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Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Pilon, 2021 QCCDCPA 22 (CanLII)

Date :
2021-07-20
Numéro de dossier :
47-20-00354
Référence :
Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Pilon, 2021 QCCDCPA 22 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jh7t1>, consulté le 2024-05-07

Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Pilon

2021 QCCDCPA 22

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

No :

47-20-00354

 

DATE :

 20 juillet 2021

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me LYNE LAVERGNE

Présidente

M. ALAIN BREAULT, CPA, CGA

Membre

M. LOUIS LEBRUN, FCPA, FCGA

Membre

______________________________________________________________________

 

Mme LOUISE HARVEY, CPA auditrice, CGA, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec

Plaignante

c.

 

M. DANIEL PILON

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE RÉITÈRE L’ORDONNANCE INTERDISANT LA PUBLICATION, LA DIFFUSION ET LA DIVULGATION DU NOM DES DEMANDEURS D’ENQUÊTE MENTIONNÉS DANS LA PREUVE ET À L’ÉGARD DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE LES IDENTIFIER, ET CE, POUR PROTÉGER LEUR VIE PRIVÉE.

APERÇU

[1]         Le Conseil de discipline de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre) doit décider de la sanction à imposer à M. Daniel Pilon, l’intimé, à la suite de la décision[1] sur culpabilité rendue le 10 novembre 2020, le déclarant coupable des trois chefs de la plainte modifiée.

[2]         Dans cette décision, l’intimé est déclaré coupable d’avoir tenu des propos qui manquent de dignité dans des vidéos publiées sur sa page Facebook en lien avec la pandémie de la COVID-19. Il a ainsi omis d’éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession (chef 1).

[3]         En outre, il a été déclaré coupable d’avoir utilisé des mesures de représailles à l’endroit d’une demanderesse d’enquête dans une vidéo mise en ligne sur sa page Facebook, après avoir été informé d’une enquête à cet égard (chef 2), et d’avoir entravé le travail de la plaignante, à titre de syndique adjointe, tout en cherchant à l’intimider (chef 3).

LA PLAINTE

[4]         Le 29 avril 2020, la plaignante dépose une plainte disciplinaire accompagnée d’une requête en radiation provisoire de l’intimé. Toutefois, comme ce dernier démissionne du tableau de l’Ordre le 6 mai 2020, le Conseil ordonne la remise de la requête en radiation provisoire sans date déterminée.

[5]         Puis, le 26 mai 2020, la plaignante dépose une plainte disciplinaire modifiée, et le Conseil l’autorise. Cette plainte est ainsi libellée :

1.      À Notre-Dame-de-l’île-Perrot, entre le ou vers le 4 avril 2020 et le ou vers le 30 avril 2020 l’intimé, Daniel Pilon, CPA, CMA, a omis d’agir avec dignité et d’éviter toute méthode et attitude susceptible de nuire à la bonne réputation de la profession en tenant des propos qui manquent de rigueur, de modération, d’objectivité et de professionnalisme, à l’occasion de publications ou diffusions sur diverses plates-formes numériques dont sur sa page Facebook « Daniel Pilon CPA, chroniqueur libre-penseur » des vidéos suivants :

a)   Vidéo intitulé « Coronavirus : la Chine a mis le monde à genoux d’une manière silencieuse » publié le ou vers le 4 avril 2020;

b)   Vidéo intitulé « Le COVID-19 l’histoire du début à la fin depuis mon regard » publié le ou vers le 5 avril 2020;

c)   Vidéo intitulé « Venez fêter le 25000eme avec moi ce soir » publié le ou vers le 9 avril 2020;

d)   Vidéo intitulé « COVID-19 : Système financier, Taux d’intérêts, Bourse et économie » publié le ou vers le 12 avril 2020;

e)   Vidéo intitulé « Crise actuelle : Discussion sur le système financier » publié le ou vers le 14 avril 2020;

f)     Vidéo intitulé « PIQUANT on est jeudi soir » publié le ou vers le 16 avril 2020

g)   Vidéo intitulé « Crise mondiale : mon constat et mes propositions pour tous », publié le ou vers le 19 avril 2020;

h)   Vidéo intitulé « COVID 19 sans lunettes roses » publié le ou vers le 20 avril 2020;

i)      Vidéo intitulé « **SPÉCIAL** Un TOP SECRET de la bourse… », publié le ou vers le 21 avril 2020;

j)      Vidéo intitulé « COVID 19, le trio infernal », publié le ou vers le 23 avril 2020;

k)   Vidéo intitulé « Le penseur du COVID 19, la désinformation et nos choix pour la suite. 20 minutes pour mieux comprendre », publié le ou vers le 26 avril 2020;

l)      Vidéo intitulé « Piquant on est jeudi soir… » publié le ou vers le 30 avril 2020;

le tout en contravention avec l’article 5 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ, ch. C-48.1, r. 6 et commettant un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession de comptable professionnel agréé en contravention avec l’article 59.2 du Code des professions, RLRQ c C-26;

2.      À Notre-Dame-de-l’île-Perrot, entre le ou vers le 6 avril 2020 et le ou vers le 15 avril 2020, l’intimé, Daniel Pilon, CPA, CMA, après avoir été informé par la Plaignante de la tenue d’une enquête sur sa conduite ou sa compétence professionnelle a intimidé ou tenté d’intimider (Mme X), qui a demandé l’enquête et/ou qui est impliquée dans les événements reliés à l’enquête de la syndique adjointe, par les propos tenus lors de publications ou diffusions sur différentes plateformes numériques dont sa page Facebook « Daniel Pilon CPA, Chroniqueur Libre-Penseur » des publications suivantes :

a)   Vidéo intitulé « Live du 6 avril 2020 » publiée le ou vers le 6 avril 2020;

b)   Vidéo intitulé « Venez fêter le 25000eme avec moi ce soir » publié le ou vers le 9 avril 2020;

c)   Commentaire publié le 15 avril 2020;

le tout en contravention avec l’article 60.1 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ, ch. C-48.1, r. 6 et les articles 122 et 59.2 du Code des professions, RLRQ, ch. C-26;

3.      À Notre-Dame-de-lîle-Perrot, depuis le 9 avril 2020 (…), l’intimé, Daniel Pilon, CPA, CMA, a entravé le travail de Mme Louise Harvey, CPA auditrice, CGA, Syndique adjointe en :

a)   laissant croire qu’il avait démissionné de l’Ordre et que l’Ordre n’avait plus compétence pour mener une enquête à son égard;

b)   cherchant à intimider la syndique adjointe;

c)   refusant et négligeant de donner suite aux demandes de la syndique adjointe dans les lettres datées respectivement du 9 et du 17 avril 2020;

le tout, en contravention avec l’article 60 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ, ch. C-48.1, r. 6 et les articles 114 et 122 du Code des professions, RLRQ, ch. C-26;

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

LA RECOMMANDATION CONJOINTE

[1]         Dès le début de l’audition sur sanction, les parties indiquent au Conseil qu’elles présenteront une recommandation conjointe quant à la sanction.

[2]         À cet égard, elles déposent deux documents signés intitulés « Admissions faites par les parties » et « Recommandations communes des parties ».

[3]         Également, elles déposent de consentement les pièces SP-1 à SP-15.

[4]         L’intimé témoigne, et la plaignante fait témoigner Mme Marie-Ève Carignan, à titre de témoin experte.

[5]         Les parties suggèrent au Conseil d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

         Chef 1 : la radiation permanente et une amende de 10 000 $;

         Chef 2 : une période de radiation de trois mois;

         Chef 3 : une période de radiation de trois mois.

[6]         Elles demandent également que l’intimé soit condamné au paiement des déboursés, incluant les frais d’expertise.

LE CONTEXTE

[7]         L’intimé est inscrit au tableau de l’Ordre des comptables en management accrédités du Québec (l’Ordre des CMA) le 18 septembre 1998, après avoir travaillé en comptabilité pendant quelques années à la suite de l’obtention de son baccalauréat (BAA) de l’École des hautes études commerciales (HEC).

[8]         Le 16 mai 2012, en raison de la fusion des ordres professionnels comptables, il est automatiquement inscrit au tableau de l’Ordre.

[9]         Le 6 mai 2020, il est retiré du tableau de l’Ordre, à la suite de la réception de sa demande de démission.

[10]      Il y a quelques années, il crée une page Facebook portant le nom Daniel Pilon CPA, Chroniqueur Libre-penseur, sur laquelle il rédige des commentaires et enregistre des chroniques vidéo.

[11]      Depuis 2017, il se sert de sa page Facebook pour notamment offrir des conseils financiers.

[12]      Le 9 avril 2020, il remplace le nom de sa page Facebook par Daniel Pilon BAA, Chroniqueur Libre-penseur.

[13]      Entre le 4 et le 30 avril 2020, soit pendant la première période de confinement décrétée par le gouvernement du Québec en lien avec la pandémie de la COVID-19, l’intimé tient plusieurs propos relativement à la COVID-19, notamment sur ses effets sur l’économie, et ce, en épousant également plusieurs théories dites « de complot ».

[14]      Dans des vidéos publiées les 6 et 9 avril 2020, l’intimé nomme une demanderesse d’enquête (Mme X) et émet certains commentaires à son égard, alors qu’il est avisé le 9 avril 2020 d’une enquête menée par la plaignante, exerçant ainsi des mesures de représailles à l’endroit de Mme X.

[15]      Enfin, à compter du 9 avril 2020, l’intimé entrave le travail de la plaignante, et ce, jusqu’à sa démission le 6 mai 2020. Il cherche également à l’intimider en faisant parvenir copie de sa réponse à sa lettre aux dirigeants de l’Ordre, puis en communiquant avec la syndique, et ce, afin que ces derniers exercent une pression sur elle.

[16]      Depuis l’audition de la plainte sur culpabilité, l’intimé n’a pas modifié son comportement relativement à ses propos en lien avec la pandémie de la COVID-19 et n’a pas non plus l’intention de le faire, comme il en témoigne devant le Conseil.

[17]      Il se voit investi d’une mission d’éduquer les gens relativement à « cette grande arnaque mondiale au niveau provincial » qu’est selon lui la pandémie de la COVID-19.

[18]      Il est conscient que ses commentaires sont inconciliables avec son adhésion au sein de l’Ordre.

QUESTION EN LITIGE

[19]      Le Conseil doit déterminer si la recommandation conjointe proposée par les parties déconsidère l’administration de la justice ou est contraire à l’intérêt public.

[20]      Pour les motifs qui suivent, le Conseil, après avoir délibéré, donne suite à la recommandation conjointe sur sanction, celle-ci satisfaisant les critères établis par la jurisprudence.

ANALYSE

Principes de droit applicables en matière de recommandation conjointe

[21]      Lorsque des sanctions font l’objet d’une recommandation conjointe des parties, il ne revient pas au Conseil de s’interroger sur leur sévérité ou leur clémence.

[22]      En effet, bien que le Conseil ne soit pas lié par une telle recommandation, il ne peut l’écarter à moins qu’elle ne déconsidère l’administration de la justice ou soit contraire à l’intérêt public[2].

[23]      En 2016, dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook[3], la Cour suprême du Canada (la Cour suprême) établit clairement le critère devant être appliqué par un tribunal lorsque les parties présentent une recommandation conjointe sur sanction. Il s’agit du critère de l’intérêt public.

[24]      Citant deux décisions de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador, la Cour suprême écrit qu’une recommandation conjointe déconsidère l’administration de la justice si elle « correspond si peu aux attentes de personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale[4] ».

[25]      La Cour suprême justifie un seuil aussi élevé afin de reconnaître les nombreux avantages que confèrent au système de justice une recommandation conjointe sur sanction et son corollaire qu’est la nécessité de favoriser la certitude quant au résultat, soit d’assurer aux parties qu’elle sera suivie par les tribunaux.

[26]      De plus, il est reconnu qu’une recommandation conjointe jouit d’une force persuasive certaine lorsqu’elle est le fruit d’une négociation sérieuse associée à un plaidoyer de culpabilité[5].

[27]      Enfin, il est manifeste que les recommandations conjointes sur sanction contribuent à l’efficacité du système de justice disciplinaire[6].

[28]      Malgré que la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook réfère aux suggestions communes sur sanction négociées en échange d’un plaidoyer de culpabilité, le récent jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Baptiste[7] applique les mêmes critères à la suggestion commune sur sanction négociée après qu’un verdict sur la culpabilité ait été rendu.

[29]      La Cour d’appel invoque que, bien que les avantages d’une audition sur sanction non contestée diffèrent en termes de magnitude de ceux obtenus en échange d’un plaidoyer de culpabilité, une audition sur sanction non contestée permet également d’économiser un temps précieux ainsi que des ressources pouvant alors être alloués à d’autres affaires[8].

[30]      De tels principes trouvent également application en droit disciplinaire[9].

[31]      Ainsi, pour que le Conseil rejette une recommandation conjointe, il faut que celle‑ci soit « à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner[10] ».

[32]      Par ailleurs, afin de démontrer si la recommandation conjointe respecte le critère de l’intérêt public, il revient aux parties d’expliquer au Conseil pourquoi les sanctions qu’elles recommandent ne sont pas susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice et ne sont pas contraires à l’intérêt public.

[33]      À cet égard, la Cour suprême écrit[11] :

[54]      Les avocats doivent évidemment donner au tribunal un compte rendu complet de la situation du contrevenant, des circonstances de l’infraction ainsi que de la recommandation conjointe sans attendre que le juge du procès le demande explicitement. Puisque les juges du procès sont tenus de ne s’écarter que rarement des recommandations conjointes, [traduction] « les avocats ont l’obligation corollaire » de s’assurer qu’ils « justifient amplement leur position en fonction des faits de la cause, tels qu’ils ont été présentés en audience publique ». La détermination de la peine — y compris celle fondée sur une recommandation conjointe — ne peut se faire à l’aveuglette. Le ministère public et la défense doivent [traduction] « présenter au juge du procès non seulement la peine recommandée, mais aussi une description complète des faits pertinents à l’égard du contrevenant et de l’infraction », dans le but de donner au juge « un fondement convenable lui permettant de décider si [la recommandation conjointe] devrait être acceptée ».

[Références omises]

[34]      Récemment, dans la décision Binet[12], la Cour d’appel du Québec réitère que le critère que doivent appliquer les décideurs lorsqu’une recommandation conjointe leur est présentée n’est pas le critère de la « justesse », mais celui de l’intérêt public.

[35]      Citant la Cour d’appel de l’Alberta dans la décision Belakziz[13], elle explique que le critère de l’intérêt public n’invite pas le décideur à commencer l’analyse de la recommandation conjointe en déterminant à priori quelle sanction aurait été appropriée après un procès, puisqu’une telle approche pourrait inviter le décideur à conclure que la recommandation conjointe déconsidère l’administration de la justice ou est contraire à l’intérêt public du seul fait qu’elle s’écarte de cette sanction.

[36]      Le Conseil doit plutôt regarder le fondement de la recommandation conjointe, notamment les avantages importants pour l’administration de la justice[14].

[37]      Par ailleurs, cela ne signifie pas que le Conseil doit se prêter à une analyse minutieuse des coûts et avantages obtenus de part et d’autre par les parties[15].

[38]      Le Conseil doit donc prendre en considération que la recommandation conjointe a permis de raccourcir l’audition, que plusieurs témoins n’ont pas à témoigner et que l’intimé a plaidé coupable.

[39]      Par ailleurs, dans son analyse de la recommandation conjointe, le Conseil pourra également constater si les parties ont tenu compte des objectifs de la sanction en droit disciplinaire, soit dans l’ordre : la protection du public, la dissuasion du professionnel à récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés d’agir comme l’intimé, et ce, sans toutefois empêcher indûment le professionnel d’exercer sa profession[16].

[40]      Enfin, le Conseil pourra constater les facteurs ayant mené les parties à suggérer les sanctions recommandées, comme les facteurs objectifs et subjectifs propres à la situation du professionnel[17].

[41]      C’est donc à la lumière de ces principes que le Conseil répond à la question en litige.

Les facteurs objectifs

Le chef 1 — omission d’agir avec dignité 

[42]      Dans sa décision, le Conseil retient la culpabilité de l’intimé relativement au chef 1 sous l’article 5 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés[18] (Code de déontologie), libellé ainsi :

« 5.   Le membre doit, en tout temps, agir avec dignité et éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession. »

[43]      Dans la présentation de leur recommandation conjointe, les parties expliquent que cette infraction constitue un manquement grave en lien avec la profession.

[44]      En effet, plusieurs commentaires de l’intimé ne sont pas fondés sur des motifs raisonnables en ce qu’ils ne présentent aucun fondement scientifique et ne sont basés que sur des suppositions et des spéculations, alors que d’autres contiennent ses opinions sur des sujets hors de son champ de compétence.

[45]      Or, de tels propos controversés que l’intimé minimise, en traitant ses vidéos en direct de simple « show d’humour », heurtent les valeurs de la profession de comptable professionnel agréé (CPA), qui reposent sur l’intégrité, la crédibilité, l’objectivité, la rigueur (notamment dans les missions de conformité, de vérification, d’audit) et découlent d’une démarche rigoureuse de la part d’un CPA.

[46]      En étant prononcés par l’intimé, qui se présente comme CPA, de tels propos gagnent une crédibilité qu’ils ne méritent pas.

[47]      Il s’agit donc de propos dérogatoires à l’honneur et à la dignité de la profession qui jettent du discrédit sur l’ensemble de la profession en heurtant la valeur de professionnalisme que le système professionnel a mis de l’avant[19].

[48]      En outre, en étant publiés sur les réseaux sociaux, les propos de l’intimé bénéficient d’une très grande exposition et, dès leur publication, l’intimé perd le contrôle en ce qui concerne leur partage.

[49]      D’ailleurs, l’intimé remercie ses abonnés et ceux qui le suivent pour le nombre sans cesse grandissant de son auditoire qui non seulement le « suit », mais partage et commente ses propos. Il s’agit là d’un facteur aggravant.

[50]      De plus, les propos de l’intimé sont répétés pendant plus d’un mois, et l’intimé admet ne pas avoir cessé de tenir des propos similaires par la suite et ne pas avoir l’intention d’arrêter.

Le chef 2 — représailles à l’égard d’une demanderesse d’enquête

[51]      L’intimé a été déclaré coupable d’avoir contrevenu à l’article 122 du Code des professions[20] alors qu’il prend des mesures de représailles à l’endroit de Mme X, demanderesse d’enquête. Cet article se libelle ainsi :

122.    Un syndic peut, à la suite d’une information à l’effet qu’un professionnel a commis une infraction visée à l’article 116, faire une enquête à ce sujet et exiger qu’on lui fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête. Il ne peut refuser de faire enquête pour le seul motif que la demande d’enquête ne lui a pas été présentée au moyen du formulaire proposé en application du paragraphe 9° du quatrième alinéa de l’article 12.

L’article 114 s’applique à toute enquête tenue en vertu du présent article.

Il est interdit d’exercer ou de menacer d’exercer des mesures de représailles contre une personne pour le motif qu’elle a transmis à un syndic une information selon laquelle un professionnel a commis une infraction visée à l’article 116 ou qu’elle a collaboré à une enquête menée par un syndic.

[Soulignements ajoutés]

[52]      L’intimé nomme spécifiquement Mme X en direct à son émission Facebook, et ce, pour informer son auditoire qu’elle l’a « tagué » auprès de l’Ordre.

[53]      Ce faisant, l’intimé laisse sous-entendre au public que le fait de le dénoncer à son ordre professionnel entraînera des conséquences potentielles. En effet, son objectif inavoué est de décourager le public de porter plainte auprès de l’Ordre à l’égard de ses propos controversés.

[54]      Il s’agit en l’espèce d’une infraction grave, car elle porte atteinte à l’intégrité même du système professionnel.

[55]      De plus, en agissant de la sorte, l’intimé porte atteinte au bon fonctionnement du système disciplinaire en empêchant le public d’aviser le Bureau du syndic de l’inconduite de certains membres et, par conséquent, contrarie sa mission ultime de protection du public.

Le chef 3 — entrave au travail de la plaignante

[56]      Le chef 3 reprochant à l’intimé d’avoir entravé le travail de la plaignante est d’une gravité certaine, comme l’explique le Tribunal des professions dans l’affaire Coutu[21] :

Le Comité a raison d’affirmer qu’une entrave à l’enquête d’un syndic est une infraction grave. Le syndic d’un ordre professionnel participe à la principale fonction de son ordre qui est la protection du public, comme le précise l’article 23 C. prof. Un professionnel qui entrave l’enquête du syndic empêche par le fait même celui-ci de mener à terme cette enquête et, conséquemment, de veiller à la protection du public.

[Soulignements ajoutés]

[57]      En devenant membre de l’Ordre, l’intimé s’est obligé, dans un premier temps, à reconnaître la mission de protection du public de son Ordre et, dans un deuxième temps, à y participer[22].

[58]      Il s’agit en fait d’une obligation de résultat[23], essentielle au bon fonctionnement du système disciplinaire. Toute contravention à cette obligation compromet le fondement du système disciplinaire, ébranle la confiance du public et porte ainsi ombrage à toute la profession.

[59]      Mais il y a plus. Non seulement l’intimé entrave le travail de la plaignante, mais il tente en outre de l’intimider en mettant plusieurs personnes en copie de sa réponse et en contactant la syndique de l’Ordre, espérant ainsi que ces derniers feront pression sur la plaignante en sa faveur.

[60]      Le Conseil considère qu’il s’agit donc d’infractions graves se situant au cœur même de la profession.

[61]      En outre, on ne peut pas considérer que les manquements de l’intimé, dans le présent dossier représentent un acte isolé. Il s’agit plutôt d’une pluralité d’infractions très concentrées sur une durée d’un mois.

[62]      Par rapport aux conséquences à l’égard du public, la plaignante fait entendre la Dre Marie-Ève Carignan, professeure agrégée au Département de communication au sein de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke (la Professeure Carignan), dont la qualification d’experte en communication est reconnue par les parties.

[63]      La Professeure Carignan témoigne avoir travaillé sur trois projets de recherche en lien avec la pandémie de la COVID-19. Elle a notamment mené des sondages visant à mesurer l’adhésion de la population à l’égard des différentes théories véhiculées dans les réseaux sociaux et de fausses nouvelles et à mesurer la façon dont la population reçoit les informations présentées par le gouvernement.

[64]      Ainsi, elle et son équipe ont préparé les cinq énoncés suivants (les cinq énoncés) :

1)   Mon gouvernement cache des informations importantes entourant le coronavirus;

2)   Le coronavirus a été fabriqué intentionnellement dans un laboratoire;

3)   Le coronavirus a été fabriqué par erreur;

4)   L’industrie pharmaceutique est impliquée dans la propagation du coronavirus;

5)   Il existe un lien entre la technologie 5G et le coronavirus.

[65]      Ces cinq énoncés ont été présentés à un échantillonnage de Canadiens aux mois d’avril, juin et novembre 2020. Il en est ressorti qu’au Canada, 24 % des gens adhèrent aux énoncés tels que formulés (c’est-à-dire que 24 % d’entre eux ont indiqué adhérer aux énoncés à plus de 50 %, soit de 5 à 10 sur une échelle de 1-10, 1 indiquant ne pas y adhérer du tout et 10 y adhérer pleinement). L’équipe de chercheurs a pu alors établir une corrélation entre les énoncés faisant en sorte que lorsque des gens adhèrent à un des cinq énoncés, ils adhèrent à plus d’un d’entre eux.

[66]      Par ailleurs, les recherches démontrent que la majorité de ceux adhérant aux cinq énoncés appartient à la population âgée de 18 à 35 ans. Les gens ayant fait des études universitaires adhèrent moins aux énoncés, car leur sens critique semble être plus développé. Le type de média consulté par les gens entre également en ligne de compte : ceux s’informant auprès des réseaux sociaux seulement sont plus enclins à adhérer aux cinq énoncés que ceux s’informant auprès des médias plus traditionnels.

[67]      La Professeure Carignan et son équipe ont également pu déterminer que les gens qui adhèrent aux cinq énoncés sont moins confiants envers la classe politique et que lorsqu’ils sont moins confiants envers leur gouvernement, ils adhèrent plus aux énoncés.

[68]      Elle témoigne que, lorsque la population adhère plus aux énoncés, elle applique moins les mesures sanitaires imposées par le gouvernement et leur accorde moins de respect et est plus encline à refuser la vaccination.

[69]      Elle réalise la présence d’un impact sur la santé mentale de la population, car croire en ces cinq énoncés susciterait de l’anxiété.

[70]      Selon la plaignante, cette analyse démontre que les propos tenus par l’intimé sur sa page Facebook ont un effet néfaste sur le public.

[71]      Le Conseil retient que les sondages résumés par la Professeure Carignan sont une première et semblent démontrer que les cinq énoncés présentent un effet négatif sur l’adhésion de la population aux mesures sanitaires imposées par le gouvernement dans le cadre de l’urgence sanitaire en lien avec la pandémie de la COVID-19.

[72]      Cependant, le Conseil rappelle qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu réalisation de conséquences néfastes à l’égard du public pour constater la gravité des infractions commises par l’intimé puisque l’absence de conséquences néfastes ne constitue pas un facteur atténuant[24].

[73]      Enfin, les parties ont retenu les facteurs suivants dans l’élaboration de leur recommandation conjointe : la protection du public, l’exemplarité à l’égard des membres de la profession, la dissuasion de l’intimé de récidiver, tout en ne lui interdisant pas indûment d’exercer sa profession.

Les facteurs subjectifs

[74]      Quant aux facteurs subjectifs propres au présent dossier, les parties retiennent comme facteurs aggravants l’expérience professionnelle de l’intimé, étant de 22 ans au moment des événements, ainsi que les mises en garde données à l’intimé par le Bureau du syndic.

[75]      Auparavant, le 7 août 2017, l’intimé rencontre M. François Ménard (M. Ménard), alors syndic adjoint et Mme Paule Bouchard, syndique (la syndique). Or, les sujets abordés dans le cadre de cette rencontre sont les suivants :

a)   Le rôle d’un ordre professionnel;

b)   Le fait que les membres d’ordres professionnels ont une certaine crédibilité;

c)   Certaines des obligations déontologiques d’un CPA, particulièrement :

         Se limiter à ses connaissances;

         Agir conformément aux normes de la science;

         S’abstenir de harceler ou d’intimider les demandeurs d’enquête.

[76]      À la suite de cette rencontre, M. Ménard adresse une lettre d’avertissement à l’intimé comportant les éléments suivants :

1.      Un rappel indiquant que la production de ses capsules vidéos doit respecter ses obligations déontologiques et qu’il doit notamment agir dans les limites de ses connaissances, selon les données de la science et contre le harcèlement relativement au plaignant;

2.      Une invitation à ajouter, à la fin de ses capsules, le résumé des hypothèses expliquant ses conclusions, et à demander au public de consulter un spécialiste avant d’agir;

3.      Une invitation à conserver une attitude professionnelle dans ses commentaires et ses écrits, et un rappel qu’il ne peut, à titre de membre de l’Ordre, tenir des propos vulgaires, menaçants ou indignes.

[77]      Par ailleurs, le 5 février 2020, la plaignante adresse une lettre à l’intimé lui mentionnant :

1.      Que le 29 janvier 2020, il a contacté la ligne déontologique de l’Ordre, à laquelle elle est alors assignée, concernant la mise en ligne d’une capsule vidéo sur sa chaîne YouTube;

2.      Que postérieurement à cet appel, une demande d’enquête est déposée au Bureau du syndic au sujet de cette vidéo;

3.      Que certains éléments de la vidéo semblent en contradiction avec les éléments soulignés par M. Ménard dans sa lettre du 14 août 2017, notamment en ce qui concerne les hypothèses sous-tendant ses allégations et son attitude professionnelle dans ses commentaires.

[78]      Dans les circonstances, force est de conclure que l’intimé connait ses obligations déontologiques. Il ne peut donc justifier y avoir contrevenu en soulevant sa liberté d’expression et le fait que ses vidéos en direct sur sa page Facebook ne sont qu’un « show d’humour ».

[79]      Par ailleurs, les parties ont également pris en considération comme facteur aggravant la préméditation des propos de l’intimé. En effet, non seulement l’intimé tient les propos en question en direct, mais il les prépare puis les enregistre.

[80]      En outre, l’intimé a retiré des avantages de la publication de ces vidéos, notamment par l’augmentation du nombre d’abonnements à sa page Facebook.

[81]      Ainsi, le 3 décembre 2020, il annonce sur sa page Facebook avoir franchi le cap des 80 000 abonnés, alors que 6 mois plus tôt, il en avait 50 000.

[82]      D’autre part, le 4 décembre 2020, il remercie ses abonnés qui lui ont fait des dons pour le convoi de sécurité lors d’un rassemblement, ceux qui lui ont donné de l’argent au cours des trois mois précédents ainsi que ceux qui lui font des dons réguliers.

[83]      De plus, il ne reconnaît pas ses fautes, les minimisant plutôt, comme il appert de certains de ces commentaires, notamment ceux du 22 novembre 2020 publiés sur sa page Facebook[25] :

« […] un des chefs d’accusation de la syndique contre moi est d’avoir ‘‘intimidé’’ une femme pendant un de mes lives. La dame (vers avril) avait au préalable ‘‘taggé’’ mon Ordre sous une vidéo Covid qu’elle n’avait pas apprécié. Un peu comme si vous faites quelque chose que vous considérez bien pour votre voisinage mais que la voisine appelle la police. Vous risquez d’être décue de la voisine. J’ai donc nommé la dame ‘‘live’’. Je lui ai demandé ce que ca lui faisait d’être interpelé. Son nom est très commun et la probabilité de la retrouver sur facebook était nulle vu que j’avais donné aucune description ou indice pour la retrouver. J’en étais trés conscient. Je peux être baveux mais pas insouciant. La femme a semble t-il été indisposé et l’a pris personnel. Le conseil de discipline a statué que ca se fait pas. En gros cest une des principales ‘‘fautes’’ qu’on m’a reproché. »

[Transcription textuelle]

[84]      Également, il affirme le 23 novembre 2020, toujours sur sa page Facebook[26] :

1.      « Pour ce qui est des journaux ou autres qui parlent de moi, ça me fait sincèrement l’effet de l’eau sur le dos d’un canard »;

2.      « Je suis bien avec ma conscience et détaché de la critique »;

3.      « Je continue ma mission ».

[85]      Ainsi, la plaignante retient que l’intimé ne fait preuve d’aucune introspection, de prise de conscience, ou de regrets.

[86]      À cet égard, l’intimé dépose une vidéo[27] non datée de 17 minutes de Mme Ema Krusi ayant été publiée sur le site Odysee à l’égard de l’avocat allemand Reiner Fuellmich. Dans cette vidéo, elle relate que ce dernier fait partie de la commission d’enquête en Allemagne sur le coronavirus et qu’avec un collectif mondial d’avocats il va poursuivre les gouvernements concernant leurs mesures sanitaires prises puisqu’elles sont fondées sur les tests de dépistage de la COVID-19 (les tests PCR).

[87]      L’intimé témoigne que cette vidéo décrit que 95 % des diagnostics positifs révélés par les tests PCR sont en fait de faux positifs, que les tests PCR ont été créés pour instaurer une panique à l’échelle planétaire et que les médias traditionnels n’en parlent pas.

[88]      Il insiste sur le fait que le but de déposer cette vidéo n’est pas de convaincre le Conseil qu’il a raison, mais de le sensibiliser au fait qu’il n’est pas le seul à penser ainsi.

[89]      Le Conseil retient que, d’un côté, l’intimé déclare qu’il ne fait qu’un « show d’humour » sur sa page Facebook, mais que de l’autre, ses divers commentaires et déclarations montrent qu’il croit vraiment à ce qu’il avance puisqu’il indique continuer sa mission.

[90]      Son témoignage est également clair qu’il n’a aucune intention de modifier son comportement.

[91]      En revanche, les parties retiennent comme seul facteur subjectif atténuant que l’intimé n’a pas d’antécédents disciplinaires, en dépit des avertissements et des mises en garde reçus du Bureau du syndic qui mitigent l’atténuation qu’apporte ce facteur.

[92]      Quant à la collaboration, l’intimé a mis du temps à répondre à la plaignante, mais il a collaboré au processus disciplinaire devant le Conseil et accepte non seulement de purger une radiation permanente, mais également de payer une amende de 10 000 $.

[93]      Le Conseil considère la collaboration de l’intimé comme un facteur neutre dans les circonstances, compte tenu de l’obligation de collaboration à laquelle l’intimé est astreint.

Le risque de récidive

[94]      Les parties ont également considéré le risque de récidive dans l’élaboration des sanctions de leur recommandation conjointe[28].

[95]      Dans le cas à l’étude, les parties le considèrent comme élevé eu égard au fait que l’intimé n’a pas modifié son comportement et n’a pas non plus l’intention de le faire.

[96]      En effet, le 23 novembre 2020, l’intimé publie sur sa page Facebook que, malgré qu’on rapporte la décision sur culpabilité dans les journaux, « ça lui fait sincèrement l’effet de l’eau sur le dos d’un canard [et qu’il] continue sa mission[29] ».

[97]      Le 23 décembre 2020, dans une vidéo intitulée « Planète en délire »[30] l’intimé mentionne notamment :

e)   Qu’un homme qui a déjà été ambulancier lui a conseillé de prendre un comprimé de charbon à l’heure pendant trois jours s’il se fait vacciner de force, afin d’éliminer toute trace du vaccin, et qu’il a donc dévalisé la pharmacie et a acheté tous les pots de charbon activé qui s’y trouvaient;

h)   Que concernant l’injection d’une puce, l’homme a conseillé de faire affaires avec un technicien de télécommunication, qui va pouvoir retrouver où se situent les nanoparticules dans le corps et les désactiver avec des fréquences.

[Transcription textuelle]

[98]      Le 14 janvier 2021, l’intimé publie une vidéo intitulée « 2 gars de finances jasent »[31] dans laquelle il déclare notamment :

c)         savoir qu’en continuant à être blogueur, il aurait du trouble à vie avec son ordre professionnel;

d)         s’être rendu compte que les ordres professionnels sont des créatures du gouvernement provincial, et que les « ordres arrivent d’en-haut »;

e)         Qu’en ce qui concerne le présent dossier, il a été reconnu coupable de « délits quand même mineurs ».

[Transcription textuelle]

[99]      Dans les circonstances, à l’instar des parties, le Conseil considère le risque de récidive comme élevé.

La jurisprudence

[100]   Pour étayer leur recommandation conjointe, la plaignante se réfère à quelques décisions qu’elle juge à propos de comparer avec le dossier à l’étude puisqu’il est reconnu en jurisprudence que les sanctions s’inscrivant dans la fourchette des sanctions imposées en semblables matières peuvent être considérées comme des outils facilitant la détermination des sanctions[32].

Chef 1 — omission d’agir avec dignité

[101]   Les parties suggèrent conjointement d’imposer à l’intimé une radiation permanente ainsi qu’une amende de 10 000 $.

[102]   Elles considèrent que la radiation permanente est une sanction appropriée dans les circonstances, étant donné que l’intimé n’est plus membre de l’Ordre et qu’il reconnait que tant qu’il ne modifiera pas son comportement, il ne pourra demander sa réinscription. Ainsi, s’il désire se réinscrire au tableau de l’Ordre, il devra en saisir le conseil de discipline conformément à l’article 161 du Code des professions.

[103]   Quant à l’amende de 10 000 $, la plaignante est d’avis qu’un message fort doit être envoyé aux membres de l’Ordre indiquant que, bien qu’ils décident de démissionner du tableau de l’Ordre, il y aura des conséquences à leurs actes.

[104]   L’intimé, quant à lui, réitère qu’il est d’accord avec la recommandation conjointe et précise que celle-ci a permis d’éviter un long débat et des ressources coûteuses.

[105]   La plaignante mentionne que la jurisprudence relative à des infractions de la même nature varie selon la gravité des faits. La fourchette des sanctions est très étendue, allant de la réprimande à la révocation de permis.

[106]   Dans la décision Ouellet[33], le Tribunal des professions reconnait que la réprimande constitue une sanction appropriée lorsqu’un professionnel, sans antécédents judiciaires, reconnaît sa faute, s’en excuse et exprime son repentir.

[107]   Par contre, lorsque la réprimande n’est pas la sanction appropriée, le risque de récidive devient alors l’élément déterminant dans le choix d’imposer une amende ou une période de radiation temporaire[34].

[108]   Selon la jurisprudence citée par la plaignante, l’expression du repentir et d’une volonté de ne plus reproduire le comportement reproché est essentielle pour éviter l’imposition d’une période de radiation[35].

[109]   Il y a également lieu d’éviter que l’imposition d’une amende soit perçue comme une sanction monétaire visant à compenser la tenue de propos inadmissibles[36].

[110]   Les parties conviennent que leur suggestion d’imposer à l’intimé une radiation permanente accompagnée d’une amende de 10 000 $ pour le chef 1 ne s’inscrit pas dans la fourchette des sanctions en semblables matières. D’ailleurs, elles soulignent que cette fourchette n’est pas adaptée à la réalité des propos tenus à présent sur les médias sociaux, surtout en lien avec la pandémie de la COVID-19.

[111]   La plaignante souligne que la radiation permanente est imposée à un avocat démontrant de la quérulence[37], car il s’agit d’une incompatibilité grave à l’égard des fonctions et de l’exercice de la profession. Cet avocat présente également un risque de récidive élevé.

[112]   En l’occurrence, les parties considèrent que les propos que l’intimé a tenus et qu’il tient toujours sur les réseaux sociaux sont incompatibles avec les fonctions de CPA, en précisant que le manque d’intégrité de l’intimé dans sa démarche constitue un abus de confiance du public dans la profession.

[113]   La plaignante cite quelques décisions où le manque d’intégrité des membres, plus particulièrement en lien avec de la fraude, donne lieu à de la révocation de leur permis[38].

[114]   Elle cite des cas où des propos dérogatoires de membres d’autres ordres professionnels donnent lieu à l’imposition d’une radiation permanente[39] ou à la révocation de leur permis d’exercice[40].

[115]   Enfin, les parties reconnaissent que le très grand risque de récidive justifie dans les circonstances la radiation permanente.

[116]   En conséquence, elles trouvent que leur suggestion de s’écarter de la fourchette des sanctions, afin de protéger adéquatement le public et d’atteindre les objectifs de dissuasion et d’exemplarité, est justifiée.

[117]   À cet égard, il est important de rappeler les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Lacasse[41], selon lesquels les fourchettes de peines doivent être vues comme des outils visant à favoriser l’harmonisation des sanctions et non pas comme des carcans, celles-ci n’ayant pas un caractère coercitif. Ce principe est repris par le Tribunal des professions dans l’affaire Chbeir[42].

[118]   Quant à la juxtaposition d’une amende de 10 000 $, les parties rappellent que la sanction doit avoir un impact réel sur le professionnel[43] en plus de remplir l’objectif d’exemplarité lorsque le professionnel n’est plus membre de l’Ordre[44].

[119]   De plus, l’amende est justifiée lorsque l’infraction comporte une connotation économique[45], comme en l’espèce, puisque les propos tenus par l’intimé lui ont rapporté des avantages pécuniaires.

Chef 2 — représailles à l’égard d’une demanderesse d’enquête

[120]   Les parties suggèrent au Conseil d’imposer à l’intimé une période de radiation de trois mois.

[121]   Les décisions citées par la plaignante imposent des sanctions variant entre une amende et une période de radiation temporaire[46].

[122]   Si par contre, il s’agit d’intimidation délibérée, une période de radiation temporaire est plutôt imposée[47].

[123]   Ainsi, la sanction suggérée par les parties s’insère dans la fourchette des sanctions imposées en semblables matières.

[124]   Les parties considèrent comme raisonnable leur suggestion d’imposer une période de radiation de trois mois.

Chef 3 — entrave au travail de la plaignante

[125]   Les parties suggèrent au Conseil d’imposer à l’intimé une période de radiation de trois mois concurrente à celle à imposer sous le chef 2.

[126]   La plaignante explique qu’une période de radiation d’un mois est la sanction généralement imposée pour une infraction d’entrave[48].

[127]   Toutefois, cette période de radiation sera plus importante, soit de 3 à 12 mois, lorsque le risque de récidive est élevé[49], comme il l’est en l’espèce.

[128]   Ainsi, la sanction suggérée par les parties s’insère dans la fourchette des sanctions imposées en semblables matières.

[129]   Les parties considèrent comme raisonnable leur suggestion d’imposer à l’intimé une période de radiation de trois mois.

La recommandation conjointe proposée par les parties déconsidère-t-elle l’administration de la justice ou est-elle contraire à l’intérêt public?

[130]   Après avoir pris connaissance des éléments présentés par les parties relativement aux critères et facteurs qu’elles ont considérés pour élaborer leur recommandation conjointe, le Conseil est d’avis que cette dernière ne déconsidère pas l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public.

[131]   De surcroît, le Conseil constate qu’elle est présentée par des procureurs expérimentés au fait de tous les éléments du dossier, qui sont ainsi en mesure de suggérer des sanctions appropriées.

[132]   Considérant l’ensemble des circonstances de la présente affaire, le Conseil est d’avis que la recommandation conjointe des parties doit être retenue.

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT ET CE JOUR :

Sous le chef 1 :

[133]   IMPOSE à l’intimé une radiation permanente ainsi qu’une amende de 10 000 $.

Sous le chef 2 :

[134]   IMPOSE à l’intimé une période de radiation de trois mois.

Sous le chef 3 :

[135]   IMPOSE à l’intimé une période de radiation de trois mois concurrente à celle imposée sous le chef 2.

[136]   CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés, y compris les frais d’expertise, conformément à l’article 151 du Code des professions.

[137]   AUTORISE que la présente décision ainsi que le mémoire de frais soient notifiés à l’intimé par courriel.

 

 

_____________________________________

Me LYNE LAVERGNE

Présidente

 

 

 

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M. ALAIN BREAULT, CPA, CGA

Membre

 

 

 

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M. LOUIS LEBRUN, FCPA, FCGA

Membre

 

 

 

 

 

Me Marie-Claude Sarrazin et Me Sophie Godin

 

Avocates de la plaignante

 

 

 

Me Jean Dury

 

Avocat de l’intimé

 

 

 

Date d’audience : 25 février 2021

 

 



[1]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Pilon, 2020 QCCDCPA 40.

[2]    Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5; Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 CanLII 82189 (QC TP); Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20.

[3]    R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

[4]    Id., paragr. 33.

[5]    Gagné c. R., 2011 QCCA 2387.

[6]    R. c. Anthony-Cook, supra, note 3; Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52; Malouin c. Notaires, 2002 QCTP 15; Chan c. Médecins  (Ordre professionnel des), supra, note 2.

[7]    Baptiste c. R., 2021 QCCA 1064.

[8]    Ibid., paragraphe 72.

[9]    Langlois c. Dentistes, supra, note 6, Malouin c. Notaires, supra, note 6; Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), supra, note 2; Notaires (Ordre professionnel des) c. Marcotte, 2017 CanLII 92156 (QC CDNQ), 2019 QCTP 78; Notaires (Ordre professionnel des) c. Génier, 2019 QCTP 79; Pharmaciens (Ordre professionnel de) c. Vincent, 2019 QCTP 116.

[10]    R. c. Anthony-Cook, supra, note 3, paragr. 34.

[11]    Id., paragr. 54.

[12]    R. c. Binet, 2019 QCCA 669.

[13]    R. v. Belakziz, 2018 ABCA 370, paragr. 18.

[14]    R. v. Belakziz, supra, note 13; Notaires (Ordre professionnel des) c. Génier, supra, note 9; Pharmaciens (Ordre professionnel de) c. Vincent, supra, note 9.

[15]    R. v. Belakziz, supra, note 13, paragr. 23.

[16]    Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).

[17]    Ibid.; Pierre Bernard, « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions », dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 87-88.

[19]    Ouellet c. Médecins (Ordre professionnel des), 2006 QCTP 74.

[21]    Coutu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), 2009 QCTP 17.

[22]    Id., paragraphe 45.

[23]    Marin c. Ingénieurs forestiers, 2002 QCTP 29. Voir aussi : Chené c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2006 QCTP 102.

[24]    Ubani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 64.

[25]    Pièce SP-5.

[26]    Pièce SP-6.

[27]    Pièce SI-1.

[28]    Médecins (Ordre professionnel des) c. Chbeir, 2017 QCTP 3.

[29]    Pièce SP-6.

[30]    Pièce SP-10.

[31]    Pièce SP-12.

[32]    R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.

[33]    Ouellet c. Médecins (Ordre professionnel des), supra, note 19. Voir aussi : Richard c. Le Boutillier, 2004 CanLII 72477 (QC CDBQ).

[34]    Doré c. Avocats (Ordre professionnel des), 2007 QCTP 152, appel à la Cour suprême rejeté : Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12.

[35]    Architectes (Ordre professionnel des) c d’Onofrio, 2015 CanLII 13850 (QC OARQ).

[36]    Doré c. Avocats (Ordre professionnel des), supra, note 34.

[37]    Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Léger, 2012 QCCDBQ 2.

[38]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Verret, 2020 QCCDCPA 5; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Piché, 2016 CanLII 8750 (QC CPA); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Néron, 2013 CanLII 46560 (QC CPA); Comptables agréés (Ordre professionnel des) c. Francesco, 2010 CanLII 98575 (QC CPA).

[39]    Psychoéducateurs (Ordre professionnel des) c. Mino, 2015 CanLII 9953 (QC CDPPQ).

[40]    Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Truong, 2012 CanLII 101913 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Prégent, 2008 CanLII 90240 (QC CDOIQ).

[41]    R. c. Lacasse, supra, note 32.

[42]    Médecins (Ordre professionnel des) c. Chbeir, supra, note 28.

[43]    Mars c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 1998 QCTP 1619

[44]    Monfette c. Médecins (Ordre professionnel des), 2008 QCTP 52; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Soifer, 2016 CanLII 2369 (QC CPA). 

[45]    Mars c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), supra, note 43.

[46]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Bégin, 2021 QCCDCPA 1.

[47]    Ibid.; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Boudreau, 2012 QCCDBQ 16; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Gagnon, 2018 CanLII 80641 (QC OIIA).

[48]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Beaulieu, 2019 CanLII 109896 (QC CPA); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Monette, 2019 CanLII 15773 (QC CPA); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Violante, 2014 CanLII 5515 (QC CPA).

[49]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Joncas, 2015 CanLII 13851 (QC CPA); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Mercier, 2019 CanLII 50878 (QC CPA).