à y participer ni à accepter une entente à la fin du processus. »

Le recours et la participation à la conciliation doivent témoigner de la volonté des parties à parvenir à un règlement négocié. Les discussions sont confidentielles, pour permettre à tous de s’exprimer librement. « On ne va pas là pour essayer de trouver les faiblesses de l’autre partie, puis les utiliser plus tard contre elle. »

La confiance est l’élément clé de l’intervention du conciliateur pour que les parties passent de la revendication à l’écoute. « L’objectif de cette négociation n’est pas de se concentrer sur les positions des parties, mais plutôt de s’orienter vers les intérêts des parties. Ça, c’est vraiment un changement d’état d’esprit. »

Un exemple ? La négociation dite « sur positions » se joue comme un affrontement, elle mise sur un rapport de forces. « Quelqu’un qui est très campé dans ses positions dira : j’ai raison, l’autre a tort, je veux gagner, et l’autre va perdre, dit la médiatrice. Il y a des contextes qui prêtent à négocier sur positions. Mais là, on est dans un contexte qui nécessite probablement que l’on négocie sur les intérêts. »

La négociation sur les intérêts – ou négociation « raisonnée » – encourage les parties à s’intéresser à ce que l’autre demande pour trouver un terrain d’entente.

Il faut qu’on écoute ce que les parties ont réellement à se dire, puis qu’on aille chercher les intérêts sous-jacents. Ça, c’est notamment le travail du conciliateur de faire ressortir les éléments qui sont très importants pour chacune des parties, et les points qui ne sont pas négociables.

Véronique Pharand, avocate, médiatrice et professeure à l’Université d’Ottawa

Le conciliateur ne peut pas biffer des demandes de la liste des parties, sous prétexte qu’elles seraient déraisonnables, par exemple. « Ce n’est pas son rôle de dire : ta demande est déraisonnable. Déraisonnable comparée à quelle norme ? », dit Véronique Pharand. Tout au plus, « le conciliateur doit connaître la loi et s’assurer que l’entente qui sera conclue respectera la loi ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La désignation d’un médiateur-conciliateur n’empêche pas la présidente du Conseil du trésor de continuer à s’exprimer publiquement sur les priorités du gouvernement.

Le recours à la conciliation n’empêche pas non plus le recours aux moyens de pression. Le Front commun peut décréter de nouvelles journées de grève, tout comme la ministre Sonia LeBel peut continuer à s’exprimer publiquement sur les priorités du gouvernement. Mais si les discussions avancent bien, les parties éviteront les déclarations incendiaires et respecteront la confidentialité de ce qui se passe derrière les portes closes.

D’ailleurs, le ton a changé depuis une semaine, a fait remarquer dans L’actualité, lundi, l’ancien syndicaliste Marc Ranger, qui note une « main tendue » du côté du gouvernement et un ton « plus pondéré » chez les syndicats⁠2. Preuve, selon lui, que les parties respectent le processus en cours.

Enfin, à la différence d’un arbitre, un conciliateur ne peut pas imposer un règlement. S’il n’y a pas d’entente entre les parties, ou si l’une d’elles refuse de collaborer, le conciliateur se retire.

« En fait, le conciliateur, il est surtout un chef d’orchestre, illustre Véronique Pharand. Il dirige les musiciens, mais ce n’est pas lui qui joue la musique. »

Tiens ? Une autre métaphore.

Médiateur ou conciliateur ?

Médiateur ou conciliateur, « ça se ressemble beaucoup », convient Véronique Pharand. La médiation existe dans plusieurs domaines, comme la médiation familiale. Dans le jargon du Code du travail du Québec, on emploie tantôt le terme « médiateur », tantôt « conciliateur », tantôt « médiateur-conciliateur », mais même le ministère du Travail convient qu’il « n’y a pas vraiment de distinction à faire entre le travail de conciliateur et de médiateur ».

1. Lisez l’article « Le chat dans le poteau » 2. Lisez l’article « Négociations avec le secteur public : “Il y a moins de friture sur la ligne” » de L’actualité Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue