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Trans Mountain Pipeline ULC Projet d’agrandissement du réseau Certificat d’utilité publique OC-065 Demande présentée aux termes de l’article 211 de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie concernant le tronçon 5.3 sur le site Pípsell (lac Jacko), 2023 CanLII 103751 (CA REC)

Date :
2023-10-20
Numéro de dossier :
OF-Fac-Oil-T260-2013-03 61
Référence :
Trans Mountain Pipeline ULC Projet d’agrandissement du réseau Certificat d’utilité publique OC-065 Demande présentée aux termes de l’article 211 de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie concernant le tronçon 5.3 sur le site Pípsell (lac Jacko), 2023 CanLII 103751 (CA REC), <https://canlii.ca/t/k11jt>, consulté le 2024-05-10

CanLII Title: Trans Mountain Pipeline ULC Projet d’agrandissement du réseau Certificat d’utilité publique OC-065 Demande présentée aux termes de l’article 211 de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie concernant le tronçon 5.3 sur le site Pípsell (lac Jacko) Motifs de décision

 

 

Dossier OF-Fac-Oil-T260-2013-03 61

Le 20 octobre 2023

 

 

Dorothy Golosinski

Trans Mountain Canada Inc.

300, Cinquième Avenue S.-O., bureau 2700

Calgary (Alberta)  T2P 5J2

Dorothy_Golosinski@transmountain.com

Sander Duncanson

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Place Brookfield, bureau 2700

225, Sixième Avenue S.-O.

Calgary (Alberta)  T2P 1N2

sduncanson@osler.com

 

Joelle Walker

Miller Titerle Law Corporation

638, rue Smithe, bureau 300

Vancouver (Colombie-Britannique)  V6B 1E3

joelle@millertiterle.com

 

 

 

Trans Mountain Pipeline ULC

Projet d’agrandissement du réseau

Certificat d’utilité publique OC-065

Demande présentée aux termes de l’article 211 de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie concernant le tronçon 5.3 sur le site Pípsell (lac Jacko)

Motifs de décision

 

Devant : K. Penney, commissaire présidant l’audience; M. Watton, commissaire; S. Luciuk, commissaire

 

1      Décision

 

Le 10 août 2023, Trans Mountain Pipeline ULC (« Trans Mountain ») a déposé une demande C25832) aux termes de l’article 211 de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie (« LRCE ») en vue de faire approuver une déviation du tronçon 5.3 du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain (« projet ») sur des terrains situés entre les bornes kilométriques (« BK ») 851,60 et 852,95 (« demande de déviation »), lesquels figurent sur la feuille M002-PM03011-014 des plan, profil et livre de renvoi (« PPLR »).

 

Trans Mountain a aussi demandé, suivant le paragraphe 211(3) de la LRCE, d’être exemptée de l’obligation de déposer une copie certifiée des PPLR avant le début des travaux visant la déviation.

 

La Nation Stk’emlúpsemc te Secwépemc (« Nation ») s’est opposée à la déviation sur le site Pípsell, en Colombie-Britannique, qui comprend le lac Jacko et les secteurs avoisinants (« site Pípsell »), parce que ce site revêt une grande importance spirituelle et culturelle pour elle. La Nation a plus particulièrement demandé d’éviter le plus possible de perturber la surface dans le couloir d’environ 4 kilomètres (« km ») de long à proximité du site (lac Jacko) (« couloir Pípsell »).


 

Le 25 septembre 2023, la Commission de la Régie de l’énergie du Canada a approuvé la demande de déviation (C26318), ainsi que la demande d’exemption faite par Trans Mountain aux termes du paragraphe 211(3) de la LRCE, et elle a rendu l’ordonnance AO-003-OPL-003-2020 donnant effet à son approbation. La Commission a pris la mesure exceptionnelle de rendre sa décision avec motifs à suivre afin de procurer aux deux parties de la certitude sur le plan pratique, notamment en ce qui concerne les échéanciers, sans égard au résultat.

 

La présente lettre renferme les motifs de la décision de la Commission et est divisée comme suit :

 

Section 2

Information générale sur le processus de réglementation du projet et sur le site Pípsell

Section 3

Aperçu de la demande de déviation

Section 4

Processus d’examen de la demande de déviation

Section 5

Observations écrites et orales transmises à la Commission

Section 6

Point de vue des parties et analyse et constatations de la Commission

Section 7

Conclusion

 

2      Information générale sur le processus de réglementation du projet et sur le site Pípsell

 

La section 2 a deux objectifs principaux. Le premier vise à exposer sommairement le contexte de réglementation du projet, depuis l’examen de la demande concernant le projet de Trans Mountain par l’Office national de l’énergie[1], en décembre 2013, jusqu’au dépôt de la demande déviation en août 2023. Le second vise à situer le contexte dans lequel la demande a été étudiée, notamment à donner un aperçu du site Pípsell et de l’importance culturelle et spirituelle de celui-ci pour la Nation.

 

Le processus décisionnel de la Commission relatif à la demande de déviation est le plus récent processus d’examen du projet, dont celui sur le tracé, tenu par la Commission (et par l’Office avant elle). Tel qu’il est décrit ci-après, les étapes successives du processus de réglementation du projet avaient en général une orientation et une portée plus limitées que le processus visé aux présentes, tant en ce qui concerne les questions à l’étude que l’étendue géographique.

 

2.1      Approbation du projet par l’intermédiaire des audiences OH-001-2014 et MH-052-2018

 

Le 16 décembre 2013, l’Office a convoqué l’audience OH-001-2014 pour examiner la demande de Trans Mountain concernant le projet. Ont pris part à cette audience plus de 1 600 participants (intervenants et auteurs d’une lettre de commentaires), y compris des peuples autochtones[2] (dont la Nation), des entreprises, des collectivités, des propriétaires de terrains, des particuliers ainsi que des organisations, gouvernementales ou non.

 

L’audience OH-001-2014 a servi de fondement à la recommandation de l’Office au ministre selon laquelle le projet et son couloir pipelinier général[3] étaient dans l’intérêt public. Le rapport de recommandation OH-001-2014 de l’Office, rendu public le 19 mai 2016 (A77045) traitait d’un large éventail de sujets et de questions, dont la nécessité du projet, sa faisabilité économique, les effets potentiels sur les peuples autochtones, les effets potentiels sur l’environnement, la protection civile et l’intervention d’urgence, l’intégrité du pipeline et des installations connexes ainsi que le caractère adéquat des consultations.

 

Le gouverneur en conseil a approuvé le projet et le couloir pipelinier général le 29 novembre 2016. L’Office a délivré le certificat d’utilité publique OC-064 en décembre 2016 et a dirigé divers processus connexes par la suite.

 

Le 30 août 2018, la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet[4] et l’Office a interrompu les travaux de réglementation en lien avec le projet. En septembre, le gouverneur en conseil a donné instruction à l’Office de réexaminer certains aspects du projet en lien avec le transport maritime, ce qu’il a fait par l’intermédiaire de l’audience MH-052-2018. Le 18 juin 2019, une fois terminée l’audience et relancé le processus du Canada pour consulter les peuples autochtones susceptibles d’être touchés, le gouverneur en conseil a, de nouveau, approuvé le projet et son couloir pipelinier général, sous réserve de 156 conditions visant à, entre autres, réduire le plus possible les effets potentiels du projet. Le 21 juin 2019, l’Office a délivré le certificat d’utilité publique OC-065 (C00061).

 

2.2      Détermination du tracé détaillé

 

Après avoir approuvé le couloir pipelinier général d’un projet à l’issue d’une audience visant une demande de certificat, la Commission doit approuver l’emplacement précis du pipeline dans ce couloir. C’est ce qu’on appelle le tracé détaillé. La société fournit les renseignements requis, de même que de l’information sur les propriétaires fonciers, dans une série de feuilles de PPLR contenant des cartes générales ainsi que les profils d’élévation des parcelles visées par le tracé.

 

De 2016 à 2018, l’Office a tenu plusieurs audiences sur le tracé détaillé, dont une à la demande de la Nation. La Cour d’appel fédérale a toutefois infirmé l’approbation du projet, tel qu’il est indiqué plus haut, après la conclusion de l’audience sur le tracé détaillé tenue à l’intention de la Nation, mais avant que l’Office n’ait pu rendre de décision.

 

Le 19 juillet 2019, l’Office a rendu une décision concernant la remise en marche des processus réglementaires à l’égard du projet (C00593). Il a ordonné à Trans Mountain de déposer ses PPLR pour l’ensemble du tracé du projet et de publier des avis illustrant le tracé détaillé et donnant des instructions sur la manière de déposer une déclaration d’opposition afin de solliciter une audience sur le tracé détaillé. La société était tenue de signifier les avis aux propriétaires de terrains et l’Office a transmis aux peuples autochtones susceptibles d’être touchés des avis précisant cette information. Dans tous les cas où l’Office a reçu une déclaration d’opposition valide, il a établi une audience sur le tracé détaillé relativement à la parcelle en question

 

Conformément aux dispositions de l’article 203 de la LRCE, seules les trois questions suivantes ont été examinées pendant les audiences sur le tracé détaillé :

 

1)   le meilleur tracé détaillé possible pour le pipeline (c’est-à-dire, l’emplacement exact du pipeline sur les parcelles qu’il doit traverser);

2)   les méthodes de construction du pipeline les plus adéquates;

3)   le moment le plus approprié pour la construction du pipeline.

 

Ces audiences ne visaient pas à examiner de nouveau les questions déjà examinées dans le cadre de l’audience relative au certificat, telles que la nécessité du pipeline ou l’emplacement du couloir.

 

Le 31 juillet 2019, Trans Mountain a déposé ses PPLR relativement au tronçon 5 (dont certaines parties sont visées par la demande de déviation) (C00798), dont les feuilles M002-PM03011-014 et 015. Le 5 septembre 2019, conformément au processus établi par l’Office, la Nation a déposé une déclaration d’opposition (C01501) visant, entre autres, toutes les terres touchées par le tracé détaillé du tronçon 5.3 du projet. Le 30 octobre 2019, la Nation et Trans Mountain ont signé une entente sur les avantages mutuels dans le cadre du projet. Le 4 novembre 2019, la Nation a retiré sa déclaration d’opposition au motif qu’elle ne souhaitait plus participer au processus de tracé détaillé (C02680) et que Trans Mountain avait tenu compte de ses préoccupations quant au tracé du pipeline.

 

La Commission a rendu l’ordonnance OPL-003-2020 (C06126) en date du 30 avril 2020 pour approuver diverses feuilles des PPLR (ainsi que le tracé illustré sur chacune) visant les tronçons 3, 4 et 5.3 du projet, dont les feuilles M002-PM03011-014 et 015 portant sur le tronçon 5.3 (« tracé d’origine »).

 

2.3      Déviations

 

Une fois qu’une feuille de PPLR est approuvée, le tracé visé par cette feuille est jugé définitif et la société peut entreprendre les travaux de construction, pourvu qu’elle ait déposé les PPLR au bureau d’enregistrement des titres fonciers et qu’elle ait satisfait à toutes les conditions applicables. Il arrive parfois que la société détermine ultérieurement qu’une modification du tracé dans le couloir pipelinier s’impose. En pareil cas, elle doit présenter une demande de déviation aux termes du paragraphe 211(1) de la LRCE, qui précise ce qui suit :

 

211 (1) La compagnie qui doit faire dévier un pipeline ou une partie de pipeline déjà construit, ou dont le tracé détaillé a déjà été approuvé, soumet à la Régie, pour approbation par la Commission, les plan, profil et livre de renvoi de la partie à modifier, en y indiquant la déviation projetée.

 

Lorsque la Commission examine une demande déviation, elle ne se repenche habituellement pas sur les grandes questions qui ont été étudiées et tranchées pendant l’audience relative au certificat ou les audiences sur le tracé détaillé. En sa qualité de tribunal d’archives spécialisé, elle doit plutôt trancher la question de savoir si la déviation est nécessaire aux termes de l’article 211 de la LRCE. Il incombe au demandeur de persuader la Commission de la nécessité de la déviation.

 

Lorsqu’elle examine une demande de déviation, la Commission doit en outre se plier aux dispositions de l’article 56 de la LRCE, qui l’obligent à prendre en compte les effets préjudiciables que sa décision peut avoir sur les droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

Le 11 février 2022, Trans Mountain a déposé une demande aux termes de l’article 211 de la LRCE (C17686) en vue d’une déviation entre les BK 851,5 et 856,12, soit sur des terres visées par les feuilles M002-PM03011-014 et 15 des PPLR (« tracé révisé en 2022 »). Ce tracé visait à réduire le plus possible les perturbations en surface sur le site Pípsell et facilitait un changement de méthode de construction (de la tranchée ouverte classique au microtunnelage) sur environ 4,2 km. La société a expliqué que le tracé révisé en 2022 avait été conçu en collaboration avec la Nation. Elle a ajouté qu’en janvier 2022, la Nation avait consenti au tracé révisé en 2022 et à la méthode de construction proposée. La Commission a approuvé le tracé révisé en 2022 au moyen de l’ordonnance AO-001-OPL-003-2020 datée du 28 février 2022 (C17990).

 

Trans Mountain a souligné que le tracé proposé dans sa demande de déviation du 10 août 2023, qui se limite à la partie du tronçon 5.3 se trouvant entre la BK 851,60 et la BK 852,95 (« tracé révisé en 2023 »), fait qu’environ 1,3 km du pipeline suivrait l’alignement d’origine approuvé par la Commission en avril 2020. La Nation s’est opposée à la demande de déviation en raison des effets sur le site Pípsell.

 

2.4      Pípsell

 

La Nation a expliqué que le mot Pípsell signifie « place de la truite » en langue Secwépemc et que le site, dont le couloir Pípsell et les secteurs avoisinants, revêt une grande importance spirituelle et culturelle pour elle. Les Secwépemc ont un lien ancestral, culturel et spirituel avec le site Pípsell depuis des temps immémoriaux. Ils exercent leurs droits culturels et spirituels partout sur le site, qui est une plaque tournante culturelle pour eux. En effet, ce site est associé à de profondes valeurs spirituelles, est essentiel à l’identité et au bien-être de la communauté, fait partie des rondes saisonnières et constitue une source de lois et de gouvernance Secwépemc. Il s’agit, encore aujourd’hui, d’un lieu de planification à long terme de la protection du territoire, de guérison, d’échanges commerciaux, de cérémonies spirituelles et de sépulture. La Nation a l’obligation juridique et spirituelle d’assurer la protection du site Pípsell.

 

C’est pourquoi le site Pípsell est extrêmement important pour nous. Tout le site est extrêmement important. Quand on marche au fil de la terre, il y a d’autres lieux sacrés qui se révèlent ou se laissent redécouvrir. […] Ils s’y trouvent depuis des temps immémoriaux. Il faut que nous y ayons accès; il faut qu’ils soient là. Il faut en prendre soin. Si on enlève tout, il sera impossible de tout remettre exactement au même endroit. Et cela serait néfaste pour notre peuple, tout particulièrement pour nos générations futures.

 

Jeanette Jules, gardienne du savoir de la Nation Stk’emlúpsemc te Secwépemc, volume 1 des transcriptions, p. 36 sur 158 du document PDF

 

La Nation a fait valoir que l’emplacement unique du site Pípsell pour les activités de récolte de ressources culturelles et écologiques et sa proximité du principal établissement Stk’emlúpsemc, à Tk’emlups, expliquent la grande importance du site dans tous les aspects de la vie du peuple Secwépemc, toutes générations confondues. Le site Pípsell se trouve par ailleurs tout près de la route que le peuple Skeetchestn emprunte pour se rendre à Tk’emlups et au-delà. Le peuple de la Nation qui habite à Tk’emlups considère depuis toujours que le site est important pour la cueillette de baies et de plantes médicinales, la pêche à la truite et au kokani ainsi que la chasse.

 

La Nation a expliqué que l’emplacement exact du site Pípsell leur est communiqué par l’entremise du savoir Secwépemc, stsq’eyu’lecw (ce qui est « marqué sur la terre ») et est consigné dans la Trout Children stsptékwll, l’histoire des enfants de la truite. Cette histoire représente et exprime le lien entre la Nation et le site Pípsell. Sur elle repose le droit Secwépemc qui régit la gouvernance des terres et la responsabilité réciproque entre les êtres vivant sur la terre, d’une génération à l’autre et au sein d’une même génération.

 

3      Aperçu de la demande de déviation

 

La section 3 donne un aperçu général de la demande de déviation faite par Trans Mountain. La section 6 résume le point de vue des parties sur les questions de fond soulevées au sujet de la demande de déviation et expose l’analyse et les constatations de la Commission relativement à chacune.

 

3.1      Emplacement et terrains visés

 

Tel qu’il est précisé plus haut, la déviation se limite aux terrains visés par le tronçon 5.3 du projet qui se trouvent entre la BK 851,60 et la BK 852,95. Le tracé révisé en 2023 fait environ 1,3 km de long et se situe entièrement dans les limites du couloir pipelinier approuvé, sur des terrains privés, plus particulièrement sur les parcelles 1614 et PC 7130 (qui appartiennent toutes deux à KGHM Ajax Mining Inc.) et la parcelle PC 7129 (dont le propriétaire est Sugarloaf Ranches Limited). Il se trouve sur le site Pípsell, tout comme le tracé révisé en 2022, et il ne traverse pas le lac Jacko en tant que tel. Comme l’indique la section 2.3, environ 1,3 km du tracé du projet reviendrait à l’alignement d’origine.

 

La figure 1 montre la différence entre le tracé révisé en 2022 (en bleu) et le tracé révisé en 2023 (d’une longueur approximative de 1,3 km) / tracé d’origine (en rouge). La ligne pointillée jaune illustre le couloir pipelinier général qui a été approuvé par le certificat OC-065.

 

Figure 1 – Différence entre le tracé révisé en 2022 et le tracé révisé en 2023 / tracé d’origine

A map of land with different directions

Description automatically generated

Lac Jacko






















































Source : C25832-3 (p. 1 sur 5 du document PDF)

 

3.2      Analyse raisonnée

 

Trans Mountain a affirmé que la déviation est nécessaire pour faciliter un changement de méthode de construction afin d’utiliser une combinaison de forage directionnel horizontal (« FDH ») et de tranchée à ciel ouvert classique au lieu du microtunnelage, qui pose d’importantes difficultés techniques le long d’une partie du tracé révisé en 2022.

 

Comme l’illustre la figure 2, le tracé révisé en 2022 prévoyait quatre percements par microtunnelage entre cinq plateformes le long d’un tronçon de 4,2 km du projet sur le site Pípsell[5].

 

Lors du percement de 1,3 km de long entre les plateformes 1 et 2 (« percement 2 »), qui fait l’objet de la demande de déviation, la conduite de levage en béton armé[6] s’est déplacée vers le haut, ce qui a eu pour effet de restreindre la force de levage qu’il est possible d’exercer sur le microtunnelier[7]. Trans Mountain a précisé qu’elle avait fait plusieurs tentatives, coûteuses et infructueuses, pour régler le problème du déplacement vers le haut de la conduite de levage en béton armé.

 

Trans Mountain a conclu que poursuivre le percement 2 par microtunnelage retarderait la date d’achèvement du projet et risquerait de compromettre l’aménagement réussi du pipeline sur le site. La société a ajouté que chaque mois de retard entraîne un accroissement considérable des coûts de construction, bien au-delà des estimations initiales pour le microtunnelage, et ce, sans compter les coûts et les effets pour les diverses tierces parties qui dépendent de l’achèvement du projet le plus rapidement possible.

 

Trans Mountain n’a pas demandé l’autorisation de modifier le tracé pour les percements 1, 3 et 4, car elle s’attend à arriver à les exécuter par microtunnelage sur l’ensemble des 2,9 km restants du tracé révisé en 2022.

 

Figure 2 – Illustration des plateformes et des percements par microtunnelage le long du tracé révisé en 2022

A map of a river

Description automatically generated

Source : C26152-3 (p. 2 sur 12 du document PDF)

 

3.3      Mobilisation relative au tracé révisé en 2023

 

3.3.1      Propriétaires de terrains touchés

 

Le tracé révisé en 2023 se situe sur des terrains qui appartiennent en fief simple aux sociétés KGHM Ajax Mining Inc. et Sugarloaf Ranches Limited. Trans Mountain a mené des activités de mobilisation auprès de ces propriétaires de terrains touchés par le tracé révisé 2023. Ils ont confirmé à Trans Mountain le 29 juin 2023 qu’ils n’avaient aucune préoccupation quant au tracé révisé en 2023 et aucune objection à son approbation réglementaire. Trans Mountain a confirmé avoir signifié un avis relatif au tracé révisé en 2023 aux propriétaires des terrains, conformément au paragraphe 322(1) de la LRCE.

 

3.3.2      Nation

 

Le tracé révisé en 2023 se situe dans les limites du territoire traditionnel de la Nation. Trans Mountain a fourni des renseignements détaillés sur les activités de mobilisation menées auprès de la Nation au sujet du projet sur le site Pípsell pendant la période du 18 octobre 2019 au 9 août 2023, ce qui comprend la mobilisation relative aux difficultés techniques survenues pendant le microtunnelage et le changement proposé de méthode de construction et d’emplacement du tracé.

 

Trans Mountain a confirmé que la Nation avait à plusieurs reprises exprimé des préoccupations quant à la non-utilisation de méthodes de construction sans tranchée dans le couloir Pípsell.

 

3.3.3      Autres communautés autochtones

 

Le 4 août 2023, Trans Mountain a transmis un avis écrit au sujet du tracé révisé en 2023 aux communautés autochtones suivantes, dont les territoires traditionnels sont touchés tant par le tracé révisé en 2022 que par le tracé révisé en 2023 :

 

        Bande d’Adams Lake

        Bande indienne d’Ashcroft

        Première Nation de Boston Bar

        Fédération métisse de la Colombie-Britannique

        Bande indienne Coldwater

        Bande indienne de Cook’s Ferry

        Bande indienne Lower Nicola

        Nation métisse de la Colombie-Britannique

        Bande indienne Neskonlith

        Bande indienne Nicomen

      Conseil tribal de la Nation Nlaka’pamux

      Bande indienne Nooaitch

      Conseil tribal Scw’exmx

      Bande indienne Shackan

      Bande indienne Siska

      Bande indienne Skeetchestn

      Première Nation de Spuzzum

      Tk’emlúps te Secwépemc

      Bande indienne Whispering Pines / Clinton

 

 

Trans Mountain a souligné qu’à part les Premières Nations formant la Nation (Tk’emlups te Secwépemc et la bande indienne Skeetchestn), aucune communauté autochtone susmentionnée n’avait exprimé de préoccupations au sujet du tracé révisé en 2023.

 

3.4      Évaluation et atténuation des effets

 

Tel qu’il est exigé dans le Guide de dépôt, Trans Mountain a relevé les effets environnementaux et socioéconomiques éventuels associés à la déviation et a confirmé qu’ils sont semblables à ceux indiqués dans sa demande concernant le projet et dans les documents connexes. La société a affirmé qu’aucune nouvelle étude ne serait requise et qu’aucune autre mesure d’atténuation n’était recommandée, outre celles qui ont été déterminées au cours des instances OH‑001‑2014 et MH‑052-2018 relatives au certificat et dans les dépôts de conformité aux conditions effectués par la suite, qui sont incorporées au plan de protection de l’environnement (« PPE ») du pipeline actualisé pour le projet (déposé en conformité avec la condition 72 du certificat OC-065).

 

Trans Mountain s’est dite confiante que la gamme de mesures d’atténuation éprouvées qui a été conçue pour éviter ou réduire le plus possible les effets potentiels sur l’environnement, sur l’utilisation des terres à des fins traditionnelles et sur la culture, jumelée à sa proposition de combiner le FDH à une méthode de construction classique avec tranchée à ciel ouvert, permettra raisonnablement d’éviter ou de réduire le plus possible les effets sur les terrains touchés par le tracé révisé en 2023. La société a ajouté qu’elle était persuadée, malgré la déviation, qu’environ 80 % des travaux dans les limites du couloir Pípsell, qui fait 4,2 km de long, seraient exécutés sans tranchée.

 

3.5      Renseignements liés à la conformité

 

En ce qui concerne la conformité aux exigences réglementaires, le dépôt de conformité à la condition 74 du certificat OC-065 fait par Trans Mountain le 15 juin 2021 traite du plan de gestion du bruit pour les sites de FDH sans habitations à proximité, lequel englobe le site de FDH proposé près de la BK 853. La Commission a approuvé le dépôt le 1er octobre 2021 (C15201). Trans Mountain a ainsi conclu qu’aucun autre dépôt en lien avec la condition 74 n’était requis aux fins de la demande de déviation.

 

Trans Mountain a ajouté que, conformément à la directive de la Commission au moment de la délivrance de l’ordonnance AO-001-OPL-003-2020 à l’égard du tracé révisé en 2022, elle déposerait des cartes-tracés à jour qui tiennent compte du tracé révisé en 2023. La Commission signale que Trans Mountain a satisfait à cette exigence avec le dépôt d’une carte-tracé environnementale à jour le 23 août 2023 (C25972-5) et d’une carte-tracé technique à jour le 29 septembre 2023 (C26365) afin qu’elles soient fonction du tracé révisé en 2023 et fassent état du changement de méthode de construction[8].

 

3.6      Exemption de l’exigence de déposer des copies certifiées des PPLR avant la construction

 

Trans Mountain a demandé, aux termes du paragraphe 211(3) de la LRCE[9], d’être exemptée de l’exigence visée au paragraphe 211(2), qui l’oblige à enregistrer la copie certifiée des PPLR avant le début de la construction[10]. La société a soutenu que l’exemption demandée, afin de ne pas être tenue de respecter l’exigence temporelle prévue au paragraphe 211(2), favorise l’intérêt public du fait qu’elle lui permettrait d’éviter d’autres retards dans la construction du projet. Elle a en outre indiqué que l’axe central de la déviation se trouve à une distance maximale de 60 mètres (« m ») de l’axe central du tracé indiqué dans les PPLR approuvés, qui illustrent le tracé révisé en 2022.

 

Trans Mountain a affirmé qu’elle déposerait la copie certifiée des PPLR, conformément à l’alinéa 198d) de la LRCE[11], dès que possible après avoir obtenu l’approbation de la Commission, le cas échéant.

 

La Commission a accordé l’exemption demandée dans sa décision du 25 septembre 2023. Elle estime que la déviation ne dépasse pas une distance de 60 m de l’axe central du pipeline, tel qu’il a été approuvé, et que l’exemption demandée à l’égard de cette exigence est conforme à l’intérêt public pour les raisons décrites aux présentes. Trans Mountain a déposé, le 27 septembre 2023 (C26333), la confirmation qu’elle avait enregistré une copie certifiée de l’ordonnance AO‑003‑OPL‑003‑2020 et de la feuille M002‑PM03011-014 révisée des PPLR auprès du bureau d’enregistrement des titres fonciers de la Colombie-Britannique le 26 septembre 2023[12].

 

4      Processus d’examen de la demande de déviation

 

La section 4 décrit le processus établi par la Commission pour examiner la demande de déviation.

 

Le 12 juillet 2023, avant que Trans Mountain ne présente sa demande de déviation à la Régie, la Nation a transmis à celle-ci une lettre (C25495) indiquant qu’elle était au courant de l’intention de la société de déposer une demande de déviation. Dans cette lettre, la Nation a souligné l’importance du site Pípsell et signalé que les activités de mobilisation menées par Trans Mountain au sujet du fond de la demande à venir avaient été limitées. La Nation a expliqué qu’elle n’était pas en position, pour le moment, d’évaluer si elle pouvait appuyer la déviation et a confirmé qu’elle demanderait à Trans Mountain de lui fournir de plus amples renseignements avant d’entreprendre une analyse pour formuler son point de vue.

 

Dans sa demande de déviation déposée le 10 août 2023, Trans Mountain a prié la Commission de rendre une décision de manière urgente (au plus tard le 21 août 2023) afin de pouvoir entreprendre les travaux le plus rapidement possible et de respecter le calendrier de construction prévu sur le site Pípsell.

 

Le 16 août 2023, la Commission a établi un processus d’audience (C25914) qui comportait des étapes pour donner la possibilité à la Nation d’adresser des demandes de renseignements (« DR ») à Trans Mountain, et de déposer des observations écrites, et à Trans Mountain de répliquer aux observations de la Nation. La Commission avait par ailleurs réservé le 6 septembre 2023 comme journée possible pour l’audience orale et expliqué que Trans Mountain serait tenue d’y participer en personne alors que la Nation aurait le choix de le faire en personne ou virtuellement. La Commission a précisé qu’elle a établi les étapes et les échéances de manière à donner une possibilité équitable à la Nation de lui transmettre ses observations, compte tenu des activités de mobilisation menées par Trans Mountain auprès d’elle avant le processus de réglementation et de l’urgence de la demande de la société.

 

Dans ses observations écrites du 28 août 2023 (C25999), la Nation a demandé à la Commission de lui donner la possibilité d’adresser des DR après le dépôt de ses observations écrites et de la réplique de Trans Mountain à celles-ci. La Nation a également demandé à la Commission de reporter la date du 6 septembre 2023 pour l’audience orale, afin que les parties puissent se préparer adéquatement.

 

Le 30 août 2023, la Commission a publié une lettre (C26015) pour confirmer la tenue d’une audience orale, mais à une date ultérieure, soit les 14 et 15 septembre 2023 et, au besoin, le 18 septembre 2023. Elle a en outre établi les façons de procéder et donné des instructions en vue de l’audience orale. Elle a aussi ajouté une étape pour donner la possibilité aux parties de s’adresser des DR l’une à l’autre et a annoncé qu’elle adresserait des DR à la Nation et des DR supplémentaires à Trans Mountain.

 

Le 8 septembre 2023 (C26131), la Nation a demandé à la Commission de reporter l’audience orale aux 18 et 19 septembre 2023 pour que leur experte en patrimoine culturel et gardienne du savoir puisse être présente. La Nation a indiqué que Trans Mountain avait accepté le changement de date. La Commission a accédé à la demande de la Nation le 11 septembre 2023 (C26148) et elle a repoussé les séances d’audience orale aux dates demandées.

 

Le 12 septembre 2023, la Nation a déposé une lettre (C26175) pour demander à la Commission de rendre une ordonnance en vertu des alinéas 60a) et b) de la LRCE afin que l’entente sur les avantages mutuels soit tenue confidentielle dans son intégralité et qu’elle ne soit pas rendue publique. Elle a expliqué que Trans Mountain avait convenu de déposer, afin d’en assurer la confidentialité, une version caviardée d’un commun accord (des dispositions faisant état de renseignements financiers) de l’entente sur les avantages mutuels. La Commission a accédé à la demande de la Nation le 15 septembre 2023 (C26229).

 

Le 13 septembre 2023, le caucus autochtone du comité consultatif et de surveillance autochtone du projet et du pipeline existant de Trans Mountain (« caucus autochtone du CCSA ») a déposé une lettre de commentaires (C26190). Le caucus autochtone du CCSA a fourni dans cette lettre des renseignements de fond sur sa création, sa raison d’être et son rôle à l’égard du projet et a abordé certaines de ses expériences en tant que partie intégrante du CCSA.

 

Or, la Commission n’avait pas établi d’étape dans le processus d’examen de la demande pour le dépôt de lettres de commentaires. Trans Mountain a ainsi fait valoir que la Commission ne devrait donner aucun poids à la lettre du caucus autochtone du CCSA, parce qu’elle n’avait pas été vérifiée et qu’elle n’avait pas été adoptée sous serment. La Nation a pour sa part soutenu que la Commission devrait tenir compte de la lettre puisque le CCSA, conformément à son mandat, joue un rôle de conseiller auprès des organismes de réglementation. La Commission reconnaît l’importance du CCSA et les contributions de celui-ci pour protéger l’environnement et les intérêts des Autochtones à l’égard des terres et des eaux touchées par le projet. Elle reçoit régulièrement des lettres de commentaires, qu’elle prend en considération suivant le cas. Elle a ainsi tenu compte de la lettre de commentaires du caucus autochtone du CCSA.

 

L’audience orale, dont une présentation orale des connaissances autochtones faite par Jeanette Jules, gardienne du savoir de la Nation, le contre-interrogatoire des témoins et la plaidoirie, s’est déroulée à Calgary, en Alberta, du 18 au 20 septembre 2023. Bien qu’une option de participation en mode hybride avait été offerte aux parties, tous les témoins et les avocats ont choisi de participer à l’audience en personne. Il était possible de suivre les séances quotidiennes d’audience orale grâce à des diffusions audio et vidéo à partir du site Web de la Régie et des transcriptions des séances ont été versées au registre public.

 

5      Observations écrites et orales transmises à la Commission

 

Le tableau ci-après fait état de toutes les observations écrites et orales qui ont été transmises à la Commission et dont celle-ci a tenu compte dans le cadre de l’instance.

 

Date (2023)

Participant

Pièce(s)

No de dépôt

12 juillet

Nation

Lettre préalable au dépôt de la demande de déviation

C25495

10 août

Trans Mountain

Demande de déviation

C25832

23 août

Trans Mountain

Réponse à la DR no 1 de la Commission

C25972

28 août

Nation

Observations écrites

C25999

29 août

Nation

Redépôt de l’annexe D des observations écrites

C26001

31 août

Trans Mountain

Réplique

C26029

11 septembre

Trans Mountain

Réponse à la DR no 2 de la Commission

C26152

Trans Mountain

Réponse aux DR de la Nation

C26163

Nation

Réponse aux DR de Trans Mountain

C26157

Nation

Réponse à la DR no 1 de la Commission

C26156

13 septembre

Nation

Redépôt de la réponse à la DR no 1 de la Commission

C26182

Nation

Redépôt de la réponse aux DR de Trans Mountain

C26183

Caucus autochtone du CCSA

Lettre de commentaires

C26190

15 septembre

Nation /
Trans Mountain

Entente sur les avantages mutuels

s.o. (traitement confidentiel)

Trans Mountain

Exposé introductif

C26228

18 septembre

Nation /
Trans Mountain

      Présentation orale des connaissances autochtones

      Contre-interrogatoire oral de Trans Mountain

C26250

(volume 1 des transcriptions)

Trans Mountain

Version corrigée de la réponse à la DR no 2.3 de la Commission

C26240

19 septembre

Nation /
Trans Mountain

Contre-interrogatoire oral de la Nation

C26253

(volume 2 des transcriptions)

Trans Mountain

Cahier de textes faisant autorité

C26252

Nation

Cahier de textes faisant autorité

C26255

Nation

Cahier supplémentaire de textes faisant autorité

C26259

20 septembre

Trans Mountain

Version corrigée des transcriptions du 18 septembre 2023

C26261

Nation /
Trans Mountain

Plaidoirie orale

C26271

(volume 3 des transcriptions)

21 septembre

Trans Mountain

Version corrigée des transcriptions du 20 septembre 2023

C26276

22 septembre

Trans Mountain

Version corrigée des transcriptions du 19 septembre 2023

C26299

 

 

6      Point de vue des parties et analyse et constatations de la Commission

 

La section 6 fait ressortir les principaux éléments du point de vue des parties sur chacune des questions de fond qui ont été soulevées au sujet de la demande – soit les questions ayant trait à l’ingénierie (section 6.1), à l’économie (section 6.2), aux effets environnementaux et socioéconomiques (section 6.3) et aux droits et intérêts des peuples autochtones (section 6.4) – et expose l’analyse et les constatations de la Commission relativement à ces questions.

 

6.1      Ingénierie

 

6.1.1      Point de vue de Trans Mountain

 

6.1.1.1      Sélection du microtunnelier

 

L’entrepreneur choisi par Trans Mountain pour le microtunnelage, Innovative Pipeline Crossings Inc./ Bothar, a recommandé le microtunnelier AVN2000 pour les quatre percements proposés dans le secteur du lac Jacko. Bothar a affirmé dans un rapport datant de juillet 2021 intitulé Trenchless Sections Feasibility and Estimates for the Spread 5a – Jacko Lake Area Project, Kamloops, BC [faisabilité en ce qui concerne les tronçons sans tranchée et estimations pour le chantier de pose 5a – Projet dans le secteur du lac Jacko, Kamloops, C.-B.] (« rapport Bothar ») que compte tenu des renseignements géologiques disponibles, deux microtunneliers AVN2000 à pression de boue, équipés d’une tête de coupe (pour le roc) avaient été proposés pour le projet. Le choix du microtunnelier a été confirmé en consultation avec le fabricant, Herrenknecht, à l’aide d’une étude de cas fondée sur un projet réalisé à Auckland, en Nouvelle-Zélande (microtunnel de 1 296 m de long). Les conditions géotechniques du projet néo-zélandais étaient similaires aux constatations géotechniques de Trans Mountain et aux plans proposés pour effectuer le percement 2.

 

Trans Mountain a expliqué que le choix du microtunnelier était également fondé sur l’importance pour la Nation de limiter le plus possible la taille des plateformes. La société a fait valoir que remplacer le microtunnelier choisi par un plus gros aurait exigé une aire de préparation considérablement plus grande. Par exemple, un microtunnelier nécessitant l’installation d’une plaque de recouvrement aurait exigé une aire de préparation d’environ 250 m de long sur 125 m de large (plus ou moins 31 000 m2), soit six fois plus grande que celle nécessaire au modèle AVN2000 (à peu près 5 000 m2).

 

6.1.1.2      Difficultés techniques survenues pendant le microtunnelage

 

Trans Mountain a commencé à faire des études géotechniques du site Pípsell en 2021 et a entrepris les activités de microtunnelage vers le milieu de 2022. La société a expliqué que le microtunnelage pour le percement 2 s’était révélé particulièrement difficile parce que la conduite de levage en béton armé s’était déplacée vers le haut pendant les activités, incident qu’elle a appelé « le problème ». La situation a eu pour effet de restreindre énormément la force de levage pouvant être exercée sur le microtunnelier (de 1 400 tonnes à 300 tonnes). La déflexion aux points de raccordement de la conduite de levage en béton armé s’est accrue avec la progression des activités de microtunnelage, ce qui a fait augmenter le risque de perte d’étanchéité ou de dommages à la conduite.

 

Trans Mountain a expliqué qu’il y a actuellement trois stations de poussée intermédiaires dans le tunnel, à un intervalle d’environ 120 à 140 m. Ces stations sont conçues pour accroître la force de levage, afin de vaincre la résistance de frottement de la conduite jusqu’à la station suivante. Leur capacité se chiffre à environ 1 427 tonnes.

 

Trans Mountain a affirmé qu’elle n’a pu ajouter d’autres cintres aux trois déjà en place, parce que la déflexion induite entre deux raccords de béton causait des dommages à la station de poussée intermédiaire. Par ailleurs, lorsque le tir sort trop de l’alignement, les rayons de cintrage risquent d’être trop serrés et d’exercer une contrainte sur la canalisation ou encore d’endommager les espaceurs.

 

6.1.1.3      Mesures d’atténuation

 

Pour régler le problème, Trans Mountain a mis en place un plan en trois étapes prévoyant une augmentation graduelle de la puissance et des répercussions des mesures sur la progression des activités de microtunnelage. Le plan a été mis en place pour assurer la continuité des activités de microtunnelage le plus longtemps possible. Trans Mountain en était à la troisième étape du plan, qui nécessite une interruption complète des activités de microtunnelage, lorsqu’elle a déposé sa demande de déviation.

 

La première étape du plan consistait à vidanger le tunnel sous la conduite de levage en béton armé, afin d’en retirer les matériaux (par inversion), à l’emplacement du problème, dans l’espoir que les tuyaux descendent vers l’alignement sous l’effet de leur poids. L’opération n’a pas donné les résultats escomptés du fait que l’extrémité femelle et l’assemblage à emboîtement de la conduite de levage en béton armé étaient suffisamment forts pour maintenir la déflexion de la conduite. Le 9 février 2023, Trans Mountain a déclaré que la première étape du plan n’avait pas porté fruit et a décidé d’interrompre les activités pour mettre en œuvre la deuxième étape.

 

La deuxième mesure d’atténuation, ou la deuxième étape du plan, consistait à répartir des masses d’alourdissement à l’intérieur du tunnel afin d’exercer une force vers le bas et ainsi de contrebalancer la force vers le haut causée par la poussée. Au total (établi en fonction des forces de levage à ce moment), 20 tonnes de masses d’alourdissement ont été réparties entre les chaînages 0+16 m et 0+20 m, soit entre quatre ou cinq conduites en béton. La deuxième mesure a fonctionné jusqu’au 14 avril 2023, date à laquelle le problème de déplacement vers le haut a recommencé et Trans Mountain a décidé de passer à la troisième étape.

 

La dernière tentative pour contrebalancer le déplacement vers le haut (troisième étape) consistait à aménager un puits de poussée intermédiaire[13] (« puits 6 ») pour rediriger la voûte de poussée de manière à contourner l’emplacement du problème. Puisque la déviation verticale était variable sur la première longueur de 53 mètres du percement et que la plus grande variation constatée s’étendait sur un tronçon d’environ 20 m de long, le puits 6 a été positionné à plus ou moins 60 m devant le puits 1. Trans Mountain a expliqué qu’elle s’attendait à abandonner une longueur d’environ 53 m du tunnel entre le puits 1 et le puits 6 et à recourir à une tranchée à ciel ouvert classique à la place. Pour la troisième étape, il a fallu interrompre complètement les travaux de construction du pipeline en date du 14 juin 2023.

 

Trans Mountain a fait valoir qu’il était peu probable qu’elle réussisse à terminer le percement 2, en raison des retards accumulés et des risques élevés sur le plan technique.

 

6.1.1.4      Difficultés potentielles après la construction du puits 6

 

Trans Mountain estime qu’elle devrait faire face aux difficultés techniques suivantes si les travaux de microtunnelage devaient reprendre :

 

         endommagement des conduites de levage en béton armé qu’elle prévoit laisser sur place et utiliser pour terminer le tunnel;

         transmission de vibrations dans l’espace annulaire autour des conduites de levage en béton armé, ce qui compacterait les matériaux indigènes et accroîtrait le frottement superficiel;

         impossibilité de maintenir un alignement parfait du nouveau puits pour que les forces de levage tiennent compte de l’alignement actuel du tunnel.

 

Trans Mountain a ajouté que le microtunnelier et environ 500 m de conduites en béton armé étaient demeurés intouchés depuis l’interruption des activités de microtunnelage le 14 juin 2023 pour faciliter la construction du puits 6. L’interruption et la reprise des activités visant le tunnel ont créé un risque lié à la restauration de l’espace annulaire, qui aurait pu se dégrader sous l’effet de la perte de la bentonite se trouvant auparavant dans l’anneau, qui aurait pu s’écouler entre les roches ou se diluer dans les eaux souterraines. En pareil cas, il y aurait accroissement du frottement superficiel sur la surface du microtunnelier et de la conduite en béton armé tirée par celui-ci; par conséquent, une force considérablement plus grande serait nécessaire pour relancer les travaux de microtunnelage. Tout frottement supplémentaire et toute force appliquée peuvent créer des points de grande contrainte sur la conduite en béton armé (particulièrement sur les tronçons courbes) et entraîner des fissures.

 

Trans Mountain a calculé les valeurs suivantes, bien qu’il n’y ait aucun moyen pratique de savoir s’il y a eu dégradation de l’espace annulaire ou d’évaluer l’étendue d’une dégradation :

 

         force de levage à la station de poussée principale avant l’interruption des travaux = 950 tonnes

         capacité nominale de la station de poussée principale = 1 400 tonnes

 

À des fins de comparaison, Trans Mountain a expliqué que le percement 4 avait connu quatre semaines d’inactivité au début de l’été 2023. Selon les données relatives à ce percement, la station de poussée intermédiaire 1, située environ 60 m derrière le microtunnelier, nécessitait une force de 400 tonnes, avant la période d’inactivité, pour déplacer la tête de forage. Par ailleurs, le système de levage principal devait déployer une force de 720 tonnes pour faire avancer près de 400 m de conduite en béton armé.

 

Lorsque les activités visant le percement 4 ont repris, quatre semaines plus tard, il fallait déployer une force de 600 tonnes pour pousser la tête de forage, soit 50 % de plus. Une force de levage combinée de 1 400 tonnes (station de poussée principale et stations de poussée intermédiaires 3 et 2) était requise pour faire avancer la colonne de conduites en béton armé de 400 m. Les données indiquaient que le frottement entre le tunnel et la formation tout autour avait doublé pendant la période d’inactivité.

 

Trans Mountain ne sait pas quelle force serait nécessaire au juste pour relancer les activités visant le percement 2 après une telle période d’inactivité. Compte tenu des données relatives au percement 4 et du fait que le percement 2 n’a fait l’objet d’aucune activité pendant à peu près quatre mois, il faudrait au moins doubler ou même tripler la force de levage qui a été requise pour le percement 4, pour la porter à 2 000 ou 3 000 tonnes et qu’elle atteigne, grosso modo, de 4 à 6 tonnes/m. La société appliquerait cette force en ouvrant et en fermant les stations de poussée intermédiaires à mesure de la progression dans le tunnel.

 

Ainsi, si l’intervalle maximal entre les stations de poussée intermédiaires est de 140 m et qu’une force de levage potentielle approximative est de 1 427 tonnes à chacune, alors une force de traction de plus ou moins 10 tonnes/m sera requise pour la remise en mouvement. Cela pourrait suffire pour vaincre le frottement superficiel en cas d’accroissement, comme dans le cas du percement 4, mais une simple hausse moyenne de 1 kilopascal (environ 0,15 livre par pouce carré) du frottement entre le tunnel et la formation suffirait à freiner la progression depuis la station de poussée principale. Il est probable qu’une telle situation se produise après une longue période d’inactivité. Si les pressions de friction sur la conduite en béton armé ne peuvent être contrées par le matériel de levage, le microtunnelier et la conduite ne pourront plus progresser.

 

Dans le rapport rédigé en août 2022 pour Trans Mountain - intitulé Spread 5A – SSEID 005-19 KP 851+600 to KP 856+000 Geotechnical Investigation for Micro-tunnelling Installation Jack Lake Area (« rapport Thurber de 2022 »), la société Thurber Engineering Ltd. a indiqué que selon ses estimations, la plus grande résistance du roc (>250 mégapascals [« MPa »]) dans toute la zone visée par le programme du lac Jacko se trouve entre les chaînages 0+500 m et 0+600 m du percement 2 et que la résistance du roc visé par le reste de ce percement se chiffre dans les 150 MPa. La résistance du roc anticipée aurait un effet très néfaste sur le palier principal ainsi que d’autres composants mécaniques clés du microtunnelier, qui montre déjà des signes d’usure et de fatigue. Trans Mountain a en outre signalé que, pour empirer la situation, le microtunnelier avait été inondé d’eau, ce qui pourrait causer des retards.

 

Trans Mountain a conclu que la poursuite des activités de microtunnelage du percement 2 présentait un risque élevé d’échec, en raison du problème et de la dégradation connexe de l’espace annulaire, de la longueur du percement, de la nature du roc (la plus grande résistance étant à venir), de l’usure et de la fatigue de certains composants mécaniques clés du microtunnelier et de la difficulté d’accéder au microtunnelier pour effectuer des réparations ou un remplacement. Ces risques seront présents même si l’aménagement du puits 6 est réussi. La société a conclu qu’il était peu probable qu’elle réussisse à terminer le microtunnelage.

 

6.1.1.5      Construction par FDH et tranchée à ciel ouvert classique

 

Pour construire le tracé révisé en 2023, il faudrait recourir au FDH et à une tranchée à ciel ouvert classique sur environ 455 m et 880 m respectivement. Une tranchée à ciel ouvert classique serait utilisée pour le tracé, de part et d’autre de la partie pour laquelle le FDH serait utilisé. Il est indiqué dans l’une des cartes déposées par Trans Mountain avec sa réponse à la DR no 1 de la Commission (C25972-23) que la méthode de construction par tranchée à ciel ouvert classique serait utilisée de la BK 851,60 à la BK 851,94 et de la BK 852,40 à la BK 852,95.

 

Trans Mountain a affirmé que selon l’évaluation du risque effectuée pour la partie visée par le FDH, le risque était faible ou faible à moyen. Les formations recensées dans le rapport préparé par la société Thurber Engineering Ltd. en juin 2023, intitulé Spread 5A – Geotechnical Assessment KP852 Trenchless Crossing (Jacko Hill) (« rapport Thurber de 2023 ») se prêtent aux différentes méthodes d’aménagement par FDH. En réponse à la DR no 1.14 de la Nation, Trans Mountain a fourni une liste de 36 franchissements par FDH terminés ou en cours pour le projet. Dans sa réponse à la DR no 2.2a) de la Commission, la société a précisé que de ce nombre cinq franchissements étaient comparables au franchissement par FDH proposé dans la demande de déviation. Elle a bon espoir de parvenir à aménager le tunnel par FDH dans la zone, du fait de l’expérience considérable qu’elle a acquise au fil de FDH réussis, de longueurs similaires et dans des formations de roche dure.

 

En cas d’échec du premier FDH, elle modifierait la géométrie du FDH de manière à favoriser l’aménagement ou elle reprendrait le forage du début. De telles mesures ont réussi à d’autres endroits le long du tracé du projet et n’exigeraient qu’un déplacement des points d’entrée et de sortie dans les limites de la zone de projet.

 

Trans Mountain a assuré que, parallèlement à la mise en œuvre de la méthode combinée par FDH et tranchée à ciel ouvert classique, elle tenterait de limiter le plus possible l’aire de travail temporaire à l’extérieur de la servitude permanente de 18 m de large. Elle en a tenu compte dans sa planification des travaux. Il y a toutefois certaines parties de l’empreinte du projet (servitude permanente et aire de travail temporaire) où une aire de travail temporaire plus grande serait requise. Elle a l’intention de limiter l’empreinte à 25 ou 30 m sur toute la longueur du pipeline, mais elle aurait besoin davantage d’espace là où une plateforme devrait être installée pour le FDH.

 

Trans Mountain a souligné qu’elle ne privilégiait pas le FDH sur toute la distance entre les plateformes 1 et 2, et ce, pour les raisons ci-après.

 

         Le FDH exige de recourir à une section de tirage d’une longueur équivalente à la longueur du franchissement et la topographie des lieux de même que la géométrie de l’emprise ne se prêtent pas au recours à une section plus longue.

         La construction d’un franchissement par FDH aussi long dans une formation rocheuse dure accroîtrait considérablement le profil de risque en ce qui concerne la viabilité technique.

         La construction d’un franchissement par FDH aussi long prendrait beaucoup plus de temps que les travaux de FDH proposés dans la demande de déviation.

 

Dans sa réponse à la DR no 2.3 de la Commission, Trans Mountain a comparé la méthode combinée par FDH et tranchée à ciel ouvert classique à celle du microtunnelage pour ce qui est de l’ensemble des perturbations, des coûts prévus et du calendrier. La Commission avait demandé à la société de fournir des renseignements selon les deux hypothèses décrites ci-dessous.

 

         Un meilleur scénario, où les risques liés à la méthode utilisée ne se concrétisent pas. Pour le microtunnelage : ce scénario envisage l’aménagement réussi du puits 6 et la reprise des travaux. Pour la méthode combinée par FDH et tranchée à ciel ouvert classique, ce scénario tient compte d’une première tentative de FDH réussie.

         Un pire scénario, où les risques se concrétisent, car l’aménagement du pipeline au moyen de la méthode de construction choisie s’est avéré un échec. Pour le microtunnelage : ce scénario prévoit la nécessité d’aménager un puits d’évacuation pour récupérer le microtunnelier. Pour la méthode combinée par FDH et tranchée à ciel ouvert classique, ce scénario se fonde sur la nécessité de prendre des mesures de contingence.

 

Trans Mountain a également fourni les renseignements demandés en fonction d’un scénario catastrophe, où le microtunnelage est malgré tout un échec. Dans ce scénario, le microtunnelier est coincé dans le tunnel et il est impossible de le récupérer par le puits d’évacuation ou de relancer les travaux de percement. Trans Mountain a mis en place certaines ou toutes les mesures de contingence prévues dans le pire scénario et, au final, elle doit se tourner vers la méthode combinée par FDH et tranchée à ciel ouvert classique, avec toutes les perturbations, les coûts supplémentaires et les retards qui s’ensuivent.

 

6.1.2      Point de vue de la Nation

 

6.1.2.1      Sélection du microtunnelier

 

La Nation a mis en doute la pertinence du microtunnelier choisi par Trans Mountain. Son expert, Jens Hornbruch, a déposé un mémoire sur la faisabilité technique continue du microtunnelage pour le percement 2 entre les puits 6 et 2 (Geotechnical Comments on the Feasibility of Continued Microtunnelling of Drive 2 between Shaft 6 and 2) en date du 24 août 2023 (« mémoire Hornbruch sur la faisabilité du microtunnelage »), dont certains points sont exposés ci‑après.

 

         Pendant les consultations préalables à la construction, le fabricant du microtunnelier choisi a affirmé que d’autres modèles ayant effectué des percements plus longs dans des conditions de sol similaires seraient disponibles, mais Trans Mountain a choisi le modèle en question en fonction du calendrier et de la disponibilité.

         Les conditions de sol pendant le microtunnelage ne semblaient pas avoir changé du tout par rapport aux renseignements géotechniques qui ont été recueillis avant la construction et qui ont servi à la sélection du microtunnelier.

 

La Nation a affirmé que Trans Mountain pouvait difficilement invoquer les problèmes liés au microtunnelier pour appuyer sa décision de mettre fin aux travaux de microtunnelage dans le couloir Pípsell.

 

6.1.2.2      Faisabilité du microtunnelage

 

La Nation a argué que le microtunnelage demeurait une option de construction viable pour la partie restante du couloir Pípsell.

 

La Nation a soutenu que Trans Mountain était au courant depuis le début de la géologie du terrain. Thurber Engineering Ltd. avait fait plusieurs trous de forage en 2021 et 2022, avant de produire le rapport Thurber de 2022, lequel indiquait que le microtunnelage devrait être une méthode sans tranchée réalisable avec l’équipement et les méthodes appropriés.

 

La Nation a en outre fait référence à un rapport daté d’août 2021 préparé par Innovative Pipeline Crossings Inc. sur la faisabilité des tronçons construits sans tranchée et sur les estimations connexes (Trenchless Sections Feasibility and Estimates Report – Spread 5A – Jacko Lake Area) (« rapport IPC de 2021 »), qui fait état de conditions de sol similaires à celles décrites dans le rapport Thurber de 2022.

 

De plus, un expert dont la Nation a retenu les services, Peter Uffman, Ph. D, a conclu dans son rapport daté du 20 août 2023 (« rapport Uffman ») que le microtunnelage dans le roc à l’aide d’un microtunnelier DN2000/DA2500 présenterait des défis, mais serait clairement réalisable. Il indiquait aussi que ses évaluations étaient fondées sur « le très peu de renseignements informatifs » disponibles, particulièrement au sujet des conditions géologiques.

 

Le mémoire Hornbruch présentait les constatations suivantes.

 

         L’examen du registre des activités quotidiennes ne révèle pas d’effets importants sur la progression du microtunnelage, en raison de la présence de gros gravier, de pierres ou de blocs rocheux. La lente progression des travaux semble surtout attribuable à la présence de roche dure, combinée à une force de levage réduite pour tenir compte du déplacement vers le haut de la conduite en béton armé.

         La troisième étape du plan de mesures d’atténuation visant à éviter tout autre déplacement vers le haut (soit l’aménagement du puits 6), qui est en cours de mise en œuvre, semble être une solution réalisable pour empêcher que la conduite en béton armé ne se déforme davantage et pour prévenir les effets négatifs connexes sur le percement du microtunnel et l’insertion de la conduite. Le 27 juillet 2023, pendant une visite du site avec les experts de la Nation, des représentants de Trans Mountain se sont dit confiants d’être en mesure de réussir le percement du microtunnel dans les délais proposés.

         L’entrepreneur en forage de tunnel devrait donner son opinion quant à la faisabilité du microtunnelage. Selon les experts de la Nation qui ont passé la documentation en revue, les conditions de sol pendant le microtunnelage ne semblaient pas avoir changé par rapport aux renseignements géotechniques qui ont été recueillis avant la construction et qui ont servi à la sélection du microtunnelier.

 

Les experts de la Nation ont également préparé un rapport d’évaluation des activités de microtunnelage sur le site Pípsell et dans le secteur du lac Jacko à l’intention de la Régie de l’énergie du Canada (Debrief for Canada Energy Regulator in relation to Pípsell/Jacko Lake Area Micro Tunnelling Assessment) daté du 23 août 2023 (« rapport des experts de la Nation »), dans lequel ils ont tiré les conclusions suivantes :

 

         Trans Mountain a sélectionné le microtunnelage comme étant la meilleure méthode de construction pour assurer la protection de l’aire sacrée.

         Aucune difficulté insurmontable justifiant un changement de méthode de construction n’a été signalée jusqu’ici.

         Il n’y a eu aucune surprise sur le plan géologique ou hydrologique susceptible d’avoir un effet sur la viabilité des activités de microtunnelage dans le couloir Pípsell.

 

Le rapport des experts de la Nation comportait un document de réponse au programme de forage géotechnique proposé (SSN Response on Proposed Geotechnical Drilling Program) daté du 15 juillet 2021 et fondé sur une version révisée d’un document sur le plan d’exécution du programme géotechnique de Trans Mountain au lac Jacko (Trans Mountain’s Jacko Lake Geotechnical Program Execution Plan ) daté du 13 juillet 2021. Il est suggéré dans la réponse de la Nation que Trans Mountain continue d’exécuter son programme géotechnique avec la Nation et que les travaux débutent la semaine du 19 juillet 2021, comme prévu. Le rapport suggère en outre cinq points de forage.

 

La Nation a soutenu que Trans Mountain n’avait pas pris en considération toutes les options raisonnablement possibles avant d’essayer d’abandonner le microtunnelage à mi-chemin des activités dans le couloir Pípsell, soit avant d’avoir mené à bien toute la troisième étape du plan d’atténuation (aménagement du puits 6).

 

La Nation a réitéré qu’elle avait maintenu son engagement à l’égard du microtunnelage. Elle a tout spécialement souligné qu’elle avait réagi rapidement à la demande de Trans Mountain en vue de construire le puits 6 comme stratégie d’atténuation. En effet, ses experts et une gardienne du savoir ont étudié l’empreinte du puits 6 à court préavis, dès que Trans Mountain a constaté les difficultés géotechniques liées au percement 2. Puisque la nouvelle empreinte ne montrait aucun élément, les terres supplémentaires ont été utilisées pour agrandir le plateforme 1 et aménager le puits 6.

 

Pendant le contre-interrogatoire, Jens Hornbruch, expert de la Nation, a reconnu que le scénario catastrophe de Trans Mountain pouvait se produire. Il a affirmé qu’en cas de défaillance irréversible, il ne serait pas recommandé, d’un point de vue technique et en raison des perturbations supplémentaires de la surface qui en découleraient, d’aménager un puits d’évacuation ou de récupérer le microtunnelier.

 

6.1.2.3      Construction par FDH et tranchée à ciel ouvert classique

 

La Nation s’oppose à la méthode de construction combinant le FDH et une tranchée à ciel ouvert classique. Ses experts ont affirmé que cette méthode combinée perturberait bien davantage le sol, en raison de la longueur des tranchées à ciel ouvert classiques et de l’aire de dépôt nécessaire à l’insertion de la conduite dans le trou créé par FDH.

 

Le rapport Uffman a conclu que le FDH proposé n’était pas réalisable. Tel qu’il est indiqué plus haut, le rapport Uffman a reconnu que très peu de renseignements étaient disponibles pour faire l’évaluation.

 

La Nation a déposé devant la Commission le rapport de Jens Hornbruch sur la faisabilité géotechnique du FDH entre les puits 6 et 2 (Geotechnical Comments on the Feasibility of HDD Construction Between Shaft 6 and 2) daté du 24 août 2023 (« rapport Hornbruch sur la faisabilité du FDH »). Le rapport fait référence au rapport Thurber de 2023 ainsi qu’à une présentation PowerPoint datant de 2021 dans laquelle Trans Mountain avait évalué le risque d’échec du FDH pour une trajectoire faisant 300 m de plus que celle proposée dans la demande de déviation à un niveau modéré à élevé.

 

En réponse à la DR no 1.3 de la Commission, la Nation a évoqué la possibilité d’un FDH de la plateforme 2 jusqu’au puits 6 (sur environ 1 250 m de long) pour compléter le franchissement du couloir Pípsell. Elle estimait que sa proposition, bien que conceptuelle et requérant l’approbation des aspects techniques et liés à la constructibilité, constituait une bonne solution pour limiter le plus possible les perturbations du sol dans le secteur. Elle a fait valoir que le concept démontre qu’il est possible de compléter le franchissement du couloir Pípsell tout en préservant l’intention de l’entente sur les avantages mutuels.

 

La Nation a en outre laissé entendre que, d’une façon générale, elle envisagerait un tracé modifié qui contourne le couloir Pípsell comme étant la seule mesure d’atténuation proposée à laquelle le conseil conjoint de la Nation donnerait son appui et consentirait.

 

6.1.3      Réplique de Trans Mountain au sujet des solutions de rechange proposées par la Nation

 

Trans Mountain a traité dans sa réplique des deux solutions de rechange proposées par la Nation. Au sujet de la possibilité d’effectuer un FDH de la plateforme 2 au puits 6, la société a affirmé qu’il s’agissait davantage d’un concept qui n’était appuyé par aucune évaluation technique. Elle a ajouté qu’un FDH plus long que celui proposé dans la demande de déviation comporterait de plus grands risques d’un point de vue géotechnique. Un FDH de cette longueur serait par ailleurs difficile, voire impossible, à exécuter étant donné la superficie limitée dont elle dispose dans le secteur pour tirer le cordon de tubes.

 

En ce qui concerne la possibilité de modifier le tracé pour qu’il contourne le couloir Pípsell, Trans Mountain a expliqué qu’une modification de cette nature exigerait de modifier le tracé sur plusieurs kilomètres à l’extérieur du couloir pipelinier approuvé, ce qui déclencherait la tenue de nouveaux processus de réglementation, notamment pour la modification du certificat OC-065 et du certificat d’évaluation environnementale délivré par le bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique. La société a par ailleurs soutenu qu’aucun élément de preuve n’avait été déposé devant la Commission pour laisser entendre qu’il s’agirait d’un meilleur tracé ou d’une méthode plus appropriée que ce qu’elle avait proposé dans la demande de déviation ou encore pour traiter de la question de la constructibilité. Il faudrait de plus commander de nouvelles évaluations techniques et liées à la constructibilité ainsi que des études environnementales et acquérir de nouveaux terrains. Pour conclure, Trans Mountain a signalé que toute modification du tracé retarderait de nombreux mois le début de la construction et coûterait des centaines de millions de dollars de plus.

 

6.1.4      Analyse et constatations de la Commission

 

En sa qualité de tribunal d’archives spécialisé, la Commission a évalué les éléments de preuve technique déposés par Trans Mountain et la Nation[14], dont la preuve préparée par les experts des deux parties en ce qui concerne la faisabilité des différentes méthodes de construction en question (que décrivent brièvement les sections 6.1.1 et 6.1.2). Après avoir déterminé le poids de la preuve technique, la Commission fait les constatations suivantes.

 

         L’achèvement du tunnel et l’installation subséquente du pipeline entre les BK 851,60 et 852,95 présentent un risque d’échec trop élevé pour être acceptable, ce qui fait que le microtunnelage n’est pas une méthode réalisable sur le plan technique[15].

         En ce qui concerne le microtunnelage, il est très peu probable que le meilleur scénario se produise; c’est-à-dire, qu’il soit possible d’achever le microtunnelage après la construction du puits 6. Il est peu probable que le pire scénario se produise; c’est-à-dire, qu’il soit possible d’achever le microtunnelage après l’aménagement d’un puits de secours pour récupérer le microtunnelier. Le scénario catastrophe, où il faut abandonner le microtunnelage, parce qu’il est impossible de le réussir, pour recourir au FDH et à une tranchée à ciel ouvert classique, a la plus grande probabilité de se produire.

         La probabilité est très élevée qu’il sera possible d’aménager le tunnel par FDH du premier coup (meilleur scénario) ou grâce à une tentative subséquente (pire scénario). Il est extrêmement peu probable qu’un scénario où le FDH ne peut être achevé après plusieurs tentatives ne se produise.

 

Après avoir évalué les divers scénarios, la Commission estime qu’il est fort probable que le microtunnelage échouera et que la déviation est nécessaire. Elle estime en outre que la méthode de construction présentée dans le tracé révisé en 2023 (FDH et tranchée à ciel ouvert) est la plus susceptible de réussir.

 

Dans l’ensemble, la Commission juge que la preuve d’expert présentée par Trans Mountain est plus convaincante que celle déposée par la Nation, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, la preuve d’expert de Trans Mountain était beaucoup plus détaillée et tirait des conclusions plus définitives que la preuve d’expert de la Nation. Deuxièmement, Peter Uffman a reconnu dans son rapport qu’il n’avait en main qu’une information limitée pour son examen au nom de la Nation. De plus, comme il n’a pas participé au volet oral de l’audience, ni la Commission ni Trans Mountain n’ont pu vérifier le rapport Uffman pendant le contre-interrogatoire. Troisièmement, Jens Hornbruch a souligné sa formation et son expérience dans les domaines en question, mais il a reconnu pendant le contre-interrogatoire qu’il n’avait pas la même expertise que l’équipe technique interne de Trans Mountain, dont le travail se concentre sur les pipelines, les tunnels et le FDH.

 

La Commission reconnaît qu’au départ, les entrepreneurs de Trans Mountain avaient jugé que le microtunnelage était une méthode réalisable. Cependant, Trans Mountain et la Nation savaient toutes deux, d’entrée de jeu, que le microtunnelage pouvait se révéler infaisable et qu’en pareil cas, d’autres méthodes de construction devraient être utilisées. Trans Mountain a déployé des efforts considérables et soutenus pour réussir un microtunnelage de 4,2 km (soit tout le tronçon visé). La société a présenté une preuve substantielle au sujet des défis qui s’étaient posés pendant le microtunnelage, dont le problème causé par le déplacement vers le haut de la conduite de levage en béton armé. Elle a en outre démontré qu’elle avait employé diverses stratégies d’atténuation pour affronter ces défis.

 

La Commission juge plus particulièrement que les mesures prises par Trans Mountain pour essayer de résoudre le problème étaient exhaustives et adéquates. Elle prend acte des coûts de 32 millions de dollars liés à ces mesures, qui sont supérieurs aux coûts prévus au départ pour le percement 2, décrits à la section 6.2.1. De plus, Trans Mountain a fait preuve de diligence dans la mise en œuvre de son plan correctif en trois étapes. La Nation a argué que la troisième étape du plan (aménagement du puits 6 pour rediriger la voûte de poussée de manière à contourner l’emplacement du problème) n’avait pas été mise en œuvre et qu’il était encore possible que le microtunnelage soit réussi. La Commission accepte toutefois la preuve substantielle de Trans Mountain selon laquelle les risques d’échec associés au microtunnelage continu persisteraient malgré l’aménagement du puits 6. Elle est d’accord avec Trans Mountain pour dire que la reprise des travaux de microtunnelage après une période d’inactivité prolongée présente des défis importants, dont l’application d’une force de levage suffisante, surtout à la lumière de la preuve de la société démontrant les signes d’usure et de fatigue du microtunnelier et la mention, dans le rapport Thurber de 2022, que la formation rocheuse la plus dure était à venir.

 

La Commission a étudié les observations de la Nation sur le choix, par Trans Mountain, d’un modèle de microtunnelier inapproprié pour les travaux, soit le modèle AVN2000 à pression de boue, équipé d’une tête de coupe pour le roc. Elle juge que le modèle AVN2000 convenait aux travaux visant le percement 2, parce que, selon la preuve de Trans Mountain, tant l’entrepreneur retenu par Trans Mountain pour le microtunnelage que le fabricant appuyaient ce choix.

 

La Commission est d’avis que la méthode combinée proposée par Trans Mountain dans la demande de déviation est fondée sur des techniques éprouvées dans le domaine de la construction par FDH et tranchées à ciel ouvert classiques et qu’elle présente une probabilité très élevée de réussite, compte tenu de l’expérience de la société en matière de FDH et des dimensions du trou du FDH. La Commission juge convaincante la preuve de Trans Mountain selon laquelle la société a exécuté ou est en train d’exécuter divers franchissements par FDH dans des formations rocheuses dont les caractéristiques sont similaires.

 

La Commission souligne qu’exception faite de la société pipelinière, les parties ne devraient pas être tenues d’élaborer des tracés de rechange ou de concevoir des méthodes de construction lorsqu’elles s’opposent à une demande de déviation. C’est au demandeur qu’il incombe de convaincre la Commission qu’une déviation du tracé est requise aux termes du paragraphe 211(1) de la LRCE. La Commission prend acte des deux tracés de rechange proposés par la Nation, l’un pour contourner le couloir Pípsell et l’autre reposant sur un FDH plus long. Elle juge cependant que la déviation proposée par Trans Mountain est nécessaire. Elle fait remarquer qu’un tracé modifié de manière à contourner le couloir Pípsell sortirait du couloir pipelinier approuvé, ce qui, d’une part, dépasse la portée de la demande de déviation et, d’autre part, exigerait une modification du certificat OC-065 (fondée, entre autres, sur un examen des effets négatifs sur les propriétaires de terrains et les titulaires de droits). En ce qui concerne la possibilité d’un FDH plus long, la preuve de Trans Mountain démontre que la longueur de la section de tirage et d’autres difficultés techniques auraient une incidence sur la faisabilité. Même si elles étaient réalisables, les deux solutions proposées entraîneraient des coûts supplémentaires et des retards et seraient susceptibles de causer de plus amples perturbations de la surface.

 

6.2      Économie

 

6.2.1      Point de vue de Trans Mountain

 

Trans Mountain a fait valoir que même si la poursuite du microtunnelage n’entraînait pas de retard pour le projet, le percement 2 n’est pas économiquement réalisable. La société a indiqué que les coûts liés au microtunnelage ont largement dépassé les coûts habituels d’une construction sans tranchée et a mentionné ce qui suit.

 

         Le coût prévu à l’origine pour le microtunnelage du tronçon complet de 4,2 km (tel qu’il a été proposé et approuvé précédemment) était d’environ 200 millions de dollars, soit près de 50 000 $/m. Bien qu’il s’agisse du double du coût moyen par mètre d’une construction sans tranchée, Trans Mountain a accepté le microtunnelage en raison de l’importance que la Nation y accordait.

         À l’origine, on s’attendait à ce que le coût du percement 2 se situe entre 23 et 25 millions de dollars[16]. Les prévisions à jour de Trans Mountain à l’achèvement sont de 58,9 millions de dollars, dont 32 millions de dollars en coûts déjà engagés pour tenir compte du déplacement vers le haut de la conduite en béton armé.

 

En réponse à la DR no 2.3 de la Commission, Trans Mountain a fourni divers coûts et calendriers possibles pour le percement 2, si les travaux devaient se poursuivre. Ces renseignements comprennent les suivants.

 

         Selon le meilleur scénario, les dépenses futures de Trans Mountain pour le percement 2 seraient de 25,7 millions de dollars et la date d’achèvement du tunnel serait avril 2024. En se fondant sur les faits survenus après la préparation de cette estimation, la société a indiqué que ce scénario entraînerait des retards.

         Selon le pire scénario, les dépenses futures de Trans Mountain pour le percement 2 seraient de 85,7 millions de dollars et la date d’achèvement serait décembre 2024.

         Selon le scénario catastrophe, Trans Mountain aurait d’abord terminé une partie ou la totalité des travaux envisagés dans le pire scénario, ce qui entraînerait des coûts et prendrait du temps. Par la suite, les coûts et les échéanciers associés à la méthode de construction combinant le FDH et une tranchée à ciel ouvert classique seraient toujours requis, avec un retard possible de la construction bien au-delà des premiers mois de l’année 2025.

 

Trans Mountain a fourni les coûts et calendriers suivants pour la méthode de construction combinant le FDH et une tranchée à ciel ouvert classique proposée le long du tracé révisé en 2023[17] :

 

         Dans le meilleur scénario, le coût serait de 36,6 millions de dollars et la date d’achèvement serait janvier 2024.

         Dans le pire scénario, le coût serait de 40,8 millions de dollars et la date d’achèvement serait février 2024.

 

Trans Mountain a aussi expliqué que la poursuite du percement 2 retarderait probablement la date de mise en service du projet. Bien que la société ait indiqué que la planification d’urgence a permis jusqu’à maintenant d’atténuer plusieurs risques clés pour le projet, la première livraison de pétrole sur le réseau agrandi est prévue vers la fin du premier trimestre de 2024. Pour ce faire, la construction entre les BK 851,60 et 852,95 devrait être terminée d’ici la fin de janvier 2024. Alors qu’à l’origine, on s’attendait à ce que le percement 2 prenne environ 7,5 mois, la construction est en cours depuis la fin d’octobre 2022 et le tunnelage n’est pas encore terminé sur 800 m de la longueur totale approximative de 1,3 km.

 

Trans Mountain a indiqué que chaque mois de retard quant à la mise en service du projet se traduit par une perte de revenus d’environ 200 millions de dollars pour elle et des frais financiers d’environ 190 millions de dollars pour le projet (environ 390 millions de dollars au total). En contre-interrogatoire, la société a reconnu que les frais financiers mensuels seraient à peu près les mêmes dans les mois précédant la date de mise en service que le coût du capital dans les premiers mois suivant la date de mise en service. De plus, la société a souligné que des coûts liés à l’attente pouvaient être engagés ailleurs dans le projet et que les expéditeurs et les autres parties qui comptent sur celui-ci subiraient également des pertes pour chaque mois de retard.

 

Trans Mountain a conclu qu’il n’était plus raisonnable ni prudent de poursuivre le microtunnelage en raison des risques, des coûts et des retards importants qui en découlent.

 

En réponse à la Nation, qui a laissé entendre qu’elle retardait la progression des options de construction sans tranchée sur le site Pípsell, Trans Mountain a fait valoir qu’en plus des complexités associées à la préparation des travaux de construction d’un pipeline d’environ 1 000 km de long, sur de multiples chantiers de pose et sur plusieurs saisons de construction, et à la détermination d’une nouvelle méthode de construction dans le couloir Pípsell, plusieurs facteurs indépendants de sa volonté avaient eu une incidence sur le début de la construction sans tranchée dans le secteur (et dans l’ensemble du projet). Ces facteurs comprennent de graves inondations, des feux de forêt, et les problèmes de qualité de l’air connexes, ainsi que le début de la pandémie de COVID-19 et les pénuries et retards qui en ont résulté dans la chaîne d’approvisionnement mondiale. Trans Mountain a aussi répondu aux déclarations que la Nation a attribuées à son président et directeur général (« PDG ») lors d’une réunion avec le conseil conjoint de la Nation ayant eu lieu en juillet 2023 (voir la section 6.2.2). La société a fait remarquer qu’elle ne disposait pas d’une transcription ou d’un enregistrement de la réunion pour vérifier l’exactitude des déclarations, mais que, quoi qu’il en soit, la Nation a pris ces déclarations hors de leur contexte.

 

Trans Mountain a indiqué qu’après avoir signé l’entente sur les avantages mutuels, en octobre 2019, elle a commencé à mobiliser la Nation en novembre de la même année au sujet des exigences d’accès aux terrains pour les travaux géotechniques. De novembre 2019 à 2021, la société a évalué diverses méthodes de construction sans tranchée pour le couloir Pípsell, en tenant compte d’un certain nombre de facteurs, dont la constructibilité, les plans de nivellement, le calendrier de construction, les formations géotechniques et les questions techniques. Trans Mountain a confirmé à la Nation en octobre 2021 que le microtunnelage était une option réalisable, sous réserve d’une conception détaillée. La Nation ayant accepté cette méthode, la société a élaboré la conception finale et les plans pour le début de la construction.

 

La construction du projet sur le site Pípsell a commencé au quatrième trimestre de 2021 et devait être terminée au plus tard en mai 2023, puis être suivie de l’insertion de la conduite et des raccordements définitifs au plus tard en août 2023. Cet échéancier aurait permis de réaliser le microtunnelage dans le secteur conformément au calendrier de construction global du projet.

 

6.2.2      Point de vue de la Nation

 

Lors de la présentation orale des connaissances autochtones de la Nation, Jeanette Jules a déclaré ce qui suit :

 

En ce qui a trait aux questions économiques, aucun montant d’argent et aucune indemnisation ne vaut les trésors de notre patrimoine culturel – c’est le terme que je privilégie. Tout le monde parle d’artéfacts ou d’objets archéologiques, mais ce sont les trésors de notre patrimoine culturel, et il faut s’en occuper et les protéger. 

 

Jeanette Jules, gardienne du savoir de la Nation Stk’emlúpsemc te Secwépemc, volume 1 des transcriptions, p. 29 sur 158 du document PDF

 

La Nation a soutenu que les obligations financières de Trans Mountain relativement au projet dans son ensemble ne constituent pas et ne peuvent pas constituer une raison suffisante pour ne plus considérer le microtunnelage comme une méthode de construction viable. La Nation a ajouté que Trans Mountain n’avait pas fourni d’analyse montrant que la poursuite du percement 2 l’obligerait à engager des coûts de construction qui excèdent de façon déraisonnable ceux qui sont normalement associés au microtunnelage. Quoi qu’il en soit, les retards et les coûts plus élevés auxquels Trans Mountain fait face doivent être évalués en fonction des façons de faire de la société et du préjudice important et irréparable causé aux droits culturels et spirituels de la Nation par les perturbations de surface dans le couloir Pípsell.

 

La Nation a laissé entendre qu’après la signature de l’entente sur les avantages mutuels, si Trans Mountain avait agi avec diligence pour faire progresser les travaux de construction sans tranché et, ainsi, pour remplir ses obligations en ce qui concerne le couloir Pípsell, elle aurait probablement été en mesure de réaliser le microtunnelage sans incidence sur la date de mise en service du projet. La Nation a affirmé que la situation avait été confirmée par la société lors d’une réunion en juillet 2023 avec le conseil conjoint de la Nation et elle a fourni une citation qu’elle attribue au PDG de Trans Mountain, qui a assisté à cette réunion.

 

La Nation a fourni une chronologie de la période entre la signature de l’entente sur les avantages mutuels le 30 octobre 2019 et la décision commune des parties d’adopter une méthode de construction sans tranchée conforme à cette entente. La Nation a fait valoir que la société n’a pas présenté le microtunnelage comme méthode possible de construction sans tranchée avant le mois de juillet 2021. Les dirigeants de la Nation ont approuvé cette méthode en août 2021. La Nation a soutenu que Trans Mountain n’avait pas eu de discussions constructives avec elle pour mettre au point des méthodes de construction sans tranchée appropriées tant qu’elle n’avait pas exercé de pressions directes à cet égard. La société a déposé sa demande visant le tracé révisé en 2022, dans laquelle elle proposait la mise en œuvre du microtunnelage, après un retard d’environ deux ans à partir de la date à laquelle la Nation a retiré sa déclaration d’opposition. La Nation a soutenu qu’étant donné qu’elle ne peut pas contrôler la façon dont la société gère le budget ou le calendrier du projet, tout fardeau découlant d’un retard ne devrait pas lui être transféré ni porter atteinte à ses droits et titres.

 

6.2.3      Point de vue du caucus autochtone du CCSA

 

Le caucus autochtone du CCSA a soutenu que les facteurs relatifs aux coûts liés aux changements apportés à la date de mise en service du projet ne devraient pas l’emporter sur les engagements pris par Trans Mountain envers les communautés autochtones à l’égard des mesures visant à atténuer les effets du projet. Il existe un important déséquilibre des ressources lorsque l’on discute de mesures d’accommodement possibles, ce qui fait en sorte que les communautés autochtones comptent sur les promoteurs de projet pour s’assurer que les mesures d’atténuation convenues sont réellement mises en œuvre.

 

6.2.4      Analyse et constatations de la Commission

 

En plus de ses conclusions sur les questions techniques énoncées à la section 6.1.4, la Commission est d’avis que les facteurs économiques démontrent que la déviation est nécessaire. Plus précisément, des coûts de construction supplémentaires substantiels sont prévus pour le microtunnelage par rapport à la construction par FDH et tranchée à ciel ouvert classique. Également, le microtunnelage risquerait de retarder considérablement l’achèvement du projet, ce qui entraînerait des pertes de revenus de plusieurs centaines de millions de dollars et des répercussions secondaires sur les expéditeurs et les autres parties qui dépendent du projet.

 

La Commission a examiné attentivement la preuve présentée par Trans Mountain relativement au meilleur scénario et au pire scénario et elle accepte le fait que les coûts de microtunnelage sont susceptibles d’être plus élevés dans tous les scénarios possibles sauf le meilleur, qu’elle juge très peu probable. En d’autres termes, elle conclut que les coûts de construction futurs pour le microtunnelage seraient fort probablement beaucoup plus élevés que les coûts estimatifs pour la construction par FDH et tranchée à ciel ouvert classique. D’après l’hypothèse la plus probable quant au microtunnelage, selon laquelle cette méthode s’avérerait infructueuse (scénario catastrophe), les coûts associés à la construction par FDH et tranchée à ciel ouvert classique s’ajouteraient à une partie ou à la totalité de ceux associés au pire scénario pour le microtunnelage, dont le coût estimatif s’élève à 85,7 millions de dollars, soit à plus du double des coûts associés aux scénarios fondés sur l’utilisation du FDH et d’une tranchée à ciel ouvert classique (36,6 millions de dollars dans le cas du meilleur scénario et 40,8 millions de dollars dans le cas du pire).

 

En ce qui concerne les calendriers de construction, d’après la preuve relative aux circonstances actuelles du projet et du percement 2, la Commission est d’avis que la poursuite du microtunnelage entraînerait vraisemblablement des retards importants dans l’achèvement global du projet. Ayant conclu que le meilleur scénario pour le microtunnelage est très improbable, la Commission juge que le retard serait plausiblement d’au moins 10 mois si le microtunnelage pouvait être réalisé et d’encore plus selon le scénario catastrophe, qui envisage l’utilisation continue de cette méthode, en vain, avant un abandon éventuel en faveur d’une méthode par FDH et tranchée à ciel ouvert classique.

 

Compte tenu de l’incidence financière d’un retard dans la réalisation du projet, la Commission juge que la poursuite du microtunnelage entraînerait probablement une perte de revenus de plusieurs centaines de millions de dollars. Plus précisément, la Commission admet que Trans Mountain perdrait environ 200 millions de dollars en revenus mensuels pour chaque mois de retard lié au microtunnelage, ce qui entraînerait une perte d’environ 2 milliards de dollars dans le cas d’un retard de 10 mois. Elle fait remarquer que les retards dans l’achèvement du projet découlant de la poursuite des travaux visant le percement 2 auraient également une incidence négative sur les expéditeurs et les autres parties qui dépendent du projet.

 

En ce qui concerne les frais financiers, la Commission admet qu’environ 190 millions de dollars seraient ajoutés au coût global du projet pour chaque mois de retard, ce qui pourrait se traduire par une augmentation d’au moins 1,9 milliard de dollars du coût du projet si le microtunnelage se poursuivait. Elle juge toutefois que Trans Mountain n’a pas clairement établi pourquoi le coût des retards du projet devrait aussi comprendre des frais financiers en plus des revenus perdus, étant donné que les frais financiers mensuels avant l’achèvement du projet sont semblables au coût du capital mensuel après l’achèvement. Par conséquent, les conclusions de la Commission ci-dessus concernant les coûts des retards ne comprennent pas les frais financiers.

 

La Commission n’est pas persuadée par l’observation de la Nation selon laquelle Trans Mountain n’a pas fait progresser les travaux de construction sans tranchée avec diligence et en temps opportun, de sorte que la société elle-même est à blâmer pour les retards dans l’achèvement du projet en raison de l’utilisation du microtunnelage. En premier lieu, à la lumière des conclusions de la Commission énoncées à la section 6.1.4, il existe un doute considérable quant à la possibilité que le percement 2 ait pu être achevé, peu importe le moment de sa mise en chantier. En second lieu, la Commission juge que la preuve n’appuie pas l’affirmation de la Nation selon laquelle Trans Mountain n’a pas fait progresser les travaux de microtunnelage avec diligence. La Commission a évalué la diligence et la rapidité de la progression des travaux compte tenu de la difficulté technique des options de construction sans tranchée, des efforts déployés pour aller de l’avant en collaboration avec la Nation, de la complexité globale de l’avancement et de l’exécution du projet et d’un certain nombre d’événements importants indépendants de la volonté de Trans Mountain, dont une pandémie, des feux de forêt et de graves inondations, qui ont nui à la capacité de la société de faire avancer des parties importantes du projet. Après examen de l’ensemble de la preuve concernant les efforts déployés par Trans Mountain, ou l’absence de tels efforts, pour mettre au point des méthodes de construction qui réduisent au minimum les perturbations dans le couloir Pípsell, la Commission est persuadée que la société a agi raisonnablement et dans des délais convenables pour consulter la Nation à l’égard des options de construction, élaborer une stratégie de microtunnelage et effectuer la mise en chantier. La Commission n’est pas convaincue que la citation, attribuée par la Nation au PDG de Trans Mountain, laissait entendre autre chose relativement à l’un ou l’autre des facteurs susmentionnés.

 

En concluant que les facteurs économiques justifient la déviation, la Commission a également pris en considération l’argument de Jeanette Jules selon laquelle il n’y a pas de montant acceptable d’indemnisation pour les trésors du patrimoine culturel de la Nation. À cette fin, la Commission a soupesé un éventail de facteurs. Elle fait ainsi remarquer qu’un certain nombre de conditions relatives au projet dans son ensemble continuent de s’appliquer à ses composantes et fournissent des mesures d’atténuation pertinentes. Tel qu’il est mentionné à la section 6.3.4, Trans Mountain a mis de l’avant d’importantes mesures d’atténuation visant à protéger les trésors de patrimoine culturel recensés et à réduire les dommages qui pourraient leur être causés. De plus, compte tenu de ses constatations au sujet des questions abordées à la section 6.1.4, selon lesquelles le microtunnelage risque fort probablement d’échouer, la Commission doit aussi tenir compte du risque de perturbation supplémentaire de la surface (comme il en est question à la section 6.4.5.4) en raison de la poursuite des travaux de microtunnelage, qui pourraient avoir de plus grandes répercussions sur le site Pípsell. Enfin, la Commission ne croit pas nécessaire d’évaluer la conformité avec l’entente sur les avantages mutuels pour rendre sa décision sur la demande de déviation. Elle fait ainsi remarquer que dans cette entente, la Nation et Trans Mountain se sont penchées sur la possibilité que la construction sans tranchée s’avère impossible et ont convenu d’un cadre pour l’indemnisation financière de la Nation pour toute partie du projet où la société n’a pas recours à cette méthode dans la région.

 

6.3      Effets environnementaux et socioéconomiques

 

6.3.1      Point de vue de Trans Mountain

 

Trans Mountain a confirmé que les effets environnementaux et socioéconomiques éventuels associés à la déviation sont semblables à ceux dont il est question dans sa demande visant le projet et dans les documents connexes. La société a affirmé qu’aucune nouvelle étude ne serait requise et qu’aucune autre mesure d’atténuation n’était recommandée, outre celles qui ont été déterminées au cours des instances OH0012014 et MH-052-2018 relatives au certificat et dans les dépôts de conformité aux conditions effectués par la suite.

 

Trans Mountain a expliqué qu’elle atténuerait les effets environnementaux et socioéconomiques éventuels associés à la déviation sur le site Pípsell au moyen des stratégies et des engagements suivants.

 

         Poursuivre la mise en œuvre de toutes les mesures d’atténuation des effets environnementaux et socioéconomiques énoncées dans le PPE du pipeline.

         Mettre en œuvre les mesures d’atténuation des effets environnementaux et socioéconomiques particulières au site (déjà approuvées par la Commission) décrites dans le tableau des mesures d’atténuation propres aux ressources élaboré pour le tracé révisé en 2023 (C25972-3).

         Mettre en œuvre son plan de gestion de la conformité environnementale et son programme d’inspection environnementale et de surveillance autochtone, qui sont solides et bien établis.

         Mettre en œuvre les normes relatives à l’exécution et à la surveillance des travaux de remise en état auxquelles elle s’était conformée pour ses travaux de construction dans le parc national Jasper.

         Réduire considérablement les perturbations dans l’ensemble grâce aux mesures suivantes :

o   avoir recours à des pratiques qui réduisent le nivellement et causent peu de perturbations (p. ex., plateformes sur les chemins d’accès et les aires de travail, lorsque c’est possible);

o   utiliser les chemins d’accès existants dans la mesure du possible;

o   mettre en place le FDH sur environ 455 m du tracé révisé en 2023;

o   réduire l’empreinte de construction classique par tranchée à ciel ouvert à 25 ou 30 m pour la plus grande partie du tracé révisé en 2023.

         Remplir ses obligations aux termes de l’entente sur les avantages mutuels, en particulier celles qui ont trait aux mesures d’atténuation.

 

Trans Mountain a indiqué avoir déjà mené des études archéologiques poussées dans la zone de la déviation et que cette zone avait fait l’objet d’études dans le passé relativement à d’autres projets. Au cours de l’élaboration du projet, de nombreuses visites des lieux ont été réalisées avec des Aînés et des gardiens du savoir de la Nation afin de relever les utilisations des terres à des fins traditionnelles et les éléments d’importance culturelle.

 

Trans Mountain s’est aussi engagée à parcourir le tracé à pied avec les gardiens du savoir de la Nation avant le début des travaux[18]. La société a confirmé qu’elle éviterait les éléments culturels propres au site et les sites archéologiques dans les limites du site Pípsell et elle a précisé qu’il n’y avait aucun monticule funéraire connu le long du tracé révisé en 2023. En réponse aux observations de la Nation au sujet de deux éléments d’importance culturelle à proximité de la zone de perturbation du projet de déviation (dont un arbre directionnel dans l’empreinte de construction proposée), Trans Mountain a assuré que tous les éléments d’importance culturelle relevés par la Nation seraient évités et protégés pendant la construction. L’arbre directionnel se trouve dans la partie de la déviation qui serait construite par FDH et il serait évité grâce à l’installation du pipeline sans perturbation de la surface dans cette zone.

 

Trans Mountain a indiqué avoir établi dans son PPE une marche à suivre en cas de découverte fortuite qui, dans bien des cas, permet de traiter ce type de découverte assez rapidement et à relativement peu de frais. Quant à ses processus, Trans Mountain a indiqué qu’en cas de découverte d’un élément ou d’un artéfact ayant une valeur culturelle ou archéologique, les travaux sont interrompus, une zone tampon est mise en place dans les environs et la consultation de la communauté autochtone susceptible d’être touchée est déclenchée. D’autres travaux archéologiques sont ensuite menés par les archéologues autorisés, en collaboration avec les communautés autochtones touchées.

 

Trans Mountain a fait remarquer que les surveillants autochtones de la Nation ont une connaissance de première main du secteur. Ils ont aussi une responsabilité importante de communication, grâce au lien direct qu’ils entretiennent avec la communauté qu’ils représentent, et un rôle à jouer pour ce qui est de faire appel à Trans Mountain, au besoin, relativement à toute nouvelle question ou préoccupation.

 

6.3.2      Point de vue de la Nation

 

La Nation soutient que le site Pípsell est un refuge pour le cerf, l’orignal et d’autres mammifères, amphibiens, oiseaux et reptiles qui revêtent une importance culturelle et spirituelle pour ses membres et sont essentiels à la résilience des écosystèmes. Les Secwépemc utilisent aujourd’hui encore le site pour la chasse, la pêche et la récolte de plantes. Le site Pípsell se trouve dans une zone de transition importante comprenant des prairies, des milieux humides et une biodiversité végétale importante et comptant environ 130 espèces dont les Secwépemc se servent depuis toujours. Les membres de la Nation sont tenus de protéger les terres et les ressources pour la prochaine génération. Compte tenu de l’importance du site Pípsell sur le plan écologique, y compris de la diversité de la flore et de la faune qu’on y trouve, la conservation du lieu est de la plus haute importance pour l’intégrité des pratiques culturelles et économiques de la Nation.

 

Il n’y a que quatre arènes de reproduction où ils se rendent et viennent parader au printemps, et Pípsell est l’un de ces endroits. Nous devons nous assurer de veiller sur tout ça. Les cerfs dans cette zone sont plus gros que n’importe où ailleurs, et c’est parce que la zone est protégée et qu’on s’en occupe. C’est là que les biches vont vêler, parce que c’est un lieu tranquille, à l’abri de toutes les autres zones. Il y a là des prairies – partout sur le territoire Secwepemcúlucw, les prairies étaient nombreuses. Il reste très peu d’endroits où on trouve encore nos prairies, nos herbes indigènes et dont on peut s’occuper.

 

Jeanette Jules, gardienne du savoir de la Nation Stk’emlúpsemc te Secwépemc, volume 1 des transcriptions, pp. 28 et 29 sur 158 du document PDF

 

La Nation estime que l’importance culturelle et spirituelle du couloir Pípsell ne peut pas être limitée artificiellement à un seul site archéologique, que le site Pípsell dans son ensemble est sacré. Pour la Nation, la terre est sacrée et constitue la source du droit Secwépemc. De plus, la gardienne du savoir a relevé deux éléments d’importance culturelle à proximité de la zone de perturbation associée à la déviation : un monticule funéraire à moins de 10 m d’une aire de travail temporaire aménagée pour le FDH et un arbre directionnel situé dans les limites de l’aire de travail supplémentaire requise pour la tranchée à ciel ouvert classique.

 

La Nation a soutenu que la présence de surveillants autochtones pour être témoins de la perturbation ou de la destruction de la partie restante du couloir Pípsell n’atténuerait en rien les dommages ainsi causés. De l’avis de la Nation, il n’existe aucune stratégie d’atténuation envisageable pour les dommages importants et irréparables qu’elle subirait en raison de l’utilisation d’une méthode de construction combinant le FDH et une tranchée à ciel ouvert classique dans le couloir Pípsell.

 

6.3.3      Point de vue du caucus autochtone du CCSA

 

Le caucus autochtone du CCSA ne partage pas la confiance de Trans Mountain, qui estime être en mesure d’atténuer les dommages aux sites d’importance culturelle lorsqu’elle a recours à des méthodes de construction avec tranchée. La société aurait plutôt grandement sous-estimé le nombre de sites d’importance pour les communautés autochtones dans d’autres sections où ont lieu des travaux de construction. D’après l’expérience des surveillants autochtones au sein du CCSA, la possibilité de découvertes fortuites et de perturbation de sites d’importance est probablement plus importante qu’on ne le suppose actuellement si d’autres méthodes de construction avec tranchée étaient autorisées sur le site Pípsell.

 

6.3.4      Analyse et constatations de la Commission

 

La Commission est convaincue qu’aucune autre étude n’est requise et que la demande de déviation ne modifie pas les conclusions de l’évaluation environnementale et socioéconomique réalisée par l’Office dans le cadre de l’instance relative au certificat pour le projet, notamment que les effets relevés peuvent être contrés au moyen de mesures d’atténuation appropriées. Pour arriver à cette conclusion, la Commission ne perd pas de vue que le tracé révisé en 2023 se trouve dans le couloir pipelinier approuvé, qu’il suit le même parcours que le tracé d’origine approuvé par la Commission en avril 2020 et qu’aucun autre effet environnemental ou socioéconomique n’a été relevé dans la demande de déviation.

 

La Commission prend acte des préoccupations de la Nation décrites à la section 6.3.2 au sujet de la perturbation possible d’éléments importants sur le plan culturel et de l’importance que la Nation accorde au site Pípsell dans son ensemble. Le caucus autochtone du CCSA a évoqué les préoccupations concernant les découvertes fortuites dans sa lettre de commentaires. Toutefois, la Commission estime que les renseignements fournis par la Nation n’équivalent pas à de nouveaux effets environnementaux ou socioéconomiques qui n’auraient pas été pris en compte dans le cadre des instances antérieures relatives au projet. La Commission fait remarquer que pendant l’instance, Trans Mountain a fait montre d’une bonne connaissance des ressources archéologiques dans le secteur due en partie à son étroite collaboration avec les Aînés, les gardiens du savoir et les surveillants autochtones de la Nation pendant plusieurs années en lien avec le projet. De plus, la Commission relève que les mesures d’atténuation mises en évidence par Trans Mountain, dont celles décrites à la section 6.3.1, sont robustes et suffisantes pour contrer les effets environnementaux et socioéconomiques éventuels de la déviation proposée. La Commission relève également que bon nombre des mesures d’atténuation prévues ont été établies à titre de conditions contraignantes dans le cadre des instances réglementaires antérieures visant le projet et qu’elles s’appliquent toujours à la déviation, soit :

 

         toutes les mesures décrites dans le PPE du pipeline (condition 72 du certificat OC-065), dont :

o   les mesures particulières déjà approuvées qui sont décrites dans le tableau des mesures d’atténuation propres aux ressources élaboré pour le tracé révisé en 2023;

o   la marche à suivre et le processus de Trans Mountain en cas de découverte fortuite;

         le plan de gestion du bruit de Trans Mountain pour les sites de FDH sans habitations à proximité (condition 74 du certificat OC-065);

         le programme d’inspection environnementale et de surveillance autochtone de Trans Mountain (qui découle de la condition 98 du certificat OC-065).

 

La Commission s’attend à ce que Trans Mountain satisfasse à toutes les conditions et remplisse tous ses engagements visant à réduire au minimum les effets environnementaux et socioéconomiques de la déviation. Consacrer le temps et les ressources nécessaires pour collaborer avec les surveillants autochtones sur le chantier de construction, éviter les éléments culturels et les sites archéologiques connus, parcourir à pied le tracé avec les gardiens du savoir de la Nation avant la construction et respecter les marches à suivre et les processus rigoureux décrits par Trans Mountain en cas de découverte fortuite figurent parmi les mesures prévues.

 

Les effets éventuels de la déviation sur les droits des peuples autochtones, qui sont distincts des effets éventuels découlant de questions environnementales et socioéconomiques, sont abordés à la section 6.4.

 

6.4      Droits et intérêts des peuples autochtones

 

6.4.1      Mobilisation des peuples autochtones par Trans Mountain

 

Tout au long de l’instance, nombre d’observations ont été présentées au sujet des activités de mobilisation menées par Trans Mountain auprès de la Nation concernant la demande de déviation et le projet de manière plus générale sur le site Pípsell. Dans le cadre du processus de mobilisation général de Trans Mountain et à la suite de négociations entre les parties, la Nation et la société ont conclu, le 30 octobre 2019, une entente privée sur les avantages mutuels pour certaines parties du projet qui seraient construites sur des terrains dans lesquels la Nation détient un intérêt. Cette entente vise à favoriser une relation positive, collaborative et à long terme entre la Nation et Trans Mountain afin de promouvoir et de soutenir les intérêts de la Nation et d’apporter de la certitude au projet.

 

Tel qu’il est indiqué à la section 4, l’entente sur les avantages mutuels a été déposée auprès de la Commission à titre confidentiel. Les deux parties étaient d’avis que la Commission ne devrait pas interpréter ou appliquer de façon exhaustive l’entente sur les avantages mutuels pour rendre une décision sur la demande de déviation. Toutefois, comme il est mentionné tout au long de la section 6, les parties ont cité l’entente dans leurs observations écrites et orales et ont avancé diverses façons dont la Commission devrait en tenir compte.

 

6.4.1.1      Point de vue de Trans Mountain

 

Tel qu’il est indiqué à la section 3.3.3, Trans Mountain a transmis un avis écrit au sujet du tracé révisé en 2023 à toutes les communautés autochtones dont les territoires traditionnels sont touchés tant par le tracé révisé en 2022 que par le tracé révisé en 2023. Seule la Nation a exprimé des préoccupations au sujet du tracé révisé en 2023.

 

Trans Mountain a déposé un résumé de ses activités de mobilisation auprès de la Nation pour la période du 18 octobre 2019 au 9 août 2023. Celui-ci faisait état des dates et modes de communication (courriels, réunions, appels téléphoniques), de renseignements sur les visites des lieux et des sujets abordés (méthodes de construction sans tranchée, viabilité du microtunnelage, emplacements des travaux de construction, événements environnementaux, financement de la capacité, difficultés liées à la construction sans tranchée, difficultés et frustrations liées au calendrier, plans d’urgence et options).

 

Trans Mountain a également fourni une chronologie générale de ses activités de mobilisation auprès de la Nation concernant la construction du projet sur le site Pípsell. À propos de ses activités de mobilisation à l’égard de la demande de déviation, Trans Mountain a notamment fait remarquer ce qui suit.

 

         Après avoir rencontré d’importantes difficultés pour le percement 2 et tenté sans succès d’y remédier, Trans Mountain a commencé à communiquer avec la Nation le 4 mai 2023 au sujet des difficultés associées à cette section de percement par microtunnelage.

         Entre mai et juillet 2023, Trans Mountain a déployé des efforts considérables pour discuter avec le conseil conjoint et les conseillers techniques de la Nation des difficultés rencontrées au moment d’entreprendre des travaux de construction sans tranchée dans le couloir Pípsell et de la stratégie d’atténuation de la société. Les dirigeants de la Nation et ceux de Trans Mountain se sont rencontrés le 6 juillet 2023.

         Le 24 juillet 2023, Trans Mountain a remis une ébauche de sa demande de déviation à la Nation afin que celle-ci l’examine et la commente, et s’est engagée à l’aviser avant de la déposer.

         Le 27 juillet 2023, Trans Mountain a participé à une visite du site avec le personnel de la Nation pour examiner les travaux de microtunnelage en cours dans tout le couloir Pípsell. Les représentants de la Nation ont refusé de voir la zone où des travaux à ciel ouvert classiques étaient proposés.

         Le 3 août 2023, Trans Mountain a avisé les dirigeants de la Nation qu’elle déposerait la demande de déviation sous peu et a indiqué qu’elle demeurait déterminée à dialoguer de bonne foi avec la Nation pour la suite.

         Le 4 août 2023, la Nation a informé Trans Mountain qu’à la lumière de son examen documentaire, elle considérait que le microtunnelage demeurait une option de construction viable et ne voyait pas la nécessité de la demande de déviation.

         Le 9 août 2023, Trans Mountain a envoyé une lettre à la Nation indiquant que, malgré les difficultés rencontrées, elle demeurait convaincue qu’environ 80 % des travaux dans le couloir Pípsell seraient effectués sans tranchée.

 

Trans Mountain a fait valoir que dans le cadre de ses activités de mobilisation, elle a travaillé en étroite collaboration et de façon proactive avec la Nation et a placé la priorité sur la réduction au minimum des effets de la construction du projet sur les terres du site Pípsell et les valeurs culturelles de la Nation conformément à l’entente sur les avantages mutuels. La société a indiqué que c’est pour cette raison qu’elle a convenu d’effectuer des travaux de construction sans tranchée dans les limites du site Pípsell, dans la mesure du possible, pris des mesures coûteuses pour surmonter les difficultés liées au microtunnelage et proposé une série de mesures d’atténuation pour la déviation proposée.

 

En ce qui concerne la demande de déviation, Trans Mountain a souligné que la Nation avait choisi de ne pas discuter d’une solution de rechange au microtunnelage pour le tracé révisé en 2023. En mentionnant ce fait, Trans Mountain faisait valoir que la mobilisation est un exercice à deux sens et que le refus de la Nation de dialoguer avec elle sur ces questions ne démontre d’aucune façon une lacune dans le processus de la société. Trans Mountain a plutôt cité différentes sources faisant autorité soutenant la proposition selon laquelle les communautés autochtones ne peuvent pas refuser de participer de bonne foi au processus de consultation, ou ne s’engager qu’en partie dans ce processus et ensuite laisser entendre que les consultations de la Couronne étaient inadéquates.

 

Trans Mountain a affirmé qu’elle demeurait déterminée à poursuivre ses activités de mobilisation auprès de la Nation relativement à l’exécution des travaux liés au tracé révisé en 2023, ainsi qu’à trouver des occasions d’améliorer ses pratiques de mobilisation actuelles. Elle a mentionné expressément ses pratiques actuelles de collaboration avec les spécialistes, gardiens du savoir et archéologues de la Nation, l’emploi de surveillants autochtones de la Nation et la mobilisation de celle-ci au sujet de la mise en œuvre de mesures de contingence liées au FDH (au besoin).

 

6.4.1.2      Point de vue de la Nation

 

La Nation a présenté la chronologie ci-après pour les activités de mobilisation de Trans Mountain sur la demande de déviation.

 

         Lors d’une rencontre avec Trans Mountain le 27 avril 2023, la société a soulevé certaines difficultés techniques liées au microtunnelage mais a indiqué que sa confiance dans le microtunnelage comme méthode de construction viable demeurait « très élevée ».

         Lors d’une rencontre avec Trans Mountain le 25 mai 2023, la société a informé la Nation que le creusement par microtunnelage était probablement impossible pour le reste du programme de forage proposé dans le couloir Pípsell. Trans Mountain a proposé plusieurs options de rechange, avec tranchée à ciel ouvert.

         Après la rencontre du 25 mai 2023, la Nation et Trans Mountain ont échangé plusieurs lettres concernant les engagements de la société à effectuer des travaux de microtunnelage dans le couloir Pípsell.

         Lors d’une rencontre avec Trans Mountain le 14 juin 2023, l’équipe technique de la société a communiqué des renseignements nouveaux et pertinents sur la faisabilité technique et économique du microtunnelage dans le couloir Pípsell.

         Le 16 juin 2023, la Nation a envoyé une lettre à Trans Mountain l’informant que ses membres continuaient d’avoir d’importantes préoccupations au sujet des effets sur le couloir Pípsell et qu’ils n’accepteraient pas que la société ne s’acquitte que partiellement de son obligation d’utiliser le microtunnelage.

         Lors d’une réunion de dirigeants de la Nation et de Trans Mountain le 6 juillet 2023, la société a déclaré qu’il n’était plus possible de terminer la construction au moyen du microtunnelage. La Nation a répété qu’elle s’opposait à toute perturbation ou destruction des terres dans le couloir Pípsell, car cela contreviendrait à ses obligations sacrées et légales de protéger ses ancêtres. La Nation a réitéré que la remise en état ne corrigerait pas les dommages causés par la perturbation des terres sur ce site sacré.

 

La Nation a fait valoir que depuis 2019, elle et Trans Mountain communiquent au sujet de la méthode de construction à employer dans le couloir Pípsell. La Nation soutient que pendant tout ce temps, elle a soutenu qu’elle n’accepterait ni n’autoriserait de méthodes de construction qui risquent de perturber ou d’endommager le couloir Pípsell. La Nation a affirmé que tout appui ou consentement qu’elle a accordé par le passé relativement au projet était fondé sur des conditions qui protègent explicitement le couloir Pípsell contre les perturbations ou les dommages.

 

Pendant le contre-interrogatoire, le témoin de la Nation a confirmé que celle-ci n’avait eu aucune discussion avec Trans Mountain sur les mesures d’atténuation possibles relatives à la méthode de construction proposée combinant le FDH et une tranchée à ciel ouvert classique. Cependant, la Nation a soutenu que son refus de discuter des méthodes de rechange ou de la demande de déviation ne constituait pas un refus de discuter. Elle se concentrait simplement sur le microtunnelage comme mesure d’atténuation devant se poursuivre au lieu de consacrer ses ressources et sa capacité à l’examen d’une option avec laquelle elle n’était pas d’accord.

 

La Nation a souligné que la demande de déviation ne constitue pas un processus de collaboration entre elle et Trans Mountain. En dépit des efforts déployés par la Nation pour collaborer avec Trans Mountain afin de résoudre la question de la méthode de construction dans le couloir Pípsell, la société a déposé la demande de déviation sans l’appui ou le consentement de la Nation.

 

6.4.2      Consultation des peuples autochtones par la Régie

 

Les tribunaux d’archives, tels que la Commission, exercent les fonctions et pouvoirs que leur confère leur loi constitutive, conformément, d’une part, à leur mandat et, d’autre part, aux dispositions de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de toute autre loi applicable. Le cadre de réglementation à partir duquel la Commission rend des décisions peut offrir aux peuples autochtones un moyen pratique et efficace de faire part de leurs préoccupations et de rechercher une solution au sujet des conséquences éventuelles du projet sur leurs droits ancestraux ou issus de traités et leurs intérêts, pour que l’auteur d’une demande ou la Commission en tienne compte.

 

La Commission a conçu le processus relatif à la demande de déviation conformément aux principes de l’équité procédurale et dans une optique de transparence, d’accessibilité, de souplesse et de sensibilité aux besoins des parties, dont la Nation en tant que nation ayant des droits. À cette fin, la Commission a établi les étapes du processus de manière à permettre une consultation significative et la participation de la Nation, notamment :

 

         La Nation a été avisée des occasions de faire part de ses préoccupations à la Commission, y compris de la possibilité de proposer des mesures d’atténuation autres que celles définies par Trans Mountain, si la Commission devait approuver la demande de déviation.

         Un conseiller en processus a été désigné pour répondre aux questions d’ordre procédural.

         Les parties ont pu présenter des observations écrites.

         Les parties ont pu s’adresser des DR les unes aux autres.

         L’audience orale a été reportée et prolongée pour donner aux parties le temps de bien se préparer et permettre à l’experte en patrimoine culturel et gardienne du savoir de la Nation d’être présente.

         Une audience orale de trois jours s’est tenue au cours de laquelle la Commission a entendu la présentation orale des connaissances autochtones de la Nation ainsi que le contre-interrogatoire et la plaidoirie des parties.

 

6.4.2.1      Point de vue de Trans Mountain

 

Trans Mountain a reconnu que la prise en compte par la Commission de l’intérêt public dans les circonstances entourant la demande de déviation exige qu’elle s’assure que la Couronne s’est acquittée de son obligation constitutionnelle de consulter et, s’il y a lieu, de prendre des mesures à l’égard des intérêts des peuples autochtones dont les droits ancestraux et issus de traités établis pourraient être touchés de manière préjudiciable par la décision de la Commission. La société a aussi reconnu qu’une décision qui viole les droits des peuples autochtones ne peut pas être dans l’intérêt public. De plus, elle a cité différentes sources faisant autorité pour appuyer la proposition selon laquelle les peuples autochtones n’ont pas de droit de veto sur les décisions de la Couronne.

 

6.4.2.2      Point de vue de la Nation

 

La Nation a fait valoir qu’en tant qu’agent de la Couronne, la Régie a l’obligation constitutionnelle de consulter et d’accommoder les communautés autochtones. La section 6.4.4.2 décrit les raisons pour lesquelles la Nation revendique ses droits. Comme il en est question à la section 6.4.3, la Nation a soutenu que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (« Loi sur la Déclaration des Nations Unies ») reflète un changement dans le contexte dans lequel les obligations de la Couronne envers les nations autochtones sont considérées.

 

6.4.3      Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

 

En 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (« Déclaration des Nations Unies »), qui établit les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde entier. En 2016, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il appuyait sans réserve la Déclaration des Nations Unies.

 

La Loi sur la Déclaration des Nations Unies est entrée en vigueur le 21 juin 2021. L’article 4 de cette loi précise qu’elle a pour objet de confirmer que la Déclaration des Nations Unies constitue un instrument international universel en matière de droits de la personne, qui trouve application en droit canadien, et d’encadrer la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies par le gouvernement du Canada.

 

La LRCE, qui est entrée en vigueur en 2019, compte elle aussi plusieurs dispositions sur les obligations de la Régie de tenir compte des droits des peuples autochtones. Parmi ces dispositions figurent des mentions, dans le préambule de la loi, de l’engagement du gouvernement fédéral à l’égard de la Réconciliation et de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies, ainsi que du mandat de l’organisme de réglementation, qui comprend l’obligation d’exercer ses attributions de manière à respecter les engagements du gouvernement à l’égard des droits des peuples autochtones[19].

 

Bien que plusieurs articles de la Déclaration des Nations Unies aient été mentionnés au cours de l’instance, les observations des parties ont porté principalement sur ce qui suit :

 

         l’autodétermination (articles 3 et 4);

         les terres, les ressources et leur mise en valeur (article 26);

         le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (articles 19 et 32).

 

Les observations de la Nation renvoyaient également à des articles sur les sujets suivants :

 

         le droit de conserver, de protéger et de développer des sites archéologiques et historiques (article 11);

         le droit d’entretenir et de protéger les sites religieux et culturels et d’y avoir accès en privé (article 12);

         le droit de participer à la prise de décisions (articles 3 à 5, 10 à 12, 14, 15, 17 à 19, 22, 23, 26 à 28, 30 à 32, 36, 38, 40 et 41).

 

6.4.3.1      Point de vue de Trans Mountain

 

Trans Mountain a soutenu que la Déclaration des Nations Unies ne se substitue pas aux critères juridiques contenus dans les lois canadiennes qui doivent servir à déterminer si la Couronne a une obligation de consulter dans certaines circonstances ou les particularités de celle-ci. Même après l’adhésion du Canada à la Déclaration des Nations Unies, les tribunaux ont réitéré que celle-ci ne confère pas de droit de veto aux communautés autochtones. Sur la question du consentement, Trans Mountain a fait valoir que le concept du « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » ne constitue pas une exigence juridique au Canada. Malgré cela, la société a affirmé que l’entente sur les avantages mutuels qu’elle a conclue avec la Nation est la preuve que cette dernière a donné son consentement et son appui au projet sur le site Pípsell. De l’avis de Trans Mountain, le texte de l’entente sur les avantages mutuels constitue la preuve du consentement de la Nation au projet et le fondement de ce consentement. Le consentement démontré au moyen de l’entente sur les avantages mutuels ne reposait pas, selon Trans Mountain, sur le recours à une méthode de construction particulière.

 

Trans Mountain a toutefois soutenu que l’entente sur les avantages mutuels n’a aucune incidence sur le cadre juridique qui s’applique à la décision de la Commission relative à la demande de déviation.

 

6.4.3.2      Point de vue de la Nation

 

La Nation a soutenu que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies applique les normes de la Déclaration des Nations Unies aux relations de la Couronne avec les peuples autochtones et à son interprétation du droit canadien. À cette fin, elle a fait valoir que cette loi exige de la Régie, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués en vertu de la LRCE, qu’elle adopte des positions fermes fondées sur la confirmation significative des droits à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale.

 

La Nation a souligné que le paragraphe 56(1) de la LRCE stipule que la Commission doit, lorsqu’elle rend une décision ou une ordonnance (notamment au titre de l’article 211 de cette loi), tenir compte des effets préjudiciables que la décision ou l’ordonnance peut avoir sur les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Nation a soutenu que l’obligation de la Commission aux termes de l’article 56 de la LRCE doit être interprétée dans l’optique de la Déclaration des Nations Unies à la lumière de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies. Cela nécessiterait une reconnaissance véritable du droit à l’autodétermination et sa prise en compte tout au long de l’examen par la Commission des effets préjudiciables éventuels que sa décision concernant la demande de déviation pourrait avoir sur les droits de la Nation.

 

De l’avis de la Nation, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies exigerait en outre que la Couronne obtienne des peuples autochtones leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause à l’égard de projets ou de mesures qui toucheraient leurs terres. La Nation a cité les articles 19, 26 et 32 de la Déclaration des Nations Unies à l’appui de cette position. Elle a affirmé que même si l’entente sur les avantages mutuels est le mécanisme qui démontre l’appui et le consentement de la Nation au projet, cette entente seule ne permet pas de déduire que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause a été obtenu de la Nation. La Nation a expliqué que dans le cas de la demande de déviation, elle a déterminé que les seuils établis dans l’entente sur les avantages mutuels n’ont pas été respectés et que son consentement n’a pas été donné autrement. Par conséquent, la Nation n’a pas donné son consentement préalable, librement et en connaissance de cause. Elle a soutenu que la demande de déviation a été déposée sans son appui ou son consentement et qu’elle contrevient aux droits que lui garantit la Déclaration des Nations Unies.

 

La Nation a fait savoir que si la Commission approuvait la demande de déviation sans son consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause conformément aux articles 19, 26 et 32 de la Déclaration des Nations Unies, cela porterait préjudice à l’impératif constitutionnel de la Réconciliation.

 

6.4.4      Effets sur les droits des peuples autochtones du Canada

 

6.4.4.1      Point de vue de Trans Mountain

 

Efforts déployés par Trans Mountain pour réduire au minimum les perturbations en surface au site Pípsell

 

Trans Mountain a affirmé apprécier et reconnaître l’importance culturelle du site Pípsell pour la Nation, qui revêt une grande valeur aux yeux des générations passées, actuelles et futures. Au-delà des vastes activités de mobilisation menées par la société, l’entente sur les avantages mutuels conclue par les deux parties illustre bien l’importance accordée au site.

 

Trans Mountain a attiré l’attention sur les mesures précises qui suivent afin de montrer qu’elle comprend toute l’importance culturelle du site Pípsell pour la Nation.

 

         De façon proactive, elle a travaillé en étroite collaboration avec la Nation en accordant la priorité aux valeurs culturelles de cette dernière pour réduire au minimum les effets des travaux sur le site Pípsell.

         Dans la mesure du possible et des moyens à sa disposition, elle a convenu de procéder sans tranchée à l’intérieur des limites du couloir Pípsell.

         Afin de chercher à surmonter les difficultés qui se sont présentées avec le microtunnelage, elle a pris certaines mesures coûteuses.

         À l’égard de la déviation proposée, elle a proposé une large palette de mesures d’atténuation, y compris celles mentionnées dans la réponse à la DR no 1.1 de la Commission.

         Au moyen de l’entente sur les avantages mutuels, elle a établi une formule précise en vue d’indemniser financièrement la Nation en ce qui a trait à toute partie de la construction du projet dans le couloir Pípsell qui ne pourrait se faire sans tranchée.

 

Trans Mountain a ajouté que même si des efforts ont été déployés pour limiter dans la mesure du possible les perturbations en surface, il est arrivé que dans le couloir Pípsell et le site en général, certaines étaient requises et ont été acceptées par la Nation. Plus précisément et pour ne donner que quelques exemples, la société a fait remarquer que dans le couloir, la Nation a accepté des perturbations liées à 28 trous de forage géotechnique, six plateformes pour le forage du tunnel et cinq chemins requis. Avec le soutien de la Nation, des travaux de construction à ciel ouvert ont également été entrepris en certains autres lieux du site Pípsell.

 

Perturbations liées au tracé révisé en 2023 et sur le site Pípsell

 

Lors des échanges sur les effets éventuels du tracé révisé en 2023, Trans Mountain a fait valoir que toutes les nouvelles perturbations dans le couloir Pípsell se produiraient sur des terrains privés déjà perturbés. De plus, elle a fait remarquer que les perturbations existantes sur le site Pípsell (par opposition au couloir) sont notamment le résultat d’activités minières, de l’aménagement de chemins d’accès, du pacage et de l’élevage de bétail ou d’améliorations à des terres de pâturage utilisées depuis longtemps (comme la pose de clôtures), de la canalisation 1 de Trans Mountain et des travaux de construction en cours déjà acceptés par la Nation.

 

La société a reconnu que si la demande de déviation était approuvée, les travaux occasionneraient alors des perturbations supplémentaires à l’intérieur des limites de l’empreinte de construction. Toutefois, les pratiques de remise en état à une capacité équivalente adoptées par Trans Mountain permettraient de corriger la situation et de continuer d’utiliser les terres comme c’est le cas actuellement.

 

Trans Mountain a soutenu qu’il n’existe aucune preuve crédible ou fiable à l’effet que la déviation causerait un préjudice important et irréparable comparativement aux autres perturbations sur le site Pípsell, expressément acceptées par la Nation. Bien que cette dernière ait déposé une preuve écrite concernant les effets relatifs de la déviation, ses témoins à l’audience orale n’étaient pas des membres de la communauté et n’ont pas été en mesure de répondre aux questions sur cette preuve ni sur les effets éventuels dont elle fait état.

 

Autres facteurs à considérer

 

En réponse à la DR no 2.3 de la Commission, Trans Mountain a comparé les perturbations en surface associées au FDH et à la tranchée à ciel ouvert classique avec les méthodes de construction propres au microtunnelage.

 

Méthode de construction

Nouvelle surface perturbée (ha)[20]

Meilleur scénario

Pire scénario

Microtunnelage

0

1,5

FDH et tranchée à ciel ouvert classique

2,4

3,0

 

Trans Mountain a fait valoir que si elle persévère avec le microtunnelage mais que ses tentatives finissent toutes par échouer, de nouvelles perturbations en surface seraient alors à prévoir pour achever la construction à l’aide d’une autre méthode. C’est ainsi que dans le scénario catastrophe, les perturbations en surface associés au microtunnelage s’ajouteraient à celles prévues pour le FDH et la tranchée à ciel ouvert classique (c.-à-d. que des perturbations de 1,50 ha attribuables au microtunnelage se grefferaient aux terrains perturbés d’une superficie de 2,40 ha (meilleur scénario) ou de 3,00 ha (pire scénario) découlant du FDH et de la tranchée à ciel ouvert classique).

 

Enfin, en examinant la mesure dans laquelle les lois de la Nation devraient s’appliquer à l’analyse de la Commission, Trans Mountain a fait valoir que cette dernière n’a pas compétence pour modifier ses propres exigences législatives, que ce soit pour des raisons de droit autochtone ou autres.

 

6.4.4.2      Point de vue de la Nation

 

La Nation a fait valoir que du site Pípsell émanait une partie de ses lois et de sa gouvernance. Elle a donc l’obligation juridique et spirituelle d’en assurer la protection. L’utilisation du site doit être limitée pour préserver l’endroit et favoriser son épanouissement, ce qui permettra au peuple Secwépemc de poursuivre le plein exercice de ses droits et de sa culture.

 

Nos enfants doivent apprendre nos chansons, danses, stseptékwlls et stsptekwle, ce qui ne peut leur être enseigné qu’à l’endroit exact où se trouvent les stseptékwlls et stsptekwle. Vous pouvez leur raconter toute l’histoire, mais ce n’est pas la même chose que d’être physiquement sur le terrain.

 

Jeanette Jules, gardienne du savoir de la Nation Stk’emlúpsemc te Secwépemc, volume 1 des transcriptions, p. 28 sur 158 du document PDF

 

La Nation fait état de droits et de responsabilités à l’égard d’une existence culturelle ininterrompue ainsi que de l’intégrité de la culture, des lois, de la langue, des pratiques culturelles et du mode de vie du peuple Secwépemc, qui sont autant d’éléments indissociables de ses terres et de ses ressources, notamment sur le site Pípsell. Elle fait en outre valoir le droit et la responsabilité d’assurer la santé du peuple Secwépemc, maintenant et à l’avenir, ce qui comprend la nécessité de prendre soin de ce site.

 

Mais Pípsell est éminemment inviolable pour nous, car c’est la scène d’une des histoires expliquant nos origines. Si quoi que ce soit est détruit à cet endroit, c’est alors un pan du peuple Secwépemc qui s’écroule du fait que Stk’emlúpsemc y entretient le feu sacré de la vie au nom de toute la Nation, comme c’est le cas pour tous les lieux où d’autres doivent garder les feux allumés.

 

Jeanette Jules, gardienne du savoir de la Nation Stk’emlúpsemc te Secwépemc, volume 1 des transcriptions, p. 27 et 28 sur 158 du document PDF

 

La Nation a soutenu que l’obligation de préserver le site Pípsell et d’en assurer l’intendance a toujours été sa principale préoccupation relativement au projet, ce qui est encore le cas d’ailleurs. Toute forme de construction occasionnant d’importantes perturbations est incompatible avec la préservation du site en tant qu’aire sacrée permettant à la Nation d’exercer ses lois, sa gouvernance et ses droits inhérents. Plus précisément, le recours au FDH et à une tranchée à ciel ouvert classique est inacceptable dans le couloir Pípsell, car cela serait à l’origine d’importants dommages et de perturbations à ce site sacré, ce qui contrevient directement à la loi Secwépemc. Ensemble, FDH et tranchées à ciel ouvert classiques occasionneraient des perturbations bien plus grandes que les méthodes sans tranchée en raison des excavations pratiquées et de l’aire de dépôt requise pour l’insertion de la conduite dans le trou de forage.

 

Les tentatives d’assainissement sous forme de « mesures d’atténuation » ne sont pas possibles sur le plan spirituel, ne sont pas responsables sur le plan environnemental et ne sont pas légalement acceptables selon les lois ou préceptes juridiques de la Nation.

 

Connaître la terre c’est y marcher et moi-même je la connais parce que j’y ai marché. Je m’y suis assise. Je m’y suis couchée. J’y ai célébré des cérémonies. De tels lieux foisonnent tout le long du couloir et qu’ils soient destinés à la prière ou à la vénération des ancêtres, par exemple, il faut prendre soin de chacun. C’est ce qui importe. Si vous creusez une tranchée à ciel ouvert […] et détruisez ainsi des choses, comment allez-vous remettre ces choses en place? Que vous parliez de remise en état des lieux, de remédiation ou d’assainissement, peu importe, on sait très bien qu’on ne peut pas remplacer ce qui serait détruit.

 

Jeanette Jules, gardienne du savoir de la Nation Stk’emlúpsemc te Secwépemc, volume 1 des transcriptions, p. 33 et 34 sur 158 du document PDF

 

La Nation considère que la déviation proposée aurait un effet négatif direct et important sur elle, tout comme sur la capacité des générations actuelles ou futures d’exercer leurs droits inhérents reconnus à l’échelle internationale et protégés en vertu de la loi constitutionnelle. L’approbation de la demande de déviation ferait obstacle à l’exercice des droits de la Nation, qui ne pourrait par ailleurs plus s’acquitter de ses obligations d’intendance du site prévues dans la loi Secwépemc.

 

La Nation a souligné que pour évaluer les effets éventuels de la demande de déviation sur les droits prévus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la Commission doit tenir compte de l’effet d’une approbation sur l’exercice de ses droits, ajoutant qu’au-delà du droit canadien (notamment constitutionnel), ses propres lois et préceptes juridiques doivent être pris en considération. Les traditions juridiques autochtones comptent au nombre de celles qui s’appliquent au Canada et font partie des lois du pays. La Nation a fait remarquer qu’à la lumière des articles de la Déclaration des Nations Unies (y compris sur le droit à l’autodétermination) et de l’application au Canada de la loi qui porte sur cette Déclaration, elle est la mieux placée pour déterminer si la demande de déviation aura des effets négatifs sur ses droits, que ce soit selon le droit canadien ou la loi Secwépemc. Tout effet négatif doit être examiné du point de vue de la Nation et non de celui de Trans Mountain ou de la Commission.

 

6.4.5      Analyse et constatations de la Commission

 

6.4.5.1      Mobilisation des peuples autochtones par Trans Mountain

 

Des points de vue divergents ont été présentés à la Commission par les parties sur le caractère suffisant de la consultation et de la mobilisation et sur la question de savoir si le processus précédant la demande de déviation s’est déroulé dans un esprit de collaboration. La Commission juge que Trans Mountain a conçu et réalisé des activités de mobilisation adéquates avec les peuples autochtones relativement à la demande de déviation et a satisfait aux attentes générales du Guide de dépôt. Pour arriver à cette conclusion sur le caractère adéquat des activités de mobilisation de Trans Mountain, la Commission a tenu compte des efforts considérables de la société pour mobiliser la Nation sur le tracé révisé en 2023, au nombre desquels figurent des échanges de courriels et d’informations, une visite des lieux, une réunion avec les dirigeants de la Nation et Trans Mountain, des discussions avec le conseil conjoint et les conseillers techniques de la Nation sur les difficultés rencontrées lors des travaux de construction sans tranchée dans le couloir Pípsell ainsi que sur des stratégies d’atténuation pour y remédier.

 

Relations entre Trans Mountain et la Nation

 

Le dossier présenté à la Commission renferme une preuve étoffée d’une relation de longue date entre les parties sur la question plus large du projet dans son ensemble. Cette relation est illustrée par les registres de mobilisation détaillés et les notes sur les efforts de mobilisation déployés au cours des quatre dernières années, ainsi que par l’entente sur les avantages mutuels conclue entre les parties. La Commission comprend que cette entente visait à cultiver une collaboration à long terme entre les parties et à promouvoir les intérêts des parties. Elle relève et appuie la volonté des parties d’être « donnant donnant » et de s’employer à travailler à mettre en place des mécanismes de collaboration véritables.

 

La preuve relatant les efforts de mobilisation des parties illustre encore davantage la façon dont elles ont collaboré au fil des ans pour partager leurs intérêts respectifs et rechercher des moyens pour les satisfaire. La Commission admet que les résultats obtenus, décrits dans les registres de mobilisation et l’entente sur les avantages mutuels, imposent à Trans Mountain d’énormes obligations de réduire et d’atténuer les perturbations de la surface dans le couloir Pípsell (tout en reconnaissant que certaines perturbations découlant de la construction seront inévitables). Bien que le microtunnelage ait constitué la méthode de construction sans tranchée privilégiée, d’autres méthodes classiques avec tranchée ont aussi été envisagées.

 

Mobilisation sur la demande de déviation

 

En dépit d’échanges antérieurs répétés entre les parties sur l’ensemble du projet, la Commission croit comprendre que la Nation a initialement refusé de discuter avec Trans Mountain d’autres méthodes de construction, telles que le FDH et une tranchée à ciel ouvert classique, ou de toute autre mesure d’atténuation pouvant être requise par suite de la demande de déviation. Selon ce qu’a affirmé la Nation, cela tenait au fait qu’elle voulait épuiser toutes les possibilités entourant le microtunnelage, méthode de construction qu’elle privilégiait. La Commission est reconnaissante de l’investissement considérable de temps et de ressources consacré aux discussions avec un promoteur de projet. Néanmoins, dès lors que la demande de déviation a été approuvée, elle encourage la Nation à se prévaloir de futures occasions qui s’offriront de discuter avec Trans Mountain du tracé révisé en 2023[21].

 

Comme il en est fait mention ailleurs dans les présents motifs, la Commission s’attend aussi à ce que Trans Mountain respecte tous les engagements qu’elle a pris tout au long de l’instance et toutes les exigences réglementaires applicables. Y figure l’engagement de maintenir les pratiques de mobilisation actuelles avec la Nation, afin de trouver des occasions de les améliorer. En particulier, la Commission compte sur Trans Mountain pour continuer de consacrer le temps nécessaire pour mobiliser et faire participer significativement la Nation à la construction du tracé révisé en 2023, sans égard aux contraintes de temps qui entourent le projet.

 

Résultats de la mobilisation sur la demande de déviation

 

Au bout du compte, la Commission, pour déterminer si les activités de mobilisation de Trans Mountain sont adéquates, ne s’attarde pas uniquement aux résultats de celle-ci, qui, en l’espèce, n’a pas permis aux parties d’arriver à une entente concernant la demande de déviation. Nombreuses sont les situations où des parties raisonnables, agissant de manière raisonnable, peuvent demeurer en désaccord. La Commission juge que Trans Mountain et la Nation ont eu des consultations raisonnables, sans toutefois, malheureusement, parvenir à s’entendre sur la suite des choses.

 

La Commission estime que les efforts de mobilisation qu’ont faits les deux parties dénotent une démarche de consultation ancrée dans la Réconciliation. Ces efforts reposaient sur une relation constructive, fondée sur un respect mutuel, dans laquelle les préoccupations de la Nation ont été prises en compte pour n’être, en définitive, rejetées qu’après mûres réflexions et pour une raison valable[22]. La Commission est toutefois consciente aussi que, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Coldwater (citant Ktunaxa) :

 

[52] (…) L’objectif [de la consultation] est d’en arriver à une entente globale, objectif qui ne sera pas toujours atteint (…). La consultation fondée sur un rapport de respect réciproque promeut la réconciliation, peu importe son issu.

 

[53] Dit autrement, la réconciliation n’exige pas qu’on en arrive à une fin particulière. (…)

 

6.4.5.2      Consultation des peuples autochtones par la Régie

 

La Commission conclut que les consultations menées auprès des peuples autochtones et les accommodements accordés pour tenir compte de leurs intérêts sont suffisants pour rendre sa décision sur la demande de déviation. Les échanges qui ont eu lieu entre Trans Mountain et la Nation, décrits à la section 6.4.1, et l’instance instituée par la Commission pour examiner la demande de déviation, décrite à la section 6.4.2, font partie du processus général de consultation lié à l’obligation de la Couronne de consulter et de faire des accommodements. Ce processus général a permis à la Commission de prendre connaissance des préoccupations de la Nation à l’égard des effets éventuels de la demande de déviation sur ses droits et ses intérêts, d’envisager des mesures pour atténuer ces effets et de mettre en balance les effets résiduels et les autres intérêts d’ordre social en jeu durant son examen de la demande de déviation.

 

Après avoir fait une rétrospective des mesures procédurales que la Commission a prises, elle estime que son processus a été rigoureux et qu’il allait bien au-delà des étapes procédurales qui sont habituellement établies pour examiner une demande de déviation aux termes de l’article 211 de la LRCE. Elle rappelle les nombreuses occasions qui ont été offertes de lui faire part de préoccupations, notamment par le truchement de DR et d’observations écrites, ainsi qu’au moyen d’une audience orale ayant permis la présentation orale des connaissances autochtones, un contre-interrogatoire et une plaidoirie. Ce processus étoffé convenait dans les circonstances, car il a été instauré pour répondre à des préoccupations de la Nation sur les effets éventuels de la déviation sur le couloir Pípsell, zone de grande importance spirituelle et culturelle pour elle.

 

Le processus lui a aussi permis de faire un contrôle nécessaire et important des activités de mobilisation de Trans Mountain, en offrant à la Nation un moyen de plus d’expliquer ses préoccupations à l’égard de la demande de déviation et à la Commission, une nouvelle occasion d’étudier celles-ci sérieusement, notamment celles ayant trait à la façon dont Trans Mountain a élaboré et réalisé sa mobilisation.

 

La Commission juge que la Nation a reçu un avis suffisant et a eu suffisamment d’occasions de faire part de ses préoccupations et de communiquer des informations détaillées sur les effets éventuels de la déviation sur ses droits et intérêts. Elle estime aussi que la mobilisation de Trans Mountain, qui fait partie d’un exercice plus large de consultation, a dénoté un effort sincère pour étudier les appréhensions de la Nation et y donner suite. Les engagements et les mesures d’atténuation de Trans Mountain relevés au cours de l’instance, décrits en détail aux sections 6.3.1 et 6.4.4.1, répondent de façon satisfaisante à ces appréhensions.

 

Incidences de la Déclaration des Nations Unies sur l’obligation de la Couronne de consultation et d’accommodement

 

S’agissant de l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder par suite de l’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies, la Commission prend acte du fait que la Déclaration des Nations Unies ne se substitue pas aux critères juridiques contenus dans les lois canadiennes qui doivent servir à déterminer si la Couronne a une obligation de consulter, ou les particularités de celle-ci. Aucun document faisant autorité n’a été fourni à la Commission qui laisserait entendre le contraire.

 

La Commission fait toutefois remarquer que la Déclaration des Nations Unies, telle qu’elle est confirmée par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies, peut être prise en compte pour éclairer la façon dont la Régie, en sa qualité d’organisme de réglementation fédéral, s’acquittera de ses devoirs et de ses obligations juridiques à l’avenir, y compris celles qui ont trait à la consultation et à l’accommodement[23]. À cette fin, les engagements et les obligations du Canada à l’égard de la Réconciliation et de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies ont donné lieu à des processus de réglementation significatifs, qui ont permis une consultation approfondie de la Nation d’une manière qui vise l’atteinte de plusieurs des principaux objectifs de la Déclaration des Nations Unies. De façon plus particulière, le processus de la Commission relativement à la demande de déviation a été établi de manière à rendre possible l’usage des traditions orales (article 13), la participation à la prise de décisions (article 18), la participation à la prise de décisions concernant la mise en valeur et l’utilisation des terres (article 26) et la protection de leur savoir traditionnel (article 31).

 

6.4.5.3      Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

 

L’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies en juin 2021 a confirmé que la Déclaration des Nations Unies est une source d’interprétation du droit canadien[24]. En dépit du fait que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies établisse un cadre pour assister le gouvernement dans la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies au palier fédéral, elle ne modifie pas immédiatement ou directement les lois canadiennes existantes, dont la LRCE. Par ailleurs, il s’agit d’une branche du droit qui évolue rapidement. Comme l’indiquait récemment la décision Thomas and Saik’uz First Nation v. Rio Tinto Alcan Inc.[25] (« Thomas and Saik’uz »), bien que les tribunaux aient encore à établir les effets d’une loi sur la déclaration des Nations Unies sur la jurisprudence, ils militent en faveur d’une interprétation généreuse des droits autochtones[26].

 

La Commission est également consciente des mentions, dans le préambule de la LRCE, des engagements du gouvernement à l’égard de la Réconciliation et de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies, ainsi que du mandat de l’organisme de réglementation énoncé à l’alinéa 11h), qui comprend l’obligation d’exercer ses attributions de manière à respecter les engagements du gouvernement à l’égard des droits des peuples autochtones.

 

Consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause

 

La Commission prend acte du fait que la Déclaration des Nations Unies doit être interprétée d’une manière générale et que les droits reconnus, pris dans leur ensemble, constituent les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde. Tout en comprenant que les articles de la Déclaration des Nations Unies doivent être examinés comme un tout, la Commission a limité ses conclusions et ses observations aux articles qui ont été invoqués pendant l’instance.

 

À cette fin, la Commission relève que la Nation a adopté comme position que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies exigeait que la Couronne obtienne son consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (« consentement préalable ») pour les projets ou les mesures touchant ses terres (en l’espèce, la demande de déviation). Les articles 19, 26 et 32 ont été cités pour défendre cette thèse. À l’opposé, Trans Mountain a soutenu que le consentement préalable n’est pas une exigence juridique au Canada.

 

Le paragraphe 32(2) de la Déclaration des Nations Unies s’énonce comme suit :

 

Les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres.

 

Les exigences particulières du consentement préalable varient selon le contexte, ainsi qu’en fonction de l’article particulier sur lequel on s’appuie.

 

Comme il a été mentionné précédemment, le paragraphe 32(2) de la Déclaration des Nations Unies impose aux États une obligation de « consulter les peuples autochtones et de coopérer avec eux » en vue d’obtenir leur consentement préalable avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres, leurs territoires ou leurs ressources. Ce libellé est bien différent de celui, plus ferme, que l’on trouve ailleurs dans la Déclaration des Nations Unies relativement au consentement préalable, notamment à l’article 10 (enlèvement forcé de leurs terres) et au paragraphe 29(2) (stockage ou déchargement de matières dangereuses).

 

Dans son examen du consentement préalable aux termes de l’article 32 aux fins de la demande de déviation, la Commission a tenu compte des points de vue des parties ainsi que des Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones[27]. Le sixième principe de ce document reconnaît qu’un engagement significatif avec les peuples autochtones vise à obtenir leur consentement préalable, lorsque le Canada propose de prendre des mesures ayant une incidence sur les peuples autochtones et leurs droits sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources.

 

La Commission reconnaît que la notion du consentement préalable s’attache à la collaboration entre les parties, œuvrant dans un esprit de partenariat et de respect, et à la recherche d’un consensus de bonne foi à l’égard des décisions qui peuvent avoir une incidence sur les droits et les intérêts des peuples autochtones. Bien qu’elle juge que la notion de consentement préalable, telle qu’elle est formulée dans la Déclaration des Nations Unies, ne constitue pas une exigence juridique à proprement parler au Canada, la Commission est d’avis que ses éléments de base sont des pratiques exemplaires. Le dossier de l’instance démontre qu’à de nombreuses occasions durant leurs activités de mobilisation au sujet du projet, Trans Mountain et la Nation sont parvenues à respecter ces normes.

 

En ce qui concerne les efforts déployés pour obtenir le consentement préalable de la Nation, la Commission relève les points de vue des deux parties qui dénotent que l’entente sur les avantages mutuels est une preuve du soutien, et du consentement, de la Nation pour le projet dans son ensemble. Elle constate que peu de temps après la signature de cette entente, la Nation a retiré sa déclaration d’opposition et a indiqué qu’elle ne souhaitait plus participer au processus relatif au tracé détaillé du projet sur le site Pípsell. Elle estime que cette entente illustre les efforts considérables que les parties ont faits pour travailler ensemble de bonne foi et s’efforcer d’arriver à un consensus sur les décisions et les mesures qui pourraient avoir une incidence sur les droits et les intérêts de la Nation relativement au site Pípsell.

 

La Commission n’ignore pas la position de la Nation voulant qu’on ne peut pas déduire uniquement de l’entente sur les avantages mutuels que le consentement préalable a été obtenu, en particulier en présence d’un différend sur la question de savoir si les modalités de cette entente ont été respectées. Par conséquent, pour arriver à ses conclusions au sujet du consentement préalable, la Commission a non seulement pris en compte l’entente sur les avantages mutuels et les nombreuses activités de mobilisation et de négociation l’entourant, mais aussi les efforts de Trans Mountain pour faire mobiliser la Nation à l’égard de la demande de déviation, décrits à la section 6.4.1. La Commission s’est aussi intéressée aux mesures qui ont été prises et aux occasions qui ont été offertes durant son processus relatif à la demande de déviation.

 

Au vu de ce qui précède, la Commission juge que des efforts de bonne foi ont été faits pour trouver un consensus entre les parties et que les exigences pertinentes à l’égard du consentement préalable qui découlent de l’article 32 de la Déclaration des Nations Unies, confirmées dans la Loi sur la Déclaration des Nations Unies, ont été respectées en l’espèce.

 

6.4.5.4      Effets sur les droits des peuples autochtones

 

Pour évaluer les effets de la demande de déviation sur les droits et les intérêts de la Nation, la Commission a pris acte du fait que les peuples autochtones entretiennent une relation constitutionnelle unique avec la Couronne, leurs droits ancestraux et issus de traités étant reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans ce contexte, la Commission sait qu’elle doit préserver l’honneur de la Couronne dans tous ses rapports avec eux. Outre l’obligation constitutionnelle, il lui faut aussi tenir compte de certains renvois et exigences de la LRCE concernant la prise en compte des droits des peuples du Canada. Ainsi, l’article 56 de celle-ci stipule que la Commission est tenue de prendre en compte les effets des demandes soumises à son examen sur les droits des peuples autochtones. Comme il en a été question précédemment, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies va aussi dans le sens d’une interprétation généreuse des droits ancestraux.

 

Effets de la demande de déviation sur les droits de la Nation

 

La Commission estime que l’information versée au dossier de l’instance est suffisante pour qu’elle puisse évaluer les effets de la demande de déviation sur les droits de la Nation. Cette information comprenait entre autres des éléments de preuve de celle-ci sur le contexte dans lequel elle exerce ses droits au site Pípsell et les effets éventuels de la demande de déviation sur ces droits. La Commission relève que, de la section de 4,2 km du projet se trouvant dans le couloir Pípsell, la demande de déviation vise environ 1,3 km, la tranche restante de 2,9 km devant être réalisée par microtunnelage. Une tranchée à ciel ouvert classique a été proposée sur 880 m de cette tranche restante et une construction sans tranchée (FDH) sur 455 m.

 

La Commission prend acte de la preuve de la Nation faisant état de l’importance du couloir Pípsell comme aire sacrée et de l’importance vitale de réduire les perturbations de surface dans ce couloir, comme cela était décrit dans l’entente sur les avantages mutuels. Il est manifeste pour la Commission que les dirigeants de la Nation, compte tenu de leurs obligations d’ordre juridique et spirituel, ont une forte préférence pour le microtunnelage sur l’ensemble du couloir Pípsell afin de réduire les perturbations de surface et les effets sur ses droits.

 

La Commission note aussi que la Nation a soutenu que la déviation aurait des effets préjudiciables directs et importants, notamment sur la capacité des générations actuelles et futures de Secwépemc d’exercer leurs droits inhérents, y compris ceux liés à leurs obligations d’intendance dans la région. Bien qu’au moment du contre-interrogatoire oral de l’audience, la Nation n’ait fait témoigner aucun membre de la communauté ni aucune autre personne en mesure de répondre à des questions sur les effets éventuels de la demande de déviation sur ses droits et intérêts, Jeanette Jules, gardienne du savoir de la Nation, a présenté une preuve orale éloquente. Elle a ainsi fait part de sa vaste compréhension des lois, de la langue, des pratiques culturelles et du mode de vie de la Nation, des éléments qui ont tous comme point commun les terres Secwépemc dans la région du site Pípsell.

 

Dans son examen des effets de la demande de déviation sur les droits de la Nation, au vu de son droit à l’autodétermination, la Commission a été priée de tenir compte des effets préjudiciables dans l’optique de la Nation. Aussi la Commission accepte-t-elle l’appréciation de celle‑ci que la demande de déviation – et en particulier le recours au FDH et à une tranchée à ciel ouvert classique – occasionnerait une perturbation de surface dans le couloir Pípsell qui se répercuterait sur ses droits. Par ailleurs, cette conclusion doit être considérée en tenant compte d’autres conclusions, dont celles relatives à la preuve technique et à la probabilité de réussite du microtunnelage.

 

Preuve technique et conclusions de la Commission sur la demande de déviation

 

La Commission a évalué les effets négatifs éventuels de la demande de déviation sur les droits des peuples autochtones en tenant compte de ses conclusions d’ordre technique. À la section 6.1.4, elle expose ces dernières, notamment celle que le résultat le plus probable des travaux si Trans Mountain devait poursuivre le microtunnelage correspondrait au « scénario catastrophe », c’est-à-dire que le microtunnelage échouerait et qu’il faudrait tout de même recourir à une tranchée à ciel ouvert classique et au FDH pour achever les travaux sur la section de 1,3 km à l’étude. Dans ce scénario, une nouvelle perturbation de surface de 1,50 ha pourrait être nécessaire pour aménager un puits d’évacuation en vue de récupérer le microtunnelier et de procurer un accès. Cette nouvelle perturbation s’ajouterait au meilleur scénario de construction par FDH et tranchée à ciel ouvert (2,40 ha de nouvelle perturbation) ou au pire scénario (3,00 ha de nouvelle perturbation). Dans cette optique, la décision de la Commission d’approuver la demande de déviation éviterait la perturbation additionnelle sur 1,5 ha.

 

La Commission relève aussi que, même dans l’éventualité où le pire scénario ne se concrétiserait pas, il ressort de ses conclusions techniques que la différence dans la perturbation entre les méthodes éventuelles de construction serait modérée. Plus précisément, la nouvelle perturbation dans le pire scénario, pour ce qui est du microtunnelage, occuperait une superficie de 1,50 ha, tandis que dans le meilleur scénario, pour ce qui est du FDH et de la tranchée à ciel ouvert classique, elle serait de 2,40 ha.

 

La Commission note que l’expert technique de la Nation, Jens Hornbruch, a aussi admis que le scénario catastrophe de Trans Mountain était possible en ce qui concerne le microtunnelage et a indiqué que, dans ce cas, l’aménagement d’un puits d’évacuation ou la récupération du microtunnelier ne seraient pas recommandés en raison des perturbations supplémentaires de surface que cela entraînerait.

 

La Commission constate également que, bien que les parties aient retenu le microtunnelage comme méthode privilégiée, elles ont aussi discuté du fait que ni cette méthode ni la construction sans tranchée n’offraient de garantie de réussite, comme en témoigne le cadre de l’entente sur les avantages mutuels.

 

Atténuation des effets éventuels de la demande de déviation sur les droits des peuples autochtones

 

L’évaluation de la Commission des effets négatifs éventuels de la demande de déviation sur les droits des peuples autochtones a aussi porté sur les moyens d’atténuer ceux-ci (c.-à-d. les mesures répertoriées pour éviter, réduire au minimum, remettre en état et compenser ces effets).

 

Sur ce point, la Commission prend acte de l’engagement de Trans Mountain à poursuivre les discussions avec la Nation et à réaliser le tracé révisé en 2023 de manière à réduire au minimum les effets sur le couloir Pípsell, comme cela est décrit de façon générale aux sections 6.3.1 et 6.4.4.1. Cet engagement comprend celui qui a trait aux pratiques et processus actuels de la société et celui concernant l’ouverture à la prise de mesures d’atténuation ou l’offre d’occasions de mobilisation futures. La Commission relève en particulier le fait que les mesures répertoriées comprennent l’évitement des perturbations de surface lors du recours au FDH sur une distance de 455 m, l’évitement des interactions avec les monticules funéraires connus, la réduction au minimum de l’empreinte pour la construction des tranchées à ciel ouvert, la remise en état des terres par des méthodes renforcées et la compensation de la Nation pour toute partie du chantier de construction du projet dans le couloir Pípsell où la société n’utiliserait pas la méthode de construction sans tranchée (comme convenu dans l’entente sur les avantages mutuels). Comme cela est mentionné partout dans les présents motifs, la Commission compte sur Trans Mountain pour respecter ces engagements.

 

La Commission juge que ces engagements et la méthode décrite par Trans Mountain conviennent et sont conformes aux conditions du certificat OC-065, en l’occurrence la condition 96 (Rapports sur les activités de mobilisation de groupes autochtones – Construction) et la condition 98 (Plan relatif à la participation de groupes autochtones à la surveillance de la construction). La Commission estime en outre que les effets négatifs éventuels de la demande de déviation sur les droits de la Nation, une fois mises en œuvre les mesures d’atténuation (dont celles proposées par Trans Mountain et celles exigées par la Commission dans l’instance relative au certificat pour le projet), peuvent être contrés adéquatement.

 

Par ailleurs, la Commission prend acte de la position de la Nation selon laquelle aucune stratégie d’atténuation convenable ne saurait être envisagée pour contrer les dommages que lui causerait la construction dans le couloir Pípsell au moyen d’une tranchée à ciel ouvert classique et du FDH. La Cour suprême du Canada a également reconnu dans Haida que « [la Couronne] peut être appelée à prendre des décisions en cas de désaccord quant au caractère suffisant des mesures qu’elle adopte en réponse aux préoccupations exprimées par les Autochtones ». La Cour a précisé que, dans de tels cas, « [u]ne attitude de pondération et de compromis s’impose alors » (Haida, paragr. 45). La Cour suprême du Canada a admis qu’une décision autorisant un projet ne peut être dans l’intérêt public si la Couronne ne s’est pas acquittée de son devoir de consulter (Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc.[28], paragr. 40). Cela ne signifie pas pour autant que les intérêts des groupes autochtones ne peuvent être mis en balance avec d’autres intérêts à l’étape des accommodements. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’obligation de consulter ne donne pas aux groupes autochtones un droit de « veto » sur les décisions finales de la Couronne (Haïda, paragr. 48). Des accommodements convenables reposent plutôt « sur la nécessité d’établir un équilibre entre des intérêts sociétaux opposés et les droits ancestraux et issus de traités des Autochtones » (Haïda, paragr. 50).

 

Pour mettre en balance les intérêts sociétaux pertinents relativement à la demande de déviation, la Commission a examiné celle-ci dans l’optique plus large du contexte réglementaire auquel le projet est assujetti et de la portée limitée d’une demande de déviation. La Commission relève plus particulièrement, comme cela est expliqué en détail à la section 2, que le projet a fait l’objet d’un examen rigoureux qui s’est étendu sur plusieurs années et qui comprenait une évaluation des facteurs liés à l’intérêt public et à l’établissement d’un équilibre entre des intérêts sociétaux concurrents. Il en a résulté un processus qui s’est conclu par l’approbation d’un couloir pipelinier général traversant le site Pípsell dans les instances OH-001-2014 et MH‑052‑2018 relatives au certificat, au cours desquelles le projet a été jugé dans l’intérêt public général.

 

Compte tenu des mesures d’atténuation décrites précédemment, des conclusions techniques de la Commission sur la faisabilité de la poursuite du microtunnelage et de l’équilibre général des intérêts sociétaux traités en détail lors d’instances antérieures sur le projet et dans celle relative à la demande de déviation, la Commission conclut que l’accommodement des droits et intérêts de la Nation dans le contexte de la demande de déviation est approprié dans les circonstances.

 

7      Conclusion

 

Le site Pípsell revêt une grande importance spirituelle et culturelle pour la Nation. En conséquence, Trans Mountain a accepté de tenter de construire un tronçon de 4,2 km du projet dans ce secteur au moyen de la méthode du microtunnelage, afin de réduire le plus possible les perturbations en surface. Pendant la construction, Trans Mountain a dû faire face à d’importantes difficultés techniques sur 1,3 des 4,2 km prévus à l’origine pour cette méthode. La société a tenté en vain de surmonter ces difficultés, ce qui a entraîné des coûts supplémentaires de 32 millions de dollars et prolongé de plusieurs mois les délais de construction. Après des efforts de mobilisation auprès de la Nation, entre autres, Trans Mountain a demandé une modification du tracé du tronçon de 1,3 km, afin de faciliter un changement de méthode de construction pour recourir à une combinaison de FDH et de tranchée à ciel ouvert classique au lieu du microtunnelage.

 

La Commission a examiné toutes les observations des parties. En sa qualité de tribunal d’archives spécialisé, elle juge la déviation nécessaire en fonction de la preuve technique et économique devant elle. Plus précisément, la Commission juge que la poursuite du microtunnelage risque fort probablement d’échouer, tandis que l’utilisation proposée du FDH sur 455 m réussira vraisemblablement. Le fait d’obliger Trans Mountain à poursuivre le microtunnelage en dépit de difficultés techniques importantes et d’autres obstacles qui pourraient occasionner des perturbations supplémentaires et évitables à la surface retarderait probablement l’achèvement du projet d’au moins 10 mois et pourrait entraîner une perte d’au moins 2 milliards de dollars de revenus pour Trans Mountain, en plus des effets négatifs supplémentaires sur les expéditeurs et les autres parties.

 

Le tracé révisé en 2023 se trouve dans le couloir pipelinier approuvé et il suit le même parcours que le tracé d’origine approuvé par la Commission en avril 2020. Des 1,3 km envisagés, seulement 880 m seront construits au moyen d’une tranchée à ciel ouvert. Tous les effets environnementaux ou socioéconomiques de la déviation seront adéquatement pris en compte par l’ensemble des mesures d’atténuation environnementales et socioéconomiques prévues pour le projet. La Commission fait remarquer que le FDH est lui-même une mesure d’atténuation visant à réduire les perturbations en surface.

 

La Commission juge, compte tenu des efforts de mobilisation soutenus de Trans Mountain et du processus d’audience robuste qui a été établi, que l’obligation de consulter les peuples autochtones et de prendre des mesures d’adaptation pour répondre à leurs intérêts a été respectée. Après s’être penchée sur ses devoirs et obligations à la lumière de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies et de l’engagement de la Régie à l’égard de la Réconciliation, elle juge que les exigences en la matière ont été satisfaites. Elle a par ailleurs évalué les effets de la demande de déviation sur les droits des peuples autochtones dans le contexte de ses constatations sur le plan technique et juge que tout effet peut être traité de façon adéquate, en fonction des mesures d’atténuation indiquées dans la demande de déviation et des conditions imposées par les processus réglementaires antérieurs liés au projet.

 

Par conséquent, la Commission approuve la demande de déviation, notamment le tracé révisé en 2023. Elle s’attend à ce que Trans Mountain respecte les engagements qu’elle a pris à l’égard de l’ensemble du projet, dont bon nombre sont mentionnés dans les présents motifs, et qu’elle les applique dans le contexte de la déviation et de la construction sur le site Pípsell. Ces engagements comprennent des normes de remise en état améliorées et des mesures pour réduire les perturbations globales (notamment en diminuant l’ampleur des travaux de nivellement et la taille de l’empreinte pour la construction avec tranchée à ciel ouvert dans la mesure du possible). Ils prévoient également de consacrer le temps nécessaire à une mobilisation adéquate la Nation dans le cadre de la construction du tracé révisé en 2023.

 

Veuillez agréer mes sincères salutations.

 

La secrétaire de la Commission,

 

K. McAllister

 

pour

Ramona Sladic

 

 

c. c.      Trans Mountain Canada Inc., adresse électronique générale : info@transmountain.com

Raymond Cardinal, caucus autochtone du comité consultatif et de surveillance autochtone, raymond.cardinal@gmail.com

 



[1]     Le 28 août 2019, la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie a institué la Régie de l’énergie du Canada, laquelle a remplacé l’Office national de l’énergie. Les processus décisionnels qui relevaient de ce dernier ont alors été transférés à la Commission de la Régie de l’énergie du Canada.

[2]     Le terme « autochtone » est employé ici selon la définition donnée au paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, ch. 11, qui s’énonce comme suit :

            Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

[3]     Le terme « couloir pipelinier » désigne le grand tracé général du projet entre Edmonton, en Alberta, et Burnaby, en Colombie-Britannique, visé par les études de Trans Mountain pour déterminer les effets potentiels du projet et les mesures d’atténuation à proposer.

[4]    Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général) (2018 CAF 153).

[5]    La plateforme correspond à la superficie nécessaire pour exécuter les travaux de construction en toute sécurité et entreposer les conduites ainsi que d’autres équipements et matériaux.

[6]    La conduite de levage en béton armé sert à aménager les différents tronçons de canalisation, un à la fois. Elle est conçue pour résister à l’action combinée des forces externes et internes pendant la construction et l’exploitation.

[7]    Le microtunnelier sert à percer de petits tunnels souterrains grâce à une tête de forage qui retire le sol ou le roc au fur et à mesure.

[8]    Trans Mountain a déposé la carte-tracé technique à jour après la fermeture du dossier de l’audience visant la demande de déviation et le rendu de la décision de la Commission. Il s’agit d’une question administrative, qui est mentionnée aux présentes afin que la conformité à l’exigence soit inscrite au dossier.

[9]    Le paragraphe 211(3) précise ce qui suit :

(3) La Commission peut, selon qu’elle l’estime indiqué, soustraire totalement ou partiellement une compagnie à l’application du présent article si la déviation est destinée à l’amélioration d’un pipeline ou à toute autre fin d’intérêt public; cette dispense ne peut toutefois se donner que si la déviation n’entraîne pas, par rapport à la ligne centrale du pipeline, tracé ou construit en conformité avec les plan, profil et livre de renvoi approuvés par la Commission aux termes de la présente loi, un écart plus grand que celui que fixe la Commission.

[10]   Le paragraphe 211(2) précise ce qui suit :

(2) Une fois les plan, profil et livre de renvoi de la partie à modifier approuvés par la Commission et après dépôt de copies de ceux-ci conformément aux exigences de la présente loi à l’égard des plan, profil et livre de renvoi initiaux, la compagnie peut procéder à la déviation; les dispositions de la présente loi applicables au pipeline initial s’appliquent à la partie ainsi modifiée ou à modifier.

[11]   L’alinéa 198d) prévoit ce qui suit :

Sauf disposition contraire de la présente loi, la compagnie ne peut commencer la construction d’une section ou partie de pipeline que si les conditions suivantes sont réunies :

[...]

d) des copies des plan, profil et livre de renvoi approuvés, certifiées conformes par la Régie, ont été déposées au bureau de la publicité des droits ou à tout autre bureau d’enregistrement des titres fonciers du lieu que doit traverser cette section ou partie du pipeline.

[12]   La Commission mentionne l’enregistrement des documents, qui a eu lieu après la fermeture du dossier de l’audience d’examen de la demande de déviation et le rendu de la décision, afin que la conformité à l’exigence soit inscrite au dossier.

[13]   Un puits de poussée est une excavation donnant accès à l’équipement de microtunnelage, pour le lancer, le diriger, le réparer ou le récupérer. Trans Mountain a signalé que le numéro des puits de poussée correspond au numéro des plateformes, à l’exception de la plateforme 1 (puits 1 et puits 6).

[14]   Il s’agit notamment des rapports techniques et mémoires suivants : le rapport Bothar, le rapport Thurber de 2022, le rapport Thurber de 2023, le rapport IPC de 2021, le rapport Uffman, le rapport Hornbruch sur la faisabilité du FDH, le mémoire Hornbruch sur la faisabilité du microtunnelage et le rapport des experts de la Nation. La section 6.1 fournit des précisions au sujet de chacun.

[15]   Dans les sections Analyse et constatations de la Commission des présents motifs de décision, le terme « réalisable sur le plan technique » est utilisé dans le sens donné à ce terme dans le domaine du génie. Il n’est pas utilisé dans le sens donné à ce terme dans l’entente sur les avantages mutuels.

[16]   Dans sa réplique, Trans Mountain a indiqué qu’avant de commencer le microtunnelage, elle s’attendait à ce que les coûts totaux du percement 2 soient d’environ 23 millions de dollars. En réponse à la DR no 1.3 de la Nation, Trans Mountain a déclaré que le budget prévu pour le parachèvement du percement 2, avant le début du microtunnelage, était de 24 700 000 $, sans compter la construction du puits 1 ou du puits 2.

[17]   Pour préparer ces scénarios, Trans Mountain a utilisé l’hypothèse avancée par la Commission dans la DR no 2.3 selon laquelle la demande de déviation serait approuvée le 1er octobre 2023.

[18]   Volume 1 des transcriptions, p. 129 sur 158 du document PDF.

[19]   Préambule

      [Attendu que le gouvernement du Canada] s’est engagé à mener à bien la réconciliation avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits grâce à des relations renouvelées de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et la Couronne, qui reposent sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat;

      [Attendu que le gouvernement du Canada] s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones[...]

      LRCE, article 11 :

      La mission de la Régie consiste notamment :

      [...] h) à exercer ses attributions de manière à respecter les engagements du gouvernement du Canada à l’égard des droits des peuples autochtones du Canada.

[20]   Le tableau ne tient pas compte des perturbations en surface de 1,52 ha qui ont déjà eu lieu, donc applicables à toutes les méthodes de construction.

[21]   Dans l’arrêt Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forest, Lands and Natural Resource Operations) 2017 CSC 54 (« Ktunaxa »), la Cour suprême du Canada a résumé ses conclusions de l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 (« Haida »), paragr. 80, comme suit : « (…) L’obligation de consulter et, le cas échéant, de tenir compte de l’intérêt ancestral implique une réciprocité. (…) Quant au groupe autochtone, il doit notamment définir clairement les éléments de ses revendication (par. 36), ne pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne pas défendre des positions déraisonnables pour empêcher la Couronne de prendre des décisions ou d’agir dans le cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s’entendre (par. 42). »

[22]   Voir Première Nation c. Canada (Procureur général)2020 CAF 34 (« Coldwater »), paragr. 49 et 50.

[25]   Thomas and Saik’uz First Nation v. Rio Tinto Alcan Inc., 2022 BCSC 15.

[26]   Thomas and Saik’uz, paragr. 212.

[28]   Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc.2017 CSC 40