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Bande indienne Metlakatla c. Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2022 TRPC 6 (CanLII)

Date :
2022-12-22
Numéro de dossier :
SCT-7002-13
Référence :
Bande indienne Metlakatla c. Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2022 TRPC 6 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jxkqf>, consulté le 2024-05-15

DOSSIER : SCT-7002-13

RÉFÉRENCE : 2022 TRPC 6

DATE : 20221222

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE INDIENNE METLAKATLA

Revendicatrice

 

Me Peter Millerd, Me Robin Dean et Me Erica Stahl, pour la revendicatrice

- et -

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

Représenté par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimé

 

Me John Russell, Me Michael Mladen, Me Peri Smith et Me Isabel Jackson, pour l’intimé

 

 

ENTENDUE : Du 19 au 21 avril 2021, du 13 au 17 septembre 2021, du 26 au 28 octobre 2021, du 10 au 14 janvier 2022 et le 18 janvier 2022

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable William Grist


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1995 CanLII 50 (CSC), [1995] 4 RCS 344, 130 DLR (4e) 193; Osoyoos Indian Band v Oliver (Town), 1999 BCCA 297; Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746; Sattva Capital Corp c Creston Moly Corp, 2014 CSC 53, [2014] 2 RCS 633; Guerin c R, 1984 CanLII 25 (CSC), [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4e) 321; R c Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), 1994 CSC 80, [1994] 2 RCS 9; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Southwind c Canada, 2021 CSC 28, 459 DLR (4e) 1; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511; Bande indienne d’Osoyoos c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2012 TRPC 3; R c Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 RCS 771, 133 DLR (4e) 324.

Lois citées :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14, 16, 20.

Land Act, RSBC 1897, c 113, art 32.

Acte des Sauvages, SRC 1886, c 43, art 38, 39, 40, 41.

Proclamation royale de 1763.

Acte concernant la construction d’un chemin de fer national à travers le continent, SC 1903, c 71, annexe.

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, App II, no 10, art 13.

Doctrine citée :

Black’s Law Dictionary, 10e éd deluxe, sous l’entrée « sui generis ».

Black’s Law Dictionary, 4e éd révisée, sous l’entrée « nemo dat quod non habet ».

Institut canadien des évaluateurs, Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada, (Ottawa : 2018).

Institut canadien des évaluateurs, The Appraisal of Real Estate : Third Canadian Edition, (Colombie-Britannique : Division de l’immobilier de l’Université de la Colombie-Britannique, 2010).

Sommaire :

Droit des Autochtones — Revendication particulière — Obligation de fiduciaire — Vente inconsidérée — Marché abusif — Valeur marchande historique — Preuve extrinsèque — Interprétation des documents de cession

Aperçu

En 1906, la revendicatrice, la Bande indienne Metlakatla (Metlakatla ou la bande), a cédé quelque 14 000 acres de terres de réserve au Canada, qui les a ensuite transférées à la société ferroviaire Grand Trunk Pacific Railway Company (la GTP) au moyen de lettres patentes. La GTP souhaitait acquérir les terres pour y construire le terminus de l’Ouest de son projet de chemin de fer transcontinental et un lotissement urbain connexe. Le 25 juin 1907, les lettres patentes ont été émises relativement aux terres cédées et à quelque 300 acres de terres de réserve qui n’étaient pas incluses dans la cession et qui ont été transférées à la GTP par le Canada au prix de 7,50 $ l’acre.

Metlakatla affirme que le Canada a manqué aux obligations de fiduciaire qu’il avait à son égard en omettant de faire preuve de loyauté et de bonne foi à son égard, en ne divulguant pas tous les renseignements pertinents et en n’empêchant pas la vente inconsidérée des terres de réserve.

Le Canada soutient s’être acquitté des obligations de fiduciaire qu’il avait à l’égard de Metlakatla.

La question des lettres patentes et des limites

La revendicatrice soutient que les lettres patentes couvraient trois régions qui ne figuraient pas dans la description des terres contenue dans l’acte de cession. Premièrement, dans le cadre du transfert, 313 acres ont été ajoutées à la parcelle de terres visées par les lettres patentes située sur la péninsule Tsimpsean (la parcelle continentale). Deuxièmement, les lettres patentes comprenaient huit petites îles (les îles identifiées comme étant les îles numéros 1 à 8 dans les lettres patentes) adjacentes à l’île Digby qui n’étaient pas mentionnées dans l’acte de cession. Troisièmement, les lettres patentes incluaient les îles Lak-Anian et Lak-Wilgiapsh, alors qu’il y avait une ambiguïté dans l’acte de cession quant à l’inclusion de ces îles.

Le Canada prétend que Metlakatla avait l’intention de céder toutes les terres décrites dans les lettres patentes, à l’exception des îles nos 1 et 2. Il admet que Metlakatla n’avait pas l’intention de céder ces deux îles.

Le Canada soutient qu’il faut se fier à la preuve extrinsèque pour établir l’intention de Metlakatla et interpréter l’accord de cession.

Le Tribunal n’est pas du même avis. La cession des terres de réserve est sui generis; les tribunaux « doivent [donc] faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l’objet véritable de ces opérations » (je souligne; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1995 CanLII 50 (CSC), [1995] 4 RCS 344 au para 7, 130 DLR (4e) 193 [Rivière Blueberry]). L’intention doit toutefois être étayée par des éléments de preuve convaincants.

Le Tribunal estime que, du fait que la Couronne n’a pas respecté l’acte de cession et qu’elle a transféré des terres qui ne figuraient pas dans la description des terres visées, la revendication est fondée en vertu des alinéas 14(1)c) et d) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22. Plus précisément, le Tribunal juge que la Couronne a manqué à une obligation légale qu’elle avait envers la revendicatrice dans le cadre de son administration des terres de réserve de la bande et qu’elle a disposé, sans droit, des terres de réserve :

  1. en ajoutant aux lettres patentes quelque 313 acres le long de la limite nord de la parcelle continentale de la réserve, terres qui ont été transférées à la GTP le 25 juin 1907 alors qu’elles n’avaient pas été cédées à la Couronne;

  2. en transférant aussi à la GTP huit des dix îles le 25 juin 1907 (îles nos 1 à 8) alors qu’elles n’avaient pas été expressément cédées à la Couronne.

Toutefois, le Tribunal arrive à la conclusion que la revendication n’est pas fondée en ce qui concerne les îles Lak-Anian et Lak-Wilgiapish : en dépit du fait que le document de cession comportait des lacunes, il y avait suffisamment d’éléments dans le document lui-même pour établir que Metlakatla avait l’intention de céder ces îles.

La question de l’obligation de fiduciaire et de la vente inconsidérée

La revendicatrice affirme que le Canada a manqué à ses obligations de fiduciaire de loyauté, de bonne foi et de communication complète lorsqu’il a vendu à la GTP les terres visées par les lettres patentes et qu’il n’a pas empêché la conclusion d’un marché abusif en vendant les terres à un prix nettement inférieur à leur valeur marchande.

Le Canada soutient que Metlakatla a été dûment informée durant les négociations avec la GTP et nie que le prix de 7,50 $ l’acre était inconsidéré.

Le Tribunal conclut, comme l’ont reconnu les parties, que la Couronne était tenue aux obligations décrites dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245, soit aux devoirs de loyauté et de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones, à partir du moment où l’agent de la GTP, E. G. Russell, s’est présenté et où la GTP a proposé d’acquérir des terres de réserve jusqu’au moment où la cession a été acceptée et où des mesures ont été prises en vue de vendre les terres cédées. Le Tribunal conclut également que le Canada était bel et bien tenu de disposer des terres cédées aux conditions qu’il jugeait les plus favorables au bien-être de la bande lorsqu’il négociait la vente des terres cédées à la GTP, tout comme il était tenu d’éviter un marché inconsidéré, comme il a été reconnu dans l’arrêt Rivière Blueberry.

Durant les négociations menées avec Metlakatla du 1er au 7 février 1906, la GTP a amené la bande à croire que trois emplacements étaient toujours à l’étude pour son terminus de l’Ouest : l’île Kaien (sur les terres de réserve de la bande), Port Simpson et Kitimat.

Avant même que ne débutent les négociations avec Metlakatla, le Canada savait que la GTP était très déterminée à aménager le terminus de la côte de l’océan Pacifique sur l’île Kaien. Cependant, la bande n’a reçu aucun préavis ni aucune information quant aux intentions de la GTP. Qui plus est, le Canada n’a pas informé la bande de son propre intérêt à appuyer la construction du chemin de fer et à le financer.

Le Canada n’a pas cherché à donner à la bande une idée de la valeur de ses terres de réserve ni à l’informer de la façon dont l’emplacement du terminus et l’aménagement du territoire pouvaient influer sur le calcul de la valeur des terres.

La valeur marchande historique des terres visées par les lettres patentes (14 160 acres)

Le Tribunal a examiné la preuve des évaluateurs des deux parties afin de déterminer la valeur marchande historique des terres transférées à la GTP par lettres patentes en 1907.

Au moment de la cession et de la vente, la province de la Colombie-Britannique a allégué détenir un intérêt réversif sur les terres cédées. D’après la province, cette cession signifiait que la bande n’avait plus besoin des terres de réserve et que celles-ci devaient donc retourner à la province. Que l’intérêt réversif de la province de la Colombie-Britannique ait ou non un fondement juridique, il n’en demeure pas moins que, dans les faits, la GTP a négocié avec les gouvernements fédéral et provincial en partant du principe que l’intérêt réversif avait une grande valeur.

Le Tribunal évalue la valeur marchande des 14 160 acres vendues par le Canada à la GTP par lettres patentes à 546 915 $, mais applique une déduction de 20 % fondée sur la valeur de l’intérêt réversif revendiqué par la province de la Colombie-Britannique, pour une valeur marchande historique nette de 437 532 $, soit 31 $ l’acre.

Conclusion sur la question de l’obligation de fiduciaire et de la vente inconsidérée

Le Tribunal tire les conclusions suivantes :

  1. il était inconsidéré de la part du Canada de vendre les terres cédées au prix de 7,50 $ l’acre;

  2. le Canada n’a déployé aucun effort pour analyser et empêcher cette vente inconsidérée, et le fait qu’il n’ait pas divulgué certains faits importants à la bande constitue un manque de loyauté et de bonne foi envers la bande;

  3. en vendant les terres cédées, le Canada a manqué à l’obligation énoncée dans l’acte de cession, soit celle de disposer des terres aux conditions jugées les plus favorables au bien-être de la bande.

Le Tribunal conclut que le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire à l’égard de chacun des points susmentionnés (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Rivière Blueberry; Guerin c R, 1984 CanLII 25 (CSC), [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4e) 321).

Le Tribunal arrive à la conclusion que la revendication est bien fondée en vertu des alinéas 14(1)c) et d) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, soit en raison de « la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant […] de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve » et de « la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve ».


 

TABLE DES MATIÈRES

I. HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA REVENDICATION 11

II. CONTEXTE 12

A. Contexte historique 12

B. L’acquisition de terres par la Grand Trunk Pacific Railway Company de 1904 à 1907 15

C. La résolution de la bande 17

D. La cession 22

E. L’exposé des faits jusqu’à la signature des lettres patentes de la Grand Trunk Pacific 24

1. L’arpentage réalisé par Barrow 25

2. La rédaction des lettres patentes 26

F. Le libellé des lettres patentes 27

III. Les questions relatives aux limites 29

A. Introduction 29

B. Première question relative aux limites — la parcelle continentale 29

C. Deuxième question relative aux limites — les îles Lak-Anian et Lak-Wilgiapsh 30

D. Troisième question relative aux limites — les îles numérotées 31

E. La position de la revendicatrice 33

F. La position de l’intimé 34

G. La preuve des experts 35

H. Analyse 36

I. La cession des terres de réserve 37

1. L’obligation de la Couronne sur réception d’une cession 38

2. L’interprétation de la cession 40

3. Rivière Blueberry 45

4. L’avis de David Hardwicke sur l’intention 46

5. L’obligation de fiduciaire du Canada lors d’une cession 47

J. Conclusion sur la question des limites établies dans les lettres patentes 48

IV. La question du manquement à l’obligation de fiduciaire et de la vente inconsidérée 48

A. La création de la société ferroviaire Grand Trunk Pacific Railway 49

B. Le terminus du Pacifique 50

C. L’exposé des faits de la résolution du 7 février 1906 jusqu’à la cession 57

D. La résolution de la question de l’intérêt réversif de la province 60

E. La position de la revendicatrice en ce qui concerne le manquement à l’obligation de fiduciaire et la vente inconsidérée 63

F. La position de l’intimé en ce qui concerne le manquement à l’obligation de fiduciaire et la vente inconsidérée 64

G. L’obligation de fiduciaire qui incombait à la Couronne avant 1938 en ce qui concerne les terres de réserve de la Colombie-Britannique 65

H. Le caractère inconsidéré de la vente 69

I. Les terres de réserve à titre de biens fongibles 71

J. Analyse 72

K. La résolution de la bande datée du 7 février 1906 75

L. Les rapports d’évaluation 79

M. Les évaluations de la valeur marchande 79

N. Les conditions d’une vente à la valeur marchande énoncées dans les Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC) 86

1. L’acheteur et le vendeur étaient-ils normalement motivés? 86

2. Metlakatla était-elle bien informée et conseillée? 87

3. Les autres conditions d’une vente à la valeur marchande 89

O. L’analyse relative à la date d’évaluation 90

P. L’analyse relative aux évaluations de la valeur marchande 91

Q. La critique historique de M. Theodore Binnema 93

R. La valeur marchande des terres détenues en fief simple en 1906 97

S. La déduction pour l’intérêt réversif 100

T. L’analyse de la valeur marchande des terres détenues en fief simple 100

U. L’analyse des données d’évaluation 103

1. La preuve d’Allan Koebel 103

a) Île Kaien — les terres ayant une plus grande valeur utilitaire 103

b) Île Kaien — les terres ayant une moins grande valeur utilitaire 105

c) Île Digby et les îles/îlots avoisinants 105

d) La partie continentale 105

2. La preuve de John Peebles 105

3. Analyse 108

4. Évaluation de l’intérêt réversif 109

V. Conclusion 114


I. HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA REVENDICATION

[1] Le 31 décembre 2008, la revendicatrice, la Bande indienne Metlakatla (Metlakatla ou la bande), a déposé une revendication auprès du ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord. Le 29 mai 2009, elle a déposé une version révisée de ses observations auprès de la Direction générale des revendications particulières, laquelle a avisé la revendicatrice par écrit, le 17 mai 2012, que la revendication n’était pas acceptée aux fins de négociation. La revendication pouvait donc être déposée auprès du Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) en vertu de l’alinéa 16(1)a) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la LTRP].

[2] Le 11 juillet 2013, la revendicatrice a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal et, le 7 avril 2021, elle a déposé une déclaration de revendication amendée.

[3] Le 17 septembre 2013, l’intimé a déposé une réponse à la déclaration de revendication auprès du Tribunal et, le 26 février 2021, il a déposé une réponse amendée.

[4] La revendication a été scindée par une ordonnance du Tribunal datée du 18 janvier 2019. L’ordonnance de scission a été modifiée par une ordonnance du Tribunal datée du 9 septembre 2021. Aux termes de l’ordonnance de scission amendée, la première étape porte sur le bien-fondé de la revendication et la valeur marchande des terres de réserve de la revendicatrice au moment où elles ont été prises, et la deuxième étape consiste à déterminer la valeur actuelle des pertes historiques, la valeur de la perte d’usage et l’indemnité totale.

[5] Par suite d’une demande présentée par la Bande indienne de Kitsumkalum (Kitsumkalum), un avis lui a été envoyé le 25 janvier 2017 conformément à l’article 22 de la LTRP.

[6] Le 27 mars 2017, Kitsumkalum a déposé un avis de demande d’autorisation d’intervenir.

[7] Les parties et Kitsumkalum ont présenté des observations écrites relativement à la demande d’autorisation d’intervenir, laquelle a été instruite le 19 octobre 2017.

[8] Le 4 mai 2018, le Tribunal a rejeté la demande et exposé les motifs de sa décision.

[9] L’audience consacrée aux témoignages des experts s’est déroulée en trois temps, par vidéoconférence : du 19 au 21 avril 2021, du 13 au 17 septembre 2021 et du 26 au 28 octobre 2021.

[10] L’audience visant à entendre les observations orales sur le bien-fondé de la revendication s’est déroulée en deux temps, par vidéoconférence : du 10 au 14 janvier 2022 et le 18 janvier 2022.

II. CONTEXTE

A. Contexte historique

[11] Le premier établissement non autochtone sur la côte du Pacifique, dans les environs de ce qui est aujourd’hui la ville de Prince Rupert, a été le fort Simpson (plus tard Port Simpson), un fort de la Compagnie de la Baie d’Hudson (fort de la CBH) fondé en 1834. Le fort Simpson était situé dans un havre protégé, en aval d’un bras de mer conduisant à l’embouchure de la rivière Nass. Il a été fondé pour tirer profit de la traite des fourrures, tant des régions intérieures que des régions côtières. Après la fondation du fort, des membres de Premières Nations parlant le tsimshian, soit quelque 2 000 personnes, se sont installés dans la région entourant le fort et ont fondé un village (exposé conjoint des faits (ECF) au para 4).

[12] Tout comme dans d’autres régions le long de la côte du Pacifique, les peuples autochtones ont perdu une partie importante de leur population à cause des épidémies qui ont frappé leurs régions juste avant le premier contact et qui se sont poursuivies tout au long du XIXe siècle. En 1836, la variole a tué peut-être un tiers de la population autochtone de la région du fort Simpson (ECF supplémentaire au para 8). En 1862, après une deuxième éclosion majeure de variole, William Duncan, un missionnaire anglican au fort Simpson, a estimé que [traduction] « cinq cents ou un cinquième des Tsimshians de la région de Port Simpson ont succombé » (ECF supplémentaire au para 11).

[13] Cette année-là, Duncan et quelques membres de sa congrégation se sont installés à Metlakatla, l’ancien site d’un village tsimshian, à environ 40 km au sud de Port Simpson. Selon des estimations officieuses, environ 2 000 personnes sont restées au fort Simpson tandis qu’environ 300 personnes sont allées s’établir à Metlakatla. La population de Metlakatla s’élevait à près de 1 000 habitants lorsque, au milieu des années 1880, Duncan a commencé à avoir des différends avec l’Église anglicane, qui a alors décidé de dépêcher un évêque près de la communauté. Par conséquent, en 1887, Duncan est parti avec la majorité de la population pour s’installer en Alaska (ECF supplémentaire au para 16).

[14] En 1894, le recensement du ministère des Affaires indiennes (le ministère ou le MAI) faisait état de 158 personnes vivant à Metlakatla et de 679 à Port Simpson (ECF supplémentaire au para 17). En 1906, le recensement du MAI a permis de dénombrer 198 personnes vivant à Metlakatla et 708 à Port Simpson (ECF supplémentaire au para 18).

[15] De 1862 à 1864, le gouvernement colonial a créé des réserves pour les habitants de Metlakatla dans une zone rectangulaire d’à peu près 10 par 5 milles autour du village, avec une réserve d’une superficie de 2 acres au village même destinée à la Church Missionary Society (pièce Ex-50, onglet JBD-68).

[16] La Colombie-Britannique s’est jointe à la Confédération en 1871. Par la suite, un processus visant à établir des réserves, lesquelles étaient censées se trouver sous la garde et l’administration du gouvernement fédéral pour le compte des Premières Nations, a été mis en place au moyen de la Commission mixte des réserves indiennes et, en 1881, cette responsabilité incombait à Peter O’Reilly puisqu’il était le seul commissaire (pièce Ex-50, onglet JBD-118). O’Reilly a établi un certain nombre de réserves pour les Tsimshians en octobre 1881 (pièce Ex-50, onglet JBD-123). La réserve indienne Tsimpsean no 1 a été la première réserve à être créée et elle couvrait 100 acres à Port Simpson, à l’est du fort de la CBH (pièce Ex-50, onglet JBD-123). La réserve indienne Tsimpsean no 2 (RI no 2), la plus vaste, englobait une grande partie de la péninsule Tsimpsean, depuis le littoral à l’ouest de Port Simpson, où se trouvait le village autochtone de Lax Kw’alaams, jusqu’au sud de manière à inclure l’île Digby et une partie de l’île Kaien, soit un total d’environ 70 000 acres (pièce Ex-50, onglet JBD-123).

[17] En 1892, O’Reilly a divisé la RI no 2 en deux : la partie sud, d’environ 47 000 acres, a été mise de côté pour Metlakatla tandis que la partie nord a été attribuée à la Bande de Port Simpson (Lax Kw’alaams) (pièce Ex-50, onglet JBD-155).

Partie de la RI Tsimpsean no 2 attribuée à Metlakatla en 1892 (délimitée en rouge),(pièce Ex-12 à la p 23).

B. L’acquisition de terres par la Grand Trunk Pacific Railway Company de 1904 à 1907

[18] En 1905, la RI no 2 était toujours telle qu’elle avait été établie par O’Reilly : la partie nord était consacrée à la Bande de Port Simpson (Lax Kw’alaams) et la partie sud à la bande Metlakatla. La partie sud incluait l’île Digby et l’ouest de l’île Kaien. En 1891, les terres situées à l’est de ces réserves — et qui s’étendaient vers le sud de manière à inclure la majeure partie de l’île Kaien — sont devenues une réserve du gouvernement provincial, de sorte qu’elles étaient protégées contre l’acquisition par préemption ou contre l’acquisition par des membres du public (pièce Ex-21, onglet 110). Le bras Tuck (ou havre Lima), qui est devenu le havre de Prince Rupert, se trouvait entouré par la portion continentale de la partie sud de la RI no 2 au nord-ouest, par la partie sud de la réserve constituée de l’ouest de l’île Kaien, de l’île Digby et par la réserve gouvernementale à l’est. Il n’y avait aucune terre privée adjacente au havre.

[19] Au début de 1904, le gouvernement provincial a été approché par un avocat de Victoria, Ernest Bodwell. Ce dernier agissait au nom de la Grand Trunk Pacific Railway Company (la GTP ou la Compagnie), qui souhaitait acheter 10 000 acres de terres situées dans la réserve gouvernementale (ECF au para 67).

[20] Le 4 mai 1904, le lieutenant-gouverneur a approuvé un décret provincial permettant à la GTP de choisir et d’acquérir 10 000 acres de la réserve gouvernementale au prix de 10 000 $, à condition que les terres soient utilisées pour construire le terminus et y aménager un lotissement urbain (pièce Ex-22, onglet 140).

[21] La subdivision des lots du lotissement situé sur ces 10 000 acres aurait eu pour effet de faire intervenir l’article 32 de la Land Act, RSBC 1897, c 113 [la Land Act], aux termes duquel un quart des lots créés par subdivision devaient être rétrocédés au gouvernement provincial (pièce Ex-22, onglet 140).

[22] Le décret n’a été rendu public que l’année suivante.

[23] En mars 1905, la GTP a versé 10 000 $ et la province lui a concédé les terres en trois lots numérotés : le lot 443, à l’est de la RI no 2, sur la rive nord du havre de Prince Rupert; le lot 251, sur l’île Kaien, juste à l’est de la partie de la RI no 2 située sur l’île; et le lot 444, plus à l’est (pièce Ex-2, onglet 39). Par ailleurs, il était expressément prévu que, conformément à la Land Act, un quart des lots créés seraient rétrocédés à la province et qu’un quart des blocs riverains créés seraient aussi rétrocédés lors de la subdivision (pièce Ex-10). Les concessions de la Couronne ont été rendues publiques peu de temps après, dans un article du Victoria Daily Colonist publié le 24 mai 1905 (pièce Ex-24, onglet 157).

[24] Le 3 août 1905, la GTP, par un acte formaliste bilatéral signé par son président Charles Hays et ratifié par son conseil d’administration, s’est formellement engagée à construire le terminus du chemin de fer sur les 10 000 acres de terres et à commencer les travaux avant le 30 juin 1906 (pièce Ex-50, onglet JBD-1023). Les trois concessions de terres ont été enregistrées en octobre 1908 (ECF modifié au para 75).

[25] La GTP prévoyait non seulement acquérir les terres entourant le havre de Prince Rupert, mais aussi une grande partie de la RI no 2. À l’époque, les terres des réserves indiennes étaient administrées par le gouvernement fédéral conformément à l’Acte des Sauvages, SRC 1886, c 43 [l’Acte des sauvages de 1886 ou l’Acte des Sauvages], bien que la province n’ait transféré les terres à la Couronne fédérale qu’en 1938 en raison d’un différend de longue date sur l’intérêt réversif revendiqué par la province relativement aux terres de réserve. La GTP a informé le Canada (le MAI) de son intention d’acquérir les terres de réserve en mai 1904. Elle a présenté un croquis du havre de Prince Rupert sur lequel était délimitée une portion de la partie sud de la RI no 2, soit une superficie de 7 000 acres qui s’étendait à l’est du village de Metlakatla jusqu’à la limite est de la réserve, le long de la rive nord du havre (pièce Ex-22, onglets 142 et 143).

[26] En avril 1905, la GTP a aussi avisé le MAI qu’elle avait l’intention d’acquérir l’île Digby (7 950 acres) et la partie de la réserve couvrant l’ouest de l’île Kaien (2 519 acres) (pièce Ex-50, onglets JBD-190 et JBD-191).

[27] En novembre 1905, le surintendant général adjoint des Affaires indiennes, Frank Pedley, a écrit à George Morrow, agent des Indiens à l’agence de Tsimpsean, pour l’aviser que la GTP avait présenté une demande dans le but d’obtenir des terres de réserve et que si [traduction] « E. G. Russell, le représentant de la Grand Trunk Pacific Railway Company, [lui] rendait visite pour discuter de ce projet avec [lui] et avec les Indiens, le ministère n’y verrait aucune objection » (pièce Ex-50, onglet JBD-213).

[28] Par la suite, Morrow a raconté que Russell avait communiqué avec lui en janvier 1906 et qu’il l’avait invité à une réunion du conseil de bande qu’il avait lui-même fixée au 31 janvier 1906. À la réunion, Russell a présenté à Morrow une lettre datée du 15 janvier 1906 dans laquelle était exposée l’intention de la Compagnie d’acquérir des terres de réserve (pièce Ex-24, onglet 170). Le conseil de bande a alors fixé au lendemain une réunion avec les membres de la bande pour discuter de la proposition.

C. La résolution de la bande

[29] Russell a joint une carte à sa lettre du 15 janvier 1906 (pièce Ex-1, onglet 5). La carte était en deux morceaux. Dans le premier morceau de la carte, la partie ouest, les terres de réserve sont délimitées par une ligne tracée à la main, laquelle représente la limite orientale de la réserve avec la réserve gouvernementale sur le continent (péninsule Tsimpsean) et, plus au sud, la limite orientale de la réserve sur l’île Kaien. Le deuxième morceau de la carte illustre la région qui s’étend à l’est de la réserve, dans la réserve gouvernementale. Il semble y avoir un point de convergence sur chacune des moitiés de la carte, lequel est désigné par la lettre « A » (carte A), et des flèches pointent vers la droite sur le premier morceau et vers la gauche sur le second, comme si les deux morceaux devaient être réunis en ce point pour bien représenter la région. Comme les deux moitiés de la carte sont à une échelle différente, l’emplacement relatif des différentes caractéristiques se trouve altéré à mesure que l’on s’éloigne du point de convergence. Les parties ont convenu que les deux moitiés de la carte A, trouvées à Bibliothèque et Archives Canada, constituaient une reproduction ultérieure (ECF au para 105).

[30] En fait, la carte A semble être une reproduction en deux parties du croquis du havre Lima que la GTP a envoyé au Canada en mai 1905 (pièce Ex-1, onglet 7). La ligne de côte aux alentours et au nord du village de Metlakatla est mal dessinée sur le croquis et représente mal la côte allant vers le nord jusqu’à Port Simpson, une côte qui était probablement connue des habitants de Metlakatla. Par exemple, si la limite nord de la partie continentale de 7 000 acres convoitée par la GTP était projetée jusqu’à la côte sur le croquis — question d’avoir une idée de la distance à laquelle se trouve la limite dans cette direction — l’intersection indiquée sur le croquis se trouverait bien au sud de la baie Duncan, alors que si la limite nord était réellement projetée, elle croiserait la côte à un point bien plus au nord.

[31] Sur le premier morceau de la carte A, dans la partie continentale (péninsule Tsimpsean) de la réserve, on voit une ligne pointillée qui part de la limite est de la réserve vers l’ouest et croise une ligne perpendiculaire qui va vers le sud jusqu’à la rive du passage Venn, juste à l’est du village de Metlakatla. Une deuxième ligne est tracée parallèlement à cette ligne, à une certaine distance à l’est de la première.

[32] D’après le compte rendu de la réunion de la bande donné par l’agent des Indiens Morrow, la ligne verticale la plus à l’ouest représente la limite ouest de la parcelle que la GTP souhaitait acquérir de la bande. La bande a refusé de céder les terres s’étendant jusqu’à cette limite ouest, mais a convenu de céder une plus petite parcelle, laquelle est indiquée par la ligne plus à l’est du village. La bande a également refusé de céder l’extrémité nord de l’île Digby (pièce Ex-24, onglet 175).

[33] Rien dans la preuve ne permet de croire que les deux moitiés de la carte A ne correspondent pas à la carte qui a été présentée à la bande. Si ces différences sont attribuables au fait que les deux cartes ont été ultérieurement reproduites, il n’en demeure pas moins que la représentation de la région sur la totalité de la carte A diffère considérablement de celle qui figure sur d’autres cartes de la région datant de cette époque, comme le croquis accompagnant l’arpentage de la RI no 2 fait par S. P. Tuck en 1887 et la carte produite par la GTP en 1907 pour montrer la région du havre de Prince Rupert qui allait accueillir le terminus.

[34] Une reproduction du croquis du havre Lima produit par la GTP en mai 1905 et la carte A figurent aux pages suivantes.

Croquis du havre Lima produit par la GTP en mai 1905 (pièce Ex-1, onglet 7)

Moitiés de la carte A réunies au point de convergence  (pièce Ex-1, onglet 5)

[35] Les négociations entre Russell et la bande ont duré six jours, soit du 1er au 7 février, sauf le dimanche 4 février. À l’instar de la plupart des membres adultes de la bande, l’agent des Indiens Morrow a assisté aux négociations, et l’évêque F. H. Du Vernet, évêque anglican résidant à Metlakatla, a été témoin de la signature de la résolution de la bande (la résolution) qui a été adoptée à l’issue des réunions (pièce Ex-24, onglet 176). À l’exception de la partie la plus à l’ouest de la partie continentale de la réserve et de l’extrémité nord de l’île Digby, la bande a accepté de céder la région convoitée par la GTP, ainsi que la partie de la réserve située à l’extrémité ouest de l’île Kaien, sous réserve des autres conditions de la résolution.

[36] Les négociations ont notamment porté sur les conditions auxquelles la bande accepterait de céder les terres au Canada afin que celui-ci puisse les vendre à la GTP. Au départ, Russell a offert 5 $ l’acre. La bande a fait une contre-offre de 10 $. En fin de compte, comme il semblait y avoir impasse, Russell a suggéré de couper la poire en deux et de fixer le prix à 7,50 $ l’acre (pièce Ex-24, onglet 176). L’accord a été consigné dans une résolution de la bande rédigée à la main par Morrow dans le but de céder :

[traduction] […] les réserves indiennes de Metlakatla suivantes, à savoir l’île Kaien, des parties de l’île Digby et une partie de la réserve se trouvant sur le continent [la péninsule Tsimpsean] et bordant le passage Venn et le bras Tuck, réclamées par E. G. Russell, agent de la Grand Trunk Pacific Railway Company, comme il est indiqué dans [sa] lettre datée du 15 janvier 1906, adressée à [l’agent des Indiens Morrow], et illustré sur la carte marquée d’un « A ». Certaines parties de l’île Digby et du continent demeurent toutefois des réserves indiennes. [Pièce Ex-24, onglet 172]

[37] Les terres devant être cédées ont été décrites plus en détail dans une copie dactylographiée de la résolution trouvée dans le registre des procès-verbaux de la bande :

[traduction] La partie continentale bordant le passage Venn et le bras Tuck. À partir de la borne sud de la limite orientale de la réserve indienne située sur le continent, en direction nord sur environ deux (2) milles, puis en direction ouest sur environ deux milles et trois quarts (2¾) jusqu’au point d’intersection avec la limite occidentale, telle que définie ci-après, (à savoir) une ligne allant vers le nord à partir de la rive du continent, qui — lorsqu’elle est prolongée vers le sud à travers le passage Venn — se trouve immédiatement à l’ouest des îles Lak-wilgiapsh et Lak-anian, de sorte que ces îles sont incluses dans la partie devant être cédée. De ce point d’intersection, défini ci-dessus, vers le sud jusqu’à la rive du continent et de là, en direction est le long de la rive jusqu’au point de départ.

Sur l’île Digby, toutes les terres situées au sud d’une ligne tracée d’est en ouest, laquelle a été déterminée par la laisse de haute mer au fond de la baie située du côté est de l’île Digby, connue sous le nom de Sh-kgueak, ainsi que le triangle de terres situées à l’est de la ligne, laquelle correspond au prolongement vers le sud, jusqu’à l’île Digby, de la ligne nord-sud située immédiatement à l’ouest des îles Lak-Wilgiapsh et Lak-Anian […] [Pièce Ex-1, onglet 1]

[38] La description par tenants et aboutissants des terres devant être cédées qui figure dans la version dactylographiée de la résolution a probablement été préparée par l’agent de la GTP Russell et ajoutée à la résolution par l’agent des Indiens Morrow.

[39] Le 14 février 1906, l’agent des Indiens Morrow a transmis à Frank Pedley, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, la résolution et un compte rendu des négociations menées avec Russell (pièce Ex-2, onglet 43). Le 28 mars 1906, le ministre de l’Intérieur et surintendant général des Affaires indiennes, Frank Oliver, a transmis au Conseil privé un plan des terres visées par la cession et l’achat. Ce plan a ensuite été annexé à un décret daté du 2 avril 1906, lequel montrait les parcelles en question en superposition sur le plan d’arpentage de la réserve préparé par S. P. Tuck en 1887. Il était indiqué que la superficie totale visée par la cession et l’achat était de 13 519 acres [traduction] « comme le montre le plan ci-joint » (pièce Ex-50, onglet JBD-237).

[40] Dans sa lettre, Morrow énonçait les conditions que la bande avait fixées pour céder lesdites parties de la réserve :

  1. 50 % du prix d’achat devait être versé en parts égales aux membres adultes de la bande;

  2. le solde devait être détenu en fiducie et porter intérêt, ce qui devait permettre de verser aux membres de la bande atteignant l’âge de la majorité une somme équivalant à celle perçue par les membres adultes;

  3. les intérêts devaient servir à apporter des améliorations au village;

  4. une somme de 1 500 $ devait être versée aux membres de la bande à titre d’indemnisation pour la perte de leurs sites de jardinage.

[41] Selon lui, il s’agissait d’une excellente affaire et, même s’il n’était [traduction] « pas conforme à la politique du ministère de verser de l’argent directement aux Indiens, [il espérait] néanmoins que, dans ce cas, le ministère pourra[it] le faire » (pièce Ex-2, onglet 43). En fait, l’Acte des Sauvages limitait le paiement aux membres de la bande à 10 % du prix d’achat.

D. La cession

[42] Dans les mois qui ont suivi la résolution, l’Acte des Sauvages a été modifié de manière à ce que 50 % du prix d’achat puisse être versé aux membres de la bande (en l’occurrence, 50 % représentait environ 500 $ par membre).

[43] Le 18 juillet 1906, Pedley, le surintendant général adjoint des Affaires indiennes, a écrit à A. W. Vowell, le surintendant des Indiens de la Colombie-Britannique, pour lui demander de se rendre à Metlakatla et [traduction] « de préparer et de rédiger, à partir des plans et des descriptions contenus dans la correspondance, la description nécessaire des terres devant être cédées » (pièce Ex-2, onglet 050). Le bureau d’enregistrement de la Division des Affaires indiennes du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, à Ottawa, a reçu la copie de la cession, datée du 17 août 1906, le 2 novembre 1906 et l’a enregistrée le 10 novembre 1906 (pièce Ex-2, onglet 51). Voici la description des terres situées dans la partie continentale de la réserve qui étaient visées par la cession :

[traduction] […] une partie de la réserve continentale bordant le bras Tuck et le passage Venn, telle que décrite ci-après,

À partir de la borne sud de la limite orientale de la réserve indienne située sur le continent, en direction nord sur environ deux (2) milles, puis en direction ouest sur environ deux milles et trois quarts (2¾) jusqu’au point d’intersection avec la limite occidentale, telle que définie ci-après, (à savoir) une ligne allant vers le nord à partir de la rive du continent, qui — lorsqu’elle est prolongée vers le sud à travers le passage Venn — se trouve immédiatement à l’ouest des îles Lak-Wilgiapsh et Lak-Anian, de sorte que ces îles sont incluses dans la partie devant être cédée,

De ce point d’intersection, défini ci-dessus, vers le sud jusqu’à la rive du continent et de là, en direction est le long de la rive jusqu’au point de départ.

[44] La description de Vowell est, à peu de choses près, celle utilisée dans la version dactylographiée de la résolution; sur la copie déposée auprès du bureau d’enregistrement du MAI, à Ottawa (pièce Ex-2, onglet 58), le mot « environ » — en référence à la limite orientale qui avait une longueur de deux milles — a été barré comme il est indiqué ci-dessus. Sur d’autres copies de la cession qui sont parvenues jusqu’à nous, le vague qualificatif n’est pas raturé, mais la superficie totale mentionnée dans la cession, soit 13 519 acres, a été calculée en tenant pour acquis que la limite s’étendait sur deux milles. De plus, il faut éviter d’utiliser un qualificatif imprécis comme « environ » ou « plus ou moins » dans une description formelle, à moins qu’il ne soit clair que la distance sépare deux points déterminés et que la mesure incertaine ne serve pas, en soi, à déterminer la distance (pièce Ex-5 aux pp 7-8). Cette règle explique probablement la suppression du mot « environ » sur la copie déposée auprès du bureau d’enregistrement du MAI (pièce Ex-5 à la p 11).

[45] Le premier ministre Wilfred Laurier a présenté la cession au gouverneur général le 7 septembre 1906 en expliquant que la cession de [traduction] « 13 519 acres » avait été faite « dans le but de disposer des terres visées au profit de la bande » et qu’elle avait été « régulièrement autorisée, signée et attestée conformément à l’article 39 de l’Acte des Sauvages » (pièce Ex-50, onglet JBD-293). Le 21 septembre 1906, le gouverneur général a accepté la cession par le décret 1906-1859 (ECF modifié au para 125).

[46] Les deux milles indiqués sur le plan de la réserve réalisé par Tuck comme la longueur de la limite orientale de la partie continentale des terres à céder donnent, avec la superficie des parcelles des îles Digby et Kaien (soit la superficie de toutes les terres calculée à partir du plan de Tuck), une superficie de 13 519 acres, comme le précisent ces documents. Le fait que le mot « environ » ait été raturé dans la copie de la cession conservée au bureau d’enregistrement du MAI prouve une fois de plus que la longueur de la frontière acceptée par le gouvernement était de deux milles.

[47] Suivant les instructions de Pedley, Vowell a rédigé la résolution accompagnant l’acte de cession de manière à réduire le paiement devant être versé aux membres qui atteignaient l’âge adulte, lequel devait être prélevé sur les 50 % du prix d’achat mis en fiducie après que les membres de la bande eurent touché leur part, à un montant de 200 $ prélevé sur les intérêts gagnés sur le dépôt des 50 % mis en fiducie et à verser tout intérêt restant aux fins d’amélioration de la réserve (pièce Ex-2, onglets 50 et 51).

E. L’exposé des faits jusqu’à la signature des lettres patentes de la Grand Trunk Pacific

[48] La superficie inscrite dans le préambule de la cession (13 519 acres) a été modifiée dans le calcul du prix de vente transmis à l’avocat adjoint de la GTP, D’Arcy Tate, le 26 octobre 1906, c’est-à-dire qu’à la superficie des terres que le Canada devait vendre à la GTP sont venues s’ajouter la superficie des îles « L », lesquelles étaient nommées dans l’acte de cession, et la superficie des « îlots numérotés de 1 à 8 », lesquels n’étaient pas mentionnés dans l’acte de cession, mais qui ont été ajoutés pour représenter les îles décrites par Vowell dans la lettre de rapport datée du 25 août 1906 qu’il a envoyée à Pedley, dont le passage pertinent est ainsi libellé :

[traduction] Je pourrais ajouter à ce sujet qu’à la demande spéciale de M. Russell, qui agit au nom de la Grand Trunk Pacific Railway Company, il a été bien expliqué aux Indiens que la cession englobait tous les îlots immédiatement contigus à cette partie de l’île Digby décrite aux présentes, ce qu’ils ont accepté sans aucune restriction. [Pièce Ex-2, onglet 55]

[49] La zone modifiée était ainsi représentée (pièce Ex-2, onglet 60) :

Partie continentale

4 240

acres

Île Digby

6 700

acres

Île Kaien

2 579

acres

Île Lak-Anian

19

acres

Île Lak-Wilgiapsh

9

acres

Îlots numérotés de 1 à 8

20

acres

 

13 567

acres

[50] Par conséquent, la superficie de 13 567 acres dont il est question dans les documents subséquents trouve son origine dans la superficie de 13 519 acres calculée d’après le plan d’arpentage original de la réserve réalisé par Tuck en tenant pour acquis que la limite orientale de la partie continentale était de deux milles.

1. L’arpentage réalisé par Barrow

[51] À la suite de la cession des 16 et 17 août 1906, la GTP a demandé à A. R. Barrow de préparer un arpentage pour délimiter la partie continentale des terres cédées. Lors de cet arpentage effectué en décembre 1906 et en janvier 1907 (pièce Ex-2, onglet 67), la limite orientale a été rallongée, passant de deux milles à 11 482 pieds, pour rejoindre le coin nord-ouest du lot 443, soit un des trois lots concédés à la GTP lorsque 10 000 acres ont été prises à même la réserve gouvernementale — un transfert qui avait été négocié en 1904, mais qui n’a été rendu public qu’en 1905 et qui a été officialisé en octobre 1905, quand les concessions de la Couronne ont été enregistrées. Le lot 443 avait été arpenté par la GTP en 1904 (pièce Ex-50, onglet JBD-177). Or, l’arpenteur, J. F. Ritchie, avait commis des erreurs et avait mal situé le coin nord-ouest du lot 443 en le plaçant à l’est de son véritable emplacement (pièce Ex-2, onglet 38). Cette erreur a ensuite été relevée par l’arpenteur général de la Colombie-Britannique et Ritchie a assuré qu’il allait la corriger, mais il ne l’a apparemment pas fait. Quoi qu’il en soit, Barrow a indiqué où devait se trouver le coin du lot 443 lorsqu’il a fixé les limites de la parcelle continentale (lot 991) et il a noté que la limite orientale faisait alors 11 482 pieds, comme il est indiqué ci-dessus (pièce Ex-2, onglet 67). Onze mille quatre cent quatre-vingt-deux (11 482) pieds, c’est 922 pieds de plus que deux milles. Le coin indiqué par Ritchie était donc situé à une distance similaire, mais il ne se trouvait pas dans la bonne direction.

[52] De plus, suivant l’arpentage du lot 443, la limite nord n’était pas tout à fait franc ouest. Ce tracé a été adopté dans les lettres patentes pour éviter de créer un angle entre la limite nord du lot 443 et la limite nord de la parcelle continentale adjacente, soit le lot 991. De ce fait, quelques acres ont peut-être été ajoutées à la superficie décrite dans l’acte de cession, mais l’écart le plus important dans la superficie indiquée dans les lettres patentes subséquemment délivrées à la GTP s’explique par l’augmentation de 922 pieds à la limite orientale, projetée vers l’ouest sur la largeur de la parcelle, créant ainsi un ajout à peu près rectangulaire de 313 acres le long de la limite nord.

2. La rédaction des lettres patentes

[53] Il semble que ce soit l’arpenteur en chef du MAI, Samuel Bray, qui ait rédigé la première version de la description des terres devant figurer dans les lettres patentes. Il a indiqué que la limite orientale de la partie continentale partait du littoral en direction nord sur une distance de deux milles. Il a ensuite écrit que la limite nord s’étendait vers l’est sur 230 chaînes. Or, il s’agissait d’une erreur et il aurait dû être indiqué que la limite nord s’étendait vers l’ouest sur 230 chaînes (pièce Ex-2, onglet 65).

[54] Dans une lettre adressée à Frank Morse, vice-président et directeur général de la GTP, B. B. Kelliher, ingénieur en chef de la GTP, a formulé certains commentaires sur la description. Il a indiqué qu’il [traduction] « propos[ait] d’apporter des changements radicaux à la description » (pièce Ex-2, onglet 70), notamment d’utiliser la laisse de basse mer comme limite le long du littoral, plutôt que la laisse de haute mer, qui était plus communément utilisée (pièce Ex-2, onglet 66) et qui avait été utilisée pour délimiter la réserve. En ce qui concerne la partie continentale, il semble avoir confondu la longueur de la limite nord (230 chaînes) établie par Bray avec la longueur proposée pour la limite orientale. Deux milles équivalent à 160 chaînes ou 10 560 pieds. Quoi qu’il en soit, il a proposé que la limite orientale s’étende jusqu’au coin nord-ouest du lot 443, ce qui, selon lui, représentait une distance de 11 482 pieds, soit 922 pieds de plus que deux milles. Il a également proposé que le relèvement de la limite nord soit rectifié de manière à ce qu’il corresponde à celui de la limite nord du lot 443.

[55] La description a fait l’objet d’autres ajustements et commentaires. Dans un mémoire adressé au sous-ministre et daté du 13 mai 1907, Bray a écrit ce qui suit : [traduction] « il ne semble pas y avoir d’objection à l’adoption de la limite nord de la parcelle située sur le continent, pas plus que pour la limite est de ladite parcelle, telle que décrite par [Kelliher] » (pièce Ex-2, onglet 77). Il a ensuite rejeté la proposition consistant à étendre le littoral jusqu’à la laisse de basse mer, ce qui aurait eu pour effet de déplacer le littoral au-delà de la laisse moyenne de haute mer utilisée pour délimiter la réserve, et a fait remarquer que la ligne tracée par l’ingénieur en chef à la limite nord des terres à transférer sur l’île Digby [traduction] « n’[était] pas conforme à l’acte de cession, car elle se trouve à environ 970 pieds au nord du point indiqué dans ledit acte ». Il a ajouté que [traduction] « [p]our pouvoir accepter le levé d’arpentage et la description de l’ingénieur en chef, il faudrait, à [s]on avis, procéder à une autre cession ». Comme la largeur de l’île Digby à la limite nord est d’un peu moins de 1 300 pieds, on peut conclure que la superficie de l’île Digby visée par le rajustement était, malgré l’extension de 970 pieds de la limite des terres devant être transférées à la GTP, inférieure à celle créée par l’allongement de la limite nord de la parcelle continentale jusqu’à la limite nord du lot 443, soit 922 pieds de plus que deux milles. Il n’a pas été donné suite à cette proposition d’extension de la limite des terres situées sur l’île Digby et il n’en a pas été question dans les lettres patentes délivrées à la GTP.

[56] Le 18 juin 1907, la GTP a cédé ses droits sur les terres cédées à la Grand Trunk Pacific Town and Development Company, une société affiliée à la GTP qui a été constituée le 3 août 1906 à des fins liées à l’aménagement des terres le long du chemin de fer. Le 25 juin 1907, le Canada a délivré des lettres patentes à la Grand Trunk Pacific Town and Developement Company en contrepartie du paiement de 106 200 $ (7,50 $ l’acre x 14 160 acres) (ECF modifié aux para 139-40). (Dans les présents motifs, le terme GTP désignera également ses filiales.)

F. Le libellé des lettres patentes

[57] Dans les lettres patentes délivrées par le Canada le 25 juin 1907, les terres devant être concédées étaient décrites ainsi :

[traduction] […] toutes les parcelles ou étendues de terre situées dans le sud de la réserve indienne Tsimpsean numéro deux, dans le district côtier, dans la province de la Colombie-Britannique, dans le Dominion du Canada, composées d’une partie de l’île Digby, de toute la partie de l’île Kaien se trouvant dans les limites de ladite réserve et d’une partie située sur le continent au nord de ladite île Kaien, ainsi que des îles Lakanian et Lakwilgiapsh, et de huit petites îles adjacentes à l’île Digby et à la partie continentale. Ces îles comprennent toutes les îles adjacentes aux terres susmentionnées qui font partie de ladite réserve indienne et qui peuvent être décrites comme suit :

PREMIÈREMENT : À partir du point sur la partie continentale où la limite est de ladite réserve atteint le bord du chenal entre ladite partie continentale et l’île Kaien; puis, vers le nord le long de ladite limite, sur une distance de onze mille quatre cent quatre-vingt-deux pieds [11 482’] jusqu’à la limite nord du lot numéro 443; puis, en direction sud 89o 40’ 30’’ ouest le long de ladite limite nord du lot 443, prolongée vers l’ouest, sur une distance de plus ou moins quinze mille cinq cent trente pieds [15 530’], jusqu’à une ligne tracée vers le nord astronomique à partir de la laisse de basse mer observée au point le plus à l’ouest de l’île Lakanian; puis, vers le sud le long de ladite ligne, sur une distance de plus ou moins douze mille quatre cents pieds [12 400’] jusqu’au bord du chenal situé entre la partie continentale et l’île Digby; et, vers l’est, en suivant les sinuosités de la rive jusqu’au point de départ, ce qui représente une superficie d’environ quatre mille cinq cent quatre-vingt-douze [4 592] acres de terre.

DEUXIÈMEMENT : À partir de la rive nord-est de l’île Digby, où une ligne tracée vers le sud astronomique à partir de la laisse de basse mer susmentionnée au point le plus à l’ouest de l’île Lakanian touche ladite rive; puis, vers le sud sur ladite ligne sur une distance de plus ou moins mille cinq cent soixante-cinq pieds [1 565’] jusqu’à une ligne tracée vers l’est astronomique à partir de la laisse de haute mer observée au fond de la grande baie située à l’extrémité nord-est de ladite île Digby, connue sous le nom de baie Sh-kgeauk; puis, vers l’ouest astronomique sur ladite ligne sur une distance de plus ou moins mille neuf cents pieds [1 900’] jusqu’à ladite baie et toujours vers l’ouest astronomique sur ladite ligne sur une distance de plus ou moins huit mille huit cents pieds [8 800’] jusqu’à l’endroit où ladite ligne atteint la rive ouest de l’île Digby pour la première fois; puis, vers le sud-est, le nord, l’ouest, le sud-est et le nord-ouest en suivant les sinuosités de la rive de ladite île Digby jusqu’au point de départ, ce qui représente une superficie de plus ou moins six mille huit cent quarante [6 840] acres de terre.

TROISIÈMEMENT : À partir du point sur la rive nord-ouest de l’île Kaien où la limite est de ladite réserve indienne atteint le rivage; puis, vers le sud le long de ladite limite sur une distance de plus ou moins vingt-huit mille quatre cent quarante-six pieds [28 446’] jusqu’à la rive sud-ouest de ladite île Kaien; et, vers le nord-ouest et le nord-est, en suivant les sinuosités de la rive jusqu’au point de départ, ce qui représente une superficie de plus ou moins deux mille six cent quatre-vingts [2 680] acres de terre.

QUATRIÈMEMENT : Dix îles décrites approximativement comme suit : l’île Lakanian susmentionnée, située entre l’île Digby et le continent, dont la superficie est de dix-neuf [19] acres, plus ou moins; l’île Lakwilgiapsh, située au sud de l’île Lakanian, à environ 460 pieds, dont la superficie est de neuf [9] acres, plus ou moins; l’île numéro un, adjacente à la rive de la parcelle de terre décrite en premier lieu ci-dessus, dont la superficie est de dix [10] acres, plus ou moins; l’île numéro deux, située à l’est de l’île Lakanian, à environ 1 000 pieds, dont la superficie est d’une [1] acre, plus ou moins; les îles numéros trois et quatre, adjacentes à la rive est de l’île Digby, dont la superficie est respectivement d’une [1] acre et d’une acre et trois quarts [1,75], plus ou moins; l’île numéro cinq, adjacente à la rive est de la péninsule située au sud de l’île Digby, dont la superficie est d’une demi-acre [0,5], plus ou moins; et enfin les îles numéros six, sept et huit, adjacentes à la rive sud-ouest de l’île Digby, dont la superficie est respectivement d’une acre et trois quarts [1,75], de deux acres et demie [2,5] et d’une acre et demie [1,5], plus ou moins, en réservant sur les terres décrites ci-dessus une superficie n’excédant pas cinq pour cent pour les routes et pour permettre à la Couronne d’exercer son droit de tracer les routes nécessaires; ainsi que tous les droits sur la zone intertidale et les droits d’accès à l’eau pouvant se rattacher aux terres décrites ci-dessus. [Pièce Ex-2, onglet 91]

III. Les questions relatives aux limites

A. Introduction

[58] La revendicatrice estime que la description des terres cédées a été élargie dans les lettres patentes et qu’elle comporte trois différences importantes :

[traduction]

a) Dans les lettres patentes, la limite nord de la parcelle située sur la péninsule Tsimpsean (la « parcelle continentale ») se trouve plus au nord et est alignée [placée] différemment de la limite nord de la parcelle continentale décrite dans l’acte de cession, ce qui a entraîné une augmentation de la taille de cette parcelle de 313 acres;

b) Les lettres patentes comprennent huit petites îles (ou îlots) adjacentes à l’île Digby, lesquelles ne sont pas mentionnées dans l’acte de cession;

c) Les lettres patentes comprennent les îles Lakanian et Lakwilgiapsh, alors que le document de cession n’indique pas clairement si ces îles font partie des terres cédées […] [Observations écrites de la revendicatrice au para 361]

B. Première question relative aux limites — la parcelle continentale

[59] La superficie totale décrite dans les lettres patentes est de 14 160 acres (pièce Ex-2, onglet 91), alors que celle indiquée dans le document de cession est de 13 519 acres (pièce Ex-2, onglet 58; 13 567 acres si on inclut la superficie des îles). Selon les lettres patentes, la parcelle continentale couvre 4 592 acres, soit 352 acres de plus que la superficie de 4 240 acres établie par Tuck lors de son premier arpentage. Il est normal que l’arpentage plus récent de Barrow révèle une superficie différente, mais cette différence tient essentiellement au fait que 313 acres ont été ajoutées à la parcelle en faisant coïncider la limite nord de la parcelle avec la limite nord du lot 443, située 922 pieds au-delà des deux milles indiqués dans le document de cession (pièce Ex-5 aux pp 12-13 (rapport d’expert de Blair Smith, arpenteur-géomètre de la Colombie-Britannique et du Canada présenté par la revendicatrice (rapport Smith))).

[60] Les superficies indiquées dans les lettres patentes sont fondées sur des données d’arpentage plus récentes que celles recueillies par Tuck lors du premier arpentage de la réserve, et la superficie de l’île Kaien indiquée dans ces lettres compte 101 acres de plus que la superficie utilisée dans l’acte de cession. Quant à la superficie de l’île Digby, elle dépasse de 140 acres celle indiquée dans l’acte de cession. En ce qui concerne la parcelle de l’île Kaien et celle de l’île Digby, les écarts par rapport à la superficie indiquée dans l’acte de cession sont de 2,1 % et de 3,8 %, respectivement. Dans le cas de la parcelle continentale, la superficie convenue dans les lettres patentes dépassait de 352 acres celle indiquée dans l’acte de cession, soit un écart de 7,6 %.

[61] Je tiens à souligner que la superficie est une valeur calculée et bien qu’elle puisse être calculée de manière précise quand les limites sont artificielles (p. ex. des lignes droites entre points connus), [traduction] « [i]l peut être difficile de déterminer la superficie totale d’une parcelle de terre lorsque la limite suit […] une limite naturelle » (pièce Ex-5 à la p 8 (rapport Smith)).

[62] Dans le cas de la parcelle de l’île Digby, le périmètre correspond à une limite naturelle (la ligne de haute mer autour de l’île), bien plus que dans le cas de la parcelle continentale, ce qui pourrait expliquer l’écart plus prononcé entre les deux levés d’arpentage. En effet, les limites de la partie continentale sont artificielles sur trois côtés; par conséquent, le fait qu’il y ait un net écart entre les superficies établies pour la partie continentale vient confirmer que 313 acres ont été ajoutées le long de la limite nord à l’étape de la cession et qu’elles ont été prises en compte dans le calcul de la superficie au moment de la rédaction de la description utilisée pour les lettres patentes.

C. Deuxième question relative aux limites — les îles Lak-Anian et Lak-Wilgiapsh

[63] Pour déterminer si les îles Lak-Anian et Lak-Wilgiapsh (les îles « L ») doivent être incluses dans la cession aux termes des lettres patentes, il faut se demander si la description de ces îles figurant dans l’acte de cession était suffisante par rapport à la véritable description donnée dans les lettres patentes.

[64] Le rapport Smith fait état des lacunes constatées dans la description figurant dans l’acte de cession à la lumière des pratiques d’arpentage reconnues pour décrire des parcelles de terre. Dans son rapport, Blair Smith définit ainsi la description d’une terre : [traduction] « il s’agit de l’énoncé le plus précis que des rédacteurs d’actes translatifs de propriété responsables peuvent formuler en mots et en diagrammes pour décrire la parcelle » (pièce Ex-5 à la p 6, citant Survey Law in Canada, Carswell, 1989, au para 4.92).

[65] Les descriptions comportent habituellement deux parties : le préambule et le corps de la description. Les parcelles de terre à décrire sont identifiées dans le préambule et les limites de ces parcelles sont décrites dans le corps de la description (pièce Ex-5 à la p 6).

[66] Dans le cas de la description contenue dans l’acte de cession, le préambule fait référence à l’île Kaien, à l’île Digby et aux parties continentales de la réserve, mais pas aux îles « L » ni aux huit autres petites îles (îlots) incluses dans les lettres patentes. Dans le corps de la description, les limites de ces trois parcelles sont établies et, pour la première fois, il est question des îles « L » dans la description d’une ligne nord-sud utilisée pour définir la limite ouest de la partie continentale et une partie de la limite nord de la parcelle de l’île Digby. La ligne est ainsi décrite dans la cession : [traduction] « une ligne allant vers le nord à partir de la rive du continent qui — lorsqu’elle est prolongée vers le sud à travers le passage Venn — se trouve immédiatement à l’ouest des [îles « L »] (pièce Ex-2, onglet 58).

[67] Non seulement il est fait mention des îles « L » dans cette description de la ligne nord-sud, mais il est également précisé ce qui suit : [traduction] « […] de sorte que ces îles sont incluses dans la partie devant être cédée ».

[68] Les îles « L » se trouvent au large, tout près de la parcelle continentale; or, le périmètre de cette parcelle est décrit en fonction des limites établies sur le continent et les îles « L » ne se situent pas à l’intérieur de ce périmètre. Les îles « L » auraient pu être dûment incluses si elles avaient été présentées dans le préambule comme une parcelle distincte à céder. Le passage « de sorte que ces îles sont incluses », combiné au préambule, aurait sans doute été suffisant, bien que peu éloquent. Il reste à savoir si cette erreur dans la description contenue dans l’acte de cession fait en sorte que les îles ne sont pas dûment incluses dans la cession à la Couronne et ont été incluses à tort dans les lettres patentes qui ont suivi.

D. Troisième question relative aux limites — les îles numérotées

[69] L’acte de cession fait référence aux îles « L », précédemment décrites, mais ne fait pas mention des huit autres îles décrites dans les lettres patentes (les îles numérotées, les îles nos 1 à 8). Ces îles sont décrites ainsi :

[traduction] l’île numéro un, adjacente à la [parcelle continentale], dont la superficie est de dix acres, plus ou moins; l’île numéro deux, située à l’est de l’île Lakanian […] [suit ensuite la description des îles trois à huit, adjacentes à l’île Digby]. [Pièce Ex-2, onglet 91]

[70] Bien qu’il ne soit pas question des îles nos 1 à 8 dans l’acte de cession, le Canada affirme qu’une lettre de rapport rédigée par A. W. Vowell, le surintendant des Indiens de la Colombie-Britannique qui a accepté la cession et l’a transmise à Frank Pedley, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, révèle l’intention de céder six de ces huit îles. Voici ce qu’a écrit Vowell :

[traduction] Je pourrais ajouter à ce sujet qu’à la demande spéciale de M. Russell, qui agit au nom de la Grand Trunk Pacific Railway Company, il a été bien expliqué aux Indiens que la cession englobait tous les îlots immédiatement contigus à cette partie de l’île Digby décrite aux présentes, ce qu’ils ont accepté sans aucune restriction. [Pièce Ex-2, onglet 55]

[71] Selon le Canada, le rapport de Vowell constitue une preuve suffisante de la cession des îles nos 3 à 8 et permet de justifier la translation par lettres patentes. Le Canada concède que les îles nos 1 et 2 se trouvent à une certaine distance de l’île Digby et qu’elles sont en réalité bien plus près de la parcelle continentale, de sorte que le rapport de Vowell ne peut pas être considéré comme l’expression de l’intention de céder ces îles.

[72] Je constate ce qui suit :

  1. L’acte de cession ne fait référence à aucune autre île que les îles Kaien, Digby et « L ».

  2. Il est difficile de comprendre ce que Vowell entendait par [traduction] « îlots immédiatement contigus à […] l’île Digby ». Le mot « contigu » signifie généralement « adjacent » et il ne se prête pas à la gradation : par définition, les îles sont distinctes. Dans certains dictionnaires, le mot peut également signifier [traduction] « à proximité ». Mais que signifie « immédiatement contigu »? Par ailleurs, Vowell ne précise pas le nombre d’îlots à inclure dans la cession et lorsqu’on examine l’île Digby, on constate qu’il y a plus de huit îlots.

  3. De l’aveu du Canada, les deux premières des huit îles ne correspondent pas à la description donnée par Vowell.

E. La position de la revendicatrice

[73] La revendicatrice affirme que les principes d’interprétation des limites énoncés dans le rapport d’arpentage de Blair Smith (rapport Smith) devraient permettre de déterminer avec précision quelles terres ont été cédées à la Couronne dans le cadre de la cession du 17 août 1906. Plus précisément, il est inapproprié d’utiliser un terme comme « environ » ou « plus ou moins » pour décrire la limite orientale de la parcelle continentale, en indiquant qu’elle s’étend sur [traduction] « environ deux (2) milles » de la rive du havre de Prince Rupert jusqu’au coin nord-est de la parcelle, car ces mots ne devraient être que des éléments d’information permettant d’indiquer une distance approximative entre deux points fixes qui sont par ailleurs spécifiés dans la description. Par conséquent, l’expression [traduction] « environ deux (2) milles » doit être interprétée comme limitant la distance à un maximum de deux milles. Autrement, la distance devient inutile quand vient le temps de définir la frontière (pièce Ex-5 à la p 9).

[74] La revendicatrice soutient également que rien ne permet raisonnablement de conclure que la ligne du lot 443, alors nouvellement créé, figurant sur la carte produite par le représentant de la GTP, Russell, dans le cadre des négociations, ait servi à déterminer la longueur de la limite orientale de la parcelle continentale (observations écrites de la revendicatrice au para 422).

[75] En ce qui concerne les îles « L », la revendicatrice affirme que le fait que les principes de description n’aient pas été respectés lorsqu’il a été question des îles « L » dans l’acte de cession devrait entraîner leur exclusion de la cession. Plus précisément (observations écrites de la revendicatrice au para 438) :

  1. le préambule ne caractérise pas les îles comme une parcelle distincte;

  2. la description de la parcelle continentale est complète; or les îles ne sont pas incluses dans le périmètre de la parcelle;

  3. le fait que les îles soient mentionnées laisse croire qu’elles doivent être incluses dans la parcelle continentale alors que, par définition, elles n’en font pas partie.

[76] Enfin, les îles nos 1 à 8, lesquelles sont incluses dans les lettres patentes, ne sont pas mentionnées dans l’acte de cession, et la preuve extrinsèque contenue dans la lettre du surintendant Vowell quant au fait que les parties étaient disposées à céder les îles immédiatement contiguës à l’île Digby ne devrait pas être considérée comme déterminante à cet égard.

F. La position de l’intimé

[77] Le Canada soutient que le Tribunal [traduction] « doit examiner l’intention des parties à la cession pour déterminer ce qu’elles avaient l’intention de céder » et que « Metlakatla avait l’intention de céder la totalité de la parcelle continentale décrite dans les lettres patentes, ainsi que les îles Lakanian et Lakwilgiapsh [les îles « L »] et les îles numérotées 3 à 8 » (observations écrites de l’intimé au para 389). Il admet par ailleurs que Metlakatla n’avait pas l’intention de céder les îles numérotées 1 et 2.

[78] Le Canada cite l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1995 CanLII 50 (CSC), [1995] 4 RCS 344 aux para 6-7, 130 DLR (4e) 193 [Rivière Blueberry], rédigé par le juge Gonthier :

[…] les principes généraux du droit des biens en common law ne sont pas utiles dans le contexte du présent pourvoi. Puisque le titre indien sur les réserves a un caractère sui generis, il serait fort malencontreux que les exigences de forme de la common law en matière de transfert foncier viennent frustrer l’intention des parties, tout particulièrement celle de la bande […] il faut laisser l’intention des membres de la bande produire ses effets juridiques.

[…] En conséquence, il est préférable de s’en remettre à l’intention des membres de la bande et à leur compréhension de la situation […] plutôt que de conclure que, quelle qu’ait été cette intention, c’est par [les] règles et autres formalités procédurales applicables aux transferts fonciers […] qu’est invalidée la cession […] À mon avis, dans l’examen des effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, il ne faut pas oublier que, compte tenu du caractère sui generis du titre autochtone, les tribunaux doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l’objet véritable de ces opérations.

[79] Le Canada invoque également la décision rendue par le juge Newbury (Osoyoos Indian Band v Oliver (Town), 1999 BCCA 297 au para 93), citée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85 au para 44, [2001] 3 RCS 746 [Osoyoos], pour faire valoir :

[traduction] […] « [qu’]une approche non formaliste peut être justifiée » même en matière d’expropriation et qu’on ne doit généralement pas permettre à la forme de « l’emporte[r] […] sur le fond » dans tous les cas où des droits indiens peuvent être touchés. [Caractères gras dans l’original; observations écrites de l’intimé au para 393]

[80] Le Canada affirme que la carte marquée d’un « A » et la lettre de rapport que Vowell a envoyée à Pedley pour lui signaler que la bande avait été informée que [traduction] « tous les îlots immédiatement contigus à cette partie de l’île Digby » étaient inclus dans la cession, ce à quoi elle avait consenti, constituent une preuve extrinsèque fiable pour établir l’intention de Metlakatla et qu’elles devraient être prises en compte dans l’interprétation de l’accord de cession, comme l’a fait David Hardwicke dans son témoignage et son rapport intitulé « On the Question of Intent: A report on various issues arising from the August 17, 1906 Written Surrender of certain S ½ Tsimpsean Indian Reserve No. 2 lands » ([traduction] « À propos de l’intention : un rapport portant sur diverses questions soulevées par l’acte du 17 août 1906 par lequel certaines terres de la partie sud de la réserve indienne Tsimpsean no 2 ont été cédées »), daté du 19 juillet 2018 (observations écrites de l’intimé au para 413; pièce Ex-7 à la p 24).

[81] Par ailleurs, le Canada affirme que, puisque les éléments de preuve faisant état des circonstances sont admissibles aux fins de l’interprétation de l’intention, suivant l’arrêt Sattva Capital Corp c Creston Moly Corp, 2014 CSC 53, [2014] 2 RCS 633, les deux sources — la carte A et la lettre de Vowell — peuvent servir à interpréter les termes de la cession.

G. La preuve des experts

[82] Il y a plusieurs différences entre la preuve de Blair Smith et celle de David Hardwicke, tous deux arpenteurs experts. Blair Smith a témoigné pour la revendicatrice et David Hardwicke a été appelé à témoigner par le Canada. Ils ont notamment parlé de la discipline que requiert la description d’une propriété lors de la rédaction de documents légaux ayant trait à des parcelles de terre, et de l’interprétation des descriptions contenues dans ces documents.

[83] Les terres qui ont finalement été transférées à la GTP par lettres patentes ont d’abord été décrites dans le compte rendu manuscrit de la résolution de Metlakatla, consigné par l’agent des Indiens Morrow le 7 février 1906 (pièce Ex-2, onglet 42). Ensuite, il semble que la motion ait été reformulée, dactylographiée et certifiée par l’agent des Indiens Morrow, probablement avec l’aide de l’agent des terres de la GTP, E. G. Russell (pièce Ex-2, onglet 43).

[84] Une autre description pertinente a été rédigée aux fins de la cession officielle, laquelle a été acceptée suivant la procédure énoncée à l’article 39 de l’Acte des Sauvages de 1886 (pièce Ex-2, onglet 58). Elle a été rédigée par le surintendant des Indiens de la Colombie-Britannique, A. W. Vowell, qui a essentiellement repris la description figurant dans la copie dactylographiée de la résolution. Il a présenté la description sur un formulaire imprimé conçu pour une cession en vertu de l’article 39 et s’est rendu à Metlakatla pour assister à une assemblée réunissant la plupart des membres adultes de la bande les 16 et 17 août 1906. Il a recueilli les signatures des membres présents et a fait en sorte que les déclarations accompagnant la cession soient présentées sous serment devant un magistrat stipendiaire. C’est donc sur ce document qu’il faut surtout se concentrer pour interpréter ce qui a été cédé, plutôt que sur ce qui a ensuite été transféré par lettres patentes.

H. Analyse

[85] Les trois questions qui sous-tendent la position de la revendicatrice sur les limites sont de savoir :

  1. si la partie continentale de la réserve décrite dans les lettres patentes incluait les terres adjacentes à la limite nord de la parcelle, lesquelles n’étaient pas mentionnées dans l’acte de cession;

  2. si les îles « L » étaient incluses dans la cession;

  3. si les petites îles, numérotées de 3 à 8, étaient visées par la cession.

[86] Les descriptions d’arpentage contenues dans les lettres patentes suivent clairement les règles traditionnelles d’interprétation, sans la moindre ambiguïté. Dans le préambule, les quatre régions sont présentées et, grâce à des descriptions plus techniques des limites, il est possible de localiser chacune des parcelles. Les périmètres sont ainsi décrits avec précision, passant d’un point à l’autre jusqu’à revenir au point de départ.

[87] Dans le cas de l’acte de cession, le texte ne suit pas de règles strictes. En effet, dans la description de la parcelle continentale, la longueur de la limite orientale est indéterminée — environ deux milles — et n’est pas étayée par la mention d’un point fixe (comme le coin nord-ouest du lot 443) ni par un croquis précisant la distance.

[88] Le fait que les îles « L » soient mentionnées laisse croire qu’elles sont incluses dans la parcelle continentale, ce qui n’est pas le cas, puisqu’elles se trouvent au large, à l’extérieur du périmètre de la parcelle continentale.

[89] Par ailleurs, il n’y a aucune mention des petites îles, numérotées de 3 à 8, dans l’acte de cession.

[90] L’acte de cession présente des lacunes, mais le Canada soutient qu’il est possible de suppléer au libellé de la cession par une preuve extrinsèque des circonstances de l’intention de la bande, laquelle aurait notamment consisté à fixer le point le plus au nord de la limite orientale au coin nord-ouest du lot 443 — un lot provenant de la réserve provinciale (observations écrites de l’intimé au para 408). Selon lui, le fait que le croquis « A » a été mentionné lors des négociations menées du 1er au 7 février 1906 avec les membres de la bande le montre clairement. En ce qui concerne les îles « L », le Canada soutient que le passage [traduction] « de sorte que ces îles sont incluses dans la partie devant être cédée » permet de conclure qu’elles étaient visées par la cession, et ce, malgré les difficultés liées aux formalités de la description (observations écrites de l’intimé au para 473).

I. La cession des terres de réserve

[91] Les articles 38 à 41 de l’Acte des Sauvages de 1886 sont ainsi rédigés :

38. Nulle réserve ou partie de réserve ne pourra être vendue, aliénée ou affermée avant d’avoir été cédée ou abandonnée à Sa Majesté pour les objets prévus au présent acte[.]

39. Nulle cession ou abandon d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou de tout sauvage individuel, ne sera valide ou obligatoire qu’aux conditions suivantes : —

(a.) La cession ou l’abandon sera ratifié par l[a] majorité des hommes de la bande qui auront atteint l’âge de vingt et un ans révolus, à une assemblée ou un conseil convoqué à cette fin conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d’un officier régulièrement autorisé par le Gouverneur en conseil ou le surintendant général à y assister; mais nul sauvage ne pourra voter ou assister à ce conseil s’il ne réside habituellement sur la réserve en question ou près de cette réserve, et s’il n’y a un intérêt;

(b.) Le fait que la cession ou l’abandon a été consenti par la bande à ce conseil ou assemblée devra être attesté sous serment devant un juge d’une cour supérieure, cour de comté ou de district, ou devant un magistrat stipendiaire, par le surintendant général ou par l’officier autorisé par lui à assister à ce conseil ou assemblée, et par l’un des chefs ou des anciens qui y aura assisté et aura droit de vote; et après que ce consentement aura été ainsi attesté, la cession ou l’abandon sera soumis au Gouverneur en conseil, pour qu’il l’accepte ou le refuse. 43 V., c. 28, art. 37.

40. Rien dans le présent acte n’aura l’effet de confirmer une cession ou un abandon qui, sans le présent acte, aurait été nul, et nulle cession ou abandon d’une réserve ou portion d’une réserve à une personne autre que Sa Majesté ne sera valide. 43 V., c. 28, art. 39.

41. Toutes les terres des sauvages qui sont des réserves ou des parties de réserves cédées ou qui seront cédées à Sa Majesté, seront réputées possédées aux mêmes fins qu’avant la sanction du présent acte, et seront administrées, affermées et vendues selon que le Gouverneur en conseil le prescrira, sauf les conditions de la cession et les dispositions du présent acte. 43 V., c. 28, art. 40.

[92] Il ressort clairement de ces articles qu’une cession faite conformément à la procédure indiquée dans l’Acte des Sauvages est un transfert officiel à la Couronne qui doit être attesté sous serment par le surintendant général ou son représentant et un représentant de la bande avant d’être « soumis au Gouverneur en conseil, pour qu’il l’accepte ou le refuse ».

1. L’obligation de la Couronne sur réception d’une cession

[93] Le titre sur les terres de réserve est sui generis ou [traduction] « de son propre genre ou de sa propre espèce » (Black’s Law Dictionary, 10e éd deluxe, sous l’entrée « sui generis »).

[94] À la page 382 de l’arrêt Guerin c R, 1984 CanLII 25 (CSC), [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4e) 321, le juge Dickson s’est prononcé sur la nature du titre sur les terres de réserve et sur le rôle qui incombe à la Couronne lorsqu’elle agit pour le compte de la bande en vertu des dispositions législatives relatives aux cessions :

Les Indiens ont le droit, en common law, d’occuper et de posséder certaines terres dont le titre de propriété est finalement détenu par Sa Majesté. Bien que leur droit n’équivaille pas, à proprement parler, à un droit de propriété à titre bénéficiaire, sa nature n’est pas définie complètement par la notion d’un droit personnel. Il est vrai que le droit sui generis des Indiens sur leurs terres est personnel en ce sens qu’il ne peut être transféré à un cessionnaire, mais il est également vrai, comme nous allons le constater plus loin, que ce droit, lorsqu’il est cédé, a pour effet d’imposer à Sa Majesté l’obligation de fiduciaire particulière d’utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées. Ces deux aspects du titre indien vont de pair, car, en stipulant que le droit des Indiens ne peut être aliéné qu’à elle-même, Sa Majesté voulait au départ être mieux en mesure de représenter les Indiens dans les négociations avec des tiers. Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d’administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu’il y a eu cession de ce droit. Toute description du titre indien qui va plus loin que ces deux éléments est superflue et risque d’induire en erreur.

[95] Et, aux pages 383 et 384 :

Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. Cet objet ressort nettement de la Proclamation royale elle-même qui porte, au début de la disposition qui fait de Sa Majesté un intermédiaire, « qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement de ces derniers… » En confirmant dans la Loi sur les Indiens cette responsabilité historique de Sa Majesté de représenter les Indiens afin de protéger leurs droits dans les opérations avec des tiers, le Parlement a conféré à Sa Majesté le pouvoir discrétionnaire de décider elle-même ce qui est vraiment le plus avantageux pour les Indiens. Tel est l’effet du par. 18(1) de la Loi.

Ce pouvoir discrétionnaire, loin de supplanter comme le prétend Sa Majesté, le droit de regard qu’ont les tribunaux sur les rapports entre Sa Majesté et les Indiens, a pour effet de transformer l’obligation qui lui incombe en une obligation de fiduciaire. Le professeur Ernest Weinrib soutient dans son article intitulé The Fiduciary Obligation (1975), 25 U.T.L.J. 1, à la p. 7, que [traduction] « la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ». À la page 4, il exprime ce point de vue de la manière suivante :

[traduction] [Lorsqu’il y a une obligation de fiduciaire] il existe un rapport dans lequel la manière dont le fiduciaire se sert du pouvoir discrétionnaire qui lui a été délégué peut avoir des répercussions sur les droits du commettant qui sont donc subordonnés à l’utilisation qui est faite dudit pouvoir. L’obligation de fiduciaire est le moyen brutal employé en droit pour contrôler ce pouvoir discrétionnaire.

[96] Aux paragraphes 43 à 46 de l’arrêt Osoyoos, la Cour suprême précise que trois facteurs confèrent de l’importance à une cession :

  1. le caractère sui generis ou particulier que revêt le fait que les terres de réserve sont détenues collectivement;

  2. le fait que nul ne peut unilatéralement ajouter des terres à la réserve ou remplacer de telles terres;

  3. le fait que le droit foncier autochtone est davantage qu’un simple bien fongible et qu’un « tel droit comporte généralement un aspect culturel important, qui reflète les rapports entre la collectivité autochtone concernée et le territoire […] ».

[97] Dans l’arrêt Osoyoos, la prise en compte de ces facteurs a mené aux conclusions suivantes :

Des terres peuvent être exclues d’une réserve avec la participation de la Couronne, qui a une obligation de fiduciaire envers la bande visée […] Un fiduciaire est tenu à une norme élevée de diligence. Pour cette raison et compte tenu des principes susmentionnés, il doit y avoir une intention claire et nette pour que l’on puisse conclure que des terres ont été exclues d’une réserve [au para 47].

2. L’interprétation de la cession

[98] Pour interpréter la cession, il faut d’abord examiner l’acte de cession. Toutefois, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que la cession des terres de réserve constitue un transfert d’un titre de son propre genre ou de sa propre espèce et que les « exigences de forme de la common law en matière de transfert foncier » ne devraient pas venir « frustrer l’intention des parties » (Rivière Blueberry au para 6). Les peuples autochtones ont un droit sui generis sur leurs réserves (Rivière Blueberry, la juge McLachlin, au para 91). Les « tribunaux doivent [donc] faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l’objet véritable de ces opérations » (je souligne; Rivière Blueberry, le juge Gonthier, au para 7). Par conséquent, dans un tel contexte, il faut interpréter la cession d’une manière qui soit conforme à la notion de l’objet véritable proposée par le juge Gonthier.

[99] Dans l’arrêt Rivière Blueberry, les « exigences de forme de la common law en matière de transfert foncier » énoncées par le juge Gonthier reposaient sur le fait que, en common law, la cession des droits tréfonciers, en 1940, aurait eu pour effet d’empêcher que tous les droits afférents aux terres de réserve soient cédés en 1945. Le juge Gonthier a donc conclu qu’il était préférable de s’en « remettre à l’intention des membres de la bande et à leur compréhension de la situation en 1945, plutôt que de conclure que, quelle qu’ait été cette intention, c’est par un coup de chance — résultant de règles et autres formalités procédurales applicables aux transferts fonciers [sans lien avec la cession de 1940] — qu’est invalidée la cession des droits miniers en 1945 » (Rivière Blueberry au para 7). Toujours dans l’arrêt Rivière Blueberry, le juge Gonthier a finalement donné gain de cause à la bande en affirmant que la cession avait été conclue aux fins de vendre ou de louer les terres et que, dans les circonstances, il aurait été judicieux de conserver et de louer les droits tréfonciers.

[100] Le juge Gonthier s’est prononcé au nom d’une majorité de 4 juges contre 3. Dans une décision minoritaire, la juge McLachlin a donné gain de cause à la bande en affirmant que la cession des droits tréfonciers qui avait été conclue en 1940 avait eu pour effet de retrancher ces droits, de sorte qu’il était impossible en 1945 de céder des droits déjà transférés. La juge McLachlin s’est fondée sur le principe de common law nemo dat quod non habet (« nul ne peut donner ce qu’il n’a pas », Black’s Law Dictionary, 4e éd révisée, sous l’entrée « nemo dat quod non habet ») pour exclure les droits tréfonciers du transfert de 1945 alors que le juge Gonthier a, quant à lui, évité d’appliquer ce principe afin de donner plein effet à la cession de 1945.

[101] Le juge Gonthier a toutefois formulé la mise en garde suivante (Rivière Blueberry au para 14) : « Je tiens à ajouter que j’hésiterais à donner effet à cette modification de cession si je croyais que la bande n’en avait pas bien saisi les conditions, ou si la conduite de la Couronne avait, d’une manière ou d’une autre, vicié les négociations au point qu’il serait hasardeux de tenir pour acquis que la bande avait bien compris la situation et avait eu l’intention de faire ce qu’elle a fait. »

[102] Je tiens à souligner qu’en l’espèce, l’intimé n’a fait valoir aucune exigence du droit des biens en common law qui aurait pour effet de frustrer l’intention des parties à la cession, comme le principe nemo dat qui aurait pu faire échouer la cession de 1945 dans l’affaire Rivière Blueberry. L’intimé soutient plutôt qu’il convient de combler les lacunes relevées dans la cession, notamment en ce qui concerne la description de la parcelle continentale et des îles « L », et en ce qui concerne la non-inclusion des îles numérotées 1 à 8 et des îles « L » décrites dans les lettres patentes, en examinant la preuve extrinsèque qu’il présente au moyen de la carte A et de la lettre rédigée par le surintendant Vowell, qui — selon lui — établit la véritable intention des parties, sauf en ce qui concerne les îles nos 1 et 2. La Couronne convient qu’il est impossible de cerner, à la lecture de ces documents, la « véritable intention » des parties à l’égard des îles nos 1 et 2 mentionnées dans les lettres patentes. Il convient ici de déterminer l’intention en se livrant à un exercice qui va au-delà d’une simple interprétation de l’acte de cession et, vu que le juge Gonthier a indiqué qu’il fallait « faire abstraction des restrictions habituelles qui sont imposées par la common law » et donner effet à « l’objet véritable » de la cession, l’intimé encourage le Tribunal à tenir compte de la preuve extrinsèque.

[103] En prenant la peine d’examiner la preuve d’intention sous cet angle, je constate ce qui suit :

  1. La preuve relative à la limite nord de la parcelle continentale ne permet pas d’établir que l’intention était bien de rejoindre la limite nord du lot 443. La carte A n’est pas un document digne de foi et ne peut pas étayer cette conclusion. Il a été noté que la jonction des deux moitiés de la carte laissait à désirer et que les données présentées étaient inexactes. La carte ne fait aucune mention du lot 443, dont les limites n’auraient de toute façon pas été connues. La thèse selon laquelle le trait — léger et incomplet — qui s’étend vers l’est de la limite nord de la parcelle continentale s’arrête là où se trouve le coin nord-est de la parcelle, qui coïncide avec le coin nord-ouest du lot 443, n’est pas convaincante. Si tel était le cas, pourquoi le numéro du lot, soit le lot 443, n’aurait-il pas été inscrit?

En outre, il ressort de la preuve que le MAI et la GTP ont tous deux considéré que la distance de deux milles correspondait à la longueur de la limite. Sur la copie de la cession qui est conservée dans le registre foncier du MAI, l’adverbe « environ » a été radié, et il est écrit « deux milles » sur le plan d’arpentage de la réserve préparé par Tuck (pièce Ex-5, pièce jointe 3, le cercle rouge indiquant [traduction] « deux milles » a été ajouté). Voir la carte suivante. La première ébauche des lettres patentes rédigées par l’arpenteur en chef Bray reprend la distance de deux milles et une carte produite par la GTP en 1906 montre une dénivellation entre la limite nord du lot 443 et la limite nord de la parcelle continentale (pièce Ex-5, pièce jointe 11).

Pièce Ex-5, pièce jointe 3, le cercle rouge indiquant [TRADUCTION] « deux milles ».

Carte de la péninsule Tsimpsean produite par la GTP en 1907 (pièce Ex-5 (rapport Smith), pièce jointe 11)

  1. Contrairement aux îles « L », les îles nos 3 à 8 ne sont pas du tout mentionnées dans la cession. Dans sa lettre, Vowell fait référence aux îles [traduction] « immédiatement contiguës » à l’île Digby, mais les deux premières de ces îles qui ont par la suite été mentionnées dans les lettres patentes se trouvent à proximité de la parcelle continentale, et non de l’île Digby. Il y a plus de six autres îles à proximité de l’île Digby et Vowell ne donne aucune indication précise sur ces six autres îles énumérées dans les lettres patentes. Je ne crois pas que le témoignage de Vowell à cet égard suffise à prouver l’inclusion de ces six îles et je crois qu’il serait imprudent de s’appuyer sur celui-ci pour confirmer que six des huit îles énumérées dans les lettres patentes étaient incluses dans la cession, comme le prétend le Canada.

  2. Cependant, à mon avis, l’intention d’inclure les îles « L » dans la cession est suffisamment claire pour justifier leur inclusion dans les lettres patentes. Cette intention ressort des termes mêmes de la cession, et non de l’examen d’une preuve extrinsèque. En fait, aucune preuve extrinsèque n’a été présentée pour justifier leur inclusion dans la cession. Les règles rigoureuses applicables à la description des terres ne sont pas respectées dans la description figurant dans l’acte de cession, mais le passage [traduction] « de sorte que ces îles sont incluses dans la partie devant être cédée » est suffisamment explicite pour pallier la lacune rédactionnelle relevée par Blair Smith et pour justifier l’inclusion subséquente des îles « L » dans les lettres patentes selon une interprétation des mots employés dans l’acte de cession.

3. Rivière Blueberry

[104] Il faut interpréter l’arrêt Rivière Blueberry dans son contexte. Les faits de cet arrêt se distinguent de ceux de la présente affaire. Dans cet arrêt, les juges majoritaires ont conclu qu’il ressortait clairement du libellé de la cession et de la preuve extrinsèque que l’intention était de transférer le titre de propriété absolue, et que l’application du principe nemo dat aurait fait obstacle à la cession. En l’espèce, l’acte de cession présente des lacunes et la preuve extrinsèque ne constitue vraisemblablement pas une expression claire de la compréhension et de l’intention de la bande.

4. L’avis de David Hardwicke sur l’intention

[105] Il appartient habituellement au tribunal de déterminer si la preuve extrinsèque est appropriée dans un cas particulier et s’il doit se fier à cette preuve. Les conclusions que David Hardwicke a tirées sur l’intention dans son rapport du 19 juillet 2018 sont fondées sur la directive que lui ont donnée les avocats, c’est-à-dire donner son avis [traduction] « en tant qu’arpenteur expert, sur ce qu’étaient la compréhension et l’intention véritables de Metlakatla à l’égard de [la] cession » (souligné dans l’original; pièce Ex-7 à la p 6), et David Hardwicke prétend avoir analysé la preuve pour pouvoir se prononcer sur la compréhension et l’intention véritables.

[106] Dans son rapport en réplique daté du 19 juillet 2018, Blair Smith donne un avis différent (pièce Ex-6 à la p 4) : [traduction] « À mon avis, les arpenteurs ne possèdent pas les connaissances, la formation ou l’expertise particulières leur permettant d’appliquer le “critère juridique de Gonthier”, décrit aux pages 5 et 6 du rapport Hardwicke, pour déterminer quelle est la véritable compréhension et la véritable intention d’une Première Nation dans une cession de terres. Il n’appartient pas à l’arpenteur de déterminer ce qu’a réellement compris la partie et quelle était son intention à l’égard d’une limite autorisée. » Je suis également de cet avis. Il est de la compétence du tribunal de comprendre la portée du pouvoir légal et de cerner une chose telle que l’intention, ce qui nécessite d’interpréter un document et de voir ce qui se dégage de la preuve extrinsèque. Outre les cas où les connaissances de nature technique d’un expert — qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience du tribunal — peuvent aider le juge à former un jugement juste, la preuve d’expert ne devrait pas être acceptée (R c Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), 1994 CSC 80, [1994] 2 RCS 9).

[107] La question de l’intention relève tout particulièrement de l’expérience du Tribunal et, dans un cas comme celui en l’espèce, où il faut déterminer ce que certains membres profanes de la bande ont pu comprendre, que ce soit en lisant la lettre de Vowell ou en consultant le croquis cartographique présenté par E. G. Russell au cours des négociations menées du 1er au 7 février 1906, les connaissances techniques des arpenteurs ne sont guère utiles. Dans son rapport, David Hardwicke a ensuite proposé une interprétation d’un commentaire de la main de Vowell, fortement décoloré et biffé, figurant sur la seule copie restante de la carte A. Je comprends que Hardwicke essayait de partager son opinion puisqu’il était familier avec les descriptions de terres et qu’il pensait aider en donnant quelques pistes de solution, mais ce faisant, il a contredit un expert en grapho-analyse et tout cela, pour rien, car selon l’un ou l’autre des experts, le texte ne comportait aucun mot ayant un sens technique particulier et le commentaire était incompréhensible. Il n’a pas fait preuve de retenue lorsqu’il s’est prononcé.

5. L’obligation de fiduciaire du Canada lors d’une cession

[108] La Couronne soutient que la réserve de 1892, la RI no 2, était provisoire jusqu’à ce que la province la cède au Canada à la suite du règlement conclu en 1938 concernant l’intérêt réversif revendiqué par la province et du transfert au gouvernement fédéral des terres de réserve de la Colombie-Britannique, et qu’elle n’était pas assujettie à l’Acte des Sauvages (observations écrites de l’intimé au para 566).

[109] Les actes posés par la Couronne ne s’accordent pas avec cet argument. La Couronne a toujours agi comme si l’Acte des Sauvages s’appliquait aux cessions des terres de réserve. Elle a administré la réserve comme si elle faisait partie de l’agence de Tsimpsean et a informé l’agent des Indiens que le ministère ne voyait aucune objection à ce que le représentant de la GTP [traduction] « [lui] rend[e] visite pour discuter de ce projet avec [lui] et avec les Indiens », ce qui a mené aux négociations tenues du 1er au 7 février 1906. La procédure de cession était conforme à l’Acte des Sauvages, au même titre que les cessions de terres de réserve réalisées dans les autres provinces. Or, il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur l’Acte des Sauvages pour conclure que la Couronne devait, à titre de fiduciaire, gérer les terres indiennes cédées de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. Cette obligation de fiduciaire est née bien avant la première loi sur les Indiens et elle est décrite dans la Proclamation royale de 1763.

[110] Comme il est expliqué au paragraphe 94 des présents motifs, le juge Dickson a souligné dans l’arrêt Guerin que le droit sui generis des Indiens sur leurs terres, « lorsqu’il est cédé, a pour effet d’imposer à Sa Majesté l’obligation de fiduciaire particulière d’utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées ». Il a ajouté ce qui suit :

Le droit des Indiens [sur les terres] se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d’administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu’il y a eu cession de ce droit.

[111] Il a également mentionné à la page 383 que l’exigence d’une cession prévue dans la Proclamation royale de 1763 :

[…] vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter.

(Cette question est abordée plus en détail au paragraphe 197 des présents motifs.)

J. Conclusion sur la question des limites établies dans les lettres patentes

[112] Comme la Couronne n’a pas respecté la cession et qu’elle a transféré des terres qui ne figuraient pas dans la description de l’acte de cession, j’estime que la revendication est fondée en vertu des alinéas 14(1)c) et d) de la LTRP. Plus précisément, la Couronne a manqué à une obligation légale qu’elle avait envers la revendicatrice découlant de son administration des terres de réserve de la bande et qu’elle a disposé, sans droit, de terres d’une réserve :

  1. en ajoutant aux lettres patentes quelque 313 acres le long de la limite nord de la parcelle continentale de la réserve, terres qui ont été transférées à la GTP le 25 juin 1907 alors qu’elles n’avaient pas été cédées à la Couronne;

  2. en transférant aussi à la GTP huit des dix îles le 25 juin 1907 (îles désignées comme étant les îles nos 1 à 8 dans les lettres patentes) alors qu’elles n’avaient pas été expressément cédées à la Couronne.

[113] Toutefois, j’arrive à la conclusion que la revendication n’est pas fondée en ce qui concerne les îles Lak-Anian et Lak-Wilgiapish : en dépit du fait que l’acte de cession comportait des lacunes, il y a suffisamment d’éléments dans le document lui-même pour établir que Metlakatla avait l’intention de céder ces îles.

IV. La question du manquement à l’obligation de fiduciaire et de la vente inconsidérée

[114] La revendicatrice affirme que le Canada a manqué à ses obligations de fiduciaire de loyauté, de bonne foi et de communication complète lorsqu’il a vendu à la GTP les terres visées par les lettres patentes et qu’il n’a pas empêché la conclusion d’un marché abusif en vendant les terres à un prix nettement inférieur à leur valeur marchande.

[115] La partie qui suit renvoie à bon nombre des documents mentionnés dans la partie portant sur la question des limites établies dans les lettres patentes puisqu’ils sont également utiles pour présenter les faits relatifs à la question du manquement à l’obligation de fiduciaire et à la vente inconsidérée.

A. La création de la société ferroviaire Grand Trunk Pacific Railway

[116] La Grand Trunk Railway date de 1852. Le 31 mars 1903, la société ferroviaire Grand Trunk Pacific Railway Company a été constituée dans le but de construire un chemin de fer transcontinental, ainsi qu’un terminus sur la côte du Pacifique. Le premier chemin de fer transcontinental était le chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP), qui a été achevé en 1885. Le terminus du Pacifique du CFCP a d’abord été établi à Port Moody, puis à Vancouver (pièce Ex-12 à la p 147), mais entre-temps, divers cols de montagne et emplacements convoités pour le terminus ont été arpentés et examinés, notamment Port Simpson et Kitimat (pièce Ex-2 aux pp 122-24). Dès la construction du CFCP, un marché s’est développé du fait que d’aucuns croyaient que la valeur des terres situées à proximité des gares ou des terminus du CFCP et, plus tard, des gares ou des terminus associés à d’autres projets ferroviaires, allait exploser.

[117] Port Simpson, situé à 40 kilomètres au nord de Prince Rupert, était le siège d’un fort de la Compagnie de la Baie d’Hudson depuis 1834. Il fut un des premiers pôles de commerce dans le Pacifique Nord et environ 2 000 personnes d’ascendance tsimshiane ont vécu dans la région du fort à l’époque où il était le plus fréquenté. Le fort de la CBH et le village qui a pris le nom de Lax Kw’alaams étaient situés sur la rive sud de Port Simpson, à côté de ce qui est devenu la partie nord de la RI no 2. Le havre de Port Simpson se prêtait bien à l’installation d’un terminus de la GTP, mais au fil des années de spéculation foncière, les terres situées à l’est de la réserve indienne no 1, le fort de la CBH et les terres aux alentours du havre sont passés aux mains de particuliers. À Kitimat, la situation était similaire, c’est-à-dire que les terres adjacentes au havre étaient des propriétés privées.

[118] En 1891, une réserve gouvernementale de la Colombie-Britannique a été créée dans la région afin de protéger contre l’aliénation [traduction] « toutes les terres inoccupées de la Couronne qui [étaient] situées sur la péninsule Tsimpsean et qui se trouv[ai]ent au nord d’une ligne tirée franc ouest à partir de l’extrémité du chenal Work » (pièce Ex-21, onglet 110). À cause de cette réserve gouvernementale et des deux parties de la RI no 2 qui ont été créées à peu près au même moment, les terres situées au sud de Port Simpson, le long de la péninsule Tsimpsean, y compris les îles Kaien et Digby, ne pouvaient pas être acquises par des particuliers. L’entrée du havre de Prince Rupert et le havre lui-même (appelé havre Lima ou bras Tuck à l’époque) se trouvaient entièrement à l’intérieur des limites de la partie sud de la RI no 2 et de la réserve gouvernementale.

[119] Les négociations entre le gouvernement du Canada et les dirigeants de la GTP, dont la constitution en société était imminente, ont abouti à un accord le 29 juillet 1903, aux termes duquel le gouvernement devait construire la division de l’Est du chemin de fer et la société, la division de l’Ouest jusqu’au Pacifique (ECF au para 53). Le gouvernement devait garantir les obligations émises par la GTP pour financer la construction de la division de l’Ouest et octroyer à la GTP toutes les terres dévolues au Canada et nécessaires à la construction de la division de l’Ouest (voir l’annexe de l’Acte concernant la construction d’un chemin de fer national à travers le continent, SC 1903, c 71; pièce Ex-50, onglet JBD-960).

B. Le terminus du Pacifique

[120] En 1903, un entrepreneur ferroviaire américain, Peter Larsen, a rencontré un homme d’affaires de Victoria, James Anderson, pour discuter de l’acquisition de sites pouvant accueillir le terminus de l’Ouest (pièce Ex-24, onglet 179; ECF modifié au para 62). Anderson s’est rendu dans la région. Il a tenté de conclure des contrats d’option dans le but d’acquérir des terres à Port Simpson, mais a trouvé que le prix demandé, de 60 à 120 $ l’acre, était trop élevé (pièce Ex-24, onglet 179 (témoignage dans le cadre de l’enquête portant sur l’île Kaien, aux pages cxxvi-1, clxiv-v et clxv-vi); ECF modifié au para 62). Lors d’un deuxième voyage en décembre 1903, il est arrivé à la conclusion que la région du havre de Prince Rupert (alors havre Lima ou bras Tuck) était l’endroit qui convenait le mieux à l’aménagement du terminus.

[121] Anderson et Larsen ont chargé un avocat de Victoria, Ernest Bodwell, de les aider à acquérir des terres dans la région du havre que le gouvernement avait protégée de l’aliénation en créant une réserve en 1891. Bodwell a donc fait une proposition au gouvernement de la Colombie-Britannique, à savoir que le terminus soit aménagé sur des terres de la réserve gouvernementale qui se trouvaient aux abords du bras Tuck et que la province transfère à ses clients une parcelle de 10 000 acres de la réserve gouvernementale au prix de 1 $ l’acre. Il a souligné que si le terminus était établi à cet endroit, à l’intérieur de la réserve gouvernementale, il ne serait donc pas dans la partie sud de la RI no 2, sur l’île Digby par exemple, là où le gouvernement fédéral administrait les terres au nom de la bande Metlakatla. Construire le terminus dans la région du havre de Prince Rupert permettait aussi de se tenir loin de Port Simpson et de Kitimat, des terres privées dont la vente n’aurait pas profité au gouvernement de la Colombie-Britannique (ECF modifié au para 67).

[122] Le 30 avril 1904, le commissaire en chef des Terres et des Travaux (le CCTT) de la province, R. F. Green, a recommandé que la proposition de Bodwell soit acceptée, à deux conditions :

  1. que les terres soient utilisées uniquement pour le terminus de l’Ouest;

  2. que les travaux de construction du terminus soient entrepris dans les plus brefs délais (pièce Ex-22, onglet 140; ECF modifié au para 68).

[123] Le 4 mai 1904, le lieutenant-gouverneur en conseil de la Colombie-Britannique (le Cabinet) a approuvé un décret accordant à Bodwell, à titre de mandataire de la GTP, le droit de choisir les 10 000 acres qui se prêtaient le mieux à l’aménagement du terminus du chemin de fer, pour le prix de 10 000 $. La concession était assujettie à des dispositions semblables à celles de l’article 32 de la Land Act, RSBC 1897, c 133, lequel exigeait la rétrocession à la province de 25 % de tout lotissement urbain subdivisé.

[124] Bodwell ne pouvait pas disposer des terres, sauf pour les besoins du terminus et du lotissement connexe (pièce Ex-22, onglet 140; ECF modifié au para 69).

[125] Le 6 mars 1905, Frank Morse, directeur général de la GTP, a signé un acte formaliste bilatéral par lequel il a approuvé les conditions du transfert de 10 000 acres et, le 10 mars 1905, la GTP a versé 10 000 $ et la Couronne a octroyé les terres. Les parcelles étaient identifiées comme étant le lot 251 (sur l’île Kaien), le lot 444 (à l’est du havre de Prince Rupert) et le lot 443 (adjacent à la limite orientale de la parcelle continentale de la partie sud de la RI no 2). Par ailleurs, il était expressément prévu dans la concession qu’un quart de toutes les parcelles urbaines qui allaient être créées devaient être cédées à la province, et celle-ci conservait le droit de se voir rétrocéder un quart de toutes les terres qui n’étaient pas divisées en parcelles urbaines ou en blocs riverains (ECF modifié aux para 71-73).

[126] Tout au long du processus d’acquisition des terres, Bodwell semble avoir travaillé en étroite collaboration avec la GTP, ainsi qu’avec Larsen et Anderson, afin de conclure un accord relativement aux 10 000 acres sélectionnées dans la réserve gouvernementale. Des questions ont été soulevées à l’assemblée législative de la Colombie-Britannique au sujet du transfert des terres et une enquête a été ouverte en février 1906 afin de déterminer si des paiements irréguliers avaient été effectués dans le cadre de l’acquisition des 10 000 acres (pièce Ex-24, onglet 179). Les membres du gouvernement qui faisaient partie de la commission ont conclu qu’aucun paiement irrégulier n’avait été versé (pièce Ex-24, onglet 180, au para 22).

[127] Le décret du 4 mai 1904, qui accordait le droit d’acheter les 10 000 acres, n’a été rendu public qu’en mai 1905 (pièce Ex-24, onglet 157).

[128] Alors qu’elle venait d’acquérir les 10 000 acres de la réserve gouvernementale, la GTP a indiqué qu’elle souhaitait aussi acquérir des terres de réserve indienne. Dans une lettre datée du 26 mai 1904 et adressée à Frank Pedley, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, William Wainwright, deuxième vice-président de la GTP (pièce Ex-22, onglet 141), a précisé qu’il était intéressé à acquérir des terres de réserve qui, selon lui, allaient devenir indispensables si la Compagnie décidait d’installer le terminus à Port Simpson, mais selon le croquis joint à sa lettre, lequel datait vraisemblablement du 20 mai 1904, les terres convoitées se trouvaient dans la partie ouest de l’île Kaien, à l’entrée du havre de Prince Rupert (pièce Ex-50, onglet JBD-164). Un peu plus tard, le 12 août 1904, la GTP a élaboré un plan montrant deux terminus, le premier dans la partie nord de la réserve indienne Tsimpsean no 2, juste au sud du village Lax Kw’alaams, près de Port Simpson, et le second, dans la partie ouest de l’île Kaien, dans la partie sud de la réserve indienne Tsimpsean no 2 (pièce Ex-22, onglet 143). Elle a ensuite présenté le plan au ministre fédéral des Chemins de fer, responsable de l’approbation des infrastructures ferroviaires, mais celui-ci ne l’a pas approuvé du fait qu’il n’était pas raisonnablement nécessaire d’avoir deux terminus. En fait, le plan semble avoir été conçu dans le but de pouvoir éventuellement construire un terminus à l’un ou l’autre endroit (pièce Ex-50, onglet JBD-173). À la lumière de la preuve documentaire, c’est la dernière fois que la GTP a présenté au MAI une proposition pour un site situé dans la partie nord de la réserve indienne Tsimpsean no 2 (Port Simpson).

[129] Des documents ultérieurs font référence à Port Simpson ou à la réserve de Port Simpson de manière générale, simplement parce qu’il s’agit du nom le plus connu, mais d’après le contexte ou d’autres documents connexes, la région en question est celle du havre avant qu’il ne devienne le havre de Prince Rupert. Pedley a envoyé une lettre à Morrow dans laquelle il l’informait que la GTP avait demandé des terres dans les [traduction] « réserves de Port Simpson, de [l’île] Digby et de l’île Kaien » (pièce Ex-50, onglet JBD-213). Or, ces réserves n’existaient pas. La GTP souhaitait acquérir des terres autour du havre de Prince Rupert, c’est-à-dire dans ce qu’il a appelé, à tort, les [traduction] « réserves de Port Simpson, de [l’île] Digby et de l’île Kaien ». En réalité, ces terres se trouvaient toutes dans la partie sud de la réserve indienne Tsimpsean no 2.

[130] Le 9 mars 1905, Morse a écrit au premier ministre, Richard McBride, pour lui proposer un projet de loi ayant pour effet d’accorder à la GTP un certain nombre de concessions :

  1. une emprise traversant la province pour le chemin de fer;

  2. 15 000 acres pour chaque mille de ligne de chemin de fer;

  3. une exemption de taxation provinciale pendant 30 ans;

  4. le droit de prélever de la pierre, du bois et du gravier sur les terres provinciales;

  5. une exemption à l’article 32 de la Land Act (rétrocession à la province de 25 %) en ce qui concerne toute parcelle urbaine créée sur les terres concédées.

[131] En contrepartie, la GTP devait notamment débuter la construction depuis son terminus du Pacifique, en allant vers l’est jusqu’aux Rocheuses. McBride a rejeté la proposition. Or, il semblerait que cette proposition ait été la première à être présentée dans le but de conclure avec la province une entente globale pour la construction du chemin de fer (pièce Ex-50, onglet JBD-993).

[132] En ce qui concerne le terminus du Pacifique, le 21 février 1905, Bodwell et Lawson, agissant pour le compte de la GTP, ont écrit au CCTT de la province pour l’informer que les terres de réserve indienne adjacentes au lot 251, sur l’île Kaien, étaient nécessaires pour pouvoir construire [traduction] « les gares de triage, les quais à charbon, etc. » (pièce Ex-50, onglet JBD-175). Ils y proposaient que la province — après qu’elle eut acquis auprès du Canada l’intérêt de la bande sur les terres de réserve — transfère à la Compagnie les terres dont celle-ci avait besoin et qu’elle conserve un quart de l’intérêt sur celles-ci. Voici un extrait de la lettre :

[traduction] Vous savez que le titre indien doit d’abord être éteint. La Compagnie devra traiter avec le gouvernement du Canada à ce sujet […] il nous semble juste de suggérer que le gouvernement [de la Colombie-Britannique], après l’extinction du titre indien, cède la partie des terres dont la Compagnie a besoin et conserve un quart de l’intérêt sur ces terres.

[133] Cette proposition reprenait les dispositions relatives à l’obtention de terres provinciales prévues dans la Land Act, à l’exception de celle concernant le paiement à l’acre.

[134] Le 17 mars 1905, le premier ministre McBride a écrit à Morse pour l’informer qu’une disposition des (anciennes) terres de réserve ne pouvait être effectuée avant que [traduction] « le gouvernement du Dominion ne retire les Indiens de la réserve, ou de la partie de celle-ci dont il compte se servir » (pièce Ex-24, onglet 165). Il a ensuite mentionné que le gouvernement provincial était prêt, si la GTP arrivait à convaincre le CCTT que les terres étaient nécessaires pour le chemin de fer, à ne pas disposer des terres sans offrir à la Compagnie la possibilité de les acheter.

[135] Il semble que la GTP ait cessé ses démarches auprès du gouvernement provincial à ce moment-là et qu’elle se soit concentrée sur l’obtention de terres de réserve indienne. En avril 1905, Wainwright a de nouveau écrit à Pedley pour l’aviser qu’une demande serait déposée dans le but d’acquérir également l’île Digby, en face de l’île Kaien, et pour lui demander qu’aucune autre mesure ne soit prise à l’égard des terres avant que la demande ne soit présentée.

[136] Enfin, le 28 novembre 1905, Pedley a écrit à l’agent des Indiens Morrow pour l’aviser que la GTP avait présenté des demandes pour pouvoir acquérir une partie ou la totalité des terres situées dans les réserves de Port Simpson, de Digby et de l’île Kaien (en fait, la partie sud de la réserve indienne Tsimpsean no 2) et qu’il allait probablement être nécessaire d’obtenir le consentement des Indiens. Il était également indiqué ce qui suit dans la lettre :

[traduction] […] si E.G. Russell, le représentant de la [GTP] Railway Company, vous rendait visite pour discuter de ce projet avec vous et avec les Indiens, le ministère n’y verrait aucune objection [pièce Ex-50, onglet JBD-213].

[137] Russell a communiqué avec Morrow à la fin de janvier 1906 et il lui a remis une lettre datée du 15 janvier 1906. Voici un extrait de cette lettre :

[traduction] […] après avoir examiné les emplacements de Kittemat, de l’île Kai-En et de Port Simpson, la direction [de la GTP] a conclu que pour pouvoir utiliser l’île Kai-En, elle aurait aussi besoin de l’île Digby, laquelle couvrait environ 7 800 acres, d’un bloc sur la péninsule Tsimpsean situé le long du passage Venn, lequel couvrait environ 6 145 acres, et de la partie de l’île Kai-En située dans la réserve indienne, laquelle couvrait environ 2 590 acres, soit un total de 16 535 acres, plus ou moins. Voir le tracé ci-joint.

J’aimerais que vous me disiez à quelles conditions les Indiens de Metlakatla accepteraient de céder leurs droits sur ces parties de leurs réserves. [Pièce Ex-24, onglet 170]

[138] Morrow a présenté la proposition au conseil de Metlakatla le 31 janvier 1906 (pièce Ex-24, onglet 175). Une assemblée des membres de la bande a été convoquée pour le lendemain, le 1er février 1906. Dans le rapport daté du 14 février 1906 qu’il a remis à Pedley, Morrow a fait le compte rendu des rencontres qu’il a eues avec Russell au cours des six jours de négociations, jusqu’à ce qu’il y ait consensus. En ce qui concerne les terres visées par la cession, les membres de la bande ont décidé :

  1. qu’ils conserveraient l’extrémité nord de l’île Digby, utilisée comme jardin et lieu de sépulture, mais qu’ils céderaient le reste de l’île Digby;

  2. qu’ils conserveraient une partie de la parcelle continentale demandée par la GTP (en conservant un bloc de la réserve situé tout près du village de Metlakatla), mais qu’ils céderaient la parcelle continentale jusqu’à une limite nord située à [traduction] « environ deux milles »;

  3. qu’ils céderaient la totalité de la partie de la réserve située sur l’île Kaien.

[139] Russell a d’abord offert 5 $ l’acre, ce que la bande a refusé. La bande a ensuite proposé 10 $, ce qui, selon Russell, était absolument inconcevable puisque la GTP avait acheté le lotissement urbain de l’île Kaien au gouvernement provincial pour 1 $ l’acre. Il semblait y avoir une impasse jusqu’à ce que la bande consente à couper la poire en deux et accepte un montant de 7,50 $ l’acre si la Compagnie acceptait pour sa part les terres qu’elle était prête à céder. Russell a accepté cette proposition.

[140] Morrow a fait savoir que la bande avait soulevé la question de la répartition du produit de la vente des terres visées par la cession. En fait, la bande a indiqué qu’elle accepterait de céder les terres si le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien consentait à ce que la moitié de la somme à recevoir soit divisée également entre les membres de la bande âgés de plus de 21 ans, que le reste soit détenu par le ministère au nom de la bande et porte intérêt afin qu’une somme équivalente soit versée aux plus jeunes membres à mesure qu’ils atteignent l’âge de 21 ans et que les intérêts courus sur le solde soient affectés aux travaux de réparation, d’entretien et d’amélioration de la réserve. Par ailleurs, Morrow a estimé qu’une centaine de membres auraient droit à un versement et que chacun d’entre eux recevrait environ 500 $. Il a également été convenu avec Russell que 1 500 $ seraient versés au ministère pour qu’il puisse indemniser les membres de la bande pour les jardins qu’ils cultivaient sur les terres devant être cédées (pièce Ex-24, onglet 175).

[141] Dans la résolution, portant un « C » dans la lettre de rapport de Morrow, que Morrow a rédigée à la main et que les hommes de la bande présents ont signée, il est indiqué que les membres de la bande se sont réunis pour déterminer s’il était opportun de céder :

[traduction] […] l’île Kaien, des parties de l’île Digby et une partie de la réserve se trouvant sur le continent et bordant le passage Venn et le bras Tuck, réclamées par E. G. Russell […] comme il est indiqué dans [sa] lettre du 15 janvier 1906 […] et illustré sur la carte marquée d’un « A ». Certaines parties de l’île Digby et du continent demeurent toutefois des réserves indiennes. [Les membres de la bande] acceptent de céder à [Sa Majesté le Roi Édouard VII] lesdites terres, sous réserve de dispositions satisfaisantes […] concernant le prix, qui a été accepté (7,50 $ l’acre), d’un règlement satisfaisant des réclamations individuelles relatives aux jardins, etc., […] et aussi d’une entente satisfaisante avec le [MAI] […] pour la répartition du produit tiré de la vente desdites terres […] [pièce Ex-2, onglet 42].

[142] Il est également précisé dans la résolution que la moitié du produit de la vente doit être versée aux [traduction] « Indiens de Metlakatla, hommes et femmes, ayant atteint l’âge de 21 ans révolus », que l’autre moitié doit être versée à ceux qui atteignent l’âge de 21 ans et que les intérêts doivent servir à la communauté.

[143] La résolution a été signée par 36 des hommes de la bande et les signatures ont été attestées par l’agent des Indiens Morrow ainsi que par l’évêque Du Vernet du diocèse de l’Église anglicane.

[144] La résolution dactylographiée que Morrow a subséquemment préparée visait à décrire de façon plus officielle les tenants et aboutissants des terres visées par la cession (pièce Ex-1, onglet 1). Elle était jointe au rapport que Morrow a remis à Pedley et était désignée par la lettre « B ». Il a aussi joint la carte A tirée de la lettre de Russell datée du 15 janvier 1906 et la résolution qui dressait la liste des paiements à effectuer pour compenser la perte des jardins se trouvant dans la région cédée (pièce Ex-1, onglet 5; pièce Ex-2, onglet 42).

C. L’exposé des faits de la résolution du 7 février 1906 jusqu’à la cession

[145] La résolution relative à la proposition de cession des terres de réserve en vue de leur vente à la GTP a donné lieu à un long différend entre les gouvernements fédéral et provincial. L’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, app II, no 10, est un article qui a été adopté par les gouvernements fédéral et provincial lorsque la Colombie-Britannique s’est jointe à la Confédération en 1871. L’article 13 prévoyait ce qui suit :

Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera continuée […] des étendues de terres […] affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement local au Gouvernement fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement fédéral […]

[146] Le gouvernement provincial était d’avis que l’intérêt qui devait être transféré au Dominion et détenu en fiducie se limitait à l’usage et au bénéfice des terres de réserve et que les terres demeuraient la propriété de la province de sorte que si les terres n’étaient plus nécessaires aux fins de la bande, l’intérêt bénéficiaire revenait à la province. Selon la province, une cession en vertu de l’Acte des Sauvages revenait à concéder que les terres de réserve n’étaient plus nécessaires aux fins de la bande et que l’intérêt réversif devait alors prendre effet (pièce Ex-24, onglet 232).

[147] La province s’appuyait sur une entente conclue avec le gouvernement fédéral en 1876, laquelle prévoyait la constitution d’une commission mixte (la Commission mixte des réserves indiennes) qui devait créer des réserves dans la nouvelle province et qui avait le pouvoir d’ajouter des terres aux réserves ou de récupérer des terres de réserve si elles n’étaient plus nécessaires aux fins de la bande.

[148] Le gouvernement fédéral savait que la province revendiquait un intérêt réversif. D’ailleurs, après avoir reçu les résolutions de Metlakatla, Frank Oliver, surintendant général des Affaires indiennes, a écrit ce qui suit dans un rapport rédigé à l’intention du gouverneur général en conseil :

[traduction] […] il faudra alors que les Indiens acceptent de céder leurs terres conformément aux dispositions de l’Acte des Sauvages, mais, avant de soumettre la question de la cession aux Indiens, il est conseillé de demander au gouvernement de la Colombie-Britannique de renoncer à tout intérêt réversif qu’il pourrait avoir sur les terres en vertu de l’entente conclue entre la province et le Dominion en 1876 quant à la constitution de réserves pour les Indiens de la province. [Pièce Ex-24, onglet 186]

[149] Oliver a ensuite souligné qu’il était dans l’intérêt public des deux gouvernements que :

[traduction] […] la [GTP] [puisse] acquérir ces terres afin de construire un terminus, ce qui serait très avantageux pour le Dominion et les provinces en général et augmenterait la valeur des terres adjacentes et avoisinantes, de même que celle des autres terres de la réserve (dont la superficie est d’environ 16 000 acres) au point de toucher une somme égale ou supérieure à la valeur actuelle de la réserve telle qu’elle est actuellement constituée […] [Pièce Ex-24, onglet 186]

[150] Il a recommandé que des démarches soient faites auprès du gouvernement provincial pour l’amener à [traduction] « renoncer à l’intérêt réversif revendiqué » (pièce Ex-24, onglet 186).

[151] Une note de décision du Conseil privé, datée du 2 avril 1906, a donc été transmise au gouvernement provincial. En réponse, le gouvernement provincial a indiqué que, de l’avis du conseil exécutif de la Colombie-Britannique, il [traduction] « ne p[ouvait] pas accepter la […] suggestion » (pièce Ex-24, onglet 198).

[152] La GTP est restée engagée à respecter l’entente énoncée dans la résolution. Dans une lettre adressée à l’avocat adjoint de la GTP, D’Arcy Tate, le 27 juin 1907, Frank Morse a écrit ce qui suit :

[traduction] J’accorde la plus grande importance et la plus grande valeur à l’accord que M. Russell a conclu avec les Indiens et qui a été signé avec le consentement du gouvernement, c’est-à-dire qu’on nous a dit que nous pouvions aller de l’avant et négocier le meilleur arrangement possible. Je ne veux pas que l’avantage que nous avons obtenu à cet égard soit perdu si l’accord est annulé et que le gouvernement envoie son représentant négocier avec les Indiens, et ce, pour la simple et bonne raison que nous avons vécu une expérience de ce genre, au fort William, et nous avons dû débourser 200 000 $ de plus que prévu. [Pièce Ex-24, onglet 202]

[153] L’allusion au fort William se rapporte aux 1 600 acres de terres de réserve situées dans la région du fort William qui avaient été acquises dans le but de construire une gare de triage aux abords du lac Supérieur. Dans ce cas, le MAI avait chargé l’arpenteur général de fixer la valeur des terres, qui ont finalement été vendues 244 574 $, ou approximativement 90 $ l’acre, sans compter les améliorations (pièce Ex-12 aux pp 110, 150).

[154] Tate, l’avocat adjoint de la GTP, a indiqué dans une lettre datée du 16 juillet 1906 qu’il n’était pas conseillé de conclure l’accord avec le gouvernement du Dominion [traduction] « jusqu’à ce que nous ayons pris des dispositions avec la province de la Colombie-Britannique pour qu’elle renonce aux droits qu’elle revendique à l’égard des terres » (pièce Ex-24, onglet 207).

[155] Malgré tout, la GTP a décidé d’aller de l’avant. Dans sa lettre du 17 juillet 1906 adressée au surintendant général adjoint, Frank Pedley, Tate a déclaré que la Compagnie était prête à accepter :

[traduction] […] les lettres patentes devant être délivrées, et ce, sans disposer de recours contre le Dominion dans le cas où la province de la Colombie-Britannique ferait valoir un intérêt réversif à l’égard des réserves indiennes en question. Veuillez donc demander à Monsieur le Surintendant Vowell de Victoria de se rendre à Metlakatla afin d’obtenir des Indiens la cession nécessaire comme nous l’avions convenu dans notre accord. [Pièce Ex-24, onglet 208]

[156] Le 18 juillet 1906, Pedley a écrit une lettre d’instructions à Vowell pour qu’il se rende à Metlakatla afin d’obtenir la cession des terres de réserve, dont la superficie était d’environ 13 519 acres, conformément aux plans et aux descriptions figurant dans la correspondance antérieure du MAI (pièce Ex-2, onglet 50). Pedley a souligné que, selon les ententes antérieures (les résolutions), 50 pour cent du produit de la vente devait être versé en espèces aux membres de la bande, mais qu’à l’époque, l’Acte des Sauvages ne permettait que de verser 10 pour cent directement aux membres de la bande. Il a affirmé qu’au cours de la session (du Parlement), cette disposition avait été modifiée de manière à permettre un paiement direct de 50 pour cent, mais que les 50 pour cent restants ne pouvaient pas être consacrés à ce que prévoyait la résolution et que seuls les intérêts sur le solde de 50 pour cent pouvaient servir à verser une somme aux membres de la bande à mesure qu’ils atteignaient l’âge de la majorité et à apporter des améliorations à la réserve (pièce Ex-2, onglet 50).

[157] L’acte de cession et les résolutions prises par Vowell les 16 et 17 août 1906 reprenaient la description des terres tirée de la version dactylographiée de la résolution précédente et une nouvelle résolution a été prise afin que la répartition du produit de la vente se fasse conformément aux instructions de Pedley.

[158] Comme il a été décrit précédemment, c’est à la suite des échanges ultérieurs avec la GTP que la description finale qui figure dans les lettres patentes délivrées le 25 juin 1907 a été élargie (pièce Ex-2, onglet 91).

[159] Il ne restait que la question de l’intérêt réversif de la province à régler.

D. La résolution de la question de l’intérêt réversif de la province

[160] Pour tenter de régler la question de l’intérêt réversif de la province, Bodwell et Lawson ont, au nom de la GTP, écrit au CCTT de la province le 21 février 1905 au sujet des terres de réserve nécessaires à l’aménagement du terminus sur l’île Kaien. Dans cette lettre, ils affirmaient avoir discuté avec Morse [traduction] « et il [leur] sembl[ait] juste de suggérer que le gouvernement [de la Colombie-Britannique], après l’extinction du titre indien, cède la partie des terres dont la Compagnie a besoin et conserve un quart de l’intérêt sur ces terres » (pièce Ex-50, onglet JBD-175).

[161] En mars 1907, la province a tenté de prendre possession des terres de réserve de l’île Kaien au motif que les terres lui étaient rétrocédées par suite de la cession acceptée par le MAI (pièce Ex-50, onglet JBD-462). Dans un télégramme daté du 26 mars 1907 envoyé au premier ministre Richard McBride, Morse a soulevé de nouveau la question non résolue de l’intérêt réversif. Il a informé le premier ministre que, pour développer le lotissement urbain, il fallait obtenir le titre de propriété des terres de réserve de l’île Kaien et il a demandé si la province était prête à en discuter (pièce Ex-50, onglet JBD-374).

[162] McBride a répondu le 27 mars 1907 (ECF au para 183) pour l’aviser que la Colombie-Britannique ne concéderait pas le titre rattaché aux terres de réserve et qu’elle n’admettrait pas non plus que le transfert des terres de réserve avait un quelconque lien avec l’accord conclu entre la GTP et la province relativement au lotissement urbain (pièce Ex-50, onglet JBD-376). Il s’agissait probablement d’une allusion au fait que la GTP s’était engagée à acquérir les 10 000 acres provenant de la réserve du gouvernement provincial et à construire le terminus sur ces terres et que cet engagement ne concordait pas avec le fait que la GTP avait besoin de terres de réserve supplémentaires à cette fin. Le 28 mars 1907, Morse a informé McBride dans un autre télégramme que les terres de réserve étaient [traduction] « [e]ssentielles à l’achèvement des plans de la cité modèle du terminus » et a réitéré qu’il souhaitait tenir des discussions. Il a ajouté que, [traduction] « à la réception d’une réponse favorable, [il] organisera[it] dès lors une conférence dans le but d’arriver à un règlement définitif » (pièce Ex-50, onglet JBD-378).

[163] La réponse n’est pas au dossier, mais le 6 avril 1907, Morse a remercié McBride de lui avoir envoyé un message la veille pour l’informer que le gouvernement était prêt à discuter, sous toutes réserves, [traduction] « de l’aliénation de [son] droit réversif sur la réserve indienne, lequel [leur] [était] nécessaire pour pouvoir réaliser pleinement les plans » (pièce Ex-50, onglet JBD-382).

[164] Une rencontre devait donc avoir lieu à Montréal entre Morse et McBride, lequel était en route vers l’Angleterre. Dans une lettre adressée à McBride le jour même de leur rencontre, soit le 17 avril 1907, Morse a indiqué que la GTP ne contestait pas les droits réversifs de la province et qu’elle souhaitait [traduction] « négocier avec [lui] […] afin d’acquérir les terres […], de les intégrer dans le plan d’aménagement de Prince Rupert et d’assurer le développement » (pièce Ex-50, onglet JBD-384).

[165] Dans une lettre datée du 2 juillet 1907 et adressée à W. Wainwright, deuxième vice-président de la GTP, qui allait prendre en charge le développement de Prince Rupert, Morse a expliqué qu’après que la province eut tenté de prendre possession des terres de réserve de l’île Kaien en mars 1907, un accord avait été conclu avec McBride lors de leur rencontre du 17 avril, mais que le Cabinet provincial avait refusé de le ratifier et avait plutôt présenté une contre-proposition que Morse jugeait inacceptable. Il a déclaré que la province ne possédait :

[traduction] […] qu’un intérêt réversif à l’égard de la réserve de Metlakatla. En fait, ce n’est que pour nous assurer de pouvoir prendre immédiatement possession des terres et de poursuivre nos travaux sans interruption que nous avons accepté de concéder un certain intérêt à la province et de lui verser une somme à cet effet […] [pièce Ex-50, onglet JBD-462; j’ai conclu que Morse en était l’auteur vu qu’il fait référence à l’échange de télégrammes et à la rencontre tenue à Montréal].

[166] De toute évidence, Morse était d’avis que les conditions supplémentaires proposées par le Cabinet étaient inacceptables. Selon lui, la Colombie-Britannique avait adopté une nouvelle position qui était [traduction] « incohérente et exorbitante » et il exhortait McBride à respecter leur précédent accord.

[167] Il a ensuite été fait mention de ces négociations dans un télégramme daté du 7 août 1907, dans lequel McBride informait Charles Hays, président de la GTP, que le Cabinet plénier avait [traduction] « finalement signé l’offre » (pièce Ex-50, onglet JBD-467). Voici les conditions dont il a fait état :

  1. il convient de diviser les lots riverains de la réserve en blocs, dont un tiers sera pris par la province;

  2. le gouvernement conservera la moitié des droits sur toutes les autres terres;

  3. la GTP versera 2,50 $ (l’acre; voir l’ECF au para 194) pour l’ensemble de la parcelle;

  4. la GTP procédera à l’arpentage des lotissements urbains;

  5. la GTP commencera la construction du chemin de fer, de Prince Rupert au sommet ferroviaire;

  6. la GTP achètera tous les matériaux (nécessaires à la construction) sur les marchés de la Colombie-Britannique.

[168] Les conditions susmentionnées sont interprétées à partir du télégramme dont le libellé est tronqué. Il est donc difficile de savoir de quelles terres, riveraines ou autres, il était question, mais tout indique que ces conditions représentaient au moins les grandes lignes de l’offre.

[169] Selon un article publié dans le Prince Rupert Empire le 11 janvier 1908, le deuxième vice-président de la GTP, Wainwright, était à Victoria pour [traduction] « régler les conflits qui opposent la GTP et le gouvernement McBride au sujet des quelque 13 000 acres de terre que la Compagnie de chemin de fer a achetées aux Indiens » (pièce Ex-50, onglet JBD-499).

[170] Enfin, le 29 février 1908, un accord global a été conclu et, le 7 mars 1908, il a été présenté dans le projet de loi no 74 intitulé An Act respecting the Grand Trunk Pacific Railway (pièce Ex-24, onglet 257).

[171] Il est indiqué dans le préambule que les terres acquises par la GTP [traduction] « sont nécessaires pour l’aménagement du terminus de la Compagnie et il a été démontré au gouvernement que les travaux de construction dudit chemin de fer à travers la province ne peuvent pas être entrepris tant que des arrangements n’auront pas été conclus en ce qui concerne le terminus et que les terres nécessaires à cet effet n’auront pas été acquises par la Compagnie ». L’accord ratifié par la loi contenait les modalités suivantes :

  1. la province doit vendre son intérêt sur les terres visées par les lettres patentes au prix de 2,50 $ l’acre et se faire rétrocéder un quart de tous les lots et blocs subdivisés;

  2. le lotissement urbain de Prince Rupert, d’une superficie d’au moins 2 000 acres, doit être arpenté et présenté sur un plan devant être approuvé par la province;

  3. la province accepte d’accorder à la Compagnie une emprise de 100 pieds pour le chemin de fer sur les terres de la Couronne en Colombie-Britannique;

  4. la Compagnie a le droit de prélever des pierres, du bois, du gravier et d’autres matériaux nécessaires à la construction du chemin de fer sur les terres inoccupées de la Couronne;

  5. la province doit accorder à la Compagnie toutes les terres inoccupées de la Couronne qui sont nécessaires aux voies d’évitement, aux gares, aux remblais, aux ponts, etc.;

  6. la Compagnie est exonérée d’impôt en vertu de l’article 6 de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Railway Assessment Act, et ce, pour une période de 10 ans;

  7. la Compagnie doit commencer la construction du chemin de fer à Prince Rupert et la poursuivre jusqu’à la limite orientale de la province, acheter les matériaux dans la province pour autant que les conditions soient aussi favorables qu’ailleurs et payer la main-d’œuvre à des taux comparables.

[172] Cet accord semble avoir été la concrétisation de la première proposition que Morse avait présentée à McBride le 9 mars 1905 et, grâce à cet accord, la GTP était alors en mesure d’aménager le terminus et le lotissement urbain de Prince Rupert et de commencer la construction du chemin de fer dans la province.

E. La position de la revendicatrice en ce qui concerne le manquement à l’obligation de fiduciaire et la vente inconsidérée

[173] La bande soutient qu’en procédant à la cession des terres, le Canada a voulu faciliter l’acquisition des terres par la GTP plutôt que protéger les intérêts de la bande. Elle affirme que le Canada s’était engagé à construire le chemin de fer et à veiller à ce que la GTP puisse acquérir à bas prix les terres dont elle avait besoin pour le terminus de l’Ouest (observations écrites de la revendicatrice au para 240).

[174] La revendicatrice affirme que le Canada était d’avis que le chemin de fer était d’intérêt public, qu’il était un partenaire dans la construction du chemin de fer et qu’il était financièrement responsable en tant que garant des obligations émises par la GTP (observations écrites de la revendicatrice au para 244).

[175] La revendicatrice soutient que le Canada a aidé la GTP à entrer en contact avec elle dans le but d’acquérir les terres de réserve, mais qu’il ne l’a pas informée de l’intérêt que la GTP avait pour la réserve, qu’il ne l’a pas aidée à déterminer la valeur marchande des terres et qu’il ne l’a pas conseillée sur la façon de composer avec la Compagnie (observations écrites de la revendicatrice aux para 246, 249).

[176] La revendicatrice fait remarquer que les terres acquises par la Compagnie n’étaient pas, pour la plupart, nécessaires à l’exploitation du chemin de fer. En fait, la Compagnie les avait acquises dans le but de les aménager et de les revendre, et ainsi de tirer profit du fait que l’emplacement du terminus allait faire augmenter leur valeur (observations écrites de la revendicatrice au para 251). Enfin, elle soutient que le prix de 7,50 $ l’acre était déraisonnable et que le Canada n’a pas empêché que la bande se fasse exploiter en consentant à la cession et en facilitant la vente à la GTP (observations écrites de la revendicatrice aux para 275-76).

F. La position de l’intimé en ce qui concerne le manquement à l’obligation de fiduciaire et la vente inconsidérée

[177] Le Canada soutient que la RI Tsimpsean no 2 a été cédée avant la publication du décret de 1938 (décret no 1036), lequel transférait le titre sur les terres de réserve de la Colombie-Britannique au Canada, et que, par conséquent, la réserve était provisoire, comme il est indiqué dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum]. Il affirme qu’il n’était pas lié par les dispositions relatives aux cessions de l’Acte des Sauvages et que ses obligations à l’égard de la bande étaient limitées (observations écrites de l’intimé aux para 15, 17).

[178] Le Canada affirme qu’il ne pouvait pas se permettre d’ignorer les impératifs d’intérêt public qui se rapportaient au chemin de fer, qu’il a respecté toutes les normes fiduciaires pertinentes et qu’il s’est acquitté de son obligation envers la bande (observations écrites de l’intimé aux para 22-23).

[179] Le Canada soutient que la bande a été dûment informée puisqu’il était indiqué dans la lettre envoyée par le surintendant général adjoint Pedley à l’agent des Indiens Morrow, datée du 28 novembre 1905, que la GTP avait déposé des demandes auprès du MAI dans le but d’obtenir des terres de réserve (observations écrites de l’intimé au para 108).

[180] De plus, l’agent des Indiens Morrow et l’évêque Du Vernet étaient présents lors des négociations pour aider les membres de la bande (observations écrites de l’intimé au para 456).

[181] Le Canada nie que la somme de 7,50 $ l’acre était déraisonnable (observations écrites de l’intimé aux para 162-63) et affirme qu’il n’était pas tenu de refuser la cession, ou de renégocier la proposition de vente. Le Canada soutient que le prix de vente correspondait à la valeur marchande si l’on tient compte des données sur des ventes comparables (observations écrites de l’intimé au para 188) et du fait que la province de la Colombie-Britannique avait contesté le titre de propriété en faisant valoir un intérêt réversif qui aurait eu pour effet d’empêcher le gouvernement fédéral de céder les terres à la GTP (observations écrites de l’intimé au para 80). En outre, il n’était pas raisonnablement certain que le terminus allait être aménagé sur l’île Kaien et il existait d’autres options raisonnables (observations écrites de l’intimé aux para 26, 28).

[182] Le Canada affirme qu’en tant que fiduciaire, il était tenu de veiller à ce que les conditions de la cession ne soient [traduction] « pas déraisonnables » et que « le Canada n’était pas tenu, en tant que fiduciaire, d’obtenir un résultat particulier » (observations écrites de l’intimé aux para 155, 161).

G. L’obligation de fiduciaire qui incombait à la Couronne avant 1938 en ce qui concerne les terres de réserve de la Colombie-Britannique

[183] Au tout début, les réserves coloniales créées pour protéger le territoire tsimshian de l’aliénation ont servi à la fois les intérêts coloniaux et les intérêts des Premières Nations. Les Tsimshians formaient le groupe dominant et étaient essentiels à l’exploitation de l’avant-poste de la CBH établi au fort Simpson, soit la principale entreprise commerciale de la région. Les réserves coloniales visaient à :

  1. convaincre les membres des Premières Nations Tsimshian que leurs territoires traditionnels allaient rester à leur disposition;

  2. servir l’intérêt du gouvernement colonial, c’est-à-dire celui de ne pas avoir à faire face à une résistance agressive susceptible de constituer une menace pour les quelques occupants non autochtones du territoire.

[184] Au cours de la période plus officielle de création de réserves qui a suivi l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération en 1871, les anciennes réserves coloniales des Tsimshians ont été intégrées au processus de création de réserves destinées à être administrées par le gouvernement fédéral au nom des bandes, conformément aux obligations énoncées à l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, App II, no 10.

[185] Comme la majeure partie des Tsimshians vivant sur la côte était divisée en deux communautés, soit la bande des Lax Kw’alaams à Port Simpson et la bande Metlakatla en bordure du passage Venn situé à l’entrée du havre de Prince Rupert, la RI Tsimpsean no 2 a été divisée à peu près en deux parties égales, la partie sud étant destinée à Metlakatla. La RI no 2 a été établie par le commissaire O’Reilly de la Commission royale des Affaires indiennes, ratifiée par le CCTT de la province et arpentée, puis les levés d’arpentage ont été acceptés, encore une fois, par le CCTT (pièce Ex-50, onglet JBD-153). C’est dans cette seule mesure que l’existence d’un titre sur les terres de réserve pouvait être établie puisque les gouvernements fédéral et provincial ne s’entendaient toujours pas sur la question de savoir si la province avait un intérêt réversif et si elle avait le droit de revendiquer le titre complet sur les terres de réserve, advenant que les terres ne soient plus considérées comme nécessaires à l’usage et au bénéfice de la Première Nation.

[186] Ce différend a duré jusqu’en 1938 lorsqu’il a été précisé dans le décret no 1036 de la Colombie-Britannique que la province ne devait reprendre son titre que si la bande en question s’éteignait. Par ailleurs, le décret disposait que le titre sur les réserves allait être transféré au gouvernement fédéral pour qu’il puisse les administrer conformément à la loi sur les indiens de l’époque.

[187] La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt Wewaykum l’obligation qu’avait la Couronne fédérale à l’égard des Premières Nations de la Colombie-Britannique pendant la période des réserves « provisoires », c’est-à-dire des terres réservées conformément au processus fédéral-provincial de création de réserves, pour lesquelles la Colombie-Britannique n’avait pas transféré le titre de propriété au Canada de sorte qu’elle l’a conservé jusqu’en 1938 parce qu’elle revendiquait un intérêt réversif. Il a été établi que la Couronne fédérale n’était pas simplement tenue de s’acquitter d’une obligation de droit public de participer à la création de réserves. Dans les circonstances de l’arrêt Wewaykum, la Couronne était également tenue « aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation » (Wewaykum au para 86). Dans cette affaire, la Couronne a distribué des terres de réserve à deux bandes qui étaient liées par un héritage similaire. La réserve en question avait été constituée à partir de terres domaniales de la Colombie-Britannique et aucune des deux bandes n’avait traditionnellement occupé le site. Dans de telles circonstances, la Couronne fédérale avait les obligations susmentionnées à l’égard des bandes.

[188] Dans l’arrêt Wewaykum, la Cour a conclu que la Couronne avait des obligations de fiduciaire lorsqu’il existait un « intérêt indien identifiable » et que le contenu de l’obligation de fiduciaire de la Couronne variait selon la nature et l’importance des intérêts à protéger (aux para 85-86). Avant 1938, lorsqu’elle administrait des réserves, la Couronne avait l’obligation de fiduciaire de faire montre de « loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation ». Or, après 1938, année où elle a reçu le titre de propriété des terres de réserve, elle avait une obligation inhérente à la loi sur les Indiens de l’époque, laquelle était plus exigeante et consistait à préserver et protéger les droits des bandes (Wewaykum au para 104).

[189] En l’espèce, le Canada et la revendicatrice ont reconnu que c’était la norme moins exigeante de « prudence ordinaire », soit celle de « loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation », qui s’appliquait à la partie sud de la réserve indienne Tsimpsean no 2 consacrée à Metlakatla au moment de la cession (observations écrites de la revendicatrice au para 238; observations écrites de l’intimé au para 151). (Au paragraphe 151 de ses observations, le Canada reconnaît également, en citant le paragraphe 64 de l’arrêt Southwind c Canada, 2021 CSC 28, 459 DLR (4e) 1, que dans le contexte d’une cession, la norme de prudence qui incombe à un fiduciaire exige notamment [traduction] « que la Couronne évite les marchés inconsidérés ».)

[190] En l’espèce, la revendicatrice soutient que la Couronne fédérale avait les obligations décrites dans l’arrêt Wewaykum et, en ce qui concerne la cession, qu’elle avait — de par son implication dans le processus — l’obligation [traduction] d’« exercer la diligence raisonnable pour éviter un marché abusif », et ce, à partir du moment où elle a organisé la première rencontre avec l’agent de la GTP, Russell, puis où elle a rédigé et accepté la cession, jusqu’au moment où elle a transféré les terres cédées, ainsi que d’autres terres, à la société ferroviaire (observations écrites de la revendicatrice au para 238).

[191] Au paragraphe 17 de ses observations écrites, le Canada soutient que [traduction] « lorsque des parties de la réserve provisoire de 1892 ont été cédées en 1906 en vue d’être acquises par la GTP, il n’était pas nécessaire de procéder à une cession conformément à l’Acte des Sauvages parce que les terres ne constituaient pas encore une réserve au sens de cette loi » et parce que les dispositions relatives aux cessions avaient été suspendues « pour permettre la création de réserves ».

[192] Il est difficile de comprendre en quoi la suspension de ces dispositions pouvait favoriser la création de réserves; or, il faut savoir que le Canada, au cours des décennies qui ont précédé l’adoption du décret no 1036, avait assumé son rôle constitutionnel et avait pris la responsabilité des Indiens et des terres réservées aux Indiens en Colombie-Britannique, essentiellement de la même manière que dans les autres provinces. Le Canada a donc décidé d’exiger une cession et a institué le processus qu’il jugeait nécessaire pour la cession et la vente des terres. Le processus qu’il a adopté consistait à suivre les procédures de l’Acte des Sauvages et, selon la copie papier de la cession obtenue de la bande, celle-ci transférait expressément les terres en question [traduction] « en fiducie afin que le gouvernement du Dominion du Canada en dispose en faveur de la personne ou des personnes et aux conditions qu’il jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui de notre peuple » (pièce Ex-2, onglet 51).

[193] Or, le Canada soutient que le processus prévu dans l’acte de cession du 17 août — par lequel les terres devaient être cédées à la Couronne — était un processus dont l’effet était limité ou suspendu dans le cas d’une réserve provisoire et affirme qu’il avait une responsabilité limitée envers la bande dans le cadre de l’acquisition par la GTP des terres de réserve. Un tel argument, eu égard à la disposition expresse figurant dans l’acte de cession, va à l’encontre de l’obligation de négocier honorablement qui découle du principe de l’honneur de la Couronne (Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 32, [2004] 3 RCS 511; Bande indienne d’Osoyoos c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2012 TRPC 3 au para 110). L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsqu’elle transige avec les peuples autochtones (R c Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 RCS 771 au para 41, 133 DLR (4e) 324). La Couronne a l’obligation d’agir honorablement dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités (Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] CSC 73 au para 17, [2004] 3 RCS 511). Je rejette l’argument voulant que la clause selon laquelle le Canada pouvait disposer des terres cédées aux conditions qu’il [traduction] « juge[ait] les plus favorables à notre bien-être et au bien-être de notre peuple » n’était pas en vigueur pendant les négociations qu’a menées le Canada en vue de vendre les terres cédées à la GTP. Je présume que « [la Couronne] entendait respecter ses promesses » (R c Badger, [1996] 1 RCS 771 au para 47, 133 DLR (4e) 324).

[194] Je conclus que, comme l’ont reconnu les parties, la Couronne était tenue aux obligations décrites dans l’arrêt Wewaykum, soit aux devoirs de loyauté et de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information eu égard aux circonstances et d’exercice de prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones, à partir du moment où l’agent de la GTP, E. G. Russell, s’est présenté et où il a proposé d’acquérir des terres de réserve jusqu’au moment où la cession a été acceptée et où des mesures ont été prises en vue de vendre les terres cédées. Je conclus également que le Canada était bel et bien tenu de disposer des terres cédées aux conditions qu’il jugeait les plus favorables au bien-être de la bande lorsqu’il négociait la vente des terres cédées à la GTP, tout comme il était tenu d’éviter un marché inconsidéré, comme il a été reconnu dans l’arrêt Rivière Blueberry.

H. Le caractère inconsidéré de la vente

[195] La juge McLachlin a déclaré, aux paragraphes 33 et 35 de l’arrêt Rivière Blueberry, dans une opinion concordante minoritaire qui a souvent été citée :

Il s’agit d’abord de déterminer si la Loi des Indiens imposait à la Couronne l’obligation de refuser que la bande cède sa réserve. La réponse à cette question se trouve dans l’arrêt Guerin c. La Reine, 1984 CanLII 25 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 335, où le juge Dickson (plus tard Juge en chef du Canada) a statué, au nom des juges de la majorité de la Cour, que le fondement de l’obligation de la Couronne relativement à la cession des terres des Indiens était la prévention des marchés abusifs.

[…]

À mon avis, les dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession des réserves des bandes établissent un équilibre entre les deux pôles extrêmes que constituent l’autonomie et la protection. Il fallait que la bande visée consente à la cession de sa réserve, à défaut de quoi celle-ci ne pouvait pas être vendue. Par ailleurs, il fallait également que la Couronne, par l’intermédiaire du gouverneur en conseil, consente à la cession. L’exigence que la Couronne consente à la cession n’avait pas pour objet de substituer la décision de cette dernière à celle des bandes, mais plutôt d’empêcher que celles-ci se fassent exploiter. Le juge Dickson a décrit ainsi cette exigence dans Guerin (à la p. 383) :

Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter.

Il s’ensuit que, en vertu de la Loi des Indiens, les bandes avaient le droit de décider si elles voulaient céder leur réserve, et que leur décision devait être respectée. Par ailleurs, si la décision de la bande concernée était imprudente ou inconsidérée – et équivalait à de l’exploitation – la Couronne pouvait refuser son consentement. Bref, l’obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs.

[196] Toujours dans l’arrêt Rivière Blueberry, il est précisé que la norme de prudence à laquelle est astreinte la Couronne en tant que fiduciaire est celle « qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » (au para 104, citant Fales c Canada Permanent Trust Co., 1976 CanLII 14 (CSC), [1977] 2 RCS 302 à la p 315).

[197] L’arrêt Rivière Blueberry est une affaire postérieure à 1938 dans laquelle il était question des procédures prévues par la Loi des Indiens qui s’appliquaient au moment où les réserves des bandes ont été cédées, puis achetées. Toutefois, comme il a été précisé précédemment, l’obligation de fiduciaire qui consiste à éviter les marchés inconsidérés remonte à la Proclamation royale de 1763, ainsi qu’en témoignent les commentaires du juge Dickson aux pages 383 et 384 de l’arrêt Guerin :

Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. Cet objet ressort nettement de la Proclamation royale elle-même qui porte, au début de la disposition qui fait de Sa Majesté un intermédiaire, « qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement de ces derniers… » En confirmant dans la Loi sur les Indiens cette responsabilité historique de Sa Majesté de représenter les Indiens afin de protéger leurs droits dans les opérations avec des tiers, le Parlement a conféré à Sa Majesté le pouvoir discrétionnaire de décider elle-même ce qui est vraiment le plus avantageux pour les Indiens. Tel est l’effet du par. 18(1) de la Loi.

Ce pouvoir discrétionnaire, loin de supplanter comme le prétend Sa Majesté, le droit de regard qu’ont les tribunaux sur les rapports entre Sa Majesté et les Indiens, a pour effet de transformer l’obligation qui lui incombe en une obligation de fiduciaire. Le professeur Ernest Weinrib soutient dans son article intitulé The Fiduciary Obligation (1975), 25 U.T.L.J. 1, à la p. 7, que [traduction] « la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ». À la page 4, il exprime ce point de vue de la manière suivante :

[traduction] [Lorsqu’il y a une obligation de fiduciaire] il existe un rapport dans lequel la manière dont le fiduciaire se sert du pouvoir discrétionnaire qui lui a été délégué peut avoir des répercussions sur les droits du commettant qui sont donc subordonnés à l’utilisation qui est faite dudit pouvoir. L’obligation de fiduciaire est le moyen brutal employé en droit pour contrôler ce pouvoir discrétionnaire.

I. Les terres de réserve à titre de biens fongibles

[198] Les terres de réserve ne sont habituellement pas traitées comme des biens fongibles. Dans l’arrêt Osoyoos, le juge Iacobucci a écrit ce qui suit aux paragraphes 45 et 46 :

Deuxièmement, il ressort du caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve et de la définition de « réserve » dans la Loi sur les Indiens qu’une bande indienne ne peut pas unilatéralement ajouter des terres à sa réserve ou remplacer de telles terres. L’intervention de la Couronne est requise en pareil cas. À cet égard, la notion de terres de réserve cadre mal avec la raison d’être traditionnelle du mécanisme de prise forcée de certaines terres en contrepartie d’une indemnité égale à la valeur marchande des terres en question majorée des frais. L’idée que la personne dont les terres sont prises puisse utiliser l’indemnité reçue pour acheter des biens de substitution ne tient pas compte, dans le contexte des terres de réserve, du fait qu’une telle situation aurait pour effet de réduire la taille de la réserve et de la possibilité que toute terre acquise ultérieurement à l’extérieur de la réserve ne comporte pas les privilèges assortissant les terres de réserve.

Troisièmement, il est clair qu’un droit foncier autochtone est davantage qu’un simple bien fongible. Un tel droit comporte généralement un aspect culturel important, qui reflète les rapports entre la collectivité autochtone concernée et le territoire ainsi que la valeur intrinsèque et unique des terres elles-mêmes dont jouit la collectivité. Cette façon de voir vient du fait que le fondement juridique de l’inaliénabilité des droits fonciers des Autochtones repose en partie sur le principe de common law selon lequel le titre des colons doit découler d’une concession de la Couronne, et en partie sur la politique d’intérêt général qui consiste à « veiller à ce que [les Indiens] ne soient pas dépouillés de leurs droits » : voir Delgamuukw, précité, par. 129 à 131, le juge en chef Lamer; Mitchell, précité, p. 133.

[199] En l’espèce, le Canada et la bande considéraient tous deux les terres de réserve comme un bien pouvant être vendu à la GTP, ce qui, dans le cas du Canada, concordait avec le rôle public qu’il jouait à l’appui de la création du chemin de fer transcontinental. Quant aux membres adultes de la bande, ils ont eu l’occasion de profiter du produit de la vente de terres qui, à leurs yeux, revêtaient moins d’importance au regard de leur patrimoine culturel et d’utiliser l’argent pour apporter des améliorations nécessaires à leurs maisons et à leur village.

[200] La revendicatrice ne donne aucun exemple où les terres de réserve auraient été traitées comme un article de vente, mais je crois qu’il faut se rappeler qu’une telle vente n’était pas chose courante dans le cadre de l’administration des terres de réserve. Les terres de réserve sont habituellement inaliénables, sauf dans le cas d’une cession à la Couronne (Guerin au para 384), et ne sont généralement pas à vendre.

J. Analyse

[201] Le rôle du Canada dans la cession des 14 000 acres de la RI no 2 a été conflictuel. Le gouvernement fédéral de l’époque appuyait le développement du deuxième chemin de fer transcontinental et soutenait la Compagnie dans ses efforts pour trouver un endroit où établir un terminus sur la côte du Pacifique. Le Canada était aussi directement impliqué dans le développement du chemin de fer puisqu’il s’était engagé à construire la partie est et qu’il avait appuyé le financement en garantissant les obligations émises par la GTP (pièce Ex-50, onglet JBD-960).

[202] Pour sa part, la GTP a reconnu qu’il n’était plus possible d’obtenir de généreuses subventions gouvernementales pour financer la construction de chemins de fer, de sorte que son plan d’affaires reposait en grande partie sur la possibilité d’obtenir des terres sans avoir à payer une prime pour leur acquisition, et de profiter de l’augmentation de leur valeur attribuable à leur emplacement par rapport aux gares, aux gares de triage et aux terminus ferroviaires (pièce Ex-12 aux pp 6-7).

[203] En ce qui concerne le terminus du Pacifique, le plan de la GTP consistait à obtenir au prix le plus bas suffisamment de terres pour accueillir son infrastructure opérationnelle, mais aussi un lotissement urbain, c’est-à-dire des terres qui seraient aménagées et vendues de manière à réaliser un important profit (pièce Ex-12 aux pp 6-7). Il fallait donc que le site présente des caractéristiques physiques permettant d’accueillir les voies ferrées, les gares de triage et les quais, mais les exigences à cet égard étaient modestes. Les gares de triage et les quais nécessitaient environ 1 600 acres (pièce Ex-50, onglet JBD-169) et il était possible d’exproprier ces terres si le ministère des Chemins de fer approuvait qu’elles soient utilisées à des fins ferroviaires. La GTP a acquis un total de 24 000 acres de terres provenant de la réserve de la bande et de la réserve du gouvernement provincial, ce qui était bien au-delà de ce dont elle avait besoin aux fins du chemin de fer. Les terres ont été acquises pour permettre l’aménagement du lotissement urbain qui était prévu. Pour mettre la superficie obtenue en perspective, la superficie de la ville actuelle de Prince Rupert est d’environ 16 000 acres et, à titre de comparaison, la superficie de la ville de Vancouver est d’environ 28 400 acres. Les 24 000 acres de terres acquises par la GTP dépassaient nettement les possibilités de développement de la société, et de toute façon, une grande partie de ces terres ne se prêtait pas au développement. Cependant, la GTP s’était ainsi assurée d’avoir un périmètre à l’intérieur duquel le développement privé des terres ne pouvait concurrencer son propre développement industriel et urbain.

[204] Le Canada savait, de par les démarches effectuées par la GTP en 1905, que la Compagnie était très déterminée à aménager le terminus de la côte de l’océan Pacifique sur l’île Kaien. L’accord de 1904 portant sur les 10 000 acres de la réserve du gouvernement provincial a été rendu public en 1905 (ECF aux para 69-72, 98; pièce Ex-24, onglet 157). L’acquisition de terres s’est faite par le transfert de trois parcelles situées près de l’extrémité orientale du havre de Prince Rupert (pièce Ex-50, onglet JBD-991). Les terres de la RI no 2 sises sur l’île Kaien, l’île Digby et la partie continentale se trouvaient juste à l’ouest des terres acquises auprès de la province. Parmi les conditions de l’acquisition figurait le fait que le terminus devait être situé sur les terres ainsi obtenues. Selon le plan présenté au ministre des Chemins de fer en 1904, les gares de triage et les installations portuaires de l’île Kaien devaient être aménagées en partie sur la RI no 2, sur le littoral de la partie nord-ouest de l’île Kaien, à côté des terres que la GTP avait acquises auprès de la province (pièce Ex-22, onglet 140). Cette partie de la RI no 2 se prêtait bien à l’infrastructure du terminus et, comme l’a plus tard précisé le directeur général Morse dans son télégramme au premier ministre McBride, elle était [traduction] « essentielle à l’achèvement des plans de la cité modèle du terminus » (pièce Ex-50, onglet JBD-378). Dans une lettre datée du 6 avril 1905 qu’il a envoyée à Frank Pedley, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, Morse a accusé réception d’un plan de l’île Digby et d’une partie de l’île Kaien, lequel avait été fourni par le ministère, et a fait connaître l’intérêt de la GTP pour ces secteurs de la partie sud de la RI Tsimpsean no 2 (pièce Ex-50, onglet JBD-186). Puis, dans une lettre datée du 20 avril 1905, le deuxième vice-président de la GTP Wainwright a informé Pedley que la Compagnie allait présenter une autre demande visant à inclure l’île Digby (pièce Ex-50, onglet JBD-190) et, dans une note de service datée du 3 août 1905, Pedley a avisé le ministre que la GTP avait déposé un tracé montrant les terres qu’elle souhaitait acquérir [traduction] « si elle décidait d’établir le terminus de la côte du Pacifique à Port Simpson » (pièce Ex-50, onglet JBD-190). Dans le contexte de la note de service et de la correspondance antérieure, la référence à Port Simpson est une référence générale et les terres dont il est question sont les terres de la partie sud de la RI Tsimpsean no 2 qui entourent le havre de Prince Rupert. À la page 2 de la note de service, Pedley a écrit que [traduction] « les plans ci-joints montrent la position des îles Digby et Kaien, la première couvrant 7 950 acres et la seconde, c’est-à-dire la partie qui constitue la réserve, couvrant 2 519 acres. Le plus petit plan montre la position relative de ces îles par rapport à la réserve indienne de Port Simpson » (pièce Ex-50, onglet JBD-202). Encore une fois, la référence à Port Simpson est une référence générale et les terres dont il est question sont celles qui entourent le havre de Prince Rupert.

[205] Le gouvernement savait que la GTP prévoyait acquérir des terres dans la région du havre de Prince Rupert avant que Pedley n’envoie une lettre à l’agent des Indiens Morrow, le 28 novembre 1905, et lui donne l’instruction suivante : [traduction] « si E. G. Russell, le représentant de la Grand Trunk Pacific Railway Company, vous rendait visite pour discuter de ce projet avec vous et avec les Indiens, le ministère n’y verrait aucune objection » (pièce Ex-50, onglet JBD-213). Je souligne qu’aucun préavis ni aucune information sur les intentions de la Compagnie n’ont été donnés à la bande, et que l’intérêt du Canada à veiller à l’achèvement du chemin de fer n’a pas été divulgué. En outre, la bande ne disposait d’aucune information lui permettant de contester la déclaration faite par Russell dans sa lettre du 15 janvier 1906 selon laquelle il existait des options viables, autres que Port Simpson et Kitimat.

K. La résolution de la bande datée du 7 février 1906

[206] La résolution que Morrow a consignée en lien avec les rencontres ayant eu lieu entre la bande et Russell du 1er au 7 février 1906 présentait d’autres problèmes que la description des terres à céder. Dans une note de service qu’il a envoyée au ministre le 24 mars 1906, Pedley a indiqué qu’il était contraire à l’Acte des Sauvages de verser une somme directement aux membres de la bande et d’exiger, en vertu de la résolution, que le reste de l’argent serve à verser une somme aux jeunes membres de la bande au moment où ils atteignent l’âge adulte et à améliorer les infrastructures, et que l’intérêt réversif revendiqué par la province empêchait de transférer les terres à la GTP. Dans la note de service, Pedley expliquait ce qui suit :

[traduction] L’accord prévoyait notamment que la moitié du produit de la vente serait versée en espèces, en parts égales, aux Indiens âgés de 21 ans révolus et autorisés à recevoir cet argent, et que le solde serait placé dans un compte d’intérêt et porté au crédit de la bande Metlakatla par le ministère, que chaque garçon et fille ayant droit à cette même somme recevrait un montant équivalent à l’âge de 21 ans et que les intérêts courus sur le solde détenu par le ministère seraient versés annuellement par l’agent des Indiens pour financer les travaux de réparation, d’entretien et d’amélioration de la municipalité.

Dans son rapport, l’agent affirme que, selon lui, il s’agit d’une excellente affaire et, bien qu’il sache que le ministère n’a pas pour politique de verser de l’argent directement aux Indiens, il croit néanmoins que, dans ce cas, le ministère pourrait le faire puisque les Indiens utiliseraient chaque dollar reçu à bon escient pour améliorer et meubler leurs maisons, et qu’ils géreraient tout solde non utilisé aussi bien que les Blancs.

Cependant, nous nous heurtons d’emblée à la loi qui limite à 10 % du produit d’une vente le paiement en espèces aux Indiens. Rien ne permet d’affirmer que la restriction législative a été prise en compte ou présentée aux Indiens lors des négociations.

Il y a une autre question à traiter, à savoir l’intérêt réversif que revendique le gouvernement de la Colombie-Britannique sur les réserves de la province, dont ces terres font partie. [Pièce Ex-50, onglet JBD-1093]

[207] Dans les circonstances, Pedley croyait que les deux options suivantes étaient appropriées : obtenir l’autorisation du Parlement, probablement par le biais d’un amendement à l’Acte des Sauvages, ou rencontrer la bande une deuxième fois pour obtenir la cession au même prix, mais avec un versement de seulement 10 % du prix de vente en espèces aux membres de la bande, conformément à l’Acte des Sauvages de 1886. Il a également proposé de demander à la province de renoncer à son intérêt réversif compte tenu de l’avantage que représenterait pour le public la construction du chemin de fer et, si elle n’était pas disposée à y renoncer, de conclure une sorte d’arrangement en vertu duquel les fonds provenant de la vente à la GTP seraient [traduction] « laissés à la disposition des Indiens jusqu’à ce que la question soit définitivement réglée ». Voici un extrait de sa note de service :

[traduction] Il nous sera impossible de verser un tel paiement en espèces aux Indiens sans l’autorisation du Parlement et, si nous ne pouvons pas l’obtenir, nous pourrions leur exposer l’état réel des faits et leur demander de modifier les conditions à cet égard afin de se conformer à la loi.

Il a été suggéré — et je crois que cette idée devrait être prise en considération — de demander au gouvernement de la Colombie-Britannique de renoncer à son droit de réversion à l’égard de ces terres vu qu’il est manifestement important pour la Compagnie de chemin de fer d’obtenir des terrains appropriés pour les installations et, si la province n’est pas prête à y renoncer, de conclure un arrangement qui permettrait aux Indiens de disposer des fonds jusqu’à ce que la question soit définitivement réglée.

Je recommanderais de reprendre les négociations avec les Indiens dans le but d’obtenir la cession des terres demandées au prix convenu et de leur verser en espèces 10 % du montant obtenu, et, une fois la cession obtenue, d’entamer des négociations avec la province de la Colombie-Britannique dans le but d’arriver à un accord aux termes duquel la Compagnie recevrait un titre incontestable.

[208] Le ministre de l’Intérieur et surintendant général des Affaires indiennes, Frank Oliver, a donné suite à la suggestion de Pedley et a écrit une lettre, datée du 28 mars 1906, dans laquelle il recommandait au Conseil privé d’envoyer une communication au gouvernement provincial pour lui demander de renoncer à son intérêt réversif (pièce Ex-24, onglet 186), ce que le Conseil privé a fait. Cependant, la province a sommairement refusé d’accéder à cette demande (pièce Ex-50, onglet JBD-1112).

[209] Le 28 mai 1906, un représentant de la GTP a fait parvenir une lettre à Frank Oliver dans laquelle il a qualifié la résolution adoptée par la bande [traduction] « [d’]accord provisoire » et a indiqué ce qui suit :

[traduction] […] Je suis conscient que les paiements à verser aux Indiens excèdent ceux qui sont autorisés par l’Acte des Sauvages. Il se peut, cependant, que l’accord puisse être appliqué d’une autre manière. Nous sommes prêts à respecter toutes les exigences ministérielles raisonnables en vue d’effectuer la vente en question. Nous avons déjà échangé de nombreuses lettres et eu de nombreux entretiens à ce sujet et je pense qu’il est possible de parvenir à un accord satisfaisant même sans l’accord de la province. [Pièce Ex-50, onglet JBD-250]

[210] Comme il ressort de cette lettre, la GTP s’efforçait de maintenir l’accord en vigueur. Dans la lettre qu’il a envoyée à Tate, avocat de la Compagnie, le 27 juin 1906, Morse a demandé que Russell, représentant de la Compagnie, participe aux discussions menées avec le ministre à ce sujet et a ajouté ce qui suit :

[traduction] J’accorde la plus grande importance et la plus grande valeur à l’accord que M. Russell a conclu avec les Indiens et qui a été signé avec le consentement du gouvernement, c’est-à-dire qu’on nous a dit que nous pouvions aller de l’avant et négocier le meilleur arrangement possible. Je ne veux pas que l’avantage que nous avons obtenu à cet égard soit perdu si l’accord est annulé et que le gouvernement envoie son représentant négocier avec les Indiens, et ce, pour la simple et bonne raison que nous avons vécu une expérience de ce genre, au fort William, et nous avons dû débourser 200 000 $ de plus que prévu. [Pièce Ex-24, onglet 202]

[211] Le 14 juillet 1906, le surintendant général adjoint par intérim des Affaires indiennes a déposé une note dans laquelle il était précisé qu’aucune mesure ne devait être prise concernant la cession des îles Digby et Kaien jusqu’à ce que d’autres instructions soient données (pièce Ex-50, onglet JBD-270). À ce stade, le Canada craignait que la GTP n’exerce un recours contre la Couronne si les terres étaient transférées et que la province continuait de l’empêcher d’obtenir un titre valide. En fin de compte, Tate a, dans une lettre datée du 17 juillet 1906, fait savoir que la Compagnie était prête à accepter qu’on lui délivre les lettres patentes pour les terres [traduction] « sans qu’elle puisse exercer un recours contre le Dominion dans le cas où il serait établi que la province de la Colombie-Britannique a l’intérêt réversif qu’elle revendique à l’égard des réserves indiennes en question » (pièce Ex-24, onglet 208). Dans cette lettre, D’Arcy Tate a invité Pedley à [traduction] « demander à monsieur le surintendant Vowell de Victoria de se rendre à Metlakatla afin d’obtenir des Indiens la cession nécessaire comme nous l’avions convenu dans notre accord ».

[212] Le lendemain, Pedley a donc écrit à Vowell pour lui demander de se rendre à Metlakatla afin d’obtenir la cession. Dans sa lettre, Pedley a notamment indiqué (pièce Ex-2, onglet 50) : [traduction] « Je peux affirmer que le ministère est prêt à payer 7,50 $ l’acre pour les terres et à indemniser les propriétaires des jardins en leur versant une somme d’au moins 1 500 $ ». Pedley a également fait remarquer que la résolution de la bande était conditionnelle à ce que 50 % du produit soit versé aux membres en espèces et que l’autre 50 % soit distribué de la manière prévue dans la résolution. D’ailleurs, il a fait référence à la disposition de l’Acte des Sauvages qui prévoyait un versement de 10 %, mais il a ajouté que [traduction] « pendant la session en cours, un amendement a été apporté pour augmenter à 50 % du produit de la vente le montant pouvant être versé directement aux Indiens ».

[213] Pedley a ensuite expliqué que le ministère était prêt à avancer 50 % du produit aux membres de la bande, mais que les autres dispositions de la résolution de la bande — à savoir celles régissant les paiements versés aux jeunes membres quand ils atteignent l’âge de la majorité et les paiements versés pour les travaux d’amélioration — devaient être modifiées afin que les 50 % restants soient placés dans le compte en fiducie de la bande. Il a également joint un chèque de 10 000 $ et ce montant devait être réparti entre les membres à titre de paiement partiel. Je tiens à souligner que Pedley avait confirmé que le ministère était prêt à payer 7,50 $ l’acre et qu’un paiement partiel serait versé sans délai. Vowell a accepté la cession telle qu’elle a été décrite dans les présents motifs. Il n’a pas fait de paiement partiel puisqu’il croyait que ce paiement n’était pas nécessaire.

[214] Il convient de noter que, pendant toute la période qui a précédé la cession des 16 et 17 août 1906 et les développements qui ont mené à la délivrance des lettres patentes le 25 juin 1907, le Canada a servi d’intermédiaire dans la promotion des intérêts qu’avait la GTP à acquérir les terres convoitées pour le développement :

  1. en s’adressant directement au gouvernement provincial pour qu’il renonce à l’intérêt réversif revendiqué;

  2. en établissant comment donner effet à la résolution, au point de garantir un paiement de 7,50 $ l’acre et d’avancer 10 000 $;

  3. en incluant dans les lettres patentes les terres qui n’avaient pas été dûment cédées.

[215] Le gouvernement ne s’est pas efforcé de fournir une opinion sur la valeur des terres, comme cela avait été fait au fort William ainsi que dans les affaires Guerin et Rivière Blueberry, ou d’informer la bande de la façon dont l’emplacement du terminus et le développement des terres pouvaient influer sur l’évaluation de la valeur des terres, et de la possibilité d’obtenir une part en pourcentage des lots devant être créés, comme l’avait fait la province.

[216] Les négociations visant à régler la question des terres à transférer au moyen de lettres patentes se sont poursuivies jusqu’à la délivrance desdites lettres patentes le 25 juin 1907, après que 500 $ aient été versés en espèces aux membres de la bande le 19 juin 1907 (pièce Ex-2, onglet 89).

L. Les rapports d’évaluation

[217] Deux rapports d’évaluation foncière ont été déposés en preuve. Le premier rapport (pièce Ex-12), produit par la revendicatrice, était celui de Kent-Macpherson, et la preuve d’expert à l’appui a été donnée par l’un de ses deux auteurs, Allan Koebel (le rapport Koebel ou le rapport Kent-Macpherson). Le deuxième rapport (pièce Ex-37), produit par l’intimé, était celui de Land Ethic Consulting Ltd. et il a été présenté par son auteur, John Peebles, aussi un expert en évaluation foncière (le rapport Peebles ou le rapport LEC).

M. Les évaluations de la valeur marchande

[218] L’évaluation de la valeur marchande des terres visées par les lettres patentes représente un défi de taille. Les quelque 14 000 acres cédées à la GTP constituaient une parcelle bien plus grande que celles qui avaient été vendues jusqu’alors sur la côte nord-ouest, et peut-être la plus grande parcelle acquise dans cette région à ce jour.

[219] Par ailleurs, compte tenu de l’usage qui devait être fait des terres, la vente se distinguait des quelques autres ventes, lesquelles ne s’inscrivaient pas dans un contexte de spéculation ferroviaire. Dès les années 1880, la région a été le théâtre d’achats spéculatifs de terres, alors que différents emplacements étaient envisagés pour le terminus du Pacifique du CFCP (pièce Ex-12 à la p 124). Puis, vers la fin du siècle, il a été proposé de construire une deuxième ligne transcontinentale et, en 1900, une charte provinciale a été accordée afin qu’un chemin de fer local puisse desservir les sites miniers d’Omineca et que le terminus soit situé à Kitimat (pièce Ex-12 à la p 124). Or, ce dernier chemin de fer n’a jamais été construit et la Compagnie a été acquise par la GTP dans le cadre de ses efforts visant à construire la partie occidentale de son chemin de fer transcontinental (pièce Ex-12 à la p 124).

[220] Port Simpson et Kitimat ont été les premiers emplacements envisagés pour la construction d’un terminus. Cependant, vu les achats spéculatifs qui avaient été effectués, la plupart des terres pouvant accueillir un terminus à l’un ou l’autre de ces deux endroits appartenaient au secteur privé. En revanche, les terres situées dans la région du havre de Prince Rupert (appelé havre Lima ou bras Tuck à l’époque) n’étaient pas des propriétés privées. L’est de la région se trouvait à l’intérieur d’une réserve provinciale et l’ouest, dans la partie sud de la RI Tsimpsean no 2. (Pièce Ex-12 à la p 124)

[221] Ces trois emplacements pouvaient physiquement accueillir un terminus. Or, des distinctions ont été relevées. Kitimat était, par voie ferroviaire, légèrement plus proche des cols de montagne. Ensuite, il y avait Prince Rupert et Port Simpson, encore un peu plus loin. Par contre, par voie maritime, les distances pour rejoindre l’Asie classent les trois emplacements dans l’ordre inverse. Les eaux de Prince Rupert et de Kitimat s’apparentaient toutes deux à des fjords qui, un jour, allaient devenir des ports en eau profonde; par contre, elles présentaient certaines difficultés puisque les mouillages y étaient limités. Port Simpson était le site le plus proche de l’Alaska, ce qui a été considéré comme un facteur négatif (pièce Ex-12 à la p 122), mais toutes ces différences étaient marginales et les trois sites étaient protégés et convenaient à l’établissement d’un terminus.

Carte illustrant les emplacements de Port Simpson et Kitimat, ainsi que la région actuelle de Prince Rupert, laquelle est désignée par une flèche rouge marquée « Objet »
(pièce Ex-12 à la p 123)

[222] Les évaluateurs ont adopté des méthodes similaires dans leur rapport d’évaluation, mais ils ont utilisé des données bien différentes. Ils ont tous deux jugé que la méthode d’évaluation appropriée était celle de la comparaison directe (pièce Ex-12 aux pp 105-106; pièce Ex-37 à la p 88). Allan Koebel a souligné qu’il fallait tenir compte de lieux plus éloignés (et de périodes plus étendues) pour se forger une opinion :

[traduction] Étant donné qu’il est présumé que les terres en question étaient inoccupées à la date d’évaluation, la méthode de comparaison directe est la seule méthode d’évaluation pertinente. La méthode de comparaison directe est celle qui est la plus couramment utilisée et elle constitue la méthode privilégiée pour établir la valeur des terres, comme les terres visées par les lettres patentes, sans égard aux améliorations qui ont pu être apportées.

La méthode de comparaison directe nécessite d’analyser et de comparer des biens immobiliers qui sont semblables à celui visé par l’évaluation, et qui ont été vendus à une date relativement proche de celle de l’évaluation dans des conditions économiques similaires. Il s’agit de la méthode privilégiée pour estimer la valeur marchande d’une terre puisqu’elle reflète les comportements habituellement observés chez les acheteurs et les vendeurs, comme le veut le principe de la substitution [note de bas de page omise] :

[Q]uand plusieurs produits, biens ou services semblables ou équivalents sont disponibles, celui dont le prix est le plus bas est le plus demandé et le plus largement distribué. Ce principe suppose un comportement rationnel et prudent du marché, où aucun coût excessif n’est imposé en raison d’un retard […] La valeur d’un bien tend à correspondre au prix qui serait payé pour acquérir un bien de substitution ayant une utilité et un attrait similaires dans un délai raisonnable.

Dans le cas présent, il est particulièrement difficile d’évaluer les terres visées par les lettres patentes sur la base du principe de la substitution, car il est quasi impossible de trouver une propriété comparable ou similaire, d’autant plus qu’il s’agit d’un emplacement susceptible d’accueillir un terminus. Les caractéristiques physiques qui ont fait que les terres visées par les lettres patentes constituaient un emplacement intéressant pour un terminus (c.-à-d. port en eau profonde, emplacement protégé, etc.) ne sont pas des caractéristiques communes aux terres de la région. En outre, aucune autre grande parcelle de terre n’avait été vendue dans la région dans le but d’accueillir un terminus ou un port. Par conséquent, la recherche de ventes de terres comparables a été étendue au-delà de Prince Rupert afin de permettre une comparaison directe. [Caractères gras dans l’original; je souligne; pièce Ex-12 aux pp 105-06]

[223] Selon Allan Koebel, la date d’évaluation pertinente était le 17 août 1906, soit la date de la cession au Canada. D’autres dates doivent être prises en compte, soit le 21 septembre 1906, date à laquelle la cession a été acceptée par le Canada, et le 25 juin 1907, date à laquelle les lettres patentes ont été délivrées à la GTP (la date d’évaluation indiquée à l’alinéa 20(1)e) de la LTRP est la date à laquelle les terres ont été « prises »), mais Allan Koebel a indiqué que la valeur n’avait pas véritablement changé entre la cession et la délivrance des lettres patentes. John Peebles a mentionné que le 17 février 1906 était la date à laquelle il avait été annoncé, dans un article du Victoria Daily Times, que Metlakatla avait décidé de céder les terres à des fins de vente, ce qui a entraîné des changements sur le marché. Selon Allan Koebel, le marché avait changé déjà avant février 1906 et [traduction] « [i]l est illogique de prétendre que les ventes enregistrées après la parution de l’article du 17 février 1906 ne devraient pas être utilisées à des fins de comparaison, comme le laisse entendre le rapport LEC, “puisque les conditions du marché avaient radicalement changé à la suite de l’article paru [plus tôt] dans le Times Colonist” » (italiques dans l’original; pièce Ex-13 à la p 12).

[224] John Peebles a reconnu que la méthode de comparaison directe était appropriée et, à la page 20 de son rapport du 27 novembre 2019 (pièce Ex-37), il a indiqué que la date d’évaluation pertinente était le 7 février 1906, soit juste avant que le marché ne change, c’est-à-dire, selon lui, avant que ne soit publié l’article portant sur la résolution initiale de la bande (pièce Ex-37 aux pp 20, 88). Il a élargi la [traduction] « zone de marché » à l’intérieur de laquelle les « indicateurs de marché, tels que les ventes de biens » seraient examinés afin « d’inclure toute la côte nord et ainsi obtenir davantage de données sur les ventes et mieux comprendre les conditions du marché vers 1906 » (pièce Ex-37 à la p 89). Il a aussi pris en compte les ventes [traduction] « réalisées avant ou peu après la date d’évaluation de février 1906 » (pièce Ex-37 à la p 21) dans la région tout juste au sud de Prince Rupert, mais il a recommandé de ne pas utiliser les données postérieures au 17 février 1906 pour éviter de faire une comparaison a posteriori. À la page 21, il a comparé la façon dont les données ont été sélectionnées :

Tâche d’évaluation

Rapport LEC [rapport Peebles]

Rapport KM [rapport Koebel]

Documents à l’appui (p. ex. données relatives au marché)
- Indemnité en equity

S’est fondé sur des indicateurs de valeur datant d’avant ou de peu après la date d’évaluation de février 1906.

S’est fondé sur des indicateurs de valeur datant de 2 à 3 ans après la date d’évaluation d’août 1906.

Ne s’est pas fondé sur les lotissements urbains partiellement aménagés et arpentés qui ont été vendus par la GTP pour évaluer les terres non aménagées visées par les lettres patentes.

S’est fondé sur les lotissements urbains partiellement aménagés et arpentés qui ont été vendus par la GTP pour évaluer les terres non aménagées visées par les lettres patentes.

Ne s’est pas fondé sur les lotissements urbains achetés par la GTP dans les communautés de Vancouver, du fort George, de Hazelton et dans l’est du Canada en raison des différences dans les conditions du marché, dans l’emplacement, dans les influences politiques, etc.

S’est fondé sur les lotissements urbains achetés par la GTP dans les communautés de Vancouver, de Hazelton, du fort George et dans l’est du Canada. KM n’a pas tenu compte des différences dans les conditions du marché, dans les conditions de vente, dans l’emplacement ou dans les influences politiques.

[225] Les deux évaluateurs cherchaient à savoir si les trois régions de la partie sud de la RI Tsimpsean no 2 (l’ouest de l’île Kaien, les trois quarts de l’île Digby et la partie continentale) ont été vendues à la valeur marchande. Ils citent tous deux la définition de la valeur marchande de l’Institut canadien des évaluateurs :

Le prix le plus probable qu’un bien devrait rapporter dans un marché concurrentiel et ouvert, à la date précisée, dans toutes les conditions requises pour une vente équitable, l’acheteur et le vendeur agissant tous deux prudemment et en connaissance de cause et en supposant que le prix n’est pas déterminé par des facteurs indus. [Pièce Ex-35, onglet 623 (Institut canadien des évaluateurs, Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada, (Ottawa : 2018) à la p 76); pièce Ex-12 à la p 16 (rapport Koebel); pièce Ex-37 à la p 31 (rapport Peebles)]

[226] Il est indiqué dans les Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC) que cette définition [de la valeur marchande] peut être étoffée par l’ajout de ce qui suit :

Ce qui est implicite dans cette définition est le fait que l’on conclut la vente à la date précisée et en transférant le titre de l’acheteur au vendeur dans les conditions suivantes :

• l’acheteur et le vendeur sont normalement motivés;

• les deux parties sont bien informées ou bien conseillées et agissent, à leur avis, au meilleur de leurs intérêts;

• un délai raisonnable d’exposition est prévu pour la mise en vente sur le marché libre;

• le paiement est effectué en espèces, en dollars canadiens, ou selon des modalités financières comparables; et

• « Le prix représente la contrepartie normale du bien vendu, sans être modifié par un financement spécial ou original ou des concessions de vente accordées par quiconque est associé à l’opération de vente. » [Pièce Ex-35, onglet 623; citées par les deux experts en évaluation (pièce Ex-12 à la p 16 (rapport Koebel) et pièce Ex-37 à la p 31 (rapport Peebles))]

[227] Dans son analyse, John Peebles indique que l’acheteur et le vendeur sont la GTP et la bande Metlakatla et que la date applicable pour l’évaluation est le 7 février 1906, date de la résolution originale de la bande (pièce Ex-37 aux pp 78-79).

[228] Allan Koebel indique que le vendeur est le Canada et que la date de l’estimation rétrospective de la valeur marchande est la date de la cession officielle, soit le 17 août 1906 (pièce Ex-12 aux pp 18, 116). Aux yeux de John Peebles, l’écart entre ces deux dates est important, car, comme il l’indique dans son rapport du 27 novembre 2019 :

[traduction] [u]ne fois qu’il a été annoncé dans un article du Times Colonist [Victoria Daily Times] daté du 17 février 1906 que la GTP avait acheté plus ou moins 14 160 acres de terres de réserve, la spéculation a atteint un niveau sans précédent dans l’ensemble de la région associée au bras Tuck (précurseur du havre de Prince Rupert). [Pièce Ex-37 à la p 46]

[229] De l’avis de John Peebles, le fait que cette information ait été rendue publique a eu pour effet de modifier le marché, ce qui, selon lui, est un facteur qui milite contre la prise en compte des ventes subséquentes pour déterminer si l’indemnité versée par la GTP était adéquate. John Peebles déclare ce qui suit :

[traduction] Les ventes enregistrées après 1906 n’ont pas été prises en compte dans l’analyse de l’évaluation qui figure à la partie II, Indemnisation des terres cédées, puisque les conditions du marché avaient radicalement changé à la suite de la parution de l’article du Times Colonist [Victoria Daily Times]. [Pièce Ex-37 à la p 46]

[230] Dans son rapport, Allan Koebel reconnaît la pertinence du principe de l’anticipation. Selon lui, il était bien établi en août 1906 que le terminus serait situé sur l’île Kaien et :

[traduction] [s]ur les marchés immobiliers, la valeur actuelle d’un bien n’est généralement pas fondée sur ses prix historiques ou sur le coût de sa création. La valeur est plutôt basée sur la perception qu’ont les participants au marché des avantages qu’offrira l’acquisition. [Pièce Ex-33, onglet 577 (Institut canadien des évaluateurs, The Appraisal of Real Estate : Third Canadian Edition, (Colombie-Britannique : Division de l’immobilier de l’Université de la Colombie-Britannique, 2010) à la p 3.3); pièce Ex-12 à la p 115]

[231] En outre, Allan Koebel soutient ce qui suit :

[traduction] Si vous êtes un vendeur potentiel sur un marché où non seulement il est établi qu’il y a une demande pour vos terres (p. ex. la RI Tsimpsean no 2), mais aussi que la mise en œuvre d’un projet de développement sur des terres adjacentes/environnantes fera augmenter la valeur de votre propriété, le fait que cette information soit publique a un effet direct et positif sur la valeur marchande de votre propriété. S’agissant des terres visées par les lettres patentes, il est possible que le fait d’avoir anticipé la valeur qu’aurait la réserve à la suite de l’aménagement du terminus de l’Ouest de la Grand Trunk Pacific ait eu un effet positif important sur la valeur marchande au moment de la cession.

Le fait que la Grand Trunk Pacific prévoyait installer son terminus et son lotissement sur les terres de la RI Tsimpsean no 2 et sur les terres adjacentes — terres dont elle demandait la cession — aurait un effet positif sur la valeur marchande des terres. Cette situation rappelle celle de Port Simpson et de Kitimat — des endroits qui avaient été envisagés pour la construction d’un terminus — où les spéculateurs qui avaient acheté des terres dans ces régions voulaient les vendre au prix fort, car ils pensaient qu’il y avait une demande pour des terres qui se prêtaient bien à l’aménagement d’un terminus et d’un lotissement urbain (voir la section 7.4.1). Il en a été de même pour le terminus du CFCP à Vancouver (voir la section 7.4.5). [Pièce Ex-12 aux pp 115-16]

[232] Il ajoute :

[traduction] […] les définitions de la valeur marchande reflètent les conditions d’une vente équitable, l’acheteur et le vendeur agissant tous deux prudemment et en connaissance de cause. Comme le Canada, qui représentait les intérêts de Metlakatla sur les terres en tant que « vendeur », savait que la [GTP] prévoyait installer son terminus de l’Ouest sur les terres visées par les lettres patentes et sur les terres adjacentes, son pouvoir de négociation, et donc la valeur des terres, auraient dû s’en trouver accrus. [Pièce Ex-12 à la p 116]

N. Les conditions d’une vente à la valeur marchande énoncées dans les Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC)

1. L’acheteur et le vendeur étaient-ils normalement motivés?

[233] John Peebles examine les conditions d’une vente à la valeur marchande dans son analyse de ce qui est, selon lui, une vente par Metlakatla à la GTP. Selon lui, le fait que la bande ait rejeté l’offre initiale de cinq dollars l’acre et qu’elle ait refusé de vendre toutes les terres que la GTP voulait acheter indique qu’elle n’était pas pressée de vendre et qu’elle était normalement motivée à vendre les terres dont [traduction] « elle n’avait pas besoin » (pièce Ex-37 aux pp 79-80).

[234] Selon l’analyse de John Peebles visant à déterminer qui devrait être désigné comme acheteur et vendeur, la « vente normalement motivée » en l’espèce était une vente menée par des membres adultes de la bande qui détenaient un intérêt bénéficiaire dans un titre sui generis du fait qu’ils entretenaient un rapport fiduciaire avec le Canada. En contrepartie, ils demandaient qu’une indemnité correspondant à 50 % du prix de vente leur soit directement versée (ce qui n’était pas autorisé par l’Acte des Sauvages à cette époque) (pièce Ex-50, onglet JBD-1093) et que des dispositions soient prises pour que les jeunes membres de la bande atteignant l’âge de la majorité bénéficient de la vente et que des améliorations soient apportées au village. Or, ces dispositions ont finalement dû être abandonnées (pièce Ex-2, onglet 58). Je ne suis pas d’accord avec John Peebles pour dire qu’il s’agit d’une vente normalement motivée, du moins de la part de la bande.

2. Metlakatla était-elle bien informée et conseillée?

[235] La deuxième condition d’une vente à la valeur marchande tient au fait que les deux parties sont bien informées ou bien conseillées. John Peebles soutient que la bande a été conseillée par l’évêque Du Vernet et par l’agent des Indiens Morrow. Les deux étaient présents, mais il n’est question de leur rôle respectif que dans l’article du Victoria Daily Times, lequel contient un certain nombre d’inexactitudes (pièce Ex-50; onglet JBD-1078). Ce n’est pas à la demande du Canada que l’évêque a assisté aux négociations. En fait, ce dernier résidait à Metlakatla et était sans doute un membre important de la communauté, mais il n’est pas certain qu’il ait joué un rôle de conseiller. Il était un peu au courant de la situation du terminus du Pacifique et il a rédigé un article dans le Globe du 16 août 1905, dans lequel il décrivait la région et l’entrée du bras de mer Tuck depuis le Pacifique. Il a écrit que l’île Kaien allait [traduction] « sans doute » être choisie pour accueillir le terminus et il voyait ce projet d’un bon œil puisqu’il allait contribuer à la colonisation de la côte nord-ouest :

[traduction] Comme il n’est pas rare qu’un nouveau pays subisse de graves préjudices du fait que des investisseurs ignorants se livrent à une spéculation foncière insensée, il est peut-être bon de souligner qu’en ce qui concerne l’île Kaien, la spéculation privée n’est pas tolérée. Le gouvernement du Dominion contrôle la pointe ouest de l’île Kaien et l’ensemble de l’île Digby puisque ces régions font partie de la réserve indienne. […] Par l’intermédiaire d’un représentant, la Grand Trunk Pacific Railway Company contrôle indirectement 10 000 acres, ce qui comprend tous les terrains plats de l’île Kaien ne faisant pas partie de la réserve indienne et quelques bonnes terres de l’autre côté du bras Tuck. […] Spéculer sur des parcelles urbaines situées sur le flanc d’une montagne escarpée ou sur des îlots rocheux à des kilomètres d’une éventuelle ville ne fera que retarder le développement de notre pays. [Pièce Ex-2, onglet 40]

[236] Il ressort de ces écrits que l’évêque, s’il avait effectivement conseillé la bande, n’aurait pas recommandé de fixer un prix reflétant la valeur spéculative accrue ou de chercher à partager les profits liés à ce projet.

[237] Dans le cas de l’agent des Indiens Morrow, il avait reçu de Pedley une lettre l’avisant que si Russell lui rendait visite pour [traduction] « discuter de ce projet avec [lui] et avec les Indiens, le ministère n’y verrait aucune objection » (pièce Ex-50, onglet JBD-213).

[238] Dans la lettre de rapport qu’il a envoyée à Pedley le 14 février 1906, Morrow a indiqué avoir lu la lettre de Russell à la bande et [traduction] « l’avoir informée de ce que M. Russell souhaitait obtenir [pour sa] compagnie » (pièce Ex-2, onglet 43). Il a également précisé qu’il souscrivait à la décision de la bande de conserver l’extrémité nord de l’île Digby. Il a ensuite décrit les autres modalités relatives aux terres visées et au prix à payer, et a souligné que si le ministère consentait à ce que 50 % des fonds soient versés directement aux membres de la bande et à ce que les autres conditions relatives aux 50 % restants soient respectées, la bande accepterait de céder ses terres. Il a indiqué qu’il considérait qu’il s’agissait d’une excellente affaire et, bien qu’il n’était pas conforme à la politique du ministère de verser de l’argent directement aux membres de la bande, il a ajouté : [traduction] « j’espère néanmoins que […] le ministère pourra le faire ».

[239] Dans son compte rendu, Morrow ne disait pas avoir conseillé la bande sur la valeur des terres; or, il ne pouvait être sans savoir que le ministère souhaitait faciliter la vente, comme en témoignent d’ailleurs la rédaction ultérieure de l’acte de cession et les mesures prises pour modifier l’Acte des sauvages. En outre, la solution qui lui semblait excellente n’était pas celle décrite dans la résolution jointe à la cession officielle (pièce Ex-2, onglet 51). Je conclus que la thèse avancée par John Peebles et le Canada, selon laquelle la bande était bien informée, n’est pas convaincante.

[240] Par ailleurs, il convient de noter que, dans sa lettre, Morrow a relaté les négociations sur le prix. Il a indiqué que la bande avait d’abord demandé à Russell de lui verser 10 $ l’acre, mais que ce dernier avait répondu qu’il ne pouvait pas verser une telle somme puisque la Compagnie avait acheté du gouvernement provincial [traduction] « le lotissement urbain situé sur l’île Kaien pour un dollar ([1] $) l’acre » (pièce Ex-2, onglet 43). Or, il ne faut pas oublier — et le Canada le savait, mais peut-être pas Morrow — que la province avait aussi obtenu un quart des lotissements urbains, ce qui s’est avéré beaucoup plus lucratif que le prix nominal d’un dollar l’acre.

[241] Je tiens à souligner que selon le compte rendu des négociations publié par le Victoria Daily Times, [traduction] « M. Russell avait d’abord offert 5 $ l’acre » et « [l]es Indiens ont demandé le double » (pièce Ex-50, onglet JBD-1078). Les récits ne sont pas nécessairement contradictoires. Il se peut que Morrow ait omis l’offre initiale et que le journal l’ait mentionnée pour produire un effet dramatique. Je pense qu’il est probable que Russell ait fait une première offre de cinq dollars et que Morrow ait commencé son compte rendu avec la réponse de la bande, qui proposait 10 $ l’acre.

[242] John Peebles soutient également que la bande était bien informée de l’intérêt réversif revendiqué par la province. Or, la preuve ne permet pas d’affirmer une telle chose et rien n’est dit à ce sujet dans l’article de l’évêque paru dans le Globe ni dans le rapport de Morrow (pièce Ex-2, onglet 40).

[243] La bande a reçu l’offre sans savoir que la GTP avait comme objectif d’exploiter l’île Kaien et elle n’a reçu aucune aide pour répondre à l’offre initiale de la GTP. Dans la lettre d’introduction présentée par Russell, il était écrit que le moment était venu pour la Compagnie de commencer à travailler sur la côte du Pacifique et qu’elle envisageait [traduction] « les emplacements de kittemat, de l’île kai-En et de Port Simpson » (pièce Ex-24, onglet 170). En fait, la GTP était déjà fort attachée au havre de Prince Rupert et le Canada le savait. Pour pouvoir négocier la vente éventuelle, la bande avait besoin que le Canada lui communique les faits importants et la conseille sur la façon de répondre à la proposition.

[244] Le directeur général de la GTP, Morse, a affirmé que l’accord subséquent avait été [traduction] « signé avec le consentement du gouvernement, c’est-à-dire qu’on nous a dit que nous pouvions aller de l’avent et négocier le meilleur arrangement possible » (pièce Ex-24, onglet 202). Morse croyait que le gouvernement du Canada avait consenti à ce que la Compagnie négocie la meilleure offre possible avec la bande puisqu’il n’avait de toute évidence pas divulgué certains renseignements et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour éviter un marché inconsidéré. De ce fait, le Canada n’a pas agi de façon loyale et diligente lorsqu’il s’est acquitté de l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la bande.

3. Les autres conditions d’une vente à la valeur marchande

[245] Les trois autres conditions d’une vente à la valeur marchande sont les suivantes :

• un délai raisonnable d’exposition est prévu pour la mise en vente sur le marché libre;

• le paiement est effectué en espèces, en dollars canadiens, ou selon des modalités financières comparables; et

• « Le prix représente la contrepartie normale du bien vendu, sans être modifié par un financement spécial ou original ou des concessions de vente accordées par quiconque est associé à l’opération de vente. »

[246] La réserve n’a jamais été mise en vente sur le marché libre, ce qui concorde avec le fait que le Canada n’appuyait qu’une seule vente, soit celle conclue en faveur de la GTP afin de faciliter la réalisation de son plan d’affaires, et la somme versée aux membres adultes de la bande devait être en dollars canadiens et représenter 50 % de la somme reçue alors que le paiement maximum autorisé par l’Acte des Sauvages était de 10 %. De plus, la bande a ajouté des conditions afin de faire bénéficier les membres atteignant l’âge de la majorité et de financer les améliorations apportées au village, ce qui a eu pour effet de compliquer la situation.

[247] En fin de compte, le Canada a modifié les conditions de la vente pour les rendre plus conformes aux exigences de l’Acte des Sauvages, mais quoi qu’il en soit, les modalités de paiement étaient compliquées et le prix ne constituait pas une contrepartie normale pour la propriété vendue.

O. L’analyse relative à la date d’évaluation

[248] John Peebles a utilisé le 7 février 1906 comme date d’évaluation. Cependant, la vente réelle a eu lieu après la date de la cession du 17 août 1906 et après que le Canada eut décidé, le 21 septembre 1906, d’accepter la cession (pièce Ex-24, onglet 58) et de procéder à une vente [traduction] « aux conditions que le gouvernement du Dominion du Canada jug[eait] les plus favorables à notre bien-être » (pièce Ex-24, onglet 212 (la cession du 17 août 1906)), tout en s’acquittant de son obligation d’éviter un marché inconsidéré (Rivière Blueberry). Les avantages que la nouvelle résolution procurait aux membres de la bande avaient alors changé, de sorte que le 17 août 1906, date à laquelle les conditions de la cession ont été fixées, est une date plus appropriée pour l’évaluation historique des terres en question (pièce Ex-2, onglet 58).

[249] Enfin, comme nous l’avons mentionné, aux termes de l’alinéa 20(1)e) de la LTRP, le Tribunal doit utiliser la valeur marchande des terres au moment où elles ont été prises lorsqu’il détermine l’indemnité qu’il convient de verser pour des terres prises par autorisation légale et pour lesquelles une indemnité inadéquate a été accordée.

[250] Voici le libellé de l’alinéa 20(1)e) :

Conditions et limites à l’égard des décisions sur l’indemnité

(1) Lorsqu’il statue sur l’indemnité relative à une revendication particulière, le Tribunal :

[…]

e) dans le cas où le revendicateur a établi que certaines terres de réserve ont été prises par autorisation légale et qu’une indemnité inadéquate lui a été accordée en échange, accorde une indemnité, égale à la valeur marchande de ces terres au moment où elles ont été prises ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires; […]

[251] Il importe de noter que l’alinéa 20(1)e) ne fait pas référence à la date à laquelle les terres ont été « cédées », mais à la date à laquelle elles ont été prises. Les terres seraient donc restées des terres de réserve jusqu’à la date à laquelle la cession a été acceptée, soit environ un mois après sa signature. Des deux dates d’évaluation, celle du 17 août 1906 est plus proche de la date à laquelle les terres ont été « prises », au sens de l’alinéa 20(1)e) de la LTRP, et le fait qu’Allan Koebel ait privilégié cette date est particulièrement pertinent en l’espèce.

P. L’analyse relative aux évaluations de la valeur marchande

[252] Je trouve les opinions d’Allan Koebel sur la valeur marchande, y compris l’effet de l’anticipation, plus convaincantes. Selon moi, le rapport de Peebles est erroné à plusieurs égards. Tout d’abord, dans le cadre de cette opération, le vendeur n’est pas Metlakatla. Le Canada s’est chargé de vendre les terres de la RI no 2 après avoir accepté la cession officielle qui avait été signée par la bande le 17 août 1906, ce qui suppose qu’il était tenu d’agir de la manière la plus favorable au bien-être de la bande et de protéger la bande contre une vente inconsidérée.

[253] En outre, je ne peux conclure que les négociations ayant mené à la résolution du 7 février 1906 témoignent d’une vente à la valeur marchande. La bande a dû négocier le prix indiqué dans la résolution sans avoir d’abord été informée que la GTP souhaitait acquérir les terres de réserve pour y aménager le terminus et sans avoir pu tirer avantage du fait que le Canada savait que la GTP était déterminée à construire le terminus sur l’île Kaien. Personne ne s’est efforcé de donner un avis éclairé sur la valeur des terres, contrairement à ce qui avait été fait au fort William (Rivière Blueberry; Guerin). Dans l’article du Victoria Daily Times faisant état des négociations et de la volonté de la bande de céder des terres de réserve, il était indiqué, à juste titre, que [traduction] « [l]’entente et un compte rendu des négociations ser[aient] envoyés immédiatement à Ottawa pour y être approuvés ou rejetés par le ministère des Affaires indiennes », témoignant ainsi du rôle que jouait le gouvernement dans l’acceptation ou le rejet de la proposition de cession, et que « [l]es terres [avaient] une très grande valeur puisqu’elles [étaient] très proches des dix mille acres que la compagnie de chemin de fer a[vait] déjà achetées auprès du gouvernement » (pièce Ex-50, onglet JBD-1078).

[254] Il se peut que, quelques mois avant l’acceptation de la cession, cet article de journal ait eu l’effet décrit par John Peebles sur le marché foncier, c’est-à-dire qu’il a eu pour effet de transformer ce qui avait été un marché où l’on considérait que les terres pouvaient servir au mieux à un établissement limité et à l’exploitation des ressources, principalement dans le secteur de la pêche, en un marché où l’emplacement du terminus et du lotissement urbain suscitait un intérêt spéculatif (pièce Ex-37 aux pp 42-43). Il me semble toutefois plus probable que, comme le dit Allan Koebel, tout le monde savait que l’île Kaien était l’emplacement désigné pour accueillir les installations et que cette situation a eu [traduction] « une incidence positive directe sur la valeur marchande de [la] propriété » (pièce Ex-12 à la p 115). Cependant, il faut savoir que le vendeur était tenu d’éviter une vente inconsidérée dès la réception de la cession, c’est-à-dire dès le moment où, selon les évaluateurs, le marché a changé. À aucun moment avant la cession, ni avant le versement du paiement et la délivrance des lettres patentes, la bande n’a été informée du fait que l’île Kaien était l’emplacement convoité.

[255] Le processus de vente a été marqué par la modification qui a été apportée à l’Acte des Sauvages le 13 juillet 1906 pour permettre un paiement direct de 50 % aux membres de la bande, par l’adoption de nouvelles résolutions le 17 août 1906 visant à tenir compte d’autres restrictions imposées par l’Acte des Sauvages (ECF modifié aux para 116, 118) et, finalement, après l’acceptation de la cession le 21 septembre 1906, par les négociations portant sur la description des terres, lesquelles ont mené à la délivrance des lettres patentes le 25 juillet 1907. Pendant ce temps, le Canada aurait dû se demander si le prix accepté par la bande lors des négociations menées du 1er au 7 février 1906 était adéquat en tenant compte de l’effet que pouvait avoir le choix du site du terminus sur le marché, et envisager la possibilité de reprendre un intérêt dans les terres aménagées, comme l’avait fait la province dans le cadre d’autres acquisitions de lotissements urbains par des compagnies de chemin de fer. Comme l’a déclaré Allan Koebel :

[traduction] […] Le Canada aurait dû tenir compte de la valeur anticipée de la réserve lorsqu’il a convenu du prix à payer pour la cession. [Pièce Ex-12 à la p 116]

[256] Allan Koebel a calculé quelle serait la valeur à l’acre si Metlakatla s’était vu offrir le même arrangement que celui obtenu par la province pour son intérêt réversif :

[traduction] Si Metlakatla avait obtenu les mêmes conditions que la province, soit 2,50 $ l’acre (13 567 acres × 2,50 $ l’acre = 33 918 $) plus un quart des lotissements urbains (1 628 acres × 0,25 = 407 acres) à la valeur foncière de 1907 (407 acres × 1 950 $ l’acre = 793 650 $), la valeur totale des terres visées par les lettres patentes serait de 827 568 $ (33 918 $ + 793 650 $) ou 61 $ l’acre (827 568 $ ÷ 13 567 acres). [Caractères gras dans l’original; pièce Ex-12 à la p 152]

[257] Le Canada était en situation de conflit. D’une part, il voulait servir l’intérêt public en favorisant la construction du deuxième chemin de fer transcontinental, en veillant à ce que le projet soit mené à bien et à ce qu’il soit une réussite et en s’investissant à fond dans le projet. D’autre part, il entretenait toujours une relation de fiduciaire avec la bande et avait à tout le moins des obligations de loyauté, de bonne foi et de « communication complète de l’information, eu égard aux circonstances » (je souligne). Il devait satisfaire à la norme de diligence et faire preuve de prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation (Wewaykum au para 86) et il s’était engagé à vendre aux conditions les plus favorables au bien-être de la bande et, par le fait, à éviter une vente abusive ou inconsidérée (Rivière Blueberry).

[258] Une personne qui fait preuve de prudence ordinaire dans la gestion de ses propres affaires aurait au moins pris le temps de se demander si le prix correspondait à la valeur marchande et si d’autres options auraient pu être plus profitables avant d’accepter les conditions de la cession modifiée et de décider quelles terres allaient faire l’objet de la vente (Rivière Blueberry au para 104).

Q. La critique historique de M. Theodore Binnema

[259] L’intimé a fourni un rapport d’expert, rédigé par l’historien M. Theodore Binnema, sur les aspects historiques de l’ouvrage d’Allan Koebel (pièce Ex-48). M. Binnema a été reconnu comme un expert en histoire et en historiographie, apte à donner son avis sur la question de savoir si le rapport Koebel cite correctement les données historiques (transcription de l’audience, le 28 octobre 2021, à la p 22). Avant d’aborder le travail des évaluateurs, je vais examiner la preuve de M. Binnema.

[260] En fait, la preuve de M. Binnema est partiale, c’est-à-dire qu’elle ne porte que sur le rapport Kent-Macpherson présenté par Allan Koebel et ne tient pas compte du rapport présenté par John Peebles. Les deux rapports d’évaluation suivent la même méthode et présentent un récit historique similaire, mais ils se distinguent essentiellement par les données relatives aux ventes que les évaluateurs ont utilisées dans leur analyse et par la date d’évaluation retenue. Il est peu utile de critiquer l’un sans examiner l’approche de l’autre.

[261] M. Binnema formule un certain nombre de critiques quant à l’utilisation que fait Allan Koebel de la preuve historique, la principale étant que l’opinion de ce dernier [traduction] « repose en grande partie sur des livres et des articles publiés par Frank Leonard », auteur dont les propos auraient été mal interprétés par Allan Koebel (pièce Ex-48 à la p 5). Frank Leonard est un historien et l’auteur de A Thousand Blunders: The Grand Trunk Pacific Railway and Northern British Columbia ([traduction] Mille et une bévues : La Grand Trunk Pacific Railway et le nord de la Colombie-Britannique), qui fait l’historique de la GTP et qui a été publié par la University of Chicago Press. De l’avis de M. Binnema, la déclaration figurant dans le rapport Kent-Macpherson, selon laquelle [traduction] « l’île Kaien était l’endroit qui convenait le mieux à l’aménagement du terminus du Pacifique de la GTP, voire le seul endroit propice à une telle utilisation, […] contredit la preuve historique et l’avis historique de M. Leonard » (pièce Ex-48 à la p 10). M. Binnema ajoute même qu’Allan Koebel n’a pas évalué les cinq caractéristiques géographiques qui permettent de déterminer les aptitudes des terres, mais qu’il a plutôt retenu le [traduction] « faible coût foncier » de ce site comme étant le facteur déterminant pour la GTP (pièce Ex-48 à la p 9).

[262] Or, M. Binnema interprète mal l’analyse de Allan Koebel. Allan Koebel n’a pas conclu, contrairement à ce que pense M. Binnema, que l’île Kaien était [traduction] « l’endroit qui convenait le mieux […] voire le seul endroit propice à une telle utilisation » sur la base des caractéristiques géographiques. En fait, il explique que l’endroit présentait [traduction] « plusieurs caractéristiques physiques » qui le rendaient « propice à l’aménagement du terminus du Pacifique de la Grand Trunk Pacific Company » (pièce Ex-12 à la p 103). Cependant, Allan Koebel arrive à la conclusion, tout comme Frank Leonard, que les caractéristiques physiques n’ont pas été déterminantes dans le choix de l’emplacement. Chacun des trois emplacements — Port Simpson, l’île Kaien et Kitimat — présentait des caractéristiques qui pouvaient être considérées comme supérieures et il se peut que, comme le rapporte M. Binnema, [traduction] « M. Leonard était d’avis que l’île Kaien était, d’un point de vue pratique, probablement inférieure à Kitim[at] et à Port Simpson » (pièce Ex-48 à la p 8), mais le fait est que l’analyse de Frank Leonard et celle d’Allan Koebel ont été bien au-delà de ces différences physiques. Ils ont notamment évalué les emplacements au regard de la cinquième caractéristique et ont établi qu’il était [traduction] « clairement possible sur le plan physique » d’en faire usage (pièce Ex-48 aux pp 7,10). Ils ont donc finalement conclu, en replaçant les choses dans le contexte de l’époque, que la GTP avait — pour reprendre les mots de Frank Leonard — décidé [traduction] « de construire le terminus sur l’île Kaien en raison du coût des terres » (pièce Ex-48 à la p 8). Et voici ce qu’en dit Allan Koebel :

[traduction] Le plan consistait à « obtenir les lotissements à un prix à l’acre qui ne soit pas plus élevé et à permettre à l’entreprise locale de bénéficier de la croissance des villes le long de la ligne vu que la valeur des terres finirait par augmenter, surtout celles situées dans les villes » [note de bas de page omise]. Cet objectif a joué un rôle important dans le choix et l’acquisition de l’emplacement du terminus de l’Ouest sur l’île Kaien, y compris les terres visées, car les terres vacantes de la Couronne et les réserves indiennes (dont la Compagnie pouvait obtenir un contrôle total) pouvaient être très rentables pour la Compagnie. [Pièce Ex-12 aux pp 6-7]

Et :

[traduction] Étant donné que la Grand Trunk Pacific avait déjà acquis 10 000 acres de terres publiques [auprès de la province] […] les terres visées par les lettres patentes auraient pu être aménagées en même temps que les terres adjacentes pour servir de terminus et de lotissement urbain, ce qui aurait généré d’importants revenus. [Pièce Ex-12 à la p 104]

[263] Le rapport de M. Binnema contient d’autres inexactitudes. À la page 11, M. Binnema critique l’énoncé contenu dans le rapport Kent-Macpherson qui est cité plus haut : [traduction] « […] les terres visées, car les terres vacantes de la Couronne et les réserves indiennes […] pouvaient être très rentables pour la Compagnie ». M. Binnema oppose cet énoncé à la déclaration de Frank Leonard selon laquelle [traduction] « même si le terrain du terminus avait permis de générer les revenus estimés de manière très spéculative par la Compagnie, les revenus n’auraient pas couvert les dépenses engagées par la GTP pour construire sa ligne dans toute la province, ni même dans l’extrémité ouest seulement » (pièce Ex-37 aux pp 11-12).

[264] Frank Leonard ne précise pas quels sont les [traduction] « revenus estimés de manière très spéculative » auxquels il réfère, mais selon le prospectus de 1907, la valeur des lots aménagés par la GTP était de 1 950 $ l’acre. Lors de la première vente de lots aménagés par la GTP, en octobre 1909, le prix de vente s’élevait à 5 590 $ l’acre et le rendement total, à 1,9 million de dollars. Lors de la deuxième vente de lots aménagés par la GTP, en novembre 1911, le prix de vente s’élevait à 13 325 $ l’acre et le rendement total, à 597 660 $. Frank Leonard ne fournit pas une analyse de la rentabilité des ventes alors qu’Allan Koebel présente une analyse de la commercialisation ultérieure des terres dans son rapport. La conclusion de Frank Leonard selon laquelle les profits n’auraient pas permis de financer les futurs travaux de construction, d’entretien et d’exploitation de la ligne de chemin de fer et qu’il s’agissait donc d’une erreur est peut-être encore valable, mais le prospectus de la Compagnie ne semble pas avoir été très spéculatif, et les ventes elles-mêmes, comme l’a indiqué Allan Koebel, ont été très rentables pour la Compagnie puisque les prix de vente étaient nettement supérieurs à ce qu’elle avait réellement payé pour l’acquisition et l’aménagement des lots.

[265] De plus, les opinions de M. Binnema dépassent son champ d’expertise. Selon lui, pour que son rapport soit fiable, Allan Koebel aurait dû faire [traduction] « plus de recherches dans les sources d’archives, plus particulièrement celles portant sur les négociations qui ont mené à la vente de la RI Tsimpsean no 2 » (pièce Ex-48 à la p 16). Le rapport reflète le domaine d’expertise de son auteur, soit l’évaluation foncière. Allan Koebel et l’expert en évaluation de l’intimé, John Peebles, conviennent tous deux que les renseignements relatifs aux négociations ne sont pas particulièrement importants quand vient le temps d’évaluer une terre. En fait, ils ont convenu qu’il fallait appliquer la méthode de la comparaison directe pour déterminer la valeur marchande de la RI no 2 à la date pertinente pour l’évaluation (pièce Ex-12 aux pp 105-106; pièce Ex-37 à la p 88). En maintenant que Allan Koebel aurait dû pousser plus loin ses recherches sur les négociations pour que son rapport soit « fiable », M. Binnema dépasse son champ d’expertise. Par ailleurs, M. Binnema ne présente aucun document d’archives qui n’aurait pas été pris en compte et qui pourrait s’avérer pertinent. D’importants efforts ont été déployés dans le cadre de la présentation de la preuve devant le Tribunal pour rassembler tous les renseignements disponibles afin de reconstituer ce qui s’était passé avant, pendant et après les réunions tenues du 1er au 7 février à Metlakatla, et je suis convaincu d’avoir examiné tous les documents disponibles.

[266] Enfin, M. Binnema estime que les membres de la bande [traduction] « auraient pu prévoir qu’en vendant des terres […] près de leur village, ils auraient de nouvelles possibilités d’emploi […] et pourraient s’attendre à ce que la valeur de leurs autres terres augmente » (pièce Ex-48 à la p 18). Il s’agit là d’une spéculation qui ne correspond pas à ce que suggèrent les éléments de preuve. Les individus qui se sont installés à Metlakatla ont quitté le seul établissement non autochtone de la région, celui du fort Simpson, dans le but de s’éloigner des influences négatives qui leur semblaient associées à cet endroit, et ils se sont expressément réservé les terres qui séparaient leur village des terres de réserve que la GTP souhaitait acquérir. En outre, l’augmentation de la valeur des terres de réserve restantes n’a guère d’importance puisque les terres de réserve ne peuvent habituellement pas être aliénées ni vendues. Ensuite, M. Binnema fait valoir, en ce qui concerne l’intérêt réversif revendiqué par la Colombie-Britannique, qu’il [traduction] « [lui] semble peu probable, vu les risques associés à la revendication de la Colombie-Britannique, qu’un acheteur avisé et prudent soit prêt à payer le même prix à l’acre pour une terre de réserve indienne que le prix qu’il était disposé à payer pour des terres ne présentant pas de tels risques » (pièce Ex-48 à la p 20). Ce faisant, il émet une opinion qui va au-delà de son expertise, comme il le reconnaît lui-même : [traduction] « [e]n tant qu’historien, je n’ai pas l’expertise nécessaire pour estimer combien la GTP était prête à payer en moins » (pièce Ex-48 aux pp 19-20). La critique se trouve dans une section portant sur le rapport Kent-Macpherson, où il est indiqué que les auteurs n’ont pas tenu compte de la manière dont la revendication de l’intérêt réversif a joué sur les négociations territoriales. Il n’était pas question, selon le mandat décrit dans le rapport, d’évaluer l’intérêt réversif, mais il y est tout de même précisé que cet intérêt devait être pris en compte dans l’établissement de la valeur marchande. Par ailleurs, rien n’indique que l’intérêt réversif ait été soulevé lors des négociations du 1er au 7 février 1906. Il n’en est pas non plus question dans la lettre du 15 janvier 1906 dans laquelle Russell proposait la vente, ni dans le rapport de l’agent des Indiens Morrow, ni dans l’article du Victoria Daily Colonist qui est paru par la suite. En fait, la province a fait valoir cet intérêt réversif après avoir refusé d’y renoncer, comme le demandait le Canada. Il faut en tenir compte lorsqu’on compare le prix négocié à la valeur marchande des terres puisque le gouvernement provincial souhaitait que le chemin de fer aille jusqu’au terminus de l’Ouest, mais voulait également préserver sa position juridique en ce qui concerne l’intérêt réversif revendiqué.

[267] Pour les motifs qui précèdent, j’accorde peu d’importance à la preuve présentée par M. Binnema.

R. La valeur marchande des terres détenues en fief simple en 1906

[268] Les deux évaluateurs ont examiné d’autres ventes pour faire une comparaison directe et ils ont également évalué les terres en question dans le cadre d’une analyse de l’utilisation optimale des différentes régions visées par le transfert de terres.

[269] Selon Allan Koebel, une partie de l’île Kaien a une plus grande valeur utilitaire (les terres des lotissements urbains et les terres portuaires — 1 200 acres) et a fixé la valeur de ces terres à 250 $ l’acre. Selon lui, le reste de l’île a une moins grande valeur utilitaire (terres en pente raide et surélevées — 1 480 acres) et a fixé la valeur de ces terres à 15 $ l’acre (pièce Ex-15 à la p 160). L’île Digby, la péninsule Tsimpsean (la partie continentale) et les plus petites îles ont été évaluées à un taux commun de 30 $ l’acre.

[270] Allan Koebel a estimé la valeur marchande des terres détenues en fief simple en date du 17 août 1906, sans tenir compte de la valeur attribuée à l’intérêt réversif revendiqué par la province. Voici ses conclusions (pièce Ex-12 à la p 162) :

Région

Valeur estimée

Île Kaien

322 200 $

Île Digby

205 200 $

Partie continentale

137 760 $

Île Lak-Anian, île Lak-Wilgiapsh et les îles nos 1 à 8

1 440 $

Total

666 600 $ arrondis à 667 000 $

[271] Selon ces valeurs, Allan Koebel estime à 47 $ l’acre la valeur totale des 14 160 acres visées par les lettres patentes (pièce Ex-12 à la p 162).

[272] Dans son rapport, John Peebles a répondu aux questions que lui avait posées l’intimé dans ses instructions initiales. Il était suggéré d’utiliser la date du 7 février 1906 pour l’évaluation des terres. La première et la principale question qui lui a été soumise était la suivante :

a) déterminer si le taux convenu de 7,50 $ l’acre constituait une indemnité juste ou adéquate en contrepartie de la cession par Metlakatla des terres de réserve indienne, au moment où Metlakatla et la GTP ont conclu l’accord le 7 février 1906. [Italiques dans l’original; pièce Ex-37 à la p 25]

[273] John Peebles a d’abord estimé la valeur marchande au 7 février 1906 comme s’il s’agissait d’un fief simple non grevé (pièce Ex-37 à la p 86). John Peebles a divisé les terres de l’île Kaien en deux catégories — les terres destinées à l’établissement d’un lotissement urbain et les terres présentant des limitations ou n’offrant aucune possibilité — et il a attribué à chacune d’elles une superficie semblable à celle allouée par Allan Koebel. Il a évalué les terres destinées à l’établissement d’un lotissement urbain sur l’île Kaien (1 240 acres) à 100 $ l’acre et les terres présentant des limitations ou n’offrant aucune possibilité situées sur l’île Kaien (1 440 acres) à 1 $ l’acre. Il a également donné une estimation de la valeur pour les deux catégories de terres qu’il a reconnues, tant pour la partie continentale que pour l’île Digby : 10 $ l’acre pour les terres présentant des [traduction] « possibilités limitées en termes d’établissement et d’utilisation riveraine » et 1 $ l’acre pour les terres n’offrant aucune possibilité (pièce Ex-37 aux pp 113-114). John Peebles a divisé les terres de l’île Digby en deux catégories, soit 3 979 acres de terres présentant des [traduction] « possibilités limitées en termes d’établissement et d’utilisation riveraine » et 2 861 acres de terres « n’offrant aucune possibilité » (pièce Ex-37 à la p 115). Pour la partie continentale, John Peebles a aussi divisé les terres en deux catégories, soit 2 700 acres de terres présentant des [traduction] « possibilités limitées en termes d’établissement et d’utilisation riveraine » et 1 830 acres de terres « n’offrant aucune possibilité » (pièce Ex-37 à la p 115). Il a évalué l’île Lak-Anian, l’île Lak-Wilgiapsh et l’île no 1 à 20 $ l’acre et le reste des îles à 20 $ l’île.

[274] Il a utilisé des superficies différentes de celles d’Allan Koebel pour la partie continentale (4 530 acres au lieu de 4 592 acres), ainsi que pour les diverses îles et îlots, de sorte que la superficie totale diffère de celle indiquée dans la présentation historique (14 083,39 acres au lieu des 14 160 acres prévues dans les lettres patentes) (pièce Ex-37 à la p 115). Peut-être cela reflète-t-il des données d’arpentage plus récentes.

[275] Si elles sont présentées comme celles utilisées par Allan Koebel, les valeurs estimées sont les suivantes :

RÉGION

VALUE ESTIMÉE

Île Kaien

125 440 $

Île Digby

42 651 $

Partie continentale

28 830 $

Île Lak-Anian, île Lak-Wilgiapsh et les îles nos 1 à 8

626 $

Total

197 547 $ arrondis à 197 600 $

[276] Quelle que soit la superficie totale, la valeur à l’acre s’élève à 14 $ (pièce Ex-37 à la p 116).

S. La déduction pour l’intérêt réversif

[277] John Peebles évalue ensuite l’effet sur la valeur marchande de l’intérêt réversif de la province. Selon lui, il faudrait déduire de 20 à 30 % de ces 14 $ l’acre (9,80 à 11,20 $) (pièce Ex-37 à la p 128).

[278] La question ultime qui a été soumise à John Peebles figure à la page 131 de son rapport : [traduction] « le prix de 7,50 $ l’acre constituait-il une indemnité juste ou adéquate pour les terres cédées en date du 7 février 1906? » John Peebles a affirmé que les 7,50 $ reçus se situaient à la limite inférieure de la fourchette de tolérance se rapportant à l’indemnité en equity devant être versée pour les terres cédées. Il a déclaré que la fourchette de tolérance s’expliquait par le fait que les données de 1906 étaient limitées et qu’il [traduction] « revenait au Tribunal de déterminer le montant de l’indemnité en equity à verser pour les terres cédées » (pièce Ex-37 à la p 131).

[279] Au cours de son témoignage, John Peebles n’a pas été en mesure de définir les paramètres de la fourchette de tolérance ni de préciser où se situait la somme de 7,50 $ dans cette fourchette.

[280] En réponse à une question du Tribunal à l’audience consacrée aux témoignages des experts, John Peebles a dit [traduction] « [qu’]aucun calcul précis ne [lui] permet de déterminer la fourchette de pourcentage » (transcription de l’audience, le 17 septembre 2021, à la p 12).

[281] On peut supposer que la fourchette de tolérance a du bon, ce qu’il a également eu du mal à quantifier. En fin de compte, comme je pense que John Peebles l’a concédé, la question qui lui a été posée était une question trop vaste et il appartient au Tribunal de trancher toute question relative à la fourchette de tolérance.

T. L’analyse de la valeur marchande des terres détenues en fief simple

[282] Pour en revenir à l’évaluation en fief simple des terres visées par les lettres patentes (14 $ l’acre — John Peebles; 47 $ l’acre — Allan Koebel), j’ai constaté un écart de six mois entre les dates d’évaluation. Pour ce qui est de John Peebles, il a été invité à utiliser la date du 7 février 1906 dans les questions posées par l’intimé (pièce Ex-37 à la p 25). Il affirme que le marché a beaucoup changé lorsqu’il a été révélé que la bande était disposée à céder les vastes étendues de terres de réserve à des fins de vente, et qu’il faut éviter d’utiliser des données ultérieures puisqu’elles ont été obtenues après coup (pièce Ex-37 à la p 229). Il a également tenu compte du fait qu’en date du 7 février 1906, l’emplacement du terminus n’avait pas encore été désigné et que la GTP [traduction] « étudiait encore toutes les options » (pièce Ex-37 à la p 81).

[283] Allan Koebel a conclu qu’à la date d’évaluation qu’il a utilisée, soit le 17 août 1906, le Canada savait que :
[traduction]

- la GTP avait choisi l’île Kaien pour y installer son terminus (et le lotissement),

- la GTP voulait une partie de la réserve pour établir son terminus,

- la GTP avait comme objectif de construire son terminus à cet endroit[.] [Pièce Ex-12 à la p 116]

[284] Le Canada soutient qu’il n’y avait aucune certitude raisonnable que l’île Kaien serait choisie pour y installer le terminus du chemin de fer de la GTP et que la conclusion tirée par Allan Koebel est incorrecte puisque Port Simpson était un autre emplacement raisonnable pour le terminus (observations écrites de l’intimé au para 239).

[285] Dans les articles de journaux datant d’avant le 7 février 1906, il était question de l’emplacement convoité pour le terminus. Ces articles semblent être fondés sur des conjectures. En effet, dans la plupart des cas, il était indiqué que l’île Kaien était cet emplacement, mais des avis divergents ont été exprimés dans les médias. Quelques mois avant la parution de l’article du Victoria Daily Times du 17 février 1906 (intitulé par erreur : « GTP Purchases Additional Land » ([traduction] « La GTP achète d’autres terres »)) (pièce Ex-24, onglet 176), le journal a publié un article qui citait une entrevue au cours de laquelle un spéculateur du marché foncier de Vancouver avait discrédité l’île Kaien dans le choix de l’emplacement du terminus (pièce Ex-52, onglet JBD-1031). Toutefois, les mesures prises par la GTP et connues des deux gouvernements ne corroborent pas la théorie selon laquelle l’alternative la plus probable, Port Simpson, était considérée comme un terminus potentiel. Le principal avantage qu’offrait le havre de Prince Rupert était les très vastes étendues de terres qui entouraient l’emplacement convoité puisque ces terres allaient, selon la GTP, être moins coûteuses et allaient lui permettre de contrôler le développement du terminus et du lotissement urbain, en plus d’éloigner tout autre projet de développement privé.

[286] La première chose que la GTP a faite a été d’obtenir la concession de 10 000 acres de la réserve du gouvernement provincial. Cette concession a été accordée le 4 mai 1904, mais la Compagnie devait installer le terminus sur les terres choisies dans la réserve gouvernementale (pièce Ex-22, onglet 140). Les 10 000 $ ont été versés et le titre de concession a été délivré par la Couronne le 10 mars 1905 (pièce Ex-50, onglet JBD-991; pièce Ex-10). Morse, le directeur général de la GTP, a attesté que la Compagnie avait approuvé les conditions de la concession le 6 mars 1905 (pièce Ex-50, onglet JBD-1112) et Charles Hays, le président de la GTP, a officiellement attesté que le terminus de l’Ouest allait être aménagé sur les terres concédées le 3 août 1905 (pièce Ex-50, onglet JBD-1023). Si la Compagnie avait décidé de changer l’emplacement du terminus et de l’installer ailleurs qu’au havre de Prince Rupert, elle aurait du même coup renoncé à la somme versée et aurait sans doute compromis ses relations avec le gouvernement provincial puisque celui-ci n’aurait pas profité de la vente des terres de Port Simpson.

[287] Le seul document de la GTP témoignant du fait qu’il était envisagé d’aménager un terminus à Port Simpson est le plan du 12 août 1904 présenté au ministère fédéral des Chemins de fer, sur lequel figuraient deux sites de 1 600 acres destinés à accueillir un terminus, l’un sur l’île Kaien et l’autre plus au nord, à savoir au sud du village de Lax Kw’alaams et du havre de Port Simpson, du côté ouest de la partie nord de la RI no 2, attribuée à la bande de Lax Kw’alaams (pièce Ex-22, onglet 143). Le plan a été rejeté parce qu’il n’était pas justifié de construire deux terminus ferroviaires (pièce Ex-50, onglet JBD-173). Par la suite, les communications entre la GTP et le Canada ont porté essentiellement sur les zones entourant le havre de Prince Rupert.

[288] Comme je l’ai déjà indiqué, dans une partie de la correspondance, la zone qui est devenue le havre de Prince Rupert est appelée Port Simpson et la RI no 2 est appelée la réserve de Port Simpson, soit le toponyme le plus connu dans la région, mais tout indique qu’il s’agissait bel et bien de la région entourant le havre de Prince Rupert.

[289] Même si la GTP avait cherché à s’implanter à Port Simpson ou à proximité, les terres avoisinantes appartenaient au secteur privé (pièce Ex-24, onglet 179, à la p clxv), et l’acquisition des terres de réserve aurait dû se faire par l’intermédiaire de la bande plus nombreuse de Lax Kw’alaams, dont le village aurait été compromis par le terminus proposé (ECF supplémentaire au para 18). Un tel accord aurait probablement été plus difficile à obtenir. Or, rien n’indique que la GTP ait déjà fait des démarches auprès de la bande de Lax Kw’alaams.

[290] Ces faits corroborent donc l’évaluation d’Allan Koebel selon laquelle la GTP préférait le havre de Prince Rupert et avait pour objectif de s’y installer, et ce, avant même qu’elle n’ait pris contact avec la bande pour la première fois au début de 1906.

U. L’analyse des données d’évaluation

1. La preuve d’Allan Koebel

a) Île Kaien — les terres ayant une plus grande valeur utilitaire

[291] Dans son rapport, pour analyser la valeur des terres ayant une plus grande valeur utilitaire sur l’île Kaien (1 200 acres), Allan Koebel utilise cinq ensembles de données :

  1. le prospectus de 1907 de la GTP dans lequel il est question du rendement prévu des terres subdivisées du lotissement, ainsi que des ventes de terres réalisées à l’est de Prince Rupert en 1907, c’est-à-dire les ventes des terres privées les plus proches du lotissement après l’acquisition par la GTP des terres visées par les lettres patentes (pièce Ex-12 aux pp 116-19, 158);

  2. le prix des terres acquises par la GTP dans la région du fort George (plus tard, Prince George) entre 1909 et 1912, c’est-à-dire le site d’une gare de la GTP dans une région où le marché était plus libre (pièce Ex-12, aux pp 135-41, 158);

  3. le prix d’acquisition d’une gare de triage de la GTP dans la région du fort William, en Ontario, en 1905 (pièce Ex-12 aux pp 150-51, 158);

  4. le témoignage livré par James Anderson, qui a joué un rôle clé dans l’acquisition des 10 000 acres de la réserve du gouvernement provincial, dans le cadre de l’enquête de Metlakatla en 1905. Selon son témoignage, le prix des terres privées à Port Simpson avant que la réserve gouvernementale ne soit acquise en 1904 était de 60 à 200 $ l’acre (pièce Ex-12 aux pp 22, 158);

  5. le prix payé pour l’acquisition des terres à New/South Hazelton, un site proposé pour accueillir une gare de la GTP, en 1910-1911 (pièce Ex-12 aux pp 142-45, 158).

[292] Bien que les données décrites aux points 2, 3 et 5 se rapportent à des endroits situés loin du terminus et du lotissement urbain de la côte du Pacifique, Allan Koebel voit des similitudes dans l’effet qu’a eu sur le prix des terres l’anticipation des améliorations liées à la présence éventuelle de gares ferroviaires, de chantiers et, en l’espèce, du terminus et du lotissement urbain du Pacifique (pièce Ex-12 à la p 121).

[293] Dans le prospectus de 1907 de la GTP dont il est question au point 1, il était indiqué que la valeur de la propriété de 1 200 acres située sur l’île Kaien, celle qui avait la plus grande valeur utilitaire, était de 1 950 $ l’acre. Selon Allan Koebel, ce prospectus faisait état de [traduction] « valeurs extrêmement élevées » puisqu’il s’agissait des valeurs foncières estimées par la Compagnie. Ces valeurs se sont vu accorder peu de poids dans l’analyse finale (pièce Ex-12 à la p 158). Or, dans les faits, la valeur estimée dans le prospectus de 1907 était inférieure à la somme obtenue lors de la première vente de lots de l’île Kaien le 25 mai 1909, qui a rapporté plus de 5 000 $ l’acre. Les deux ventes aux enchères de lots de l’île Kaien qui ont eu lieu en 1911 et 1912 ont rapporté beaucoup plus que la vente de 1909, soit environ 13 000 $ et 55 000 $ l’acre respectivement (pièce Ex-12 aux pp 120-21).

[294] Les prix atteints lors des trois ventes aux enchères reflétaient probablement un marché foncier en plein essor et ont été obtenus après que les lots aient été aménagés, avec les routes et les services, mais ils montrent néanmoins à quel point la valeur marchande pouvait augmenter lorsqu’il était question d’un terminus et d’un lotissement urbain.

[295] En examinant les limites supérieures et inférieures des prix indiqués aux points 2 et 5 (50 $ et 313 $), il a évalué les terres du lotissement urbain et du port de l’île Kaien, lesquelles avaient une plus grande valeur utilitaire et s’étendaient sur 1 200 acres, à 250 $ l’acre, pour un total de 300 000 $ (pièce Ex-12 à la p 160).

[296] Allan Koebel analyse par ailleurs les catégories de terres de moindre valeur de l’île Kaien, de l’île Digby, du continent, des îles et des îlots, dont les descriptions sont présentées ci-dessous.

b) Île Kaien — les terres ayant une moins grande valeur utilitaire

[297] Pour les terres de l’île Kaien ayant une moins grande valeur utilitaire, soit les terres en pente raide et surélevées, Allan Koebel a estimé une valeur de 15 $ l’acre (pièce Ex-12 aux pp 159-60).

c) Île Digby et les îles/îlots avoisinants

[298] Allan Koebel a noté que [traduction] « [l]es terres visées par les lettres patentes qui étaient situées sur l’île Digby étaient essentiellement des terres plates, facilement aménageables, à proximité du lotissement urbain principal et du port » (pièce Ex-12 à la p 161). Il a examiné cinq ventes comparables dont la valeur variait entre 15 $ et 90 $ l’acre et a conclu, vu l’accès limité et la grande taille de la parcelle, que la valeur des terres de l’île Digby devait se situer à l’extrémité inférieure de cette fourchette, soit à 30 $ l’acre (pièce Ex-12 aux pp 160-61).

[299] Il a indiqué que les îles et îlots avoisinants étaient peu utiles et que [traduction] « [c]es parcelles seraient probablement vendues en même temps que la parcelle d’origine » (pièce Ex-12 à la p 161). Par conséquent, il a également appliqué la valeur qu’il avait estimée pour les terres de l’île Digby, soit 30 $ l’acre, aux terres des îles et îlots avoisinants.

d) La partie continentale

[300] Allan Koebel a aussi estimé la valeur des terres visées par les lettres patentes situées sur le continent à 30 $ l’acre. Il a noté que ces terres étaient des [traduction] « terres boisées de typographie variée, à proximité du lotissement urbain principal et du port » (pièce Ex-12 à la p 161). Il a expliqué que ces terres avaient une valeur supérieure à celle des terres de l’île Kaien ayant une moins grande valeur utilitaire étant donné qu’elles offraient un potentiel de développement du fait de leur emplacement au bord du havre, en face de l’île Kaien, ce qui laissait supposer une valeur semblable à celle des terres de l’île Digby (pièce Ex-12 aux pp 161-62).

2. La preuve de John Peebles

[301] Pour ce qui est de John Peebles, il fait une mise en garde contre l’utilisation de données rétrospectives. Il cite la page 78 (note relative à la pratique 18.11.2) des NUPPEC :

18.11.2 En préparant une évaluation rétrospective, l’information a posteriori ou après le fait ne devrait pas être utilisée, à moins que les données subséquentes ne soient cohérentes avec les données observées à la date réelle. [Italiques dans l’original; pièce Ex-37 à la p 91]

[302] Il fait ensuite le commentaire suivant :

[traduction] Comme je l’ai déjà mentionné dans le présent rapport, la spéculation foncière a provoqué, dans les années qui ont précédé le 7 février 1906, une flambée des prix de vente pour les terres situées à proximité de l’un des trois lieux reconnus comme étant convoités pour le terminus de la GTP. Après le 7 février 1906, date à laquelle le Times Colonist [Victoria Daily Times] a annoncé l’achat de 14 160 acres de la RI Tsimpsean no 2 (les terres cédées) par la GTP, les prix de vente ont continué à augmenter, car il devenait de plus en plus probable que l’île Kaien accueille le terminus.

Les ventes de terres spéculatives faites a posteriori ont été examinées et ne se sont vu accorder qu’un poids limité dans l’évaluation des terres cédées, compte tenu du changement important des conditions du marché. [Pièce Ex-37 aux pp 91-92]

[303] John Peebles affirme :

[traduction] Dans la note relative à la pratique 18.11.12 qui figure dans les NUPPEC de l’ICE, citée précédemment, il est indiqué qu’il est possible d’utiliser des données du marché a posteriori quand elles sont cohérentes avec les conditions du marché observées à la date d’évaluation. [Pièce Ex-37 à la p 92]

[304] John Peebles a opté pour ce qu’il appelle un [traduction] « processus de pondération qualitative » qui repose sur un nombre limité de ventes antérieures à 1906 et sur les données relatives aux ventes de 1906 qui lui paraissent appropriées, bien qu’il s’agisse de ventes postérieures au 7 février 1906 et qu’elles constituent des données de vente a posteriori (pièce Ex-37 à la p 92). Voici ce qu’il a écrit à la page 112 de son rapport :

[traduction] À mon avis, dans les années précédant le 6 février 1906, les prix de vente des terres du lotissement urbain visées par la spéculation allaient de 50 à plus de 100 $ l’acre, et les prix négociés variaient considérablement.

[305] D’après ces valeurs, il a évalué les terres de l’île Kaien propices à l’aménagement d’un lotissement urbain à 100 $ l’acre, soit 124 000 $ au total (pièce Ex-37 à la p 112).

[306] Pour ce qui est des [traduction] « terres présentant des limitations ou n’offrant aucune possibilité (terrain montagneux)[,] sans accès aux rives » sur l’île Kaien, il les a évaluées à 1 $ l’acre, soit 1 440 $ au total (pièce Ex-37 à la p 115).

[307] Selon John Peebles, une partie de la péninsule Tsimpsean (continent) et une partie de l’île Digby étaient des terres présentant des limitations en termes d’établissement et d’utilisation riveraine. Pour ces terres, il a accordé plus de poids à cinq indices de vente (toutes les ventes conclues entre mars et octobre 1906). Il a adopté un taux de base de 10 à 15 $ l’acre et a fixé la valeur unitaire à 10 $ l’acre, à l’extrémité inférieure de la fourchette de valeur, afin de tenir compte de la différence entre la superficie des terres visées et celle des terres visées par les ventes comparables (pièce Ex-37 aux pp 112-13).

[308] John Peebles était d’avis que l’île Lak-Anian, l’île Lak-Wilgiapsh et l’île no 1 présentaient [traduction] « certaines possibilités pour un établissement limité et une utilisation connexe des zones riveraines » et que, par conséquent, une valeur unitaire de 20 $ l’acre était appropriée (pièce Ex-37 à la p 113); transcription de l’audience, le 17 septembre 2021, à la p 160).

[309] John Peebles a souligné que les îles nos 2 à 8 avaient une superficie d’environ deux acres ou moins et qu’elles ne présentaient [traduction] « aucune possibilité en termes d’établissement et qu’elles pouvaient être utilisées à peu d’autres fins, à l’exception de la récolte de mollusques » (pièce Ex-37 à la p 113). Selon lui, il y avait de fortes chances que les îles soient vendues à la pièce, plutôt qu’à l’acre, de sorte qu’il a attribué à chacune d’elles une valeur de 20 $.

[310] Les différentes estimations faites en fonction du potentiel des terres de l’île Kaien sont représentatives des diverses catégories de terres utilisées par John Peebles lorsqu’il met en évidence les différences entre les valeurs attribuées aux autres terres visées par les lettres patentes.

[311] Allan Koebel a répondu ce qui suit à John Peebles, qui était réticent à utiliser les données de vente postérieures au 17 février 1906 :

[traduction] Il est illogique de prétendre que les ventes enregistrées après la parution de l’article du 17 février 1906 ne devraient pas être utilisées à des fins de comparaison, comme le laisse entendre le rapport LEC, « puisque les conditions du marché avaient radicalement changé à la suite de l’article paru dans le Times Colonist [Victoria Daily Times] ». Tous étaient au courant avant cette date que la GTP avait conclu un accord avec la province afin d’acquérir 10 000 acres sur l’île Kaien, laquelle devait accueillir le terminus. Il est donc insensé de prétendre que cette information n’a pas favorisé la spéculation sur le marché, mais que la cession des terres de la RI Tsimpsean no 2 a fait en sorte que la spéculation a « atteint un niveau sans précédent ». Dans le rapport LEC, il a été reconnu qu’il y avait eu spéculation avant et après la date de cession, mais la preuve ne permet pas de conclure que la cession a eu pour effet de modifier le marché de façon si fondamentale qu’elle aurait rendu toute vente postérieure à cette date non fiable à des fins de comparaison. [Italiques dans l’original; pièce Ex-13 à la p 12]

[312] Dans son témoignage, Allan Koebel a expliqué que les données a posteriori peuvent être utilisées pour autant qu’il s’agisse de « circonstances de marché similaires » et que les « données subséquentes soient cohérentes avec les données observées à la date réelle » (transcription de l’audience, le 14 septembre 2021, aux pp 88, 100-01). Voici ses explications à ce sujet :

[traduction] Encore une fois, a posteriori, je devrais -- je dois clarifier ce terme, particulièrement en ce qui concerne les ventes réalisées dans d’autres régions. Ainsi, par exemple, les lotissements du fort George et de Hazelton ont été vendus alors que la GTP faisait son entrée sur le marché. Était-ce donc après l’entrée de la GTP sur le marché de l’île Kaien? Oui. Mais là encore, à ces dates, la GTP entrait sur un marché dont les conditions étaient similaires. Par conséquent, bien qu’il s’agisse de données a posteriori, il n’est pas possible de déterminer la valeur des terres visées par les lettres patentes à partir de ces ventes effectuées en 1913 pour des terres similaires. Il s’agit d’une région différente soumise à des conditions de marché similaires. [Transcription de l’audience, le 14 septembre 2021, aux pp 87-88]

3. Analyse

[313] L’approche adoptée par John Peebles peut être appropriée pour évaluer des terres sur des marchés plus stables, c’est-à-dire des marchés où l’on considère que les terres ont été utilisées de manière optimale et raisonnablement constante au fil du temps et où il sera encore possible d’en déterminer la valeur dans le futur, mais pas dans une situation dynamique comme celle que présente l’aménagement du terminus et du lotissement urbain sur des terres qui, autrement, offraient peu de possibilités d’utilisation et avaient une valeur modeste. J’estime que le principe de l’anticipation est un aspect important à prendre en considération lorsque vient le temps de déterminer la valeur. Toutefois, il ne devrait être appliqué qu’à la partie des terres visées par les terres patentes qui aurait été reconnue par les acteurs du marché comme ayant un potentiel de développement. La majeure partie des 14 000 acres provenant de la RI no 2 n’aurait pas été reconnue comme ayant un tel potentiel. Par exemple, environ 1 200 acres de l’île Kaien auraient été des terres aménageables tandis que 1 480 acres n’étaient pas utilisables. La majeure partie de l’île Digby et de la partie continentale n’aurait pas non plus suscité beaucoup d’intérêt spéculatif. Sauf dans les régions qui, selon John Peebles, présentaient des limitations en termes d’établissement et d’utilisation riveraine, le caractère accidenté du terrain et la distance par rapport au lotissement urbain auraient découragé la plupart des investisseurs raisonnables. Si on utilise les superficies que John Peebles a attribuées aux terres présentant des limitations en termes d’établissement et d’utilisation riveraine et la valeur à l’acre que M. Digby a calculée pour les terres de l’île Digby et de la partie continentale, et si on attribue une valeur nominale de 5 $ l’acre aux régions qui, selon John Peebles, n’offrent aucune possibilité, on peut ajuster les estimations d’Allan Koebel pour ces deux régions (l’île Digby et la partie continentale) de la façon suivante :

 

Île Digby

Partie continentale

Terres présentant des limitations en termes d’établissement et d’utilisation riveraine à 30 $ l’acre

3 979 acres-119 370 $

2 700 acres-81 000 $

Terres n’offrant aucune possibilité à 5 $ l’acre

2 861 acres-14 305 $

1 830 acres-9 150 $

Valeur totale

133 675 $

90 150 $

(J’ai choisi une valeur nominale de 5 $ l’acre pour les zones n’offrant aucune possibilité plutôt que la valeur de 1 $ l’acre établie par John Peebles, car, même si les terres étaient semblables à celles que la province pouvait acquérir pour 1 $ ailleurs, il n’y avait aucune terre à 1 $ disponible près de Prince Rupert et la proximité de Prince Rupert en aurait augmenté la valeur.)

[314] Parmi les îles, seules trois (les îles « L » et l’île no 1) avaient une superficie notable et, selon moi, elles ont une valeur de 750 $ (25 acres x 30 $). Pour les autres îles, j’utilise la valeur fixée par John Peebles, soit 20 $ chacune.

[315] L’évaluation en fief simple d’Allan Koebel est donc ajustée ainsi :

Île Kaien (2 680 acres)

322 200 $

Île Digby (6 840 acres)

133 675 $

Partie continentale (4 592 acres)

90 150 $

Îles « L » et île no 1 (25 acres)

750 $

Îles nos 2 à 8 à 20 $ chaque

140 $

Total

546 915 $

4. Évaluation de l’intérêt réversif

[316] Il ne reste plus qu’à examiner l’effet qu’aurait eu l’intérêt réversif revendiqué par la province sur la vente des terres visées par les lettres patentes qui, par ailleurs, auraient été vendues à leur valeur marchande.

[317] John Peebles a procédé à cet exercice en réponse à la question qui lui a été posée au paragraphe e) de ses instructions :

e) expliquer l’effet que l’intérêt réversif de la Couronne provinciale a eu sur la valeur des terres que Metlakatla a accepté de céder[.] [Italiques dans l’original; pièce Ex-37 à la p 26]

[318] Pour cette partie de l’évaluation, John Peebles analyse l’accord conclu le 29 février 1908 par la GTP et la province, qui prévoyait le versement d’une somme à la province en contrepartie de l’octroi par la Couronne provinciale des terres visées par les lettres patentes et qui réglait les questions générales liées à l’emprise nécessaire à la ligne de chemin de fer et à l’aménagement des infrastructures ferroviaires à travers la province, à l’utilisation des ressources naturelles sur les terres de la Couronne, à l’exonération des taxes ferroviaires provinciales et à l’entente conclue par la GTP pour la construction du chemin de fer à partir du terminus du Pacifique. Après avoir fait référence à l’accord du 29 février 1908, John Peebles poursuit en ces termes :

[traduction] Le défi consiste à estimer l’indemnité que des parties raisonnables auraient négociée pour éteindre l’intérêt réversif de la province dans les terres cédées au 7 février 1908, ou deux ans avant l’accord entre la province, la GTP et la Townsite Company, compte tenu de l’information dont disposaient toutes les parties à cette date. [Pièce Ex-37 aux pp 122-23]

[319] Allan Koebel expose la question de façon similaire :

[traduction] Que cet intérêt réversif ait eu ou non un fondement juridique valable à l’époque, la réalité historique est que la GTP a négocié avec les gouvernements fédéral et provincial en partant du principe que l’existence d’un intérêt réversif pouvait être établie et que cet intérêt allait avoir une incidence importante sur la valeur marchande des terres en question. [Pièce Ex-12 à la p 114]

[320] En bref, il fallait estimer la somme qui aurait dû être versée pour l’aliénation de l’intérêt réversif revendiqué de la province, comme le prévoyait l’accord du 29 février 1908, en fonction du prix auquel les parties auraient pu s’attendre, compte tenu de ce qu’elles savaient en 1906. Il s’agit manifestement d’un exercice compliqué.

[321] John Peebles reconnaît ensuite que la province était déterminée à ce que le chemin de fer soit achevé. Il affirme :

[traduction] […] la province avait tout intérêt à ce que le projet de la GTP soit mené à bien et s’attendait à percevoir des recettes fiscales et à bénéficier d’autres avantages découlant de l’aménagement des terres cédées, un peu comme un partenaire dans une société de développement. [Pièce Ex-37 à la p 123]

[322] John Peebles se réfère à la lettre que l’avocat de la GTP, Me Bodwell, a envoyée au CCTT de la province, R. F. Green, le 21 février 1905 (pièce Ex-50, onglet JBD-175), pour montrer que la Compagnie avait déterminé que l’intérêt réversif correspondait à un intérêt de 25 % dans les terres cédées.

[323] À mon avis, il s’agit là d’une exagération. En fait, l’intérêt de 25 % évoqué par Me Bodwell ne concernait que la partie des terres de réserve de l’île Kaien réservée aux [traduction] « gares de triage, quais à charbon, etc. ». Peu après, soit le 22 mars 1905, le directeur général de la GTP, M. Morse, a écrit au premier ministre McBride en faisant référence à l’ensemble des terres de la réserve indienne (dans le contexte, sur l’île Kaien) et a indiqué ce qui suit :

[traduction] La seule raison, si je comprends bien, pour laquelle la réserve indienne n’a pas été ajoutée à la concession initiale de la Couronne [les 10 000 acres de la réserve gouvernementale], est que vous avez jugé souhaitable de traiter les terres gouvernementales et les terres de la réserve indienne séparément, mais que vous vous attendiez à pouvoir, au même coût net, nous donner un titre de propriété sur les deux. [Pièce Ex-24, onglet 151]

[324] Dans sa lettre du 22 mars 1905, le directeur général de la GTP, M. Morse, mentionne également avoir conclu un accord avec la province en ce qui concerne l’intérêt réversif qu’elle revendiquait sur la vaste parcelle de la RI no 2 que la GTP souhaitait acquérir, et ce, à des conditions comparables à celles de l’acquisition des terres de réserve du gouvernement, soit un dollar l’acre avec une rétrocession de 25 % des lots subdivisés (pièce Ex-24, onglet 151).

[325] La proposition consistant à payer un dollar l’acre et à restituer 25 % des lots subdivisés est moins coûteuse que celle consistant à accorder un intérêt global de 25 %, dans la mesure où la subdivision n’était envisagée à court terme que pour une partie des terres et n’était probablement pas appropriée pour la majeure partie des terres visées par les lettres patentes.

[326] Pour estimer l’incidence de l’intérêt réversif revendiqué sur la valeur marchande, John Peebles a cherché à évaluer l’intérêt comme s’il s’agissait d’un pourcentage d’intérêt dans le titre de propriété en fief simple. Toutefois, ce raisonnement ne reflète pas très bien la revendication de la province. En effet, celle-ci ne revendiquait pas un pourcentage du titre. Elle revendiquait la totalité de l’intérêt réversif qui découlait de la cession et le fait de faire valoir cette revendication a eu des conséquences politiques évidentes. La province, tout comme le Canada, reconnaissait l’importance de la voie de transport et les avantages que représentait l’aménagement du terminus dans la région du havre de Prince Rupert pour ses terres. Elle avait tout intérêt à ce que le chemin de fer soit construit et, comme le dit John Peebles, elle agissait [traduction] « un peu comme un partenaire dans une société de développement ».

[327] John Peebles déclare ce qui suit :

[traduction] […] à la lumière de mon jugement et de mon expérience, et de l’offre que la GTP [par l’entremise de Me Bodwell] a présentée à la province en 1905, les parties auraient négocié une indemnisation pour la renonciation à l’intérêt réversif sous la forme d’un pourcentage de la valeur foncière des terres cédées, en tenant compte du potentiel des terres. [Pièce Ex-37 à la p 126]

[328] Selon John Peebles, l’indemnité susceptible d’être versée à ce titre représentait 20 à 30 % de la valeur non grevée des terres cédées (pièce Ex-37 à la p 126). Dans son témoignage, il a noté qu’il [traduction] « disposai[t] de peu de renseignements pour [s]e forger une opinion et qu’il y avait donc une certaine marge d’incertitude » (transcription de l’audience, le 17 septembre 2021, à la p 2). John Peebles a reconnu dans son rapport [traduction] « [qu’il] n’existait pas de données de marché directement comparables pour déterminer la valeur de l’intérêt réversif de la province au 7 février 1906 » et « [qu’il] fallait se fier à des indicateurs indirects de la valeur et à la logique pour estimer la valeur de l’intérêt réversif » (pièce E -37 à la p 17).

[329] Comme il a déjà été mentionné, cette acquisition foncière était unique et l’accord était empreint de considérations politiques vu les avantages que représentaient pour le public la construction du chemin de fer et la création d’un terminus dans la région du havre de Prince Rupert.

[330] En outre, l’accord de 1908 ne visait pas qu’un seul objectif et il n’y était pas expressément question de l’intérêt réversif revendiqué par la province. L’accord par lequel la Couronne concédait les terres visées par les lettres patentes n’était pas, comme l’a indiqué John Peebles, [traduction] « lié à la valeur non grevée — peut-être sous la forme d’un pourcentage ou d’une somme forfaitaire » (pièce Ex-37 à la p 126). Il ressemblait davantage à une vente de terres de la Couronne de deuxième catégorie en vertu de la loi foncière provinciale (la Land Act), au prix de 2,50 $ l’acre, avec le droit de se voir rétrocéder 25 % de tout lot subdivisé. Or, dans le cadre de l’accord de 1908, le paiement à l’acre devait être versé seulement quand la GTP réclamait des concessions de la Couronne. En fait, il reprenait une structure comparable à celle qui, selon le directeur général de la GTP, M. Morse, aurait dû être mise en place en 1905, et faisait passer le prix à l’acre de 1 $ à 2,50 $, mais là encore il s’agissait d’un accord général dont les autres conditions avaient une valeur considérable pour la Compagnie.

[331] Dans l’accord de 1908 conclu avec le gouvernement provincial, le prix n’était pas fixé en fonction du potentiel et de la valeur des terres. En effet, la GTP devait payer 2,50 $ l’acre [traduction] « au fur et à mesure qu[’elle] rec[evait] les concessions de la Couronne, et elle [devait] rétrocéder à la province un quart de tous les lots et blocs dans lesquels lesdites terres [devaient] être subdivisées » (pièce Ex-24, onglet 254). John Peebles considère qu’il s’agit d’un accord visant [traduction] « à payer à la province un droit de 2,50 $ l’acre, au fil du temps » (pièce Ex-37 à la p 121). Il serait plus juste de dire qu’il s’agissait d’un accord prévoyant le paiement d’une somme de 2,50 $ l’acre lors de l’aménagement des terres et que la GTP s’était seulement engagée, dans l’accord de 1908, à entreprendre sans délai l’aménagement d’un lotissement urbain [traduction] « d’au moins 2 000 acres » (pièce Ex-24, onglet 257). Une grande partie des terres visées par les lettres patentes n’était pas aménageable et la Couronne risquait de retarder considérablement l’octroi de concessions à des endroits que la Compagnie souhaitait exploiter, jusqu’à que celle-ci entreprenne les travaux d’aménagement, ou de refuser d’accorder des terres qui ne se prêtaient pas à cette utilisation. À titre d’exemple, mentionnons les 813,75 acres qui ont été concédées par la Couronne en 1909 pour accueillir le projet de lotissement urbain de Prince Rupert, qui s’étendait dans la partie nord de la partie de l’île Kaien de la RI no 2. Ces terres ont été transférées par une concession de la Couronne et le paiement reçu était de 2 034,75 $ (2,50 $ l’acre) (pièce Ex-49, annexe C-5 (titre de la Couronne sur le LR 1992) (partie nord)). Le reste des terres de l’ancienne RI no 2 devait demeurer des terres de la Couronne jusqu’à ce que d’autres dispositions soient prises en ce qui concerne les concessions de la Couronne.

[332] Deuxièmement, des blocs se trouvant sous la laisse de haute mer et pouvant servir à l’aménagement du secteur riverain ont été ajoutés aux terres visées par les lettres patentes que la province avait accepté de céder. John Peebles ne précise pas la valeur que représentait pour la GTP l’ajout de ces blocs aux terres que la province mettait à sa disposition (pièce Ex-24, onglet 241).

[333] Troisièmement, comme il a déjà été mentionné, l’accord de 1908 contient de nombreuses dispositions qui en font un accord global pour la construction du chemin de fer dans la province, y compris des dispositions particulièrement importantes pour la GTP (pièce Ex-24, onglet 257).

[334] Il ne faut cependant pas négliger l’importance de la revendication de l’intérêt réversif de la province. Elle a peut-être été subsumée dans le cadre de l’accord global relatif à la construction du chemin de fer, mais en 1906, après que la province eut refusé d’y renoncer, elle représentait un obstacle au développement du terminus et du lotissement urbain.

[335] Allan Koebel et John Peebles conviennent tous deux que l’intérêt réversif a fait baisser la valeur marchande.

[336] Allan Koebel fait référence à la déclaration qu’a faite le ministre de l’Intérieur et le surintendant général des Affaires indiennes, Frank Oliver, lors d’un débat à la Chambre des communes à Ottawa, le 25 janvier 1907, selon laquelle la modicité du prix à l’acre obtenu pour les terres de réserve de Metlakatla était attribuable à l’intérêt réversif de la province (pièce Ex-12 à la p 112). Dans son rapport, Allan Koebel indique que l’intérêt réversif a [traduction] « fortement influé sur la valeur marchande des terres en question » (pièce Ex-12 à la p 114). Il note également qu’il [traduction] « [f]aut savoir que la province revendiquait un intérêt réversif dans la RI Tsimpsean no 2 […] pour comprendre l’évaluation historique des terres visées par les lettres patentes » (italiques dans l’original; pièce Ex-12 à la p 114). Ses instructions n’ont pas permis de procéder à une évaluation, mais à mon avis, comme le dit Allan Koebel, il était important de tenir compte du fait que la revendication n’était pas réglée.

[337] Toutefois, j’estime que les circonstances qui prévalaient en 1906 ne justifient pas une déduction se situant à l’extrémité supérieure de la fourchette de 20 à 30 % de la valeur à l’acre proposée par John Peebles. Je crois qu’une déduction de 20 % de la valeur marchande reflète davantage le fait qu’à l’époque, la GTP croyait que la revendication de la province n’était pas fondée; en fait, M. Morse a affirmé qu’il s’agissait d’extorsion et que la Compagnie avait eu confirmation que la province allait se montrer coopérative afin qu’elle puisse payer un prix comparable à celui payé pour les terres de la réserve gouvernementale (pièce Ex-50, onglet JBD-462). En outre, les deux parties étaient motivées à conclure un accord et les conditions de l’accord de 1908 étaient, dans l’ensemble, avantageuses pour la GTP et marquaient une étape importante sur le plan politique puisque la province s’engageait à autoriser la construction du chemin de fer.

V. Conclusion

[338] Au vu de la preuve dont dispose le Tribunal, j’évalue ainsi la valeur marchande historique des 14 160 acres de terres détenues en fief simple dans la partie sud de la RI no 2 attribuée à la bande Metlakatla, vendues par le Canada à la Grand Trunk Pacific Railway Company par lettres patentes datées du 25 juin 1907 :

Île Kaien (2 680 acres)

322 200 $

Île Digby (6 840 acres)

133 675 $

Partie continentale (4 530 acres)

90 150 $

Îles « L » et île no 1 (25 acres)

750 $

Îles nos 2 à 8 à 20 $ chaque

140 $

Total

546 915 $

[339] L’application d’une déduction de 20 % pour la dépréciation attribuable à la revendication d’un intérêt réversif sur les terres présentée par la province de la Colombie-Britannique (109 383 $) porte la valeur marchande historique au moment de l’acquisition des terres de réserve à 437 532 $, soit une valeur nette à l’acre (en utilisant une superficie totale de 14 160 acres, comme il est indiqué dans les lettres patentes) à 31 $.

[340] J’arrive aux conclusions suivantes :

  1. la différence de valeur démontre qu’il était inconsidéré de la part du Canada de vendre les terres cédées au prix de 7,50 $ l’acre;

  2. le Canada n’a déployé aucun effort pour analyser et empêcher cette vente inconsidérée, et le fait qu’il n’ait pas divulgué certains faits importants à la bande constitue un manquement à son obligation de fiduciaire et un manque de loyauté et de bonne foi envers la bande;

  3. en vendant les terres cédées, le Canada a manqué à l’obligation énoncée dans l’acte de cession, soit celle de disposer des terres aux conditions jugées les plus favorables au bien-être de la bande.

[341] J’arrive à la conclusion que la revendication est bien fondée en vertu des alinéas 14(1)c) et d) de la LTRP, soit en raison de « la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant […] de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve » et de « la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve ».

[342] Des 14 160 acres visées par les lettres patentes, seules 13 567 acres ont été cédées par Metlakatla. Je laisse aux parties le soin d’examiner si la perte des terres non cédées nécessite d’autres éléments d’indemnisation dans l’évaluation totale et d’ajuster la perte historique à la valeur actuelle.

[343] Les parties peuvent demander au Tribunal qu’il règle la question de l’indemnisation si elles ne parviennent pas à s’entendre.

WILLIAM GRIST

L’honorable William Grist

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20221222

Dossier : SCT-7002-13

OTTAWA (ONTARIO), le 22 décembre 2022

En présence de l’honorable William Grist

ENTRE :

BANDE INDIENNE METLAKATLA

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

Représenté par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocat(e)(s) de la revendicatrice BANDE INDIENNE METLAKATLA

Représentée par Me Peter Millerd et Me Erica Stahl

Mandell Pinder LLP

ET AUX :

Avocat(e)(s) de l’intimé

Représenté par Me John Russell, Me Michael Mladen, Me Peri Smith et Me Isabel Jackson

Ministère de la Justice