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Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2023 TCDP 44 (CanLII)

Date :
2023-09-26
Numéro de dossier :
T1340/7008
Référence :
Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2023 TCDP 44 (CanLII), <https://canlii.ca/t/k3fj5>, consulté le 2024-05-08

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 44

Date : le 26 septembre 2023

Numéro(s) du/des dossier(s) : T1340/7008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

- et -

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

(représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

l’intimé

Décision

Membres : Sophie Marchildon

Edward P. Lustig



I. Introduction

[1] Aujourd’hui est un grand jour pour les droits de la personne et pour les enfants et les familles des Premières Nations du Canada, et il marque une étape importante vers la réconciliation. La formation tient à féliciter les parties et toutes les personnes qui ont contribué à l’atteinte de ce jalon et, surtout, à reconnaître les enfants et les familles des Premières Nations qui ont subi un préjudice en raison des actes discriminatoires commis par le Canada et dont les vies ont pavé la voie pour que justice soit rendue. Il s’agit du plus important règlement du genre de l’histoire du Canada. Malheureusement, celui-ci découle du préjudice considérable causé aux enfants, aux familles et aux communautés des Premières Nations. Le Canada a un devoir de mémoire afin que l’Histoire ne se répète jamais. Il faut mettre fin au cycle des préjudices.

[traduction]

« L’Histoire nous jugera sur les différences que nous pourrons faire dans la vie quotidienne des enfants. »

— Nelson Mandela

[2] La formation souhaite rendre hommage aux dirigeants des Premières Nations du Canada qui ont insisté sur l’importance de ne laisser personne pour compte et saluer le courage des Premières Nations parties à l’instance qui ont poursuivi les négociations. Faisant preuve d’un grand leadership, l’Assemblée des Premières Nations (APN) et le Canada ont uni leurs efforts afin de parvenir à la précédente entente de règlement définitive (ERD), un accord historique. L’APN, les ministres du Canada et leurs équipes respectives ont dû exercer un leadership encore plus fort au moment de recevoir des critiques de la part du Tribunal par rapport à certains aspects de l’ERD (p. ex. l’entente excluait certaines victimes ou certains survivants que le Tribunal avait déjà reconnus), de consulter les chefs en assemblée, de ramener la Société de soutien à la table de négociation et de parvenir à la présente entente de règlement révisée, transformatrice et sans précédent.

[3] Le Tribunal avait refusé d’approuver sans réserve l’ERD précédente parce que celle-ci ne satisfaisait pas pleinement à ses ordonnances concernant l’indemnité à laquelle les victimes et les survivants avaient droit, selon les conclusions du Tribunal, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. En rejetant l’ERD précédente, le Tribunal espérait réellement obtenir un meilleur résultat à l’issue de négociations plus poussées. Le Tribunal juge que, même s’il aura fallu plusieurs mois pour en arriver à l’entente de règlement révisée, la démarche en valait vraiment la peine pour les victimes et survivants qui ont vu leurs droits fondamentaux être bafoués.

[4] De l’avis des parties, il n’y a jamais eu d’entente d’indemnisation aussi vaste dans toute l’histoire du Canada, et la version révisée de l’entente prévoit désormais un engagement de la part de la ministre des Services aux Autochtones de demander des excuses au premier ministre. Le Tribunal estime qu’il s’agit d’un bel exemple de bienveillance dans un contexte de pression, et il salue les parties à l’entente révisée et tous les intervenants qui ont participé à cette réalisation exceptionnelle qui rendra une certaine forme de justice aux enfants et aux familles des Premières Nations ayant injustement souffert en raison de leur race au lieu d’être traités de façon honorable et juste.

[5] Les enfants des Premières Nations doivent être honorés pour qui ils sont : des personnes belles, importantes, fortes et précieuses membres des communautés des Premières Nations. Tous les gouvernements, les dirigeants et les adultes, peu importe la nation, ont la responsabilité sacrée d’honorer, de protéger et de chérir les enfants et les jeunes, pas de leur causer du tort.

[7] La formation est reconnaissante envers la Commission pour ses contributions axées sur les droits de la personne et pour le leadership courageux manifesté par la Société de soutien, qui a veillé à ce qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte et à ce que personne ne soit privé de son droit à l’indemnité issu de l’ordonnance du Tribunal. La formation salue également les chefs en assemblée de l’APN qui ont chapeauté l’adoption d’une résolution dans l’esprit de la réconciliation et la poursuite des négociations en matière d’indemnisation afin qu’aucun enfant ne soit oublié.

[8] La formation tient à souligner l’apport précieux des Chefs de l’Ontario et de la Nation Nishnawbe Aski.

[9] La formation souligne aussi la contribution apportée par Amnistie internationale dans le passé au regard de cette question importante que représente l’indemnisation.

[10] Enfin, la formation reconnaît le rôle déterminant qu’ont joué l’APN et la Société de soutien dans les démarches en vue d’obtenir une indemnisation convenable pour les enfants et les familles des Premières Nations.

[11] La formation souhaite également rendre hommage aux véritables héros et vainqueurs dans l’affaire qui nous occupe, à savoir les enfants et les familles des Premières Nations.

[12] La présidente de la formation souhaite que la paix règne dans le cœur de tous les enfants, jeunes et jeunes adultes des Premières Nations de l’île de la Tortue (Canada), dans le cœur de tous les membres des Premières Nations et au sein de toutes les communautés et nations autochtones.

[13] La formation se réjouit de constater que le Canada a fait preuve d’un leadership efficace en reprenant les négociations et qu’il a fait la bonne chose en tenant compte des victimes et des survivants qui avaient été laissés pour compte dans l’entente de règlement précédente (l’« ERD de 2022 »).

[14] Il reste cependant beaucoup de travail à accomplir, l’indemnisation n’étant qu’un volet de la présente affaire. La discrimination raciale et systémique doit cesser, et il ne faut plus observer ou perpétuer des pratiques similaires.

[15] Enfin, malgré qu’il y ait encore beaucoup à faire, ce jalon mérite d’être souligné compte tenu de l’effet transformateur qu’il aura sur des milliers d’enfants et de familles des Premières Nations.

A. Contexte

[16] En 2016, le Tribunal a rendu la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 (la « décision sur le bien-fondé ») et a conclu que la présente affaire concernait les enfants, les pratiques passées et actuelles en matière d’aide à l’enfance au sein des Premières Nations vivant dans des réserves du Canada et les répercussions que ces pratiques ont eues et continuent d’avoir sur les enfants des Premières Nations, leurs familles et leurs collectivités. Le Tribunal a conclu que le Canada avait exercé de manière systémique une discrimination raciale à l’égard des enfants des Premières Nations dans les réserves et au Yukon, non seulement par le sous-financement du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « Programme des SEFPN »), mais aussi par la façon dont il l’avait conçu, géré et contrôlé. L’un des pires préjudices constatés par le Tribunal était que le Programme des SEFPN n’assurait ni la prestation de services de prévention adéquats, ni un financement suffisant. Cette situation créait des incitatifs pour retirer les enfants des Premières Nations de leurs foyers, de leurs familles et de leurs collectivités comme solution de premier, plutôt que de dernier recours. Un autre préjudice important pour les enfants des Premières Nations était le fait qu’aucun dossier n’avait été approuvé au titre du principe de Jordan, compte tenu de l’interprétation étroite qu’en faisait le Canada et des critères d’admissibilité restrictifs établis par lui. Le Tribunal a conclu qu’en plus de fournir un financement adéquat, il fallait réorienter le programme de manière à respecter les principes des droits de la personne et à tenir compte des saines pratiques en matière de travail social dans l’intérêt supérieur des enfants. Le Tribunal a déclaré le Canada responsable de la discrimination systémique et raciale exercée. Il lui a ordonné de mettre fin à ses actes discriminatoires, de prendre des mesures pour les corriger et empêcher qu’ils ne se reproduisent, et de réformer le Programme des SEFPN et l’Entente de 1965 de l’Ontario de manière à tenir compte des conclusions tirées dans la décision sur le bien-fondé. Le Tribunal a décidé qu’il procéderait par étapes (réparation immédiate, à moyen terme et à long terme) de façon à apporter des changements immédiats, puis à faire des ajustements en vue d’arriver un jour à une réparation durable, à long terme. Grâce à un tel processus, les mesures de réparation à long terme pourraient s’appuyer sur la collecte de données, les nouvelles études réalisées et les pratiques exemplaires déterminées par les experts, les collectivités et les organismes des Premières Nations en tenant compte des besoins particuliers de leurs diverses communautés, mais aussi par le Comité consultatif national sur la réforme des services à l’enfance et à la famille et les parties.

[17] Le Tribunal a également ordonné au Canada de cesser d’appliquer sa définition étroite du principe de Jordan, et de prendre des mesures pour le mettre en œuvre immédiatement en lui donnant sa pleine portée et tout son sens. Les ordonnances relatives au principe de Jordan et l’objectif de l’égalité réelle ont été énoncés plus en détail dans des décisions sur requête subséquentes, dont la décision 2020 TCDP 20, où le Tribunal a déclaré ce qui suit :

Le principe de Jordan est un principe des droits de la personne fondé sur l’égalité réelle. Le critère exposé dans la définition élaborée par le Tribunal dans la décision 2017 TCDP 14, qui vise la fourniture de services « au-delà de la norme établie », favorise l’égalité réelle des enfants des Premières Nations en se concentrant sur leurs besoins particuliers, ce qui doit tenir compte du traumatisme intergénérationnel et d’autres éléments importants qui découlent de la discrimination constatée dans la Décision sur le bien-fondé, ainsi que d’autres désavantages tels que le désavantage historique qu’ils peuvent subir. La définition et les ordonnances reflètent les besoins particuliers et la situation unique des Premières Nations. Le principe de Jordan vise à honorer les obligations nationales et internationales positives du Canada envers les enfants des Premières Nations en application de la LCDP, de la Charte, de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la DNUDPA, entre autres. De plus, la formation, en s’appuyant sur le dossier de la preuve, a estimé que ce principe est le mécanisme en place le plus rapide pour commencer à éliminer la discrimination constatée en l’espèce dont sont victimes les enfants des Premières Nations, pendant la réforme du programme national. D’autant plus que son objectif d’égalité réelle tient également compte de l’effet cumulé des divers aspects de la discrimination dans tous les services gouvernementaux, qui affecte les enfants et les familles des Premières Nations. L’égalité réelle est tant un droit qu’une réparation en l’espèce : un droit qui est dû aux enfants des Premières Nations à titre de réparation constante et durable de la discrimination et afin d’empêcher qu’elle ne se reproduise. Cela s’inscrit bien dans la portée de la plainte.

(soulignement différent dans l’original)

[18] En conséquence, le Tribunal a conclu que tous les éléments précédemment mentionnés devaient être financés adéquatement. Et donc, qu’il fallait agir de façon significative et durable afin d’éliminer la discrimination systémique et d’empêcher qu’elle ne se reproduise.

[19] Le Tribunal a rendu une série de décisions sur requête et d’ordonnances visant à réformer complètement le Programme fédéral des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. En 2019, il a statué que la discrimination systémique et raciale exercée par le Canada avait causé des préjudices d’une extrême gravité aux enfants des Premières Nations et à leurs familles. Le Tribunal a donc ordonné qu’une indemnité soit versée aux victimes et aux survivants et, à la demande des plaignantes et des parties intéressées, il a rendu contre le Canada des ordonnances exécutoires à cet effet. Puis, le Tribunal a rendu une série de décisions à la suite de demandes présentées par les parties en ce qui concerne le processus d’indemnisation, lequel a pris fin en 2020, lorsque le Canada a décidé de solliciter le contrôle judiciaire des décisions du Tribunal portant sur l’indemnisation et d’interrompre ainsi l’achèvement des dernières étapes du processus, qui auraient permis la distribution des indemnités aux victimes et aux survivants.

[20] Le Tribunal avait annoncé en 2016 qu’il traiterait la question de l’indemnisation plus tard, en espérant que les parties régleraient la question avant que le Tribunal ne se prononce et ne rende des ordonnances définitives. Précisions que le Tribunal peut clarifier ses ordonnances d’indemnisation existantes, mais qu’il ne peut les modifier complètement d’une manière qui priverait les victimes et les survivants de leurs droits à l’indemnisation. Pour contester les conclusions essentielles du Tribunal à cet égard, il faut procéder par voie de contrôle judiciaire.

[21] Le Tribunal a encouragé pendant des années les parties à régler les questions relatives à l’indemnisation.

[22] Dans la décision 2016 TCDP 10, la formation avait clairement signalé qu’elle espérait que les parties fassent progresser la réconciliation en recourant à des négociations, plutôt qu’à l’arbitrage, pour régler les questions de réparation (au par. 42). Puis, dans la décision 2016 TCDP 16, la formation a souligné que certaines parties avaient mis en garde le Tribunal contre d’éventuels effets préjudiciables que pourraient avoir les ordonnances de réparation (au par. 13). Par conséquent, le Tribunal a fortement encouragé les parties à négocier les mesures de réparation, y compris les indemnités. Le Tribunal leur a offert de travailler avec elles dans le cadre d’une médiation-arbitrage afin de les aider à élaborer les mesures qui soient les plus à même de répondre à leurs besoins et les plus efficaces possible pour offrir réparation aux victimes. Seul le Canada a refusé.

[23] La question n’étant pas réglée, le Tribunal s’est alors vu dans l’obligation de se prononcer sur les indemnités et le processus d’indemnisation. En ce qui concerne les indemnités à accorder, le Tribunal devait rendre des décisions difficiles portant sur de nouvelles questions. Le Canada a présenté de multiples arguments contre l’indemnisation. Le Tribunal, quant à lui, a tiré des conclusions juridiques fondées sur les éléments de preuve, en établissant un lien entre ceux-ci et les préjudices causés, lesquels justifiaient ses ordonnances rendues en vertu de la LCDP. Le Tribunal a ainsi exercé le rôle quasi judiciaire qui lui est confié par une loi quasi constitutionnelle. Le Tribunal, guidé par toutes les parties à la présente affaire, y compris l’APN, a rendu des décisions audacieuses et complexes, dans l’intérêt supérieur des enfants des Premières Nations et de leurs familles. La Cour fédérale, par ailleurs, a confirmé les décisions du Tribunal. Maintenant que le Tribunal a rendu ces décisions relatives aux catégories de victimes et au montant à leur accorder, elles ne peuvent plus faire l’objet de négociations. Elles constituent un seuil d’indemnisation. Les négociations supposent des compromis; elles peuvent parfois donner lieu à deux pas en avant, un pas en arrière, ce qui peut être jugé acceptable par les parties à la négociation. Toutefois, en l’espèce, la négociation ne peut servir à faire un pas en arrière par rapport à ce que le Tribunal a déjà ordonné.

[24] Dès lors qu’elle a conclu à une discrimination systémique, la formation a travaillé avec rigueur afin de tirer des conclusions de fait et de droit solides qui reconnaissent les droits fondamentaux des enfants et des familles des Premières Nations au Canada, et qui protègent et défendent ces droits.

[25] De fait, le 6 septembre 2019, le Tribunal a rendu sa décision sur l’indemnisation (2019 TCDP 39), dans laquelle il a ordonné au Canada de verser une indemnité et des intérêts : (i) à certaines victimes de discrimination qui, dans le cadre du Programme des SEFPN, avaient été retirées de leur foyer, de leur famille et de leur communauté; (ii) aux parents ou aux grands-parents qui s’occupaient d’eux; (iii) à certaines victimes de l’application discriminatoire du principe de Jordan par le Canada. La décision visait les enfants des Premières Nations dans les réserves et au Yukon qui avaient été retirés inutilement de leur foyer et de leur communauté dès 2006 (ce qui englobe aussi, comme il a été confirmé ultérieurement, les enfants qui faisaient l’objet d’un placement à l’extérieur du foyer le 1er janvier 2006), et les enfants des Premières Nations privés des services essentiels dont ils avaient besoin ou ayant subi des retards déraisonnables dans la prestation de ces services parce que le gouvernement du Canada n’avait pas respecté ses obligations juridiques au titre du principe de Jordan (l’« ordonnance sur le droit à l’indemnisation »).

[26] Le Tribunal a également ordonné au Canada de travailler de concert avec la Société de soutien et l’APN à l’élaboration d’un cadre de distribution des indemnités afin que le Tribunal puisse rendre une ordonnance définitive en ce sens.

[27] Le 4 octobre 2019, le Canada a sollicité le contrôle judiciaire de la décision sur le droit à l’indemnisation et la suspension des procédures devant le Tribunal. Après le rejet de la requête en suspension des procédures par la Cour fédérale le 27 novembre 2019, le Canada a accepté de collaborer avec la Société de soutien et l’APN à l’élaboration du cadre d’indemnisation.

[28] Le 21 février 2020, la Société de soutien, l’APN et le Canada ont présenté au Tribunal un premier projet de cadre d’indemnisation (le « cadre d’indemnisation »). De février à décembre 2020, la Société de soutien, l’APN et le Canada se sont employés à produire une version finale du cadre d’indemnisation. Si de nombreux éléments de ce cadre sont issus d’un processus de négociation et de recherche de consensus, certaines questions ont dû être tranchées par le Tribunal.

[29] Le Tribunal s’est penché sur les questions soulevées par les parties et a rendu de nouvelles ordonnances visant à éclaircir divers éléments de son ordonnance sur le droit à l’indemnisation, notamment les suivants : l’âge de la majorité, l’admissibilité des enfants qui étaient encore pris en charge le 1er janvier 2006, et l’admissibilité de la succession des victimes décédées (2020 TCDP 7); les définitions des termes « interruption de service », « service essentiel » et « retard déraisonnable » dans le contexte de l’indemnisation au titre du principe de Jordan (2020 TCDP 15); la définition d’« enfant d’une Première Nation » aux fins de l’admissibilité au titre du principe de Jordan (2020 TCDP 20); la question de savoir si les indemnités destinées aux mineurs et aux personnes dépourvues de capacité juridique peuvent être détenues en fiducie (2021 TCDP 6).

[30] Le 12 février 2021, le Tribunal a approuvé la version définitive du cadre d’indemnisation établie par les parties (2021 TCDP 7). Même si l’ordonnance tranchait sur le fond différents aspects du processus de distribution des indemnités, les parties ont compris qu’il restait un volume important de travail à accomplir pour régler certaines questions, notamment l’établissement de l’admissibilité, le déroulement du processus de mise en œuvre et la poursuite du rôle du Tribunal. Ce travail allait dépendre de l’issue des demandes de contrôle judiciaire présentées par le Canada à l’égard de l’ordonnance sur le droit à l’indemnisation et des ordonnances du Tribunal concernant l’admissibilité à l’application du principe de Jordan (2020 TCDP 20 et 2020 TCDP 36), demandes instruites par la Cour fédérale dans le cadre des dossiers nos T-1621-19 et T-1559-20.

[31] L’instruction des demandes de contrôle judiciaire a eu lieu du 14 au 18 juin 2021. Le 29 septembre 2021, la Cour fédérale a rejeté l’ensemble des demandes du Canada (2021 CF 969).

[32] Le 29 octobre 2021, le Canada a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale (dossier de la Cour d’appel fédérale no A-290-21) de l’ordonnance par laquelle la Cour fédérale (2021 CF 969) a confirmé la décision sur le droit à l’indemnisation.

Les recours collectifs et l’historique des procédures ayant mené à la version révisée de l’entente de règlement définitive

[33] Le 4 mars 2019, un recours collectif a été déposé à la Cour fédérale dans le cadre duquel les demandeurs cherchaient à obtenir réparation pour les enfants des Premières Nations qui, à compter du 1er avril 1991, avaient subi une discrimination comparable en raison de l’absence de services de prévention, de sorte qu’ils avaient été placés à l’extérieur du foyer familial, et de l’application discriminatoire du principe de Jordan (dossier de la Cour fédérale no T-402-19) (« recours collectif de Moushoom »).

[34] Le 28 janvier 2020, l’APN et d’autres représentants demandeurs ont déposé un recours collectif envisagé dans le but d’obtenir une indemnisation pour le compte des enfants des Premières Nations retirés de leur milieu familial et des enfants des Premières Nations victimes de discrimination par suite de l’application du principe de Jordan (dossier de la Cour fédérale no T-141-20) (« recours collectif de l’APN »). Le 16 juillet 2021, l’APN et le représentant demandeur Zacheus Trout ont déposé un recours collectif distinct concernant la discrimination exercée par le Canada dans la prestation de services essentiels et dans la fourniture de produits et mesures de soutien essentiels avant décembre 2007 (dossier de la Cour fédérale no T-1120-21) (« recours collectif de Trout »).

[35] Les recours collectifs de Moushoom et de l’APN ont été regroupés le 7 juillet 2021 puis certifiés le 26 novembre 2021 (2021 CF 1225). Le recours collectif de Trout a fait l’objet d’une certification le 11 février 2022 (les trois recours collectifs sont collectivement désignés comme les « recours collectifs devant la Cour fédérale »).

[36] Le 31 décembre 2021, les parties aux recours collectifs devant la Cour fédérale ont conclu une entente de principe concernant l’indemnisation. Le 30 juin 2022, une entente de règlement définitive a été conclue (l’« ERD de 2022 ») et, en juillet 2022, l’APN et le Canada ont saisi le Tribunal d’une requête visant à obtenir un jugement déclarant que l’ERD de 2022 était équitable, raisonnable et conforme à l’ordonnance sur le droit à l’indemnisation et à toutes les ordonnances connexes visant à apporter des précisions (la « requête conjointe »). Subsidiairement, l’APN et le Canada ont sollicité une ordonnance visant à modifier l’ordonnance sur le droit à l’indemnisation, l’ordonnance sur le cadre d’indemnisation et d’autres ordonnances relatives à l’indemnisation afin que celles-ci soient conformes à l’ERD de 2022.

[37] La formation a convenu que les victimes et les survivants attendaient depuis assez longtemps et elle a insisté sur le fait que ces victimes et survivants auraient pu être indemnisés n’importe quand à partir du moment où le Tribunal a rendu sa décision en 2016, et plus particulièrement à partir du moment où la décision sur l’indemnisation a été rendue en 2019.

[38] Le 25 octobre 2022, le Tribunal a envoyé une lettre de décision rejetant la requête instruite en septembre 2022, et il a exposé ses motifs complets dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, accessible en ligne à l’adresse : https://canlii.ca/t/k08tn.

[39] Dans la décision sur requête 2022 TCDP 41 concernant la requête conjointe, le Tribunal a conclu que l’ERD de 2022 satisfaisait substantiellement à l’ordonnance sur le droit à l’indemnisation. Le Tribunal a toutefois ciblé trois (3) aspects clés par rapport auxquels l’ERD de 2022 dérogeait des ordonnances d’indemnisation ou encore réduisait ou retirait le droit à l’indemnisation de certaines victimes dont l’admissibilité à une indemnité avait déjà été reconnue, ce qui, ainsi qu’il sera expliqué ci-dessous, était contraire aux principes des droits de la personne appliqués rigoureusement par le Tribunal dans ses conclusions sur l’indemnisation et dans ses ordonnances connexes. Ces écarts étaient les suivants :

(a) les enfants retirés de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité et dont le placement n’était pas financé par SAC étaient à tort exclus de la portée de l’indemnisation (2022 TCDP 41, aux par. 283 à 331);

(b) les successions des parents ou grands-parents pourvoyeurs de soins décédés n’auraient pas droit à une indemnité; ce qui n’était pas conforme à la décision 2020 TCDP 7 (2022 TCDP 41, aux par. 332 à 350);

(c) certains parents et grands-parents pourvoyeurs de soins recevraient une indemnité moindre si plusieurs enfants avaient été retirés du foyer familial ou encore s’il y avait un nombre inattendu de réclamants, ce qui exigerait une réduction du montant de l’indemnité dans le but de s’assurer que tous les parents et grands-parents pourvoyeurs de soins qui ont été victimes soient indemnisés (2022 TCDP 41, aux par. 351 à 360).

[40] Le Tribunal s’est également dit préoccupé par rapport à la question de l’admissibilité au titre du principe de Jordan et aux incertitudes entourant l’approche de recours collectif adoptée dans l’ERD de 2022, notamment pour ce qui concerne la signification de « répercussions importantes » et de « service essentiel ». Le Tribunal a conclu qu’il existait une incertitude quant à savoir si l’application du principe de Jordan dans le contexte de l’ERD de 2022 permettrait aux victimes reconnues par le Tribunal de recevoir une indemnité de 40 000 $.

[41] Le Tribunal a également exprimé des préoccupations au sujet de la disposition d’exclusion figurant dans l’ERD de 2022 (2022 TCDP 41, aux par. 385 à 390).

[42] Le Tribunal a affirmé ce qui suit au paragraphe 10 de la décision sur requête 2022 TCDP 41 :

[...] la même formation qui a rendu ces conclusions sur la responsabilité à l’encontre du Canada est priée de renoncer à l’approche qu’elle a retenue, pour adopter plutôt une approche de recours collectif, qui sert des fins juridiques différentes. La formation, consciente que des recours collectifs étaient imminents, a veillé à ce que le processus d’indemnisation du Tribunal n’y fasse pas obstacle. Or, ce sont maintenant les décisions du Tribunal qui se trouvent à être entravées par le fait que l’ERD applique une démarche propre aux premières étapes d’un recours collectif. De fait, les parties n’ont pas finalisé le processus de distribution devant permettre le versement des indemnités déjà ordonnées par le Tribunal en 2019. Elles ont opté pour une autre approche ne tenant pas pleinement compte du régime de la LCDP et des ordonnances du Tribunal.

[43] Dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, le Tribunal a souligné, au paragraphe 169, que le montant de l’indemnité n’a jamais fait débat, et que ni le Tribunal ni les parties n’ont proposé d’en changer, ou encore de restreindre les catégories de victimes déjà reconnues par le Tribunal dans ses ordonnances ou de retirer des droits aux membres de ces catégories. En fait, la décision sur cette question avait un caractère définitif. Étayée par des conclusions et des motifs, elle a envoyé un message dissuasif fort au Canada, de même qu’un message d’espoir aux victimes et aux survivants dont les droits ont été reconnus par ces conclusions et par les ordonnances connexes. De plus, les motifs du Tribunal mettent en évidence la différence importante qui existe entre les réparations systémiques en matière de droits de la personne et les réparations offertes par le droit de la responsabilité délictuelle. Le Tribunal a souligné comme suit l’important objectif des indemnités individuelles accordées aux victimes de discrimination :

[elles] visent à prévenir la répétition des mêmes actes discriminatoires ou d’actes similaires, et surtout à prendre acte de l’expérience éprouvante vécue par les victimes et survivants en raison de la discrimination.

(2019 TCDP 39, au par. 14).

[44] Le Tribunal a rappelé qu’il avait précisé, dans la décision sur le droit à l’indemnisation (2019 TCDP 39, au par. 206), qu’il a l’obligation de protéger les droits fondamentaux des victimes et des survivants qu’il a identifiés, indépendamment de tout recours collectif envisagé :

Le fait qu’un recours collectif ait été intenté ne change rien à l’obligation qu’a le Tribunal, en vertu de la Loi, de remédier à la discrimination et, au besoin, comme en l’espèce, de dissuader et de décourager ceux qui se livrent à des actes discriminatoires, en accordant des réparations individuelles et systémiques concrètes au groupe vulnérable formé par les enfants des Premières Nations et leurs familles, qui sont des victimes et survivants en l’espèce.

[45] Dans ses motifs de rejet de l’ERD de 2022, le Tribunal mentionne qu’il en va de sa responsabilité d’appliquer la LCDP et le cadre des droits de la personne qu’elle établit.

[46] Par ailleurs, dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, le Tribunal a donné l’explication suivante :

Plus important encore, le Tribunal réprouve l’idée de réduire le montant de l’indemnité ou de priver les victimes et les survivants de droits qui leur ont déjà été reconnus par le Tribunal, et que la Cour fédérale a également confirmés. Pareil dangereux précédent enverrait un message très négatif aux victimes et aux survivants dans la présente affaire et dans d’autres affaires relatives aux droits de la personne au Canada. Il pourrait en outre devenir un puissant dissuasif pour quiconque envisagerait d’intenter un recours en vertu de la LCDP. Les victimes et survivants n’auront jamais de [sic] la tranquillité d’esprit de savoir que les réparations qui leur ont été accordées dans le cadre de leur plainte jugée fondée leur seront accessibles si, à tout moment avant la mise en œuvre des réparations, ces réparations peuvent leur être retirées sans qu’il ait été nécessaire de les invalider en contrôle judiciaire. (voir le par. 259)

C’est d’autant plus troublant lorsqu’on considère la nature des plaintes dont le Tribunal est saisi en l’espèce. La nature même des droits de la personne repose sur la protection des groupes vulnérables. Dès le début, le Tribunal a conclu et écrit que la présente affaire concernait les enfants, et que le Tribunal avait pour mandat d’éliminer la discrimination et d’empêcher que d’autres actes semblables ne se reproduisent. Autoriser la réduction ou le retrait de droits à l’indemnisation de victimes ou de survivants, droits par ailleurs reconnus dans des conclusions fondées sur des éléments de preuve ainsi que dans des ordonnances connexes, ne permet pas de donner corps aux droits de la personne. Au contraire, cela revient à les vider de leur substance. (voir le par. 260)

Le régime des droits de la personne ne saurait être administré d’une telle manière ici, au Canada. (voir le p. 261)

[U]ne fois les droits des plaignants et des victimes revendiqués et reconnus (ce qui n’est pas une mince tâche pour ces personnes, souvent confrontées à de puissants intimés qui contestent à tout moment ce qu’elles avancent), ces droits ne pourront plus être remis en question par d’éventuels acteurs externes ou intimés qui, insatisfaits des ordonnances prononcées contre eux, concluraient des ententes pour se soustraire aux obligations que leur impose la LCDP en matière de droits de la personne. (voir 2022 TCDP 41, au par. 236)

Le Tribunal ne saurait trop insister sur l’importance de protéger les droits des victimes et des survivants partout au Canada. […] Les droits de la personne sont des droits fondamentaux. Il ne s’agit pas d’un outil de marchandage pour les parties. Comme dans le cas des lois et règlements sur les droits de la personne, qui fixent des normes minimales auxquelles les parties ne peuvent se soustraire par une entente, les ordonnances d’indemnisation du Tribunal imposent des obligations d’indemnisation au Canada.

Le Canada ne peut se dérober à ces obligations en se tournant vers une procédure distincte.

(voir 2022 TCDP 41, au par. 502.)

[47] Le Tribunal a exhorté les parties en l’espèce et les parties aux recours collectifs devant la Cour fédérale, d’une part, à travailler de concert en vue de majorer la somme réservée à l’indemnisation afin d’englober toutes les victimes et tous les survivants ayant droit à une indemnité en vertu d’une ordonnance du Tribunal et, d’autre part, à appliquer le régime des droits de la personne d’une façon qui respecte et reconnaît ces ordonnances ainsi que le préjudice moral subi par toutes les victimes et tous les survivants reconnus par le Tribunal dans ses motifs et ordonnances antérieurs.

[48] Le 7 décembre 2022, les Premières Nations en assemblée ont adopté à l’unanimité la résolution 28/2022 concernant l’indemnisation des victimes des actes discriminatoires commis par le Canada. La résolution 28/2022 faisait entre autres mention des grandes orientations suivantes :

Appu[yer] l’indemnisation des victimes couvertes par l’Accord final de règlement (AFR) sur l’indemnisation proposé et de celles qui ont déjà légalement droit à 40 000 $, plus les intérêts, en vertu des ordonnances d’indemnisation du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP), afin de s’assurer que toutes les victimes reçoivent une indemnisation pour la discrimination délibérée et inconsidérée dont a fait preuve le Canada.

Appu[yer] les principes sur lesquels repose l’AFR, notamment l’adoption d’une approche tenant compte des traumatismes, l’utilisation de critères objectifs et non invasifs et l’établissement d’une approche adaptée à la culture et dirigée par les Premières Nations pour indemniser les victimes.

Continue[r] à soutenir les représentants plaignants et toutes les victimes de la discrimination du Canada en veillant à ce que l’indemnisation soit versée aussi rapidement que possible à tous ceux qui peuvent y avoir droit immédiatement et continue[r] à travailler efficacement en vue de l’indemnisation de celles et ceux qui peuvent avoir besoin de temps additionnel.

[49] Grâce aux directives formulées par le Tribunal dans la décision sur requête 2022 TCDP 41 et à l’orientation et au soutien fournis par les dirigeants des Premières Nations, les parties aux recours collectifs devant la Cour fédérale et la Société de soutien ont entrepris des négociations qui se sont soldées par une révision de l’entente. L’entente révisée a reçu l’approbation des Premières Nations en assemblée le 4 avril 2023 et a été signée par les parties aux recours collectifs devant la Cour fédérale le 19 avril 2023. Comme la Société de soutien n’était pas partie aux recours collectifs devant la Cour fédérale, l’APN, la Société de soutien et le Canada ont signé un protocole d’entente le 19 avril 2023.

B. Question que le Tribunal est appelé à trancher

[50] Les parties ont présenté l’avis de requête suivant au Tribunal :

[traduction]

REQUÊTE EN VUE DE L’APPROBATION DE L’ENTENTE DE RÈGLEMENT DÉFINITIVE RÉVISÉE RELATIVE À L’INDEMNISATION et DES MESURES DE RÉPARATION SUR CONSENTEMENT DE L’ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS, DE LA SOCIÉTÉ DE SOUTIEN À L’ENFANCE ET À LA FAMILLE DES PREMIÈRES NATIONS DU CANADA et DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LA REQUÊTE SUR CONSENTEMENT EST PRÉSENTÉE en vertu de l’article 3 des anciennes règles de procédure du Tribunal (procédures antérieures au 11 juillet 2021) et vise les ordonnances rendues en vertu de l’alinéa 53(2)b) de la LCDP et du paragraphe 1(6) et de l’alinéa 3(2)d) des anciennes règles et conformément à la compétence continue du Tribunal dans cette affaire. [...]

ET PRENEZ ACTE QUE LA PRÉSENTE REQUÊTE SUR CONSENTEMENT VISE l’obtention d’ordonnances confirmant que l’entente de règlement définitive révisée relative au Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, au principe de Jordan et au recours collectif de Trout (l’« entente révisée »), conclue en conformité avec les décisions rendues par la Cour fédérale dans les dossiers nos T-402-19 (Moushoom et al. c. Procureur général du Canada), T-141-20 (Assemblée des Premières Nations et al. c. Sa Majesté le Roi) et T-1120-21 (Trout et al. c. Procureur général du Canada), et datée du 19 avril 2023, satisfait pleinement aux ordonnances d’indemnisation rendues par le Tribunal dans la présente affaire (2019 TCDP 39, 2020 TCDP 7, 2020 TCDP 15, 2021 TCDP 6, 2021 TCDP 7 et 2022 TCDP 41).

[51] Les parties font conjointement valoir que l’entente révisée présentée au Tribunal dans le cadre de cette requête tient compte des directives du Tribunal et de l’orientation des Premières Nations en assemblée : les écarts ont été corrigés; les incertitudes entourant l’admissibilité au titre du principe de Jordan ont été dissipées; le régime d’indemnisation dans le cas de la succession des parents ou des grands-parents pourvoyeurs de soins a été modifié afin d’assurer une meilleure issue pour les enfants victimes de la discrimination dont a fait preuve le Canada; l’indemnisation des parents et des grands-parents pourvoyeurs de soins en vertu du principe de Jordan a été revue en conformité avec l’esprit et l’objet des conclusions du Tribunal en l’espèce. L’Assemblée des Premières Nations, la Société de soutien, la Commission canadienne des droits de la personne, les Chefs de l’Ontario, la Nation Nishnawbe Aski et le Canada consentent à cette requête. L’entente révisée peut être consultée en ligne à l’adresse suivante : https://fnchildclaims.ca/wp-content/uploads/2023/09/Accord-de-reglement.pdf.

C. Décision

[52] Après avoir examiné attentivement le dossier, la formation donne son approbation.

La requête conjointe est accueillie.

D. Cadre juridique

[53] Dans le but d’étayer sa conclusion selon laquelle il a compétence pour juger si l’entente révisée satisfait en tout point à ses ordonnances d’indemnisation, le Tribunal prend appui sur le même cadre juridique que celui qu’il a exposé en détail dans les motifs de la décision sur requête 2022 TCDP 41. Dans la décision sur requête 2020 TCDP 36, au paragraphe 51, la formation a expliqué l’approche qu’il convient d’adopter aux fins de l’examen d’une demande d’ordonnance sur consentement :

En ce qui concerne l’ordonnance sur consentement sollicitée, la première étape consiste à appliquer l’analyse fondée sur l’article 53 de la LCDP afin de déterminer si le Tribunal a compétence, en vertu de la Loi, pour rendre une telle ordonnance. Si la réponse est négative, l’analyse s’arrête là, et le Tribunal ne peut rendre l’ordonnance. Si la réponse est affirmative, le Tribunal déterminera alors si l’ordonnance sur consentement est juste et appropriée à la lumière des faits particuliers de l’affaire, de la preuve présentée, de ses ordonnances précédentes et des détails de l’ordonnance sollicitée.

[54] Dans l’analyse exposée ci-après, le Tribunal examinera le cadre juridique de chacune des ordonnances sollicitées.

E. Analyse

(i) L’entente révisée répond-elle aux préoccupations soulevées par le Tribunal dans la décision sur requête 2022 TCDP 41 et satisfait-elle désormais pleinement aux ordonnances du Tribunal?

[55] Le document étant très volumineux, le Tribunal ne procédera pas à une analyse article par article de l’entente révisée. Le Tribunal a soigneusement examiné l’entente révisée et ne formulera des observations qu’au regard des parties qu’il avait jugées problématiques dans la décision sur requête 2022 TCDP 41 et qui devaient être modifiées afin de satisfaire entièrement aux ordonnances du Tribunal. En somme, le Tribunal convient que les autres parties de l’entente de règlement et du processus de réclamation exposé dans l’entente révisée et les autres mesures qui seront élaborées par les avocats des groupes en collaboration avec les experts puis approuvées par la Cour fédérale satisfont aux exigences du cadre d’indemnisation qui ont fait l’objet d’une ordonnance dans les décisions sur requête 2019 TCDP 39 et 2021 TCDP 7. Aucun enfant ne sera tenu de témoigner et l’entente révisée sera sûre et adaptée sur le plan culturel, deux éléments qui figuraient dans les ordonnances d’indemnisation du Tribunal. En effet, dans ces ordonnances, le Tribunal a insisté sur l’importance de ne pas faire vivre aux enfants un nouveau traumatisme. L’entente révisée fait intervenir l’approche qui convient le mieux en l’espèce, soit celle tenant compte des traumatismes. De plus, sous réserve de l’approbation de la Cour fédérale, un comité de mise en œuvre du règlement sera créé et réunira cinq membres, soit deux membres issus des Premières Nations et trois avocats. Conformément aux ordonnances du Tribunal, sous réserve de certaines exceptions, les indemnités seront versées directement aux victimes et aux survivants ou elles seront conservées dans un fonds en fiducie jusqu’à ce que les victimes et les survivants atteignent l’âge de la majorité au sens de la loi et seront administrées par un fiduciaire indépendant nommé par la Cour. Après avoir examiné attentivement le document sous l’angle des droits de la personne, le Tribunal conclut que l’entente révisée est dans l’intérêt supérieur des enfants et des familles des Premières Nations qui sont admissibles à une indemnité en vertu des ordonnances du Tribunal.

[56] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal n’a pas besoin de se pencher sur les sections de l’entente autres que celles analysées ci-après.

[57] Il importe de souligner que l’entente révisée prévoit désormais une demande d’excuses de la part du premier ministre, la reconnaissance du droit de la Société de soutien de présenter des observations devant la Cour fédérale, la prolongation du délai d’exclusion pour les victimes et les survivants, et le paiement d’intérêt sur l’indemnité conformément aux ordonnances d’indemnisation du Tribunal. Le Tribunal examinera également ces éléments tour à tour ci-après.

[58] Bien que le Tribunal ait statué que le règlement ne devait pas nécessairement correspondre en tout point aux ordonnances d’indemnisation pour autant que l’esprit des ordonnances est respecté, l’entente ne doit pas avoir pour effet de réduire ou de retirer le droit à l’indemnisation que les ordonnances du Tribunal garantissent aux victimes et aux survivants. Par conséquent, la priorité est de veiller à ce que ces préoccupations soient résolues dans l’entente révisée, et c’est le cadre que s’est donné le Tribunal aux fins de l’analyse.

[59] Un résumé des observations formulées conjointement par les parties est reproduit ci-après. Le Tribunal a jugé qu’il était plus sage de reprendre les descriptions des parties, plutôt que de les reformuler, pour décrire de quelle façon les parties estiment avoir répondu aux préoccupations du Tribunal. Le Tribunal examinera les descriptions des parties une à une et exposera ses motifs pour chacune d’elles.

(ii) Les écarts relatifs aux placements chez un proche et aux retraits multiples ont été corrigés

[60] Dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, le Tribunal a conclu que les enfants des Premières Nations retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté et ayant fait l’objet d’un placement non financé par le Canada (« placement non financé par SAC ») n’étaient pas visés par le budget d’indemnisation total de 20 000 000 000 $ prévu par l’ERD de 2022.

[61] Les parties soutiennent conjointement que, dans l’entente révisée, il est désormais prévu que soient indemnisés les enfants des Premières Nations retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté et ayant fait l’objet d’un placement non financé par SAC ainsi que les parents et les grands-parents responsables de ces enfants. Le terme « placement chez un proche » désigne ce type de placement dans l’entente révisée. Les enfants pris en charge par un proche, de même que les parents ou les grands-parents responsables de ces enfants, ont droit à une indemnité de 40 000 $ majorée des intérêts y afférents.

[62] L’article 7 de l’entente révisée énonce les principaux critères d’admissibilité définis pour les enfants des Premières Nations retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté et pris en charge par un proche. Compte tenu des difficultés que posent les documents disponibles relatifs aux placements chez un proche, les parties élaboreront une procédure distincte et unique pour évaluer l’admissibilité des membres relevant de cette catégorie. La Société de soutien sera appelée à participer à l’établissement de cette procédure, et les jeunes actuellement et précédemment pris en charge de même que les organismes des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (les « organismes des SEFPN ») seront consultés (voir le sous-paragraphe 7.01(8) de l’entente révisée, pièce F de l’affidavit de l’APN). Aucun membre du groupe des enfants pris en charge par un proche ne sera tenu de se soumettre à une entrevue ou à toute autre forme de témoignage de vive voix, et le processus de réclamation sera conçu de manière à atténuer le plus possible le risque de causer du tort. Par ailleurs, les parties affirment conjointement que l’indemnisation dans les cas de placements chez un proche commandera une approche particulière compte tenu du fait que les données sur ces placements sont souvent recueillies d’une manière différente de celles qui concernent les placements financés par SAC. La structure du processus permettant de vérifier l’admissibilité sera établie avec l’aide d’experts en gestion des archives et en tenant compte de l’opinion des jeunes actuellement et précédemment pris en charge et des commentaires de la Société de soutien. S’agissant de ces victimes, l’entente révisée satisfait entièrement à l’ordonnance sur le droit à l’indemnisation (voir les sous-paragraphes 7.01(1) et 7.01(2) de l’entente révisée, pièce F de l’affidavit de l’APN).

[63] L’entente révisée prévoit une somme de 600 millions de dollars pour le groupe des enfants pris en charge par un proche et une somme de 702 millions de dollars pour le groupe des familles des enfants pris en charge par un proche (voir les sous-paragraphes 7.02(5) et 7.04(2) de l’entente révisée, pièce F de l’affidavit de l’APN). Il s’agit là de nouveaux montants engagés par le Canada et non d’une redistribution des fonds qui étaient prévus dans le cadre de l’ERD de 2022. Ces montants respectent ou dépassent le budget nécessaire, selon les estimations de la Société de soutien, pour indemniser le nombre probable de victimes dans chacune des catégories (voir l’annexe A).

[64] Comme il est expliqué à l’annexe A, la Société de soutien a produit ses estimations en prenant appui sur les données issues des itérations de l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ECI-PN de 2019), laquelle fournit de l’information sur les placements d’enfants des Premières Nations. La Société de soutien s’est servie des données existantes provenant de l’ECI-PN de 2019 pour déduire le nombre d’enfants des Premières Nations ayant fait l’objet d’un placement non financé par SAC.

[65] Cette donnée a ensuite permis d’extrapoler la taille des populations d’après les renseignements disponibles sur les enfants ayant fait l’objet d’un placement « financé par SAC », renseignements obtenus auprès du directeur parlementaire du budget et des experts auxquels les parties aux recours collectifs ont fait appel. Compte tenu des lacunes persistantes dans les données sur la protection de l’enfance, les éléments de preuve utilisés aux fins de ces calculs constituent les meilleures sources disponibles. Les données sont valides et fiables, et la Société de soutien a fait preuve de prudence dans ses hypothèses de calcul afin d’éviter une sous-estimation du nombre de victimes potentielles.

[66] D’après le tableau 16 de l’ECI-PN de 2019 joint à l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023 et coté comme pièce F, 2 365 enfants des Premières Nations ont fait l’objet d’un placement non financé par le Canada en 2019, ce qui représente environ 40 % de l’ensemble des placements effectués en 2019.

[67] La Société de soutien a également examiné la proportion de placements non financés par le Canada dont fait état le rapport produit en 2003 intitulé Understanding Overrepresentation of First Nations Children in Canada’s Child Welfare System: An Analysis of the Canadian Incidence Study of Reported Child Abuse and Neglect (CIS-2003) (aussi connu sous le titre Mesnmimk Wasatek: catching a drop of light) (ECI-PN de 2003). Selon ce rapport, 1 554 enfants des Premières Nations ont fait l’objet d’un placement non financé par le Canada en 2003, ce qui représente environ 45 % de l’ensemble des placements effectués en 2003. Une copie conforme du tableau 7-6 de l’ECI-PN de 2003 accompagne l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023 en tant que pièce G.

[68] Au moyen de ces deux valeurs, la Société de soutien a estimé que le nombre d’enfants ayant fait l’objet d’un placement financé par SAC dans le cadre du Programme des SEFPN entre le 1er janvier 2006 et le 31 mars 2022 (ce qui comprend les enfants qui étaient déjà pris en charge le 1er janvier 2006) représentait environ 57,5 % de l’ensemble des enfants des Premières Nations vivant dans des réserves et ayant été retirés de leur foyer familial.

[69] La Société de soutien considère comme justes et raisonnables les montants prévus pour le groupe des enfants pris en charge par un proche et le groupe des familles des enfants pris en charge par un proche. Ces montants cadrent avec les résultats des travaux accomplis par la Société de soutien, qui a extrapolé, à partir des données existantes, le nombre probable d’enfants des Premières Nations dans le groupe des enfants pris en charge par un proche afin d’évaluer si les budgets proposés allaient s’avérer suffisants (voir l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023, au par. 40). Par conséquent, la Société de soutien est persuadée que les budgets associés aux placements chez un proche seront conformes aux ordonnances du Tribunal au regard de ces enfants et de ces familles.

[70] La Société de soutien a également reçu l’analyse des données de l’ECI-PN de 2019 effectuée par Mme Fallon qui visait à établir la proportion d’enfants des Premières Nations vivant dans des réserves et ayant fait l’objet en 2019 d’un placement non financé par SAC à plus de 30 minutes de route de leur résidence. Une copie conforme de cette analyse accompagne l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023 en tant que pièce H. Cette donnée a servi à mesurer indirectement le nombre d’enfants visés par un placement à l’extérieur de leur communauté. Les données sur les placements non financés chez un proche (adulte n’ayant pas de liens du sang avec l’enfant, relation aussi désignée par le terme « parenté fictive »), par opposition aux placements non financés chez des membres de la parenté, sont imprécises. Selon un document d’information rédigé en 2017 par la Children’s Advocacy Alliance du Nevada, on estime qu’entre 20 % et 30 % des enfants qui font l’objet d’un placement chez un « membre de la parenté » sont pris en charge par la « parenté fictive » (c.-à-d. des personnes n’ayant pas de rapport de parenté avec l’enfant, mais avec qui la famille entretient un lien de confiance). Une copie conforme de ce document d’information de la Children’s Advocacy Alliance accompagne l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023 en tant que pièce I.

[71] De plus, selon les données figurant dans un rapport préparé en 2017 par des chercheurs de l’Université de Melbourne, 17,5 % des enfants australiens ayant fait l’objet d’un placement officiel chez un membre de la parenté avaient été pris en charge par une personne non apparentée. Une copie conforme du tableau 2 issu de ce rapport accompagne l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023 en tant que pièce J.

[72] Le procureur général soutient que, durant les négociations qui ont eu lieu après le rejet de l’ERD de 2022 par le Tribunal, le Canada a convenu d’ajouter 3,34394 milliards de dollars aux 20 milliards de dollars déjà engagés dans l’entente de principe et dans l’ERD de juin 2022. Ce montant comprend des fonds additionnels visant à s’assurer que les enfants ayant fait l’objet d’un placement non financé par SAC ou d’un placement chez un proche soient indemnisés, tout comme les parents ou grands-parents responsables de ces enfants (voir l’affidavit souscrit par Mme Valerie Gideon le 30 juin 2023, au par. 10).

[73] Les victimes et les survivants qui forment le groupe des enfants pris en charge par un proche sont des enfants des Premières Nations qui ont fait l’objet d’un placement auprès d’un proche responsable (c.-à-d. un adulte qui n’est pas membre de la famille de l’enfant, qui ne vivait pas dans une réserve et qui s’est occupé de l’enfant sans recevoir d’aide financière en rapport avec le placement) dans le cadre d’un placement chez un proche (c.-à-d. que l’enfant des Premières Nations résidait avec un proche responsable dans le cadre d’un placement auquel les services de protection de l’enfance avaient participé) au cours de la période allant du 1er avril 1991 au 31 mars 2022. Ainsi, la période visée pour ces enfants est élargie et débute au moment de l’entrée en vigueur de la Directive 20-1, ce qui correspond à la période définie pour le groupe des enfants retirés de leur foyer. Les membres du groupe des enfants pris en charge par un proche ne sont pas admissibles à un paiement de majoration, mais ils recevront la pleine indemnité à laquelle le TCDP leur a donné droit majorée des intérêts prescrits par le Tribunal, pour lesquels l’entente révisée prévoit la création d’un fonds de réserve pour l’intérêt (voir l’entente révisée, aux sous-paragraphes 6.15(1), 6.15(2) et 7.02(2)). La somme de 600 millions de dollars prévue pour le groupe des enfants pris en charge par un proche a été établie en fonction de la taille potentielle du groupe des enfants pour la période allant de 2006 à 2022, telle qu’elle a été estimée par la Société de soutien au moyen de données probantes. L’APN s’en remet aux observations de la Société de soutien concernant la taille du groupe pour la période allant de 2006 à 2022.

[74] Pour ce qui est des parents responsables ou, en leur absence, des grands-parents responsables de membres du groupe des enfants pris en charge par un proche, la portée de l’indemnisation est restreinte à la période visée par les ordonnances d’indemnisation du Tribunal, soit du 1er janvier 2006 au 31 mars 2022 (voir l’entente révisée, au sous-paragraphe 7.03(1)). Ces membres du groupe des familles des enfants pris en charge par un proche (voir la définition du « groupe des familles des enfants pris en charge par un proche » au paragraphe 1.01 de l’entente révisée), à l’instar des membres du groupe des familles des enfants retirés de leur foyer, ne sont pas admissibles à une indemnité s’ils ont commis des actes de violence envers un enfant admissible, conformément aux ordonnances d’indemnisation du Tribunal (voir l’entente révisée, au sous-paragraphe 7.03(2)). L’indemnité à laquelle sont admissibles les membres du groupe des familles des enfants pris en charge par un proche peut être multipliée dans le cas où, entre le 1er janvier 2006 et le 31 mars 2022, plus d’un enfant a été retiré du foyer et pris en charge par un proche (voir l’entente révisée, au sous-paragraphe 7.03 (4)). Le budget d’indemnisation pour le groupe des familles des enfants pris en charge par un proche, fixé à 702 millions de dollars, a été établi à partir de la taille projetée du groupe des enfants pris en charge par un proche pour la période visée par les ordonnances d’indemnisation du Tribunal (voir l’affidavit souscrit par Mme Gideon le 30 juin 2023, au par. 55). L’APN s’en remet une fois de plus à la Société de soutien à cet égard.

[75] L’APN soutient que les efforts collectivement déployés dans le but de régler la question de l’indemnisation au titre des placements non financés par SAC par la création du groupe des enfants pris en charge par un proche et du groupe des familles des enfants pris en charge par un proche ont permis l’exécution efficace des ordonnances d’indemnisation du Tribunal. L’entente révisée prévoit l’indemnisation des personnes retirées de leur foyer en raison de la discrimination exercée dans le cadre du Programme des SEFPN et non l’indemnisation des entités qui ont financé ces retraits. Ainsi, l’entente révisée tient compte des préjudices subis par ces victimes et ces survivants en raison de l’atteinte portée à leurs droits et à leur dignité lorsqu’ils ont été privés, ou que leurs enfants ont été privés, de la possibilité d’accéder aux services de prévention et aux mesures les moins perturbatrices en conséquence des actes discriminatoires du Canada. Les indemnités accordées aux membres du groupe des enfants pris en charge par un proche et aux membres du groupe des familles des enfants pris en charge par un proche sont en parfaite adéquation avec les ordonnances d’indemnisation pour ces victimes et ces survivants et en permettent l’exécution efficace dans l’intérêt supérieur des enfants et des familles des Premières Nations. L’APN soutient que l’entente révisée satisfait pleinement aux ordonnances d’indemnisation du Tribunal pour ce qui concerne ces victimes et ces survivants.

[76] Étant donné que le Tribunal avait conclu que cette catégorie de bénéficiaires était carrément exclue de l’ERD de 2022, le Tribunal est appelé à trancher deux questions : 1) la version révisée de l’entente englobe-t-elle désormais cette catégorie de bénéficiaires auparavant exclue de l’ERD de 2022?; 2) dans l’affirmative, cette catégorie de bénéficiaires fait-elle l’objet d’un traitement juste et équitable en ce sens que la somme prévue pour l’indemnisation est suffisante au regard des ordonnances du Tribunal? Pour tirer cette conclusion, le Tribunal doit également examiner la preuve présentée et déterminer si le processus visant à identifier les bénéficiaires est juste, raisonnable et étayé par des éléments de preuve fiables.

[77] Le Tribunal a par ailleurs expliqué, dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, qu’il avait compétence pour analyser l’ERD de 2022 afin de déterminer si celle-ci respectait à tous les égards ses ordonnances. Le Tribunal continue de s’appuyer sur ces conclusions de droit et sur ce cadre juridique. En résumé, le Tribunal a conclu qu’il n’était pas dessaisi de la question et qu’il lui était donc permis d’examiner si l’ERD de 2022 satisfaisait entièrement à ses ordonnances. Le même raisonnement s’applique en l’espèce au regard de l’entente révisée. En somme, l’objectif de la compétence maintenue du Tribunal sur la question de l’indemnisation a toujours été d’améliorer, de peaufiner et de préciser ses ordonnances. Il n’a jamais été question de réduire l’indemnité des victimes et des survivants, ni de priver ceux-ci de leur droit à une indemnité ou de les soustraire à l’application des ordonnances. Une lecture attentive des décisions du Tribunal en fait foi.(voir au par. 513). Le Tribunal a exposé ses motifs de façon exhaustive dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, et il n’est pas nécessaire de tous les répéter ici. Le Tribunal a conclu que cette catégorie de victimes et de survivants avait été écartée de l’ERD de 2022 et que cela ne respectait pas ses ordonnances d’indemnisation.

[78] Au paragraphe 297, le Tribunal a affirmé ce qui suit :

[…] la question de la discrimination systémique et raciale tourne autour de la façon dont le Programme fédéral des SEFPN a défavorisé les enfants et les familles des Premières Nations dans les réserves et au Yukon, le Tribunal ne s’est pas arrêté sur les placements financés par SAC.

(soulignement omis)

[79] En outre, au paragraphe 314, le Tribunal est parvenu à la conclusion suivante :

La formation convient avec la Société de soutien qu’il semble y avoir un malentendu fondamental au sujet de la portée de la conduite discriminatoire du Canada en l’espèce. En effet, le Tribunal a ordonné une indemnisation pour la conduite du Canada (y compris le sous-financement des services de prévention et des mesures les moins perturbatrices), qui créait un incitatif en faveur du retrait inutile des enfants de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité alors qu’ils faisaient l’objet d’une intervention des services de protection de l’enfance. L’instruction de l’affaire n’a pas porté sur la question de savoir si un enfant avait fait ou non l’objet d’un placement financé par SAC une fois retiré de son foyer. Le Tribunal n’a jamais limité la responsabilité du Canada et l’admissibilité des enfants en fonction de la question de savoir si un enfant retiré de son foyer avait fait l’objet ou non d’un placement financé par SAC. Le financement, par le Canada, des frais d’entretien en fonction des coûts réels a contribué à la discrimination raciale systémique en créant un incitatif à placer les enfants, mais cette discrimination n’était pas limitée aux enfants dont le placement était financé par SAC. Tout au long du processus, la formation s’est concentrée sur le préjudice causé aux enfants concernés par la prestation, discriminatoire et sous-financée, de services à l’enfance et à la famille par le Canada.

[80] De plus, au paragraphe 317, le Tribunal a conclu ainsi :

[317] Le Tribunal a reconnu que le fait de retirer un enfant de sa famille est toujours un événement préjudiciable, et il [sic] qu’il est particulièrement problématique dans la mesure où il aurait pu être évité au moyen de services appropriés. Le Tribunal a conclu que le sous‑financement discriminatoire des services de prévention augmentait la probabilité que des enfants soient inutilement retirés de leur foyer (2016 TCDP 2, aux par. 314 et 346; 2019 TCDP 39, aux par. 165 et 177). C’est ce retrait initial qui était discriminatoire, que le placement subséquent de l’enfant ait été financé ou non par SAC.

[81] Par ailleurs, au paragraphe 472, le Tribunal a ajouté ce qui suit :

Si le Tribunal n’approuve pas l’ERD, c’est principalement parce qu’elle déroge à ses ordonnances existantes. En effet, on y a réduit l’indemnité accordée à certaines victimes ou certains survivants afin de tenir compte de la quantité déterminée de fonds qui y est prévue et du fait que les victimes et survivants visés par les recours collectifs sont bien plus nombreux à se disputer ces fonds. Aucune décision ni ordonnance sur le fond n’a été rendue à l’égard des victimes visées par les recours collectifs; pourtant, l’ERD écarte des victimes et survivants dont les droits ont été confirmés dans le cadre de la présente instance.

Autrement dit, il aurait fallu que l’ERD englobe ces victimes et ces survivants pour que le Tribunal soit en mesure de conclure que l’entente était pleinement conforme à ses ordonnances.

[82] En outre, la formation a mentionné qu’elle était d’accord avec l’APN pour dire que l’indemnisation est reliée à la discrimination systémique constatée par le Tribunal dans la prestation de services par l’entremise du Programme fédéral des SEFPN. Cependant, le Tribunal a conclu que la nuance nouvellement apportée par l’APN et le Canada ne tenait pas compte de l’esprit des décisions sur requête du Tribunal. L’accent n’était plus mis sur ce qui avait mené au retrait des enfants, mais sur qui payait pour les soins de ces enfants (voir 2022 TCDP 41, au par. 331).

[83] Après examen, le Tribunal accepte les éléments de preuve non contestés présentés conjointement par les parties. L’analyse de données et le processus d’identification des bénéficiaires sont justes et raisonnables et, même s’il s’agit d’éléments de preuve non vérifiés, toutes les parties s’entendent sur ce point. De plus, le Tribunal estime que les éléments de preuve présentés sont pertinents et fiables et qu’ils appuient une conclusion, selon la prépondérance des probabilités, en faveur de ce processus adopté d’un commun accord par les parties. Selon le Tribunal, la preuve démontre qu’il est plus probable qu’improbable que les fonds d’indemnisation permettront d’indemniser toutes les victimes et tous les survivants faisant partie de cette catégorie de bénéficiaires, laquelle catégorie est maintenant conforme aux ordonnances d’indemnisation du Tribunal.

[84] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que les victimes et les survivants faisant partie de cette catégorie de bénéficiaires sont maintenant pris en compte dans l’entente révisée, dans le respect intégral des ordonnances du Tribunal rendues aux termes du paragraphe 53(2) de la LCDP dans la décision sur requête 2019 TCDP 39 et précisées davantage dans la décision sur requête 2022 TCDP 41. Par ailleurs, le Tribunal a compétence pour rendre l’ordonnance sollicitée et conclut que celle-ci satisfait entièrement aux ordonnances d’indemnisation ayant trait à cette catégorie de victimes et de survivants.

(iii) L’entente révisée prévoit désormais le versement d’une indemnité dans le cas de retraits multiples, conformément à l’ordonnance sur le droit à l’indemnisation

[85] Dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, le Tribunal a conclu que l’ERD de 2022 prévoyait une indemnisation insuffisante par rapport aux ordonnances du Tribunal relativement à cette catégorie de victimes et de survivants. Le raisonnement du Tribunal était le suivant :

[356] Les ordonnances du Tribunal tiennent compte de l’effet combiné sur un parent ou un grand-parent pourvoyeur de soins qui a déjà vécu le préjudice moral causé par le retrait d’un enfant, et qui subit de nouveau le préjudice énorme de perdre un ou plusieurs autres enfants en raison de la discrimination raciale systémique. L’ERD vient réduire le montant de l’indemnité pour les victimes et les survivants qui ont subi de nouveaux traumatismes et qui ont grandement souffert. La perte de plus d’un enfant rend encore plus manifeste la présence d’un comportement délibéré et inconsidéré; elle ne la réduit pas. Le Tribunal a insisté sur le fait que, étant donné qu’il s’agissait du pire scénario possible, une indemnité maximale devait être versée pour chaque enfant retiré. Bien que le préjudice subi justifie le versement d’une somme supérieure à 40 000 $ par enfant retiré de son foyer, la LCDP prévoit une indemnité maximale. L’ERD vient minimiser l’importance des actes discriminatoires délibérés ou inconsidérés constatés, et éroder la portée des ordonnances qui envoient au Canada un message selon lequel son comportement dénué de prudence, qui a fait en sorte que plus d’un enfant soit retiré du foyer, a causé un préjudice aggravé aux parents et aux grands-parents.

[357] Ces conclusions ont été tirées après un examen attentif des éléments de preuve et des observations qui ont été présentés, et rien, dans la présente requête conjointe, n’y change quoi que ce soit. Bien que le Tribunal comprenne la nécessité de faire des compromis dans le cadre des négociations en vue du règlement, il en résulte que la portée des ordonnances dans lesquelles le Tribunal a reconnu cette catégorie de victimes et de survivants sera considérablement réduite, non pas en fonction de la preuve, mais plutôt pour faire en sorte que chaque personne puisse recevoir une certaine indemnisation, jusqu’à concurrence du montant fixe d’indemnité.

[86] Par conséquent, le Tribunal a rendu des ordonnances visant à s’assurer que les parents et les grands-parents à qui l’on a retiré la garde d’un ou de plusieurs enfants en raison de la discrimination raciale systémique constatée allaient recevoir, pour chaque enfant dont la garde leur a été retirée, l’indemnité maximale prévue par la LCDP. Ainsi, l’indemnité devait se chiffrer à 40 000 $ si un enfant avait été retiré du foyer familial, à 80 000 $ si deux enfants avaient été retirés du foyer familial, à 120 000 $ si trois enfants avaient été retirés du foyer familial, et ainsi de suite. L’ERD de 2022 prévoyait une indemnité maximale de 60 000 $ dans une situation de retraits multiples, ce qui n’était pas conforme aux ordonnances du Tribunal.

[87] En réponse, les parties aux recours collectifs, avec l’aide de la Société de soutien, ont examiné le nombre de personnes qui seraient potentiellement en mesure de réclamer une indemnité au titre de retraits multiples et elles sont parvenues à un budget de 997 millions de dollars à cette fin. Le montant a été accepté par le Canada et intégré aux fonds du règlement établis dans l’entente révisée (voir l’affidavit souscrit par Mme Valerie Gideon le 30 juin 2023, aux paragraphes 57 à 59, et le sous-paragraphe 6.06(6) de l’entente révisée). Bien que l’entente révisée prévoit la multiplication du paiement pour tous les membres du groupe des familles des enfants retirés de leur foyer, elle impose certaines restrictions à l’égard des membres qui n’avaient pas droit à une indemnité en vertu des ordonnances d’indemnisation du Tribunal. Ces restrictions n’ont pas d’incidence sur les membres qui ont droit à une indemnité au titre des ordonnances du TCDP. Suivant la restriction imposée aux membres non visés par les ordonnances du Tribunal, l’indemnité versée aux personnes à qui l’on a retiré la garde d’au moins deux de leurs enfants entre le 1er avril 1991 et le 31 décembre 2005 (enfants qui n’étaient plus pris en charge le 1er janvier 2006) et aux beaux-parents est plafonnée à 80 000 $ (voir l’entente révisée, aux sous-paragraphes 6.06(1) à 6.06(4)). Il ne s’agit pas d’écarts par rapport aux ordonnances d’indemnisation puisque ces membres du groupe des familles des enfants retirés de leur foyer n’avaient pas déjà droit à une indemnité en vertu des ordonnances du Tribunal. L’entente révisée prévoit également des rajustements potentiels aux paramètres d’admissibilité et d’indemnisation pour ces membres du groupe des familles des enfants retirés de leur foyer qui n’étaient pas visés par les ordonnances d’indemnisation du Tribunal, y compris la possibilité de rehausser le plafond de 80 000 $.

[88] En 2022, les parties à l’entente révisée ont pris part à un processus de médiation portant sur la question de l’inclusion des beaux-parents et des limites appropriées à l’admissibilité dans l’objectif de tenir compte de la conception des structures familiales propres aux Premières Nations. Par souci de clarté :

a) Pour être admissibles à une indemnité, les beaux-parents, qui ne sont pas visés par les ordonnances d’indemnisation du Tribunal, doivent être membres des Premières Nations.

b) L’exigence d’appartenance aux Premières Nations ne s’applique pas aux parents et aux grands-parents responsables qui ont droit à une indemnité en vertu des ordonnances d’indemnisation.

c) Les beaux-grands-parents ne sont pas admissibles à une indemnité au titre de l’entente révisée ou des ordonnances d’indemnisation, et ce, peu importe s’ils sont issus ou non des Premières Nations.

[89] L’entente révisée impose également un plafond de 80 000 $ pour les retraits séquentiels et offre la possibilité de transférer l’indemnité aux grands-parents responsables dans le cas où le versement d’une indemnité au titre de l’entente révisée a été approuvé pour un parent responsable (pas un beau-parent) à l’égard de l’enfant en question (voir l’entente révisée, à l’alinéa 6.06(4)c)). L’APN fait valoir que le plafonnement ne constitue pas une divergence par rapport à la décision sur l’indemnisation ou aux ordonnances d’indemnisation connexes du Tribunal, mais qu’il permet plutôt de préciser les intentions du Tribunal et que ses limites ont été définies par les parties à l’entente révisée et au protocole d’entente par suite du processus dialogique. Une précision mineure doit être apportée au cadre d’indemnisation dans le scénario suivant : si un parent responsable a réclamé une indemnité au titre du retrait d’un enfant et que l’on retire par la suite la garde de cet enfant à un grand-parent responsable, l’entente révisée restreint la multiplication de l’indemnité à 80 000 $.

[90] En somme, les parties font valoir conjointement qu’un parent ou un grand-parent responsable issu des Premières Nations recevra plusieurs indemnités de base de 40 000 $, plus les intérêts y afférents, si plus d’un enfant a été retiré de la famille et placé sous les soins d’un membre non apparenté vivant à l’extérieur de la réserve. L’indemnité de base sera multipliée par le nombre d’enfants dont la garde a été retirée au parent ou au grand-parent responsable issu des Premières Nations pour faire l’objet d’un placement à l’extérieur de la réserve. Les parties sont d’avis que l’entente révisée remédie désormais pleinement à cet écart.

[91] Les parties à l’instance du Tribunal se sont penchées sur la question de l’indemnisation en tenant compte des directives du Tribunal et ont préparé le texte suivant en guise de libellé de l’article 4.4 du cadre d’indemnisation, tel qu’il a été approuvé par le Tribunal dans la décision sur requête 2021 TCDP 7 :

[traduction]

Si un enfant a été retiré du milieu familial à plus d’une reprise, les parents (ou deux grands-parents responsables) doivent recevoir une indemnité pour le premier retrait. Un ou deux autres grands-parents (ou les parents de l’enfant si ceux-ci n’étaient pas les principaux responsables des soins de l’enfant au moment du premier retrait ou du retrait précédent) peuvent avoir droit à une indemnité pour un retrait subséquent s’ils assumaient le rôle de principal responsable des soins de l’enfant au moment où les parents (ou les autres grands-parents) n’étaient pas responsables de ce dernier.

(caractères gras ajoutés)

[92] Les parties soutiennent conjointement que l’examen des dispositions relatives à l’indemnisation au titre des retraits séquentiels indique sans équivoque que le Tribunal, en approuvant le cadre d’indemnisation, s’attendait à ce que les parents, ou deux grands-parents, aient droit à une indemnité pour le premier retrait de l’enfant, ainsi qu’en témoigne l’utilisation du terme « doivent » (« shall » dans la version originale anglaise). Le droit à l’indemnisation dans le cas du premier retrait est reproduit dans l’entente révisée (voir l’entente révisée, au sous-paragraphe 6.06(1)). Le cadre d’indemnisation vient par la suite établir la possibilité qu’un ou deux autres grands-parents, ou encore les parents s’ils n’étaient pas les principaux responsables des soins de l’enfant au moment du premier retrait, puissent réclamer une indemnité pour un retrait subséquent. Par souci de clarté, cette disposition n’établissait pas un droit, mais évoquait plutôt une possibilité, ainsi qu’en témoigne l’emploi du terme « peuvent » (« may » dans la version originale anglaise).

[93] L’APN soutient que le fait de restreindre l’indemnisation des grands-parents responsables quand un parent responsable a déjà présenté une demande d’indemnisation au regard de l’enfant en question vient préciser de façon raisonnable les ordonnances d’indemnisation du Tribunal, en procurant une certitude quant à l’étendue du droit conféré qui n’existait pas auparavant dans les procédures du Tribunal, et en témoignant de la volonté et des efforts de toutes les parties à l’entente révisée et au protocole d’entente ainsi que des Premières Nations en assemblée.

[94] Les efforts déployés par les parties aux recours collectifs et par la Société de soutien afin de régler la question de l’indemnisation dans le cas de retraits multiples pour la catégorie des familles des enfants retirés de leur foyer permettent l’exécution efficace des ordonnances d’indemnisation du Tribunal à cet égard. Bien qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de préciser son ordonnance, l’approche du cadre d’indemnisation approuvée par le Tribunal appuie cette précision et celle-ci est conforme dans l’ensemble aux ordonnances et aux motifs antérieurs du Tribunal. Enfin, les dispositions relatives aux retraits multiples constituent une réparation qui prend appui sur les ordonnances d’indemnisation du Tribunal, qui établit sans équivoque le droit à l’indemnisation des victimes et des survivants et qui assure à ceux et à celles qui ont droit à une indemnité en vertu des ordonnances du Tribunal qu’ils recevront le plein montant qui leur est accordé. L’entente révisée satisfait donc entièrement aux ordonnances d’indemnisation pour ce qui concerne ces victimes et ces survivants.

[95] Le Tribunal confirme que les parties proposent conjointement une interprétation juste des ordonnances du Tribunal. Dans ses ordonnances d’indemnisation, le Tribunal prévoyait le versement de l’indemnité maximale pour chaque enfant retiré du foyer familial la première fois. Le Tribunal ne prévoyait pas de paiements multiples dans le cas où un enfant était retiré du foyer familial à plusieurs reprises. Le cadre d’indemnisation adopté par le Tribunal évoque cette possibilité, mais les parties ont correctement interprété les termes « doivent » et « peuvent » (« shall » et « may » dans la version originale anglaise). De l’avis du Tribunal, le terme « doivent » impose une obligation tandis que le terme « peuvent » fait seulement état d’une possibilité dans des circonstances particulières qui devaient être précisées davantage par les parties. En cas de désaccord et au terme du processus d’appel, la décision finale revient au Tribunal conformément au cadre d’indemnisation et à la lumière de la preuve dont le Tribunal dispose. Par ailleurs, le projet de cadre d’indemnisation renferme des dispositions sur le traitement des réclamations. Le processus comporte un examen à plusieurs niveaux et un processus d’appel (articles 9.1 à 9.6). Le processus demeure soumis au contrôle ultime du Tribunal (article 9.6). En cas de disparité entre le cadre d’indemnisation et les ordonnances du Tribunal, ces dernières l’emportent.

[96] Le projet de cadre d’indemnisation a pour objectif [traduction] « de faciliter et d’accélérer le versement des indemnités » aux bénéficiaires (article 1.3). Il se veut conforme et subordonné aux ordonnances du Tribunal (article 1.2).

[97] L’APN fait valoir que l’entente révisée vient directement atténuer l’écart. L’entente révisée confère désormais au parent ou au grand-parent responsable le droit de recevoir plusieurs paiements de l’indemnité de base de 40 000 $, plus les intérêts, si plus d’un enfant a été retiré du foyer familial et a fait l’objet d’un placement à l’extérieur d’une réserve dans un foyer hors du réseau familial (voir le sous-paragraphe 6.06(1) de l’entente révisée, pièce F de l’affidavit de l’APN). Suivant l’entente révisée, le montant de l’indemnité de base sera directement multiplié par le nombre d’enfants des Premières Nations retirés du foyer familial et ayant fait l’objet d’un placement à l’extérieur d’une réserve dans un foyer hors du réseau familial (voir le sous-paragraphe 6.06(2) de l’entente révisée, pièce F de l’affidavit de l’APN).

[98] Encore une fois, toutes les parties s’entendent sur cette question. Par conséquent, les éléments de preuve présentés n’ont pas été réfutés ou testés. Après avoir examiné attentivement l’entente révisée et l’ensemble des documents connexes, le Tribunal juge que les analyses des données disponibles, les calculs et les estimations sont justes et raisonnables. En outre, le Tribunal estime que les éléments de preuve et les arguments présentés sont pertinents et fiables et qu’ils permettent de conclure que l’entente révisée satisfait pleinement aux ordonnances du Tribunal pour cette catégorie de victimes et de survivants ayant droit à une indemnité.

[99] À titre d’exemple, l’entente révisée prévoit maintenant une somme de 997 millions de dollars visant expressément à assurer l’indemnisation des parents et des grands-parents responsables à qui l’on a retiré la garde de plus d’un enfant des Premières Nations (voir le sous-paragraphe 6.06(6) de l’entente révisée, pièce F de l’affidavit de l’APN). La Société de soutien, consciente des limites que présentent les données disponibles, a eu recours aux meilleures données probantes afin d’établir un budget suffisant pour indemniser entièrement les parents et les grands-parents responsables pour toutes les fois où un enfant a été retiré de son foyer, de sa famille et de sa communauté (voir l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023, au par. 32). Comme il est indiqué à l’annexe A, les calculs de la Société de soutien prennent appui sur les estimations du nombre d’enfants touchés par les lacunes du Programme des SEFPN fournies par le directeur parlementaire du budget et par les experts à qui les parties aux recours collectifs ont fait appel, de même que sur les données du recensement desquelles on peut extraire le nombre global approximatif de pourvoyeurs de soins par enfant des Premières Nations.

[100] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, les estimations proviennent du directeur parlementaire du budget, des experts et du recensement, et elles ont été acceptées conjointement par les parties. Le Tribunal estime que ces données sont fiables. L’alinéa 50(3)c) de la LCDP confère au Tribunal le pouvoir de tenir compte d’autres renseignements dans son examen des différentes questions, ce qui peut s’avérer particulièrement utile lorsque la preuve n’est pas vérifiée et qu’elle est fournie sur consentement, auquel cas elle peut avoir une valeur probante moindre que celle d’une preuve vérifiée dans le contexte d’une audience.

[101] Cela dit, le Tribunal est convaincu que les ordonnances sollicitées visant à confirmer que l’entente de règlement révisée satisfait entièrement aux ordonnances d’indemnisation dans cette catégorie sont suffisamment étayées par les éléments de preuve et d’autres renseignements.

[102] Par ailleurs, ainsi qu’il a été mentionné précédemment et dans des décisions sur requête antérieures, le Tribunal a le pouvoir de préciser ses ordonnances. Le Tribunal continue de s’appuyer sur les conclusions de droit et les motifs énoncés dans ses décisions sur requête antérieures et exposés plus en détail dans sa décision sur requête 2022 TCDP 41.

[103] Le Tribunal accepte la demande de précisions formulée conjointement par les parties et estime utile de fournir ces éclaircissements à la lumière de ce qui précède. Par conséquent, le Tribunal précise l’ordonnance rendue dans la décision sur requête 2021 TCDP 7 à propos du cadre d’indemnisation : les parents et les grands-parents responsables seront conjointement limités à une indemnité totalisant 80 000 $ peu importe le nombre de retraits subséquents subis par un même enfant.

[104] Le Tribunal conclut que les parents et les grands-parents responsables ont désormais droit, conformément à l’entente révisée, à plus d’un versement de l’indemnité de 40 000 $ majorée des intérêts si plus d’un enfant a été retiré du foyer familial. Par conséquent, s’agissant de ce point, l’entente révisée satisfait maintenant entièrement aux ordonnances du Tribunal.

(iv) Successions des parents et des grands-parents responsables

[105] Le Tribunal a conclu que l’indemnité devait être versée à la succession des bénéficiaires qui ont été victimes de la conduite discriminatoire du Canada, mais qui sont décédés avant de recevoir le paiement (2020 TCDP 7, aux par. 77 à 151).

[106] L’esprit de cette ordonnance met en lumière l’importance que revêt cette mesure de réparation au plan de l’intérêt public et les éléments dissuasifs capitaux qu’elle comporte :

[79] De façon significative, le Canada ne devrait pas tirer un avantage financier du fait que des enfants, des jeunes et des membres de leurs familles sont décédés en attendant que cesse la discrimination exercée par le Canada. Cela est d’autant plus vrai que, comme le Tribunal l’a conclu, cette discrimination a un caractère délibéré, inconsidéré et continu dans le cas du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. La Société de soutien ajoute que l’indemnisation prévue par la LCDP vise notamment à éliminer les motivations économiques pouvant inciter à la discrimination en veillant à ce que les économies réalisées par les intimées grâce à leurs actes discriminatoires soient, dans une certaine mesure, restituées aux victimes. En fait, permettre au Canada de tirer financièrement profit des retards dont il est lui-même responsable pourrait créer un dangereux précédent et encourager d’autres intimés à retarder des procédures à l’avenir, si un groupe ou une personne particulièrement vulnérable venait à déposer une plainte.

(non souligné dans l’original)

[107] Dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, le Tribunal a conclu que l’ERD de 2022 prévoyait une indemnisation insuffisante par rapport aux ordonnances du Tribunal :

[332] Dans le cadre de l’ERD, les successions de parents ou de grands-parents pourvoyeurs de soins décédés n’ont pas droit à une indemnité financière directe, à moins que le pourvoyeur de soins ait présenté une demande d’indemnisation avant son décès. En comparaison, les ordonnances du Tribunal prévoient le versement d’une indemnité aux successions des pourvoyeurs de soins admissibles, peu importe le moment de leurs décès.

[333] Il s’agit d’un écart évident par rapport aux ordonnances du Tribunal.

[108] En réponse aux préoccupations du Tribunal touchant la succession des parents et des grands-parents responsables décédés, les sous-paragraphes 14.03(1) et 14.03(2) de l’entente révisée permettent la présentation d’une réclamation au nom d’un parent ou d’un grand-parent responsable décédé pour les groupes suivants : les membres du groupe des familles des enfants retirés de leur foyer (le parent ou le grand-parent d’un enfant placé à l’extérieur d’une réserve dans un foyer hors du réseau familial à compter du 1ᵉʳ janvier 2006), les membres du groupe des familles des enfants pris en charge par un proche ou les membres du groupe des familles des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan. En ce qui concerne précisément ces parents et grands-parents responsables, si une réclamation est approuvée, l’entente révisée prévoit le versement de l’indemnité de base de 40 000 $ majorée des intérêts applicables directement à l’enfant vivant ou aux enfants vivants, selon un calcul au prorata. L’APN soutient que cette disposition permet d’englober toute la cohorte de victimes qui ont droit à une indemnité en vertu des ordonnances du Tribunal. S’il n’y a pas d’enfant survivant, l’indemnité sera versée à la succession du parent ou du grand-parent responsable décédé.

[109] L’entente révisée, qui englobe maintenant les successions des parents et grands-parents responsables issus des Premières Nations, prévoit une indemnité de 40 000 $ relativement à ces victimes qui sont décédées avant que la question de l’indemnisation ne fasse l’objet d’un règlement. Les parties font conjointement valoir que cette disposition est pleinement conforme aux ordonnances du Tribunal.

[110] L’entente révisée établit toutefois un mécanisme par lequel l’indemnité due à la succession des parents ou grands-parents responsables issus des Premières Nations est versée directement à l’enfant ou aux enfants du défunt. Au lieu d’être payée à la succession des parents ou grands-parents responsables décédés membres des Premières Nations, l’indemnité va directement aux enfants, une modification qui a pour effet de placer les enfants au cœur même du processus d’indemnisation. S’il n’y a pas d’enfant survivant, l’indemnité sera versée à la succession du parent ou grand-parent responsable décédé issu des Premières Nations.

[111] Par conséquent, les parties sollicitent conjointement une modification de la décision sur requête 2020 TCDP 7. Toutes les parties à l’instance y consentent.

[112] Cette modification offre de multiples avantages : (i) le préjudice moral aggravé que subit l’enfant victime qui perd le parent ou le grand-parent qui s’occupait de lui est reconnu, et une indemnité supplémentaire est accordée à ce titre; (ii) la procédure longue et complexe liée à l’administration de la succession est contournée; (iii) la pleine indemnité à laquelle la succession est admissible est versée aux enfants survivants de ce parent ou grand-parent responsable membre des Premières Nations; (iv) les fonds d’indemnisation ne feront pas l’objet d’un éventuel prélèvement d’impôt au titre de l’administration de la succession.

[113] Selon l’APN, cette approche est fondée sur des principes en ce sens qu’elle accorde la priorité aux héritiers (enfants ou petits-enfants) de ces parents et grands-parents responsables décédés, dont au moins l’un de ces parents ou grands-parents avait lui-même été une victime ou un survivant, ce qui constitue le fondement des réclamations faites au nom des parents et grands-parents responsables décédés. En effet, la portion des fonds du règlement à laquelle la succession du défunt aurait droit au titre des ordonnances d’indemnisation du Tribunal serait traitée de façon comparable à l’assurance-vie; l’indemnité aurait ainsi préséance dans le règlement de la succession et irait directement au bénéficiaire désigné (à savoir l’enfant ou le petit-enfant). Cette façon de faire, en plus d’accélérer le paiement de l’indemnité, permet d’une part d’éviter la réduction potentielle du montant versé aux enfants ou petits-enfants survivants des Premières Nations advenant le cas où le défunt avait des dettes à acquitter, et d’autre part d’éviter le prélèvement éventuel d’impôt au titre de l’administration de la succession (voir l’affidavit souscrit par Mme Valerie Gideon le 30 juin 2023, au par. 64).

[114] Ces avantages vont dans le sens des principes énumérés dans le cadre d’indemnisation, lequel vise à éviter que l’indemnité destinée aux victimes et aux survivants ne soit réduite sous l’effet de l’impôt, et dans l’entente révisée, laquelle vise à faire en sorte que toute indemnité soit exonérée d’impôt et qu’elle n’ait pas d’incidence négative sur les prestations sociales qu’une victime ou un survivant reçoit (conformément aux recommandations du Tribunal formulées dans la décision sur requête 2019 TCDP 39, au par. 265; voir aussi l’article 10.9 du Cadre d’indemnisation et le paragraphe 10.03 de l’entente révisée).

[115] L’APN soutient dans un premier temps que cet élément de preuve appuie la réparation sollicitée au regard de la modification du droit à l’indemnisation associé à la succession des parents et grands-parents responsables décédés qui ont droit à une indemnité suivant la décision sur requête 2020 TCDP 7, et dans un deuxième temps que la preuve cadre également dans l’ensemble avec les motifs du Tribunal exposés dans les ordonnances d’indemnisation connexes. La réparation sollicitée est également dans l’intérêt supérieur des enfants et des familles des Premières Nations qui sont des victimes et des survivants de la discrimination exercée par le Canada, car elle fait en sorte que leurs héritiers (enfants ou petits-enfants) reçoivent la pleine indemnité. De l’avis de l’APN, il s’agit d’une modification raisonnable, et elle a reçu l’appui de toutes les parties à l’entente révisée et au protocole d’entente de même que des Premières Nations en assemblée. L’APN affirme que, grâce à cette modification de l’ordonnance d’indemnisation du Tribunal fondée sur des principes et des données probantes et qui est dans l’intérêt supérieur des membres des groupes des Premières Nations, l’entente révisée satisfait entièrement aux ordonnances d’indemnisation du Tribunal, car elle fait en sorte que l’indemnité à laquelle ont droit ces parents et grands-parents responsables décédés est réellement versée à leurs enfants ou petits-enfants.

[116] En plus de majorer l’indemnité accordée aux enfants des défunts parents ou grands-parents responsables, la modification proposée faciliterait l’accès à l’indemnisation pour les victimes. La distribution de l’argent aux bénéficiaires lors d’un décès peut s’avérer complexe, et les procédures en ce sens varient dans certains cas selon la province ou le territoire. La démarche peut être particulièrement ardue si le défunt n’a pas laissé de directives, s’il vivait sur une réserve ou si la succession qui reçoit l’indemnité n’a pas déjà fait l’objet d’une homologation devant le tribunal. Les règles et règlements stricts des banques concernant l’accès aux fonds de la succession et la distribution de cet argent amplifient les obstacles procéduraux, ce qui peut rendre le processus de distribution des fonds aux bénéficiaires frustrant, long et coûteux (voir Alberta Law Reform Institute, Estate Administration : Final Report (Edmonton, août 2013), aux par. 188 à 212 (Alberta); Commission du droit de l’Ontario, Simplification des procédures pour les petites successions : rapport final (Toronto, août 2015), aux p. 18 à 20, 30 à 34 et 57 à 73 (Ontario). Voir, à titre d’exemple, Wills, Estates and Succession Act, SBC 2009, ch. 13, art. 144 (Colombie-Britannique); Loi sur les fiduciaires, L.R.O. (1990), ch. T.23, art. 29 (Ontario); Loi sur l’administration des successions, L.R.Y. (2002), ch. 77, art. 97 (Yukon)).

[117] Des préoccupations ont également été soulevées concernant le ou les bénéficiaires de l’indemnité dans le cas où les fonds vont à la succession du parent ou du grand-parent responsable. Conformément aux différentes lois en matière de succession en vigueur au pays, les créanciers ont préséance sur les bénéficiaires (voir, par exemple, Loi sur les fiduciaires, L.R.O. (1990), ch. T.23, art. 53 et 57 à 59 (Ontario); Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 2644 à 2659 (Québec);. Loi sur l’administration des successions, L.R.Y. (2002), ch. 77, art. 96 à 104 (Yukon). Dans le cas d’une succession en faillite, l’article 136 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, permet de déterminer l’ordre de priorité des créanciers). À titre d’exemple, en Ontario, le fiduciaire de la succession est tenu d’acquitter les dettes dans l’ordre suivant avant de pouvoir distribuer une quelconque somme aux bénéficiaires : (i) frais funéraires raisonnables; (ii) dépenses liées à l’administration de la succession, notamment les frais d’homologation, les honoraires professionnels et l’indemnité versée à l’exécuteur testamentaire ou au fiduciaire de la succession; (iii) créanciers garantis; (iv) impôts; (v) créanciers non garantis (voir la Loi sur les fiduciaires, L.R.O. (1990), ch. T.23, art. 48 à 59).

[118] Selon l’APN, le versement direct de l’indemnité aux enfants du parent ou grand-parent responsable décédé permet d’éviter en bonne partie les complications, les coûts et les retards associés à l’administration de la succession. Il permet également de se soustraire aux exigences complexes du processus d’homologation, d’éviter le versement de l’indemnité aux créanciers, de réduire les dépenses et ainsi de préserver la totalité de la somme et d’en donner directement le contrôle aux enfants du parent ou grand-parent responsable décédé. Cette procédure est également en parfaite harmonie avec l’approche adoptée par le Tribunal des droits de la personne du Québec dans l’affaire Commission des droits de la personne (Succession de Poirier) c. Bradette Gauthier, dans le cadre de laquelle la Commission des droits de la personne du Québec sollicitait une ordonnance pour que les enfants du défunt plaignant reçoivent directement les montants accordés à titre de dédommagement (voir Commission des droits de la personne (Succession de Poirier) c. Bradette Gauthier, 2010 QCTDP 10, aux par. 6 et 130).

[119] La Société de soutien fait remarquer que les observations présentées par la Commission le 9 mars 2020, selon lesquelles le versement des paiements aux successions serait une procédure appropriée dans le contexte où il est difficile de retracer les bénéficiaires, ne s’appliquent pas dans le présent contexte. Il existe un lien incontestable entre l’indemnité versée au parent ou grand-parent responsable décédé et l’expérience vécue par l’enfant ou les enfants survivants du défunt.

[120] La Société de soutien fait valoir que, dans l’affaire qui nous occupe, les enfants et les jeunes des Premières Nations ont subi un préjudice énorme en raison des actes discriminatoires commis par le Canada. Le préjudice subi par l’enfant est aggravé par la perte du parent ou du grand-parent qui s’occupait de lui (voir l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023, au par. 55). Ainsi, le versement de l’indemnité accordée par le Tribunal directement aux enfants du parent ou grand-parent responsable décédé fait en sorte que le préjudice aggravé est reconnu, ce qui permet au Tribunal de rendre une ordonnance qui tient compte des souffrances vécues par ces victimes et ces survivants.

[121] Les enfants des Premières Nations qui ont perdu un parent subissent un préjudice exacerbé : au tort causé par les actes discriminatoires du Canada s’ajoute la souffrance de perdre un parent. La preuve issue de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (l’« Enquête sur les FFADA ») et des publications spécialisées démontre que les enfants endeuillés sont confrontés à des difficultés importantes (voir l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023, aux par. 56 à 58). L’entente révisée offre une occasion unique d’accorder une indemnité additionnelle aux membres des Premières Nations qui ont perdu un parent.

[122] Dans la décision sur requête 2019 TCDP 39, le Tribunal a reconnu, aux paragraphes 13 et 258, que le plafond fixé par la LCDP n’était peut-être pas proportionnel aux souffrances vécues par les victimes en l’espèce. La modification sollicitée dans la présente requête est une démarche significative permettant aux enfants et aux jeunes des Premières Nations qui ont été victimes de la discrimination dont le Canada a fait preuve et qui ont en plus vécu la perte d’un parent d’obtenir une indemnité supérieure à 40 000 $, plus les intérêts. La modification est dans l’intérêt supérieur des enfants victimes et survivants concernés par la présente affaire et elle respecte à la fois l’esprit et la portée des ordonnances d’indemnisation antérieures du Tribunal.

[123] La modification reflète également l’esprit et l’intention de la décision sur le bien-fondé, de l’ordonnance sur le droit à l’indemnisation et de l’approche globale du Tribunal consistant à accorder la priorité aux enfants.

[124] Le Tribunal jouit d’une plus grande marge de manœuvre lorsqu’il s’agit d’approuver une ordonnance sur consentement sollicitée dans le cadre d’une entente de règlement, dans la mesure où les pouvoirs du Tribunal – vastes, mais pas illimités – lui permettent de rendre une telle ordonnance. Autrement dit, le Tribunal ne peut rendre une ordonnance sur consentement si la LCDP ne lui confère pas ce pouvoir. En outre, ainsi qu’il a été mentionné à maintes reprises dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, les ententes de règlement et les ordonnances sur consentement ne visent pas à priver une personne de l’indemnité qui lui a déjà été accordée dans le cadre d’une ordonnance ou de réduire le montant de cette indemnité. Les ententes de règlement et les ordonnances sur consentement jettent des bases solides sur lesquelles prendre appui.

[125] Le Tribunal estime que la présente demande visant une ordonnance sur consentement n’est pas une simple demande de précisions, mais plutôt une demande de modification d’une ordonnance rendue par le Tribunal. Le Tribunal a déjà expliqué de façon exhaustive, dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, pourquoi il n’était pas disposé à retirer le droit à l’indemnisation des victimes décédées alors qu’elles attendaient que la situation de discrimination soit corrigée. Toutefois, il n’est nulle part proposé dans la demande d’ordonnance sur consentement de supprimer le droit à l’indemnisation ou de réduire le montant de l’indemnité ordonnée par le Tribunal. Le Tribunal juge que la demande ne vise pas une modification fondamentale de l’ordonnance, et qu’elle a plutôt pour objet de proposer une première étape différente dans le déroulement du processus.

[126] Les critères justifiant la modification d’une ordonnance ont fait l’objet d’une analyse dans la décision sur requête 2022 TCDP 41 :

[344] Même si les successions en soi ne sont pas des personnes, les héritiers qui les composent le sont, et, dans sa décision ultérieurement confirmée par la Cour fédérale, le Tribunal a déclaré qu’elles avaient droit à une indemnité. Il est injuste de les priver de ce droit en raison de choix financiers découlant du fusionnement des recours collectifs et de l’imposition d’un montant plafond. Ces arguments ne suffisent pas à justifier une modification des ordonnances du Tribunal sur ce plan. Comme nous y reviendrons plus loin, le Tribunal ne peut changer ses ordonnances de manière à réduire l’indemnisation ou à priver des victimes et des survivants de leurs droits. Le Tribunal pourrait accepter des modifications à ses ordonnances s’il n’en découlait pas une annulation des gains obtenus par les victimes et survivants ou un processus d’indemnisation différent et si ces modifications étaient justifiées par la preuve, ce qui constitue un facteur important à prendre en compte par le Tribunal relativement à toute ordonnance.

(non souligné dans l’original)

[127] Le Tribunal continue de prendre appui sur cette conclusion de droit et sur les autres conclusions exposées dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, aux paragraphes 155 à 201, et dans toutes ses autres ordonnances d’indemnisation.

[128] À titre d’exemple, dans la décision sur requête 2021 TCDP 7, le Tribunal a mentionné certains des facteurs importants dont il faut tenir compte dans l’établissement d’une mesure de réparation appropriée. L’analyse et les facteurs en question sont toujours pertinents en l’espèce :

[36] En outre, la formation juge que le processus d’indemnisation, dans son ensemble, prévoit non seulement l’octroi d’une indemnité financière, mais tient compte également d’autres facteurs pertinents comme la nécessité de créer un processus d’indemnisation sûr et adapté à la culture, compte tenu des circonstances propres à cette plainte, y compris les régimes historiques de discrimination, la vulnérabilité des victimes et des survivants qui sont des mineurs ou des adultes dépourvus de capacité juridique, l’accès à la justice, l’établissement d’un processus clair et équitable pour l’ensemble du Canada et l’importance de ne pas imposer des fardeaux administratifs inutiles.

(non souligné dans l’original)

[129] Par ailleurs, les principaux points s’articulent autour des questions suivantes : De nouveaux éléments de preuve et des arguments convaincants militent-ils en faveur d’une conclusion visant à modifier une ordonnance ou d’un nouveau processus permettant de préciser ou d’améliorer les ordonnances? Une telle modification aura-t-elle pour effet d’annuler l’ordonnance antérieure, de réduire le montant de l’indemnité accordée aux victimes ou de retirer à celles-ci leur droit à l’indemnisation, ou bien aura-t-elle pour effet simplement de préciser et d’améliorer l’ordonnance à la lumière de nouveaux éléments de preuve, renseignements et arguments dans l’intérêt supérieur des enfants et des familles des Premières Nations? Le Tribunal croit que c’est le deuxième cas de figure.

[130] Dans son affidavit, Mme Blackstock affirme que la version révisée de l’entente englobe désormais les successions parentales. La Société de soutien a entrepris d’estimer, à partir des données existantes, le nombre de parents dont les enfants ont été retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté et qui sont décédés avant la date d’approbation de l’entente.

[131] La Société de soutien a choisi d’estimer le nombre de parents dont les enfants ont été retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté et qui sont décédés avant la date d’approbation de l’entente pour la période allant du 1er avril 2006 au 31 mars 2023. La Société de soutien a sélectionné cette période précise parce que les données sur les décès au sein des Premières Nations auxquelles elle avait accès proposaient des statistiques annualisées, de sorte qu’il était difficile de sélectionner des « années partielles » pour établir le nombre de décès entre le 1er janvier 2006 et le 31 mars 2006 ou entre le 1er avril 2023 et la date d’approbation du règlement.

[132] Plus précisément, Mme Blackstock affirme que l’estimation faite par la Société de soutien du nombre de parents d’enfants des Premières Nations retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté qui sont décédés entre le 1er janvier 2006 et le 31 mars 2023 repose sur les données issues du document rédigé en 2018 par Randall Akee, professeur au département des politiques publiques de l’Université de la Californie, à Los Angeles, et par Donna Feir, professeure au département de sciences économiques de l’Université de Victoria, rapport intitulé First People Lost: Determining the State of Status First Nations Mortality in Canada Using Administrative Data. Une copie du rapport de M. Akee et de Mme Feir accompagne l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023 en tant que pièce K.

[133] La Société de soutien n’a pas produit d’estimations similaires concernant les parents des enfants victimes de discrimination liée au principe de Jordan ayant eux-mêmes vécu le « pire scénario » selon les paramètres d’indemnisation. Étant donné que l’exercice de mise à l’épreuve n’a pas encore été réalisé, on ne dispose pas de renseignements suffisants pour établir la « cohorte » de parents à partir de laquelle on pourrait calculer le nombre de parents toujours en vie au moment de l’approbation du règlement. Toutefois, la Société de soutien est d’avis que la mortalité au sein de cette cohorte peut être un facteur pris en considération par la Cour fédérale, à partir des observations formulées par l’ensemble des parties, notamment la Société de soutien, afin de déterminer si le processus de réclamation proposé est raisonnable s’agissant de la distribution de la somme de 2 000 000 000 $ prévue pour l’indemnisation des parents des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan et des enfants du groupe Trout.

[134] Aux yeux de la Société de soutien, la disposition de l’entente révisée selon laquelle l’indemnité qui autrement serait versée à la succession des parents décédés sera plutôt payée aux enfants de ces personnes décédées (ce qui, nous le reconnaissons, vient déroger à l’ordonnance rendue par le Tribunal dans la décision sur requête 2020 TCDP 7) revêt une grande importance.

[135] Selon Mme Blackstock, la priorité accordée aux enfants en tant que bénéficiaires des successions parentales est un aspect important et sacré de l’entente révisée.

[136] La preuve de Mme Blackstock renvoie à l’Enquête sur les FFADA dans le cadre de laquelle elle a agi à titre de témoin expert. Les éléments de preuve issus de cette enquête ont trait aux conséquences préjudiciables subies par les enfants des Premières Nations qui perdent un parent, particulièrement lorsque le parent perd la vie dans des circonstances violentes. Perdre un parent ou un pourvoyeur de soins, en particulier dans un contexte de violence, peut susciter chez l’enfant ou le jeune des sentiments profonds de perte et de colère qui peuvent mener à un traumatisme non résolu, à une dépression et, dans certains cas, au suicide.

[137] D’après les résultats de l’Enquête sur les FFADA, ces enfants présentent un risque accru de souffrir de problèmes de santé mentale et de toxicomanie, d’avoir des démêlés avec le système de justice pénale, de devenir parents jeunes et de mourir à un jeune âge. Parmi les autres conséquences néfastes, mentionnons des liens fragilisés ou rompus de façon définitive avec la fratrie, la famille élargie et la communauté d’origine, la perte de la culture, de la langue et du sentiment d’identité, des risques de maltraitance et de négligence, et un risque accentué d’itinérance et de pauvreté. Les sections pertinentes du rapport de l’Enquête sur les FFADA accompagnent l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023 en tant que pièce L.

[138] Selon Mme Blackstock, la littérature spécialisée démontre également que les enfants endeuillés sont confrontés à des difficultés importantes.

[139] La preuve donne à penser que les enfants vivant un deuil sont vulnérables et présentent un risque accru de difficultés au plan social, et ce, pas seulement pendant la période qui suit immédiatement le deuil, mais également plus tard à l’âge adulte. Ils sont également confrontés à des difficultés sur le plan de l’éducation, des rapports sociaux et de la santé mentale. En outre, selon la situation de la famille au moment du décès, les enfants et les jeunes peuvent vivre de l’instabilité sur le plan du logement et de l’environnement familial et perdre une source importante d’amour et de soutien, nécessaires à un développement sain. Une sélection de publications spécialisées sur le sujet accompagne l’affidavit souscrit par Mme Blackstock le 30 juin 2023 en tant que pièce M.

[140] Tout au long de la présente affaire, la Société de soutien a toujours eu comme objectif premier d’appuyer les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations victimes de la discrimination exercée par le Canada et de défendre leurs droits. L’entente révisée constitue une occasion unique d’offrir une indemnité supplémentaire aux enfants et aux jeunes des Premières Nations qui ont perdu un parent, traumatisme qui marque tous les enfants vivant un tel deuil mais qui, dans le cas qui nous occupe, est aggravé par une situation de discrimination.

[141] De l’avis de Mme Blackstock, l’adoption d’une approche axée sur l’enfant ayant pour objectif l’indemnisation directe des enfants touchés est conforme à l’esprit des travaux du Tribunal et permet d’honorer la mémoire des enfants et des jeunes qui ne sont plus des nôtres aujourd’hui. La plupart des enfants et des jeunes qui sont décédés à un moment ou à un autre depuis le début de cette procédure qui dure depuis de longues années étaient entourés de familles aimantes, et celles-ci devraient pouvoir bénéficier de la succession de ces enfants.

[142] Après avoir soigneusement examiné tous les éléments de preuve et les arguments présentés, le Tribunal juge que le rapport de l’Enquête sur les FFADA est pertinent à l’égard de cette question. Comme l’a déclaré le Tribunal dans des décisions sur requête antérieures, le rapport Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, volumes 1a et 1b, est fiable. Des centaines de témoins et d’experts ont été entendus dans le cadre de cette enquête nationale, au terme de laquelle des appels à la justice ont été lancés sous forme de recommandations. Le Canada a accepté ces recommandations.

[143] Selon le rapport de l’Enquête nationale sur les FFADA, le défaut de se découvrir un sentiment de cohérence ou d’appartenance peut inciter les jeunes à adopter des modes de vie centrés sur les dépendances ou à se former des images malsaines d’eux-mêmes qui donnent lieu à des pensées suicidaires ou à des tentatives de suicide (voir le rapport de l’Enquête nationale sur les FFADA, à la p. 469). Plus important encore, la même analyse a aussi démontré que la meilleure protection contre le suicide chez les jeunes autochtones est « un soutien solide prodigué par l’entourage social ou familial » (voir le rapport de l’Enquête nationale sur les FFADA, à la p. 469).

[144] Par ailleurs, Mme Blackstock a été reconnue à titre d’experte dans le domaine de la protection de l’enfance devant le Tribunal. Elle a témoigné ou signé des affidavits à de nombreuses reprises, et son témoignage s’est révélé d’une grande utilité pour le Tribunal. Son curriculum vitae déposé en preuve contient 50 pages d’expérience et d’expertise pertinentes. Autrement dit, son témoignage est fiable. Plus important encore, Mme Blackstock a démontré tout au long de la présente affaire qu’elle cherchait à défendre l’intérêt supérieur des enfants et qu’elle mettait de l’avant une approche axée sur l’enfant, ce qui va dans le sens de l’objectif du Tribunal.

[145] Le Tribunal estime que le processus, les estimations et les calculs qui font partie de la preuve et dont il a été question précédemment sont raisonnables, et il accepte ces éléments de preuve.

[146] En outre, suivant une analyse fondée sur des principes, le Tribunal estime qu’il est plus probable qu’improbable que les enfants des Premières Nations lésés par la discrimination raciale systémique constatée par le Tribunal subissent un préjudice aggravé s’ils vivent la perte d’un parent, et ce, même si les articles scientifiques déposés en preuve dans le cadre de la présente requête conjointe ne sont pas concluants et ne viennent pas étayer une telle conclusion. Le Tribunal souscrit à la position de Mme Blackstock concernant le préjudice aggravé ainsi qu’à son témoignage. Toutefois, le Tribunal accorde plus de poids au rapport de l’Enquête sur les FFADA et aux autres éléments de preuve au dossier qu’aux articles scientifiques qui lui ont été présentés. Le Tribunal parvient à la même conclusion que Mme Blackstock en faisant abstraction des articles. Le Tribunal a déjà conclu dans le passé que la séparation d’un enfant et de son parent avait des conséquences préjudiciables. Dans la décision sur requête 2019 TCDP 39, il affirme ce qui suit :

[147] Une réforme du système ne suffira pas à redresser les torts causés aux enfants qui ont été inutilement retirés de leur foyer ni à réparer ceux causés à leurs parents. Même les enfants qui ont été réunis avec leur famille ne peuvent récupérer le temps qu’ils ont perdu auprès des leurs. Le fait d’être privé de la possibilité de demeurer chez eux, avec leur famille et dans leur collectivité, en raison de la discrimination raciale est l’une des formes les plus flagrantes de discrimination entraînant des conséquences graves et bien documentées, y compris le préjudice moral dont fait état la preuve présentée en l’espèce.

(non souligné dans l’original)

[155] [...]

[…]

Comme nous le verrons dans la section suivante, les effets préjudiciables découlant du Programme des SEFPN, des modèles de financement correspondants et des autres ententes provinciales/territoriales connexes perpétuent les désavantages historiquement subis par les Premières Nations. (Voir 2016 TCDP 2 au par. 394; 2019 TCDP 39, au paragraphe 155).

(non souligné dans l’original)

[147] Le Tribunal a conclu précédemment que le traumatisme associé au fait d’être séparé de son parent ou de son grand-parent entraînait un préjudice moral grave pour l’enfant, traumatisme qui, comme l’a conclu le Tribunal plus haut, vient s’ajouter aux autres volets de la discrimination raciale systémique. Le Tribunal estime que c’est aussi le cas lors du décès d’un parent, d’un grand-parent ou d’un membre de la famille. Par ailleurs, Marie Wilson, ancienne commissaire au sein de la Commission de vérité et réconciliation a signé un affidavit déposé en preuve et examiné par le Tribunal dans lequel elle traite de la question des torts qui sont causés lorsque l’enfant et son parent se retrouvent séparés :

Elle affirme avoir été personnellement témoin de mille cinq cents déclarations faites à la CVR. Un grand nombre de ces déclarations étaient le fait de personnes qui avaient passé leur enfance dans le système des placements en famille d’accueil, tel qu’il existe à l’heure actuelle. Elle a également entendu les commentaires de centaines de parents dont les enfants avaient été pris en charge. Elle dit que les commissaires ont entendu dire, encore et encore, que le pire aspect des pensionnats indiens n’était pas les abus sexuels, mais plutôt la séparation forcée de la famille et du foyer et de tous ceux que l’on connaissait et que l’on chérissait. Parmi les voix qui ont été entendues, c’était là l’aspect le pire et le plus universel.

(Voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 122.)

Mme Wilson signale dans son affidavit que les enfants retirés à leurs parents pour être placés en foyer d’accueil ont vécu des expériences semblables à ceux qui avaient fréquenté les pensionnats. Le jour dont ils conservent le souvenir le plus vivace est celui où ils ont été enlevés de leur foyer. Elle mentionne, comme les commissaires l’ont déclaré dans leur rapport, que les services de bien-être à l’enfance peuvent être considérés comme un prolongement, ou un remplacement, du système des pensionnats indiens.

(Voir la décision sur requête 2018 TCDP 4, au par. 123.)

[148] Qui plus est, les souffrances vécues par l’enfant peuvent être aggravées si, par exemple, l’enfant perd espoir d’être réuni avec son parent ou son grand-parent parce que ce dernier est décédé. Un autre exemple serait celui d’un enfant dont la garde aurait été retirée au parent ou au grand-parent et qui plus tard serait réuni avec lui, mais qu’ensuite survenait le décès de ce parent ou grand-parent. On peut raisonnablement affirmer qu’il est plus probable qu’improbable que les situations données en exemple viendraient amplifier le préjudice et le traumatisme causés à l’enfant.

[149] Dans des décisions sur requête antérieures, le Tribunal a tiré des conclusions au regard du rapport de l’Enquête sur les FFADA. Par conséquent, le rapport de l’Enquête nationale sur les FFADA fait partie, dans son intégralité, du dossier du Tribunal. Le rapport appuie le témoignage de Mme Blackstock dont il a été question précédemment :

Relevant les iniquités, les participants aux quatre dialogues facilités ont aussi souligné les effets négatifs des expériences dans les familles d’accueil sur la sécurité et le bien-être des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones ainsi que de l’ensemble des familles autochtones. Parmi ces effets, mentionnons les suivants :

• l’affaiblissement ou la rupture permanente des liens avec les parents, la fratrie, la famille élargie et la communauté d’origine; (voir le rapport de l’Enquête nationale sur les FFADA, vol. 1b, à la p. 113)

[…] éviter de séparer parents et enfants pendant le processus de guérison et [...] offrir une aide spécialisée aux enfants subissant un traumatisme, de la violence ou de la négligence chez leurs parents;

« Garder les familles ensemble pendant les périodes de guérison et en cours de transition. Leur assurer l’aide dont elles ont besoin pour affronter leurs problèmes et rebâtir leur vie. » (voir le rapport de l’Enquête nationale sur les FFADA, vol. 1b, à la p. 115)

[150] En outre, les éléments de preuve et les conclusions examinés ci-dessus témoignent des souffrances et des conséquences négatives que provoque la séparation des enfants et des parents. Par conséquent, on peut raisonnablement conclure que la séparation permanente que provoque le décès d’un parent ou d’un grand-parent peut donner lieu à un préjudice aggravé pour l’enfant.

[151] De surcroît, le fardeau administratif exposé par l’APN est un facteur que le Tribunal se doit de prendre en considération dans le cadre du processus d’indemnisation, ainsi qu’il a été expliqué précédemment. Les éléments de preuve appuient la thèse de l’APN et permettent de préciser l’ordonnance antérieure en vue d’une mise en œuvre optimale des ordonnances d’indemnisation. Toutefois, le Tribunal estime qu’ils ne représentent pas de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles au moment où le Tribunal a entendu l’affaire relative à l’indemnisation et qui justifieraient aujourd’hui de rouvrir une affaire dans laquelle une décision définitive a été rendue. Il s’agirait d’une mauvaise qualification des faits et de la preuve. Il serait plus à propos de parler de nouvelles considérations et de nouveaux exemples de difficultés soulevés dans le cadre du processus d’indemnisation et de la mise en œuvre de l’ordonnance. Le Tribunal est demeuré saisi de la phase de mise en œuvre de ses ordonnances d’indemnisation et a indiqué clairement que celles-ci pourraient être précisées ou améliorées si cela s’avérait justifié pendant le processus d’indemnisation et la mise en œuvre de ses ordonnances. Les circonstances de la présente affaire le justifient.

[152] Autrement dit, le pouvoir de modifier l’ordonnance rendue dans la décision sur requête 2022 TCDP 41 émane du rôle de supervision continue du Tribunal à l’égard de la mise en œuvre de ses ordonnances et du maintien de sa compétence. De plus, la présente demande d’ordonnance sur consentement n’annule pas les gains obtenus par les victimes et les survivants, ce qui est conforme à la décision sur requête 2022 TCDP 41 rendue par le Tribunal.

[153] Le Tribunal constate que l’entente révisée n’apporte pas de changement au montant de l’indemnité et ne modifie pas l’esprit de l’ordonnance honorant les victimes de la discrimination raciale systémique exercée par le Canada qui sont aujourd’hui décédées. L’objet de la présente demande consiste plutôt à modifier la première étape du processus d’indemnisation et à placer à l’avant-plan les enfants vivants des victimes membres des Premières Nations aujourd’hui décédés. Aucun changement n’est apporté à la deuxième étape du processus, soit celle du paiement de l’indemnité à la succession lorsque la victime décédée n’a pas d’enfant vivant.

[154] Le Tribunal n’avait pas eu accès à cette information importante au sujet du fardeau administratif et du préjudice aggravé avant de tirer des conclusions et de rendre des ordonnances au sujet des successions. Bien que, selon la jurisprudence, cela ne soit pas suffisant pour justifier la réouverture d’une affaire dans laquelle une décision définitive a été rendue, ce l’est si on tient compte des ordonnances antérieures du Tribunal, du maintien de sa compétence sur le processus d’indemnisation et la mise en œuvre des ordonnances ainsi que de son intention claire de laisser la porte ouverte à d’éventuels améliorations, précisions et ajouts pour faire progresser la mise en œuvre de ses ordonnances dans l’intérêt supérieur des enfants et des familles des Premières Nations.

[155] L’ordonnance sollicitée ne modifie pas les ordonnances définitives qui ont été rendues au sujet du montant de l’indemnité. Elle ne prive pas non plus les victimes décédées de leur droit à l’indemnité, ni ne réduit le montant de leur indemnité. Elle vise plutôt à accorder la priorité à l’enfant ou aux enfants vivants de ces victimes au moment du versement de l’indemnité, selon un calcul au prorata. Le Tribunal estime que l’ordonnance permet à la fois de reconnaître les souffrances des victimes décédées et de leurs enfants vivants et d’éviter un fardeau administratif et des coûts inutiles.

[36] En outre, la formation juge que le processus d’indemnisation, dans son ensemble, prévoit non seulement l’octroi d’une indemnité financière, mais tient compte également d’autres facteurs pertinents comme la nécessité de créer un processus d’indemnisation sûr et adapté à la culture, compte tenu des circonstances propres à cette plainte, y compris les régimes historiques de discrimination, la vulnérabilité des victimes et des survivants qui sont des mineurs ou des adultes dépourvus de capacité juridique, l’accès à la justice, l’établissement d’un processus clair et équitable pour l’ensemble du Canada et l’importance de ne pas imposer des fardeaux administratifs inutiles. Par conséquent, la formation estime qu’en l’espèce, le processus d’indemnisation peut être considéré comme « un programme, un plan ou un arrangement spécial » établi en collaboration avec les Premières Nations qui sont parties à l’instance et comme une interprétation large et libérale du paragraphe 16(1), des alinéas 53(2)a) et 53(2)e), et du paragraphe 53(3) de la LCDP ainsi que des décisions de la Cour suprême et du Tribunal examinées aux paragraphes 51 à 79 de la décision sur requête 2021 TCDP 6. Enfin, sur ce point, la formation estime que l’analyse et le raisonnement concernant la LCDP, exposés dans l’article traitant de la portée des réparations prévues par la LCDP, aux paragraphes 51 à 79 et 80 de la décision 2021 TCDP 6, s’appliquent au Projet de cadre d’indemnisation dans son ensemble et qu’ils justifient l’approbation, par la formation, du Projet de cadre d’indemnisation daté du 23 décembre 2020.

(non souligné dans l’original)

[157] L’APN et la Société de soutien ont toutes deux fait mention de certains des facteurs ci-dessus qui doivent être pris en considération par le Tribunal, à savoir les fardeaux administratifs et la vulnérabilité des victimes et des survivants qui sont des mineurs.

[158] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que l’entente révisée prévoit le versement direct d’une indemnité de base de 40 000 $ majorée des intérêts à l’enfant vivant ou aux enfants vivants, selon un calcul au prorata. Dans le cas où il n’y aurait pas d’enfant vivant, l’indemnité sera payée à la succession de la victime, ce qui va dans le sens de l’ordonnance initiale du Tribunal. Cette mesure permet d’englober toute la cohorte de victimes qui ont droit à une indemnité en vertu des ordonnances du Tribunal. S’il n’y a pas d’enfant survivant, l’indemnité sera versée à la succession du parent ou du grand-parent responsable décédé.

[159] Dans l’affaire qui nous occupe, se soucier d’abord du préjudice aggravé subi par les enfants est une démarche conforme à l’approche axée sur les droits de la personne et à la philosophie sur laquelle reposent les opinions exprimées par le Tribunal.

[160] Le même raisonnement peut être appliqué ici pour justifier la demande de modification.

[161] De plus, dans la décision 2020 TCDP 7, au paragraphe 140, le Tribunal a analysé la question de l’indemnité transmise aux héritiers des victimes :

Dans ces circonstances, il est tout à fait approprié d’ordonner au Canada de verser des paiements qui seront transmis, par l’entremise des successions, aux héritiers des personnes ayant été victimes de ces actes discriminatoires. Ce résultat, qui est adapté à la nature des dommages causés, est le plus propice à la réalisation des objectifs de réconciliation entre les peuples des Premières Nations et la Couronne.

[162] Établir un ordre de priorité qui place au premier rang les enfants qui sont les héritiers d’une victime décédée constitue une modification raisonnable et justifiée de l’ordonnance du Tribunal.

[163] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal estime qu’il dispose d’éléments de preuve et d’arguments convaincants à l’appui de la modification de l’ordonnance dans l’intérêt supérieur des enfants et des familles des Premières Nations. La modification demandée éliminera de nombreuses lourdeurs administratives, ce qui permettra l’exécution efficace des ordonnances d’indemnisation du Tribunal relativement à cette catégorie de victimes. Le Tribunal conclut qu’il a compétence pour modifier l’ordonnance rendue dans le cadre de la décision sur requête 2020 TCDP 7 :

[152] La formation ordonne au Canada de payer une indemnité (de 20 000 $) au titre du préjudice moral visé à l’alinéa 53(2)e), de même qu’une indemnité (de 20 000 $) au titre des actes délibérés ou inconsidérés visés au paragraphe 53(3), à la succession de tous les enfants des Premières Nations, ou leurs parents ou leurs grands-parents pourvoyeurs de soins, qui sont décédés après avoir été victimes des actes discriminatoires décrits dans l’ordonnance rendue dans la Décision sur l’indemnisation, ce qui comprend la période mentionnée dans l’ordonnance énoncée ci‑dessus, à la question 2.

[164] L’ordonnance ci-après visant à modifier l’ordonnance rendue dans la décision sur requête 2020 TCDP 7 prévoit maintenant une indemnité de 40 000 $, majorée des intérêts applicables, versée directement à l’enfant ou aux enfants du parent ou du grand-parent responsable décédé, selon un calcul au prorata, alors que la décision sur requête 2020 TCDP 7 prévoyait le paiement de l’indemnité à la succession du parent ou grand-parent responsable décédé. Dans le cas où il n’y a pas d’enfant survivant, l’indemnité sera transmise à la succession du parent ou du grand-parent responsable décédé.

[165] Enfin, s’agissant de cet aspect, le Tribunal conclut que l’entente révisée satisfait maintenant entièrement aux ordonnances du Tribunal.

(v) Les incertitudes entourant le principe de Jordan ont été dissipées

[166] Dans l’analyse qu’il a faite de l’ERD de 2022 dans la décision sur requête 2022 TCDP 41, le Tribunal a tiré un certain nombre de conclusions qui faisaient ressortir des incertitudes entourant l’indemnisation au titre du principe de Jordan :

[373] […] il est impossible, à ce stade-ci, de savoir si la mise en œuvre de l’indemnisation relative au principe de Jordan prévue par l’ERD permettra aux enfants des Premières Nations identifiés dans les ordonnances du Tribunal de recevoir la somme de 40 000 $. […] le Tribunal dispose de fort peu d’éléments de preuve qui lui permettraient de savoir si, dans le cadre de l’ERD, l’admissibilité à une indemnité au titre du principe de Jordan sera interprétée de manière à accorder aux victimes et aux survivants reconnus par les ordonnances du Tribunal la pleine admissibilité à laquelle ils auraient droit conformément à ces ordonnances.

[…]

[375] L’ERD énonce les travaux qu’il sera nécessaire de réaliser avant de pouvoir savoir avec certitude quelles victimes et quels survivants reconnus par les ordonnances d’indemnisation du Tribunal seront admissibles au titre de l’ERD.

[…]

[377] Sous le régime de l’ERD, pour avoir droit à une indemnité garantie de 40 000 $ au titre du principe de Jordan, les enfants des Premières Nations devront à la fois avoir subi un refus de service ou un retard dans la prestation d’un service essentiel et des « répercussions importantes » dues à ce retard ou à ce refus. Le sous-paragraphe 6.06(3) de l’ERD indique que le terme « répercussions importantes » sera défini dans le Cadre des services essentiels :

[…]

[378] [...] le Cadre des services essentiels ne fournit pas d’indications supplémentaires sur ces « répercussions importantes », ni sur les conditions à remplir pour avoir droit à l’indemnité supérieure. L’expression « répercussions importantes » n’est pas non plus définie dans l’ERD. Sans cette information, les réclamants individuels n’ont pas la possibilité de déterminer si, sous le régime de l’ERD, ils seraient admissibles à une indemnité plus ou moins élevée que celle que leur accordent les ordonnances du Tribunal.

[379] Les incertitudes qui règnent au sujet des avantages pour les bénéficiaires, incertitudes qui découlent de l’absence de définition d’un « service essentiel », témoignent du fait que l’on en est aux premières étapes d’un règlement négocié. [...] il y a un réel risque de réduire l’indemnité de certaines victimes et de priver d’autres victimes de leur droit à l’indemnité, ce qui n’est pas acceptable.

[167] Le Tribunal a conclu qu’une telle façon de procéder fait peut-être aussi en sorte que l’on s’écarte des ordonnances du Tribunal concernant cette catégorie. Par conséquent, elle ne peut être considérée comme satisfaisant entièrement aux ordonnances du Tribunal, et la demande est prématurée, compte tenu des incertitudes qui existent à l’heure actuelle (voir 2022 TCDP 41, au par. 379).

[168] Cette approche différait de celle du Tribunal, selon laquelle une indemnité de 40 000 $, majorée des intérêts, devait être accordée aux enfants des Premières Nations qui, au regard d’un « service essentiel », avaient subi un refus de service ou encore un retard déraisonnable ou une lacune dans la prestation d’un service, lequel service essentiel aurait été disponible n’eût été l’approche et la définition discriminatoires adoptées à l’égard du principe de Jordan.

[169] Qui plus est, la définition de « retard » ne correspondait pas aux exigences définies dans le cadre d’indemnisation; le « délai » devait plutôt s’entendre d’une [traduction] « période convenue par les parties et précisée dans le processus de réclamation ».

[170] Les parties font conjointement valoir que l’entente révisée vient dissiper ces incertitudes et préciser l’approche globale à l’égard du principe de Jordan dans le respect des ordonnances du Tribunal.

[171] Les parties soutiennent conjointement que l’ERD de 2022 ne prévoyait pas de critères définitifs permettant de décider de l’admissibilité à l’indemnisation au titre du principe de Jordan. Les paramètres à respecter pour avoir droit à une indemnité au titre du principe de Jordan, définis dans l’entente révisée, traduisent maintenant plus clairement l’approche du Tribunal à l’égard de ce principe. Les critères d’admissibilité à l’indemnité au titre du principe de Jordan, conformément à l’approche du Tribunal, feront l’objet d’une mise à l’épreuve rigoureuse avant leur mise en œuvre.

[172] La définition de « membre du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan » a été revue comme suit : « Le "membre du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan" désigne un membre du groupe ayant droit au service essentiel qui a subi les répercussions les plus importantes (notamment de la douleur, de la souffrance ou un préjudice d’une extrême gravité) associées à un retard, à un refus ou à une lacune dans les services à l’égard d’un service essentiel qui avait fait l’objet d’un besoin confirmé. Il est entendu par les Parties que la définition du degré de répercussions les plus importantes, et le seuil associé qui est fixé pour pouvoir faire partie du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan permettent d’englober tous les enfants des Premières Nations ayant droit à une indemnité [minimale de 40 000 $ plus les intérêts] prévue par les ordonnances d’indemnisation » (voir l’entente révisée, au paragraphe 1.01, pièce F jointe à l’affidavit de l’APN). Cette définition, qui tient précisément compte des préjudices et des répercussions découlant de la discrimination exercée par le Canada, est conforme au libellé de la décision sur l’indemnisation rendue par le Tribunal.

[173] La définition du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan exprime explicitement l’intention des parties au recours collectif et de la Société de soutien de faire en sorte que toutes les victimes et tous les survivants à qui le Tribunal a accordé une indemnité seront bel et bien indemnisés. D’après le nombre estimé de demandeurs approuvés dans le groupe ayant droit au service essentiel et dans le groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan, soit 65 000 demandeurs, tous les membres du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan pourraient recevoir au moins 40 000 $. Les membres du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan ont également droit à des intérêts suivant les ordonnances du Tribunal, et un fonds de réserve pour l’intérêt sera constitué précisément à cette fin (voir l’entente révisée, aux sous-paragraphes 6.15(1) et 6.15(2)).

[174] Advenant le cas où le nombre de demandeurs serait plus élevé que prévu, l’entente révisée prévoit que les membres du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan (groupe des victimes ayant subi les répercussions les plus importantes et qui devrait englober l’ensemble des enfants qui, selon les ordonnances du Tribunal, ont droit à une indemnité dans le contexte du principe de Jordan) recevront un montant minimal de 40 000 $ auquel s’ajouteront les intérêts. Les fonds restants seraient partagés, selon un calcul au prorata, entre les membres du groupe ayant droit au service essentiel, qui ont subi des répercussions moins grandes (voir l’entente révisée, aux sous-paragraphes 6.08(10) à 6.08(12)). À l’inverse, si le nombre de demandeurs est inférieur aux projections, les membres du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan pourraient avoir droit, sur le conseil de l’actuaire nommé par la Cour fédérale, à un paiement de majoration (voir l’entente révisée, au sous-paragraphe 6.08(15)). L’objectif principal de l’entente révisée pour ce qui concerne le groupe ayant droit au service essentiel est de s’assurer que les membres du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan reçoivent l’indemnité à laquelle ils ont droit selon les directives du Tribunal.

[175] Selon le préambule de l’entente révisée, les « ordonnances d’indemnisation » désignent les décisions sur requête 2019 TCDP 39, 2020 TCDP 15 et 2020 TCDP 7, et la terminologie, les directives et les approches établies par le Tribunal dans ces ordonnances font donc partie de l’entente révisée. La Société de soutien souscrit aux observations de l’APN concernant le principe de Jordan selon lesquelles il n’est pas nécessaire qu’il y ait [traduction] « conflit de compétence » pour que les victimes puissent être indemnisées.

[176] Les parties affirment conjointement que la définition de « retard » a été modifiée pour tenir compte des périodes de 12 heures et de 48 heures ordonnées par le Tribunal dans son ordonnance sur le cadre d’indemnisation. Alors que l’ERD de 2022 prévoyait que la définition de « retard » serait clarifiée ultérieurement, l’entente révisée est maintenant tout à fait conforme aux ordonnances du Tribunal (voir l’entente révisée, au paragraphe 1.01, pièce F de l’affidavit de l’APN).

[177] Selon l’APN, bien que l’entente révisée fasse encore mention de la nécessité de déterminer un seuil à partir duquel le plus haut degré de répercussions sera défini, l’entente précise maintenant que le principe sur lequel repose la fixation du seuil d’inclusion des membres du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan consiste à veiller à ce que la démarche permette d’englober tous les enfants ayant droit à l’indemnité prévue par les ordonnances d’indemnisation du Tribunal, ainsi que l’énonce la définition du « groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan » (voir l’entente révisée, au paragraphe 1.01, définition du « groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan »).

[178] Ce principe sous-jacent sert de fondement pour chacun des éléments de la procédure visant à fixer un seuil pour le degré de répercussions conformément à ce que prévoit l’entente révisée et ainsi à déterminer si un demandeur relève du groupe ayant droit au service essentiel ou du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan, y compris le cadre des services essentiels, les documents y afférents, comme le formulaire de réclamation et le questionnaire, de même que la mise à l’épreuve rigoureuse et de vaste portée à laquelle le cadre sera soumis (voir l’entente révisée, au paragraphe 1.01, définitions de « cadre relatif aux services essentiels » et de « services essentiels », à l’annexe F, Cadre des services essentiels, aux sous-paragraphes 6.08(2) et 6.08(3) et aux alinéas 6.08(10)a) et 6.08(10)b)).

[179] Le « Cadre des services essentiels », élaboré avec l’aide d’experts, permet de simplifier le processus d’indemnisation et facilite la confirmation, par un professionnel, du besoin d’un demandeur visant un service essentiel. Le cadre permet aux demandeurs de déterminer si, pour les besoins de l’indemnisation, ils avaient un besoin confirmé à l’égard d’un service essentiel. Ces critères objectifs facilitent l’administration des réclamations, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de procéder à des évaluations individuelles et subjectives pour déterminer l’appartenance au groupe ayant droit au service essentiel (voir l’entente révisée, au paragraphe 1.01, définitions de « cadre relatif aux services essentiels » et de « services essentiels », à l’annexe F, Cadre des services essentiels et aux sous-paragraphes 6.08(2) et 6.08(3)).

[180] L’entente révisée prévoit encore des documents, comme des formulaires de réclamation adaptés sur le plan culturel et un questionnaire, qui aideront l’administrateur à la deuxième étape de l’analyse, laquelle consiste à déterminer si la situation de l’enfant indique qu’il a subi le degré de préjudice le plus important et s’il doit faire partie du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan, ce qui le rendrait ainsi admissible à une indemnité minimale de 40 000 $ majorée des intérêts, conformément à ce qui a été accordé par le Tribunal dans ses ordonnances d’indemnisation (voir l’entente révisée, à l’alinéa 6.08(10)a)). Fait essentiel, ces documents et questionnaires font toujours l’objet de consultations auprès d’experts sur la question du principe de Jordan, séances qui sont menées par les Premières Nations et qui continuent d’être organisées par l’APN.

[181] L’APN affirme que, selon l’entente révisée, le seuil de répercussions à partir duquel sera déterminée l’admissibilité en tant que membre du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan dépendra des résultats de la mise à l’épreuve de la méthode élaborée conformément au cadre des services essentiels. L’APN contribue actuellement à faire progresser ces travaux de mise à l’épreuve, lesquels feront intervenir un certain nombre de membres potentiels du groupe ayant droit au service essentiel et du groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan, tout en veillant, d’une part, à respecter la nécessité d’englober tous les enfants ayant droit à une indemnité suivant les ordonnances d’indemnisation du Tribunal et, d’autre part, à réduire au minimum le fardeau pour les victimes et les survivants. La mise à l’épreuve servira également à préciser le cadre des services essentiels et les documents à l’appui, comme les formulaires de réclamation et le questionnaire (voir l’affidavit souscrit par Mme Valerie Gideon le 30 juin 2023, aux par. 73 à 75).

[182] Par ailleurs, la mise à l’épreuve prendra appui sur les éléments de preuve et sur les travaux du groupe d’experts de l’APN et d’autres chercheurs indépendants. Tous sont d’avis qu’une mise à l’épreuve est nécessaire pour mettre au point une approche efficace reposant sur le cadre des services essentiels et pour établir un seuil d’inclusion dans le groupe des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan fondé sur le plus haut degré de répercussions. Cette mise à l’épreuve vise à jauger la qualité et l’efficacité du processus d’indemnisation établi au titre du principe de Jordan dans l’entente révisée, ce qui permet de préciser chacun des volets du processus d’évaluation des réclamations pour veiller au respect des ordonnances d’indemnisation du Tribunal. Il s’agit de l’élément central des travaux de mise à l’épreuve et du principal résultat mesuré. L’exercice de mise à l’épreuve sera appliqué également à d’autres aspects du processus d’indemnisation, notamment pour évaluer l’efficacité des mesures de soutien adaptées sur le plan culturel et tenant compte des traumatismes. Toutes ces démarches et la décision finale seront soumises à l’approbation et à la surveillance de la Cour fédérale.

[183] Enfin, la Société de soutien fait valoir que, d’après la preuve, le budget de 3 000 000 000 $ réservé à l’indemnisation des enfants admissibles aux termes des ordonnances du Tribunal dans le contexte de l’application discriminatoire du principe de Jordan par le Canada, est insuffisant. Comme il est expliqué en détail à l’annexe A, selon la meilleure estimation de la Société de soutien, le nombre d’enfants admissibles à une indemnité au titre du principe de Jordan suivant les ordonnances du Tribunal serait d’environ 61 500 (d’après les données démographiques de SAC au sujet du nombre d’enfants qui ont eu accès à des services au titre du principe de Jordan au cours de l’exercice financier 2021-2022). Toutefois, ce chiffre est très incertain, de sorte que le budget de 3 milliards de dollars constitue un aspect essentiel de la capacité de l’entente révisée à satisfaire aux ordonnances d’indemnisation du Tribunal. En effet, cette somme permet d’indemniser jusqu’à 75 000 enfants des Premières Nations, et peut-être même davantage, selon le rendement dégagé par la portion des fonds du règlement qui restera en fiducie.

[184] Le Tribunal considère que la preuve appuie la méthode proposée conjointement par les parties et décrite ci-dessus. Le Tribunal estime que les calculs visant à déterminer le montant qui devra être mis en réserve pour indemniser tous les demandeurs admissibles sont réfléchis, raisonnables et justes. Par conséquent, le Tribunal accepte ces calculs et cette méthode.

[185] En outre, l’entente révisée assure que ceux qui ont vécu le pire scénario de discrimination dans le contexte du principe de Jordan recevront un montant de 40 000 $ majoré des intérêts, ce qui est parfaitement conforme aux directives formulées par le Tribunal dans son ordonnance sur le droit à l’indemnisation et dans sa décision sur l’admissibilité.

[186] Le Tribunal juge que l’ensemble des incertitudes décrites précédemment ont été soigneusement éclaircies dans l’entente révisée, d’une manière qui satisfait pleinement à ses ordonnances. La méthode, les définitions et les critères sont maintenant clairement établis. En aucun cas, l’indemnité n’est réduite, et aucune victime et aucun survivant n’est privé de son droit d’être indemnisé. Les fonds mis en réserve seront suffisants pour indemniser tous les demandeurs admissibles. Le Tribunal dispose d’éléments de preuve démontrant que, dans le cadre de l’entente révisée, l’admissibilité à une indemnité au titre du principe de Jordan sera interprétée de manière à accorder aux victimes et aux survivants reconnus par les ordonnances du Tribunal la pleine admissibilité à laquelle ils auraient droit conformément à ces ordonnances. Les prochaines étapes à accomplir sont claires, prennent appui sur un processus défini et raisonnable et feront l’objet d’une surveillance par la Cour fédérale, si celle-ci approuve l’entente révisée.

(vi) Nécessité d’apporter des précisions concernant les parents et les grands-parents responsables dans le contexte du principe de Jordan

[187] L’APN, la Société de soutien et le Canada sollicitent des précisions au sujet de l’ordonnance sur l’admissibilité à l’indemnisation pour ce qui concerne les parents et les grands-parents responsables dans le contexte du principe de Jordan.

[188] Dans le cas où un enfant est retiré de son milieu familial, l’enfant des Premières Nations et le parent ou le grand-parent responsable membre des Premières Nations subissent les répercussions directes de l’iniquité des services offerts à la famille dans le cadre du Programme des SEFPN. Lorsque la garde d’un enfant est retirée au parent ou au grand-parent responsable, l’enfant et le parent ou le grand-parent subissent tous deux de manière directe de la discrimination et un préjudice moral d’une extrême gravité.

[189] À l’inverse, quand un enfant est victime de discrimination en raison de l’application étroite du principe de Jordan par le Canada, le parent ou le grand-parent responsable issu des Premières Nations ne subit pas nécessairement un préjudice équivalent à celui de l’enfant. Les parties sont d’avis que l’intention du Tribunal était d’indemniser les adultes qui ont été les plus gravement touchés par les actes discriminatoires du Canada.

[190] Afin de refléter l’intention réelle du Tribunal, l’entente révisée prévoit le versement d’une indemnité aux parents ou aux grands-parents qui avaient la responsabilité d’un enfant admissible à l’indemnisation au titre du principe de Jordan s’ils ont subi les répercussions les plus importantes, notamment de la douleur, de la souffrance ou un préjudice d’une extrême gravité. L’entente révisée prévoit différentes mesures des répercussions, sur les parents et l’enfant, d’un retard de service, d’un refus de service ou d’une lacune dans les services dans le contexte du principe de Jordan.

[191] Cette méthode est conforme à l’approche globale adoptée par le Tribunal dans ses ordonnances d’indemnisation, lesquelles ciblent les pires scénarios de discrimination observés en l’espèce. Le retrait d’un enfant, de par la nature même de l’acte, porte fondamentalement atteinte à la dignité du parent. Les refus de service, les lacunes dans l’offre de services et les retards déraisonnables à l’égard de services essentiels ne vont pas nécessairement avoir les mêmes répercussions sur les parents et sur les enfants. Certes, bon nombre de parents (ou de grands-parents responsables) des Premières Nations dont l’enfant a été lésé par le non-respect du principe de Jordan ont vécu les répercussions les plus graves découlant de la discrimination exercée à l’endroit de leur enfant, par exemple le décès de l’enfant, le retrait de la garde de l’enfant ou le déménagement forcé de la famille à l’extérieur de la réserve. Par conséquent, l’entente révisée prévoit des critères différents selon qu’on évalue les répercussions subies par les parents ou les répercussions subies par l’enfant concerné.

[192] Les répercussions subies par les parents ou grands-parents responsables seront évaluées à l’aide de critères objectifs et en tenant compte des avis d’experts, selon une méthode qui sera définie au moyen de l’annexe F, Cadre des services essentiels et qui fera l’objet d’une mise à l’épreuve. Ces critères seront soumis à l’approbation de la Cour fédérale, et la Société de soutien aura le droit de présenter des observations à cet égard.

[193] Le Tribunal a déjà expliqué précédemment en quoi il a le pouvoir de préciser ses ordonnances. En résumé, son pouvoir émane du maintien de sa compétence et de son rôle de supervision relativement à l’exécution efficace de ses ordonnances.

[194] Le Tribunal estime qu’il serait utile d’apporter des précisions, comme l’ont demandé conjointement les parties.

[195] Dans une décision sur requête antérieure, le Tribunal a conclu qu’une certaine part raisonnable est acceptable :

[147] La formation souscrit également aux positions susmentionnées de l’APN et de la Société de soutien quant à la définition d’un « service essentiel ». La formation convient que, pour établir s’il s’agit d’un « service essentiel », il faudrait se demander si le service en question est nécessaire pour assurer l’égalité réelle dans la fourniture de services, de produits ou de mesures de soutien à l’enfant des Premières Nations. La formation reconnaît également qu’une conduite qui a creusé l’écart entre les enfants des Premières Nations et le reste de la société canadienne, et qui a causé de la douleur et de la souffrance, devrait donner droit à réparation pour toute la durée où elle s’est produite, et non seulement lorsqu’elle a eu une incidence négative sur la santé ou la sécurité d’un enfant des Premières Nations.

[148] Néanmoins, la formation convient avec le Canada que les mesures de soutien, produits et services tels qu’ils sont approuvés par le Canada depuis les décisions sur requête 2017 TCDP 14 et 2017 TCDP 35 du Tribunal, n’ont pas tous le même degré de nécessité, et que leur absence ou leur retard ne cause pas toujours un préjudice aux enfants des Premières Nations. Par conséquent, une certaine part raisonnable est acceptable. Les exemples fournis dans la Décision sur le bien-fondé et les décisions sur requête ultérieures, ainsi que dans la Décision sur l’indemnisation, font référence à des cas précis de préjudices causés à des enfants en raison des pratiques discriminatoires du Canada. Cependant, comme cela a déjà été expliqué dans la Décision sur le bien-fondé et les décisions sur requête subséquentes, les effets néfastes subis par les enfants des Premières Nations, et par leurs parents ou grands‑parents qui s’occupaient d’eux, en raison de la discrimination du Canada équivalent à un préjudice, et la formation a opté pour un processus d’indemnisation qui éviterait d’avoir à évaluer le degré de préjudice subi par chaque victime. Toutefois, une certaine analyse du caractère raisonnable s’impose, étant donné que certains exemples de services récemment invoqués par le Canada pourraient ne pas être considérés comme des préjudices réels par la formation. Celle-ci n’est pas au courant des discussions entre les parties et de tout le contexte entourant les exemples concernés, et elle ne peut davantage tirer des conclusions sur la foi d’un affidavit qui n’a pas été mis à l’épreuve; cependant, un exemple se démarque. Si une demande d’ordinateur portable pour l’école est présentée en juillet en vue de la rentrée en septembre, le Canada doit prendre une décision dans le délai prescrit, malgré le fait que l’ordinateur portable ne sera pas nécessaire avant deux mois (voir l’affidavit de Mme Gideon daté du 30 avril 2020, au paragraphe 9). Dans cet exemple, il est difficile de voir un quelconque préjudice pour l’enfant. Une analyse du caractère raisonnable de la mesure visée est particulièrement utile en pareil cas.

(2020 TCDP 15, aux par. 147 et 148)

[196] Le Tribunal a aussi expliqué que l’indemnisation devrait cadrer avec une interprétation raisonnable de ce qui est « essentiel » :

La formation convient avec le Canada que, pour donner droit à une indemnisation, un produit, une mesure de soutien ou un service doit cadrer avec une interprétation raisonnable de ce qui est « essentiel », et que la définition doit prévoir cet aspect et être finalisée par la Société de soutien, l’APN et le Canada. Toutefois, la formation ne partage pas l’avis selon lequel la définition du Canada sert efficacement cette fin, puisqu’elle est trop étroite pour les raisons susmentionnées. L’interprétation raisonnable de ce qui est essentiel doit se faire dans une optique adéquate d’égalité réelle. La formation souscrit aux arguments de l’APN et de la Société de soutien sur ce point.

(2020 TCDP 15, au par. 151)

[197] Le Tribunal convient qu’une certaine analyse du caractère raisonnable est également acceptable pour ce qui est des critères d’admissibilité applicables aux parents et aux grands-parents responsables. Le Tribunal accepte de confirmer que les parents (ou grands-parents) responsables d’un enfant membre du groupe des victimes et des survivants lésés par l’application discriminatoire du principe de Jordan par le Canada doivent avoir eux-mêmes subi le degré de répercussions le plus important (notamment de la douleur, de la souffrance ou un préjudice d’une extrême gravité) pour être admissibles à une indemnité (40 000 $, plus les intérêts y afférents) dans le cas où l’enfant a subi un refus de service, un retard déraisonnable ou une lacune à l’égard d’un service essentiel. Cette mesure respecte le raisonnement et les ordonnances du Tribunal (voir la décision Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 10, au par. 115, récemment citée dans la décision Madame Unetelle c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 183, au par. 29). Le raisonnement exposé ci-dessus continue de s’appliquer aux parents (ou grands-parents) responsables.

[198] Le Tribunal met en garde les parties de ne pas introduire la notion plus stricte de lien causal dans les affaires relatives aux droits de la personne, les critères de lien causal ayant été rejetés par la Cour suprême dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (CanLII), [2015] 2 R.C.S. 789, aux par. 50 et 51. En effet, la Cour suprême a écrit ce qui suit : « En conséquence, il n’est ni approprié ni juste d’utiliser l’expression “lien causal” en matière de discrimination » (par. 51). Ce critère juridique a une connotation différente des termes utilisés dans d’autres domaines, par exemple dans le domaine du travail social. Le terme juridique « lien causal » s’applique dans le cas d’une faute médicale et dans de nombreux litiges. Il est aussi souvent appliqué dans le contexte d’une perte de salaire au sens de la LCDP. Pour le Tribunal, le critère de la prépondérance des probabilités et l’analyse du préjudice visent à déterminer s’il est plus probable qu’improbable qu’un lien existe entre la discrimination et le préjudice moral. Pour évaluer le préjudice moral (et l’acte délibéré et inconsidéré du Canada), le Tribunal effectue une analyse fondée sur des principes et sur l’objet visé en tenant compte du fait que l’indemnité maximale est réservée aux pires des scénarios.

[199] Le Tribunal est d’avis qu’il est plus probable qu’improbable qu’un parent ou un grand-parent qui est témoin de la souffrance vécue par l’enfant dont il est responsable souffrirait grandement lui aussi, mais peut-être pas dans une mesure équivalente. Dans certains cas, la souffrance est plus importante que celle de l’enfant et dans d’autres, moins importante. Le Tribunal estime que cela ne change rien à la résilience, au courage et à la dignité dont font preuve ces parents et ces grands-parents qui, tels de véritables héros, ont tellement à cœur le bien-être de leur enfant qu’ils vont souvent jusqu’à réprimer leurs propres sentiments pour rester forts pour leur enfant. À titre d’exemple, un jeune enfant atteint d’un cancer terminal à qui on doit administrer des médicaments antidouleur et qui ne saisit pas le concept de la mort vit des souffrances à de nombreux égards, mais pas en raison du caractère permanent que revêt la mort. Son parent ou son grand-parent ne ressent pas de douleurs physiques, mais il est condamné à regarder son enfant souffrir tout en devant composer avec la douleur morale et psychologique associée à la perspective de perdre son enfant. Dans une telle situation, on peut raisonnablement affirmer que l’enfant et son parent (ou son grand-parent) ont vécu des souffrances comparables.

[200] Bien que l’exemple diffère légèrement des arguments avancés par les parties sur ce point, il ne pose pas de contradiction flagrante. Le Tribunal reconnaît également que bon nombre de parents et de grands-parents responsables ne subiront pas un préjudice moral de même intensité que celui causé à leurs enfants. L’approche adoptée par les parties à l’entente révisée offre une certaine marge de manœuvre pour déterminer qui a subi le préjudice le plus important.

[201] Le Tribunal accepte de préciser son ordonnance. Toutefois, pour ce faire, le Tribunal ne prend pas appui sur les articles déposés en preuve puisqu’ils ne se sont pas avérés particulièrement utiles ou concluants. De plus, il semble y avoir un décalage entre une compréhension raisonnable du comportement humain et le contenu de certaines études scientifiques. En outre, le Tribunal est souvent appelé à rendre des ordonnances d’indemnisation sans pouvoir s’appuyer sur des éléments de preuve scientifiques étayant le préjudice. Si une telle preuve scientifique était obligatoire, beaucoup de plaignants n’obtiendraient pas justice.

[202] Le Tribunal convient que ce ne sont pas tous les parents et grands-parents responsables relevant de cette catégorie qui ont subi le pire scénario de préjudice s’apparentant à celui où on leur retire la garde de leur enfant. Au sein de cette catégorie, certaines personnes ont énormément souffert, d’autres moins. Ne pas procéder à une analyse du caractère raisonnable pourrait soulever une certaine injustice et avoir pour effet de minimiser l’importance du préjudice subi par certains parents ou grands-parents ayant perdu un enfant, par exemple, comparativement au préjudice subi par d’autres parents ou grands-parents qui n’auraient pas obtenu des articles de sport au moment où leur enfant en avait besoin. Ces éléments de preuve font partie du dossier du Tribunal. De plus, certains des torts considérables mentionnés ci-dessus ont fait l’objet d’une analyse dans des décisions sur requête antérieures.

[203] Par ailleurs, le Tribunal est convaincu que le processus, tel qu’il a été expliqué par les parties précédemment, permettra d’assurer l’application équitable d’un critère de contrôle du caractère raisonnable relativement à cette catégorie de réclamants, de sorte que les personnes qui ont le plus souffert reçoivent une juste indemnité.

[204] Pour ces motifs, et compte tenu des ordonnances et des motifs antérieurs du Tribunal, la demande de précisions est jugée parfaitement conforme à l’approche adoptée par le Tribunal au regard de l’indemnisation.

[205] En outre, le Tribunal estime que l’entente révisée satisfait maintenant entièrement aux ordonnances qu’il a rendues sur ce point.

(vii) Disposition concernant le délai d’exclusion

[206] Dans la décision sur requête concernant l’ERD de 2022, le Tribunal a clairement fait ressortir l’importance, pour les victimes et les survivants, d’avoir suffisamment de temps pour examiner l’ERD de 2022, la décision sur requête du Tribunal concernant l’ERD de 2022 et les précédentes ordonnances d’indemnisation en disposant d’une période d’exclusion adéquate. Le Tribunal était d’avis que la date limite pour se retirer du processus, fixée au 19 février 2023 selon les documents de l’APN et du Canada au sujet de la décision sur requête concernant l’ERD de 2022, constituait un délai d’exclusion trop court qui plaçait les victimes et les survivants dans une position intenable :

Cette injustice est aggravée par le fait que l’ERD oblige apparemment les victimes et les survivants à s’exclure à la fois du processus du Tribunal et du recours collectif s’ils sont insatisfaits du règlement du recours collectif conclu devant la Cour fédérale. De telles dispositions d’exclusion auraient pour effet de placer dans une position intenable les victimes et les survivants qui recevraient moins que l’indemnité de 40 000 $ à laquelle le TCDP leur donne droit. En effet, ils auraient à choisir entre accepter une indemnité réduite dans le cadre de l’ERD, ou se retirer de l’ERD et engager de nouvelles poursuites contre le Canada en partant de zéro. Une telle proposition exacerbe l’atteinte portée à la dignité des victimes et des survivants, et risque de les victimiser à nouveau, ce qui est contraire à une approche axée sur les droits de la personne. Voilà qui est préoccupant. (Voir la décision sur requête 2022 TCDP 41, au par. 388.)

[207] Les préoccupations qu’entretenait le Tribunal à propos de la disposition d’exclusion de l’ERD de 2022 (2022 TCDP 41, aux par. 385 à 390) ont été dissipées. Les parties aux recours collectifs devant la Cour fédérale ont tenu compte des commentaires formulés par le Tribunal concernant le délai d’exclusion. Le délai d’exclusion a été prolongé jusqu’au 23 août 2023 par la Cour fédérale (voir le paragraphe 1.01 de l’entente révisée, pièce F de l’affidavit de l’APN, et l’ordonnance rendue le 23 février 2023 par la juge Aylan dans le dossier T-402-19), et l’APN et le Canada ont convenu, dans leur protocole d’entente, de solliciter une autre prorogation de délai, jusqu’au 6 octobre 2023, sous réserve de l’approbation de la Cour fédérale. Par conséquent, le Tribunal est satisfait de ce résultat.

[208] Le Tribunal conclut que l’entente révisée satisfait maintenant entièrement à ses ordonnances pour ce qui est de cet aspect.

(viii) Intérêts

[209] Dans son ordonnance sur le droit à l’indemnisation, le Tribunal avait accordé aux victimes des intérêts sur l’indemnité, en vertu du paragraphe 53(4) de la LCDP, au taux de la Banque du Canada et pour la période se terminant à la date du jugement, conformément à la démarche adoptée dans la décision Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 20. Dans l’ERD de 2022, il n’était pas prévu que des intérêts soient payés aux victimes reconnues par le Tribunal. Le Tribunal juge que la question a été réglée dans l’entente révisée et que toutes les victimes et tous les survivants reconnus par le Tribunal ont maintenant droit, en plus de l’indemnité de base de 40 000 $, aux intérêts accumulés jusqu’à la date à laquelle l’ordonnance d’approbation du règlement prendra son caractère définitif.

[210] Enfin, s’agissant de cet aspect, le Tribunal conclut que l’entente révisée satisfait maintenant entièrement à ses ordonnances.

(ix) Qualité pour présenter des observations reconnue à la Société de soutien dans les instances introduites devant la Cour fédérale au regard de l’entente révisée

[211] Comme elle aura le droit d’intervenir dans le cadre de l’audience sur le processus de réclamation, la Société de soutien aura l’occasion, si une question est soulevée relativement aux conditions d’application des critères d’admissibilité, de présenter des observations à la Cour fédérale au sujet des paramètres de la douleur, de la souffrance ou du préjudice d’une extrême gravité pour les parents d’enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan.

[212] La Société de soutien participera de façon continue aux instances devant la Cour fédérale (conformément à l’entente révisée, elle aura le droit de présenter des observations sur les questions qui concernent les ordonnances du Tribunal). La Société de soutien aura le droit d’être avisée de toute instance engagée devant la Cour fédérale qui porte sur des questions ayant une incidence sur les droits des bénéficiaires au titre des ordonnances d’indemnisation du Tribunal, et elle aura qualité pour présenter des observations sur toute demande concernant l’administration et la mise en œuvre de l’entente d’indemnisation révisée qui ferait intervenir de telles questions (voir le paragraphe 22.05 de l’entente révisée, pièce F de l’affidavit de l’APN).

[213] L’entente révisée prévoit aussi l’engagement et la participation de la Société de soutien quand le Tribunal n’aura plus compétence. Plus précisément, la Société de soutien aura le droit de présenter des observations à la Cour fédérale au sujet de l’administration et de la mise en œuvre de l’entente révisée après l’audience sur l’approbation du règlement, y compris l’approbation du processus de réclamation et le protocole de distribution, dans la mesure où ces questions ont des répercussions sur les droits des victimes reconnues par le Tribunal. Le Tribunal estime que cette disposition permet à la Société de soutien d’exercer un rôle continu conformément à l’ordonnance sur le cadre d’indemnisation.

(x) Excuses de la part du premier ministre

[214] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, selon les parties, il s’agit de la plus vaste entente d’indemnisation de l’histoire du Canada et celle-ci prévoit maintenant un engagement de la part de la ministre des Services aux Autochtones de réclamer des excuses au premier ministre.

[215] Les modalités de l’entente révisée prévoient toujours une demande d’excuses de la part du premier ministre (voir l’entente révisée, à l’article 24). Le Tribunal n’a pas le pouvoir d’ordonner la présentation d’excuses. Il souscrit toutefois entièrement à cette approche que propose l’entente révisée. Le Tribunal est également d’accord avec la Société de soutien pour dire qu’un changement de comportement est la meilleure excuse que le Canada puisse offrir, de sorte qu’aucune autre génération d’enfants et de jeunes des Premières Nations n’ait à panser les blessures de leur enfance. Le Tribunal estime qu’il s’agit d’une véritable réconciliation mesurable et la raison même pour laquelle le Tribunal est demeuré et demeure encore saisi de la phase de mise en œuvre de ses ordonnances et qu’il surveille la réforme afin de veiller à l’élimination de la discrimination raciale systémique.

(xi) Rôle de la Cour fédérale

[216] Si l’entente révisée est approuvée par la Cour fédérale, elle sera soumise à la surveillance de cette dernière. Il s’agit là d’une démarche optimale compte tenu des recours collectifs et des représentants demandeurs qui sont parties à l’entente révisée. Le Tribunal n’a pas compétence à l’égard de ces recours collectifs, contrairement à la Cour fédérale. C’est pourquoi la Cour fédérale doit approuver l’entente révisée. Le Tribunal ne peut l’approuver à lui seul. L’approbation de l’entente révisée par la Cour fédérale mettrait fin à la compétence du Tribunal sur les ordonnances d’indemnisation. Le Tribunal souscrit à cette approche. Les détails sont présentés dans l’ordonnance ci-après.

(xii) L’interprétation de points précis de l’entente révisée par le Tribunal

[217] La formation souhaite également traiter de deux points ayant trait à son interprétation de l’entente révisée.

[218] Dans un premier temps, le Tribunal fait remarquer que les Canadiens ne peuvent pas renoncer prospectivement aux droits que leur confère la LCDP. Par conséquent, la quittance dont il est question au paragraphe 10.01 de l’entente révisée ne décharge pas le Canada de toute responsabilité en cas de violation des droits de la personne résultant d’actes subséquents. Le Tribunal tient à faire observer, et ce, de façon explicite, que les quittances n’empêchent pas le dépôt de plaintes en matière de droits de la personne qui concernent des événements survenus après la date de fin de l’entente révisée (2017 dans le cas des enfants lésés par le non-respect du principe de Jordan, 2022 dans le cas des enfants retirés de leur foyer). Le Tribunal comprend que les quittances visent à empêcher les membres des groupes qui ont choisi de ne pas se retirer de l’entente révisée, de même que les successions, les héritiers, les exécuteurs testamentaires, les réclamants des successions et les représentants légaux, de réclamer au Canada d’autres indemnités au titre des préjudices décrits dans l’entente révisée, et ce, même après 2017 et 2022.

[219] Pour les personnes qui ne sont pas membres des groupes visés, le Tribunal considère que la quittance n’a pas pour effet de limiter la responsabilité du Canada à l’égard de tout acte discriminatoire qui aurait pu être commis après 2017 ou 2022 s’il ne parvient pas à enrayer la discrimination raciale systémique reconnue dans la présente affaire et à empêcher que d’autres actes semblables ne se reproduisent. Enfin, l’entente révisée ne peut constituer un obstacle aux plaintes de discrimination visant d’autres programmes et services du gouvernement du Canada.

[220] Le Tribunal s’attend à ce que les parties aient la même interprétation de la quittance. En outre, le Tribunal tient à préciser qu’il a examiné la quittance uniquement dans le contexte de la LCDP, et non dans le contexte d’un recours collectif ou d’une poursuite civile. Les remarques du Tribunal sur la quittance ont pour but de confirmer ce qui semble déjà évident d’après le libellé même de la quittance, et elles ne témoignent pas d’une hésitation du Tribunal à conclure que l’entente révisée satisfait pleinement à ses ordonnances d’indemnisation. Toutefois, de l’expérience du Tribunal, il est souvent utile de clarifier parfaitement les formulations. Les parties ne devraient aucunement hésiter, en raison des remarques du Tribunal, à solliciter l’approbation de l’entente révisée auprès de la Cour fédérale.

[221] Dans un deuxième temps, le Tribunal estime que l’entente révisée ne règle pas les questions relatives aux mesures de réparation à long terme, à la réforme, à l’élimination de la discrimination systémique constatée et aux mesures visant à empêcher que d’autres actes semblables se reproduisent. Par conséquent, le Tribunal n’a pas traité de ces questions dans la présente décision sur requête.

F. Conclusion

[222] Ainsi qu’il a été expliqué précédemment, le Tribunal conclut que la version révisée de l’entente englobe maintenant toutes les catégories de victimes et de survivants qui, selon les modalités de l’ERD de 2022, étaient privés de leur droit à l’indemnisation, se voyaient accorder une indemnité réduite ou étaient carrément exclus de la portée de l’accord. L’inclusion de ces victimes et survivants dans l’entente a été faite d’une façon qui respecte pleinement les ordonnances d’indemnisation du Tribunal concernant le montant de l’indemnité, les catégories de victimes et de survivants et les intérêts à verser. Le processus d’indemnisation sera sûr et adapté sur le plan culturel pour les enfants et l’ensemble des victimes et des survivants. Qui plus est, les enfants ne seront pas appelés à témoigner. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’entente révisée satisfait entièrement à toutes les ordonnances d’indemnisation qu’il a rendues.

[223] Dans les observations qu’elle a formulées dans le cadre de la présente requête, la Société de soutien a décrit ainsi la démarche du Tribunal en l’espèce :

[traduction]

Dans le cadre de ce dossier important et sacré pour les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») s’est préoccupé avant tout des droits de la personne des enfants et des jeunes des Premières Nations et il a placé le principe de l’égalité réelle au premier plan de son analyse. Les mesures de réparation ordonnées par le Tribunal reconnaissent la nature flagrante et préjudiciable de la discrimination découlant de la prestation déficiente et inéquitable de services à l’enfance et à la famille par le Canada ainsi que l’approche et la définition discriminatoires adoptées par le Canada à l’égard de l’application du principe de Jordan. Le Tribunal a accordé une indemnité individuelle aux victimes de la conduite délibérée et inconsidérée du Canada afin de reconnaître les torts, les traumatismes et la victimisation subis par les enfants et les familles des Premières Nations en raison des infractions systémiques à la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) commises par le Canada.

Le Tribunal estime que la Société de soutien a livré une description juste de l’esprit de la décision sur requête du Tribunal à propos de l’indemnisation.

[224] En outre, le Tribunal tient à insister sur le fait que le droit à l’égalité réelle des enfants et des familles des Premières Nations a toujours guidé ses analyses et été à l’avant-plan dans ses décisions sur requête et ses ordonnances, y compris celles portant sur le principe de Jordan, la réforme, l’élimination des actes discriminatoires et les mesures visant à empêcher qu’ils ne se reproduisent, et les mesures de réparation immédiates, à moyen terme et à long terme. Le droit à l’égalité réelle continue d’être la priorité du Tribunal.

[225] Enfin, la formation est impatiente de voir se concrétiser les prochaines étapes de ce cheminement, à savoir la réforme complète, les mesures de réparation à long terme pour de nombreuses générations à venir, et l’élimination de la discrimination et les mesures visant à empêcher qu’elle ne se reproduise.

G. Ordonnances

[226] Conformément au paragraphe 53(2) de la LCDP, le Tribunal rend les ordonnances suivantes :

A) Le Tribunal conclut que l’entente de règlement relative aux Services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, au principe de Jordan et au groupe Trout, dans sa version révisée datée du 19 avril 2023, satisfait entièrement aux ordonnances d’indemnisation qu’il a rendues dans la présente affaire (2019 TCDP 39, 2020 TCDP 7, 2020 TCDP 15, 2021 TCDP 6, 2021 TCDP 7 et 2022 TCDP 41).

B) Le Tribunal conclut que l’entente révisée permet de remédier complètement aux écarts relevés par le Tribunal en offrant une indemnisation pleine et entière aux victimes et aux survivants qui y ont droit en vertu des ordonnances d’indemnisation du Tribunal, notamment les enfants des Premières Nations retirés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté, les parents et les grands-parents responsables membres des Premières Nations à qui l’on a retiré la garde de plusieurs enfants, et les enfants des Premières Nations admissibles à une indemnité en raison d’un refus de service, d’un retard déraisonnable ou d’une lacune à l’égard d’un service essentiel attribuable à l’application discriminatoire du principe de Jordan par le Canada.

C) Le Tribunal rend une ordonnance visant à préciser l’ordonnance rendue dans la décision sur requête 2021 TCDP 7 à propos du cadre d’indemnisation : les parents et les grands-parents responsables seront conjointement limités à une indemnité totalisant 80 000 $ peu importe le nombre de retraits subséquents subis par un même enfant.

D) Le Tribunal rend une ordonnance visant à modifier l’ordonnance rendue dans la décision sur requête 2020 TCDP 7 : une indemnité de 40 000 $, majorée des intérêts applicables, sera versée directement à l’enfant ou aux enfants du parent ou du grand-parent responsable décédé, selon un calcul au prorata, alors que la décision sur requête 2020 TCDP 7 prévoyait le paiement de l’indemnité à la succession du parent ou grand-parent responsable décédé. S’il n’y a pas d’enfant survivant, l’indemnité sera transmise à la succession du parent ou du grand-parent responsable décédé.

E) Le Tribunal rend une ordonnance visant à préciser l’ordonnance rendue dans la décision sur requête 2019 TCDP 39, de manière à confirmer que les parents (ou grands-parents) responsables d’un enfant membre du groupe des victimes et des survivants lésés par l’application discriminatoire du principe de Jordan par le Canada doivent avoir eux-mêmes subi le degré de répercussions le plus important (notamment de la douleur, de la souffrance ou un préjudice d’une extrême gravité) pour être admissibles à une indemnité (40 000 $, plus les intérêts y afférents) dans le cas où l’enfant a subi un refus de service, un retard déraisonnable ou une lacune à l’égard d’un service essentiel.

F) Le Tribunal rend une ordonnance déclarant que le processus de réclamation exposé dans l’entente révisée et les autres mesures qui seront élaborées par les avocats des groupes en collaboration avec les experts (y compris la Société de soutien) puis approuvées par la Cour fédérale satisfont aux exigences du cadre d’indemnisation qui ont fait l’objet d’une ordonnance dans les décisions sur requête 2019 TCDP 39 et 2021 TCDP 7. Cette ordonnance remplace l’ordonnance rendue par le Tribunal dans la décision sur requête 2021 TCDP 7.

G) Le Tribunal rend une ordonnance selon laquelle, sous réserve de l’approbation de l’entente révisée par la Cour fédérale, il n’aura plus compétence à l’égard de ses ordonnances d’indemnisation le jour où tous les délais d’appel relativement à l’approbation de l’entente révisée par la Cour fédérale seront expirés ou, subsidiairement, le jour où tous les appels interjetés de la décision de la Cour fédérale sur la requête en approbation de l’entente révisée auront été rejetés.

H) Le Tribunal ordonne aux parties de lui faire un compte rendu dans les 15 jours suivant chacun des événements suivants : (1) décision de la Cour fédérale concernant l’approbation de l’entente révisée; (2) expiration du délai d’appel relatif à la décision de la Cour fédérale sur l’entente révisée ou fin d’une procédure d’appel qui avait été introduite.

H. Le Tribunal conserve sa compétence

[227] La présente décision sur requête n’a aucune incidence sur le maintien de la compétence de la formation à l’égard de toute question soulevée et de toute ordonnance rendue dans la présente affaire autres que celles dont il est question aux points A) à G) ci-dessus. Conformément à l’approche en matière de réparation qui a été adoptée en l’espèce, la formation conserve sa compétence sur toutes ses décisions sur requête et ses ordonnances pour s’assurer que celles-ci sont mises en œuvre efficacement et que la discrimination systémique est éliminée. La formation réexaminera la question du maintien de sa compétence quand les parties auront déposé une entente complète et définitive sur les mesures de réparation à long terme et la réforme, sur consentement ou autrement, que la formation jugera satisfaisante pour ce qui est d’éliminer la discrimination systémique constatée et d’empêcher qu’elle se reproduise, ou après le règlement des questions en suspens, s’il y a lieu, de sorte que le Tribunal puisse rendre des ordonnances définitives, ou quand la formation le jugera approprié compte tenu de l’évolution de l’affaire.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 26 septembre 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

David P. Taylor, Sarah Clarke et Kevin Droz , pour la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

Stuart Wuttke, Dianne Corbiere, D. Geoffrey Cowper K.C. et Adam Williamson , pour l’Assemblée des Premières Nations, la plaignante

Brian Smith , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Christopher Rupar, Paul Vickery, Sarah-Dawn Norris et Jonathan Tarleton , pour l’intimé

Maggie Wente, Sinéad Dearman Jessie Stirling et Darian Baskatawang , pour les Chefs de l’Ontario, la partie intéressée

Julian Falconer et Christopher Rapson et Natalie Posala , pour la Nation Nishnawbe Aski, la partie intéressée