Ce site web utilise des fichiers témoins (« cookies ») à diverses fins, comme indiqué dans notre Politique de confidentialité. Vous pouvez accepter tous ces témoins ou choisir les catégories de témoins acceptables pour vous.

Chargement des marqueurs de paragraphe

Première Nation de Waterhen Lake c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2023 TRPC 3 (CanLII)

Date :
2023-03-16
Numéro de dossier :
SCT-5001-22
Référence :
Première Nation de Waterhen Lake c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2023 TRPC 3 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jx040>, consulté le 2024-04-24

DOSSIER : SCT-5001-22

RÉFÉRENCE : 2023 TRPC 3

DATE : 20230316

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE WATERHEN LAKE

Revendicatrice (défenderesse)

 

Me Ron Maurice, Me Sheryl Manychief, Me Melanie Webber, Me Antonela Cicko et Me Rosemary Irwin, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

Représenté par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimé (demandeur)

 

Me Karen Jones et Me Brady Fetch, pour l’intimé (demandeur)

 

 

ENTENDUE : Le 25 janvier 2023

MOTIFS SUR LA DEMANDE

L’honorable Victoria Chiappetta, présidente


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45; Hunt c Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 RCS 959, 74 DLR (4th) 321; Hodgson c Bande indienne d’Ermineskin no 942, 2000 CanLII 16686 (CAF), [2000] ACF no 2042 (CAF); Nowegijick c La Reine, 1983 CanLII 18 (CSC), [1983] 1 RCS 29, 144 DLR (3e) 193; George Gordon First Nation v Saskatchewan, 2022 SKCA 41, 2022 CarswellSask 136; Colombie-Britannique c Tener, 1985 CanLII 76 (CSC), [1985] 1 RCS 533, 17 DLR (4th) 1; Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 3; Première Nation des Atikamekw d’Opitciwan c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 6; R c Sparrow, 1990 CanLII 104 (CSC), [1990] 1 RCS 1075, 70 DLR (4th) 385;

Lois citées :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 2, 14, 15, 17 et 20.

Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11, art 35.

Doctrine citée :

Chambre des communes, Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, Témoignages, 39-2, no 12 (6 février 2008), à 15 h 45 (Chuck Strahl).


 

TABLE DES MATIÈRES

I. APERÇU 4

II. Analyse 5

III. Conclusion 12


 

I. APERÇU

[1] La Première Nation de Waterhen Lake (la revendicatrice) a saisi le Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) d’une revendication en vue d’être indemnisée des pertes résultant de l’appropriation, en vertu de l’article 12 de la Convention de transfert des ressources naturelles (la CTRN) de la Saskatchewan de 1930, de droits de récolte commerciale; de la prise de 2 900 000 acres de terres traditionnelles aux fins de l’établissement du polygone de tir aérien de Primrose Lake (le PTAPL); et de la perte des terres à l’égard desquelles la Première Nation détenait des permis de piégeage commercial. Le Tribunal a été constitué par la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la LTRP], qui précise de manière exhaustive les motifs de revendication donnant ouverture à la compétence du Tribunal. En l’espèce, l’intimé a déposé, au titre de l’article 17 de la LTRP, une demande dans laquelle il prétend que la revendication outrepasse la compétence du Tribunal et devrait être radiée. J’ai présumé que les faits allégués étaient avérés. J’ai aussi interprété la LTRP d’une manière large et libérale, en prenant en considération le processus et l’objectif réparateurs du Tribunal. J’ai tenu compte du fait qu’il s’agit en l’espèce d’un argument nouveau mis de l’avant dans un domaine du droit en constante évolution. Toutefois, la compétence du Tribunal est circonscrite sans ambiguïté par la LTRP. Pour les motifs énoncés plus loin, je conclus que la revendication excède les limites de la compétence prévue par cette même loi. De ce fait, il est évident et manifeste, et hors de tout doute, que la revendicatrice ne peut avoir gain de cause devant le Tribunal. La demande de radiation est donc accueillie.

[2] La Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan a déjà été saisie, dans une large mesure, du fond de la revendication dans l’action en justice Chief Richard Fiddler et al v Attorney General of Canada and the Government of Saskatchewan, QB No 1867, qui date de 1999. Le Canada a déposé sa défense, et n’a pas soulevé de moyen fondé sur l’absence de compétence ou l’existence d’un délai de prescription. Une deuxième action intentée devant la même Cour, et intitulée The Government of Waterhen Lake Cree Nation v Her Majesty the Queen in Right of Canada and Her Majesty the Queen in Right of the Province of Saskatchewan, QB No 158, qui remonte à 2007, vise l’obtention de dommages‑intérêts, dont une indemnité pour l’occupation et la prise illégitimes des terres aux fins du PTAPL, ainsi que l’annulation du bail du PTAPL et l’expulsion de la Couronne des terres en cause. Le Canada n’a pas encore déposé de défense dans le cadre de cette deuxième action. Toutefois, compte tenu de sa réponse dans la première, ainsi que de son engagement à prendre des mesures visant la réconciliation, il serait à la fois dommage et surprenant que le Canada décide d’invoquer la prescription comme moyen de défense dans la deuxième action. Il importe de noter que, bien que la demande visant à faire radier la revendication pour défaut de compétence soit accueillie en l’espèce, la revendicatrice continuera de disposer d’un autre recours pour que le fond de sa revendication soit apprécié et tranché d’une manière indépendante et objective.

II. Analyse

[3] Au titre de l’alinéa 17a) de la LTRP, l’intimé demande au Tribunal d’ordonner la radiation de la revendication dans sa totalité, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle n’est manifestement pas admissible, car le Tribunal n’a pas compétence. Il incombe à l’intimé de convaincre le Tribunal qu’il est évident et manifeste, et hors de tout doute, que la revendication est vouée à l’échec (R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 au para 17, [2011] 3 RCS 45 ; Hunt c Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 RCS 959, 74 DLR (4e) 321 ; Hodgson c Bande indienne d’Ermineskin no 942, 2000 CanLII 16686 (CAF), [2000] ACF no 2042 (CAF)).

[4] La revendication soulève d’importantes questions constitutionnelles et questions relatives à des droits issus de traités. La revendicatrice réclame une indemnité pour la perte de droits de récolte commerciale qu’elle a subie en conséquence de l’entrée en vigueur de la CTRN de 1930, et pour la perte d’accès à ses terres traditionnelles qui a eu des répercussions sur ses droits de récolte à compter de l’établissement du PTAPL, le 1er avril 1954. La revendicatrice soutient qu’elle n’a pas été consultée ni indemnisée lorsque la CTRN a modifié les droits de récolte commerciale des Premières Nations. Elle ajoute avoir perdu son droit de chasser et de piéger dans la portion du secteur de piégeage A-37 occupée par le PTAPL, et n’avoir pas été consultée ni indemnisée à l’époque où elle a cessé de pouvoir exercer ses droits de récolte sur les terres visées. La revendicatrice fait valoir que, faute d’avoir pu prendre connaissance d’un dossier de preuve exhaustif et d’arguments complets, le Tribunal ne devrait pas se pencher sur des questions qui font intervenir des droits constitutionnels et des droits issus de traités. Les droits issus de traités (ou droits conférés par traités) sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, c 11. Je conviens que, normalement, la délimitation de la portée de ces droits n’est pas une question qui se prête à une résolution sommaire. Toutefois, l’objet de la présente demande n’est pas d’examiner le bien-fondé des allégations formulées ni de rendre une décision à cet égard. Il s’agit plutôt, pour le Tribunal, de tenir pour avérées les allégations formulées dans la revendication pour ensuite déterminer si elles s’inscrivent dans les limites de la compétence du Tribunal établies par la LTRP (R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45). L’analyse se résume à établir si la revendication est hors de tout doute vouée à l’échec pour défaut de compétence. Pour ce faire, un dossier de preuve et des arguments complets qui vont au-delà de la question expressément soulevée par l’article 17 de la LTRP ne sont pas nécessaires ni appropriés.

[5] La procédure du Tribunal a une nature réparatrice. Partie intégrante du processus de réconciliation, le Tribunal a été constitué comme un tribunal indépendant capable de statuer sur les revendications particulières historiques opposant les Premières Nations et la Couronne. Par conséquent, la LTRP, loi habilitante du Tribunal, doit être interprétée de façon large et libérale. Retenir une interprétation étroite ou technique de cette loi contrecarrerait son objet, qui est de donner accès à la justice aux Premières Nations en vue de régler les revendications particulières d’une manière rapide et économique. Or, même si la LTRP doit être interprétée de façon libérale, il n’en reste pas moins que sa portée est clairement définie. La compétence du Tribunal est circonscrite aux revendications fondées sur l’un ou l’autre des faits énumérés à l’article 14 de la LTRP. Comme je l’expliquerai plus loin, les dispositions pertinentes de la LTRP ne sont pas équivoques et, lorsqu’elles sont lues à la lumière de la LTRP dans son ensemble, il en ressort que l’intention du législateur était que les revendications fondées sur des droits conférés par traité relativement à des activités susceptibles d’être exercées de façon continue et variable, notamment des droits de récolte, ne donnent pas ouverture à un recours devant le Tribunal. En 2008, lorsque le projet de loi C-30 intitulé Loi constituant le Tribunal des revendications particulières et modifiant certaines lois en conséquence, 2e sess, 39e lég, 2008 (sanctionné le 18 juin 2008), a été présenté au Parlement, l’honorable Chuck Strahl, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a déclaré devant le Comité permanent sur les affaires autochtones et le développement du Grand Nord : « [l]e processus [de règlement des revendications particulières] ne convient tout simplement pas aux grandes questions posées par les droits permanents conférés par traité », et a ajouté que ces questions seraient résolues au moyen d’autres initiatives (je souligne; Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes, Témoignages, 39-2, no 12 (6 février 2008), à 15 h 45 (Chuck Strahl)). La revendicatrice réclame une indemnité de la part du Canada pour l’abrogation de ses droits de récolte par la CTNR, et pour la prise, aux fins de l’établissement du PTAPL, de terres hors réserve sur lesquelles elle détenait des droits de récolte, et ce, sans qu’elle soit indemnisée ni consultée. Une revendication de ce type outrepasse la compétence du Tribunal.

[6] Le cadre législatif qui régit l’admission des revendications par le Tribunal est établi par les articles 14 à 16 de la LTRP. Comme je l’ai souligné plus haut, les motifs de revendication permettant à une Première Nation de déposer une revendication devant le Tribunal sont énoncés à l’article 14 de la LTRP. La revendicatrice fait valoir que sa revendication est fondée sur les faits énumérés aux alinéas 14(1)a) et c).

[7] L’alinéa 14(1)a) dispose que le Tribunal peut être saisi d’une revendication fondée sur « l’inexécution d’une obligation légale de Sa Majesté liée à la fourniture d’une terre ou de tout autre élément d’actif en vertu d’un traité ou de tout autre accord conclu entre la première nation et Sa Majesté ». Selon la revendicatrice, le libellé de cet alinéa est assez équivoque pour englober sa revendication. Dans l’arrêt Nowegijick c La Reine, 1983 CanLII 18 (CSC), [1983] 1 RCS 29, la Cour a statué, à la page 36, que « les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et [...] toute ambiguïté doit profiter aux Indiens ». En outre, dans l’arrêt George Gordon First Nation v Saskatchewan, 2022 SKCA 41, 2022 CarswellSask 136, la Cour d’appel de la Saskatchewan a déclaré que, lorsqu’un texte de loi ne présentait aucune ambiguïté véritable, le principe énoncé dans l’arrêt Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29, ne trouvait pas application. À mon sens, le libellé de l’alinéa 14(1)a) ne présente pas d’ambiguïté véritable. Au contraire, il prescrit clairement une analyse portant sur la question de savoir si une revendicatrice a invoqué le défaut de la Couronne de fournir une terre ou tout autre élément d’actif en vertu d’un traité. En l’espèce, la revendicatrice invoque le Traité no 6, aux termes duquel elle a renoncé à ses droits sur une vaste étendue de terres hors réserve en échange de réserves déterminées et du droit de continuer à récolter les ressources dans la parcelle cédée, sous certaines conditions.

[8] Selon la disposition prévoyant la cession des terres, les Premières Nations signataires du Traité ont renoncé à leurs droits sur une vaste étendue de territoire :

Les tribus des Indiens Cris des Plaines et des Bois, et tous les autres Indiens habitant le district ci-après décrit et défini, par le présent cèdent, abandonnent, remettent et rendent au gouvernement de la Puissance du Canada pour Sa Majesté la Reine et Ses Successeurs à toujours, tous droits, titres et privilèges quelconques, qu’ils peuvent avoir aux terres comprises dans les limites suivantes, savoir :

À partir de l’embouchure de la rivière qui se décharge dans l’angle nord-ouest du lac Cumberland, de là en remontant à l’ouest la dite rivière jusqu’à sa source, de là en droite ligne en gagnant dans une direction ouest la tête du lac Vert, de là dans une direction nord jusqu’au coude de la rivière au Castor, de là en descendant au nord la dite rivière jusqu’à un point situé à environ vingt milles de ce coude ; de là dans une direction vers l’ouest, courant sur une ligne généralement parallèle avec la dite rivière au Castor (au-dessus du coude), et à une distance d’environ vingt milles, jusqu’aux sources de la rivière ; de là dans une direction nord en allant au point nord-est de la rive sud du lac au Cerf Rouge en continuant dans une direction franc ouest le long de cette rive jusqu’à sa limite à l’ouest, et de là dans une direction franc ouest jusqu’à la rivière Athabaskaw, de là en remontant la dite rivière, contre le courant, jusqu’à Japer House, dans les Montagnes-Rocheuses ; de là dans une direction sud-est, en suivant la chaîne des montagnes à l’est, jusqu’à la source du bras principal de la rivière au Cerf Rouge ; de là en descendant la dite rivière avec le courant jusqu’à sa jonction avec [la] décharge de la rivière, qui est la décharge du lac du Buffle ; de là en allant franc est pendant une distance de vingt milles ; de là en ligne droite dans une direction sud-est jusqu’à l’embouchure de la rivière au Cerf Rouge sur le bras sur de la rivière Saskatchewan ; de là dans une direction est et nord, en longeant les limites des étendues de pays accordées par les divers traités numéros quatre et cinq jusqu’au point de départ.

Et aussi tous les droits, titres et privilèges quelconques qu’ils peuvent avoir à toutes autres terres, partout où elles se trouveront, dans les Territoires du Nord-Ouest, ou dans toute autre province ou partie des possessions de Sa Majesté, sises et situées dans les limites du Canada[.] [Soulignement ajouté; copie du Traité No 6; Recueil de jurisprudence et de doctrine de la revendicatrice, onglet 38.]

[9] Conformément à la disposition visant la création de réserves, le Canada s’est engagé à mettre de côté des réserves pour les Premières Nations signataires :

Et Sa Majesté la Reine par le présent convient et s’oblige de mettre à part des réserves propres à la culture de la terre, tout en ayant égard aux terres présentement cultivées par les dits Indiens, et d’autres réserves pour l’avantage des dits Indiens, lesquelles seront administrées et gérées pour eux par le gouvernement de Sa Majesté pour la Puissance du Canada, pourvu que toutes telles réserves ne devront pas excéder en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites en la manière suivante, savoir : Que le surintendant en chef des Affaires indiennes devra députer [et] envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner les réserves pour chaque bande, après s’être consulté avec les Indiens de telle bande quant au site que l’on pourra trouver le plus convenabl[e] par eux. [Soulignement ajouté.]

[10] En conformité avec la disposition relative aux droits de récolte, les Premières Nations signataires ont conservé le droit de chasser et de pêcher dans toute l’étendue cédée, sous certaines conditions. Aux termes de cette disposition, le Canada avait aussi le droit de « prendre » les terres pour des fins d’établissement, de mine, de commerce du bois ou autres :

Sa Majesté, en outre, convient avec les dits Indiens qu’ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse et de la pêche dans l’étendue de pays cédée, tel que ci-dessus décrite, sujets à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par son gouvernement de la Puissance du Canada, et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d’établissement, de mine, de commerce de bois ou autres par son dit gouvernement de la Puissance du Canada, ou par aucun de ses sujets y demeurant, et qui seront dûment autorisés à cet effet par le dit gouvernement[.] [Soulignement ajouté.]

[11] Le Traité no 6 obligeait la Couronne à mettre de côté des terres de réserve pour les Premières Nations signataires. Or, la revendication en l’espèce se fonde sur la disposition du traité portant sur les droits de récolte. Elle ne fait pas état du défaut de la Couronne de fournir des terres à la revendicatrice en vertu du Traité no 6. La revendicatrice conteste plutôt le droit qu’avait le Canada de prendre, sans la consulter ni l’indemniser, des terres cédées sur lesquelles elle détenait des droits de récolte, et ce, aux fins de l’établissement du PTAPL, et elle demande une indemnité supplémentaire pour l’abrogation, sans consultation, de ses droits de récolte par la CNTR.

[12] L’alinéa 14(1)c) de la LTRP dispose que le Tribunal peut être saisi d’une revendication fondée sur « la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve [...] ou de tout autre élément d’actif de la première nation ». La revendicatrice soutient que le syntagme « autre élément d’actif » utilisé aux alinéas 14(1)a) et c) est ambigu et devrait être interprété de manière à inclure les droits de récolte, les permis de piégeage, ainsi que sa revendication relative à la prise des terres aux fins de l’établissement du PTAPL. (Les parties conviennent qu’aucune des allégations de la revendication ne fait état de la « fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve  », ce qui englobe les « engagement[s] unlilatér[aux] » ou « l’administration [...] de terres d’une réserve » par la Couronne.)

[13] La revendicatrice fait valoir que les droits de récolte commerciale sont des éléments d’actif de nature sui generis, qui s’apparentent au concept de common law du profit à prendre propre au droit des biens. La revendicatrice renvoie à la décision Cherry v Petch, [1948] OWN 378 (HC Ont) à la p 380, citée dans l’arrêt Colombie-Britannique c Tener, 1985 CanLII 76 (CSC), [1985] 1 RCS 533 à la p 541, 17 DLR (4th) 1, pour décrire le profit à prendre comme un intérêt dans le bien-fonds lui-même, qui permet à une personne d’y accéder sans en être propriétaire, d’y pêcher, d’y chasser et d’y piéger, ainsi que d’en retirer les prises matérielles. Selon elle, le profit à prendre est un moyen d’atteindre un objectif, à savoir l’acquisition d’objets matériels utilisés pour la subsistance ou le commerce, et qui sont essentiels à la survie et aux besoins de la Première Nation. La revendicatrice avance que, puisque les biens matériels sont recueillis dans l’exercice des droits de récolte, et qu’ils sont plus tard convertis en argent ou en d’autres biens matériels, le droit lui-même est un élément d’actif au sens de la LTRP. Il s’agit là d’un argument nouveau, mis de l’avant dans un domaine de droit en constante évolution. Il n’est toutefois pas appuyé par la loi habilitante du Tribunal.

[14] Lorsqu’on lit dans leur ensemble les dispositions législatives pertinentes, on ne saurait dire que leur libellé présente une ambiguïté véritable. Selon la définition qui se trouve à l’article 2 de la LTRP, un élément d’actif est un « bien matériel ». Le Tribunal, par ailleurs, a défini « bien matériel » comme tout bien qui a une forme et des caractéristiques physiques, ou toute chose que l’on peut voir ou toucher, ou qui est autrement perceptible par les sens (Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 3 au para 295, citant le Black’s Law Dictionary, 10e éd, sub verbo « tangible property » (bien matériel)). Suivant l’alinéa 15(1)g) de la LTRP, une Première Nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication si celle-ci est fondée sur des droits conférés par traité relativement à des activités susceptibles d’être exercées de façon continue et variable, notamment des droits de récolte. Le paragraphe 15(2) de la LTRP dispose que l’alinéa 15(1)g) ne s’applique pas aux revendications fondées sur des droits conférés par traité soit sur des terres, soit sur des éléments d’actif destinés à des activités, tels les munitions, pour la chasse, et les charrues, pour l’agriculture.

[15] Dans la décision Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 3, le Tribunal a jugé, aux paragraphes 289 et 294, que les annuités découlant d’un traité sont des « éléments d’actif » au sens de l’article 2 et de l’alinéa 14(1)a) de la LTRP. Le juge Slade, alors président, a statué qu’« [a]u sens où les signataires du Traité l’auraient naturellement compris, l’argent est un élément d’actif, au même titre qu’une vache ou une charrue. [...] L’argent était de nature tangible. Il se trouvait entre les mains de l’agent des Indiens, tout comme les autres éléments d’actif promis dans le traité avant qu’ils ne soient remis à la bande ». Il est à souligner que le juge Slade s’était appuyé en partie sur le fait que les annuités découlant d’un traité n’étaient pas comprises dans les catégories de revendications dont le Tribunal ne peut être saisi selon le paragraphe 15(1) de la LTRP, et qu’il avait conclu qu’il serait inapproprié d’ajouter une exclusion fondée sur la définition d’« éléments d’actif », puisque telle n’était pas l’intention du législateur (para 406-407). Toutefois, contrairement aux revendications fondées sur des annuités découlant d’un traité, la LTRP soustrait expressément à la compétence du Tribunal les revendications fondées sur des droits de récolte conférés par traité. L’intention du législateur était précisément de les exclure. Le paragraphe 15(2) de la LTRP prescrit qu’une revendication fondée sur des droits de récolte conférés par traité est admissible si elle est également fondée sur des droits conférés par traité sur des terres ou sur des éléments d’actif. La LTRP maintient la compétence du Tribunal d’entendre une revendication fondée sur les biens matériels — comme les munitions ou les charrues — nécessaires pour l’exercice des droits de récolte conférés par traité.

[16] La revendicatrice soutient qu’en l’espèce, on ne saurait affirmer que les droits de récolte en cause sont des droits conférés par traité susceptibles d’être exercés de façon continue et variable, puisqu’ils auraient été abolis en 1930. Selon la revendicatrice, comme ces droits ont cessé d’exister, l’exclusion de compétence prévue par la loi ne s’applique pas. Toutefois, la nature du droit conféré par traité au sens de la LTRP concerne l’essence des droits de récolte. Les droits de récolte sont des droits collectifs qui sont exercés par des individus (Première Nation des Atikamekw d’Opitciwan c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 6 au para 567 ; R c Sparrow, 1990 CanLII 104 (CSC), [1990] 1 RCS 1075 à la p 1112, 70 DLR (4th) 385). La revendicatrice demande essentiellement au Tribunal de conclure que les droits de récolte reconnus par le Traité no 6 existent toujours malgré la CNTR, ce qui donnerait ouverture à l’indemnisation de sa perte. Or la perte alléguée de ses droits de récolte conférés par traité sert d’assise à la demande d’indemnité de la revendicatrice, et est donc manifestement visée par le libellé de l’alinéa 15(1)g), qui la soustrait clairement à la compétence du Tribunal.

[17] La revendicatrice fait valoir, à titre subsidiaire, que le paragraphe 20(2) de la LTRP est suffisant pour asseoir la compétence du Tribunal. Le paragraphe 20(2) dispose que, lorsque le Tribunal statue sur l’indemnité à verser relativement à une revendication, « [il] peut prendre en compte [...] les pertes relatives aux activités susceptibles d’être exercées de façon continue et variable, notamment les activités liées aux droits de récolte ». La compétence du Tribunal qui lui permet de se pencher sur la validité d’une revendication est cependant entièrement délimitée par l’article 14 de la LTRP. L’article 15, quant à lui, sert de guide pour l’application de l’article 14 en donnant des exemples précis de cas où une Première Nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication. L’article 20 de la LTRP vient préciser les conditions et les limites applicables aux décisions sur l’indemnité relative à une revendication particulière, dès lors que le Tribunal s’est déclaré compétent et a reconnu la validité de cette même revendication. Pour les motifs énoncés plus haut, je conclus que la revendication n’est pas admissible selon l’article 14 et qu’elle est expressément exclue par l’alinéa 15(1)g) de la LTRP. L’article 20 de la LTRP n’est donc d’aucun secours lorsqu’il s’agit de déterminer si les droits de récolte peuvent constituer le fond d’une revendication devant le Tribunal.

III. Conclusion

[18] Pour les motifs énoncés plus haut, la demande présentée par l’intimé en vue de la radiation de la revendication est accueillie.

VICTORIA CHIAPPETTA

L’honorable Victoria Chiappetta, présidente

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20230316

Dossier : SCT-5001-22

OTTAWA (ONTARIO), le 16 mars 2023

En présence de l’honorable Victoria Chiappetta, présidente

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE WATERHEN LAKE

Revendicatrice (défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

Représenté par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimé (demandeur)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice (défenderesse) PREMIÈRE NATION DE WATERHEN LAKE

Représentée par Me Ron Maurice, Me Sheryl Manychief, Me Melanie Webber, Me Antonela Cicko et Me Rosemary Irwin

Maurice Law Barristers & Solicitors

ET AUX :

Avocats de l’intimé (demandeur)

Représenté par Me Karen Jones et Me Brady Fetch

Ministère de la Justice du Canada