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Que doit-on craindre davantage : l’inflation ou la récession? C’est sur cette question que Sophie Lemieux, responsable du service à la clientèle auprès de clients institutionnels, à Fiera Capital, a ouvert le 10e colloque annuel Retraite du Cercle finance du Québec et CFA Québec qui se tenait à l’Hôtel Plaza à Québec, le 15 novembre dernier.

Pour répondre à la question, Sébastien Mc Mahon, Stratège en chef, économiste sénior et vice-président, Répartition d’actifs et gestionnaire de portefeuille, iA Groupe financier, a rappelé la situation économique actuelle et a offert quelques prévisions pour les années à venir.

Il a ainsi noté un bouleversement entre la fin de 2021 et l’année 2022. Ainsi, si avant on avait beaucoup de liquidités dans les marchés et que les taux d’intérêts étaient particulièrement bas, depuis, les banques centrales ont changé leur politique monétaire, aspirant ainsi les liquidités. Résultat, l’économiste estime à 70, voire 80 % les chances de récessions en 2023.

Il reste toutefois positif. Bien qu’il prédise que les banques centrales vont devoir maintenir leurs taux haut un moment, il estime que le sommet de l’inflation a été atteint en juin 2022. Il cite ainsi les prévisions inflationnistes de Bloomberg qui estime que l’inflation se situera aux alentours des 3,5 % pour les 12 prochains mois.

Entre inflation et récession, le choix est pour lui vite fait, car il estime l’inflation comme pernicieuse et difficile à contrôler, contrairement à une récession qui peut être contrée d’une certaine façon par les programmes sociaux. L’impact majeur d’une récession se calcule selon lui d’abord sur le marché du travail, car elle augmente le taux de chômage, une tendance difficile à inverser, mais sur ce point la situation du Québec n’est pas à plaindre.

Ainsi, le marché du travail est très serré. Il y a environ 1,1 poste disponible par chômeur, donc si on distribuait tous les postes à des chômeurs, il resterait néanmoins des postes, rappelle-t-il. Il parie donc sur une « récession atypique » où il n’y aurait pas nécessairement une hausse du taux de chômage, ce qui en ferait une récession qui ne « ferait pas trop mal ».

Il s’attend donc à une récession qui se concentrerait dans le début de l’année 2023 au Canada et aux États-Unis, mais qui se résorberait au fur et à mesure de l’année.

Qu’en sera-t-il des régimes de retraite?

« J’ai l’impression que si on faisait le même sujet dans un an, on ne pourrait pas dire que rien n’a changé dans nos systèmes de retraite », a affirmé Sophie Lemieux pour ouvrir le panel qui suivait l’intervention de Sébastien Mc Mahon.

Bernard Morency, professeur associé à HEC Montréal et panéliste lors de l’événement, abonde en son sens. Selon lui, les régimes de retraite sont bouleversés par nombre de points de l’actualité, notamment la pénurie de main-d’œuvre, le vieillissement de la population, l’inflation, mais aussi les changements climatiques et les produits ESG.

D’après lui, jusqu’à maintenant, le Canada a plutôt bien performé pour ce qui est de préparer le volet financier des retraités. Toutefois, il estime que ces 30 dernières années, « les spécialistes du monde de la retraite l’ont eu relativement facile ». « Oui, on a pris de bonnes décisions, mais les marchés financiers ont joué en notre faveur », précise-t-il.

Ainsi, de 1992 à 2021, selon les chiffres de RBC, la caisse de retraite médiane a enregistré un rendement annuel de 8,25 % avec une inflation d’environ 2 %. Le régime des rentes du Québec (RRQ) et celui du Canada sont solides en partie grâce à cela. La solidité financière de ces régimes est particulièrement attribuable à l’augmentation des cotisations au RRQ/RPQ à la fin des années 1990. « Si on ne les avait pas augmentées, on n’aurait pas eu les revenus de placement qu’on a eu », précise Bernard Morency.

Toutefois, au cours des prochaines années, on ne pourra pas compter sur d’aussi bons rendements ni sur une inflation et des politiques monétaires aussi clémentes, comme l’a souligné Sébastien Mc Mahon. Les gens de l’institut de la retraite et de l’épargne ont regardé le patrimoine net des gens de 65 à 74 ans entre 1999 et 2019 en dollar constant. Le patrimoine net a augmenté de 75 % en 20 ans! On ne peut pas espérer une situation analogue d’ici 20 ans, mais selon Bernard Morency, la situation sera loin d’être catastrophique. Il estime en effet que les gens ont la tête sur les épaules et sauront s’adapter.

Des sondages de la Society of Actuaries montrent ainsi qu’avec la COVID, nombre de retraités ont retardé l’âge de leur retraite ou simplement adapté leurs finances pour tenir compte du nouveau niveau de revenus de retraite. Il y a fort à parier qu’ils fassent de même dans les années à venir.

Les gens vont devoir mettre davantage d’argent de côté ou continuer à travailler plus longtemps, mais ils n’hésiteront pas à envisager ces différentes options, résume Bernard Morency.

Un travail plus complexe pour les conseillers

François Bourdon, associé gérant à Nordis Capital, estime que le travail va être plus complexe pour les conseillers dans les prochaines années. Cette dernière décennie, selon lui, ils bénéficiaient du meilleur des mondes, soit peu d’inflation et de croissance, pas de volatilité et des banques centrales particulièrement accommodantes.

Il y avait aussi beaucoup d’employés, les baby-boomers étaient encore sur le marché du travail, le prix des commodités était stable, on avait la mondialisation et pas de guerre. Autant de facteurs sur lesquels on ne peut plus compter aujourd’hui. Toutefois c’est au cours de ces dernières années que la situation était inhabituelle.

Il estime que les conseillers devront donc miser sur d’autres classes d’actifs. « Ces dernières années, vous avez réduit la proportion des obligations et éliminé les liquidités, faites le contraire, résume l’expert. Ouvrez-vous aux classes d’actifs qui ont moins bien fait ces dernières années. »

« Après la crise de 2008, on disait de prendre du risque, maintenant, c’est fini. Avant, ça avait l’air facile, car on faisait de l’argent, mais on accumulait du risque. En termes de gestion de risques, la diversification est plus facile à ce stade-ci », appuie-t-il.

De plus, autre point positif, la situation actuelle pourrait diminuer les inégalités sociales. Pour le moment il y a un écart entre les baby-boomers qui ont beaucoup d’argent à la retraite et les millénariaux. Mais ces derniers vont avoir le gros bout du bâton pour négocier et demander davantage d’argent à leur employeur.

Dans les dernières années, le capital était mieux rémunéré que le travail, maintenant la situation va s’inverser réduisant ainsi les écarts de richesse, l’appuie Bernard Morency.

Les rentes dynamiques, une solution?

Selon René Beaudry, associé chez Normandin Beaudry, du côté de la retraite, il serait bon de considérer le modèle des rentes dynamiques. « À l’intérieur d’un Régime à CD ou d’un RVER, il pourrait y avoir un fonds de rente dynamique », suggère l’expert. Cette option, en plus d’être individuelle, permet une grande flexibilité, car l’on peut y transférer la somme que l’on veut n’importe quand. Et surtout, contrairement à un FERR, les gens n’ont pas besoin de décider combien sortir chaque mois, sans compter que le montant de ces rentes devrait être plus élevé que ce qu’on peut acheter dans une compagnie d’assurance.

Cette solution est loin d’être nouvelle et son fonctionnement est très simple. La rente varie selon le nombre de personnes qui cotisent et celles qui décèdent. Si plus de personnes que prévu meurent, on peut augmenter la rente. Si personne ne meurt, la rente baisse.

« Le coût de mortalité bouge un tout petit peu, mais ça permet à toutes les personnes qui se joignent à ce régime d’oublier qu’ils ont à prévoir pour plus tard pour avoir de l’argent », explique René Beaudry.

En résumé, actuellement, avec le FERR, ce sont des retraits progressifs alors que la rente viagère traditionnelle procure un revenu viager. La rente dynamique « offre le meilleur des deux mondes », assure René Beaudry. Ainsi les placements se font comme dans les caisses de retraite, mais avec un meilleur rendement et le risque est mutualisé.

En conclusion, les trois panélistes estiment que la situation économique et sur les marchés a grandement évolué en peu de temps ce qui obligera les consommateurs comme les gouvernements et les promoteurs de régimes de retraite à évoluer. Mais ces derniers restent très optimistes vis-à-vis de l’avenir, car nombre de solutions existent.

Les panélistes ont toutefois souligné un défi auquel notre système pourrait être vite confronté : la définition de ce qu’est la retraite. « Si 30 % de la population du Québec a 65 ans et plus, comment garder ces personnes impliquées dans la société ? », interroge Bernard Morency.