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Ville de Laval c. Manoir du Vieux Sainte-Rose inc., 2021 QCCA 1709 (CanLII)

Date :
2021-11-15
Numéro de dossier :
500-09-028802-205
Référence :
Ville de Laval c. Manoir du Vieux Sainte-Rose inc., 2021 QCCA 1709 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jkfmw>, consulté le 2024-04-19

Ville de Laval c. Manoir du Vieux Sainte-Rose inc.

2021 QCCA 1709

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-028802-205

(540-17-012952-189)

 

DATE :

 15 novembre 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

VILLE DE LAVAL

APPELANTE – demanderesse

c.

 

MANOIR DU VIEUX SAINTE-ROSE INC.

9161-2259 QUÉBEC INC.

INTIMÉES – défenderesses

 

 

ARRÊT

 

 

[1]         L’appelante en appel d’un jugement rendu le 9 décembre 2019 par la Cour supérieure, district de Laval (l’honorable Lukasz Granosik), rectifié le 6 janvier 2020, lequel accueille la demande en répétition de l’indu des intimées et condamne l’appelante à rembourser à Manoir du Vieux Sainte-Rose 30 417,51 $ et à 9161-2259 inc. 21 455,10 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter de l’assignation[1].

[2]         Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Hamilton et Bachand, LA COUR :

[3]         ACCUEILLE l’appel, avec les frais de justice;

[4]         REJETTE les demandes en répétition de l’indu, avec les frais de justice.

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

Me Marie-Pier Dussault-Picard

VILLE DE LAVAL – LESAJ, AVOCATS ET NOTAIRES

Pour l’appelante

 

Me Hugo Beaulieu

THERRIEN COURTURE JOLI-COEUR

Pour les intimées

 

Date d’audience :

3 juin 2021


 

 

 

MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON

 

 

[5]         L’intimée Manoir du Vieux Sainte-Rose inc. est une société par actions offrant des services d’hébergement, de soutien et d’assistance à des personnes âgées ayant des problèmes de santé[2] [ci-après le « Manoir »]. Elle est reconnue comme une ressource intermédiaire[3] au sens de la Loi sur les services de santé et services sociaux[4]. Le bâtiment dans lequel elle donne ses services se compose d’environ 30 chambres, dont chacune partage avec une autre une salle de bain.

[6]         L’intimée 9161-2259 Québec inc. est quant à elle une société par actions offrant des services d’hébergement pour les personnes âgées autonomes ou semi-autonomes[5] [ci-après « Québec inc. »]. Le bâtiment se compose d’environ 100 chambres, chacune munie  d’une salle de bain.

[7]         Dans les deux cas, aucune des chambres n’est munie de facilités de cuisson, les résidents ayant tous accès à une salle à manger où les repas, préparés dans une cuisine située dans le bâtiment, leur sont fournis. Les résidents accèdent au bâtiment par une entrée commune et à leur chambre par un corridor aussi commun, et ont aussi accès à un certain nombre de pièces communes.

[8]         À la suite de l’entrée en vigueur de la Stratégie québécoise d’économie d’eau potable du gouvernement du Québec, dont l’un des objectifs est d’inciter les municipalités du Québec à adopter des mesures visant la réduction de la consommation d’eau potable et du taux de fuite de leurs réseaux d’aqueduc[6], l’appelante adopte le 16 juin 2015 le Règlement L-12183 [ci-après le « Règlement »], lequel tarifie la consommation de l’eau qu’elle distribue par son réseau d’aqueduc. Manoir et Québec inc. reçoivent alors, pour chacune des années 2015 à 2017, un compte de base de 279 $ pour l’approvisionnement en eau[7] de chacun des bâtiments, montants par la suite corrigés, pour les trois années, à 37 934,70 $[8] pour Manoir et à 21 455,10 $[9] pour Québec inc., alors établis en fonction de leur consommation d’eau réelle, critère qui, selon la Ville, est applicable aux « établissements », ce que, selon elle, sont les bâtiments des intimées.

[9]         Les intimées contestent cet ajustement par une procédure en contrôle judiciaire et en répétition de l’indu. Le 19 décembre 2019, le juge de première instance rejette la demande en nullité de Manoir et Québec inc. à l’égard des comptes de taxes litigieux puisque cette demande n’a pas été formulée dans un délai raisonnable et qu’aucune explication justifiant le délai n’a été fournie[10]. Néanmoins, le juge accueille leur demande en répétition de l’indu. Celui-ci considère qu’au terme de son interprétation du Règlement L-12183, chacun des bâtiments doit être considéré comme ne formant qu’un seul « logement » au sens de ce Règlement pour l’ensemble des personnes qui y résident et n’être donc imposé qu’à raison de 279 $ par année, alors que la Ville les a imposés sur la base de la consommation réelle puisqu’elle considère qu’ils se qualifient d’« établissements », toujours au sens de ce Règlement L-12183.

[10]      L’appelante soutient que le juge a erré à plusieurs égards dans son interprétation du Règlement L-12183 et qu’une lecture correcte l’aurait plutôt amené à conclure que les bâtiments des intimées sont des établissements. Voyons ce qu’il en est.

Analyse

[11]      Le Règlement L-12183 a été adopté en vertu des pouvoirs conférés à la Ville à l’article 244.1 de la Loi sur la fiscalité municipale[11] [ci-après « L.f.m. »], lequel article prévoit :

244.1 Dans la mesure où est en vigueur un règlement du gouvernement prévu au paragraphe 8.2° de l’article 262, toute municipalité peut, par règlement, prévoir que tout ou partie de ses biens, services ou activités sont financés au moyen d’un mode de tarification.

244.1 Every municipality may, by by-law and to the extent that a regulation of the Government under paragraph 8.2 of section 262 is in force, provide that all or part of its property, services or activities shall be financed by means of a tariff.

 

Elle peut, de la même façon, prévoir qu’est ainsi financée tout ou partie de la quote-part ou d’une autre contribution dont elle est débitrice pour un bien, un service ou une activité d’une autre municipalité, d’une communauté, d’une régie intermunicipale ou d’un autre organisme public intermunicipal.

A municipality may, in the same manner, provide that all or part of the aliquot share or of other contribution owed by it in respect of property, services or activities of another municipality, a community, an intermunicipal body or another intermunicipal public body shall be financed as in the first paragraph.

 

Elle peut également, de la même façon, prévoir qu’est ainsi financée tout ou partie de la somme qu’elle doit verser en contrepartie de tout service que lui fournit la Sûreté du Québec.

A municipality may, in the same manner, provide that all or part of the amount it must pay in return for services provided by the Sûreté du Québec shall be financed as in the first paragraph.

[12]      Comme le juge le souligne, la Ville a adopté ce Règlement L-12183 dans le cadre de sa Stratégie lavalloise d’économie d’eau potable suivant la mise en place par le gouvernement du Québec de sa Stratégie québécoise d’économie d’eau potable. Cela dit, bien que ce règlement ait eu comme objectif en outre la réduction de la consommation de l’eau potable sur son territoire, l’outil employé à cette fin demeure un règlement de tarification servant en premier lieu à financer son service de l’eau par le biais d’une tarification. Puisque ce règlement en est un de taxation, et bien que la méthode d’interprétation qui lui est applicable soit celle dite moderne[12],  il importe, vu sa matière, et comme le rappelait la Cour suprême en 2006, d’accorder une grande importance aux termes employés par le législateur[13] :

Malgré cette approbation de la méthode moderne, la nature particulière des lois fiscales et les caractéristiques de leurs structures souvent complexes expliquent pourquoi on a toujours mis l’accent sur la nécessité d’examiner attentivement le texte même [des dispositions interprétées], de manière à permettre aux contribuables de se fonder sur cel[les]ci, sans risque d’erreur, pour exploiter leur entreprise et organiser leurs affaires fiscales.  On ne devrait pas permettre que des considérations générales touchant l’objet de la loi se substituent aux termes précis employés par le législateur (Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 1082], par. 3839).

[13]      En l’espèce, c’est l’article 5 du Règlement L-12183 qui prévoit les modalités de la tarification :

Article 5 -         MODALITÉS DE LA TARIFICATION

Afin de pourvoir au financement des services de l’eau, les tarifs suivants sont imposés :

1o         Pour tout logement : deux cent soixante-dix-neuf dollars (279 $);

2o         Pour tout terrain non construit : 2,50 $ du 1 000 pieds carrés (92,9 mètres carrés) avec un minimum de 40 $ et un montant maximum de 550 $ par terrain;

            Sont exclus de la tarification prévue au premier alinéa :

a)   un terrain non construit situé dans la zone agricole permanente établie par décret en vertu de la Loi sur la Protection du territoire et des activités agricoles (RLRQ, c. P-41.1);

b)   un terrain non construit dont plus de 50 % de sa superficie est située en territoire sujet à inondation de récurrence vicennale;

c)   un terrain non construit qui est non constructible en raison de la réglementation d’urbanisme ou en raison d’une contamination;

3o         Pour tout établissement, le plus élevé de :

a)   quatre-vingt-treize cents (0,93 $) le mètre cube en fonction de la consommation mesurée à l’aide d’un compteur d’eau;

b)   deux cent soixante-dix-neuf dollars (279,00 $) par établissement;

S’il estime que la consommation d’eau d’un logement dépasse la consommation normale, le directeur du Service de l’environnement et ses représentants autorisés, peuvent exiger l’installation d’un compteur d’eau dans un logement dont une partie sert de commerce dans un logement et imposer la tarification des services de l’eau de ce logement conformément au sous-paragraphe a) du présent paragraphe;

[…] 

[Soulignement ajouté]

[14]      L’article premier du Règlement L-12183 définit les mots « établissement » et « logement » :

Établissement

Un bâtiment, une partie de bâtiment, un local, un ensemble de pièces ou une seule pièce qui est desservi par l’aqueduc et qui est utilisé ou destiné à être utilisé à des fins autres que l’usage « habitation » au sens du règlement L-2000, à l’exception d’un commerce dans un logement ;

Au sens du présent règlement et nonobstant ce qui précède, un parc de maisons mobiles est assimilé à un établissement.

Logement

Un bâtiment, une partie de bâtiment, une maison, une résidence, une habitation, un appartement, un ensemble de pièces ou une seule pièce qui est desservi par l’aqueduc, qui est utilisé ou destiné à être utilisé principalement aux fins de l’usage « habitation » au sens du règlement L-2000 et qui sert ou qui est destiné à servir de résidence à une ou plusieurs personnes qui l’occupent ensemble et qui peuvent y tenir feu et lieu ; il comporte une entrée par l’extérieur ou un haIl commun, des installations sanitaires, une cuisine ou une installation pour cuisiner ;

Le logement peut être séparé d’un autre logement par une porte ou par une ouverture dans laquelle il existe un cadrage pouvant recevoir une porte ou à défaut d’une telle ouverture, l’accès entre les deux (2) logements n’est pas direct et se fait par un couloir, une pièce non finie ou une cage d’escalier cloisonnée ;

Malgré les dispositions des premier et deuxième alinéas, sont exclus :

1º le logement aménagé au sous-sol d’une habitation qui est utilisé par le propriétaire ou par un ou des membres de la même famille que celle du propriétaire ou de son (sa) conjoint(e), en autant que ces derniers occupent le logement du rez-de-chaussée ;

2º le logement secondaire d’une habitation unifamiliale qui abrite au maximum deux logements dont le logement secondaire, situé principalement hors sol, abrite un ou des membres de la même famille que celle du propriétaire ou de son (sa) conjoint(e), en autant que ces derniers occupent le logement principal ;

[Soulignement ajouté]

[15]      Le Règlement L-12183 prévoit aussi ceci :

Article 7-         CRITÈRES D’IMPOSITION DE LA TARIFICATION

Les tarifs indiqués aux articles 5 et 6 sont imposés d’année en année sur la base des informations apparaissant au rôle d’évaluation en vigueur au 1er janvier de l’année d’imposition. Tout compte passé dû porte intérêt au taux fixé par le Conseil municipal pour les arrérages de taxes.

[16]      Comme premier moyen d’appel, la Ville soutient que le juge de première instance a erré en concluant que l’article 7 de ce règlement délimite le champ d’application de la tarification imposée en vertu de l’article 5. Le juge écrit que, puisqu’au 1er janvier de chacune des années en litige il était indiqué au rôle d’évaluation que l’utilisation prédominante des deux immeubles était « habitation en commun », que les immeubles appartenaient à la classe « résiduelle » et que le nombre de logements indiqué était de 1, il devait en découler que le rôle d’évaluation caractérisait l’usage de l’immeuble de résidentiel au sens de ce règlement de tarification. Avec égards, j’estime que sa lecture de cet article méconnaît l’absence de lien entre la tarification autorisée par les articles 244.1 et s. L.f.m. et la portée des inscriptions au rôle d’évaluation.

[17]      Les articles 244.1 et s. L.f.m. accordent aux municipalités le pouvoir de financer tout ou partie de leurs biens, services ou activités au moyen d’un mode de tarification. Constitue un mode de tarification toute source locale et autonome de recette autre qu’une taxe basée sur la valeur foncière ou locative, ce qui inclut, de façon non limitative, une taxe foncière basée sur une autre caractéristique de l’immeuble que sa valeur ou encore une compensation exigée de son propriétaire ou de son occupant.

[18]      En l’espèce, l’appelante a choisi d’exiger des propriétaires des immeubles desservis par l’aqueduc une compensation pour le service de l’eau, tarification distincte, par exemple, de celle exigée pour défrayer le coût de la pose de l’aqueduc en front de l’immeuble, ou encore de la taxe foncière générale basée sur la valeur de l’immeuble. Les bases de cette compensation choisie par la Ville apparaissent à l’article 5 du Règlement L-12183 : les « logements », les « terrains non construits » et les « établissements », termes qu’elle définit à l’article premier de ce même règlement. La Ville aurait aussi bien pu décréter que cette compensation serait imposée sur la base d’une autre caractéristique de l’immeuble ou type d’utilisation de l’eau, pourvu qu’elle puisse établir un lien entre le service fourni et le bénéfice reçu par le débiteur[14].

[19]      Le lien ici choisi par le législateur municipal est le type d’usage qui est fait du bâtiment ou partie de bâtiment desservi par l’aqueduc : 279 $ annuellement par logement et, pour les établissements, en fonction de la quantité d’eau fournie. Le mot « établissement » y est défini en relation avec le mot « logement », alors que ces deux mots réfèrent expressément à la notion d’« usage habitation au sens du règlement L‑2000 ».

[20]      De son côté, le rôle d’évaluation de la Ville est confectionné par un évaluateur qui est soumis à un code de conduite et qui s’engage, sous serment devant le greffier de celui-ci, à remplir ses fonctions impartialement et suivant la loi. Les informations que l’évaluateur peut inscrire sur le rôle sont prescrites par l'article 10 du Règlement sur le rôle d'évaluation foncière[15] adopté par le gouvernement du Québec en vertu du paragraphe 1 de l'article 263 L.f.m. L'article 10 de ce règlement prévoit que le rôle d'évaluation foncière contient les renseignements prévus par la partie 4B du Manuel d'évaluation foncière du Québec. Parmi les renseignements qui doivent se retrouver au rôle se trouve celui indiquant l’« utilisation prédominante » de l’unité d’évaluation, alors que l’évaluateur peut, sans y être obligé par le règlement, y inscrire le « nombre de logements », le « nombre de chambres locatives » et le « nombre de locaux non résidentiels » par unité d’évaluation.

[21]      En l’espèce, on constate que le rôle d’évaluation comporte, à l’égard des deux bâtiments en litige, l’inscription portant sur l’utilisation prédominante (« habitation en commun ») et le nombre de logements (1).

[22]      Toutefois, puisque le règlement de tarification peut prévoir que la tarification ou la compensation peut être basée sur la caractéristique de l’immeuble déterminée par la Ville, celle-ci peut ne pas correspondre à celle indiquée par l’évaluateur au rôle d’évaluation, étant donné que les caractéristiques de l’immeuble inscrites au rôle d’évaluation doivent obligatoirement correspondre aux définitions prévues dans le Manuel d'évaluation foncière du Québec.

[23]      En l’espèce, le mot « logement » est défini comme suit dans ce manuel :

Logement : Un logement est une maison, un appartement, un ensemble de pièces ou une seule pièce où une ou des personnes peuvent tenir feu et lieu; il comporte une entrée par l’extérieur ou par un hall commun, des installations sanitaires, une cuisine ou une installation pour cuisiner. Les installations disposent de l’eau courante et sont fonctionnelles, même de façon temporaire.

Le logement peut être séparé d’un autre logement par une porte ou par une ouverture dans laquelle il existe un cadrage pouvant recevoir une porte ou, à défaut d’une telle ouverture, l’accès entre les deux logements n’est pas direct et se fait par un couloir, une pièce non finie ou une cage d’escalier cloisonnée.

[24]      Or, la définition du mot « logement » dans le Règlement L-12183 ajoute la condition selon laquelle le bâtiment, partie de bâtiment, maison, résidence, habitation, appartement, ensemble de pièces ou seule pièce doit être « utilisé ou destiné à être utilisé principalement aux fins de l’usage « habitation » au sens du règlement L-2000 ». Comme on l’a vu, ce règlement vise aussi les « établissements » et réfère à l’usage « habitation », mots qui ne sont pas définis dans le Manuel.

[25]      Évidemment, le législateur municipal aurait pu, dans son Règlement L-12183, faire correspondre ses définitions avec celles du Manuel, mais il ne l’a pas fait. Telle était sa faculté, que la Cour doit respecter.

[26]      Quant à l’indication inscrite au rôle d’évaluation voulant que les deux immeubles appartiennent à la classe « résiduelle », elle a fait dire au juge de première instance qu’elle appuyait sa conclusion voulant que l’usage fait des bâtiments soit un usage résidentiel. Or, comme le juge le souligne, une telle inscription au rôle a un but bien particulier, qui est de déterminer quel sera le taux de la taxation de base de la taxe foncière générale dans l’éventualité où la Ville choisirait d’appliquer des taux variés de taxation tels que les articles 244.29 et s. L.f.m. l’autorisent, et non de déterminer les cas d’application d’un règlement de tarification qui réfère à une base d’imposition différente.  

[27]      Ainsi, l’inscription au rôle d’évaluation selon laquelle les bâtiments comporteraient un seul logement et celle qui indique que l’immeuble appartient à la classe « résiduelle » ne sont d’aucun secours afin de déterminer le nombre de « logements », au sens du règlement de tarification, que comporte un bâtiment, ou encore si ce bâtiment se qualifie de « logement » ou plutôt d’« établissement » au sens du Règlement L-12183. De plus, la mention prévue à l’article 7 du Règlement L-12183 voulant que la tarification soit imposée d’année en année sur la base des informations apparaissant au rôle d’évaluation en vigueur au 1er janvier de l’année d’imposition, ne peut que référer aux informations contenues à ce rôle qui sont pertinentes à cette imposition, soit l’indication des autres caractéristiques du bâtiment, l’identification de son propriétaire (art. 4), des quotes-parts s’il y a copropriété (art. 9), etc.

[28]      L’appelante avance ensuite que le juge de première instance aurait erré lorsqu’il écrit que le sens du mot « logement » peut être compris sans besoin de référer à la notion d’« habitation » telle que conçue par le Règlement L-2000. Le juge écrit :

[25]   Le Tribunal note d’emblée que la définition de « logement » dans le Règlement L-12183 n’est pas limitative, car on procède avec le vocabulaire suivant : «qui est utilisé ou destiné à être utilisé principalement aux fins de l’usage «habitation» au sens du règlement L-2000 (…) » alors que la définition d’ « établissement » n’utilise pas cet adverbe. Cela se comprend d’ailleurs, car le règlement de référence vise à gérer les usages et l’aménagement du territoire et non pas l’utilisation de services de la Ville. La correspondance parfaite des notions qui sont pourtant parfois analogues, n’est donc pas obligatoire[16]. Le Tribunal en conclut que le législateur municipal conçoit que des « logements » au sens du Règlement L-12183 ne doivent pas être nécessairement des « habitations » suivant le Règlement L-2000. Ainsi, même si les résidences des demanderesses ne se qualifient pas comme des « Habitations pour personnes âgées» au sens de ce dernier règlement, cela n’exclut pas automatiquement de les considérer comme des logements. Cela est d’autant plus vrai que les immeubles des demanderesses servent ou sont « destiné[s] à servir de résidence à une ou plusieurs personnes qui l’occupent ensemble et qui peuvent y tenir feu et lieu; il comporte une entrée par l’extérieur ou un hall commun, des installations sanitaires, une cuisine ou une installation pour cuisiner ».

[29]      Avec égards, deux raisons justifient le rejet de cette approche.

[30]      D’abord, les bâtiments des intimées ne peuvent être considérés comme formant chacun un seul « logement » au sens du Règlement L-12183 puisque la définition de ce mot requiert que les locataires l’occupent « ensemble », ce qui ne semble pas être le cas puisque chaque chambre est louée individuellement et est occupée privément. Ce ne sont alors que les espaces communs (salle à manger, salons, corridors, etc.) qui sont occupés « ensemble ».

[31]      Mais surtout, le raisonnement adopté par le juge a pour effet d’expurger des définitions des mots « logement » et « établissement » du Règlement L-12183 le renvoi qu’ils contiennent au Règlement L-2000, ce qui ne peut pas être fait sans en modifier le sens. Contrairement à ce qu’écrit le juge, le mot « principalement » dans la définition du mot « logement » a un but bien précis qui est, comme le propose l’appelante, d’éviter qu’on puisse soutenir qu’un bâtiment ou partie d’un bâtiment n’est pas un « logement » uniquement parce que ce bâtiment ou partie d’un bâtiment est accessoirement aussi utilisé à une autre fin que celle d’« habitation » au sens du Règlement L-2000, par exemple si le logement comporte aussi un usage complémentaire ou un usage domestique au sens de ce règlement. 

[32]      On l’a dit, la Ville possédait la latitude qui lui permettait d’établir la base d’imposition de sa tarification, dont la validité n’a pas été attaquée. Elle a choisi à cette fin d’opposer l’« établissement » au « logement » : si un bâtiment ou partie d’un bâtiment n’est pas utilisé ou destiné à être utilisé comme « logement », il se qualifie alors d’« établissement » et c’est la tarification en fonction du volume d’eau utilisé qui s’y applique. La Ville pouvait ainsi, comme elle l’a fait, définir le « logement » selon les critères qu’elle jugeait appropriés en fonction de l’objet du règlement, ce qui l’autorisait à faire correspondre son sens à celui donné à l’usage « habitation » au sens du Règlement L-2000. Que dit alors ce Règlement L-2000?

[33]      Bien que le Règlement L-2000 ne définisse pas le mot « habitation », il regroupe en huit catégories tous les usages « habitation » tels que le législateur municipal les conçoit, partant de l’« habitation unifamiliale » jusqu’à l’« habitation multifamiliale », de même que l’« habitation pour personnes âgées » et les « maisons mobiles ». La description de ces usages permet de constater que le type d’habitation dépend du nombre de « logements » qu’il comporte selon les catégories d’habitations suivantes :

Habitation unifamiliale

Bâtiment résidentiel contenant un (1) seul logement.

Habitation bifamiliale

Bâtiment résidentiel contenant deux (2) logements.

Habitation trifamiliale

Bâtiment résidentiel contenant trois (3) logements.

Habitation multifamiliale

Bâtiment résidentiel contenant quatre (4) logements ou plus.

Habitation pour personnes âgées

Habitation multifamiliale contenant des services offerts collectivement et exclusivement aux résidants. Une habitation pour personnes âgées peut également contenir des chambres.

Un centre de santé reconnu par la loi sur les services de santé et les services sociaux ou un établissement qui découle d’un tel centre, un centre d’accueil, une maison de convalescence ou un hospice n’est pas une habitation pour personnes âgées. Malgré ce qui précède, une habitation pour personnes âgées peut être occupée en partie par un tel centre d’hébergement et de soins de longue durée ou tout autre centre d’hébergement destiné à des personnes âgées non autonomes de l’usage « public et semi-public » 1.

Une habitation pour personnes âgées qui offre des chambres en location se distingue d’un hôtel ou de tout autre service d’hébergement de tourisme par le fait que les chambres sont occupées ou destinées à être occupées comme lieu de résidence permanente ou comme domicile.

Une maison de chambres ou une maison de pension n’est pas une habitation pour personnes âgées.

[34]      Le Règlement L-2000 comporte aussi sa propre définition du mot « logement », de même que celles de « chambre », « maison de chambre » et « maison de pension » mentionnées à l’un ou l’autre des types d’habitations :

Logement

Pièce ou suite de pièces construites et destinées à une ou plusieurs personnes, à une famille ou un ménage et pourvue d’appareils de cuisson et de point d’eau.

Chambre

Pièce ou suite de deux (2) pièces où l’on couche construite et destinée à une ou plusieurs personnes et qui n’est pas pourvue d’appareils de cuisson. Une chambre peut être pourvue de points d’eau et comprendre une (1) pièce supplémentaire à cet effet.

Maison de chambre

Bâtiment ou partie de bâtiment où plus de deux (2) chambres peuvent être louées comme domicile, mais sans y servir de repas.

Maison de pension

Bâtiment autre qu’un hôtel où, en considération d’un paiement, des repas sont servis, des chambres sont louées à plus de trois personnes autres que le locataire, l’occupant ou le propriétaire du logement et les membres de leur famille.     

[35]      Il est évident que les bâtiments des intimées n’entrent dans aucune des définitions d’« habitation unifamiliale », « habitation bifamiliale », « habitation trifamiliale » ou « habitation multifamiliale » puisqu’aucun ne comporte de « logement » au sens de ce règlement. Les bâtiments des intimées n’entrent pas plus dans la définition d’« habitation pour personnes âgées », qui se qualifie elle aussi en fonction du fait qu’elle comporte au moins quatre logements auxquels peuvent s’ajouter des chambres, et auxquels s’ajoutent certains services aux résidents. Aux fins de précision, le règlement ajoute même que sont exclus de la définition d’« habitation pour personnes âgées » certains types d’habitations, tels les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et les autres centres d’hébergement destinés à des personnes âgées non autonomes de l’usage « public et semi-public » 1, les maisons de chambre et les maisons de pension.

[36]      Le juge estime que les bâtiments des intimées ne correspondent à aucune des catégories d’« habitation » au sens du Règlement L-2000. Cette conclusion n’est pas contestée par l’appelante, celle-ci soutenant que les caractéristiques de ces bâtiments les font plutôt cadrer avec d’autres catégories d’usages. De leur côté, les intimées, sans non plus formellement la contester, se disent en accord avec l’approche alternative employée par le juge qui écrit que, malgré que les bâtiments en litige ne correspondent à aucune des catégories de l’usage « habitation » du Règlement L-2000, ils se qualifient tout de même de « logements » au sens du Règlement L-12183[17] puisque leur usage cadre avec une partie de la définition de « logement » de ce règlement (« Un bâtiment […] destiné à servir de résidence à une ou plusieurs personnes qui l’occupent ensemble et qui peuvent y tenir feu et lieu; il comporte une entrée par l’extérieur ou un hall commun, des installations sanitaires, une cuisine ou une installation pour cuisiner »).

[37]      Bien que j’adhère à la constatation selon laquelle les bâtiments des intimées ne correspondent à aucune des catégories de l’usage « habitation » au sens du Règlement L-2000, je ne peux souscrire à l’avenue empruntée par le juge voulant qu’un « logement » au sens du Règlement L-12183 ne doive pas être nécessairement une « habitation » au sens du Règlement L-2000. Cette approche a pour effet d’élargir la notion de « logement » de manière à ce qu’elle comprenne tout bâtiment utilisé à des fins résidentielles et a comme corollaire que tous les bâtiments utilisés à des fins autres que résidentielles devraient alors être tarifés en fonction de leur consommation. Non seulement le Règlement L-12183 ne dit pas cela (alors qu’il eût été simple de le faire si telle avait été l’intention du législateur municipal), cette lecture ampute de la définition du mot « logement » du Règlement L-12183 le renvoi au Règlement L-2000 qu’elle comporte, soit que celui-ci doit être « utilisé ou destiné à être utilisé principalement aux fins de l’usage « habitation » au sens du règlement L-2000 ».

[38]      En l’espèce, il n’est pas nécessaire, ni même utile, de décider à quel usage, au sens du Règlement L-2000, appartiennent les bâtiments en litige, exercice qui relève beaucoup plus du zonage que de la recherche du sens que le législateur municipal a voulu donner à certains mots de son règlement de tarification qu’est le Règlement L‑12183. Ainsi, puisque les deux bâtiments en litige ne sont pas un « logement » au sens du Règlement L-12183 puisqu’ils ne sont pas utilisés ou destinés à être utilisés principalement aux fins de l’usage « habitation » au sens du Règlement L‑2000, ils se qualifient d’« établissements » au sens du Règlement L‑12183. Cette conclusion est non seulement respectueuse des termes employés par le législateur municipal, mais elle rejoint l’objectif de réduction de la consommation de l’eau potable visé par le règlement.

[39]      Je propose donc d’accueillir l’appel et de rejeter les demandes en répétition de l’indu, avec les frais de justice.

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 



[1]    2019 QCCS 5200 [le jugement entrepris].

[2]    P-1 : État de renseignements d’une personne morale au registre des entreprises concernant Manoir du Vieux Sainte-Rose inc.; P-2 : Entente particulière et contrat intervenus avec l’Établissement du Centre de santé et de services sociaux de Laval, en liasse.

[3]    P-2 : Entente particulière et contrat intervenus avec l’Établissement du Centre de santé et de services sociaux de Laval, en liasse.

[5]    P-3 : État de renseignements d’une personne morale au registre des entreprises concernant 9161‑2259 Québec inc. et Registre des résidences pour personnes âgées, en liasse.

[6]    Jugement entrepris, paragr. 3. La stratégie gouvernementale n’a pas été produite au dossier, mais les parties ne contestent pas ce qu’en dit le juge de première instance.

[7]    P-7 : Comptes de taxes municipales pour les périodes d’imposition 2015, 2016 et 2017; P-11 : Comptes de taxes municipales pour les périodes d’imposition 2014, 2015, 2016 et 2017 pour 9161-2259 Québec inc., en liasse.

[8]    P-8 : Comptes de taxes municipales pour la tarification des services de l’eau au compteur datés des 11 avril 2016, 28 août 2017 et 14 janvier 2019 pour le Manoir du Vieux Sainte-Rose, en liasse.

[9]    P-12 : Comptes de taxes municipales pour la tarification des services de l’eau au compteur datés des 9 mai 2016, 28 août 2017 et 11 juin 2018 pour 9161-2259 Québec inc.

[10]    Jugement entrepris, paragr. 5-8.

[12]  Voir par ex. Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, 1994 CanLII 58 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 3.

[13]  Cie pétrolière Impériale ltée c. Canada; Inco ltée c. Canada, 2006 CSC 46, paragr. 26.

[14]    Art. 244.3 L.f.m.

[16]    Ainsi, la distinction entre une maison unifamiliale et un immeuble d’appartements sera fondamentale dans la logique de l’aménagement du territoire, alors qu’elle n’aura aucune signification en ce qui concerne la tarification de l’eau.

[17]    Jugement entrepris, paragr. 25.