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153409 Canada inc. c. Municipalité d'Oka, 2023 QCCS 1391 (CanLII)

Date :
2023-04-18
Numéro de dossier :
700-17-017482-216; 700-17-018260-215
Référence :
153409 Canada inc. c. Municipalité d'Oka, 2023 QCCS 1391 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jwzg2>, consulté le 2024-04-25

153409 Canada inc. c. Municipalité d'Oka    

2023 QCCS 1391

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE TERREBONNE

 

No :

700-17-018260-215

700-17-017482-216

 

DATE 

Le 19 mai 2023

_____________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PAUL MAYER J.C.S.

_____________________________________________________________________

 

 

Dossier #700-17-018260-215

 

153409 CANADA INC.

 

Partie demanderesse

c.

 

MUNICIPALITÉ D’OKA

 

Partie défenderesse

et

 

LES MOHAWKS DE KANESATAKE

 

Partie mise en cause

 

 

-ET-

 

 

 

DOSSIER #700-17-017482-216

 

LES MOHAWKS DE KANESATAKE

 

Partie demanderesse

 

c.

 

MUNICIPALITÉ D’OKA

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

Parties défenderesses

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

GREGOIRE GOLLIN

 

Parties mises en cause

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ

 

_____________________________________________________________________

 

Prenez avis que deux légères modifications ont été apportées au jugement du 18 avril 2023 :

 

1)   Le numéro de dossier qui figure dans l’entête à partir de la page 2 était erroné. Les deux numéros du présent dossier y ont été remplacés.

2)   La date de l’audience, à la toute fin du jugement, était le 5 avril 2023, et non le 30 mars 2023.

 

Les corrections ont été apportées au présent jugement rectifié.

 

Le contenu du jugement demeure inchangé.

 

1.  INTRODUCTION

[1]        La Municipalité d’Oka (la « Municipalité ») soumet deux demandes dont le Tribunal doit disposer.

[2]        Premièrement, elle réclame, dans le dossier 700-17-018260-215 (le « Dossier 215 »), l’intervention forcée, selon les articles 184 et 188 C.p.c., des Mohawks de Kanesatake dans un litige entre la Municipalité et un développeur immobilier, 153409 Canada inc. (« Canada inc. »).

[3]        Deuxièmement, elle revendique la jonction d’instances, selon l’article 210 C.p.c., du Dossier 215 et du dossier portant le numéro 700-17-017482-216 (le « Dossier 216 ») en raison de leur connexité. Elle soutient que les deux instances sont indissociables l’une et l’autre de sorte que les parties sont confrontées à un risque de jugements contradictoires.

[4]        Les Mohawks de Kanesatake et Canada inc. s’y objectent. Ils sont d’avis que ces Demandes doivent être rejetées.

[5]        M. Gregoire Gollin, le Procureur général du Québec et le Procureur général du Canada ne prennent pas position. Ces deux derniers s’en remettent à la décision du Tribunal.

2.  QUESTIONS EN LITIGE

[6]        Le Tribunal est saisi des questions suivantes :

1)     L’intervention forcée proposée est-elle dans le meilleur intérêt de la justice?

2)     Y a-t-il lieu d’ordonner la jonction des deux dossiers?

3.  INTERVENTION FORCÉE

     3.1  Le contexte

       3.1.1  Le Dossier 216

[7]        Dans ce dossier, le 4 janvier 2021, les Mohawks de Kanesatake introduisent un recours contre la Municipalité. Ils cherchent à faire déclarer invalide ou illégal le Règlement numéro 2020-233, puisqu’il donne à la forêt de la Pinède d’Oka le statut de site patrimonial. Ils allèguent, entre autres, que le Règlement :

         a pour effet de créer un site patrimonial, ce qui entrainerait un pouvoir invasif de surveillance et de contrôle sur l’utilisation et la gérance de ces terres; et

         a été adopté de mauvaise foi, sans consultation; il est déraisonnable et contraire aux obligations de la Couronne et des engagements du Gouvernement fédéral en vertu de la United Nations Declaration on the Rights of Indigenous People;

[8]        La Municipalité conteste lesdites allégations et entend démontrer que ledit Règlement doit demeurer valide.

[9]        Ce dossier est suspendu depuis le 30 septembre 2021.

       3.1.2  Le Dossier 215

[10]     Le 15 janvier 2022, Canada inc. introduit un recours en dommages contre la Municipalité. Elle demande une indemnité de plus de 8 M $ en raison d’une expropriation déguisée des lots qu’elle détient dans la Pinède d’Oka. Elle soutient que la règlementation municipale est restrictive au point où elle lui enlève le bénéfice économique de la propriété.

[11]     Elle prétend que, n’eût été de la règlementation municipale, elle aurait pu réaliser un projet de développement de 49 terrains unifamiliaux et de 18 triplex, ou encore de 21 terrains unifamiliaux et de 45 triplex.

[12]     Ainsi, la règlementation de zonage de la Municipalité et le Règlement 2020-233 visant la protection du patrimoine est invoquée. Plus particulièrement, elle souligne que le zonage est passé de résidentiel à celui de conservation environnementale.

     3.2  Le Droit

[13]     Les articles 184 et 188 C.p.c. prévoient l’intervention forcée d’un tiers pour qu’il intervienne à l’instance afin de permettre une solution complète d’un litige ou pour que le jugement à être rendu lui soit opposable[1].

[14]     La présence du mis en cause doit être vraiment nécessaire, et non simplement utile pour la solution complète du litige.

[15]     La notion de nécessité repose en partie sur l’idée d’une connexité ou d’un rapport entre les assises du litige principal et celle de la demande du mis en cause.

[16]     Le fardeau d’établir la nécessité repose sur celui qui recherche la mise en cause.

     3.3  Analyse

[17]     Le Tribunal considère que la mise en cause des Mohawks de Kanesatake n’est pas essentielle à la solution du litige entre Canada inc. et la Municipalité.

[18]     L’intervention des Mohawks de Kanesatake n’est pas fondamentale pour que la Municipalité soit déclarée propriétaire du terrain. Dans un tel cas, son titre sera opposable aux tiers en vertu des articles 2943 et 2944 C.c.Q.[2]

[19]     Dans ses conclusions, Canada inc. demande d’être compensée pour l’expropriation déguisée de ses lots et que la Municipalité en soit déclarée propriétaire.

[20]     Rien de ceci n’implique les Mohawks de Kanesatake. Leurs revendications territoriales sont complètement séparées de cette question d’expropriation déguisée.

[21]     Les revendications territoriales des Mohawks de Kanesatake transcendent le droit privé québécois. Nonobstant la décision du Tribunal dans le Dossier 215, le droit des Mohawks de Kanesatake ne sont pas mis en jeu. Leurs revendications territoriales seront exactement les mêmes.

[22]     Par ailleurs, il est évident que l’intervention des Mohawks de Kanesatake aurait des conséquences majeures en termes de délais, de proportionnalité, de coûts et de complexité puisqu’on y importerait des considérations constitutionnelles et des revendications territoriales ancestrales.

4.  LA JONCTION

     4.1  Le Droit

[23]     L’article 210 C.p.c. se lit comme suit :

210.  Le tribunal peut, même lorsque les demandes ne résultent pas de la même source ou d’une source connexe, ordonner la jonction de plusieurs instances entre les mêmes parties portées devant le même tribunal, pourvu qu’il n’en résulte pas un retard indu pour l’une d’elles ou un préjudice grave à un tiers.

Il peut en outre ordonner que plusieurs instances pendantes devant lui, entre les mêmes parties ou non, soient jointes pour être instruites en même temps et jugées sur la même preuve ou ordonner que la preuve faite dans l’une serve dans l’autre ou que l’une soit instruite et jugée avant les autres.

[…]

[24]     La décision de joindre des dossiers doit être prise en considérant les principes directeurs de la procédure. L’on doit donc tenir compte de différents critères, notamment la règle de la proportionnalité, ainsi que l’opportunité d’assurer la saine gestion et le bon déroulement de l’instance.

[25]     Il y a lieu d’éviter la possibilité et le risque de jugements contradictoires, la multiplicité des recours et les inconvénients qui peuvent en résulter pour l’une des parties.

[26]     Dans l’évaluation des critères, une meilleure gestion signifie également que la preuve versée dans l’un puisse être versée dans l’autre et qu’ultimement les coûts judiciaires soient moindres.

[27]     La jonction d’instances n’est pas appropriée lorsque les liens entre les deux dossiers ne sont pas suffisants et que les questions soulevées sont complexes mais qu’elles ne sont pas connexes.

     4.2  Analyse et décisions

[28]     Le Tribunal considère que la jonction de l’instance n’est pas appropriée.

[29]     Le Dossier 215 est une action en dommages pour expropriation déguisée.

[30]     Les bases légales de Demande des Mohawks de Kanesatake sont complètement différentes de l’action en dommages du promoteur immobilier.

[31]     La question en litige dans le Dossier 216 est beaucoup plus large. Le droit constitutionnel et autochtone en jeu n’a aucun lien avec la Demande en dommages de Canada inc. dans le Dossier 216.

[32]     Le recours en nullité du Dossier 216 est complexe et soulève de nombreuses questions, incluant des revendications ancestrales. Ceci nécessitera des expertises historiques longues, complexes et dispendieuses.

[33]     Il n’y a aucun risque de jugements contradictoires :

         Dans le Dossier 215, on demande d’annuler un règlement municipal;

         Dans le Dossier 216, on recherche des dommages.

[34]     La jonction de ces instances entraînera des conséquences importantes en termes de délais et de proportionnalité. Elle causerait des retards considérables pour le Dossier 216.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[35]     REJETTE la Demande pour intervention forcée de la Défenderesse, Municipalité d’Oka.

[36]     REJETTE la Demande en jonction d’instances des dossiers 700-17-017482-216 et 700-17-018260-215 de la Défenderesse, Municipalité d’Oka.

[37]     LE TOUT, avec frais de justice.

 

_____________________________

Paul Mayer, j.c.s.

 

 

 

 

Dossier #700-17-017482-216

 

Me Nicholas Dodd

Me Marie-Alice d’Aoust

Me Wade MacAulay

Dionne Schulze

Avocats de la partie demanderesse Les Mohawks de Kanesatake

 

Me Anthony Freiji

DHC Avocats

Avocat de la partie défenderesse Municipalité d’Oka

 

Me Éric Bellemare

Me Léandro Steinmander

Bernard Roy

Avocats pour le Procureur général du Québec

 

Me Myriam Rainville

Me Raphaelle Jacques

Justice Canada

Avocats pour le Procureur général du Canada

 

M. Gregoire Gollin

Se représente personnellement

 

 

Dossier #700-17-018260-215

 

Me Sylvain Bélair

De Grandpré Chait

Avocat de la partie demanderesse 153409 Canada inc.

 

Me Daniel Goupil

Me Axel Fournier

Prévost Fortin Daoust

Avocat de la partie défenderesse Municipalité d’Oka

 

Me Nicholas Dodd

Me Marie-Alice d’Aoust

Me Wade MacAulay

Dionne Schulze

Avocats de la partie mise en cause Les Mohawks de Kanesatake

 

 

Date d’audition : 5 avril 2023



[1]   184.  L’intervention est volontaire ou forcée.

     Elle est volontaire lorsqu’une personne qui a un intérêt dans une instance à laquelle elle n’est pas partie ou dont la participation est nécessaire pour autoriser, assister ou représenter une partie incapable, intervient comme partie à l’instance. Elle l’est aussi lorsque la personne demande à intervenir dans le seul but de participer au débat lors de l’instruction.

     Elle est forcée lorsqu’une partie met un tiers en cause pour qu’il intervienne à l’instance afin de permettre une solution complète du litige ou pour lui opposer le jugement; elle est aussi forcée si la partie prétend exercer une demande en garantie contre le tiers.

     188.  L’intervention forcée s’opère par la signification au tiers d’un acte d’intervention dans lequel la partie expose les motifs qui justifient l’intervention du tiers à titre de partie et auquel est jointe la demande en justice. L’acte d’intervention propose en outre, compte tenu du protocole de l’instance, les modalités de l’intervention et indique au tiers qu’il doit y répondre dans les 15 jours qui suivent.

     L’acte d’intervention est aussi notifié aux autres parties lesquelles disposent d’un délai de 10 jours à compter de la réponse du tiers pour notifier leur opposition.

 

 

[2]   2943.  Un droit inscrit sur les registres à l’égard d’un bien est présumé connu de celui qui acquiert ou publie un droit sur le même bien.

     La personne qui s’abstient de consulter le registre approprié et, dans le cas d’un droit inscrit sur le registre foncier, la réquisition à laquelle il est fait référence dans l’inscription, ainsi que le document qui l’accompagne lorsque cette réquisition prend la forme d’un sommaire, ne peut repousser cette présomption en invoquant sa bonne foi.

     2944.  L’inscription d’un droit sur le registre des droits personnels et réels mobiliers ou sur le registre foncier emporte, à l’égard de tous, présomption simple de l’existence de ce droit.