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Grand Manan Fishermens Association, Inc. c. Canada (Procureur général), 2023 CF 1418 (CanLII)

Date :
2023-10-25
Numéro de dossier :
T-2291-22
Référence :
Grand Manan Fishermens Association, Inc. c. Canada (Procureur général), 2023 CF 1418 (CanLII), <https://canlii.ca/t/k3wx4>, consulté le 2024-05-08

Date : 20231025


Dossier : T‑2291-22

Référence : 2023 CF 1418

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

GRAND MANAN FISHERMENS ASSOCIATION, INC.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET FUNDY NORTH FISHERMENS’ ASSOCIATION INC.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le présent jugement et les présents motifs portent sur une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 4 octobre 2022, par laquelle la ministre des Pêches et des Océans [la ministre] a changé provisoirement l’accès des titulaires de permis de pêche commerciale du homard à la zone de pêche du homard 37 [ZPH 37] pour la saison de pêche 2022-2023 [la décision]. La demande a été déposée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

[2] Comme je l’explique plus en détail ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, car les arguments de la demanderesse ne portent pas atteinte au caractère raisonnable de la décision ni ne démontrent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. La demanderesse soutient aussi que la ministre ne s’est pas acquittée de son obligation de consulter les peuples autochtones, mais je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’elle n’a pas qualité pour soulever cette question.

II. Contexte

A. Réglementation régissant le secteur de la pêche au homard

[3] Au Canada, l’industrie de la pêche, y compris l’industrie de la pêche au homard, est gérée par le ministère des Pêches et des Océans [le MPO] en vertu de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14 [la Loi sur les pêches]. Élément central du pouvoir qui lui est conféré à l’article 7 de la Loi sur les pêches, le ministre peut, à discrétion, sous réserve d’exceptions limitées, délivrer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêches — ou en permettre la délivrance —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

[4] Le Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 [le Règlement de pêche (dispositions générales)] et le Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS/86-21 [le Règlement de pêche de l’Atlantique], pris en application de la Loi sur les pêches, établissent un cadre réglementaire de gestion des pêches canadiennes.

[5] Aux termes du paragraphe 2(1) du Règlement de pêche de l’Atlantique, une « zone de pêche du homard » désigne l’une des zones de pêche délimitées à l’annexe XIII de ce règlement. L’annexe XIII délimite géographiquement ces zones de pêche du homard [ZPH] par des points de latitude et de longitude. Les articles 57 à 61.1 du Règlement de pêche de l’Atlantique, qui énoncent certaines interdictions et autres mesures réglementaires se rapportant à la gestion de la pêche du homard, renvoient à des ZPH en particulier.

[6] Le paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales) prévoit que pour une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson, le ministre peut indiquer sur un permis toute condition compatible avec les règlements pris en application de la Loi sur les pêches, notamment concernant les eaux dans lesquelles la pêche peut être pratiquée (art 22(1)c)) et l’endroit précis où les engins de pêche peuvent être mouillés (art 22(1)i)).

[7] Précisons également en rapport avec l’historique de la ZPH 37, sur laquelle porte la demande, que l’article 6 du Règlement de pêche (dispositions générales) prévoit que lorsqu’une période de fermeture, un contingent, un engin ou un équipement de pêche ou une limite de taille ou de poids du poisson est fixé par règlement pour une zone en particulier, le directeur général régional du MPO peut modifier la période de fermeture, le contingent, l’engin ou l’équipement de pêche ou la limite pour cette zone ou un secteur de cette zone.

[8] La demande qui nous occupe porte sur les ZPH 36, 37 et 38, qui se trouvent toutes dans la baie de Fundy. La ZPH 37 se trouve directement au sud de la ZPH 36 et au nord de la ZPH 38. Les permis de pêche du homard pour la ZPH 36 et la ZPH 38 sont délivrés à des groupes de titulaires de permis distincts. Cependant, le MPO ne délivre pas de permis de pêche du homard uniquement pour la ZPH 37. Au cours des dernières décennies, l’autorisation de pêcher le homard dans la ZPH 37 a plutôt été incluse dans les permis autorisant la pêche soit dans la ZPH 36 soit dans la ZPH 38. En raison de désaccords entre des groupes de pêcheurs de homard commerciaux actifs dans la baie de Fundy quant à la façon dont leur accès géographique devrait être divisé, le MPO a établi la ZPH 37 en 1986 : il s’agit d’une zone commune où les pêcheurs des ZPH 36 et 38 sont autorisés à pêcher. Cependant, les détails de cet accès commun demeurent une source de désaccord.

B. Parties à la demande

[9] La demanderesse dans la présente instance, la Grand Manan Fishermens Association, Inc. [la GMFA], est une organisation qui représente depuis 1982 les intérêts des titulaires de permis de pêche dans la ZPH 38 en ce qui a trait à l’accès à la pêche du homard. Les intérêts des titulaires de permis de pêche dans la ZPH 36 sont eux aussi représentés par une organisation, à savoir la Fundy North Fishermens’ Association Inc. [la FNFA].

[10] Bien que la FNFA soit mentionnée à titre de défenderesse dans la présente procédure, elle n’a pas déposé d’avis de comparution et n’a pas participé autrement à l’instance. C’est plutôt l’autre défendeur, le procureur général du Canada, qui a répondu à la demande. Dans les présents motifs, les renvois au défendeur visent le procureur général du Canada.

[11] Outre les membres de la GMFA et de la FNFA, deux Premières Nations (la Nation Peskotomuhkati et les communautés qui font partie des Premières Nations Wolastoqey) ont accès au homard dans la ZPH 37 (et ont obtenu du MPO des permis de pêche communautaire commerciale et des permis de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles) ou pourraient y avoir accès ultérieurement. Ces Premières Nations ne sont pas parties à la présente demande, bien que l’une des Premières Nations Wolastoqey, à savoir la Première Nation de Tobique (Neqotkuk), est membre de la GMFA. Les arguments des parties dans la présente demande ne portent pas sur les permis de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

C. Événements ayant donné lieu à la décision visée par le contrôle

[12] Comme on l’a vu, au cours des décennies précédant le début de la saison de pêche du homard 2022-2023 en novembre 2022, les titulaires d’un permis dans la ZPH 36 ou la ZPH 38 pouvaient aussi pêcher dans la ZPH 37. L’accès commun à la ZPH 37 a entraîné une concurrence entre les titulaires de permis de la ZPH 36 et de la ZPH 38 pour l’accès aux ressources dans la ZPH 37. En outre, la réglementation de l’accès à la ZPH 37 établie par le MPO n’était pas la même pour les deux groupes. Plus précisément, le MPO variait la période d’ouverture, de sorte qu’elle ne commençait pas en même temps pour les deux groupes, ce qui a amplifié les préoccupations concernant l’accès équitable aux ressources de la ZPH 37.

[13] Depuis des années, le MPO encourage la FNFA et la GMFA, à titre de représentantes des titulaires de permis de la ZPH 36 et de la ZPH 38 respectivement, à régler de manière consensuelle leurs désaccords sur l’accès à la ZPH 37. Ces efforts n’ont pas porté fruit, bien qu’aucun des deux groupes ne se soit totalement opposé à la possibilité de diviser géographiquement la ZPH 37 de manière à ce que les groupes aient accès à des secteurs différents de la ZPH 37.

[14] Les initiatives qui ont mené le plus directement à la décision faisant l’objet du contrôle ont commencé en décembre 2021, lorsque le MPO a fourni à la GMFA et à la FNFA l’ébauche d’un document intitulé [traduction] « Cadre de référence – Division de la zone de pêche du homard 37 » [le cadre de référence], qui visait à fournir au MPO un cadre lui permettant de diviser la ZPH 37 commune de façon à ce que la ZPH 36 et la ZPH 38 soient des zones de pêche avoisinantes, mais autonomes. En janvier 2022, le MPO a reçu des commentaires de la GMFA et de la FNFA sur l’ébauche du cadre de référence. En février 2022, le MPO a embauché conformément au cadre de référence un ancien employé, Michael Cherry, pour travailler avec les intervenants, recueillir et analyser les renseignements pertinents, et lui remettre un rapport recommandant la répartition équitable des lieux de pêche de la ZPH 37 selon une capacité de production relative.

[15] Après avoir consulté la GMFA et la FNFA sur le cadre de référence, le MPO a présenté la version définitive de ce document le 7 avril 2022. Aussi après avoir consulté la GMFA et la FNFA, M. Cherry a transmis l’ébauche de son rapport sur la répartition des lieux de pêche de la ZPH 37 (dans laquelle ne figuraient pas ses conclusions et recommandations) à la GMFA et à la FNFA le 6 juin 2022. À la suite d’autres consultations se rapportant à cette ébauche, M. Cherry a finalisé son rapport. Par la suite, le 19 juin 2022 ou vers cette date, il a transmis son rapport à M. Harvey Millar, qui était alors directeur de secteur du Bureau de secteur du sud-ouest du Nouveau-Brunswick, région des Maritimes, du MPO. Dans son rapport [le rapport], M. Cherry recommandait une ligne de démarcation dans la ZPH 37, qui visait à séparer les flottilles de la ZPH 36 et de la ZPH 38 en deux secteurs géographiques dans la ZPH 37. M. Cherry avait conclu qu’il s’agissait de la meilleure façon de répartir équitablement l’accès en fonction de la capacité de production relative des différents secteurs de la ZPH 37.

[16] Le MPO a préparé à l’intention de la ministre une note de service, datée du 26 septembre 2022 [la note de service], dans laquelle il lui recommandait de suivre la recommandation de M. Cherry, comme mesure provisoire pour la saison de pêche du homard 2022-2023, à l’égard des permis de pêche commerciale, mais pas des permis de pêche communautaire commerciale des Autochtones. La note de service comprenait des annexes, dont le rapport et un document intitulé Summary of Indigenous Consultations and Feedback [résumé des consultations auprès des Autochtones et des commentaires]. Le 3 octobre 2022, la ministre a accueilli favorablement la recommandation du MPO et a ainsi appuyé la note de service, qui constitue la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

[17] Le 4 octobre 2022, le MPO a informé la GMFA et la FNFA de la décision et, le 6 octobre 2022, le MPO a informé les titulaires de permis individuel dans la ZPH 36 et la ZPH 38 de la décision.

[18] Afin de mettre en œuvre la décision pour la saison de pêche commençant au début du mois de novembre 2022, le MPO a assorti les permis de conditions pour la ZPH 36 et la ZPH 38. Ces conditions limitaient les secteurs de la ZPH 37 dans lesquels chaque groupe avait l’autorisation de pêcher. Aucune modification n’a été apportée aux permis de pêche communautaire commerciale des Autochtones.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[19] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes que la Cour doit trancher :

  1. La demanderesse a-t-elle qualité pour invoquer un manquement à l’obligation constitutionnelle de consultation du ministre, et, dans l’affirmative, la décision est‑elle invalide du fait que la ministre ne s’est pas acquittée de cette obligation?

  2. La demanderesse a-t-elle bénéficié d’un degré d’équité procédurale approprié?

  3. La décision sur le fond est-elle raisonnable?

[20] Il se dégage de la formulation de la troisième question ci‑dessus que les parties conviennent (et je suis du même avis qu’elles) que la norme de contrôle applicable au fond de la décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[21] La question de l’équité procédurale fait l’objet d’un examen judiciaire pour que la Cour s’assure qu’un processus juste et équitable a été suivi, exercice qui est particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée (voir Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique] aux para 46-47).

[22] En ce qui a trait aux arguments de la GMFA fondés sur l’obligation du ministre de consulter les intervenants autochtones, la GMFA fait valoir que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer parce que ces arguments soulèvent soit des questions constitutionnelles soit des questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble (voir Vavilov, au para 53). J’adopte les directives formulées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 [Tsleil-Waututh]. L’existence et l’étendue de cette obligation constituent des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. La question de savoir si les consultations tenues étaient adéquates est une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de la décision raisonnable (voir Tsleil‑Waututh, au para 225).

IV. Analyse

A. La demanderesse a-t-elle qualité pour invoquer un manquement à l’obligation constitutionnelle de consultation du ministre, et, dans l’affirmative, la décision est‑elle invalide du fait que la ministre ne s’est pas acquittée de cette obligation?

[23] L’obligation constitutionnelle de consultation du gouvernement dans le cadre du processus décisionnel, que la GMFA cherche à invoquer, découle du principe de l’honneur de la Couronne et de la protection des « droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones » prévue au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’obligation de consultation et, s’il y a lieu, celle d’accommodement font partie du processus de conciliation et de négociation honorable (voir Tsleil-Waututh, au para 486).

[24] Pour appuyer sa prétention concernant cette obligation, la GMFA souligne que l’article 2.4 de la Loi sur les pêches prévoit expressément que le ministre prend toute décision sous le régime de cette loi en tenant compte des effets préjudiciables que la décision peut avoir sur les droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La GMFA soutient que l’article 2.4 limite le vaste pouvoir discrétionnaire de la ministre dans la gestion des pêches, et fait valoir dans son avis de demande, comme motif pour faire annuler la décision, que la ministre reconnaît que la consultation des communautés autochtones est incomplète.

[25] Avant de me pencher sur la question de savoir si la GMFA a qualité pour invoquer cet argument, je tiens à expliquer certains faits relatifs qui y sont associés, que les parties ne semblent, pour l’essentiel, pas contester.

[26] Dans son rapport, M. Cherry recense quatre facteurs principaux à examiner pour procéder à la division de la ZPH 37 : a) ce qui constituerait une répartition équitable des lieux de pêche de la ZPH 37 selon une capacité de production relative; b) la question de savoir s’il est nécessaire de mener d’autres consultations auprès des Autochtones et celle de savoir comment intégrer les droits ancestraux ou issus de traités établis, ou les préoccupations des organisations autochtones et de leurs communautés; c) la question de savoir s’il existe une raison impérieuse de modifier une répartition équitable de la ZPH 37 sur le fondement de critères sociaux, économiques ou culturels; d) l’examen attentif de toute modification de la durée et des dates de la saison dans la ZPH 37 actuelle. Cependant, M. Cherry explique que seul le premier facteur est visé par le rapport.

[27] Dans la note de service destinée à la ministre, le MPO a expliqué qu’il cherchait à faire approuver provisoirement la répartition de la ZPH 37 recommandée dans le rapport, jusqu’à l’achèvement des consultations auprès des groupes autochtones. Comme je l’ai mentionné précédemment, un résumé des consultations menées auprès des Autochtones et des commentaires recueillis, intitulé Summary of Indigenous Consultations and Feedback, était annexé à la note de service. Relativement à ces consultations, la note de service précisait que la limite proposée ne devrait pas avoir d’effet important sur les droits des Autochtones si elle était appliquée à leurs permis de pêche communautaire commerciale, mais que le MPO devrait terminer ses consultations auprès des peuples autochtones pour valider cette hypothèse. Par conséquent, le MPO ne proposait aucune modification des permis de pêche communautaire commerciale pour la saison 2022-2023, pendant laquelle ces consultations se poursuivaient.

[28] Conformément à cette recommandation, la décision avait pour effet de diviser les lieux de pêche de la ZPH 37 de façon à ce que les titulaires d’un permis de pêche commerciale dans la ZPH 36 et la ZPH 38 aient le droit de pêcher uniquement de leur côté respectif de la ligne de démarcation. Toutefois, les titulaires des permis de pêche communautaire commerciale dans la ZPH 36 et la ZPH 38 délivrés aux communautés des Premières Nations pouvaient continuer de pêcher dans toute la ZPH 37.

[29] Bien que la décision n’ait pas changé l’accès accordé au titre des permis de pêche communautaire commerciale, la GMFA cherche à invoquer le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et l’article 2.4 de la Loi sur les pêches à l’appui de son argument selon lequel la décision est invalide, car elle a été prise avant que la ministre ait terminé les consultations auprès des communautés des Premières Nations titulaires de ces permis. La GMFA cherche à faire valoir que bien que la décision ne s’appliquait pas aux permis de pêche communautaire commerciale, les pêcheurs titulaires d’un permis de cette nature ont été touchés par la décision, car ils pêchent dans les mêmes eaux que les titulaires d’un permis de pêche commerciale.

[30] Le défendeur affirme que la GMFA n’a pas qualité pour invoquer un argument fondé sur l’obligation constitutionnelle de consultation de la ministre. En réponse, la GMFA soutient qu’aucune qualité autochtone particulière ne devrait être nécessaire pour avancer un argument fondé sur une disposition de la Loi sur les pêches (article 2.4). La GMFA souligne également qu’elle représente la Première Nation de Tobique et d’autres membres qui pêchent en vertu d’un permis de pêche communautaire commerciale. Elle ajoute que rien ne devrait empêcher une seule et même association de l’industrie régionale de défendre à la fois les intérêts des Premières Nations et des intérêts commerciaux.

[31] Les deux parties ont parlé de la question de la qualité à l’audition de la présente demande, mais aucune d’elles n’a présenté d’observations sur la jurisprudence ou les principes dont la Cour doit tenir compte pour l’examen de cette question. L’avocate de la GMFA a souligné qu’elle n’avait trouvé aucun précédent pertinent où l’article 2.4 de la Loi sur les pêches était examiné.

[32] Dans l’arrêt Behn c Moulton Contracting Ltd, 2013 CSC 26 [Behn], la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir qui peut invoquer des droits en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans cette affaire, des membres individuels d’une collectivité autochtone alléguaient, en défense dans une action en responsabilité délictuelle qu’une société forestière avait intentée contre eux, que les permis permettant à cette société de récolter du bois sur le territoire de la Première Nation avaient été délivrés sans que soit respectée l’obligation constitutionnelle de consultation. La Cour suprême s’est exprimée en ces termes sur la question de savoir si les défendeurs particuliers étaient en mesure d’invoquer des droits protégés par l’article 35 (aux para 30-31) :

30. L’obligation de consultation existe pour la protection des droits collectifs des peuples autochtones. C’est pourquoi elle est due au groupe autochtone titulaire des droits protégés par l’art. 35, qui sont par nature des droits collectifs : Beckman, par. 35; Woodward, p. 5‐55. Un groupe autochtone peut toutefois autoriser un individu ou un organisme à le représenter en vue de faire valoir ses droits garantis par l’art. 35 : voir, p. ex., Komoyue Heritage Society c. British Columbia (Attorney General), 2006 BCSC 1517, 55 Admin. L.R. (4th) 236.

31. Dans le présent pourvoi, il ne ressort pas des actes de procédure que la PNFN a autorisé George Behn ou une autre personne à la représenter en vue de contester la validité des autorisations. Je fais cependant remarquer que des intervenants ont allégué dans leurs actes de procédure devant notre Cour que la PNFN avait accordé aux Behn une autorisation implicite de la représenter. En fait, la PNFN était partie aux procédures devant les tribunaux d’instance inférieure parce que Moulton alléguait que la PNFN avait comploté ou s’était coalisée avec d’autres en vue de bloquer l’accès aux sites d’exploitation forestière. La PNFN agit également en qualité d’intervenante devant notre Cour. Mais en l’absence d’allégation d’une autorisation accordée par la PNFN, dans les circonstances de l’espèce, les Behn ne peuvent eux-mêmes invoquer un manquement à l’obligation de consultation puisque cette obligation est due à la collectivité autochtone, soit la PNFN. Même si l’on suppose que des particuliers pourraient invoquer un manquement de la sorte, les faits allégués dans les actes de procédure ne permettent pas de l’invoquer dans le contexte du présent pourvoi.

[33] En l’espèce, outre l’absence d’observations des parties sur le droit régissant la question de la qualité, je dispose de peu d’éléments de preuve sur le rôle ou le mandat de la GMFA relativement aux intérêts des titulaires d’un permis de pêche communautaire commerciale. À l’audience, l’avocate de la GMFA a renvoyé à l’affidavit de la directrice générale de l’association, Mme Melanie Sonnenberg, qui a expliqué que la GMFA représente ses membres dans le cadre d’affaires touchant l’industrie locale de la pêche commerciale, apporte son soutien par l’entremise de services à la clientèle et assure la liaison avec le gouvernement. Dans ses observations, l’avocate de la GMFA a indiqué que l’association s’occupait aussi des questions opérationnelles, car celles-ci touchent à la fois les titulaires d’un permis de pêche commerciale et les titulaires d’un permis de pêche communautaire commerciale. L’avocate a toutefois confirmé que la GMFA n’a pas le mandat de parler des intérêts des Premières Nations visés à l’article 35.

[34] Compte tenu de ce contexte, qui repose sur des preuves documentaires limitées, et de l’analyse présentée dans l’arrêt Behn, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la GMFA n’a pas qualité pour invoquer des arguments fondés sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou sur l’article 2.4 de la Loi sur les pêches. Dans la mesure où l’incorporation de l’obligation de consultation découlant de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 dans la Loi sur les pêches peut soutenir une analyse ou une conclusion différente de celle énoncée dans l’arrêt Behn, cette question devrait être de préférence clarifiée dans le cadre d’une autre affaire dans laquelle la Cour dispose d’un dossier de preuve plus solide et d’observations sur la jurisprudence se rapportant à l’obligation constitutionnelle.

[35] Ma conclusion selon laquelle la GMFA n’a pas qualité est suffisante pour trancher cette question.

B. La demanderesse a-t-elle bénéficié d’un degré d’équité procédurale approprié?

(1) Attentes légitimes

[36] La GMFA soutient qu’elle n’a pas bénéficié d’un degré d’équité procédurale approprié dans le processus qui a mené à la décision. Elle s’appuie principalement sur la doctrine des attentes légitimes. Selon cette doctrine, si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il compte suivre pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment eu recours dans le passé, pour rendre des décisions du même genre, à certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement (voir Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 94).

[37] La GMFA soutient qu’elle s’attendait, de façon raisonnable, à être consultée dans le cadre du processus décisionnel de la ministre, y compris à avoir l’occasion de formuler des commentaires sur la division particulière proposée de la ZPH 37 avant que la ministre prenne la décision de retenir cette division. Bien qu’elle ait été consultée à différentes étapes du processus ayant mené à la décision (et ait entre autres formulé des commentaires sur le cadre de référence et l’ébauche du rapport préparé par M. Cherry en juin 2022), la GMFA soutient qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas eu l’occasion de formuler des commentaires sur la version définitive du rapport, ou à tout le moins sur la division proposée de la ZPH recommandée au MPO dans le rapport et que le MPO a par la suite recommandée à la ministre.

[38] L’argument de la GMFA concernant les attentes légitimes repose en grande partie sur le fait que le MPO l’a invitée à participer à l’ensemble du processus qui a mené à la décision. Par exemple, elle renvoie au cadre de référence et à la correspondance connexe du MPO énonçant l’intention de ce dernier de consulter des groupes d’intervenants et de recueillir leurs observations dans le cadre du processus décisionnel concernant la division de la ZPH 37.

[39] Cependant, pour invoquer la doctrine des attentes légitimes, les affirmations de l’organisme public sur lesquelles un demandeur cherche à s’appuyer doivent être claires, nettes et explicites (voir Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 au para 67). La GMFA n’a rien relevé dans le cadre de référence ou la façon dont le MPO a dirigé le processus décisionnel qui puisse être interprété comme une volonté déclarée que la GMFA ait l’occasion de formuler des commentaires sur la division particulière proposée de la ZPH 37 avant que la ministre prenne sa décision à cet égard.

[40] À l’audition de la présente demande, la Cour a demandé à l’avocate de la GMFA de relever toute affirmation particulière du MPO sur laquelle elle cherche à s’appuyer qui aurait donné lieu à ces attentes.

[41] La GMFA renvoie la Cour à l’affidavit de sa gestionnaire de projet, Mme Bonnie Morse, qui parle de ses souvenirs d’une réunion à laquelle M. Cherry a participé à Grand Manan le 12 juin 2022. Mme Morse affirme qu’au cours de cette réunion, M. Cherry a déclaré qu’il espérait que la GMFA recevrait la nouvelle ébauche de son rapport afin qu’elle puisse l’examiner avant que la version définitive du rapport soit transmise au MPO.

[42] Avant d’examiner la déposition de Mme Morse, je souligne que, comme les demandes de contrôle judiciaire sont tranchées en fonction des documents dont disposait le décideur, les preuves extrinsèques sont normalement inadmissibles (voir p. ex. Chin Quee c Teamsters Local #938, 2017 CAF 62 au para 5). Bien que les catégories d’exceptions à cette règle ne soient pas limitatives, les exceptions reconnues visent habituellement trois types d’éléments de preuve : a) les éléments de preuve généraux qui sont utiles à la Cour; b) les éléments de preuve qui sont liés à un manquement allégué à l’équité procédurale de la part du décideur administratif et qui sont difficiles à déceler dans le dossier dont disposait le décideur; c) les éléments de preuve qui démontrent l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré la conclusion contestée (voir p. ex. Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licencing Agency, 2012 CAF 22 [Access Copyright] aux para 18-20).

[43] Je conviens que la déposition de Mme Morse sur laquelle la GMFA souhaite s’appuyer fait partie des exceptions reconnues qui sont décrites ci-dessus, car elle se rapporte à l’argument de la GMFA relatif à l’équité procédurale.

[44] En ce qui concerne le bien-fondé de cet argument, le défendeur fait valoir que M. Cherry est un expert-conseil externe dont le MPO a retenu les services et que, par conséquent, ses déclarations ne sont pas des déclarations d’un organisme public pouvant guider l’application de la doctrine des attentes légitimes. Cependant, aucune des parties n’a soumis à la Cour des précédents ou des observations en vue d’orienter l’analyse à cet égard. En l’absence de telles observations, je refuse de trancher cet argument. Il est inutile que je le fasse parce que je souscris au point de vue du défendeur selon lequel la déclaration de M. Cherry, quant à ce qu’il [traduction] « espérait » qu’il se produise, ne peut en aucun cas être qualifiée d’affirmation claire, nette et explicite du processus qui serait suivi.

[45] La GMFA s’appuie également sur la lettre que le MPO lui a envoyée le 4 octobre 2022 pour l’informer de la décision, résumer celle‑ci et en expliquer la nature provisoire. Voici le libellé des paragraphes les plus pertinents pour l’analyse de l’argument des attentes légitimes de la GMFA :

[traduction]

Après avoir effectué un examen approfondi, la ministre accepte les coordonnées recommandées à l’option 2 du rapport de l’expert‑conseil (page 37). Ce changement sera mis en œuvre pour la saison de l’automne pour les titulaires d’un permis de pêche commerciale.

Comme les consultations auprès des communautés autochtones se poursuivent, la ministre a décidé d’accepter le rapport provisoirement pour cette année, dans l’attente de la fin de ces consultations. Par conséquent, aucun changement ne sera apporté aux permis de pêche communautaire commerciale pour la saison 2022-2023. Entre-temps, les consultations se poursuivent et on comprendra mieux les éventuelles répercussions des changements apportés à la limite des zones avant la saison 2023-2024.

En outre, comme les pêcheurs commerciaux et les associations les représentant n’ont pas examiné l’intégralité du rapport et de la recommandation de l’expert-conseil, le caractère provisoire de la décision de la ministre permettra à votre association et aux pêcheurs de fournir des commentaires supplémentaires. La ministre a l’intention d’enclencher le processus réglementaire pour rendre permanents les changements apportés à la ZPH lorsque les consultations auprès des Autochtones seront terminées. La mise en œuvre des changements conformément au processus réglementaire devrait s’échelonner sur quelques années.

[46] La GMFA soutient que le renvoi à des commentaires additionnels de la GMFA et des pêcheurs, au dernier paragraphe reproduit ci-dessus, n’était pas particulièrement clair, mais pourrait constituer une affirmation selon laquelle la GMFA aurait l’occasion de formuler des commentaires sur la division particulière de la ZPH 37 avant la mise en œuvre de cette division pour la saison de pêche 2022-2023.

[47] J’ai des réserves quant à l’argument de la GMFA selon lequel cette déclaration peut être interprétée de cette façon. Selon moi, ces paragraphes indiquent que la ministre a pris une décision au sujet de la division de la ZPH 37 et appliquera cette décision, mais seulement pour les permis de pêche commerciaux et provisoirement, à savoir, à ce stade, pour la saison de pêche 2022-2023. Ces paragraphes expliquent que la division est retenue provisoirement et n’a pas d’incidence sur les permis de pêche communautaire commerciale pour permettre au MPO d’achever ses consultations auprès des communautés autochtones. La ministre avait l’intention de rendre la division permanente, mais la nature provisoire de la décision lui permettait de recueillir d’abord d’autres commentaires auprès des titulaires d’un permis de pêche commerciale.

[48] Je ne relève aucune ambiguïté particulière dans cette lettre. Cependant, même s’il existait une ambiguïté comme le fait valoir la GMFA, cela ne l’aiderait pas à invoquer la doctrine des attentes légitimes, car celle-ci exige une affirmation claire, nette et explicite de l’organisme public.

(2) La crainte raisonnable de partialité

[49] La GMFA n’a pas mis l’accent sur cet argument dans les observations qu’elle a présentées de vive voix à l’audience, mais elle avance dans son mémoire des faits et du droit que le MPO et la ministre ont fait preuve de partialité, ou que la structure de leur processus décisionnel ou l’application de celui-ci a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité, ce qui a porté atteinte aux intérêts des pêcheurs de la ZPH 38.

[50] Pour établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, le demandeur doit démontrer qu’une personne informée qui verrait l’affaire d’une façon réaliste et pratique et qui prendrait le temps de réfléchir conclurait qu’il est probable que le décideur n’a pas pris sa décision en toute équité. En l’absence d’une preuve contraire, il faut présumer que le décideur agit équitablement. Pour réfuter cette présomption, le demandeur doit présenter plus que de vagues allégations de partialité (voir Bhallu c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1324 au para 12).

[51] Cependant, dans ses observations à l’appui de cette allégation, la GMFA fait simplement état de points de désaccord quant à la décision, au moment où elle a été rendue, à autres décisions du MPO au sujet de la gestion des pêches dans la ZPH 37 et à ce qu’elle décrit comme le fait que personne ne se soit assuré que les parties formulant des recommandations et des conseils à la ministre n’étaient pas en situation de conflit d’intérêts. En ce qui a trait à l’allégation de conflit d’intérêts, la GMFA s’appuie sur le contre-interrogatoire de M. Millar, qui a souscrit un affidavit figurant dans le dossier du défendeur. La GMFA soutient que M. Millar reconnaissait la FNFA et elle étaient d’avis que le MPO faisait preuve de partialité à leur endroit, mais qu’il n’a mentionné aucune mesure prise pour assurer l’absence de partialité de la part de M. Cherry ou d’autres intervenants du MPO participant au processus décisionnel.

[52] Bien que je considère que ce témoignage est admissible, car il se rapporte à la question de l’équité procédurale, je conclus que les observations de la GMFA ne sont pas fondées, et qu’elles sont loin d’établir ce qui est nécessaire pour satisfaire au critère de la crainte raisonnable de partialité.

C. La décision est-elle raisonnable?

(1) Pouvoir de prendre la décision

[53] La décision visait essentiellement à diviser la ZPH 37 d’une certaine manière et de façon provisoire pour la saison de pêche 2022-2023, et de permettre aux titulaires d’un permis de pêche commerciale dans la ZPH 36 et la ZPH 38 de pêcher dans l’un ou l’autre côté de la ligne de démarcation. Comme je l’ai déjà expliqué précédemment dans les présents motifs, la ministre a mis en œuvre la décision en assortissant les permis des titulaires de permis de pêche commerciale pour la ZPH 36 et la ZPH 38 de conditions limitant les secteurs de la ZPH 37 dans lesquels chaque groupe avait l’autorisation de pêcher.

[54] Dans son avis de demande, la GMFA soutient que la décision est déraisonnable parce que la ministre n’avait pas légalement le pouvoir de diviser une ZPH définie par le Règlement de pêche de l’Atlantique sans apporter une modification réglementaire. Je souligne que la GMFA n’a pas mis l’accent sur cet argument dans ses observations orales. Cependant, par souci de rigueur, je tiens à examiner brièvement cet argument.

[55] Dans les observations qu’il a présentées en réponse à cet argument, le défendeur s’appuie sur des explications tirées de l’affidavit de M. Millar sur le rôle des ZPH dans la façon dont le MPO gère la pêche au homard. Certains éléments mentionnés dans l’affidavit de M. Millar correspondent bien aux exceptions à la règle générale interdisant la production d’une preuve extrinsèque dans le cadre d’un contrôle judiciaire énoncées dans l’arrêt Access Copyright, soit parce qu’il s’agit d’éléments de preuve généraux, soit parce qu’il s’agit d’éléments de preuve liés à des allégations de manquement à l’équité procédurale. Cependant, je dois faire attention de ne pas m’appuyer sur des éléments de la déposition de M. Millar lorsqu’ils pourraient être assimilés à un avis juridique ou à des observations sur le fonctionnement de la Loi sur les pêches et des règlements pris en application de celle-ci. Les observations que le défendeur a présentées en réponse à l’argument de la demanderesse peuvent plutôt être étayées par la loi elle‑même, et il n’est pas nécessaire qu’elles s’appuient sur l’affidavit de M. Millar.

[56] Comme je l’ai mentionné précédemment, le Règlement de pêche de l’Atlantique définit des ZPH, au moyen de coordonnées géographiques, puis renvoie à ces ZPH dans des dispositions imposant différentes mesures liées à la gestion de la pêche du homard. En plus de ces dispositions, le paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales) prévoit que pour une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson, le ministre peut indiquer sur un permis toute condition compatible avec les règlements pris en application de la Loi sur les pêches, notamment les conditions concernant les eaux dans lesquelles la pêche peut être pratiquée (art 22(1)c)) et l’endroit précis où les engins de pêche peuvent être mouillés (art 22(1)i)).

[57] Le paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales) confère au ministre le pouvoir réglementaire lui permettant de mettre en œuvre la décision en assortissant les permis de conditions. Je ne relève aucune incohérence entre le Règlement de pêche de l’Atlantique et la façon dont la ministre utilise les conditions dont sont assortis les permis pour limiter les secteurs de la ZPH 37 auxquels les titulaires d’un permis pour la ZPH 36 et la ZPH 38 avaient accès lors de la saison 2022-2023. Je tiens à préciser que je ne vois rien qui permette d’affirmer que la ministre n’avait pas le pouvoir de mettre en œuvre cette mesure de gestion en l’absence d’une modification réglementaire redéfinissant les paramètres géographiques de la ZPH 37.

(2) Motifs de la décision

[58] S’appuyant sur les principes régissant le contrôle des décisions administratives selon la norme du caractère raisonnable, qui sont expliqués aux paragraphes 14 et 15 de l’arrêt Vavilov, la GMFA soutient que la décision n’énonce pas de motifs répondant aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification. La GMFA fait valoir que les motifs de la ministre n’expliquent pas pourquoi elle a décidé d’accepter la division particulière de la ZPH 37 recommandée dans le rapport et de mettre en œuvre ce changement pour la saison de l’automne 2022 uniquement pour les titulaires d’un permis de pêche commerciale.

[59] Le défendeur soutient que les motifs de la décision se dégagent clairement de la note de service destinée à la ministre et des documents annexés à celle-ci, y compris le rapport. Je souscris à la prétention du défendeur selon laquelle il s’agit des documents que la Cour devrait examiner afin de comprendre les motifs de la décision (voir p. ex. Barry Seafoods NB Inc. c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2021 CF 725 au para 52). Je conviens également que ces motifs ressortent facilement d’un tel examen. En appuyant la note de service, qui recommandait la division particulière de la ZPH 37 préconisée dans le rapport, la ministre a adopté l’analyse, figurant dans ces documents, qui sous‑tend la conclusion selon laquelle la division proposée constitue une répartition équitable des lieux de pêche de la ZPH 37 entre les flottilles de la ZPH 36 et de la ZPH 38 selon la capacité de production relative des différentes composantes de ces lieux de pêche.

[60] La note de service explique également la décision d’appliquer cette division pour la saison de l’automne 2022 uniquement et seulement à l’égard des titulaires d’un permis de pêche commerciale. Comme je l’ai déjà expliqué, la division était appliquée de façon provisoire uniquement aux titulaires d’un permis de pêche commerciale et uniquement pour la saison de pêche commençant à l’automne 2022 afin de permettre la tenue d’autres consultations avant la mise en œuvre d’un changement plus permanent.

[61] Selon moi, rien ne justifie que la Cour modifie la décision en raison de l’insuffisance des motifs.

(3) Preuve de conflit dans le secteur de la pêche au homard

[62] La GMFA soutient que la décision était déraisonnable, car elle était fondée sur la volonté de régler un conflit entre les flottilles de la ZPH 36 et de la ZPH 38, alors qu’il n’y avait aucune preuve de l’existence d’un tel conflit. En invoquant cet argument, la GMFA cherche à s’appuyer sur le témoignage de M. Millar rendu en contre-interrogatoire, qui, selon la GMFA, démontre que M. Millar n’a pas été en mesure de donner un quelconque exemple précis du conflit opposant ces flottilles en ce qui a trait à la ZPH 37. Dans son mémoire des faits et du droit, le défendeur conteste cette description du témoignage de M. Millar et fait valoir que ce dernier a témoigné sur ce qu’il a entendu de la part des pêcheurs au sujet d’un conflit susceptible de dégénérer et d’entraîner des préjudices.

[63] Lors de l’audience concernant la présente demande, j’ai demandé aux avocats des deux parties si le témoignage que M. Millar avait rendu en contre-interrogatoire était admissible à cet égard étant donné qu’il avait été fourni après la décision et que la ministre n’en disposait pas lorsqu’elle a pris la décision. Après avoir examiné la question de la Cour, le défendeur s’est dit d’avis que ce témoignage n’était pas admissible. La demanderesse a reconnu que la question de l’admissibilité se posait, mais a soulevé la possibilité que le témoignage soit admissible par application de l’exception prévue à l’arrêt Access Copyright qui vise les cas où les éléments de preuve présentés démontrent l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré la conclusion contestée.

[64] J’ai examiné l’argument de la GMFA relatif à la preuve, mais je ne le trouve pas convaincant. Au paragraphe 20 de l’arrêt Access Copyright, la Cour d’appel fédérale renvoie à l’arrêt Keeprite Workers' Independent Union v Keeprite Products Ltd (1980), 1980 CanLII 1877 (ON CA), 29 OR (2d) 513 (CA ON) [Keeprite] pour justifier l’application de cette exception en particulier. Selon mon interprétation de l’arrêt Keeprite, les éléments de preuve que la Cour d’appel de l’Ontario a jugés admissibles comprenaient des affidavits et des transcriptions de contre‑interrogatoires menés à ce sujet, qui démontraient de quels éléments de preuve disposait le décideur et, par conséquent, de quels éléments de preuve il ne disposait pas.

[65] Cette interprétation de l’arrêt Keeprite cadre avec celle de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt SELI Canada Inc v Construction and Specialized Workers’ Union, Local 1611, 2011 BCCA 353 [SELI] au para 65. Dans l’arrêt SELI, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est appuyée sur l’arrêt Keeprite et sur d’autres précédents pour conclure que la transcription non officielle d’une audience devant un tribunal était admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire (voir les para 1, 65-85).

[66] Le témoignage sur lequel la GMFA cherche à s’appuyer n’est pas de la même nature que celui dont il était question dans ces affaires. La GMFA ne fait pas valoir que le témoignage de M. Millar contribue à démontrer le contenu du dossier dont disposait la ministre. Je suis d’avis que le témoignage n’est pas admissible par application de l’exception en question prévue à l’arrêt Access Copyright.

[67] La GMFA fait plutôt valoir que la note de service à l’intention de la ministre et ses annexes (y compris le rapport) renvoyaient, sans aucune preuve, à un conflit et à des tensions entre les deux flottilles, et qu’il était par conséquent déraisonnable que la ministre tienne compte de préoccupations de cette nature dans sa décision. J’analyserai cet argument en fonction du dossier dont disposait la ministre.

[68] Je souligne la prétention du défendeur selon laquelle un ministre a le droit de rendre une décision sur le fondement d’une note de service ministérielle (voir Turp c Canada (Affaires étrangères), 2018 CAF 133 [Turp] aux para 63-65). L’arrêt Turp concernait un ministre différent agissant en vertu de lois fédérales différentes. Cependant, compte tenu de l’ampleur du pouvoir discrétionnaire accordé à la ministre en ce qui a trait à la prise de décisions liées à la délivrance de permis en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches, je conviens que les principes expliqués dans l’arrêt Turp s’appliquent. Il appartient à la ministre de déterminer s’il convient de tenir compte uniquement d’une note de service ministérielle ou de demander les autres renseignements ou documents qui ont sous-tendu le contenu de la note de service.

[69] En outre, selon l’arrêt Vavilov, pour qu’une décision administrative soit raisonnable, elle doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents, qui constituent des contraintes ayant une influence sur le décideur dans l’exercice de ses pouvoirs (au para 105). Ces contraintes comprennent la preuve portée à la connaissance du décideur et les observations particulières des parties (au para 106). Conformément à ces principes, les demandeurs ne sont pas autorisés dans un contrôle judiciaire à soulever devant la Cour des arguments qui n’ont pas été présentés au décideur (voir p. ex. Vitale c Canada (Procureur général), 2021 CF 1426 au para 27). Cependant, après la lecture du dossier des communications de la GMFA lors des consultations qui ont mené à la décision, je conclus que la GMFA n’a pas fait valoir qu’il n’y avait pas de conflit à régler entre les flottilles de la ZPH 36 et de la ZPH 38.

[70] L’ébauche du cadre de référence fournie à la GMFA en décembre 2021 indiquait que l’accès commun à la ZPH 37 est continuellement source de conflits et de désaccords entre les groupes d’utilisateurs de la ZPH 36 et de la ZPH 38, lesquels se sont amplifiés au cours des dernières années parallèlement à l’augmentation des activités de pêche dans la ZPH 37. Dans ses commentaires du 12 décembre 2022 sur l’ébauche du cadre de référence, la GMFA donne des précisions sur le fait que la ZPH 37 est continuellement source de conflits et de désaccords. La GMFA a expliqué que les pêcheurs de la ZPH 38 ne s’opposaient pas au principe de se faire concurrence pour obtenir accès à un espace commun, puisqu’il s’agit d’une situation habituelle dans le secteur de la pêche au homard. La GMFA estime plutôt que l’amplification du conflit est attribuable à l’accès prioritaire accordé à un groupe d’intervenants au détriment des autres, du fait que la flottille de la ZPH 36 a accès à la ZPH 37 plus tôt que la flottille de la ZPH 38.

[71] Selon mon interprétation de cette communication, la GMFA donnait son avis quant à la source du conflit entre les flottilles et à d’éventuels moyens de le résoudre. Cependant, elle ne faisait pas valoir qu’il n’y avait pas de conflit à régler.

[72] De même, la GMFA a eu l’occasion de formuler des commentaires sur l’ébauche du rapport de M. Cherry (sauf sur ses recommandations). Cette ébauche mentionnait le conflit et les tensions entre les pêcheurs, qui découlaient d’une course visant à obtenir les meilleurs lieux de pêche. La GMFA a formulé des commentaires sur l’ébauche du rapport dans un courriel rédigé par Mme Morse le 13 juin 2022. Là encore, ces commentaires exprimaient les préoccupations de la GMFA quant au fait qu’une flottille avait accès plus tôt qu’une autre à la ZPH 37, ainsi que d’autres préoccupations concernant la méthode et l’analyse de M. Cherry. Cependant, dans ces commentaires, la GMFA ne conteste pas le fait que l’ébauche du rapport mentionne l’existence d’un conflit et de tensions. La version définitive du rapport a conservé ces mentions.

[73] Les commentaires de la GMFA sur la décision contestée indiquent qu’elle aurait préféré que la ministre utilise des mesures de gestion des pêches différentes de celles qui ont finalement été adoptées dans la décision. Cependant, rien dans le dossier n’indique qu’elle faisait valoir qu’il n’existait pas de conflit à régler en ce qui a trait à la pêche du homard dans la ZPH 36 et la ZPH 38 où les flottilles pêchent. Par conséquent, on ne peut reprocher à la ministre d’avoir tenu compte des mentions de conflit et de tensions dans la note de service et les documents à l’appui, y compris dans la version définitive du rapport, lorsqu’elle a pris sa décision en s’appuyant sur ces documents. Conformément aux principes de droit administratif décrits ci-dessus, cet argument ne mine pas le caractère raisonnable de la décision.

(4) Évaluation de la capacité de production relative dans la ZPH 37 présentée dans le rapport – carte de densité

[74] Dans le rapport, M. Cherry a utilisé une représentation visuelle de la capacité de production relative de différents secteurs de la ZPH 37 pour établir ce qui, à son avis, était une division équitable de la ZPH 37 entre les deux flottilles. M. Cherry a employé l’expression [traduction] « carte de densité » pour désigner cette image, dans laquelle des couleurs servent à différencier les secteurs de la ZPH 37 en fonction de leur capacité de production relative [la carte de densité]. La carte de densité attribue à différents secteurs de la ZPH 37 (qui est aussi divisée en étendues quadrillées, chacune désignée par un numéro allant de 39 à 42) une cote décrivant la capacité de production, à savoir faible, passable, bonne ou excellente. M. Cherry a déterminé la division proposée en fonction de son évaluation de la capacité de production relative, notamment de sa représentation figurant dans la carte de densité.

[75] Dans les observations qu’elle a formulées de vive voix à l’audience, la GMFA n’a pas mis l’accent sur les arguments liés à la carte de densité. Cependant, comme ces arguments sont soulevés dans le mémoire des faits et du droit, je dois les examiner. En contestant dans ses observations écrites le caractère raisonnable de la décision, qui se fonde en fin de compte sur la recommandation du MPO selon laquelle la ministre devrait adopter la division proposée par M. Cherry, la GMFA conteste la justesse de la carte de densité. La GMFA fait valoir ceci : a) la conclusion de M. Cherry selon laquelle les débarquements sont plus nombreux dans les eaux profondes est contraire à une présentation de l’équipe scientifique du MPO qui démontrait que la productivité est plus élevée dans les eaux peu profondes dans de multiples ZPH; b) M. Cherry a indiqué que la capacité dans la partie supérieure de la surface 39 est faible, bien que la GMFA et la FNFA aient toutes deux indiqué que la capacité dans ce secteur est bonne; c) aucune donnée n’appuie la conclusion de M. Cherry selon laquelle les meilleurs lieux de pêche sont concentrés dans le sud de la ZPH 37.

[76] La partie du rapport contenant la carte de densité cite différentes sources d’information utilisées pour préparer la carte, y compris la bathymétrie (la profondeur de l’eau, mais aussi la complexité de la structure des données multifaisceaux et de contour), des renseignements sur le substrat, des données sur les prises, les engins et les observations des navires, ainsi que les données fournies par des agents de conservation et de protection du MPO, des pêcheurs, des scientifiques et des gestionnaires de ressources. En ce qui a trait à la profondeur de l’eau, M. Cherry explique que les eaux profondes conservent généralement la capacité de production plus longtemps que les eaux peu profondes, tout particulièrement à l’automne. Il explique également que la carte de densité a été élaborée à partir de différents types de renseignements indiqués dans son rapport, y compris de discussions et de réunions avec des représentants de l’industrie et du Ministère.

[77] Concernant spécifiquement les commentaires de la GMFA et de la FNFA, M. Cherry souligne que les pêcheurs de la ZPH 36 et de la ZPH 38 ont donné des points de vue différents, quoique similaires, sur les secteurs productifs de la ZPH 37, et son rapport comprend une représentation visuelle de ces points de vue respectifs. Je souligne également que le dossier démontre que la GMFA a eu l’occasion de formuler des commentaires sur une version antérieure de la carte de densité, ce qu’elle a fait, et que M. Cherry a apporté des changements à cette carte avant d’insérer la version définitive de celle-ci dans son rapport.

[78] Il est bien établi en droit que le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve présentée au décideur administratif. Par conséquent, en invoquant cet argument, la GMFA demande à la Cour de se livrer à un exercice qui ne relève pas de son mandat. Le contenu du dossier décrit ci-dessus démontre que M. Cherry a tenu compte de différentes sources d’information pour élaborer la carte de densité, et rien ne me permet de conclure que le rapport sur lequel s’appuie la décision a été préparé sans tenir compte des renseignements disponibles.

(5) Moment où la décision a été prise

[79] La GMFA fait valoir que la ministre a déraisonnablement pris la décision seulement un mois avant l’ouverture de la saison de pêche du homard de l’automne 2022, ce qui laissait trop peu de temps aux titulaires d’un permis pour comprendre les nouvelles coordonnées déterminant l’accès de la flottille de la ZPH 38 à une partie de la ZPH 37 et pour se préparer à mener des activités de pêche dans ce contexte.

[80] Pour soutenir cet argument, la GMFA invoque l’affidavit de Mme Morse, où celle‑ci explique qu’une erreur concernant les nouvelles coordonnées s’est produite en octobre et en novembre 2022. Mme Morse affirme que la ministre a précisé le 20 octobre 2022, ou vers cette date, les conditions dont étaient assortis les permis de pêche dans la ZPH 38 pour la saison de pêche commençant le 8 novembre 2022. Cependant, elle explique que, le 1er novembre 2022, Mme Sonnenberg et elle-même ont reçu un courriel de la part du MPO les informant que le MPO avait relevé une erreur dans l’impression de la nouvelle ligne de démarcation figurant dans les conditions des permis, et que le MPO fournirait en conséquence une nouvelle version des conditions des permis. Mme Morse affirme que ce changement de dernière minute a engendré non seulement des coûts pour la GMFA, qui a dû informer les pêcheurs et imprimer de nouveau des documents, mais aussi de la frustration et des coûts supplémentaires pour les pêcheurs, qui ont dû payer pour faire saisir les nouvelles coordonnées dans leurs systèmes de navigation.

[81] L’avocate de la GMFA n’a fourni aucune observation pour expliquer la raison pour laquelle ces éléments de preuve, liés à des événements postérieurs à la décision, pourraient être admissibles et pertinents en ce qui a trait au caractère raisonnable de la décision. Je ne vois aucun motif d’admettre ces éléments de preuve ni de conclure, même s’ils devaient être pris en considération, que ces événements qui se sont produits après la décision pourraient miner le caractère raisonnable de celle‑ci.

[82] La GMFA renvoie aussi au témoignage de Mme Sonnenberg, qui explique qu’au cours d’une réunion avec le MPO tenue le 14 juin 2022, elle a exprimé ses préoccupations quant à l’importance qu’une décision concernant la ZPH 37 soit prise tôt afin de permettre aux pêcheurs de s’y adapter. Selon elle, une telle décision devait être prise au plus tard à la mi‑septembre 2022 et elle a précisé que le représentant du MPO avait pris acte de sa préoccupation. Je suis prêt à admettre ce témoignage, car il a été fourni avant la décision. Cependant, rien ne me permet de conclure que la décision est déraisonnable au motif que la ministre ne l’a pas prise dans le délai demandé par la GMFA.

(6) Question de savoir si la décision a atteint son objectif déclaré

[83] Lors de l’audition de la présente demande, l’avocate de la GMFA a fait valoir que la décision est déraisonnable, car elle ne répondait pas à son objectif déclaré. La GMFA appuie sa prétention sur la lettre du 4 octobre 2022 visant à informer Mme Sonnenberg, représentante de la GMFA, de la décision. Cette lettre renvoyait au rapport, expliquait que la ministre avait accepté la division de la ZPH 37 qui y était proposée, et précisait que ce changement serait mis en œuvre à l’automne pour les titulaires d’un permis de pêche commerciale. Cette lettre décrivait le rapport en ces termes :

[traduction]

Le rapport propose différents ensembles de coordonnées visant à modifier l’accès à la ZPH 37 en attribuant une partie de la ZPH aux titulaires d’un permis pour la ZPH 36 et une autre partie aux titulaires d’un permis pour la ZPH 38. Cette division aurait pour effet de répartir équitablement les lieux de pêche de la ZPH 37 en fonction de la capacité de production relative, et de créer deux zones de pêche avoisinantes, mais entièrement indépendantes. Le rapport présente également les ensembles de coordonnées proposés au préalable par la FNFA et la GMFA.

[84] La GMFA soutient que la décision est déraisonnable, car l’effet de la division décrit dans le paragraphe reproduit ci-dessus est inexact : la division de la ZPH 37 n’a pas créé deux zones de pêche entièrement indépendantes, car elle s’appliquait uniquement aux titulaires d’un permis de pêche commerciale, et non aux titulaires d’un permis de pêche communautaire commerciale.

[85] J’ai du mal à conclure que cette lettre peut jouer un rôle dans l’examen du caractère raisonnable de la décision effectué par la Cour. Bien qu’elle vise clairement à résumer la décision à l’intention de son destinataire, la lettre a été rédigée par un représentant du MPO, et non par la ministre, après que la ministre a pris la décision.

[86] Quoi qu’il en soit, il est impossible de conclure que la ministre ignorait que la décision aurait pour effet de créer une division s’appliquant uniquement aux titulaires d’un permis de pêche commerciale. Il ne fait aucun doute que ce point ressort clairement de la note de service que la ministre a appuyée, laquelle explique la recommandation du MPO selon laquelle la division sera mise en œuvre provisoirement pour la saison à venir uniquement pour les titulaires d’un permis de pêche commerciale. Même si la Cour tenait compte de la lettre du 4 octobre 2022 sur laquelle la GMFA s’appuie, la conclusion serait la même, car cette lettre indique clairement qu’il n’y aura aucun changement pour les permis de pêche communautaire commerciale pour la saison 2022-2023.

[87] La décision répond aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification énoncées dans l’arrêt Vavilov et résiste par conséquent à l’application de la norme de la décision raisonnable.

V. Dépens

[88] Chacune des parties a réclamé des dépens si l’issue de la cause devait lui être favorable. Comme le défendeur a obtenu gain de cause en l’espèce, il a droit à ses dépens.

[89] En ce qui concerne la quantification des dépens, la GMFA propose une somme globale de 2 500 $. Le défendeur propose quant à lui une somme globale de 5 000 $. Les parties ont présenté peu d’observations à l’appui des sommes qu’elles proposent, si ce n’est que le défendeur a fait valoir que la somme qu’il propose est conforme au tarif B et qu’il faut tenir compte du fait que la demande a nécessité une journée entière de contre‑interrogatoires et une journée entière d’audience.

[90] Je suis d’accord avec le défendeur. Même en utilisant l’extrémité inférieure de la fourchette de la colonne III du tarif B, il est justifié d’établir des dépens aux environs de 5 000 $. Mon jugement accordera au défendeur des dépens de cette somme.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑2291-22

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La demanderesse versera au défendeur, le procureur général du Canada, la somme globale de 5 000 $ à titre de dépens pour la présente demande.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-2291-22

INTITULÉ :

GRAND MANAN FISHERMENS ASSOCIATION, INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET FUNDY NORTH FISHERMENS’ ASSOCIATION INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OCTOBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 25 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

Sarah A. Shiels

POUR LA DEMANDERESSE

Mark Freeman

POUR LE DÉFENDEUR

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clifford Shiels Legal

Yarmouth (Nouvelle-Écosse)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)