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Oleson c. Première Nation de Wagmatcook, 2023 TCDP 3 (CanLII)

Date :
2023-01-26
Numéro de dossier :
T2180/0217
Référence :
Oleson c. Première Nation de Wagmatcook, 2023 TCDP 3 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jz0dt>, consulté le 2024-05-14

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 3

Date : le 26 janvier 2023

Numéros des dossiers : T2180/0217

Entre :

La succession d’Annie Oleson

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Première Nation de Wagmatcook

l’intimée

Décision

Membre : Colleen Harrington

 

 



I. Aperçu et décision

[1] Annie Oleson était une membre aînée de la Première Nation de Wagmatcook, l’intimée, lorsqu’elle a déposé sa plainte relative aux droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») en 2014. Selon sa plainte, Wagmatcook a commis envers elle un acte discriminatoire fondé sur la déficience en ne lui fournissant pas un logement accessible et exempt d’obstacles, ce qui va à l’encontre des articles 5 et 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [LCDP].

[2] Le 28 décembre 2016, la Commission a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») d’instruire la plainte de Mme Oleson. Malheureusement, Mme Oleson est décédée en février 2017. La plaignante dans la présente affaire est maintenant la succession d’Annie Oleson, représentée par le fils de cette dernière, Joseph Oleson.

[3] Depuis le début de 2018, le Tribunal instruit la présente plainte au moyen de son processus de gestion d’instance. Ce processus comprend l’échange d’exposés des précisions, de listes de témoins et de documents potentiellement pertinents, ainsi que le règlement de différends afin de faire en sorte que l’audience sur la plainte puisse se dérouler dans les meilleurs délais.

[4] Le Tribunal a tenu plus de 15 conférences téléphoniques préparatoires avec les parties et a aussi rendu deux décisions sur requête. Une de ces décisions concerne la portée de la plainte (2019 TCDP 35 (CanLII)), et l’autre porte sur les types de réparations que le Tribunal peut accorder en dépit du décès de Mme Oleson (2020 TCDP 29 (CanLII)).

[5] Wagmatcook et la Commission ont aussi signé un compte rendu de règlement concernant les questions d’intérêt public et les réparations que la Commission revendiquait relativement à la plainte. La succession de Mme Oleson n’est pas partie à ce compte rendu de règlement. Les parties se sont efforcées de régler l’aspect individuel de la plainte en prenant part à deux médiations assistées par le Tribunal, mais ne sont pas arrivées à un règlement.

[6] Une audience sur la plainte, qui devait durer trois semaines, a été reportée trois fois. Chaque fois, M. Oleson a demandé un ajournement, pour diverses raisons. La dernière fois que le Tribunal a accepté d’ajourner l’audience, M. Oleson a été chargé de fournir certains renseignements au Tribunal et aux parties au plus tard le 30 mai 2022. Il a été averti que, s’il ne fournissait pas les renseignements demandés au plus tard à cette date, l’intimée pourrait déposer une requête en rejet de la plainte. M. Oleson n’a pas respecté la directive du Tribunal, et l’intimée a déposé la présente requête visant à faire rejeter la plainte.

[7] Wagmatcook affirme que, à plusieurs reprises, M. Oleson ne s’est pas conformé aux Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 [Règles de pratique] ni aux ordonnances et aux directives du Tribunal et qu’il n’a tenu absolument aucun compte des droits de l’intimée en matière d’équité procédurale. L’intimée soutient que ce serait un abus de procédure de permettre la poursuite de la plainte.

[8] M. Oleson s’oppose au rejet de la plainte. La Commission ne se prononce pas sur la requête en rejet de Wagmatcook.

[9] Je suis d’accord avec Wagmatcook lorsqu’elle déclare que la conduite de M. Oleson, y compris son défaut de se conformer aux Règles de pratique, aux délais et aux directives du Tribunal, et le retard que cela a entraîné, constitue un abus de la procédure du Tribunal. Je fais droit à la demande de Wagmatcook de rejeter la plainte.

II. Question en litige

[10] Une seule question doit être tranchée dans la présente décision : est-ce que le non-respect, par M. Oleson, des délais, des directives et des Règles de pratique du Tribunal justifie le rejet de la plainte en question?

III. Analyse

A. Observations des parties

(i) Requête de l’intimée

[11] Wagmatcook demande le rejet de la plainte en application de la règle 9 des Règles de pratique, qui confère au Tribunal le pouvoir de rejeter une plainte si une partie ne se conforme pas aux Règles de pratique, à une ordonnance du Tribunal ou à un délai fixé sous le régime des Règles de pratique. En outre, Wagmatcook souligne que le Tribunal, au même titre qu’un tribunal judiciaire, « [...] a le droit d’empêcher un abus de procédure » (Johnston c. Forces armées canadiennes, 2007 TCDP 42 (CanLII) [Johnston] au par. 31) et renvoie à la règle 10 des Règles de pratique, qui permet au Tribunal de rejeter une plainte en cas d’abus de procédure.

[12] Wagmatcook affirme que le Tribunal doit rejeter la plainte parce que, à plusieurs reprises, le représentant de la plaignante, M. Oleson, n’a pas respecté les Règles de pratique, les ordonnances et les directives du Tribunal. Selon l’intimée, permettre que l’instruction de la plainte en question continue entraînerait un abus de la procédure du Tribunal.

[13] En ce qui concerne ce que l’on pourrait décrire comme les événements déclencheurs de la requête en question, l’intimée déclare qu’elle en était aux dernières étapes de sa préparation à une audience de trois semaines, qui devait commencer le 25 avril 2022, lorsque l’audience a été annulée pour la troisième fois. Dans la décision qu’il a rendue le 21 avril 2022 faisant droit à la demande d’ajournement de l’audience présentée par M. Oleson, le Tribunal a demandé à ce dernier de fournir, au plus tard le 30 mai 2022, des renseignements concernant son traitement médical en cours. Bien que, le 26 mai 2022, le Tribunal ait rappelé à M. Oleson le délai du 30 mai, M. Oleson n’a fourni aucun renseignement avant la date limite ni aucune explication pour justifier le fait qu’il n’avait pas fourni les renseignements demandés.

[14] Wagmatcook soutient que, puisque le non-respect par M. Oleson du délai du 30 mai n’est que le plus récent exemple de son mépris à l’égard de la procédure du Tribunal et des droits de l’intimée, la requête doit être évaluée dans le contexte de la procédure dans son ensemble et des actions de toutes les parties en ce qui a trait au déroulement de la procédure.

[15] L’intimée affirme que M. Oleson, en plus de ses trois demandes d’ajournement de l’audience, a rarement respecté les délais et les a fait reporter de nombreuses fois, par exemple : pour déposer son exposé des précisions, la liste de ses témoins et le sommaire de ses dépositions; pour répondre aux requêtes; pour communiquer des informations à l’intimée; pour fournir ses observations ou son approbation concernant le recueil conjoint des documents et l’exposé conjoint des faits préparés par la Commission. L’intimée explique que chaque report a entraîné la prolongation de la procédure au fil des ans, ce qui a eu des conséquences négatives sur ses droits en matière d’équité procédurale et ses ressources et sur l’intégrité de la procédure.

[16] Wagmatcook fait remarquer que le Tribunal a développé deux approches ou critères à utiliser pour se prononcer sur les requêtes en rejet d’une plainte pour cause de retard ou de non-respect des délais. Le Tribunal détermine le critère à appliquer selon les circonstances de l’affaire (voir Johnston aux par. 29 à 31 et Chisholm c. HEA, 2019 TCDP 38 (CanLII) [Chisholm] aux par. 17 à 19). Dans la jurisprudence du Tribunal, ces critères sont nommés « critère classique » et critère de Seitz. Une affaire peut être rejetée pour cause de retard si l’un ou l’autre de ces deux critères n’est pas satisfait.

[17] L’intimée reconnaît que la norme pour rejeter une plainte pour cause de retard ou de non-respect des délais est élevée, « [...] surtout dans le cas d’un plaignant non représenté qui a connu de graves problèmes de santé » (Chisholm au par. 2). Toutefois, elle soutient que, en l’occurrence, cette norme est atteinte et dépassée. Wagmatcook soutient aussi que, en l’espèce, le critère « classique » et le critère de Seitz sont tous les deux respectés.

[18] Pour déterminer s’il faut rejeter un dossier pour retard en utilisant le « critère classique », le Tribunal doit établir : (1) s’il y a eu un retard excessif; (2) si le retard est inexcusable; et (3) si l’intimée est susceptible de subir un grave préjudice en raison de ce retard (voir Chisholm au par. 18). L’intimée soutient que les trois aspects sont présents dans ce cas-ci.

[19] Premièrement, l’intimée affirme que le retard dans l’instruction de la plainte a été excessif. Elle indique que la conduite de M. Oleson a causé de nombreux retards importants. Non seulement l’audience a été ajournée trois fois à sa demande, mais elle a été prolongée de manière déraisonnable en raison de son absence de réponse et de ses réponses tardives.

[20] Deuxièmement, Wagmatcook soutient que le retard est inexcusable. M. Oleson a donné différentes raisons pour expliquer les ajournements demandés et son non-respect des délais. Cependant, dans bon nombre des cas où il n’a pas respecté les Règles de pratique ou les directives du Tribunal, M. Oleson n’a donné aucune explication ni n’a fourni aucun document justificatif crédible et fiable.

[21] Troisièmement, l’intimée soutient avoir subi un préjudice énorme à cause de la conduite de M. Oleson tout au long de la procédure de plainte. Wagmatcook a retenu les services d’une avocate et affirme avoir assumé les frais de la préparation d’une audience longue et complexe à trois reprises, en plus du temps qu’elle a consacré à répondre aux nombreuses autres demandes de M. Oleson et des coûts connexes. Elle affirme ce qui suit : [traduction] « En raison du comportement imprévisible de M. Oleson et de son omission à répétition de respecter les délais et les obligations, l’intimée a été laissée dans un état d’incertitude prolongé. L’intimée ignore quand et si la présente affaire sera entendue sur le fond et, même si elle l’est, de nombreux détails des affirmations proposées par M. Oleson lui sont encore inconnus, notamment s’il sera possible de tenir une audience (y compris par vidéoconférence) et quels témoins, le cas échéant, y participeront. »

[22] En outre, l’intimée soutient que le critère énoncé dans l’affaire Seitz s’applique. Lors de l’application de ce critère (énoncé dans Seitz c. Canada, 2002 CFPI 456 (CanLII) [Seitz] aux par. 16 à 18), le Tribunal doit se demander si la plaignante n’a « t[enu] absolument aucun compte » des délais et des Règles de pratique que le Tribunal a établis dans les cas où une affaire est laissée dormante trop longtemps et dans le cas où la plaignante ne semble pas avoir l’intention de faire aboutir l’affaire (voir Chisholm au par. 19).

[23] L’intimée soutient qu’il est évident que M. Oleson n’a « t[enu] absolument aucun compte » de la procédure du Tribunal, ce qui constitue un abus de l’administration de la justice, et que son comportement a porté atteinte aux droits de l’intimée en matière d’équité procédurale. Elle soutient que le Tribunal a fait des efforts considérables pour composer avec M. Oleson tout au long de la procédure, mais que, malgré les nombreux ajournements et prolongations qui lui ont été accordés, il n’a pas respecté les délais et les directives du Tribunal.

[24] L’intimée soutient que M. Oleson n’a pas démontré qu’il est disposé à s’occuper assidûment de son dossier. Elle affirme que « [...] le fait de prolonger une action sans intention de la voir aboutir peut constituer un abus de procédure » (Seitz au par. 19).

[25] Bien que l’intimée compatisse aux problèmes de santé de M. Oleson, elle souligne qu’il n’a pas été assez assidu dans la poursuite de ses propres soins de santé. Lorsque l’intimée a déposé sa requête visant à faire rejeter la plainte le 1er juin 2022, elle ignorait encore si M. Oleson était allé à son rendez-vous du 25 mai pour des soins de santé mentale, ce qui était à l’origine de l’ajournement de l’audience en avril 2022. Elle soutient que, malgré les défis posés par des traitements médicaux en cours, M. Oleson doit prendre des mesures raisonnables pour participer à la procédure de plainte du Tribunal et la faire avancer.

(ii) Plaignante

[26] M. Oleson a envoyé deux courriels différents relativement à la requête de l’intimée. Toutefois, aucun de ces deux courriels ne répond au fond de la requête.

[27] Le premier courriel a été envoyé le 17 juin 2022, la date limite impartie à la plaignante pour répondre à la requête. M. Oleson confirme s’être présenté à son rendez-vous du 25 mai 2022 et indique être allé à un rendez-vous de suivi le 14 juin 2022. Il affirme que ces deux rendez-vous étaient avec un thérapeute, qui lui fixait un rendez-vous avec un psychiatre dans un proche avenir.

[28] M. Oleson a aussi présenté ce qu’il décrit comme une [traduction] « consultation d’un thérapeute clinique datée du 31 juillet 2019 indiquant qu[’il] présentai[t] des symptômes ressemblant à un TSPT [trouble de stress post-traumatique] et qu[’il] en présente encore ». La lettre datée du 31 juillet 2019 provient d’un thérapeute qui affirme avoir rencontré M. Oleson à deux reprises en juillet 2019. Le thérapeute indique qu’il voudrait continuer de voir régulièrement M. Oleson et que lui-même et M. Oleson prévoient prendre part ensemble à un rendez-vous en télépsychiatrie à l’hôpital régional Cape Breton [traduction] « pour avoir une consultation sur les médicaments et/ou pour connaître les pratiques exemplaires à l’égard des symptômes ressemblant à un TSPT ».

[29] Dans son courriel du 17 juin 2022, M. Oleson affirme avoir suivi et suivre actuellement un traitement médical contre l’anxiété. Il indique qu’un TSPT est un trouble anxieux et que, quelques fois avant la pandémie de COVID-19, il a été dirigé vers un psychiatre pour le traitement d’un TSPT, mais qu’aucun des psychiatres vers lesquels il a été dirigé n’acceptait de nouveaux patients. Il souligne qu’il fournira au Tribunal le nom du psychiatre qu’il consultera lorsqu’il le connaîtra. Toutefois, il refuse de donner cette information à l’intimée parce que l’avocate de cette dernière a communiqué avec son médecin pour lui demander s’il a écrit une lettre datée du 12 avril 2022 à l’appui de la demande d’ajournement de l’audience de M. Oleson. M. Oleson décrit cette action comme étant [traduction] « agressive » et une [traduction] « violation répréhensible de [sa] vie privée » qui a eu un [traduction] « effet négatif sur les travailleurs de la santé qu[’il] consulte et sur [leurs] relations ».

[30] M. Oleson indique ensuite qu’il demandera une enquête sur le harcèlement de témoins concernant la présente affaire relative aux droits de la personne et qu’il enverra sous peu des éléments de preuve en ce qui a trait à ce harcèlement allégué.

[31] Enfin, dans les observations qu’il a présentées par courriel le 17 juin 2022, M. Oleson affirme que, à l’hiver 2021, il a été attaqué dans la maison de ses enfants alors qu’il travaillait sur le dossier de droits de la personne de sa mère. Il décrit cet événement comme [traduction] « un braquage de domicile qui a fini dans le sang » et indique que cela a aggravé son stress et son anxiété. De plus, il a joint à son courriel du 17 juin 2022 des photos des blessures qu’il dit avoir subies après s’être fait attaquer dans une pizzeria en compagnie de sa famille. Il estime que cette attaque était en rapport [traduction] « avec un coup monté en raison de la plainte relative aux droits de la personne ». Il ne précise pas à quel moment cet événement s’est produit.

[32] Outre les observations présentées le 17 juin 2022, M. Oleson a aussi envoyé un courriel non sollicité le 27 juin 2022. Puisque l’intimée a eu l’occasion de répondre à ce courriel, je le résumerai ici. M. Oleson a déclaré qu’il cherchait activement à obtenir un rendez-vous avec un psychiatre et a répété qu’il ne fournirait son nom qu’au Tribunal, et non à l’intimée.

[33] M. Oleson a aussi réitéré qu’il enverrait des éléments de preuve [traduction] « pour déposer une plainte pour intimidation et harcèlement de témoin » et a demandé une certaine [traduction] « marge de manœuvre concernant l’admission de preuves » en raison de son [traduction] « manque de connaissances juridiques » et de ses [traduction] « problèmes de santé psychologique ». Il a répété qu’il croyait que lui et sa famille avaient été attaqués et harcelés en lien avec la plainte et que ces événements avaient nui à sa santé mentale. Il a joint à ce courriel des photos qui, selon lui, sont des photos du [traduction] « braquage de domicile » qui a eu lieu pendant qu’il travaillait sur le dossier d’atteinte aux droits de la personne, mais qu’il ne voulait pas partager avec l’intimée.

(iii) Réponse de l’intimée

[34] L’intimée a répondu aux courriels envoyés par M. Oleson les 17 et 27 juin. Elle indique que, bien que M. Oleson ait dit au Tribunal qu’il s’était présenté à son rendez-vous le 25 mai 2022 et à un rendez-vous de suivi le 14 juin, il n’a fourni aucun document justificatif pour confirmer sa présence ni les étapes suivantes recommandées, dont un plan de traitement. L’intimée souligne qu’aucun calendrier n’a été proposé sur lequel le Tribunal et elle-même pourraient véritablement s’appuyer.

[35] L’intimée affirme que, en l’absence de telles informations, ses droits en matière d’équité procédurale sont considérablement affectés. Rien n’indique comment ou quand la présente affaire progressera et aucune assurance n’est donnée quant à la question de savoir si Wagmatcook devra continuer à assumer les frais importants associés à d’autres retards.

[36] En ce qui concerne la lettre du 31 juillet 2019 du thérapeute clinique que M. Oleson a jointe à son courriel du 17 juin 2022, l’intimée souligne qu’il y est recommandé que M. Oleson continue de rencontrer régulièrement le thérapeute clinique, ce qu’il semble, selon ses propres observations, ne pas avoir fait. L’intimée soutient que cette omission montre un manque de rigueur de la part de M. Oleson dans la poursuite de son propre traitement en santé mentale.

[37] L’intimée affirme que les informations concernant les attaques qui auraient été perpétrées contre M. Oleson et sa famille et les allégations selon lesquelles l’intimée était impliquée ne sont pas pertinentes pour les fins de la requête en rejet de la plainte et n’ont pas leur place dans les observations en réponse. Wagmatcook nie les allégations d’intimidation ou de harcèlement du témoin, sur lesquelles M. Oleson n’a donné aucune précision.

[38] Wagmatcook soutient que M. Oleson a continué d’ignorer les exigences en matière d’équité procédurale et les Règles de pratique du Tribunal en omettant d’envoyer en copie conforme à l’intimée sa lettre du 27 juin 2022 et en joignant des photos sur lesquelles il a l’intention de s’appuyer dans le cadre de la procédure de plainte, mais qui n’ont pas été divulguées lors de la préparation de l’audience.

[39] L’intimée soutient que M. Oleson n’a pas démontré son intention de faire aboutir l’affaire en question. Au lieu de cela, il continue de dire qu’il présentera plus d’éléments de preuve. Wagmatcook réitère que le fait de prolonger une affaire sans intention de la faire aboutir peut constituer un abus de procédure (Seitz au par. 19).

[40] L’intimée affirme que M. Oleson, dans ses observations, ne trace aucune voie à suivre pour la procédure et qu’il continue de recourir à des tactiques qui retardent la procédure et qui, jusqu’à maintenant, ont causé un préjudice important à l’intimée.

B. Motifs du rejet de la plainte

[41] Je suis d’avis que le Tribunal doit appliquer l’approche énoncée dans l’affaire Seitz pour déterminer si la plainte doit être rejetée. Bien que l’intimée soutienne qu’il y a eu un retard excessif dans ce cas-ci, de sorte que le « critère classique » pourrait aussi être appliqué aux faits, je ne suis pas d’avis que ce soit l’approche appropriée à appliquer dans les circonstances de la présente affaire.

[42] Le « critère classique » exige une conclusion selon laquelle il y a eu un retard excessif. Le Tribunal peut avoir à examiner – lorsque les faits de la cause le justifient – si le « critère classique » s’applique encore, étant donné la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29 (CanLII) [Abrametz], qui a été rendue après les observations finales de l’intimée concernant sa requête. Dans l’arrêt Abrametz, la Cour suprême s’est penchée sur la question du retard excessif dans le contexte de procédures administratives qu’elle avait déjà examinée dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (CanLII). Dans les deux cas, la Cour suprême a adopté une analyse à trois volets pour déterminer si un délai qui ne porte pas atteinte à l’équité d’une audience constitue néanmoins un abus de procédure. Cette analyse diffère légèrement du « critère classique ».

[43] Quoi qu’il en soit, la requête concerne davantage le non-respect par la plaignante des Règles de pratique et des directives du Tribunal que le fait que l’affaire prend beaucoup de temps dans le cadre de la procédure du Tribunal. Dans la mesure où on ne parvient pas à voir la fin de la procédure en raison de la conduite de M. Oleson, il pourrait probablement y avoir une conclusion éventuelle de retard excessif. Cependant, l’abus de procédure dont il est question ici diffère de celui dans Abrametz (et je souligne que la Cour suprême a conclu que le retard dans l’affaire en question était long, mais non excessif).

[44] L’approche énoncée dans Seitz exige que le Tribunal conclue qu’il n’a été « t[enu] absolument aucun compte » des délais et des Règles de pratique du Tribunal, dans une affaire qui est demeurée statique pendant trop longtemps, et que la plaignante semble ne pas avoir l’intention de faire aboutir le dossier. Ce critère est approprié étant donné que la requête a été présentée en vertu de la règle 9 des Règles de pratique, qui accorde au Tribunal le pouvoir de rejeter une plainte en cas de non-respect des Règles de pratique, d’une ordonnance du Tribunal ou d’un délai fixé sous le régime des Règles de pratique.

(i) Mépris total à l’égard des délais et des Règles de pratique du Tribunal

[45] Conformément au paragraphe 2(2) des Règles de pratique, toutes les parties ont consenti à l’application des Règles de pratique de 2021 du Tribunal à la présente affaire. Selon la règle 5, les « règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide ». Cette règle tient compte de l’exigence législative selon laquelle l’instruction des plaintes « se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique » (par. 48.9(1) de la LCDP).

[46] Les Règles de pratique précisent aussi que le Tribunal régit le déroulement de l’instruction, de la gestion d’instance jusqu’à l’audience, en passant par les requêtes (par. 3(2)), et elles donnent au Tribunal le pouvoir d’établir des délais afin que la procédure continue de progresser vers l’audience. Ainsi, tous les délais imposés par le Tribunal relativement à la gestion d’instance, aux requêtes et à la préparation de l’audience sont fixés sous le régime des Règles de pratique, en ce qui concerne l’application de la règle 9.

[47] Tout au long des cinq années pendant lesquelles la présente affaire a fait l’objet d’une gestion d’instance au Tribunal, M. Oleson n’a pas respecté les directives ni la quasi-totalité des délais établis par le Tribunal en vertu de ses Règles de pratique, ou il a demandé des prolongations. De plus, chaque fois que l’audience sur la plainte a été prévue, M. Oleson a demandé un ajournement. Les faits ci-dessous concernant la conduite de M. Oleson depuis que la première audience sur le dossier a été prévue appuient une conclusion selon laquelle M. Oleson n’a tenu absolument aucun compte des délais et des Règles de pratique du Tribunal.

[48] En avril 2021, M. Oleson a demandé l’ajournement de l’audience prévue en juin 2021 parce qu’il devait subir une chirurgie en mai 2021, et il a indiqué qu’il aurait besoin de temps pour s’en remettre. Il a demandé le report de l’audience à l’automne 2021. M. Oleson a accepté de fournir, au plus tard le 16 avril 2021, une confirmation de la part de son chirurgien ou de son médecin quant à la date de sa chirurgie et la durée de sa convalescence. Toutefois, il n’a fourni ces informations qu’à la fin avril. Une fois ces informations reçues, toutes les parties ont convenu d’ajourner l’audience, et les dates d’audience ont été reportées en octobre et novembre 2021.

[49] Lors de la conférence téléphonique préparatoire suivante tenue en juillet 2021, M. Oleson a fait savoir qu’il n’avait pas encore subi sa chirurgie, mais qu’il n’était pas responsable du retard. Afin d’être prêt à commencer l’audience en octobre 2021, M. Oleson avait jusqu’au 25 août 2021 pour demander toute autre communication de documents de la part de l’intimée et pour fournir les documents, photos ou vidéos qu’il lui restait à présenter à l’intimée et à la Commission. Au lieu de cela, il a attendu jusqu’au 25 août pour demander une prorogation de trois semaines parce qu’il était [traduction] « très malade ». Il s’est vu accorder une prorogation et un nouveau délai ferme a été fixé au 8 septembre 2021. Le Tribunal a souligné à M. Oleson que tout report de délai si proche de la date d’audience a un effet sur la capacité des autres parties à se préparer à l’audience.

[50] M. Oleson n’avait fourni aucun billet de médecin à l’appui de la demande de prorogation qu’il a présentée le 25 août 2021. Puisque ce n’était pas la première fois qu’il avait indiqué que des problèmes de santé l’empêchaient de respecter les délais, le Tribunal a ordonné que toute autre demande de prorogation ou de report présentée par M. Oleson pour cause de maladie ne soit examinée que si elle était appuyée par un document médical.

[51] Le 8 septembre 2021, M. Oleson a présenté une demande vaste et longue visant à obtenir d’autres informations et documents de la part de l’intimée, dont certains ne concernaient pas la plainte. Cette question avait été tranchée par le Tribunal en 2019 (dans l’affaire 2019 TCDP 35 (CanLII)).

[52] Dans le cadre de sa demande du 8 septembre 2021, M. Oleson a aussi demandé que toutes les informations qui lui avaient été fournies précédemment par les autres parties lui soient renvoyées. Il s’agissait de la deuxième fois qu’il demandait à ce que lui soient fournies des informations qu’il avait déjà reçues. De plus, M. Oleson a ajouté plusieurs nouveaux témoins à sa liste de témoins et a indiqué qu’il avait encore l’intention de fournir des vidéos et d’autres informations plus tard, en dépit de la directive qui lui a été donnée de fournir toutes ces informations au plus tard le 8 septembre 2021.

[53] En raison de cette longue demande de la part de M. Oleson si près de l’audience, l’intimée a demandé d’annuler les dates d’audience en octobre pour lui permettre d’y répondre, tout en conservant la semaine d’audience prévue en novembre 2021. Toutes les parties et le Tribunal en sont convenus. L’intimée a agi avec diligence et rapidité pour répondre à la demande de M. Oleson.

[54] La conférence téléphonique préparatoire suivante était prévue le 13 octobre 2021. M. Oleson ne s’est pas joint à l’appel et, lorsque l’agent du greffe a communiqué avec lui, M. Oleson l’a informé qu’il ne se sentait pas bien et qu’il ne participerait pas. Ladite conférence a été reportée au 15 octobre 2021.

[55] Durant la conférence téléphonique préparatoire tenue le 15 octobre, M. Oleson a demandé l’ajournement de l’audience prévue en novembre 2021. Il a indiqué avoir eu du mal à se préparer à l’audience parce qu’il souffrait d’anxiété et de TSPT, bien qu’il ait omis de présenter le document médical exigé à l’appui de cette affirmation. À ce moment-là, il a assuré à tout le monde prenant part à l’appel qu’il se sentait mieux et qu’il pourrait tout mettre en place pour une audience à la mi-janvier 2022.

[56] L’autre question que M. Oleson a soulevée à l’appui de sa demande d’ajournement de l’audience était le fait que la Commission avait récemment annoncé qu’elle ne participerait plus à l’audience sur la plainte. Jusqu’à ce moment-là, la Commission avait participé en tant que partie à part entière et prévoyait aider M. Oleson lors de son interrogatoire principal et de son contre-interrogatoire des témoins de l’intimée. La Commission avait aussi prévu de faire entendre elle-même quatre témoins. Le retrait tardif de l’audience de la part de la Commission signifiait qu’une plus grande responsabilité était placée sur les épaules de M. Oleson, qui était pris au dépourvu. Bien que l’intimée ait été contrariée par les reports demandés par M. Oleson, elle a indiqué qu’il était évident qu’il n’était pas prêt pour l’audience en novembre.

[57] La Commission et l’intimée ont toutes deux dit avoir des doutes quant à l’engagement de M. Oleson à l’égard de la procédure. Elles ont souligné qu’il a été pris au dépourvu à plusieurs reprises durant le processus préparatoire, qu’il avait manqué des délais et qu’il avait demandé plusieurs prorogations. Elles se sont aussi demandé si M. Oleson avait les documents que les autres parties lui avaient fournis à différents moments durant le processus de gestion d’instance, et ce, même si elles lui avaient transmis leurs documents plus d’une fois.

[58] Même s’il ne participait plus à l’audience, les conseillers juridiques de la Commission aidaient encore les parties à préparer un recueil conjoint des documents et un exposé conjoint des faits. La Commission a indiqué que, bien que le recueil conjoint des documents était prêt, M. Oleson continuait de contester les informations fournies par l’intimée, et il parlait encore d’élargir la portée de la plainte, bien que cette question ait été tranchée par le Tribunal en 2019. La Commission a suggéré que, si l’audience était ajournée, les autres délais de M. Oleson devaient être fermes.

[59] J’ai convenu que l’affaire avait pris beaucoup de temps à être entendue et qu’il était injuste pour l’intimée d’avoir à se préparer à l’audience tout en ne sachant pas si M. Oleson serait prêt. J’ai reconnu qu’une grande partie du retard à ce stade était attribuable à M. Oleson. Toutefois, je comprenais que le retrait de la Commission à une date aussi tardive avait placé une responsabilité et une pression considérables sur M. Oleson, qui a été pris au dépourvu.

[60] Lors de la conférence téléphonique préparatoire tenue le 15 octobre 2021, j’ai accepté d’ajourner l’audience prévue en novembre 2021, sous réserve que M. Oleson soit prêt pour l’audience en janvier 2022, ce qui signifiait qu’il devait avoir réglé toutes ses questions en suspens d’ici là. J’ai fixé à novembre 2021 les délais pour que M. Oleson se conforme à la divulgation. J’ai décidé que ces délais et tous les délais futurs seraient fermes à l’égard de M. Oleson, ce qui signifiait qu’il devait respecter les délais établis afin de s’assurer d’être prêt pour l’audience et que, dans le cas contraire, il devrait poursuivre tout de même sans autre prorogation. Il a été averti que l’intimée pourrait aussi présenter une requête visant à faire rejeter la plainte s’il continuait à ne pas respecter les délais et les directives du Tribunal. Enfin, j’ai réitéré que toute demande de report pour raison de santé ne serait examinée que si M. Oleson fournissait une preuve médicale à l’appui.

[61] Durant la conférence téléphonique préparatoire tenue le 15 octobre 2021, les parties ont aussi discuté de la possibilité de recourir à un autre processus de médiation assistée par le Tribunal, mais avec un autre membre du Tribunal. Pour éviter tout autre retard, j’ai demandé à M. Oleson d’informer les autres parties au plus tard le 22 octobre s’il acceptait de retenter une médiation. Cependant, il n’a pas respecté ce délai. Il a plutôt indiqué, le 8 novembre, qu’il n’avait pas écarté la possibilité de participer de nouveau à une médiation.

[62] Le 8 novembre 2021, M. Oleson a demandé une prorogation d’au moins un mois et demi pour respecter les délais en novembre établis lors de la conférence téléphonique préparatoire du 15 octobre. Il a indiqué qu’il s’occupait d’une autre affaire juridique liée à sa mère, qu’il avait sa propre affaire judiciaire en cours et qu’il devait demander d’autres dossiers médicaux de sa mère à un hôpital pour son dossier relatif aux droits de la personne.

[63] Le 10 novembre 2021, j’ai refusé d’accorder la demande de prorogation présentée par M. Oleson en ces termes : [traduction] « Les parties et le Tribunal ont entendu les nombreuses excuses de M. Oleson au cours des quatre dernières années concernant les raisons pour lesquelles il n’a pas respecté les délais ou pour lesquelles il ne peut respecter les délais qu’il avait précédemment acceptés. Il doit commencer à prendre la présente affaire plus au sérieux et à en faire une priorité. » J’ai ajouté que, s’il ne respectait pas les délais établis lors de la conférence téléphonique préparatoire du 15 octobre 2021, il ne serait pas autorisé à demander d’autres documents à l’intimée ni à divulguer d’autres documents lui-même sans l’autorisation du Tribunal, qui ne serait donnée que dans des circonstances exceptionnelles.

[64] Lors d’une conférence téléphonique préparatoire tenue en février 2022, alors que la médiation était en cours devant un autre membre du Tribunal, une audience a été prévue au cas où la médiation serait infructueuse. L’audience devait commencer le 25 avril 2022.

[65] Puisque l’affaire ne s’est pas réglée, une conférence téléphonique préparatoire a été tenue le 6 avril 2022 pour s’assurer que les parties étaient préparées à l’audience. Lors de cette conférence, M. Oleson a demandé l’ajournement de l’audience. Il a mentionné un rendez-vous prochain avec un psychologue auquel, selon lui, il devait se présenter avant de pouvoir procéder à l’audience parce qu’il souffrait de divers problèmes de santé mentale qui nuisaient à sa capacité de se préparer à l’audience. J’ai indiqué que je n’examinerais aucune demande d’ajournement sans avoir une preuve médicale d’un médecin, ce qui concordait avec les directives que j’avais données précédemment en août et en octobre 2021. Selon ces directives, M. Oleson devait fournir un document médical pour justifier toute autre demande d’ajournement ou de prorogation liée à sa santé.

[66] Le samedi 16 avril 2022, M. Oleson a envoyé un courriel adressé uniquement au Tribunal et à la Commission pour demander le report de l’audience prévue le 25 avril à une date postérieure à son rendez-vous avec un psychologue prévu le 25 mai 2022. Il n’a pas fait parvenir sa demande à l’intimée comme il en avait l’obligation. Par conséquent, l’intimée n’a reçu le courriel de M. Oleson que le 19 avril. La demande était accompagnée d’une lettre de son médecin datée du 12 avril 2022.

[67] Dans sa lettre, le médecin affirme avoir donné à M. Oleson une consultation à la Régie de la santé de la Nouvelle-Écosse (la Régie de la N.-É.) en avril 2021 parce qu’il présentait des symptômes de TSPT. M. Oleson a aussi fourni une lettre datée de la Régie de la N.-É. indiquant que le dossier de consultation de ce client avait été fermé parce qu’il n’avait pas été possible de joindre M. Oleson, mais que ce dernier pouvait communiquer avec la Régie de la N.-É. pour obtenir un service sans une nouvelle consultation. Il semble que M. Oleson ne l’ait pas fait. Au lieu de cela, son médecin l’a dirigé de nouveau vers la Régie de la N.-É. le 11 mars 2022, et un rendez-vous a été pris pour le 25 mai 2022.

[68] Dans la lettre du médecin datée du 12 avril 2022, il est indiqué que M. Oleson était [traduction] « [...] en cours de traitement en raison de son stress et de son anxiété, et [que le médecin] recommande fortement [...] que lui soit accordée une prorogation de son audience relative aux droits de la personne prévue le 25 avril 2022, et ce, à une date ultérieure à son rendez-vous avec un psychologue prévu le 25 mai 2022, afin que [le Tribunal] compren[ne] mieux sa déficience et compos[e] mieux avec celle-ci ».

[69] Dans la demande d’ajournement qu’il a présentée le 16 avril 2022, M. Oleson a indiqué que, même s’il participait à des appels de médiation depuis les dernières semaines, il demandait au Tribunal de reporter l’audience à une date ultérieure au 25 mai afin qu’il puisse avoir les [traduction] « outils » lui permettant d’aller de l’avant et que le Tribunal tienne ainsi compte de sa déficience.

[70] J’ai décidé d’ajourner l’audience en raison de la lettre du médecin de M. Oleson. J’ai admis que M. Oleson avait l’appui de son médecin, qui recommandait fortement que l’audience soit ajournée pour lui permettre de se faire soigner. Toutefois, j’étais aussi en accord avec l’observation de l’intimée selon laquelle M. Oleson ne semblait pas s’être efforcé d’obtenir des soins de santé mentale au cours de la dernière année, bien qu’il ait reçu une première consultation de son médecin en avril 2021.

[71] J’ai indiqué dans ma décision d’ajourner l’audience que M. Oleson avait demandé bon nombre de prorogations au Tribunal sur plus de quatre années de gestion d’instance, de même que trois ajournements, et qu’il avait présenté de nombreuses excuses pour ses retards qui avaient contrarié toutes les parties en cause. J’ai affirmé qu’il se souciait peu du temps consacré et des frais assumés par l’intimée chaque fois qu’elle devait se préparer à une audience, qui finalement était ajournée. J’ai souligné que, lorsque le Tribunal et les conseillers juridiques prévoient trois semaines dans leur agenda pour l’audience, nous ne pouvons prévoir rien d’autre, ce qui a aussi un effet sur les autres parties devant le Tribunal. J’ai cité l’affaire Constantinescu c. Service correctionnel du Canada, 2018 TCDP 10 (CanLII) [Constantinescu], dans laquelle le Tribunal a déclaré ce qui suit : « Plus le temps passe, plus grand est le préjudice pour le public. Je rappelle qu’il n’est pas dans l’intérêt du public que les plaintes en matière de discrimination s’allongent dans le temps [...] » (par. 38).

[72] J’ai décidé d’ajourner les audiences prévues en avril et en mai 2022, mais j’ai ajouté que, si d’autres retards étaient causés par l’omission de la part de M. Oleson de participer à ses propres soins de santé, il pouvait s’attendre à ce que l’intimée dépose une requête visant à faire rejeter la plainte. Il a été ordonné à M. Oleson de confirmer au Tribunal et à l’intimée, au plus tard le 30 mai 2022, qu’il s’était présenté à son rendez-vous du 25 mai 2022 et de les informer s’il avait un rendez-vous de suivi prévu, auquel cas il devait en indiquer la date.

[73] Après avoir rendu ma décision d’ajournement le 21 avril 2022, l’avocate de l’intimée a indiqué avoir communiqué avec le médecin de M. Oleson lorsqu’elle a réalisé que sa lettre datée du 12 avril 2022 n’était pas sur du papier à en-tête et que son nom était mal écrit. Bien qu’il n’ait pas été question des soins de santé de M. Oleson, le médecin a expliqué à l’avocate que M. Oleson s’était présenté avec la lettre datée du 12 avril déjà rédigée et qu’il ne l’avait que signée.

[74] En ce qui a trait à la question de l’avocate concernant la lettre du médecin, j’ai remarqué que je n’avais aucune preuve que le médecin était en désaccord avec le contenu de la lettre qu’il a signée. J’ai conclu la correspondance que j’ai transmise aux parties le 26 mai 2022 en soulignant ce qui suit : [traduction] « Je fais remarquer qu’il a été ordonné à M. Oleson de confirmer au Tribunal et à l’intimée, au plus tard le 30 mai 2022, qu’il s’est présenté à son rendez-vous du 25 mai 2022 avec un fournisseur de soins de santé mentale et de les informer s’il avait un rendez-vous de suivi prévu, auquel cas il devait en indiquer la date. S’il omet de le faire, le Tribunal examinera les propositions des parties sur la façon de procéder. »

[75] M. Oleson ne s’est pas conformé à la directive claire du Tribunal de le tenir au courant, au plus tard le 30 mai 2022, concernant son rendez-vous pour soins de santé mentale prévu le 25 mai 2022. Par conséquent, le 1er juin 2022, l’intimée a déposé la requête de rejet de la plainte. J’ai établi des délais pour la présentation des observations des parties sur la requête.

[76] Après avoir reçu la requête de l’intimée, M. Oleson a envoyé le 7 juin 2022 un courriel dans lequel il affirmait s’être présenté au rendez-vous du 25 mai 2022. Il a aussi mentionné son intention d’aller de l’avant avec la plainte. Le 9 juin 2022, il a écrit de nouveau pour confirmer s’être présenté au rendez-vous du 25 mai et avoir un rendez-vous de suivi prévu le 14 juin 2022. Il a indiqué qu’il [traduction] « esp[érait] acquérir [...] des habiletés d’adaptation à [son] TSPT et à [son] anxiété ».

[77] M. Oleson a offert de nombreuses excuses pour son non-respect des délais. Il promet constamment de fournir des renseignements et dit sans cesse qu’il s’organisera si plus de temps lui est alloué. Cependant, je conviens avec l’intimée que le Tribunal a déjà accordé à M. Oleson bon nombre d’occasions et de concessions importantes, et que M. Oleson doit être tenu responsable de son non-respect des directives et des délais établis par le Tribunal. L’intimée soutient que, dans le cas contraire, les Règles de pratique et les directives du Tribunal perdraient en réalité tout leur sens, ce qui la placerait dans une position où elle ne pourrait s’y fier ni s’attendre à ce qu’elles soient appliquées.

[78] Le dossier du Tribunal reflète un comportement constant qui a donné lieu à des retards importants de la part de M. Oleson. Prise dans son ensemble, la conduite de M. Oleson démontre qu’il ne « tient absolument aucun compte » des délais et des Règles de pratique du Tribunal.

(ii) L’affaire est demeurée statique pendant trop longtemps

[79] En appliquant le critère de Seitz, je n’ai pas à conclure que le retard en question a été excessif. Je dois plutôt conclure que, dans les circonstances, l’affaire est demeurée statique trop longtemps, ce qui, selon moi, signifie qu’elle n’a pas progressé de façon significative.

[80] Je conclus que l’affaire est demeurée statique pendant environ deux ans. Les faits énoncés dans la section précédente appuient cette conclusion, puisqu’ils confirment que l’affaire n’a pas progressé de façon significative depuis la première fois qu’une audience a été prévue, en avril 2021. Cette audience a été ajournée en raison d’une chirurgie que M. Oleson n’a toujours pas subie. Même s’il n’est peut-être pas responsable du retard de cette chirurgie, il aurait pu profiter de ce temps pour se préparer à l’audience. Près de deux ans plus tard, rien n’a changé et, comme il est indiqué dans la section suivante, je n’ai aucun motif de croire que quelque chose changera à cet égard.

[81] Dans les circonstances de l’affaire en question, la plainte est demeurée statique trop longtemps. Le Tribunal est tenu d’assurer le déroulement rapide et équitable de ses procédures pour toutes les parties, non seulement la plaignante. À ce stade, l’intimée a eu à se préparer à l’audience à trois reprises et rien ne lui indique si ou quand une audience aura vraiment lieu. Une telle incertitude va à l’encontre de l’obligation du Tribunal de faire preuve de rapidité, et il serait injuste pour l’intimée de permettre la prolongation de cette situation.

(iii) M. Oleson semble n’avoir aucune intention de faire aboutir le dossier

[82] Le Tribunal avait convenu d’ajourner l’audience prévue au printemps 2022 en se fondant sur la demande précise de M. Oleson visant à lui permettre d’obtenir des soins de santé mentale afin qu’il puisse participer à l’audience, avec d’éventuelles mesures d’adaptation recommandées par un professionnel de la santé. L’ajournement était conditionnel à ce que, au plus tard le 30 mai 2022, M. Oleson fasse le point sur son rendez-vous avec un psychologue prévu le 25 mai et fournisse des renseignements sur son plan de traitement en cours. Puisqu’il a omis de le faire dans le délai fixé, l’intimée a déposé la requête en rejet de la plainte.

[83] Au lieu de répondre à la requête, M. Oleson a soulevé de nouvelles questions et a fait mention de nouveaux éléments de preuve. De plus, plutôt que de fournir des documents médicaux actuels et pertinents, il a présenté une lettre d’un thérapeute clinique datée de juillet 2019 qui indiquait qu’il était dirigé vers une consultation en raison de symptômes ressemblant à un TSPT. Il a présenté cette lettre, qui datait déjà de trois ans, en juin 2022.

[84] Je remarque que, le 11 octobre 2022, M. Oleson a transmis au Tribunal et aux parties un courriel dans lequel il confirmait avoir consulté un psychiatre le 4 octobre 2022 et avoir été diagnostiqué comme souffrant [traduction] « d’anxiété, de dépression et de TSPT aggravé ». Il a aussi mentionné qu’il consulterait son médecin généraliste. M. Oleson dit espérer que les mesures d’adaptation à ses déficiences seront respectées, mais il ne fournit aucune information sur les mesures d’adaptation dont il a besoin ni sur la question de savoir si ces diagnostics entraîneraient des conséquences sur sa capacité de participer à la procédure du Tribunal.

[85] Je reconnais que M. Oleson a pris part à la gestion d’instance de la plainte de sa mère tout en gérant de nombreux problèmes personnels et en faisant le deuil de sa mère avec laquelle il vivait et dont il prenait soin dans ses dernières années. Bien que je n’aie aucune raison de mettre en doute son affirmation selon laquelle il a été diagnostiqué comme ayant un TSPT, de l’anxiété et une dépression, il a encore omis de fournir au Tribunal une preuve de son traitement par un professionnel de la santé. De même, il n’a présenté aucune preuve provenant d’un professionnel de la santé concernant les effets de son état sur sa capacité à participer à la procédure du Tribunal, avec des mesures d’adaptation ou non. S’il a un plan de traitement, il n’a fourni aucune information indiquant à quel moment il pourra prendre part à l’audience sur la plainte en question.

[86] Il ne tenait qu’à M. Oleson de fournir au Tribunal les informations qui l’auraient aidé à [traduction] « compren[dre] [..] sa déficience et [...] [à] compos[er] [...] avec celle-ci », comme il l’a indiqué dans la demande d’ajournement qu’il a présentée en avril 2022. Huit mois après le rendez-vous du 25 mai 2022, M. Oleson ne l’a toujours pas fait. Je suis d’accord avec l’intimée sur le fait que les informations limitées que M. Oleson a fournies ne tracent aucune voie à suivre pour le futur. Le courriel de M. Oleson du 11 octobre 2022 ne donne aucun renseignement qui permettrait au Tribunal et à l’intimée d’évaluer comment ou quand l’affaire peut aller de l’avant. Si M. Oleson était sérieux quant à la poursuite de la plainte en question, il aurait dû agir avec diligence en fournissant aux parties et au Tribunal les informations qui les auraient aidés à tenir une audience rapidement, comme l’exige la LCDP.

[87] Je remarque aussi que, dans son courriel du 11 octobre 2022, M. Oleson dit qu’il s’oppose à la requête de l’intimée [traduction] « [...] et [qu’il] le fer[a] par écrit avec un peu de chance la semaine prochaine, car [il a] déjà un brouillon ». Il indique aussi qu’il dispose de [traduction] « nouveaux éléments de preuve » qu’il fournira lorsqu’ils seront rassemblés. Il conclut en affirmant qu’il enverra les informations appropriées pour que le dossier progresse. Depuis lors, il n’a rien envoyé d’autre. M. Oleson avait jusqu’au 17 juin 2022 pour répondre à la requête de l’intimée. L’affirmation qu’il a faite en octobre 2022 selon laquelle il a l’intention de répondre à la requête à une date ultérieure est un autre exemple du fait que M. Oleson ne tient aucun compte des Règles de pratique et des directives du Tribunal.

[88] M. Oleson n’a rien fourni au Tribunal et aux parties qui indiquerait qu’il a vraiment l’intention de faire progresser la présente plainte vers une audience. Ses promesses et ses assurances antérieures de faire avancer le dossier ne se sont pas concrétisées. Pour le Tribunal, M. Oleson ne semble avoir aucune intention réelle de régler la plainte.

(iv) Abus de procédure

[89] Le défaut de M. Oleson de se conformer aux Règles de pratique et aux directives du Tribunal, ses demandes de prorogation de presque tous les délais, ses demandes d’ajournement d’audience et le fait qu’il renvoie continuellement à d’autres questions et éléments de preuve qu’il a l’intention de présenter se sont traduits par des injustices et des frais pour l’intimée, qui a retenu les services d’une avocate et qui a eu à se préparer à plusieurs reprises à l’audience et à répondre aux différentes demandes de M. Oleson.

[90] Toutefois, l’approche énoncée dans l’affaire Seitz exige que le Tribunal examine l’incidence des retards causés par M. Oleson et de son non-respect des Règles de pratique et des directives du Tribunal non seulement à la lumière du préjudice causé aux parties, mais aussi de l’abus de la justice, « ce qui est distinct du préjudice causé par un retard excessif et inexcusable. Ce genre d’affaires peut donner lieu à une conclusion d’abus de procédure » (Chisholm au par. 19; voir aussi Mattice c. Westower Communications Ltd., 2014 TCDP 32 (CanLII) [Mattice] au par. 41).

[91] Le Tribunal a déjà souligné qu’il n’est pas dans l’intérêt du public que les plaintes en matière des droits de la personne s’allongent dans le temps. Il est chargé d’instruire les plaintes de façon informelle et rapide, conformément à ses Règles de pratique et aux principes de justice naturelle. « Plus le temps passe, plus grand est le préjudice pour le public » (Constantinescu au par. 38).

[92] Le processus de plainte relatif aux droits de la personne est conçu pour assurer le respect des droits des plaignants, qui sont parfois des membres très vulnérables de la société. Cependant, le Tribunal est aussi tenu de respecter les principes de justice naturelle, ce qui signifie qu’il a le devoir d’agir équitablement envers toutes les parties. « [L]e Tribunal s’emploie dûment à répondre aux besoins des parties qui se représentent elles-mêmes pour leur donner amplement et pleinement la possibilité de présenter leur cause, mais [il] ne le fait pas au détriment des autres parties ou du Tribunal » (Mattice au par. 51).

[93] Le comportement de M. Oleson constitue un abus de la procédure du Tribunal. La procédure est non seulement injuste pour la Première Nation intimée, mais aussi pour le Tribunal et pour la Commission, qui sont tous deux financés par les contribuables et qui ont tous deux beaucoup d’autres plaintes qui ont tout autant droit à leur temps et leurs ressources. La LCDP exige une résolution raisonnablement rapide des plaintes pour atteinte aux droits de la personne, ce qui ne s’est pas produit et ne se produira pas dans l’affaire en question.

[94] J’ai aussi examiné le préjudice causé à la plaignante en raison du rejet de la plainte. Dans la présente affaire, la plaignante elle-même est décédée, et M. Oleson représente sa succession. L’aspect lié à l’intérêt public de la plainte a déjà été réglé entre la Commission et l’intimée. Si je tiens compte des faits de l’affaire, de l’exigence d’efficacité et d’économie, de l’importance de mener à terme les plaintes relatives aux droits de la personne, du devoir d’équité envers toutes les parties et de tout préjudice causé aux parties et à la justice, je conclus que la balance penche clairement en faveur du rejet de la plainte.

IV. Ordonnance

[95] La plainte est rejetée.

Signé par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 26 janvier 2023


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal : T2180-/0217

Intitulé de l’affaire : La succession d’Annie Oleson c. Première Nation de Wagmatcook

Date de la décision du Tribunal : le 26 janvier 2023

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Joseph Oleson , pour la plaignante

Bryna Hatt , pour l’intimée