Ce site web utilise des fichiers témoins (« cookies ») à diverses fins, comme indiqué dans notre Politique de confidentialité. Vous pouvez accepter tous ces témoins ou choisir les catégories de témoins acceptables pour vous.

Chargement des marqueurs de paragraphe

Procureur général du Québec c. Séguin, 2023 QCCS 2108 (CanLII)

Date :
2023-06-14
Numéro de dossier :
560-17-002257-225; 560-17-001970-182; 560-17-001385-126
Référence :
Procureur général du Québec c. Séguin, 2023 QCCS 2108 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jxqch>, consulté le 2024-05-15

Procureur général du Québec c. Séguin

2023 QCCS 2108

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

Labelle

 

 

Nos :

560-17-001385-126

560-17-001970-182

560-17-002257-225

 

 

 

DATE :

Le 14 juin 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE THOMAS M. DAVIS, J.C.S.

 

______________________________________________________________________

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

Demandeur

 

c.

 

ROYAL SÉGUIN

 

-ET-

 

LOUIS GÉNÉREUX

 

-ET-

 

BENOÎT CHAMAILLARD

 

Défendeurs

 

-ET-

 

COMMUNAUTÉ MÉTISSE AUTOCHTONE DE MANIWAKI (CMAM)

 

-ET-

 

KITIGAN ZIBI ANISHINABEG (KZA)  

 

Intervenants

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]         Le présent jugement doit trancher la question difficile et importante de l’existence d’un droit ancestral de chasse et pêche revendiqué par les défendeurs, qui s’identifient comme Métis. L’encadrement de la tâche du Tribunal se trouve dans l’arrêt R c. Powley de la Cour Suprême du Canada :

10                              Le mot « Métis » à l’art. 35 ne vise pas toutes les personnes d’ascendance mixte indienne et européenne, mais plutôt les peuples distincts qui, en plus de leur ascendance mixte, possèdent leurs propres coutumes, façons de vivre et identité collective reconnaissables et distinctes de celles de leurs ancêtres indiens ou inuits d’une part et de leurs ancêtres européens d’autre part.  Les communautés métisses ont vu le jour et se sont épanouies avant que les Européens ne consolident leur emprise sur le territoire et que l’influence des colons et des institutions politiques du vieux continent ne devienne prédominante.  La Commission royale sur les peuples autochtones décrit cette évolution ainsi :

[…]

Les Métis se sont forgé des identités distinctes qu’on ne saurait réduire au seul fait de leur ascendance mixte.  « Ceux qui se disent Métis se distinguent des autres par leur culture incontestablement métisse » (Rapport de la CRPA, vol. 4, p. 228).[1]

[…]

 

[2]         À la lumière de ces enseignements, le Tribunal a plusieurs questions devant lui. Cependant les deux plus importantes sont l’existence d’une communauté métisse historique et l’existence d’une communauté métisse actuelle ayant des liens à une communauté historique. Selon les défendeurs celle-ci aurait existé au Lac-Sainte-Marie.

[3]         Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la preuve ne permet pas de conclure qu’une communauté métisse historique habitait la région. La présence d’une communauté actuelle est encore moins évidente.

1.            La demande

[4]         Le demandeur, le Procureur Général du Québec (PGQ), demande la dépossession des défendeurs qui selon les demandes introductives d’instance, occupent illégalement des terres appartenant au gouvernement du Québec.

[5]           Les défendeurs, Royal Séguin (M. Séguin)[2] et Louis Généreux (M. Généreux), soutiennent qu’ils ont le droit d’occuper les terres et d’y pratiquer leurs droits ancestraux à titre de Métis. Ils réclament principalement le droit de chasser et de pêcher et affirment que les chalets qu’ils ont construits servent d’abris, accessoires à l’exercice de leur droit de chasse.

[6]           Le défendeur Benoît Chamaillard n’a pas offert de défense et, à toute fin pratique, s’en remet à la décision du Tribunal.

[7]           La mise-en-cause Communauté Métis Autochtone de Maniwaki (CMAM) regroupe des membres qui ont démontré avoir des ancêtres Métis ou Autochtone. Elle soutient constituer la communauté métisse contemporaine.

[8]         La communauté autochtone Kitigan Zibi Anishinabeg (Les « Anishinabeg » ou KZA) intervient dans le dossier, suivant un jugement du Tribunal du 30 septembre 2021. KZA nie l’existence d’une communauté historique métisse et fait valoir que les terres qui font l’objet du litige sont les terres traditionnelles des Anishinabeg.

2.            LE CONTEXTE

[9]         Les demandes du PGQ sont très simples. Elles allèguent que M. Séguin, M. Généreux et M. Chamaillard ont construit des chalets et occupent illégalement les terres où se trouvent les chalets. Bien entendu, le fondement du recours est basé sur l’appartenance de ces terres à l’État.

[10]      Les défenses de M. Séguin et M. Généreux sont longues et détaillées, mais reposent sur une allégation essentielle, soit que les défendeurs s’auto-identifient comme Métis et font partie d’une communauté métisse ayant des liens à la communauté métisse historique.

2.1  Les témoins ordinaires

[11]      Pour faire valoir leur position, les défendeurs ont fait entendre plusieurs membres de l’intervenant CMAM.

[12]      Mme Pierrette L’Heureux explique le fonctionnement de CMAM, de même que ses propres habitudes de vie. Les autres témoins expliquent surtout comment ils se sont identifiés comme Métis et décrivent leurs activités traditionnelles.

[13]      Mme L’Heureux travaille auprès de la CMAM. Par l’entremise d’une tante, elle apprend qu’elle a des ancêtres ainsi que du sang métis. À l’époque de cette découverte elle est à l’emploi du gouvernement fédéral. Sur divers formulaires qu’elle doit remettre à son employeur Mme L’Heureux s’identifie comme Métis. Elle est membre de la « Metis Nation of Ontario » (MNO) et obtient une carte de cet organisme[3].

[14]      Grâce à son identité métissée, Mme L’Heureux obtient un poste comme conseillère aux Autochtones pour le gouvernement et déménage dans la région de Maniwaki. Dans le cadre de son travail elle prodigue des conseils aux Métis, aux Algonquins et aux Inuits. Elle s’implique auprès de la CMAM.

[15]      Son travail l’amène à interagir avec de nombreuses personnes voulant devenir membres de CMAM. Bien qu’elle ne soit pas registraire, son emploi fait en sorte que, de facto, elle fait des inscriptions sur les différentes listes de CMAM. Elle explique au Tribunal les distinctions entre les différentes listes qui font partie de la preuve, dont une de 2013[4], une de 2015[5] et une de 2018[6] qui comportent, selon CMAM, 1228 personnes descendantes de 54 familles métisses sur le territoire[7].

[16]      La CMAM vérifie le statut et surtout la généalogie des personnes voulant devenir membres avant de les inscrire sur les listes. Certaines modifications à la Loi sur les Indiens[8] ont eu pour effet d’accroître l’intérêt des individus d’en devenir membre.

[17]      Le défendeur Chamaillard ne fait pas partie de la liste de 1228 personnes, bien que CMAM le décrive comme personne exerçant des droits ancestraux. Ses ancêtres sont de Lanaudière[9].

[18]      Il ressort des lignées généalogiques que cette liste comprend de nombreuses personnes dont les ancêtres ne sont pas natifs de la région.  

[19]       Mme L’Heureux retrace ses propres ancêtres dans la région à une union entre Moïse Payette et Marie Brazeau en 1847 à Buckingham[10]. Ces personnes sont de la lignée de Catherine Annennontak[11].

[20]      L’une de 15 enfants nés sur une ferme, Mme L’Heureux dit ressentir quelque chose, sans qu’elle puisse le définir, qui lui fait comprendre qu’elle est Métisse. Elle adore la pêche et a beaucoup chassé au cours de sa vie. Elle dit se nourrir du fruit de ses efforts.

[21]      Ces deux derniers éléments de son témoignage, la chasse et le pêche de subsistance, reviennent fréquemment dans les témoignages des autres membres de CMAM qui s’identifient en tant que Métis.

[22]      Martin Séguin, ayant été fortement encouragé de s’inscrire par son père, le défunt Royal Séguin, devient membre de CMAM en 2009. Cette décision suit certains déboires que son père a connus avec le gouvernement du Québec. Le camp de chasse qui fait l’objet du présent litige, bâti sur le Lac Matabi[12] en 2004 ou 2005, est le troisième dans la famille Séguin. Le premier camp avait été construit dans les années 80 pour être brûlé par le gouvernement en 1986, dit M. Séguin.

[23]      Pour ce qui est du camp actuel, Royal Séguin reçoit une visite d’inspection en 2004[13]. Le 12 avril 2010 un avis d’occupation sans droit lui est adressé et lui donne un délai pour quitter les lieux et pour remettre le terrain en état[14]. Au lieu d’obtempérer à l’avis, M. Séguin répond qu’il fait partie d’une communauté métisse et qu’il a besoin de son camp pour exercer ses activités traditionnelles[15]. Éventuellement il mandate un avocat pour représenter ses intérêts.

[24]      À ce jour Martin Séguin continue à se servir du camp pour ses activités de chasse, de pêche et de trappe. Le camp sert également à des activités familiales axées sur la chasse.

[25]      Pour ce qui est du sang indien[16], c’est le père de Martin qui lui dit qu’il en a. Royal explique à Martin qu’il peut retracer ses ancêtres à Marie Minoe8e[17], laquelle avait un poste de traite au Lac des Sables avec son conjoint, dans les années 1850.

[26]      Royal est celui qui initie Martin aux activités traditionnelles. Royal exerçait les activités dans les régions de l’Île aux Allumettes, de Pontiac, du Parc de la Gatineau et autour des rivières Gatineau et Noire.

[27]      Martin explique que depuis qu’il est tout petit, il a un sens inné qui lui fait comprendre que ces activités font partie de lui et qu’il doive les exercer pour son bien-être. Il sait qu’il y a quelque chose à l’intérieur de lui qui est différent des autres. Ses enfants chassent avec lui.

[28]      Il raconte ses succès sur le plan de la trappe. À titre d’exemple, de décembre 2021 à janvier 2022 il a piégé 14 loups. Il fait de la trappe au chalet. Le camp est requis pour la sérénité de l’activité et surtout pour la préparation des fourrures. Il s’adonne également à des activités traditionnelles dans la région de Papineau Labelle jusqu’au Lac des 31 milles.

[29]      Il est capable de « pister » un animal, c’est-à-dire de déceler ses traces et de les suivre pour retrouver la bête.

[30]      Il mange ses prises, dont certaines peaux peuvent être vendues.

[31]      Sur le plan du travail il est contremaître forestier pour la société MC Forêt. Ainsi, il passe beaucoup de temps dans la forêt tant pour ses activités de loisir que pour son travail.

[32]      Pour ce qui est de l’appartenance à une communauté identifiée, son témoignage est plutôt vague. Il en est ainsi pour le témoignage des autres membres de CMAM.  Mis à part leur adhésion à CMAM, ils ne réussissent pas à décrire leur appartenance à une communauté en soi ou même à identifier les liens de CMAM à une communauté historique.

[33]      M. Seguin décrit les Métis comme des nomades, de sorte que la communauté est partout sur le territoire, et ce, même si son grand-père Napoléon était un cultivateur plutôt qu’un chasseur.

[34]      L’histoire de Conrad Bondu ressemble à celle de M. Séguin. Il s’inscrit au CMAM en 2009.

[35]      Tout comme lui, M. Bondu retrace ses ancêtres à Marie Minoe8e et est au courant du poste de traite au Lac des Sables. Chasser, trapper et pêcher pour se nourrir sont des traditions familiales, qu’il apprend de son grand-père dès qu’il marche, dit-il. C’est ce qu’il fait maintenant à temps plein dans la région de la rivière du Lièvre, et ce, après avoir été à l’emploi de SEPAC. Il essaie de se servir de tout l’animal. Avec sa conjointe il fabrique des produits artisanaux de fourrure et des bijoux.

[36]      Pendant la durée de sa vie il a possédé 7 camps de chasse mais n’en a plus.

[37]      M. Bondu n’a aucune connaissance d’une communauté métisse au Lac Sainte-Marie. L’événement historique pouvant démontrer une communauté historique, dont il serait au courant, est l’existence du poste de traite au Lac des Sables.

[38]      Pour ce qui est des activités communautaires actuelles, il mentionne des événements à la plage ou des journées de pêche. Ces activités ont débuté en 2009.

[39]      M. Bondu explique que la différence entre un Canadien français et un Métis se définit par la connaissance que le Métis possède de la forêt.

[40]      Ce que raconte le défendeur Louis Généreux n’est guère différent. Il pratique la chasse, la trappe, la cueillette et la pêche (ou fait des préparatifs) 365 jours par année dit-il. Il vend ses fourrures ou fait des tapis ou d’autres items. Il consomme ses prises.

[41]      Il n’est pas un chasseur comme les autres. Il va où sont les animaux. Il peut même les « caller ».

[42]      Il se considère Métis depuis 2008, car avant cette date les Métis n’existaient pas au Québec. Son frère lui ayant parlé de l’arrêt Powley, il était motivé de devenir membre de CMAM. Cependant, sa lignée généalogique ne démontre pas d’ancêtres Métis. M. Généreux se considère Métis par le fait qu’un « sauvage » Louis Tanascon avait montré les pratiques métisses à son grand-père, Donat, qui les a montrées à ses enfants, dont Paul. Ce dernier les a enseignées à M. Généreux. Bref ses savoirs Métis lui ont été transmis par sa famille.

[43]      Cependant, M. Tanascon s’est établi à Nominingue vers 1930 alors que Donat avait déjà plus de 40 ans. Il semble curieux que le grand-père ne sût pas déjà chasser[18].

[44]      Tout comme M. Séguin, M. Généreux possède un des camps de chasse qui fait l’objet du litige. Il est situé au  Lac Francine, à 500 kilomètres au nord de Maniwaki. Il fut bâti par Réal Melançon qui opérait un service aérien. Ce dernier avait un bail, mais ce n’est pas le cas pour M. Généreux. M. Généreux fait de nombreuses démarches, à partir de l’année 2001, en vue d’obtenir un bail, toutefois sans succès. Le gouvernement lui dit qu’il doit passer par un concours mais ses démarches en ce sens n’ont pas abouti.

[45]      Le camp est vital pour la pratique de ses activités ainsi que pour entreposer et préparer les équipements requis. Il peut partir de chez lui pour 10 à 15 jours consécutifs pour pratiquer ses activités de chasse, de pêche et de trappe.

[46]      M. Généreux est commerçant. Avec un partenaire, il opère une épicerie à Nominingue. C’est un commerce qui est dans la famille depuis le temps que son grand- père s’installe au village. Malgré le fait que la famille demeure dans le village depuis 1912[19], M. Généreux n’est pas vraiment en mesure d’identifier d’autres familles métisses.

[47]      Claude Paul témoigne semblablement. Bien que ses parents se soient établis en Abitibi près de La Sarre, il ne commencera la chasse que plus tard, soit à l’âge de 10 ans. Contrairement à certains autres témoins, il vend la plupart des fourrures qu’il récolte à une tierce personne. Il donne les griffes et les dents à sa sœur qui en fait des bijoux.

[48]      Le père de M. Paul chasse de La Sarre jusqu’au Parc de la Baie James. Quand il est dans la région, il chasse à Montcalm, Mont Laurier et Kiamika.

[49]      Le père de M. Paul travaillait comme bucheron, surtout sur ses propres terres.

[50]      M. Paul crée son propre regroupement de Métis en Abitibi en 2009. La formation suit un conflit avec la Confédération des peuples autochtone.

[51]      Laurier Riel est également membre de CMAM. Il s’identifie comme Métis depuis 1985. Il est motivé par le désire de faire avancer la cause des Métis au Québec. Il est Métis, du fait que sa grand-mère était indienne dit-il. Son grand père lui a toujours dit qu’ils étaient Métis. En revanche, les autres membres de sa famille ne se sont pas préoccupés de leur statut.

[52]      Il n’est pas vraiment en mesure d’identifier les membres d’une communauté métisse à Maniwaki, autrement que par les évènements de CMAM. Les Métis n’ont pas de nom pour leur communauté.

[53]      Ses ancêtres demeuraient au Lac Sainte Marie, jusqu’à ce que son grand père déménage à Maniwaki. Son arrière-grand-père était cultivateur au Lac Sainte-Marie et faisait également de la trappe dans la région. Jean-Baptiste-Casimir Riel avait un camp de trappe au lac Kensington, à mi-chemin entre Mont-Laurier et Maniwaki. Aujourd’hui le camp est un bien patrimonial.

[54]      Il compte Louis Riel parmi ses ancêtres. Il possède son revolver pour le démontrer, arme qu’il a reçue de son père. 

[55]      Bien qu’il soit chasseur et pécheur et pratique la trappe, il dit ne pas avoir besoin d’un camp pour chasser. Il estime toutefois qu’un camp est requis pour les personnes qui font régulièrement de la trappe.

[56]       Il fait antérieurement carrière dans une grande société minière à titre de constable spécial. Il demeure à Valleyfield pour cet emploi et travaille aussi dans l’industrie forestière. C’est à cette époque qu’il passe de longues périodes dans les bois.

[57]      Il retourne à ses racines à Maniwaki en 1985. Depuis, il travaille pour un organisme qui aide les Autochtones en difficulté avec le système judiciaire et rédige des rapports Gladu à la demande des juges depuis environs huit ans. Lorsqu’il écrit les rapports il ne fait pas de distinction pas entre Métis et Autochtone. Afin d’obtenir ce poste, il fallait qu’il soit reconnu comme Autochtone.  

[58]      M. Serge Paul est le chef de CMAM.  Il retrace ses ancêtres à Nazaire Brisson[20]. Le Tribunal y reviendra.

[59]      Cependant, le passage à son statut de Métis n’est pas pareil aux défendeurs. Il est conscient d’être Métis à partir de 1985 et s’identifie comme tel auprès de sa famille et de ses amis. Il a déjà été membre de la Confédération des peuples autochtones du Canada[21].

[60]      Mais, il ne se décrit pas de la même manière que les autres témoins. Il est chasseur, mais ce n’est pas la pierre angulaire de sa vie. Il est au service des membres de CMAM. Ses pratiques aussi sont différentes. À titre d’exemple il enterre les os de ses prises au lieu de s’en servir comme décorations. Il veut retourner la bête à la terre.

[61]      Ses valeurs viennent de ses oncles et cousins, car son père ne s’identifiait pas comme Métis.

[62]      M. Paul décrit la culture des Métis autrement que les autres témoins de la défense. Il reconnaît que les Métis ne sont pas tous des chasseurs et des pêcheurs. Il peut y avoir des gens qui exercent d’autres occupations. Toutefois, ces personnes qui ne sont pas des initiées à la chasse ou à la pêche restent des Métis.

[63]      Il est important de s’attarder sur la description que M. Paul donne au territoire Métis. Le territoire n’a pas de nom. Plus important encore, M. Paul décrit le territoire des Métis comme étant celui où les Métis se trouvent à un moment donné, car il s’agit d’un peuple nomade. Les Métis sont des voyageurs dit-il. En revanche, il estime que la preuve démontre qu’une communauté métisse est établie dans la Haute Gatineau depuis longtemps.

[64]      M. Paul explique comment s’inscrire dans CMAM. Ce n’est pas une question de pratiques culturelles, mais plutôt une de sang Métis. Ceci est obligatoire pour devenir membre de CMAM. Les postulants doivent remplir une demande d’inscription qui requiert de l’information sur ces éléments.[22] L’organisme  va facturer des frais pour les recherches généalogiques, mais le coût est modique, le plus haut coût étant de 350 $.

[65]      Il commente également  les divers  organismes qui voulaient représenter les Métis avant même la création de CMAM. Diverses mésententes avec ceux-ci et leurs officiers en ont provoqué sa création. M. Paul, accompagné d’autres personnes, se sont fait un devoir de bâtir la CMAM après l’arrêt Powley. Il veut que le regroupement satisfasse aux critères de l’arrêt permettant la reconnaissance d’une communauté métisse.

[66]      Sur le plan des activités, CMAM organise un repas de saucisses tous les Noëls. Faute de fonds, il n’y a pas d’autres activités pour le moment, mis à part la réunion annuelle. L’assistance à ces assemblées varient.

[67]      La CMAM déploie des efforts pour aider les membres à protéger leurs « shacks » de chasse, pour reprendre le mot de M. Paul. C’est ainsi que M. Paul a écrit une lettre au gouvernement concernant M. Chamaillard, dont le  camp était dans la mire des autorités[23]. Il leur écrit que M. Chamaillard ne devrait pas être empêché d’exercer ses pratiques ancestrales, et ce, nonobstant que la famille de M. Chamaillard ne se soit établie dans la région que vers 1939[24]. M. Paul explique que pour lui la lettre était une lettre type qu’il envoyait lorsque les camps des membres étaient menacés.

[68]      Le témoignage de M. Chamaillard était plutôt succinct. Il pratique la chasse depuis les années 60. Cependant, ses ancêtres sont des Micmacs de la Nouvelle-Écosse. Sa famille n’arrive à la région que vers 1939.

[69]      Monsieur Ray Marcus s’identifie comme Métis depuis 15 ans. Les pratiques métisses lui ont été enseignées par sa mère, ses oncles et ses cousins du côté de sa mère. Son père n’avait pas d’ascendants autochtones et n’a aucun intérêt pour les activités de chasse, de pêche ou autres. On peut comprendre de M. Marcus qu’il est plutôt sédentaire. 

[70]      À l’instar des  témoignages de Martin Séguin, Claude Paul et Louis Généreux il pratique la chasse la trappe, la pêche et la cueillette à l’année longue.

[71]      Cela dit, son histoire est différente. Sa présente conjointe est membre de la nation Anishinabeg et demeure sur la réserve Kitigan Zibi. Les deux pratiquent leurs activités traditionnelles ensemble. Le couple passe beaucoup de son temps sur la réserve. Avec sa conjointe M. Marcus possède deux camps qui servent principalement aux lignes de trappe. Un camp situé à Bark Lake lui appartient et l’autre, récemment construit, appartient à sa conjointe. Il fait actuellement l’objet d’un litige, dont le résultat vise la détermination du vrai propriétaire du camp. Si la Cour décidait que le camp appartienne à la conjointe elle pourrait le maintenir à l’endroit où il est construit. S’il était déterminé qu’il appartienne à M. Marcus il se pourrait qu’on lui ordonne de le déplacer ailleurs.

[72]      Sur le plan de son association avec CMAM, il a sa carte de membre[25] mais il n’apparaît toutefois pas sur les listes de l’organisme.

[73]      Deux représentants de KZA ont également témoigné.

[74]      M. Nick Ottawa décrit le territoire traditionnel de son peuple lequel englobe les endroits où les trois défendeurs ont leurs camps.

[75]      Comme les défendeurs, les membres de cette Nation pratiquent la chasse, la trappe et la pêche depuis leur jeunesse.

[76]      Quant à l’existence des groupes de Métis dans la région, M. Ottawa en entend parler vers la fin des années 1990. Il estime que l’objectif de ces groupes était de donner un certain statut aux personnes qui n’en avaient pas en vertu de la Loi sur les Indiens[26]. On ne parlait pas nécessairement de CMAM mais de plusieurs organismes avec cette vocation, un peu dans la même veine que Serge Paul.

[77]      M. Ottawa ajoute avoir reçu  plusieurs demandes de membres de CMAM qui voulaient devenir membres de KZA. Pourquoi, dit-il, s’il existe une vraie communauté métisse?

[78]      Tant M. Ottawa que M. Whiteduck rapportent que l’histoire orale de la Nation ne fait aucunement état d’une communauté historique métisse dans la région.

[79]      Ils questionnent également les pratiques de chasse des défendeurs. Pour les membres de KZA, la subsistance veut dire que le chasseur prend ce dont il (ou elle) a vraiment besoin. Pourquoi trapper 14 loups alors qu’on n’en mange pas la viande et qu’ il n’est pas profitable d’en vendre les peaux?

[80]      M. Ottawa commente certaines des photos de chasse de Royal Séguin et M. Généreux où on y discerne une chasse aux fins récréatives[27].

[81]      Pour clore sur ce sujet, M. Whiteduck explique le système des « headsmen » de KZA et comment s’y prendre en vue d’obtenir une permission avant de chasser ou pêcher ou même faire du piégeage dans son secteur. Lesdits Métis ne respectent pas cette tradition culturelle. Aucune communauté métisse n’a demandé la permission à KZA de se servir de ses terres à ces fins.

[82]      Finalement, pour ce qui est de Louis Tanascon, M. Whiteduck confirme qu’il faisait partie de la communauté Algonquine.

2.2  Les témoins experts des défendeurs

2.2.1      Lynda Galipeau

[83]      Le Tribunal a qualifié Mme Galipeau comme experte en généalogie tout en exprimant des réserves quant à la valeur probante potentielle de son témoignage. Elle ne rédige pas de rapport mais commente certaines des lignées généalogiques.

[84]      L’ayant entendu, le Tribunal reconnaît qu’elle possède une grande expérience en recherche des lignées généalogiques, surtout dans la population autochtone ou métisse. Cependant, son témoignage comporte des limites, car elle identifie certaines personnes comme ayant des lignées métisses, sans pour autant pouvoir les associer à une communauté historique.

[85]      Ajoutons que l’essentiel de son travail en généalogie est accompli pour le compte de CMAM, ainsi que pour des personnes voulant devenir membre de l’organisme. Elle aurait aussi bien pu témoigner comme témoin ordinaire.

[86]      Dans le cadre de son travail pour CMAM elle a préparé plusieurs des listes de membres qui sont au dossier, dont une liste de membres au 10 avril 2015[28]. C’est la liste complète de l’époque. Une liste des ancêtres dans la région avant 1870 semble être un travail en cours[29]. La pandémie en ayant retardé la progression.

[87]      Mme Galipeau a également monté plusieurs catalogues donnant le portrait des personnes métisse dans différentes localités de la région[30].

[88]      Elle commente certaines lignées sur lesquelles elle a travaillé afin d’en confirmer l’exactitude d’après les recherches qu’elle a effectuées[31], et ce, parfois avec l’aide de la secrétaire de CMAM, Mme Sylvie Trudel. Mme Galipeau identifie les personnes métisses ou autochtones à l’aide des outils de référence qu’elle a à sa disposition, qui  comprennent des dictionnaires de généalogie ainsi que des certificats de baptême, de mariage et de décès. Une personne sur deux est identifiée comme Autochtone dans les actes qu’elle retient.

[89]      La lignée de Louis Généreux[32] offre un exemple à l’effet que ses méthodes de recherche sont possiblement limitées. François Tion, qui n’était pas autochtone, est à la tête de la lignée. Cependant, son frère, Charles Tion, se retrouve à la 8iéme génération. Il vivait dans la forêt avec les Autochtones et eut une fille avec une Amérindienne. Il semble qu’on ait attribué un statut d’autochtone à François Tion en considération de cette relation entre son frère et une femme autochtone.

[90]      Il en est de même avec la lignée Valiquette[33] proposée pour supporter le statut de M. Généreux. Son ancêtre, Nicholas Forget, était coureur des bois, mais Mme Galipeau ne possède pas de  preuve à l’effet qu’il était autochtone.

[91]      Dans une autre lignée, celle des frères Valiquette, elle retrace les liens autochtones à deux frères de Pierre Séguin, qui se retrouvent à la cinquième génération dans la lignée. Pour Mme Galipeau le lien autochtone de M. Séguin est présent, car ses frères se sont mariés avec des Amérindiennes[34].

[92]      Pour Laurier Riel, Mme Galipeau se dit incapable de trouver un ancêtre autochtone dans sa lignée[35]. Elle commente l’extrait des actes de baptêmes de la Paroisse de l’Assomption[36] que M. Riel a présenté comme document  voulant corriger une erreur dans sa lignée, sur la date de naissance de François-Xavier Riel. Elle soutient qu’il y a souvent des erreurs dans les registres, mais ne confirme toutefois pas qu’il y en ait une dans la lignée de M. Riel.

[93]      La lignée de Nazaire Brisson est contestable, car les actes consultés ne permettent pas d’y voir d’ancêtres autochtones ou métis[37]. Or, c’est à cette personne que M. Serge Paul retrace ses ancêtres, au moins en partie.

[94]      Confrontée à ce qui semble être un document de travail préparé par le stagiaire Alain Huot en relation à la création de différentes listes de membres, elle dit ne jamais avoir vu la mention « lignée contestable » que l’on retrouve dans la légende du document Excel[38].Elle semble également surprise par l’étendue de la région proposée par M. Huot pour déterminer l’éligibilité au membership dans la CMAM.

[95]      Finalement, elle précise que certaines personnes, antérieurement acceptées à titre d’ancêtres autochtones pour démontrer du sang mixte, sont maintenant contestées. Ces personnes incluent Catherine Pillard, Jean-Claude Landry, Jeanne Aunois.

[96]      Sur une autre liste dressée par CMAM[39], elle identifie certaines personnes ayant des liens avec les 54 familles que les experts des défendeurs identifient comme des familles historiques métisses de la région. Ces personnes s’y retrouvent, non pas en raison de leurs liens ancestraux autochtones, mais plutôt du fait  de leurs connections à une de ces 54 familles.

2.2.2      Bernard Allaire et Youri Morin

2.2.2.1        Le rapport Allaire Morin

[97]      Ce rapport  fut un travail collaboratif, bien qu’il semblerait que M. Morin en ait été le principal chercheur et auteur. Ce constat ne doit pas surprendre, car ce rapport est axé sur les lignées généalogiques et le métissage au Québec pour en arriver à la conclusion qu’il y avait 54 familles métisses dans la région de Lac Sainte-Marie. Le mandat est décrit en ces termes :

En l'absence de reconnaissance politique de leurs droits métis, les membres de la communauté métisse du Lac Sainte-Marie et les environs, en Outaouais et dans la vallée de la Haute-Gatineau, au Québec, ont donné mandat à un généalogiste et à un historien d'étudier l'ethnogenèse de leur communauté, du contact à 1854, en contexte historique, politique et démographique, et de répondre à sept questions de recherche.[40]

[98]      Bien que d’un point de vue historique, tout le rapport soit intéressant, les questions suivantes sont les plus pertinentes pour le Tribunal :

5. Quelle est l'ampleur du métissage au Canada et en périphérie avant 1763 ? et dans le Bas-Canada en 1854 ?

6. Quels sont l'identité, l'ascendance ethnique, l'origine géographique et le mode de vie des personnes au Lac Sainte-Marie et ses environs entre 1840 et 1854 ?

7. Quand commence la colonisation légale du territoire sous étude ?[41]

[99]      Le rapport comporte un chapitre sur les Algonquins et leur mode de vie qui est également pertinent vu l’intervention de KZA.

2.2.2.1.1      Les Algonquins

[100]   Les auteurs les décrivent comme des chasseurs et des cueilleurs qui mènent plutôt une vie de nomades. Ils exercent leurs activités essentiellement sur le même territoire que celui où les défendeurs et l’intervenant revendiquent des droits.

[101]   Les terres de chasse sont décrites en ces termes :

Les « terres de chasse » des Nipissings et des Algonquins qui fréquentent le Lac des Deux-Montagnes sont décrites de la façon suivante :

Les Nipissings et les Algonquins se rendent sur leurs terres de chasse qui s'étendent depuis la pointe à l'orignal au-dessus du Long- Sault sur la rivière des Outaouais jusqu'au Lac Nipissing, et renfermant toutes les rivières, ruisseaux, etc, qui se jettent dans la rivière des Outaouais, depuis leurs sources au nord et au sud.[42]

[102]   Leurs terres sont envahies par des squatters qui œuvrent dans l’industrie forestière. De 1763 à 1852, les Algonquins de la région adressent plusieurs pétitions aux autorités leur demandant de protéger leurs terres ou de leur en octroyer de nouvelles. Ils affirment avoir été dépouillés de leur territoire et demandent de nouvelles terres de chasse et de pêche pour eux et leurs enfants.

[103]   La réserve Kitigan Zibi est créée en 1853.

2.2.2.1.2      Le métissage

[104]   Le rapport réfère aux travaux du généalogiste René Jetté, pour identifier seulement 19 unions ou mariages interethniques entre Français et Amérindiennes célébrés au Canada, au Saguenay et dans les bois entre 1627 et 1697.

[105]   En l'absence de beaucoup de registres de baptême, de mariage et de sépulture (BMS), celui des baptêmes à Sillery et les trois Registres de BMS Tadoussac permettent aux auteurs de constater l'ampleur du métissage devenu « un fléau » au milieu du XVIIIe siècle et de transposer cette constatation en d'autres régions périphériques à la même époque, notamment sur le territoire sous étude.

[106]   Les auteurs considèrent également les registres de BMS établis aux postes de traite dans l’Outaouais à partir de 1836. Ils disent :

En 1836-1838, il existe donc trois groupes distinctifs sur le territoire : des Blancs (ou Euro-canadiens, Canadiens français, Anglais, Écossais et Irlandais), des Métis d'ascendance interethnique et deux groupes d'Amérindiens, l'un formé de chasseurs convertis qui fréquentent la mission du Lac des Deux-Montagnes, l'autre constitué d'Infidèles, selon le mot des missionnaires.[43]

[107]   Ils se réfèrent à Hughes pour soutenir qu’à cette période, parmi les trois groupes autochtones sur le territoire, dont les Algonquins, les Nipissings et les Iroquois presque deux tiers étaient des Métis.

[108]   Les auteurs rapportent l’arrivée des familles McPherson et Naud à la région vers la même époque.

[109]   La mission du Lac Sainte-Marie voit le jour et vers 1840 on commence à y célébrer des baptêmes et des mariages. Ceux-ci continuent et au total, c'est 47 baptêmes, huit mariages et deux actes de sépulture qui sont enregistrés de 1840 à 1848 au Lac Sainte-Marie.

[110]   Les auteurs rapportent la description que le prêtre Desautel donne à la communauté en 1842 :

[Le Lac Sainte-Marie] est à 20 lieues de l’embouchure de la Gatineau, et compte 14 familles canadiennes. J’ai visité ce poste deux fois, et j’ai toujours trouvé les habitants bien disposés à consoler le missionnaire des fatigues qu’il a à essuyer pour pénétrer jusqu’à eux, par leur ponctualité à assister à tous les exercices de la mission. La plupart des gens de ce lac vivent de la chasse et de pêche qu’ils font dans les grands lacs voisins, qui sont très poissonneux; ils sont presque tous pauvres. Comme leurs maisons sont généralement petites, je les ai engagés, pendant ma dernière mission, à se cotiser entre eux pour bâtir une maison décente qui leur servirait de lieu de réunion les jours de dimanches et de fêtes, et de chapelle dans le temps de la mission : ils m’ont paru disposés à le faire. Il n’y a pas un seul protestant dans toute cette mission.[44]

(Le Tribunal souligne)

[111]   Et, un autre des dossiers des Oblats :

En remontant la Gatineau jusqu’à 20 lieues de son embouchure, on trouve à deux milles de la rive gauche, un petit lac nommé Walliag Kang auquel on donne aussi le nom de Ste Marie, à cause d’une petite chapelle élevée sur ses bords depuis cinq ans par les soins de M. Desautels (Joseph) et dédiée à la Ste Vierge. Seize familles canadiennes, métisses et sauvages, y ont fixé leur demeure. Nous leur avions donné, il y a deux ans, une courte retraite.[45]

(Le Tribunal souligne)

[112]   En 1846, l’arpenteur John Newman parle des « settlers ».

[113]   En 1848, l’arpenteur John Snow mentionne des « inhabitants » qu’il décrit en ces termes :

The inhabitants heretofore have subsisted chiefly by hunting & fishing of which the lakes & vicinity afford a superabundance. They are commencing however to pay more attention to the improvements of their farms.[46]

(Le Tribunal souligne)

[114]   Le rapport fournit une liste de 20 hommes au Lac Sainte-Marie dont la superficie de terre est défrichée, d’où la terre de François Naud qui en a défriché 70 acres.

[115]   Les auteurs considèrent que les informations colligées dans le carnet d'arpentage de Snow et dans les actes de BMS permettent d'identifier des Métis et des familles métisses au Lac Sainte-Marie entre 1840 et 1848.

[116]   Ils répertorient les familles de la région et, comme le Tribunal a dit, concluent qu’il y avait 54 familles métisses dans la région.

[117]   Ce n’est pas juste l’agriculture, la traite de fourrure et la chasse qui occupent les résidents. L’industrie forestière a une place importante :

Dans leur narration de voyage du 19 février 1845 à Mgr Bourget, le père Durocher écrit que leur mission a commencé par le Lac Sainte-Marie qui est entouré de quatre chantiers forestiers et qu'ils y ont érigé un chemin de la croix.[47]

[118]   À Manawaki les auteurs se fient sur le généalogiste Pierre Bernard pour dire que la plupart des familles qui s’y retrouvent en 1851 sont de descendance métisse.

[119]   M. Allaire et M. Morin regardent également les familles distinctives du Lac Sainte-Marie entre 1837-1848 dont certaines avec des liens métis:

         François Naud, ancien guide de la HBC au Grand Lac (Victoria), épouse Élizabeth McPherson, Métisse, à Montréal en 1838, née au Grand Lac, fille d'Andrew, commis de la HBC, et d'Ikwesens, « Sauvage infidèle du Grand Lac »;

         Louis Fournier, ancien voyageur originaire du Canada et du territoire indien est l'époux de Philomène McPherson, Métisse, fille d'Andrew et de Marguerite, sœur ou demi-sœur d'Élizabeth;

         Joseph Lavallée, autre ancien voyageur, est l’époux de l'Amérindienne Marie-Angélique Masanakomikokwe;

[120]   La plupart de chefs de famille sont reliés à la traite de fourrure mais Naud et Fournier s’occupent de leurs terres sur le plan de l’agriculture. Andrew McPherson et son épouse étaient également très liés à la traite de fourrures.

[121]   Allaire et Morin réfèrent à un autre historien, Norman Anick, qui estime que dans les années 1840, la moitié des employés de la HBC étaient des Métis. Ils estiment que c’est surtout eux qui s’établissent alors au Lac Sainte-Marie.

[122]   Ils parlent de la communauté en ces termes :

Malgré ses origines diverses et ses ascendances multiples, le noyau de la communauté au Lac Sainte-Marie est homogène. En 1840, une matriarche amérindienne, « cinq ou six old voyageurs » et leurs épouses amérindiennes créent la communauté catholique du Lac Sainte-Marie. De 1838 à 1848, d'autres personnes et familles se joignent à eux, très souvent de proches parents, notamment Casimir Riel, qui rejoint sa soeur Catherine-Euphrosine Riel en 1838, et Émilien Riel qui débarque en 1844 ; ou François-Isaac Truchon dit Léveillé qui rejoint sa nièce au Lac en 1839, Marie-Madeleine, avec son frère Jean-Louis Truchon dit Léveillé, suivis de Jean-Baptiste Truchon dit Léveillé qui arrive en 1847. La grande majorité des occupants du Lac Sainte-Marie tissent entre eux des liens familiaux et sociaux. Ils partagent aussi des intentions communes : ils sont presque tous catholiques et s'engagent presque tous au principe de la tempérance et d'une vie chrétienne. Ils placent leur communauté sous la protection de la patronne des pêcheurs. Ils vivent de chasse, de pêche et d'un peu d'agriculture et sûrement que les hommes font la traite des fourrures au printemps le long de la Gatineau avec les chasseurs amérindiens, comme l'écrit Me Louis-André Hubert.[48]

[123]   En revanche, les auteurs ne fournissent pas de références qui permettraient de constater que les personnes de la communauté vivaient surtout de la chasse et de la  pêche de subsistance.

2.2.2.1.3      Les réponses aux questions 5, 6 et 7

[124]   Le Tribunal estime utile de les reproduire, car elles reflètent le focus du rapport :

Question 5 : dès le milieu du XVIIe siècle, les Algonquines refusent le mode de vie des Français et s'enfuient du premier pensionnat pour filles. Seulement 19 mariages interethniques sont célébrés au Canada avant 1700. À l'extérieur de la petite colonie française dans la Vallée du Saint-Laurent, un nombre indéterminé mais très élevé de truchements, de coureurs des bois et de voyageurs français hivernent en territoire indien, s'ensauvagent, s'unissent aux Amérindiennes à la mode du pays et ont des enfants, sans laisser de traces dans les registres de BMS de l'Église catholique (chapitre 1, 2 et 3). En 1854, les deux tiers des Algonquins et des Nipissing du Lac des Deux-Montagnes sont « métis ».

[125]   Cette réponse doit être lue avec la définition que les auteurs donnent au terme Métis, voulant qu’un Métis soit une personne issue d’une union interethnique entre une Amérindienne et un Euro-canadien[49]. Nous voyons donc que les auteurs ne considèrent pas de traits culturels distinctifs dans leur définition. Leur idée que ces personnes sont métisses est surtout basée sur le sang.

Question 6 : en 1763, le moyen-nord ouest du Québec est réservé aux peuples                                                   autochtones pour exercer leur mode de vie ancestral. Dès la fin du XVIIIe siècle, la rivière Outaouais est envahie de Loyalistes anglais, d'Irlandais, d'Écossais, d' Américains et de Canadiens de langue française originaire de la Province of Quebec et du Bas-Canada. À partir de 1840, le territoire sous étude est envahi de squatters et de forestiers. La période de la colonisation légale commence avec l'arpentage du territoire sous étude, la proclamation des cantons le long des rivières Gatineau et du Lièvre, l'abolition du régime seigneurial au Québec en 1854 et l'octroi éventuel des premiers titres fonciers dans la région.

[126]   Ces constats ne semblent pas propices au développement d’une communauté métisse avec des pratiques culturelles distinctives.

Question 7 : originaire du Canada et du territoire indien, des familles canadiennes, indiennes et métisses occupent le Lac Sainte-Marie et les environs entre 1838 et 1848. Les Métis et les familles métisses sont identifiés sur le territoire sous étude en couplant ensemble les informations contenues dans les actes de BMS, les rapports des religieux et les rapports des arpenteurs. Au moins 17 familles métisses sont établies au Lac Sainte-Marie entre 1837 et 1848, sept à la Visitation, 14 au Lac des Sables et à la rivière du Lièvre, pour un total d'au moins 38 familles métisses. La communauté métisse est créée au Lac Sainte-Marie en 1840 par d'anciens voyageurs dans la traite des fourrures et leurs conjointes métisses et amérindiennes qui renomment le lac et se placent sous la protection de la Vierge Marie.[50]

[127]   Nous comprenons qu’il s’agit là de l’établissement de familles métisses; mais nous ne repérons pas de lien entre la présence de ces familles et l’existence d’une communauté possédant les caractéristiques discutées dans Powley. Nous avons l’impression que les auteurs concluent que la présence de plusieurs familles dans un même endroit équivaut  à une communauté.

[128]   Leur définition de la famille métisse renforce cette impression.

Famille métisse : désigne un groupe de personnes formé d'un père et d'une mère d'ascendance interethnique, ou de l'un des deux, avec au moins un enfant métis non marié et sans enfant;

[129]    Bref, le rapport focusse sur l’existence de familles interethniques sur le territoire, car les auteurs considèrent qu’une famille interethnique est une famille métisse. Nous verrons plus loin que les experts du PGQ les considèrent des familles métissées.

2.2.2.2        Les témoignages
2.2.2.2.1      Youri Morin

[130]   À certains égards le profil de M.  Morin est semblable à celui de Mme Galipeau. Comme elle, il s’intéresse à la généalogie. Il apprend comment effectuer les recherches en généalogie au moyen de lectures et d’études qu’il fait lui-même. De retracer les unions métisses au Québec est devenu un projet personnel pour lui. Le Tribunal l’a reconnu comme expert en généalogie, bien que sa formation soit surtout autodidacte.

[131]   Le Tribunal doit également considérer le fait que M. Morin a été retenu par CMAM afin qu’il prépare les lignées généalogiques de ses membres.

[132]   En complément des documents dont se sert Mme Galipeau, il consulte des dossiers d’arpentage ainsi que des contrats d’engagement pour l’industrie de la fourrure. Il explique toutefois que les sources de l’époque sont très précaires. Certaines ont brûlé ou ont été perdues autrement. Il doit visiter plusieurs paroisses de la région pour tenter de reconstruire les lignées généalogiques des premiers Métis de la région. Les registres paroissiaux de Pembroke donneront les premières informations sur l’arrivée des personnes interethniques au Lac Sainte-Marie.

[133]   Au 17ième siècle il identifie 19 couples en union interethnique, mais pas dans la région du Lac Sainte-Marie.  Cependant, il y beaucoup des descendants de ces personnes qui œuvraient dans l’industrie de la fourrure. Il décrit les personnes dans ces unions interethniques comme étant indépendantes et intrépides; des gens qui bougent beaucoup. M. Morin les suit, souvent par leur implication dans l’industrie de la fourrure, pour voir si des communautés historiques se sont développées plus tard, dont une dans la région qui fait l’objet du présent litige.

[134]   En effectuant ces recherches, il constate le début d’une mission au Lac Sainte-Marie autour de 1840, bien que les registres de la paroisse soient commencés beaucoup plus tard.  De 1837 à 1848 il dépiste  16 familles métisses qui occupent le Lac Sainte-Marie[51].

[135]   En 1849, il y a quarante-deux habitants de La-Visitation de Gracefield qui signent une pétition pour obtenir des terres. Il estime que cette pétition permet de considérer qu’il y avait sept autres familles interethniques dans la région.

[136]   Il continue à étudier des familles sur la rivière du Lièvre et au Lac des Sables et conclut qu’il y existe 14 autres familles interethniques. Dans le registre de Buckingham il en trouve 17 autres, et ce, autour de 1860.

[137]   Toutes ses recherches concluent alors à un total de 54 familles interethniques.

[138]   M. Morin confirme qu’il considère qu’un enfant d’une telle union est un enfant Métis, et ce, tout en reconnaissant que ni l’un ni l’autre des parents de cet enfant ne soit Métis et peu importe les pratiques culturelles de la famille. M. Morin discute également des lignées généalogiques de certains membres de CMAM. Serge Paul est descendant de Catherine Annennontak. Par la branche Cadotte, cette famille fait partie de la communauté métisse à Sault Sainte-Marie. M. Paul aboutit à Maniwaki par la suite. Ce que M. Morin ne mentionne pas est que, alors jeune bébé, Catherine Annennontak se refuge à Québec avec sa mère et sera bientôt élevée par les sœurs Ursulines. À part lors de sa très jeune enfance, elle n’a jamais vécu dans une communauté autochtone.

2.2.2.2.2      Bernard Allaire

[139]   M. Allaire témoigne sur les aspects historiques de l’implantation des Métis dans la région. Le Tribunal le qualifie comme historien.

[140]   Quant à sa participation à la rédaction du rapport, il est difficile de l’évaluer avec certitude. Il donnait  la structure du rapport à M. Morin et il l’a sûrement aidé à la rédaction, mais il semble que le gros du travail ait été fait par M. Morin. Par ailleurs, l’approche de M. Allaire à son témoignage était curieuse, car il n’avait même pas son rapport devant lui. De plus, il verbalise avoir rédigé le chapitre 4, alors que M. Morin dit l’avoir rédigé.

[141]   Au niveau des critères de sa recherche, il semble s’en remettre à l’arrêt Powley; le rapport n’énumère pas de critère de recherche. M. Allaire décrit le rapport en ces termes : « Il ne s’agit pas d’un livre sur le métissage, c’est un rapport de recherche qui présente la généalogie des groupes métis. » Cependant, le travail de M. Morin n’était que « la pointe de l’iceberg » concernant le métissage au 19 siècle. Il n’y avait pas de fonds suffisants pour faire une étude plus exhaustive.

[142]   M. Allaire estime que les Autochtones ont commencé à travailler avec les Européens dès le 16ième siècle et offre au Tribunal un certain historique de leur implantation dans le Bas-Canada depuis. Bien que son discours fût très intéressant, il s’est parfois éloigné des questions en litige.

[143]   Pour lui la période coloniale a commencé à la fin du 16ième siècle quand les baleiniers sont arrivés à Tadoussac.

[144]   Les premiers truchements mis en place par Champlain sont Nicolas Marsolet, Étienne Brûlé, et Jean Nicolet. Il les implante parmi les Amérindiens afin qu’ils apprennent la langue et les pratiques. La traite de fourrure s’établit vers 1650 à 1660. À cette époque, le métissage prend son envol, à cause des coureurs des bois qui se multiplient.

[145]   À partir des années 60, il y a un autre changement historique. Les Français décident de remplacer les Autochtones comme intermédiaires pour aller chercher les fourrures. Il y a plus de Français qui voyagent à l’intérieur du pays pour aller chercher les fourrures. Ils vont vers l’Outaouais et les Grands Lacs, voire les terres principalement habitées par les Hurons, dit M. Allaire.

[146]   Les conditions pour le métissage s’améliorent vers 1701 avec la grande paix de Montréal qui doit mettre fin aux guerres entre les Iroquois et d’autres Premières Nations. C’est encore plus le cas en 1715, la situation en Europe étant devenue plus stable. On commence à parler de Métis ou de « Bois-Brûlés» vers cette période selon M. Allaire.

[147]   À Détroit, Michilimackinac et à Sault-Sainte-Marie se retrouvent des emplacements de commerce où sont installées plusieurs familles métisses.

[148]   Quant à la composition d’une famille métisse, il en accepte la définition reproduite ci-haut, même si le seul ancêtre autochtone remonte à 20 générations. C’est de la sorte que Nazaire Brisson s’affirme Métis, dit-il.

[149]   Il estime que Catherine Annennontak aurait pu transférer la culture métisse à ses enfants en dépit du fait qu’elle ait été éduquée par les Ursulines depuis un très jeune âge.

[150]   Les Métis sont souvent recherchés pour travailler dans l’industrie de la fourrure, dit-il, mais ne peut pas confirmer une surabondance de Métis dans l’industrie.

[151]   Les enfants qui sont éduqués par les deux parents, dont un est d’ascendance mixte, est un identificateur retenu comme déterminant d’un enfant métis.

2.2.3      Sébastien Malette, Guillaume Marcotte et Michel Bouchard

2.2.3.1        Le rapport Malette, Marcotte et Bouchard[52]

[152]   Le rapport conclut à l’existence d’une communauté métisse régionale dans la région de Maniwaki. La mainmise se situe entre 1850 et 1860. Le sommaire exécutif est rédigé en ces termes :

Les conclusions de ce rapport font état de l’existence d’une communauté historique mixte d’ascendance indienne et européenne dans la région de Maniwaki (Québec). Cette communauté de type régional est principalement issue de la coalescence entre d’anciens employés des compagnies de traite des fourrures, de traiteurs indépendants et de familles métisses et canadiennes locales.[53]

 

[153]   Parmi les différentes questions auxquelles les auteurs s’adressent, le Tribunal estime les questions suivantes les plus pertinentes :

4. Y retrouve-t-on des exemples de reconnaissance culturelle, par les autres, ou autodescriptive (qui peuvent être collectives ou individuelles)?

5. Y retrouve-t-on des descriptions ou indices de structures sociales (de parenté et/ou occupationnelle), par exemple liées à des missions ou postes de traite?

6. Y retrouve-t-on des éléments politiques ou idéologiques, par exemple des pétitions ou des demandes formulées au nom de Métis?

7. Y retrouve-t-on des éléments géographiques, par exemple des indications de communautés ou de missions environnant un poste de traite?

8. Finalement, y retrouve-t-on des éléments culturels, par exemple la fabrication de mocassins, canots d’écorce, culture religieuse, habitation distinctive?[54]

[154]   Le rapport énonce la perspective des auteurs sur l’existence d’une communauté métisse en faisant référence à trois types de caractéristiques :

Malgré ces débats, il est généralement admis que la notion de communauté est intimement liée à celle d’une entité sociale qui peut exister selon diverses formes d’attachement, et/ou un sentiment d’appartenance (lié à un passé commun et/ou à un destin imaginé comme étant partagé), des valeurs et/ou croyances et/ou intérêts communs, et/ou des relations ancestrales ou familiales valorisées par les membres. Selon ces caractéristiques, il semble donc que la description d’une communauté n’implique pas nécessairement une proximité géographique (Azarya 2003; Calhoun 2002b).[55]

[155]   En revanche, il explique à peine la possible contradiction entre ces propos et ceux qui suivent, tout de suite après dans le rapport :

Généralement, la notion de communauté signifie un type de collectivité ou de groupe partageant un lieu défini et/ou un endroit géographique (quartier, ville, zone côtière), et/ou des traits ou caractéristiques communes, et/ou un sens d’appartenance menant à un sens identitaire partagé, par exemple au sein d’un groupe ethnique, religieux ou professionnel (Azarya 2003).[56]

considérant que ces écrits mettent une plus grande emphase sur un emplacement géographie plus restreint.

[156]   Il est également utile de reproduire les marqueurs ethnoculturels que les auteurs retiennent :

1. Un parentage européen et autochtone chez les Métis de l’Outaouais atteste dans les documents historiques (majoritairement canadien français ou écossais, et algonquin);

2. L’usage prédominant et remarque du français chez les Métifs ou Bois-Brules de l’Outaouais en lien avec ce parentage (langue que souvent les Indiens de l'intérieur ne parlent pas ou peu);

3. Une maitrise de langue(s) autochtone(s) appréciée chez les Métis de l’Outaouais en lien avec leurs rôles socioculturels et professionnels intermédiaires;

4. Une présence prêtant la colonisation agricole remarquée et une connaissance intime du territoire, comme chasseurs, trappeurs, pécheurs et guides chez les Métis de l’Outaouais (se distinguant ainsi des agriculteurs canadiens de la vallée du Saint-Laurent);

5. Un mode de vie issu de niches occupationnelles propres à la traite des fourrures (interprètes, rameurs, guides, diverses fonctions au poste de traite);

6. Une mobilité interne ou professionnelle, intimement liée au réseau de la traite des fourrures (plutôt que le nomadisme saisonnier indien);

7. Une réceptivité significative des Métis de l’Outaouais au christianisme (plutôt qu’au paganisme indien);

8. L’usage de cabanes à proximité des postes de traite (contrairement à la tente indienne , en écorce au début du 19e siècle, plus tard en toile de coton);

9. Une maitrise remarquée d’industries et d’artisanats qualifies de sauvages ;

10. La présence d’identification collective et distinctive dans les sources historiques comme Métis (ou autres synonymes) au sujet de la population à l’étude.[57]

[157]   Le rapport comprend également des extraits de certaines entrevues réalisées sous la direction du professeur Denis Gagnon dans le cadre de la Chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse avec des ainés Métis. Le PGQ en a reproduit les transcriptions intégrales[58].

[158]   M. Paul-Émile Nault fait le constat qu’il y avait beaucoup d’unions entre les Canadiens-français et les Indiennes.

[159]   Mme Lilianne Cyr parle d’une fille qui vivait seule dans les bois et qui travaillait le cuir et le bois.

[160]   M. Norman Henrie, descendant de Philomène McPherson, mentionne la famille métisse, Knight, qui habitait le Lac Sainte-Marie. Il souligne le mode de vie lié à la fourrure, au piégeage, de même qu’à la pratique de contrebande de boisson. En revanche, la transcription complète démontre que tout en admettant que les habitants du Lac Sainte-Marie reconnaissaient avoir du sang Indien, ils s’identifiaient comme Canadiens-français. M. Marcotte explique que les auteurs ont manqué de temps et ont par conséquent choisi les extraits qu’ils estimaient être les plus pertinents.

[161]   Les auteurs retiennent de Mario Charpentier :

 Mes branches métisses, sur le côté de ma mère, c’est Algonquin. C’est tout métissé. Et il y a une branche qui remonte du côté des Métis jusqu’à Moïse Ouellette, Manitoba. On a même la photo de Moïse Ouellette. [...][59]

[162]   Cependant, les auteurs n’ont pas vérifié cette affirmation, alors que la lignée généalogique de la mère montre une ancêtre Algonquine, Jeanne Aunois, qui épouse Pierre Lefevre en 1846 à Trois-Rivières[60]. Or, nous savons que les lignées vers Mme Aunois sont contestables.

[163]   Un autre élément curieux en relation aux entrevues. M. Bouchard n’a pas lu les transcriptions intégralement, laissant cette tâche à M. Marcotte dit-il.

2.2.3.2        Les témoignages
2.2.3.2.1      Sébastien Malette

[164]   Malgré qu’il n’ait pas étudié dans le domaine, depuis 10 ans M. Malette s’intéresse à l’histoire des Métis de l’est du Canada. Il est qualifié expert en études métisses.

[165]   Tout en concluant à l’existence d’une communauté, M. Malette retient leur grande mobilité à titre de trait distinctif des Métis. Mais, en revanche, il n’est pas en mesure de confirmer que des Métis de différents endroits se connaissent.

[166]   Son approche à la notion de communauté est possiblement influencée par ses réserves sur l’arrêt Powley qu’il conteste dans son rapport de 2015[61] :

[42] Bien que l’inclusion des « Métis » en vertu de l’article 35 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982 contribue à l’interprétation de la Proclamation Royale de 1763, nous soumettons respectueusement l’opinion qu’il serait possiblement préjudiciable aux « Métis » pouvant être concernés de réduire la promesse à teneur constitutionnelle faite aux « Sauvages » dans la dite Proclamation Royale de 1763 (alors inclusive des « Métis ») aux exigences de prouver les droits ancestraux des « Métis » selon un approche qui serait excessivement restrictive—tout spécialement s’agissant de la démonstration d’une communauté historique métisse et d’une communauté contemporaine particulière suivant l’arrêt R. c. Powley [2013], 2 S.C.R. 207, 2003 SCC 43.

 

[167]   Dans les documents qu’il a étudiés pour le rapport, il n’est pas en mesure d’identifier un lieu ou un événement où les Métis de la région se réuniraient annuellement pour exercer une activité, tout en disant que les auteurs n’ont pas regardé les données avec cette question en tête.

[168]   Pour M. Malette, la culture distinctive est liée au commerce de la fourrure. Les Métis font beaucoup de piégeage qui s’avèrent un marqueur distinctif de leur culture. Il soulève l’appréhension des compagnies de traite face à une réalité où beaucoup de Métis s’engagent dans cette industrie, mais à l’extérieur de l’encadrement des compagnies de traite.

[169]   Il soulève également le rôle des Métis comme intermédiaire entre les Indiens et les blancs pour faciliter la vente de l’alcool aux Indiens.

[170]    Le fait qu’ils parlent français et une langue autochtone leur permet d’agir comme intermédiaires entre les trappeurs et les postes de traite.  

[171]   Les Métis ne sont pas attirés par l’agriculture. De plus leur implication dans le trappage les distingue des Français qui sont plutôt portés à chasser.  Il estime que la chasse et la pêche sont des éléments caractéristiques de leur mode de vie qui permettent d’identifier une communauté distincte.

[172]   Ils vivent dans des cabines de bois rond, un style de vie différent des Indiens qui se servent de tentes. Ils sont, pour la plupart, des « squatters », car ils n’ont pas de terres attitrées et ne peuvent pas vivre sur les réserves.

[173]   La mobilité des Métis est aussi un marqueur distinctif.

[174]   Dans le rapport il fait la distinction entre l’endogamie, qui désigne une pratique qui consiste à s’unir (ou se marier) à l’intérieur du groupe d’appartenance ou d’identification ethnique, et l’exogamie qui est la pratique inverse de se marier à l’extérieur du groupe d'appartenance ou d’identification ethnique. Le groupe peut être un groupe de familles, un clan, une communauté religieuse, un groupe ethnique, une caste, une nation, etc.[62]

[175]   M. Malette estime que c’est possible d’avoir des liens ancestraux par le biais de liens endogamiques et exogamiques. L’identité peut persister même après plusieurs générations de mariages avec des personnes qui ne sont pas Métis.

[176]   La mainmise date d’entre 1850 et 1860 selon l’expert Malette.

2.2.3.2.2      Michel Bouchard

[177]   M. Bouchard est anthropologue de formation et le Tribunal l’a reconnu comme expert en anthropologie.

[178]   Il a déjà travaillé avec M. Malette et M. Marcotte pour réaliser la publication de certains livres sur les Métis du Québec et de l’Outaouais. Cependant, avant qu’il ne collabore avec eux sur le rapport ses recherches étaient surtout axées sur les Métis à l’échelle continentale.

[179]   Il explique que les habitants du Lac Sainte-Marie s’adonnaient à la contrebande de fourrure, à l’opposé de  la Compagnie de la baie d’Hudson (CBH). La communauté réfugiait ceux qui souhaitaient  esquiver leurs contrats avec la CBH.

[180]   Ils habitaient dans des cabanes et pouvaient avoir des petits jardins. Ces petits marchands de fourrure, faisaient également la chasse, la pêche et la cueillette.

[181]   Il reconnaît que les Algonquins pratiquaient la chasse à l’instar des Métis, mais qu’il y avait certaines distinctions bien que subtiles. Voici ce qu’il a dit :

« On utilise peut-être les mêmes fusils, on utilise les mêmes moyens, les mêmes pièges, mais il y a quand même, pour le subtil, on voit qu’il y a des différences.[63]

[182]   Cependant, il n’offre pas ses observations sur ces différences.

[183]   Quand il aborde la continuité de la communauté historique, M. Bouchard  met une certaine emphase sur Paul Riel, né vers 1849, nous présumons à cause de sa connaissance de la région et des langues autochtones. M. Riel aurait apporté des médicaments aux familles plus au nord du Lac Sainte-Marie en 1880. Cependant, selon le rapport, ce n’était pas aux familles métisses qu’il apportait les médicaments, mais aux Têtes-de-Boule.  Malgré ces voyages qu’il accomplissait seul, au recensement de  1881, on l’identifie en tant que « French Canadian farmer ». Et, les Autochtones le considéraient comme un « blanc ». Cependant, son neveu Paul Riel, héro de la Première Guerre Mondiale est décrit comme Métis. Selon M. Bouchard, il s’agit d’un exemple qui démontre que les Métis n’étaient pas un peuple dominant. Il y avait de la confusion quant à l’ethnogenèse de ces personnes.

[184]   M. Bouchard parle également de diverses familles ayant des ancêtres au Lac Sainte-Marie, dont la famille de François Naud. Il rapporte que le fils de François Naud, Daniel, récemment engagé dans la traite de fourrure, a loué un lot sur la réserve Algonquine en 1891.  Il estime que cette information démontre  que la famille Naud a continué à être impliquée dans l’industrie de la fourrure. M. Naud aurait abandonné le lot environ cinq ans plus tard sans l’avoir amélioré[64]; selon M. Bouchard un indice de pratique courante chez les Métis. Voici ce qu’il est dit dans le rapport :

Ce portrait n’est pas sans rappeler celui de la communauté du Lac Sainte-Marie ou du Sault-Sainte-Marie, où l’on rapportait dans les années 1830, 1840 et 1850 les établissements métis souvent « abandonnés », où les habitants se préoccupent davantage de chasse, de pêche et de traite, que de valorisation de parcelles de terrains.[65]

[185]   Pierre Chaussé était un autre acheteur de fourrures. Il avait également un petit magasin que le père Guéguen remarque en 1899 à Michomis, sis à une centaine de kilomètres de Maniwaki[66].

[186]   M. Bouchard commente le passage suivant d’une lettre de N. Z. Lorrain en avril 1894 :

« Les missionnaires à Micomis, desserviraient toutes les missions actuellement sous les charges du Père Guéguen dans le vicariat, de plus, ils donneraient leurs soins à quelques blancs, à des sauvages et à des métis assez nombreux dans le diocèse d’Ottawa sur les Rivières Gatineau et Lièvre.[67]

[187]   D’après M. Bouchard, la lettre démontre que le missionnaire était en mesure de faire la distinction entre les Métis et les Indiens.

[188]   En grande partie, le restant du témoignage de M. Bouchard est dédié à la description de diverses familles métisses durant la même période et la difficulté que certains hommes métis éprouvaient à habiter les réserves, tout en étant mariés avec une Indienne. Bien sûr ce témoignage démontre la distinction entre les deux peuples, mais s’éloigne de la question de l’existence d’une communauté avant la mainmise.

[189]   M. Bouchard estime également que même si un membre de la communauté métisse se dirigeait vers la communauté algonquine, qu’il ne perdait pas son identité métisse.

[190]   Il revenait également à M. Bouchard de commenter la pétition de 1873 contre l’agent indien White, dont un extrait se lit :

That owing to the partial and unjust manner he has discharged his duties he has lost the confidence of all classes of the community in this section. [...] Your petitioners therefore hope that M White will immediately be replaced by a man in whom the general public will have confidence as we are certain his removal will avoid impending trouble and tend to cement the friendly relations which should exist in a mixed community like this.[68]

[191]   M. Bouchard trouve révélateur que les personnes qui signent la pétition s’identifient elles-mêmes en tant que communauté mixte. La référence à une communauté mixte se veut un indice qu’elle comportait des personnes métisses. En revanche, il reconnaît que la communauté comportait également d’autres ethnies; la communauté métisse se retrouvait elle-même à l’intérieur de la communauté mixte.

[192]   Une autre pétition des Algonquins de 1874 réfère à des « Half-breed Scotch et Half-breed French »[69]. M. Bouchard croit que cette distinction s’est minimisée avec le temps. De plus, et c’est curieux, il perçoit ces pétitions comme une activité politique de la part des Métis.

[193]   Les propos de l’agent indien Martin en 1893, confirment l’existence d’une communauté tripartite dans la région. M. Bouchard, citant le père Joseph Étienne Guinard, offre l’opinion que la même réalité perdurait à Maniwaki en 1940.

[194]   Le père Guinard disait ceci dans ses mémoires :

Le sang indien mêlé à celui des blancs forme une race belle et très résistante. Comme les indiens, ces métis aiment la chasse, les bois et ils ont le sens de l’orientation très développé, même la nuit — nos immenses forêts ne peuvent – les égarer. Puis ils trouvent leur vie là où les blancs mourraient de faim. Comme l’indien encore, les métis ne tiennent pas longtemps à l’ouvrage, ils aiment la liberté le grand air et à voyager, mais rarement ils émigrent ; ce n’est pas pour eux ce reproche de la Bible : « Un homme qui abandonne son propre lieu, est comme un oiseau qui quitte son nid. »[70]

[195]   La chasse, la pêche et la connaissance de la forêt, selon M. Bouchard, constituent des traits culturels des Métis.

[196]   La messe était un moment de rassemblement pour les Métis de la région. Il cite plusieurs cas où les parrains ou marraines des enfants métis sont des Métis eux-mêmes, dont les familles Riel et Chaussé.

[197]   Finalement, répondant à des questions proposées par le rapport, il opine qu’il y avait 19 familles métis dans la région, avec des ascendances européennes et autochtones.

[198]   M. Bouchard parle aussi de l’histoire récente des Métis dans la région de Maniwaki. Au rapport, les auteurs estiment que « les Métis de la région de Maniwaki furent parmi les premiers à s’organiser et rejoindre un mouvement panquébécois qui visait la défense identitaire et collective des Métis et des Indiens sans statut »[71].

[199]   Il est questionné sur la source de cette affirmation par Rhéal Boudrias. Or, dans une entrevue du juin 1980, ce dernier dit au chroniqueur que pour lui, au Québec, contrairement à l’ouest, il n’y a pas de peuple métis. Les membres du mouvement étaient des Indiens[72].   Les auteurs ont choisi l’extrait ci-haut car il illustre leur point.

[200]   Un membre du bureau de recherche de L’Alliance Laurentienne présente le même avis en 1979 ajoutant que les Métis sont absorbés soit dans la culture indienne, soit dans la culture des blancs[73]. M. Bouchard y voit une recherche préliminaire et n’y voit pas la voix de la communauté.

 

2.2.3.2.3      Guillaume Marcotte

[201]   M. Marcotte fut qualifié comme expert en histoire.

[202]   Son témoignage fait essentiellement le portrait de  la troisième partie du rapport, soit la continuité historique de la communauté métisse de Maniwaki, bien qu’à plusieurs égards le focus du rapport soit sur l’implantation des familles dans la région, plus que sur l’appartenance de ces familles à une communauté.

[203]   Contre-interrogé, il décrit un Métis en ces termes :

« Les individus d’origine mixte autochtone et allochtone seront désignés comme Métis. »

Pour le tout petit rapport avec les deux cent quarante individus, oui, c’était une approche très souple seulement sur ce critère-là, mais avec le critère de la traite des fourrures.[74]

[204]   Il base sa thèse, en grande partie, sur les patronymes de ces personnes pour les qualifier de  Métis.

[205]   De plus il estime que la présence de Canadiens mariés à des sauvagesses dans une certaine région, peut illustrer en soi une désignation collective de Métis.

[206]   M. Marcotte estime que 1821 était une année tournante dans l’Outaouais, car à cette date la Compagnie du Nord-ouest se fusionne avec la CBH. On garde le nom de la CBH ce qui permet également à la société de garder sa charte royale. La date s’avère importante, car jusqu’à cette fusion, l’Outaouais était le domaine de la Compagnie Nord-ouest.

[207]   La fusion permet maintenant à la CBH de contrôler toute la région près de l’Outaouais. Selon M. Marcotte le but premier de la CBH était de contrôler la traite de fourrures à laquelle s’adonnaient de plus en plus  de personnes indépendantes et de carrément les empêcher d’aller dans le nord pour faire du trappage. Ce contrôle s’exerçait à partir du poste de traite du Lac des Deux Montagnes.

[208]   À cette époque, la CBH faisait appel à des travailleurs qu’on appelait les hivernants. Ces personnes signaient des contrats de trois ans et étaient vraiment les personnes clés pour la CBH dans la traite de fourrures. Certains des hivernants étaient des Métis, mais il pouvait y avoir des Français, des Écossais et des membres des Premières Nations. Les non Autochtones passaient un temps important avec les membres de ces nations.

[209]   Souvent les hivernants devenaient des personnes libres à la fin de leur contrat et parfois, mettaient fin à leur contrat avant terme afin de pouvoir travailler librement. Cependant, leur savoir-faire leur permettait de retourner travailler pour la CBH quasiment à leur gré.

[210]   Ce phénomène de personnes libres travaillant dans l’industrie de la traite aurait contribué à l’établissement d’une communauté au Lac Sainte Marie. L’histoire veut que vers 1838 des personnes libres (freemen) s’y sont établies. Les familles McPherson et Naud font partie de celles-ci. Les individus se regroupent ensemble afin de s’adonner à la traite de fourrure sans avoir l’obligation de passer par la CBH. Les auteurs parlent de cinq ou six hommes libres qui s’établissent dans la région du Lac Sainte-Marie et du Lac des Sables. Citant Allan Cameron, ils reconnaissent également que ces familles, dont certaines s’immisçaient dans le commerce de la CBH, voulaient aussi cultiver leurs propres terres.

[211]   Marie Pinesi Okijikokwe, connue également sous le nom Ikwissens, joue un rôle important dans la traite commerciale de fourrure. Elle est l’épouse d’Andrew McPherson et opère des réseaux de traite.

[212]   M. Marcotte parle également des squatters lesquels, il estime, constituaient une partie importante de la population au Lac Sainte-Marie. Il tire l’information de différentes sources, dont le travail des arpenteurs John Snow en 1848 et Alphonse Wells en 1846. Ils rapportent que certaines familles s’établissent dans la région du Lac Sainte-Marie sans avoir de titre des terres qu’ils occupent. Snow identifie onze familles de squatters au Lac Sainte-Marie. Ni Wells ni Snow n’utilise le terme Métis.

[213]   Les squatters que Wells et Snow décrivent peuvent avoir différents rapports relationnels. Neuf de ces familles sont des familles métisses selon M. Marcotte. Il les décrit en ces termes :

Ça veut dire que ça peut être un homme canadien marié à une Métisse, ça peut être un homme métis marié à une femme amérindienne, et caetera. Il y a un seul cas, je tiens à préciser, il y a un seul couple que c’est un homme canadien avec une femme amérindienne et leurs enfants métis. Sinon, c’est plutôt Métis-Métis ou Blanc avec Métis.[75]

[214]   Ces onze familles sont identifiées par leur implication dans la traite de fourrure.

[215]   M. Marcotte parle également de trois familles au Lac des Sables, dont celle de Joseph Jussiaume et celles d’Ambroise Beaulieu et Pierre Goulin.

[216]   Pour étayer son témoignage ainsi que le rapport, M. Marcotte réfère au père Desautels qui constate que les familles qui habitent Lac Sainte-Marie vivent de la chasse et de la pêche[76]. Toutefois, le rapport produit un extrait incomplet; le père Desautels parlait de quatorze familles canadiennes[77].

[217]   Les constats de Desautels ressemblent à ceux de l’arpenteur Snow; ce dernier ajoute que les familles commencent à : « pay more attention, to the improvements of their farms. »[78]

[218]   Monsieur Marcotte ne porte pas attention à ce constat, car il estime que les familles du Lac Sainte-Marie  ont négligé l’agriculture entre 1838 et 1848. Il ajoute que Lac Sainte-Marie est la seule mission où Desautels aurait souligné l’importance de la chasse et de la pêche.

[219]   Il commente l’implication de plusieurs familles, dont celle de François Naud dans l’industrie forestière[79]. Il estime que c’était un indice de la prospérité de ces familles, mais pas une indication qu’elles aient abandonné leur identité métisse.

[220]   Mais, comme nous avons déjà vu, le père Desautels en 1842 a décrit 14 des familles du Lac Sainte-Marie comme étant des familles canadiennes. Bien que la source en question eût été utilisée par Allaire et Morin dans leur rapport, pour M. Marcotte, les constats du père Desautels sont en contradiction avec ceux des autres missionnaires. Il ajoute que les Métis sont parfois surnommés Canadiens.

[221]   M. Marcotte décrit le Lac Sainte-Marie comme étant le cœur névralgique d’un réseau de freemen, soit ceux qui ne voulaient pas passer par la CBH pour la traite de fourrures. Bien que son témoignage fût parfois difficile à suivre, M. Marcotte semble conclure que les freemen fassent  également partie des familles métisses, sans pour autant les identifier avec précision.

[222]   Il fait référence à John McLean, un commis de la CBH, qui constatait la présence des « mixed inhabitants » au Lac des Sables, dont il ne comprenait pas trop la culture .  Ambroise Beaulieu et sa femme Marie Minoéwé Godin demeuraient dans cette région tout comme la famille de Jean-Baptiste Bernard, un Métis selon M. Marcotte.

[223]   Questionné sur l’extrait suivant qui remonte à 1847, reproduit dans son rapport :

« En remontant la Gatineau jusqu'à 20 lieues de son embouchure, on trouve à deux mille de la rive gauche, un petit lac nommé Walliag Kang auquel on donne aussi le nom de Sainte-Marie, à cause d'une petite chapelle élevée sur ses bords depuis cinq ans par les soins de Mr Desautels et dédiée à la Sainte Vierge. Seize familles canadiennes, métisses et sauvages, y ont fixé leur demeure. Nous leur avions donné, il y a deux ans, une courte retraite ».[80]

et plus particulièrement si le père Durocher référait à des ménages où les deux conjoints  sont Canadiens, des ménages où les deux conjoints sont Indiens, et enfin des ménages mixtes, il estime que l’auteur faisait plutôt référence aux identités des parents et possiblement des enfants. Il explique à peine comment il en a tiré cette conclusion.

[224]   Il est également questionné sur les observations du père Durocher en 1847 où le prêtre avait rapporté qu’il y avait 16 familles canadiennes au Lac Sainte-Marie [81], sur celles de l’évêque Guigues qui à son tour observe 14 familles canadiennes en 1849[82] et sur une visite pastorale en 1864 où on y observe 42 familles canadiennes et 10 familles irlandaises[83]. Il répond en partie en ces termes :

Donc, ça vient problématiser encore l’idée qu’on peut utiliser l’ethnonyme « canadien » pour les familles métisses à l’époque.

[…]

Donc, j’ai l’impression que les prêtres les ont décrits du mieux qu’ils pouvaient, et à l’époque, ce n’était pas contradictoire de parler d’une famille canadienne, mais si l’homme était par exemple Métis, et la femme Indienne ou Métisse, et qu’ils avaient des enfants ensemble.[84]

[225]   Nous voyons encore dans cette réponse l’emphase que les auteurs mettent sur l’ethnie des membres d’un couple.

[226]   M. Marcotte compare également la région du Lac Sainte-Marie à Sault Sainte-Marie. L’exercice semble un peu curieux, car les sources utilisées par les auteurs opinent que les résidents de Sault Sainte-Marie négligeaient l’agriculture[85], alors que la preuve prépondérante est que les résidents du Lac Sainte-Marie portaient attention à leurs terres.

[227]   De plus, des différentes sources au dossier, il est évident que la concentration des familles ou personnes identifiées comme Métis était beaucoup plus importante à Sault Sainte-Marie[86]. En revanche, M. Marcotte estime que le tiers des familles que les auteurs ont identifiées dans la région sous étude viennent de la région de Sault Sainte-Marie.

[228]   M. Marcotte estime qu’il a des liens entre les personnes qui habitent au Lac Sainte-Marie et certaines autres communautés métisses de l’Ouest. Joseph David vient de Rivière Rouge. Il en est de même pour la famille Paul et en toute probabilité pour les familles Beaulieu et McDougall.

[229]   L’artisanat est un autre trait culturel que M. Marcotte discute. Il parle longuement de Marie-Louise Riel que fabriquait des mocassins qu’elle vendait à Buckingham. En revanche il semble, selon leur rapport, que la famille s’est établie à Sainte-Geneviève-de-Berthier, hors de la région, bien que la tradition orale veuille que Mme Riel fût présente dans  Gatineau plus tard dans sa vie[87].

[230]   Plus important pour la question devant le Tribunal, M. Marcotte a également discuté les « Familles Métisses dans la vallée de la Gatineau »[88]. Les auteurs ont identifié dix-neuf familles dans la région entre 1840 et 1850 :

Fiche 1 : La famille Beaulieu

Fiche 2 : La famille McPherson

Fiche 3 : La famille Jussiaume

Fiche 4 : La famille Foubert

Fiche 5 : La famille Lavigne

Fiche 6 : La famille Vallière

Fiche 7 : La famille Lavallée

Fiche 8 : La famille St-Denis

Fiche 9 : La famille Brazeau

Fiche 10 : La famille McGregor

Fiche 11 : La famille Taylor

Fiche 12 : La famille Vanasse

Fiche 13 : La famille Beads

Fiche 14 : La famille Lacroix

Fiche 15 : La famille David

Fiche 16 : La famille Paul

Fiche 17 : La famille Bernard

Fiche 18 : La famille Paquette

Fiche 19 : La famille McDougall

[231]   Il ne peut pas expliquer pourquoi lui et ses co-auteurs ont identifié dix-neuf familles alors que  les auteurs Morin et Allaire en ont identifié cinquante-quatre. Il ne peut pas non plus identifier lesquelles de ces familles ont des ancêtres dans la région du Lac Sainte-Marie, sauf pour les familles d’Ambroise Beaulieu et de Jean-Baptiste Bernard.

[232]   M. Marcotte n’offre pas d’explication non plus du fait que plusieurs des familles que lui et ses collègues identifient comme Métisses changent de catégorie d’origine ethnique selon la personne qui rapporte sur la population de la région.

[233]   Amable McDougall est à la fois décrit comme Canadien et « marié avec une sauvagesse ». Il semble aussi qu’il aurait éventuellement intégré la communauté algonquine[89]. M. Marcotte explique que plusieurs Métis ont cherché la protection des communautés autochtones.

[234]   Philomène McPherson est considérée Métisse en 1838, Algonquine en 1843 et au recensement de 1861, elle est classée comme Blanche.

[235]   Les auteurs ont toutefois, à l’introduction de leur rapport, expliqué les difficultés de donner un ethnonyme précis à ces personnes :

La diversité et l’interchangeabilité d’ethnonymes que l’on retrouve dans les descriptions de populations ou d’individus métis peuvent rendre difficile leur identification (Indiens, Half-Savages, Bois-Brûlés, Métifs, Métis, etc.). Cette difficulté peut se voir interprétée comme une forme d’immaturité culturelle, voire comme une confirmation de l’assimilation des Métis aux populations eurocanadiennes ou indiennes.[90]

[236]   Pour faire cette identification, les auteurs ont tenu compte des liens de mariage et de filiation, mais aussi des liens de parrainage et marrainage, c’est-à-dire des liens religieux. Ils estiment qu’il y avait des liens importants entre plusieurs de ces familles sur plusieurs générations. Cependant, on peut retenir du témoignage de M. Marcotte, que les auteurs n’ont pas analysé les liens entre ces familles dites métisses et les familles dites canadiennes. Et, ils n’ont pas considéré les mariages des descendants de ces 19 familles à l’extérieur desdites familles « métisses ». Bien que la plupart des descendants aient marié des Canadiens français, les auteurs n’en ont pas tenu compte. 

[237]   Pour ce qui est de la mainmise, M. Marcotte l’estime vers 1860. Il n’avait pas de réponse à donner quand on lui demandait de commenter le fait que les institutions de la région de Lac Sainte-Marie était déjà largement contrôlées par les « Blancs ».

[238]   Les auteurs décrivent la mainmise en ces termes :

La notion de mainmise ou de « contrôle effectif » réfère à une prise de contrôle par les autorités coloniales d’un territoire et de sa population, que l'on peut estimer, par exemple, selon la ratification de traité, la création et mise en réserve d'une communauté autochtone, l’arpentage du territoire, son administration civile, et l’instauration d’institutions assurant le respect de lois promulguées par les autorités en question.[91]

[239]   Il est également questionné sur la notion de communauté. Il soutient qu’il y avait trois étapes au développement de la communauté. D’abord, il y avait l’étape des hivernants, soit l’étape où les hommes canadiens hivernaient avec les Indiens et s’engageaient dans la traite de fourrures. À la deuxième étape ces hommes devenaient des  freemen et naviguaient de façon autonome dans le territoire, toujours à l’aide des liens qu’ils avaient avec les populations autochtones locales. La troisième étape arrivait quand ils se regroupaient entre eux, parfois autour des postes de traite ou dans des petits villages.

[240]   Il estime que ce processus s’est produit au Lac Sainte-Marie où les freemen sont arrivés et ont continué à exercer des activités liées à la traite, à une agriculture marginale, et à de l’artisanat.

[241]   M. Marcotte ne réussit pas à identifier d’activités communautaires comme telles et, selon lui, le fait que certaines personnes qui se connaissent décident de se regrouper dans la région suffit. Elles étaient aussi liées par la religion catholique.

[242]   Entre la première évidence de l’arrivée des freemen (1838) et la mainmise (1850-60) M. Marcotte n’identifie que très peu d’expressions d’une identité collective. Il parle des expéditions de traite indépendantes pour faire concurrence à la CBH et du fait que les gens se regroupaient entre eux à des fins commerciales. Bref, ils se regroupaient pour lutter contre la CBH, selon M. Marcotte, mais il avoue aussi qu’il y avait des réseaux commerciaux concurrentiels à l’intérieur des freemen de Lac Sainte-Marie!

[243]   Pour M. Marcotte, une expression politique communautaire n’est pas nécessaire pour conclure qu’il y avait une communauté au Lac Sainte-Marie. Voici comment il voit les composantes d’une communauté :

Q. Qu’est-ce qui vous permet de dire que ces onze familles là formaient une communauté de Métis?

R. Bien, en fait, ils habitent au même endroit ou à peu près. Ils ont des rites catholiques. Ils vont à la messe, ils se rencontrent, et ils ont des liens catholiques entre eux de parrain, marraine.[92]

[244]   Nous voyons dans cette réponse peu de références aux marqueurs ethnoculturels que les auteurs ont eux-mêmes identifiés.

[245]   Au titre des activités, il note la traite de fourrures et une préférence pour la chasse et la pêche.

2.3  Les témoins experts de la demanderesse

2.3.1      Le rapport Goudreau, Inksetter, Morneau et Rousseau

[246]   Le PGQ offre un rapport préparé conjointement par Serge Goudreau, Leila Inksetter, Jérôme Morneau et Louis-Pascal Rousseau. Chaque auteur offre une perspective selon sa spécialité et en témoigne également devant le Tribunal.

[247]   Les auteurs remettent en question la méthodologie des auteurs des deux rapports présentés en défense. Ils arrivent également à leurs propres conclusions que nous pouvons voir au sommaire exécutif :

Nous constatons que les facteurs ayant pu faciliter la formation d'une entité sociale métisse ne se trouvaient pas réunis dans le secteur à l'étude : le commerce des fourrures n'y nécessitait pas une main-d'oeuvre nombreuse, ni résidente à long terme, éloignée du monde colonial. Les personnes nées d'unions qui se sont produites entre hommes associés au commerce des fourrures et femmes algonquines locales - un phénomène qui demeurait limité dans le secteur à l'étude ne formaient pas une masse critique suffisante pour se différencier sur le plan identitaire. Pendant la période de la traite des fourrures, ces personnes de généalogie mixte semblent surtout avoir été intégrées, sur le plan identitaire, à la société algonquine.

[…]

L'état de la recherche en matière d'ethnogenèse permet d'outiller le chercheur pour l'aider à détecter une éventuelle communauté métisse historique à partir de sources historiques. Il est donc possible de relever, le cas échéant, des indicateurs à l'effet de la présence d'une telle communauté. Nous montrons qu'en utilisant un ensemble de sources et en tenant compte adéquatement de leur contexte, il est impossible de soutenir qu'une communauté métisse historique aurait existé dans les vallées des rivières Gatineau et du Lièvre, tout comme dans l'Outaouais en général.[93]

[248]   Les auteurs reconnaissent que plusieurs personnes de la région étaient métissées, sur le plan généalogique, mais en général faisaient partie soit de la communauté indienne, soit de celle comprenant les Euro-Canadiens. C’est là la distinction principale entre l’approche des deux groupes d’experts. Ceux des demandeurs recherchent une communauté métisse, alors que ceux des défendeurs ont mis l’emphase sur les lignées généalogiques. Les experts en demande opinent qu’il n’y avait pas de communauté métisse historique dans le secteur sous étude.

2.3.1.1        Jérôme Morneau

[249]   Le Tribunal reconnait M. Morneau comme expert en histoire.

[250]   Il traite de l’histoire de la région et de la date de la mainmise, en ces termes : « […] le moment où les Européens ont effectivement établi leur domination politique et juridique dans une région donnée » ou « l’assujettissement de la [communauté métisse] aux lois et coutumes européennes[94].

[251]   Il débute son témoignage avec une discussion sur la bande des Weskarinis, qui habite la région vers la fin du 17ième siècle. Cette communauté est associée à la Nation Algonquine. Le peuple est nomadique et s’engage dans la traite de fourrure l’hiver. À l’époque il y a peu d’Euro-Canadiens.

[252]   Bien sûr les Euro-Canadiens œuvraient dans la traite de fourrures également, mais à l’époque le noyau d’activités était dans la région des Grands Lacs. Les hivernants y voyageaient et il y avait des unions avec les femmes autochtones, mais ces unions furent passagères et éphémères car les hommes retournaient souvent chez leurs familles canadiennes.

[253]   Il existe des postes de traite dans l’Outaouais également, lesquels sont établis uniquement vers la fin du 18è siècle ou au début de 19è siècle, mais ils sont relativement mineurs. Pour la plupart, ils sont de courtes durées[95].

[254]   Sur cet aspect, M. Morneau conclut :

 Le commerce des fourrures est l’activité principale de la région outaouaise jusqu’au milieu du 19e siècle. Les Indiens y sont partie prenante comme main-d’œuvre et client. Ce commerce n’a pas donné lieu à l’établissement permanente d’une population euro-canadienne et jusqu’au début du 19e siècle, les Indiens y sont majoritaires.[96]

[255]   M. Morneau estime qu’une colonisation importante débute entre 1799 et 1807, laquelle coïncide avec la création des premiers cantons.

[256]   Vers l’an 1820, on voit que l’industrie forestière prend son envol. Elle requiert de plus en plus d’employés et la population commence également à exploiter des fermes pour les approvisionner.  Les colons arrivent. Les historiens parlent d’une colonisation agroforestière. On observe une interdépendance entre l’agriculture et l’exploitation forestière dans la haute Gatineau et dans la Vallée-de-la-Lièvre[97]. Le père Nédélec, missionnaire entre 1850 et 1890, écrit :

« D'abord le gens de chantiers pénétraient au coeur de la forêt vierge; aussitôt leurs mains robustes abattaient les pins séculaires; ils bâtissaient un abri contre la pluie ou la neige. Cette bâtisse grossière et imparfaite après avoir servi d'asile à ces vigoureux ouvriers un hiver ou deux devenait ensuite la ferme et souvent le dépôt et même le point central où se groupait plus tard un bon nombre de colons destinés eux-mêmes à former une paroisse. De distance en distance on voyait surgir des champs, remplacés ensuite par des maisons et cela pour servir de lieu de refuge aux nombreux voyageurs et surtout aux charretiers en hiver. On les désignait sous le nom de stoping-places « hôtels, lieux de réception ». Ce genre d'occupation donnait un profit net et une aisance facilement gagnée. Autour des moulins à scie se formait promptement des groupes nombreux. Ainsi ont été formés tous les villages du bassin de l'Ottawa, sans exempter Mattawa. »[98]

[257]   M. Morneau commente le descriptif du père Desautels de la Vallée-de-la-Lièvre. Il parle des familles canadiennes entre 1841 et 1842[99], dont 14 au Lac Sainte-Marie.

[258]   Entre 1843 et 1847, on compte 57 concessions forestières  composées d’au moins 600 hommes.

[259]   M. Morneau estime qu’à partir de 1861, il y avait déjà plus de 3 000 colons européens au nord du Lac Sainte-Marie. Il y a un chemin de colonisation entre Bytown et Maniwaki. Entre 1840 et 1869, de nombreux cantons sont établis dans la région sous étude[100]. D’autres chemins sont construits. Les cantons empiètent sur les terres des Algonquins, selon Bagot qui ne mentionne pas de Métis en faisant ce constat[101].

[260]   Se disant en désaccord avec la définition étroite de la mainmise qu’offre MM. Malette, Marcotte et Bouchard, M. Morneau en retient quatre facteurs :

         que les autorités changent leur politique sur l’Outaouais dès le tournant du 19e siècle;

         que le secteur à l’étude est colonisé et exploité par les forestiers dès les années 1830 ;

         que le régime foncier est mis en place au cours des années 1840 et 1850;

         que les bouleversements démographiques qui surviennent au cours des années 1800-1840 ont des effets profonds et durables sur la population Indienne qui fréquente le territoire;

[261]   M. Morneau traite également des démarches des Algonquins qui sentent leur mode de vie menacé par l’arrivée des colons, et ce, à partir de l’an 1820. Les Algonquins procèdent par pétition voulant protéger leurs terres. Nous ne voyons pas de pétition de la part d’une communauté de personnes mixtes à la même époque.

[262]   Quant à la mainmise effective, M. Morneau juge qu’elle a été progressive entre 1800 et 1853, avec un point tournant vers 1830, quand l’industrie agro-forestière devient importante et donne lieu à une colonisation accrue[102].

[263]   En contre-interrogatoire, il est questionné sur une œuvre de M. Yvon Couture « Les Algonquins » où l’auteur reconnait la présence des Métis à Maniwaki depuis le début du siècle ainsi qu’un village qui s’est établi au Lac Baskatong entre 1870 et 1927 lequel comprenait des « Indiens, des Métis et des Blancs »[103]. Pour M. Morneau, M. Couture faisait un amalgame entre les Métis et les Algonquins[104]

[264]   M. Morneau reconnaît également que des Métis étaient actifs dans l’industrie de la traite.

2.3.1.2        Louis Pascal Rousseau

[265]   Le Tribunal l’a reconnu comme historien.

[266]   Il a rédigé la section « Introduction aux études en ethnogenèse métisse » du rapport. Son but était d’exposer le cadre théorique et méthodologique d’un mouvement de recherche sur l’établissement des communautés métisses. Il souligne que, de tous les concepts fondamentaux de recherche en matière d’ethnogenèse, le plus central est celui qui énonce la différence entre la généalogie d’un individu et son rattachement à une identité communautaire[105]. Encore une fois nous voyons l’approche différente que prônent les experts du PGQ. Ils mettent l’emphase sur la communauté et non pas sur la généalogie.

[267]   Or, tout en reconnaissant que le métissage généalogique des groupes Indiens partout en Amérique du Nord, et particulièrement dans l’Ouest du Canada, est une réalité historique connue, nous ne pouvons pas nécessairement conclure à l’existence de communautés métisses dans l’est du Canada. Cette citation de John McLean en témoigne :

“Let anyone conversant with Indian types visit the Reservations and investigate thoroughly the history of the people, and will soon dawn upon the fact that the red men of Ontario and Quebec are a hybrid race, many of them being half-breeds and quarters-breeds, yet these are all classed together as Indians. There exist few pure-blood red men in these provinces.”[106]

[268]   M. Rousseau opine que les personnes métissées « ont certes formé dans certains cas leur propre communauté métisse, mais dans bien des cas aussi elles ont été absorbées au sein des communautés indiennes et coloniales, se rattachant pleinement à l’un ou l’autre de ces ensembles identitaires. »[107]

[269]   Or, la généalogie est un phénomène biologique mais ne signale pas l’appartenance à une communauté.

[270]   M. Rousseau soutient d’autre part que l’ensemble de la population coloniale française empruntait également des pratiques culturelles autochtones et les intégrait à son mode de vie. Il donne comme exemple, les déplacements en canot, les déplacements en raquette, et même la construction de canots et le tabagisme. Certaines pièces de vêtements, les mitaines, les bottes et, même l’usage de mocassins à l’intérieur furent adoptés de la culture autochtone

[271]   Il commente également la pratique de la chasse. En Nouvelle France presque tout le monde s’adonne à la chasse et utilise des pratiques apprises des autochtones. M. Rousseau s’inspire de Reimer et Chartrand[108] quand il traite des étapes menant à l’existence d’une communauté avec une identité métisse :                

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Stages of Ethnic Community Development

As applied to Métis Ethnogenesis

 

General Stages of

Community development

Application to Métis

Ethnogenesis

1. Commonality of experience at discrete individual level

1.  Bi-cultural parentage: exclusive fur trade socialization; other-classification

2. Structural conditions permitting discrete individuals to share experiences and perceptions, to acknowledge common charateristics (i.e. community without communication is possible)

2.  Social, cultural, economic, and geographic structure of fur trade results in distinct post populations with mixed descent segment that increases in proportion with succeeding generations; métis families share occupational and class characteristics within fur trade structure (voyageurs, culture brokers / intermediaries / interpreters, post provisioners); Aboriginal or métis women as members of the post community and children socialized within post culture

3. Collective organization: members cluster geographically or create central institutions; this necessarily implies a group of individuals or families with common values and/or goals

3. Institutional recognition by EuroCanadians of social (later legal) status distinct from ‘Indians’; petitions for treaties, scrip, etc. and settlement on reserves or convergence in neighbourhoods (late 19th – early 20th century); creation of formal political organizations and legal recognition  (mid-late 20th century)

4 Historical foundation / common heritage: set of 4 common values passed down through generations; development of ‘culture’

4. Heritage traced to the fur trade; eg., Red River / Louis Riel as symbolic of identity / political aspirations

                                                                                                                                                                                                                                     

 

[272]   Nous pouvons retenir de son analyse que la création d’une communauté s’étale sur quelques générations. La population de l’endroit est en croissance[109]. Éventuellement il y a une organisation collective, au sein du groupe, qui partage des valeurs en commun et qui finalement possède ses propres fondations historiques[110].

[273]   M. Rousseau souligne l’importance des étapes trois et quatre de Reimer et Chartrand dans la création d’une communauté. Il escompte l’importance de l’église catholique, car elle est déjà très implantée chez les coureurs de bois à  la période sous étude. La religion n’est pas un trait culturel distinctif aux Métis. La troisième étape comporte la création d’organismes comportant une certaine hiérarchie pour veiller aux intérêts de la communauté. 

[274]   La quatrième étape comporte la création d’institutions, qui démontrent un patrimoine commun comportant des fondations historiques, des revendications, des symboles, des aspirations politiques, bref des exemples qui démontrent que l’on est vraiment dans une communauté à la Louis Riel. On cherche un lieu où il y a plusieurs générations d’individus d’ascendances mixtes, lesquels se marient entre eux, et au sein duquel ils naissent, grandissent et y sont éduqués et socialisés. Il y aura normalement des mariages endogames, c’est-à-dire des mariages à l’intérieur du groupe.

[275]   Les membres du groupe vont créer leurs propres structures décisionnelles, distinctes de celles des Euro-canadiens ou des Indiens. Le groupe peut même avoir une personne qui en devient le porte-parole. Les membres du groupe vont tenir des événements collectifs ou poser des gestes politiques communs.

[276]   Bref, une communauté est un regroupement où les gens interagissent entre eux et marient les membres de leur communauté. M. Rousseau n’est point en accord avec la position de Marcotte, Malette et Bouchard lesquels donnent de l’importance aux facteurs exogames pour identifier une communauté. Et, il distingue l’interprétation qu’ils donnent à l’œuvre de Mme Brenda MacDougall : One of the Family, Métis Culture in Northwestern Saskatchewan[111]. L’Ouvrage traite de l’importance, au développement d’une communauté, des mariages entre les membres de celle-ci, à l’exclusion des personnes de l’extérieur. Elle parle d’une population qui pouvait « intermarry and reproduce itself. »[112]

[277]   Mme MacDougall a expliqué le phénomène en ces termes :

While the proto-generation quite literally gave birth to the Metis people, it was the four subsequent generations who remained in the lands of their mothers and grandmothers and truly created a new society.[113]

            (Le Tribunal souligne)

[278]   M. Rousseau réfère également à d’autres sources qui soulignent l’importance des mariages endogames à la création d’une communauté métisse. Décrivant les villages autour des Grands Lacs, Mme Jacqueline Peterson écrit que : « the offspring of trade employees and Indian women were intermarrying amongst themselves and rearing successive generations of métis. »[114]

[279]   M. Rousseau estime également qu’une communauté identifiable va normalement comporter des leaders et il cite l’œuvre de Victor P. Lytwyn qui écrit au sujet d’une saisie d’une mine à titre d’exemple[115]. Ce même livre cite plusieurs exemples de Métis qui se réunissent en conseil et qui prennent des décisions collectives.

[280]   Nous retenons du témoignage de M. Rousseau qu’il faut s’attarder à plus que les seuls termes génériques que les auteurs utilisent pour décrire les personnes de la région. Des personnes de sang mixte peuvent être décrites par les auteurs comme des Canadiens, des « half-breeds », des « Bois-Brulés », etc. Or, ces termes peuvent parfois être utilisés pour décrire des Métis ou des Indiens. De surcroît, nous savons que beaucoup de personnes de sang mixte s’identifient plus avec les communautés autochtones, qu’avec quelconque communauté métisse.

[281]   Le rapport Bagot offre un exemple de l’interchangeabilité des termes que les auteurs de l’époque utilisaient pour décrire les personnes autres que les Européens . À titre d’exemple, le missionnaire Fortier, en réponse aux questions posées par Bagot, décrit les Hurons de Lorette comme des Métis[116].

[282]   M. Rousseau est questionné au sujet d’un document de travail sur lequel il a œuvré : Un profil historique des communautés d’ascendance mixte indienne européenne de la région de l’Outaouais[117]. Dans le document les auteurs ont conclu que :

Par ailleurs, il est à noter qu’aucune source ne présente de façon explicite les « Métis » comme formant une entité ou une collectivité culturellement autonome et distincte des autres collectivités présentes sur le territoire.

[…]

Les sources produites à partir du siècle, de façon globale, sont peu loquaces sur les « Métis » et ne permettent pas de relier clairement ce terme à un groupe qui aurait formé une communauté et qui se serait auto-identifié à un groupe distinct des Euro-canadiens ou des Indiens.[118]

[283]   Cependant, ils ont avoué qu’il reste possible qu’une telle communauté existait dans l’Outaouais. Les auteurs de ce document n’en ont toutefois pas trouvé mais ils ne voulaient pas être catégoriques.

2.3.1.3        Leila Inksetter  

[284]   Mme Inksetter fut reconnue à titre d’ethno-historienne. Elle a travaillé étroitement avec M. Serge Goudreau, en premier lieu pour vérifier la méthodologie des experts de la défense en plus de faire leur propre recherche historique de la situation des Métis dans la région sous étude.

[285]   Ils se disent en désaccord avec l’approche de M. Allaire et M. Morin :

 Dans le contexte qui nous préoccupe, une définition strictement généalogique du mot métis n'est pas utile. En contexte canadien, il existe en effet deux autres sens fondamentaux qui doivent impérativement être examinés dans le cadre d'une recherche ayant pour objet de prouver l'existence d'une communauté métisse titulaire de droits : 1) l'identité et 2) l'ethnogenèse métisse, donnant lieu à une communauté dotée de caractéristiques propres. En effet, tel qu'il sera détaillé plus en détail à la section 2, il ne suffit pas d'observer un bagage généalogique mixte chez un individu pour lui attribuer une identité métisse : l'identité que les êtres humains se donnent n'est pas dépendante de gènes; elle est acquise par socialisation.

[…]

Il s'agit aussi d'un processus qui prend un certain nombre de générations pour, à terme, donner forme à une collectivité identifiable comme distincte dans l'univers de socialisation d'une zone géographique donnée. Au terme de ce processus, cette collectivité aura son histoire de formation particulière et ses caractéristiques culturelles propres.[119]

[286]   Il en est de même pour le travail de M. Marcotte, M. Malette et M. Bouchard :

Si, bien entendu, il est impossible d'interroger directement les auteurs de sources historiques et leur demander de clarifier leurs propos, il est en général possible, d'après la lecture de l'ensemble du document et du contexte historique spécifique dans lequel il se situe, de clarifier le sens entendu. MM. Malette, Marcotte et Bouchard n'ont pas cherché à effectuer cette clarification. Ils ont plutôt accumulé les citations d'occurrences, dans les sources historiques, de termes renvoyant au métissage et ont accordé à ces mentions une valeur identitaire distincte sans les questionner. Cette façon de procéder a pour résultat de produire une pluralité de citations, mais puisqu'on n'a pas cherché à comprendre le sens originel dans lesquels ils étaient employés, ni à les situer dans leur contexte, il en résulte un gonflage de mentions de Métis, pourtant dénués de leur sens identitaire original.[120]

[287]   Bref, pour Mme Inkstter, les deux rapports ne démontrent pas l’existence d’une communauté métisse.

[288]   Elle remet également en question la méthodologie des experts de la défense en ce qui concerne le moment de la naissance d’une communauté métisse, car elle estime que ces experts ont inclus à la communauté métisse les couples mixtes, soit un homme Euro-canadien en union avec une femme « Sauvage » ou « Indienne » avant même que le premier enfant métis soit né.

[289]   Il est aussi important de noter que même si le rapport des experts en demande porte la date du 24 avril 2018 et que le rapport amendé de Malette, Marcotte et Bouchard est daté du 4 septembre 2018, les amendements sont sans conséquence pour les experts de la demande. Il en est de même pour le rapport de M. Marcotte sur les patronymes des Métis[121].

[290]   En outre, Mme Inksetter n’est pas d’accord avec l’importance que les experts de la défense donnent à certaines mentions des « Half-Breeds », des « Bois-Brulés », des Sauvages, ou des Métis par les chroniqueurs de la période. Elle donne plusieurs exemples, quoi que celui qui frappe concerne sa narration d’Ingall qui a voyagé en canot en passant par la rivière Saint-Maurice pour revenir par la rivière du Lièvre :

En fait, Ingall ne rencontre pas une seule personne qu'il qualifie de Métis (ou halfbreed) tout au long de son trajet. Plutôt il rencontre des personnes qu'il qualifie soit comme des « Indiens/Sauvages/Algonquins », soit des « Canadiens », les deux travaillant ensemble aux postes de traite qu'il visite le long de son parcours. Ingall fait usage d'un mot désignant le métissage dans exactement trois passages dans les 55 pages que constitue son journal d'expédition. Ces trois passages ont pour caractéristique d'être des propos rapportés à Ingall et associés à la Haute-Mauricie. La première occurrence se fait dans le contexte d'une histoire de meurtres qui lui est racontée, la seconde concerne aussi le récit d'une série de meurtres qui serait survenue en 1816 (celle-là est citée textuellement dans le rapport de MM. Malette, Marcotte et Bouchard) et la troisième concerne la mention d'un nom bilingue associé au lac Culotte par des « Bois-brûlés ». Dans les trois mentions, il est impossible de conclure, d'après le contexte, que l'emploi des termes désigne l’identité d'un groupe tiers, doté de caractéristiques particulières. Il est plus raisonnable de conclure que l'emploi des termes désigne une caractéristique généalogique individuelle (des personnes métissées).[122]

(Références omises)

[291]   Le peu de fois où les auteurs contemporains parlent de Métis dans la région sous étude contrastent avec les rapports de la situation dans l’ouest du Canada[123].

[292]   Mme Inksetter, tout en reconnaissant son imperfection, se sert du recensement de 1871 comme outil de référence. Les recenseurs devaient vérifier comment les chefs de familles s’identifiaient et, « Métis » était une réponse acceptée. Or, l'examen du recensement de 1871, pour les sous-districts analysés, depuis les sous-districts de Masham à Baskatong sur la rivière Gatineau, ainsi que les sous-districts de Portland à Lièvre Est dans la rivière du Lièvre, ne révèle aucun cas où un chef de famille aurait fourni la réponse « Métis » ou « Half-Breed » pour lui-même ou un membre de sa famille[124].

[293]   Elle regarde également les observations que d’autres font du Lac des Sables et du Lac Sainte-Marie. À l’hiver 1807-1808 on observe une seule habitation au Lac des Sables[125], celle de Jean-Baptiste Perrault.

[294]   Son rival, John McLean, y reste pendant au moins sept ans de 1826 à 1833 et dans ses écrits ne mentionne pas de métissage.

[295]   Les colons arrivent plus tôt au Lac Sainte-Marie qu’au Lac des Sables. Mme Inksetter explique qu’il y avait des missionnaires pour les « sauvages » ainsi que pour les colons. Le père Durocher a établi une mission pour les colons au Lac Sainte-Marie. En 1845, il décrit sa congrégation comme de pauvres Canadiens[126]. Pour Mme Inksetter, le nombre de familles canadiennes observées par Durocher et Guigues est un indice qu’il n’y avait pas de communauté métisse identifiable. Qui plus est, c’est uniquement à la mission de la rivière du Désert où il rapporte la présence de « sauvages »[127].

[296]   Le père Déléage, quant à lui, parle de 17 familles canadiennes établies sur les deux côtés du Lac Sainte-Marie entre 1857 et 1858[128].

[297]   Mme Inksetter ne constate pas  une arrivée massive de colons après l’abolition du système de seigneuries en 1854. C’est un processus graduel qui se poursuit et  s’intensifie jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle.

[298]   Mme Inksetter parle également des Algonquins durant son témoignage. Selon elle plusieurs démarches des Algonquins illustrent un sens de communauté, ou une organisation politique, ce que nous ne constatons pas dans les rapports des experts en défense. À l’instar de M. Morneau elle estime que la pétition des « sauvages » de Gatineau de 1848 en est un exemple. Les Algonquins de la région demandent que des terres leurs soient réservées. Qui plus est, cette pétition est signée par Amable McDougall et Ignace McDougall, identifiés comme Métis par les experts de la défense, qui se servaient alors de la version algonquine de leurs noms[129].

[299]   L’experte poursuit en discutant à son tour des deux pétitions de 1874 contre l’agent indien, John White, dont une provenant des « Indians of the Indian Reserve of Maniwaki » et l’autre des « Inhabitants of River Desert and Vicinity »[130].

[300]   C’est le contenu de ces pétitions qu’elle trouve important en regard à la prétention qu’il y avait une communauté métisse dans la région. Une réfère à des plaintes de « White people » and « Indians ». Les signataires recherchent un nouvel agent, capable de «  cement the friendly relations which exist in a mixed community like this. » Et, certains des signataires, dont Paul Riel et Sévère St. Denis, sont parmi les personnes que M. Malette, M. Marcotte et M. Bouchard identifient comme membres de la communauté métisse[131].

[301]   Dans une autre pétition du 12 juin 1874 en provenance des « undersigned Indians of the Maniwaki reserve » nous retrouvons le nom de Pierre Chaussé, une autre personne identifiée comme Métisse par ces mêmes experts[132].

[302]   Le même phénomène se produit dans une autre pétition du 18 juin 1874 où nous voyons le nom de John McDougall lequel s’identifie parmi « the undersigned sub chiefs and elders and  principal persons of River Desert Indian Breed »[133].

[303]   Un autre élément important est soulevé par Mme Inksetter. Les auteurs Allaire, Morin et Malette, ainsi que Marcotte et Bouchard ne s’entendent pas sur l’identité des fondateurs de la prétendue communauté métisse. Allaire et Marcotte ont utilisé une définition purement généalogique du métissage, et donc, ont identifié des personnes pour lesquelles ils étaient en mesure de trouver quelque part dans leur généalogie, même lointaine, la présence d’au moins un ancêtre amérindien. Malette, Marcotte et Bouchard ont utilisé trois critères pour identifier les membres de la communauté historique : l’implication dans la traite des fourrures, des personnes avec des origines métissées, ou des hommes en union avec une femme indienne ou métissée.

[304]   Il est à constater, toutefois, que seulement trois hommes réunissent les trois critères, soit Amable McDougall, Joseph Jussiaume et Ambroise Beaulieu.

[305]   Allaire et Morin dressent une liste de 17 couples formant des « familles métisses au Lac Sainte-Marie entre 1837 et 1848 »[134]. Toutefois, on constate qu'un seul couple dans ce secteur est constitué de deux membres dont l'identité octroyée serait peut-être métisse : il s'agit du couple formé de François-Xavier Naud « Canadien ou Métis » et  Elizabeth McPherson, Métisse.

[306]   Bien qu’Allaire et Morin reconnaissent 14 couples, au Lac des Sables, seuls cinq d'entre eux sont reconnus par MM. Malette, Marcotte et Bouchard, auxquels on peut ajouter le couple de Joseph David et Rose Robert. Quatre de ces familles n’ont pas vécu dans le secteur en permanence, mais seulement pendant leur période d’embauche dans la traite de fourrures[135].

[307]   Les propos de Mme Inksetter et de ses collègues peuvent se résumer par leur conclusion qu’il n’y a pas eu de formation d’une collectivité métisse, à savoir, une collectivité tierce dotée d’une identité qui lui serait propre et qui serait distincte des collectivités Indiennes et Euro-canadiennes.

[308]   Elle remet en question la démarche des auteurs Malette, Marcotte et Bouchard de prendre certaines citations isolées pour étayer leur position qu’il y ait une communauté, dont celle dans Ingall qui débute : « Près des tombeaux on voit les restes d’une cabane de bois, qui avait été bâtie pour servir de dépôt temporaire aux pelleteries, jusqu’à ce qu’il en eut été amassé une quantité assez considérable pour les envoyer au poste de Wemontachinque,»[136] ou un autre de Bouchette qui semble relier les Bois-Brulés ou les Métis à des squatters[137]. Pour Mme Inksetter, il faut lire les rapports des chroniqueurs dans leur ensemble; les exemples offerts ne démontrent pas l’existence d’une communauté, et de surcroît, s’ils véhiculent l’idée d’une communauté cela ne concorde pas avec les observations des autres chroniqueurs.

[309]   Possiblement plus important encore, partant de là, s’il n’y a pas eu formation d’une collectivité métisse, il ne peut pas y avoir perpétuation de cette collectivité jusqu’à ce jour. De surcroît, dans le rapport Allaire, Morin ne cherche pas à faire cette démonstration de continuité. Quant au rapport de Malette, Marcotte et Bouchard, celui-ci cherche à faire la démonstration de continuité ou de perpétuation dans le temps d’une collectivité métisse. Cependant, les auteurs s’appuient souvent sur la documentation des cas de certains individus où la discussion permet de conclure à l’appartenance de la personne étudiée à la collectivité indienne.

[310]   Il a pu y avoir des unions mixtes, ou du métissage, mais cela n’a pas donné lieu à la formation d’une identité particulière.

[311]   Mme Inksetter commente également certains traits culturels retenus par les experts des défendeurs pour identifier des personnes métisses. Pour ce qui est de la chasse, la pêche et le piégeage, elle estime évident qu’au dix-neuvième siècle, ces activités sont partagées par tout le monde, toute identité confondue. Pourtant le recensement de 1871 démontre qu’environ la moitié des personnes qui se décrivent comme cultivateurs font également la récolte de fourrures[138].

[312]   La pratique de la religion catholique n’est pas distinctive non plus. Les colons ainsi que les Algonquins pratiquent cette religion.

[313]   Le fait qu’une personne ait travaillé dans l’industrie de la fourrure est indicatif de la pratique d’une occupation, mais pas d’une identité qui est propre à une communauté métisse. Mme Inksetter souligne que Malette, Marcotte et Bouchard ont identifié uniquement 11 familles au Lac Sainte-Marie (sur 20) qui étaient impliquées dans la traite de fourrures, dont neuf était métissées.

[314]   Mme Inksetter fait également une distinction entre une personne métisse et une personne qui est Métis. Elle reconnaît qu’il y avait de nombreuses personnes métissées dans la région sous étude, mais estime que ces personnes s’identifiaient aux communautés indiennes ou euro-canadiennes et non pas avec une communauté métisse distincte.

[315]   Pour ce qui est de son Tableau 10 du rapport, elle reconnaît qu’il y ait quatre observateurs, dont Ingall, de Bellefeuille, Du Ranquet et Durocher qui utilisent une terminologie associée au métissage, dont les termes Métis (de Bellefeuille), familles métisses (Durocher), Métis et Bois-Brûlé (Ingall)[139], et sauvagesses mariées à des Canadiens (du Ranquet).

[316]   En dernier lieu, Mme Inksetter traite du cas de Louis Généreux et la relation entre ses ancêtres et Louis Tanascon. Ce dernier est le fils d’Antoine Tanascon et Marie Anne Amable Chabondawekwe. Ses parents étaient clairement identifiés à la collectivité Indienne Nipissing, qui fréquentait la mission sulpicienne du lac des Deux Montagnes au début du dix-neuvième siècle.

[317]   Marie Anne Amable fait partie de la famille McDougall, que nous savons être une famille qui a des origines métissées. En revanche, elle est résolument intégrée à la collectivité indienne qui fréquente le lac des Deux Montagnes. La mère de Mme Amable était Algonquine. Dans cette famille il y avait aussi Ignace et Amable McDougall qui maintenaient des liens avec les « Indiens ».

[318]   Il en est de même pour le père de Louis Tanascon. Il est caractérisé comme Nipissing de la mission de Deux Montagnes.

[319]   Deux frères de Louis Tanascon sont devenus chef de la communauté algonquine de Maniwaki[140].

[320]   Louis Tanascon déménage au Lac Nominingue vers 1929, et il semble que la famille de M. Généreux aurait fait sa connaissance à ce moment. Mais, aucun document ne permet d’identifier Louis Tanascon comme étant associé à une quelconque collectivité métisse. Au contraire, il est identifié avec la communauté algonquine[141]. Mais, plus important à la question devant le Tribunal, le grand-père de Louis Généreux, Donat, arrive à Huberdeau vers 1896 et s’héberge à l’orphelinat agricole. Il est adopté et se marie en 1912. Le couple déménage à Nominingue en 1913. Il donna naissance à 11 enfants et aucun membre de la famille de Louis Tanascon ne figure dans la liste des parrains et marraines. Aucun parrain ou marraine n’est associé aux 54 familles fondatrices identifiées par Malette, Marcotte et Bouchard[142]

[321]   Il en est de même pour les mariages des enfants de Louis Tanascon. Aucun membre de la famille de Louis Généreux ne figure dans les actes de mariage.

2.3.1.4        Serge Goudreau

[322]   Le Tribunal a qualifié M. Goudreau comme expert en démographie historique et généalogie.

[323]    Dès le début de son témoignage, M. Goudreau offre sa vision des expressions «  famille mixte » ou « famille métisse ». Ils ne réfèrent qu’à une réalité biologique, et qu’en aucun cas il ne s’agisse d’une ethnicité métisse distincte. Sur le plan de ses constats en généalogie, c’est-à-dire le nombre des familles mixtes dans la région, ses conclusions concordent en grande partie avec Malette, Marcotte et Bouchard. Il note toutefois que les mariages mixtes sont récents, soit entre 1830 et 1840.

[324]   M. Goudreau commente le travail de l’arpenteur Snow, qui, à partir de 1848 a fait l’arpentage des terres près du Lac Sainte-Marie. Snow avait dressé une liste des « squatters » de la région. Ce qui est particulièrement intéressant est le descriptif qu’il offre de la cultivation des terres par les personnes qui furent identifiées comme Métis par les experts de la défense[143]. Contrairement à leur prétention de terres négligées, Snow constate que les « squatters » s’intéressent à l’agriculture. Bien qu’il pense qu’ils auront déjà été impliqués dans la traite de fourrure, il estime qu’en 1848 ils mettaient l’emphase sur leurs terres. François Naud en est un bon exemple. Après s’être marié à Montréal en 1838, il retourne au Lac Sainte-Marie. Non seulement est-il cultivateur, mais il s’implique dans l’industrie forestière. Il n’est plus actif dans la traite de fourrure après environ 1841.

[325]   Quant à M. Goudreau, il offre au Tribunal son opinion sur ce qu’ont fait ces personnes après le constat de Snow en 1848. Des « squatters » identifiés par Snow, neuf familles sont restées au Lac Sainte-Marie après 1848 pour le reste de leur vie, dont uniquement trois appartiennent à des familles mixtes, la famille Naud[144], la famille Fournier et la famille Lavallée[145].

[326]   Les familles d’Amable McDougall et de Jacques Lavigne se sont intégrées à la réserve Indienne de Kitigan Zibi selon le recensement nominatif de 1871[146]. Il en est de même pour la famille Lacroix qui avait été identifiée comme Métisse par Malette, Marcotte, Bouchard.

[327]   Ignace et Amable McDougall se retrouvent sur la liste des Algonquins de 1841, du Département des affaires indiennes[147]. De plus ils participent à la pétition de 1848, réclamant une réserve sur la rivière Gatineau[148]. Dans le recensement de 1871, nous voyons deux enfants de ces personnes de la réserve qui sont recensées et identifiées comme ayant des origines indiennes[149].

[328]   Et, qu’en est-il des mariages des enfants des trois familles métissées qui sont restées au Lac Sainte-Marie? En grande proportion, ils se sont mariés avec des Canadiens français[150].

[329]   Pour les autres « squatters », il constate qu’il y a deux fois plus de chance qu’un squatter demeure sur place et devienne permanent au Lac Sainte-Marie s’il appartient à une famille non métissée, donc une famille canadienne dont les deux conjoints sont d’origine canadienne.

[330]   M. Goudreau commente également le membership dans la CMAM, association qui existe depuis 1968.

[331]   Comme déjà mentionné, différentes listes de membres furent produites dans le cadre de la demande de provision pour frais et lors de l’audience au mérite. M. Goudreau en a étudié une comportant environs 2 011 membres[151], car elle comprend les lignées généalogiques des personnes qui s’y trouvent. Les individus ayant au moins un ancêtre qui rencontre deux caractéristiques, soit qu’il ait contracté mariage avant 1867 dans une aire géographique qui couvre l’ouest du Québec et que cet ancêtre soit à son tour un descendant d’au moins un ancêtre autochtone se trouvent sur cette liste.

[332]   Il note que seulement 18% de ces 2 011 personnes ont plus d’une lignée généalogique liée à un ancêtre autochtone[152]. Ce constat permet de conclure qu’il y a une absence significative d’endogamie autochtone, ou, pour le dire autrement, une absence de mariages entre des descendants Métis.

[333]   Ayant analysé toutes les lignées des 2 011 membres, il estime que 15 souches reconnues par la CMAM comme étant autochtones sont très discutables ou carrément fausses. Ces 15 souches généalogiques concernent 740 lignées, soit 30% de toutes les lignées de la base de données constituée par la CMAM[153]. De plus, il faut reculer à plus de dix générations pour retrouver un autochtone dans l’arbre généalogique de 63% des membres de CMAM.

[334]   M. Goudreau n’identifie que trois familles qui appartiennent vraiment à la région Outaouaise, notamment les familles McPherson, David et Chaussé, et dans CMAM on retrouve 409 membres avec des liens à ces familles.

[335]   Suivant ses recherches, la lignée McPherson, dont François Naud et Louis Fournier, son beau-frère, dans une certaine mesure, apparaît comme la lignée la plus représentative des membres de CMAM. Elle est ainsi la famille la plus importante dans la prétendue communauté métisse historique de la région. Mais sur le plan des mariages endogame, des 230 membres de la lignée Ikssens/McPherson, seulement cinq membres ont des ascendants qui se sont mariés à d’autres ascendants des grandes familles métisses Outaouaises identifiées par Malette, Marcotte et Bouchard[154]. Ils se sont généralement intégrés dans la population Canadienne-française.

[336]   M. Goudreau traite aussi des lignées du feu Royal Séguin. Il possède deux lignées généalogiques l’associant à des ancêtres d’origine autochtone (les lignées Beaulieu et Godin) du côté maternel[155] et uniquement une du côté paternel. Du côté paternel, il faut remonter à 11 générations pour retrouver un ancêtre autochtone et à cinq du côté maternel[156]. C’est en 1941 qu’on voit le premier mariage entre ces deux lignées soit celui de Napoléon Séguin et de Jeannette Dussiaume, les parents de Royal Seguin.

[337]   De l’arpenteur Wells, nous savons qu’Ambroise Beaulieu s’est établi dans le Township numéro 3, sur la rive ouest de la rivière du Lièvre en 1846[157], soit le secteur du Lac des Sables. En revanche, du côté paternel, la famille Séguin peut être retracée à la région pour la première fois vers 1907.

[338]   Et, dès 1846, Ambroise Beaulieu semble s’être impliqué dans l’agriculture. Il possède 29,5 acres, une grange, une écurie, un « workshop » et une maison[158]. Sur une distance de 15 kilomètres seulement deux autres « squatters » se retrouvent dans la région . Sur une très grande distance dans la région étudiée par Wells, il y avait 41 « squatters » dont cinq familles mixtes sur les rives de la rivière du Lièvre.

[339]   Sur le plan des mariages, il n’existe aucun mariage endogame associé à des généalogies d’ascendances mixtes chez les descendants de première génération d’Ambroise Beaulieu. Quatorze des dix-sept petits-enfants d’Ambroise Beaulieu se sont mariés dans le secteur de Notre-Dame-du-Laus. De ces quatorze petits-enfants, une seule, Olivine Beaulieu, s’est mariée avec Hormidas Grenier, dont la grand-mère est d’origine mixte[159].

[340]   M. Goudreau confirme la position avancée sur Catherine Pillard par Mme Galipeau. Elle n’était pas autochtone. Elle aurait immigré de La Rochelle en France comme une Fille du Roi.

3.            Les positions réspectives

3.1  Les défendeurs

[341]   Bien que le défendeur Chamaillard ne soit pas représenté, les questions de droit pouvant s’appliquer à la situation de M. Séguin et celle de M. Généreux sont également pertinentes à sa propre situation. Le sort de leurs défenses sera le sort de la sienne.

[342]   La position de M. Séguin et de M. Généreux est tirée de l’arrêt Powley. Bref ils considèrent qu’ils appartiennent à la communauté métisse actuelle, CMAM, qu’ils ont démontré que celle-ci a des liens avec une communauté historique qui était présente au Lac Sainte-Marie et que les droits ancestraux de chasse, de pêche et de trappe y sont exercés depuis que cette communauté s’est établie.

3.2  Les PGQ et KZA

[343]   Ces deux parties soutiennent que la preuve ne permet pas de conclure à l’existence d’une communauté historique métisse au Lac-Sainte-Marie. Même si une telle communauté existait, il n’y a pas de communauté contemporaine qui continue les pratiques de celle-ci.

4.            Analyse

4.1  Introduction

[344]   Sur le mérite de la réclamation du PGQ, il n’y a pas de débat. Les trois défendeurs avouent avoir construit des camps de chasse sur les terres appartenant à l’état. Ainsi, l’essentiel de l’analyse du Tribunal portera sur la défense qu’ils proposent.

[345]   Le PGQ estime que les défendeurs doivent prouver 10 éléments, dont :

i. Qualification du droit;

ii. Identification de la communauté historique titulaire des droits;

iii. Établissement de l’existence d’une communauté contemporaine titulaire des droits revendiqués;

iv. Vérification de l’appartenance du demandeur à la communauté actuelle concernée;

v. Détermination de la période pertinente;

vi. La pratique faisait-elle partie intégrante de la culture distinctive du demandeur?;

vii. Établissement de la continuité entre la pratique historique et le droit contemporain revendiqué;

viii. Y a-t-il eu ou non extinction du droit revendiqué?

ix. Si le droit revendiqué existe, y a-t-on porté atteinte?

x. L’atteinte est-elle justifiée?

[346]   Or, vu la conclusion à laquelle le Tribunal arrive sur l’existence d’une communauté historique, il ne traitera pas de tous ces critères dans le même détail. Il est plutôt de mise de regarder principalement les critères (ii), (iii) et (iv). Tout d’abord, un mot sur les experts.

[347]   Bien que toutes les parties aient effectué un travail assidu, voire impressionnant, le Tribunal estime le travail des experts de la défense moins fiable et surtout moins utile aux questions dont le Tribunal doit disposer.

[348]   En ce qui concerne le rapport Allaire/Morin, il est manifeste qu’il fut principalement écrit par M. Morin. Or, il n’est pas historien mais un généalogiste qui s’est auto-formé et il était difficile de complètement questionner M. Allaire sur son travail, car il n’avait pas une copie de rapport avec lui lors de son témoignage. En outre, même en acceptant que sur le plan de la généalogie le travail de M. Morin soit très complet, le rapport est d’une utilité limitée car il ne traite de l’existence d’une communauté historique que très sommairement.

[349]   Certaines des affirmations de M. Allaire sont invraisemblables, dont celles voulant que Catherine Annennontak aurait pu transférer la culture métisse à ses enfants malgré qu’elle n’ait pas vécu dans la culture métisse elle-même. Il en est de même pour l’affirmation que Nazaire Brisson puisse être Métis bien que son ancêtre remonte à 20 générations.

[350]   De plus, et cela dit avec respect, le témoignage de M. Allaire n’ajoute que peu au débat. L’histoire de l’implantation des Français au Canada et leurs unions avec les femmes autochtones bien avant la période sous étude n’aide pas le Tribunal à déterminer s’il y avait une communauté historique métisse au Lac Sainte-Marie.

[351]   Quant aux experts Malette, Marcotte et Bouchard, ils s’identifient comme Métis. Le Tribunal ne mentionne pas ce fait afin d’écarter tout leur rapport, mais plutôt parce qu’il se dégageait de leurs témoignages que ces personnes avaient comme agenda de faire  avancer la même thèse devant le Tribunal qu’ils avançaient dans leurs publications soit qu’il y avait des Métis dans l’Outaouais.

[352]   Mais, il y a plus. Trop souvent les références sur lesquelles ces auteurs s’appuient sont parcellaires ou incomplètes. La manière qu’ils ont utilisé l’œuvre de Mme  MacDougall est une bonne exemple, car lu dans son ensemble il ne supporte point les conclusions de Malette, Marcotte et Bouchard. Leurs réponses à plusieurs questions du PGQ s’éloignaient souvent de la question posée. Nous avions l’impression qu’ils oubliaient que leur rôle était d’éclairer le Tribunal et non pas d’avoir un parti prispour la cause de leurs mandants.

[353]   Les marqueurs ethnoculturels qu’ils avancent sont souvent peu développés. À titre d’exemple, le Tribunal estime que la connaissance d’une ou des langues autochtones par les familles du Lac Sainte-Marie n’a pas été démontrée.

[354]   L’idée que les familles dites métisses de la région vivaient de la chasse, de la pêche et de la trappe de subsistance n’est pas non plus supportée par la preuve. Le meilleur exemple est François Naud. La preuve démontre qu’il était très engagé dans la cultivation de ses terres et était également propriétaire de chantiers forestiers.

[355]   Quant aux niches occupationnelles propres à la traite des fourrures, le Tribunal retient que les chefs de famille auraient pu s’adonner à cette occupation avant de s’installer dans la région, mais pas après. Certaines personnes opéraient leur propre commerce dans l’industrie et faisaient concurrence à la CBH.

[356]   Quant à l’usage de cabanes à proximité des postes de traite, la preuve n’offre qu’un exemple concret, celle Jean-Baptiste-Casimir Riel.

[357]   La manière qu’ils ont traité les entrevues de l’étude du professeur Gagnon est également troublante. Ils n’en offraient que certains extraits au Tribunal alors que les entrevues complètes démontrent que les personnes qui les ont passées ne rapportent pas l’existence d’une communauté historique métisse.

[358]   De surcroît, il y a des divergences importantes entre les deux rapports de la défense. Les deux équipes d’experts ont utilisé des critères de recherche différents : l’équipe Allaire-Morin s’est fondée sur un critère purement généalogique pour identifier 54 « familles métisses », tandis que l’équipe Bouchard, Malette, Marcotte semble avoir priorisé trois critères entre autres : 1) l'implication dans le commerce des fourrures, 2) personnes aux origines métissées et 3) l'union avec des femmes indiennes ou métissées. Plus important encore les conclusions des rapports divergent sur des éléments importants.

[359]   Mme Inksetter les explique en ces termes :

Des vingt hommes listés par l'arpenteur Snow, MM. Malette, Marcotte et Bouchard nous expliquent qu'onze d'entre eux ont été associés au commerce des fourrures dans le courant de leur vie. De ceux-ci, neuf sont soit identifiés comme des Métis, soit ont épousé une femme métisse ou indienne. On comprend donc que MM. Malette, Marcotte et Bouchard incluent aussi, parmi les couples fondateurs, ceux dont les descendants éventuels seront métissés, mais qui ne le sont pas nécessairement eux-mêmes.

Il est à noter que ces auteurs ne reconnaissaient pas comme membres fondateurs certains de ceux reconnus par MM. Allaire et Morin. Ceci est le cas pour Antoine Asselin et Élisabeth Océabénaquoi, ainsi qu'Isaac Léveillé et Angèle Foisy. Ces mêmes auteurs ne reconnaissent pas non plus les personnes listées par MM. Allaire et Morin pour le secteur de La Visitation.

En examinant les familles listées dans les fiches biographiques par MM. Malette, Marcotte et Bouchard, on constate une différence marquée avec le rapport de MM. Allaire et Morin pour le secteur du lac des Sables. En effet, des 14 couples reconnus pour le lac des Sables par MM. Allaire et Morin, seuls cinq d'entre eux sont reconnus par MM. Malette, Marcotte et Bouchard, auxquels on peut ajouter le couple de Joseph David et Rose Robert, reconnu dans le secteur plus général. Les cinq couples reconnus dans les deux rapports sont : Joseph Jussiaume et Anastasie Ozawikijikokwe, Ambroise Beaulieu et Marie Minve8e, Joseph Foubert et Caroline Larocque, Marie-Louise Riel et Robert McGregor, André-Antoine Lacroix et Véronique Cipacibanokowe-Mekatomini.

À ces listes, MM. Malette, Marcotte et Bouchard ont identifié quatre familles qu'ils incluent dans le secteur plus général, sans les rattacher de 47 façon spécifique ni au lac Sainte-Marie ni au lac des Sables. Il s'agit d'André Brazeau, Joseph Davie et Rose Robert, Pierre Paul et Marie-Antoinette Richer, ainsi que Jean-Baptiste Bernard et Élisabeth Shaw.[160]

[360]   À l’instar du PGQ, le Tribunal retient une autre faille importante dans la méthode de Malette, Marcotte et Bouchard. Ils examinent uniquement les liens entre les familles qu’ils identifient comme Métisses et non pas les liens entre ces familles et les familles indiennes ou euro-canadiennes.

[361]   Le faille dans cette approche est démontrée, au moins en partie, par le travail de M. Goudreau. Il a regardé tous les mariages des enfants des familles « métisses » identifiées par Malette, Marcotte et Bouchard et a constaté que sur les 44 mariages recensés, 41 d’entre eux  sont des mariages avec des Canadiens-français et seulement 3 avec des personnes d’ascendance mixte. Nous sommes loin des pratiques endogames serrées auxquelles M. Malette référait dans son témoignage.

[362]   Finalement, certaines des personnes que Malette, Marcotte et Bouchard retiennent comme piliers de la communauté historique métisse intègrent la réserve des Algonquins, dont Amable McDougall.

[363]   Bref, le témoignage des experts du PGQ était plus crédible et surtout plus utile pour connaître la vraie situation de la région avant la mainmise.

4.2  Qualification du droit

[364]   Il est quand même important de bien caractériser la revendication des défendeurs car la suffisance de la preuve pour étayer la revendication dépend, dans une large mesure, de la nature précise de ce droit[161].

[365]   Les défendeurs n’allèguent pas exercer une pratique ancestrale du fait qu’ils possèdent un camp de chasse, mais plutôt que leurs pratiques ancestrales de chasse et pêche, de piégeage et de cueillette nécessitent l’utilisation d’un camp de chasse. La possession d’un camp de chasse serait un droit accessoire à ces pratiques ancestrales.  Or, la possession d’un camp de chasse peut constituer un accessoire raisonnable aux pratiques traditionnelles de chasse, de pêche, de piégeage et/ou de cueillette[162], comme explique la Cour suprême du Canada dans. R c. Sundown :

33                              Dans les circonstances, une cabane de chasse est raisonnablement accessoire au droit de la première nation en cause de s’adonner à ses expéditions de chasse traditionnelles.  Cette méthode de chasse est non seulement traditionnelle mais également appropriée, et l’utilisation d’un abri en est un élément important.  Sans abri, il serait impossible pour cette première nation d’utiliser sa méthode de chasse traditionnelle, et ses membres seraient privés de leurs droits de chasse issus du traité.  Une personne raisonnable et bien informée de la méthode des expéditions de chasse traditionnelles conclurait que, dans le cas de la première nation concernée, le droit de chasse issu du traité emporte, en tant qu’accessoire raisonnable, le droit de construire des abris.  Les abris en appentis recouverts de mousse qui étaient utilisés à l’origine ont ensuite été remplacés par des tentes.  Au fil du temps, la tente a fait place à une petite cabane en rondins, qui est un abri approprié pour les expéditions de chasse dans la société d’aujourd’hui.

[366]   Bien que le PGQ semble accepter que la construction d’un camp de chasse puisse être un droit accessoire aux droits ancestraux de chasse, de pêche, de trappe et de  cueillette que les défendeurs revendiquent, le Tribunal a des réserves importantes, car la Cour suprême relie le droit de construire un abri pour exercer un droit de chasse aux traditions de la communauté historique. Or, dans le présent dossier il n’y a rien qui permette de conclure que l’utilisation des abris faisait partie de quelque tradition que ce soit d’une communauté métisse historique. À l’instar des intervenants KZA, le Tribunal estime que les défendeurs devaient en faire la preuve.

[367]   Passons maintenant à la question capitale, soit l’existence d’une communauté métisse historique.

4.3  La communauté historique 

[368]   Commençons par les éléments qui ont permis qu’on identifie une communauté métisse dans Powley :

10                              Le mot « Métis » à l’art. 35 ne vise pas toutes les personnes d’ascendance mixte indienne et européenne, mais plutôt les peuples distincts qui, en plus de leur ascendance mixte, possèdent leurs propres coutumes, façons de vivre et identité collective reconnaissables et distinctes de celles de leurs ancêtres indiens ou inuits d’une part et de leurs ancêtres européens d’autre part.  Les communautés métisses ont vu le jour et se sont épanouies avant que les Européens ne consolident leur emprise sur le territoire et que l’influence des colons et des institutions politiques du vieux continent ne devienne prédominante.  La Commission royale sur les peuples autochtones décrit cette évolution ainsi :

 Si des enfants naquirent très rapidement des mariages entre les Indiennes ou les femmes inuit et les Européens marchands de pelleteries et pêcheurs, l’avènement de nouvelles cultures autochtones se fit attendre plus longtemps.  Au début, les enfants de ces unions mixtes furent élevés selon la tradition de leur mère ou (moins souvent) selon celle de leur père. Toutefois, peu à peu, des cultures métisses distinctes ont fait leur apparition, nées de la fusion originale du patrimoine des Européens et de celui des Premières nations ou des Inuit.  L’économie joua un grand rôle dans ce processus.  Les Métis avaient des qualités et des compétences particulières qui firent d’eux des partenaires indispensables dans les associations économiques entre autochtones et non‑autochtones, et ce rôle contribua à façonner leur culture. [. . .]  En tant qu’interprètes, intermédiaires, guides, messagers, transporteurs, commerçants et fournisseurs, les premiers Métis facilitèrent considérablement la pénétration des Européens en Amérique du Nord.

 Les Français appelaient « coureurs des bois » et « bois brûlés » les Métis qui faisaient la traite des fourrures en raison de leurs activités dans les régions sauvages et de leur teint foncé.  Les Métis du Labrador (dont la culture remonte loin dans le temps) étaient appelés livyers ou settlers — car ils restaient dans les établissements de pêche toute l’année au lieu de regagner périodiquement l’Europe ou Terre‑Neuve.  Les Cris désignaient les Métis par un terme exprimant un de leurs traits caractéristiques, Otepayemsuak, c’est‑à‑dire les « indépendants ».

 (Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones : Perspectives et réalités, vol. 4, p. 225‑226 (« Rapport de la CRPA »))

 Les Métis se sont forgé des identités distinctes qu’on ne saurait réduire au seul fait de leur ascendance mixte.  « Ceux qui se disent Métis se distinguent des autres par leur culture incontestablement métisse » (Rapport de la CRPA, vol. 4, p. 228).

[…]

12                              Nous n’entendons pas énumérer les différents peuples métis qui peuvent exister.  Comme les Métis sont expressément mentionnés à l’art. 35, il suffit en l’espèce de s’assurer que les demandeurs appartiennent à une communauté métisse identifiable et possédant un degré de continuité et de stabilité suffisant pour étayer l’existence d’un droit ancestral rattaché à un lieu précis.  Une communauté métisse peut être définie comme étant un groupe de Métis ayant une identité collective distinctive, vivant ensemble dans la même région et partageant un mode de vie commun.  En l’espèce, les intimés disent appartenir à la communauté métisse de Sault Ste. Marie et des environs de cette ville.  Notre Cour, qui n’a d’ailleurs pas reçu d’observations à ce sujet, n’a pas à décider si cette communauté métisse constitue également un « peuple » métis ou si elle fait partie d’un peuple métis habitant une région plus vaste, par exemple le secteur supérieur des Grands Lacs.

[…]

17                              Comme il a été indiqué plus tôt, l’inclusion des Métis à l’art. 35 ne saurait évidemment pas être expliquée par le fait qu’ils auraient occupé le territoire canadien avant le contact avec les Européens.  L’objet de l’art. 35 en ce qui concerne les Métis n’est donc pas le même qu’en ce qui concerne les Indiens et les Inuits.  Le trait important qui caractérise les Métis du point de vue constitutionnel est leur statut spécial en tant que peuples ayant vu le jour entre le premier contact des Indiens avec les Européens et la mainmise effective de ces derniers sur le territoire.  L’inclusion des Métis à l’art. 35 représente l’engagement du Canada à reconnaître et à valoriser les cultures métisses distinctives, cultures qui se sont développées dans des régions n’étant pas encore ouvertes à la colonisation et qui, comme l’ont reconnu les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982, ne peuvent survivre que si les Métis bénéficient de la même protection que les autres communautés autochtones.

[…]

22                              Dans son rapport, M. Ray indique que les personnes nommées dans le journal du poste de traite [TRADUCTION] « étaient très majoritairement métisses », et il affirme que le rapport Vidal « brosse un tableau sommaire du taux de croissance de la collectivité et fait ressortir le maintien de la prédominance métisse » (rapport Ray, p. 53).  M. Victor P. Lytwyn a dit du rapport Vidal et de la carte l’accompagnant [TRADUCTION] « qu’ils établissaient clairement l’existence d’une communauté métisse distincte et homogène à Sault Ste. Marie » (V. P. Lytwyn, « Historical Report on the Métis Community at Sault Ste. Marie » (1998) (« rapport Lytwyn »), p. 2).  M. Ray a ajouté ceci  : [TRADUCTION] « Lorsque Vidal s’est rendu dans la région de Sault Ste. Marie, les gens d’ascendance mixte qui y vivaient avaient développé un sentiment identitaire distinctif, et tant les Indiens que les Blancs les considéraient comme un peuple distinct » (rapport Ray, p. 56)

23                              Pour établir l’existence d’une communauté métisse susceptible d’appuyer la revendication de droits ancestraux se rattachant à un lieu précis, il faut non seulement apporter des données démographiques pertinentes, mais aussi faire la preuve que le groupe concerné partage des coutumes, des traditions et une identité collective.  Nous reconnaissons que, souvent, des groupes de Métis sont sans structures politiques et que leurs membres ne s’identifient pas constamment comme Métis.  Toutefois, pour étayer la revendication de droits ancestraux se rattachant à un lieu précis, il faut établir l’existence d’une communauté métisse identifiable, caractérisée par un certain degré de continuité et de stabilité.  En l’espèce, nous ne voyons aucune raison d’infirmer la conclusion du juge du procès selon laquelle il existe une communauté métisse historique à Sault Ste. Marie.  Cette conclusion est étayée par le dossier et doit être confirmée. [163]

(Le Tribunal souligne)

[369]   Est-ce que nous retrouvons ces éléments au Lac Sainte-Marie ou dans les environs?

[370]   Les défendeurs estiment avoir prouvé qu’il existait une communauté historique titulaire des droits dans le quadrilatère Lac Sainte-Marie – Maniwaki – Lac des Sables et la rivière du Lièvre jusqu’à Buckingham.

[371]   De leurs arguments écrits le Tribunal comprend que la preuve réside dans plusieurs rapports et documents :

70.      La preuve d’une communauté métisse historique titulaire de droits ancestraux et du droit accessoire d’occupation pour les exercer réside dans les rapports d’expertise d’Allaire-Morin-Galipeau et de Malette-Bouchard-Marcotte produits à l’instance. DC-3, DC-5, DC-16 et DC-19, dans leurs actes de BMS, DC-49 à DC-83 et DC-87 et dans les témoignages des défendeurs et des six membres de la CMAM.

71.      La preuve des pratiques ancestrales distinctives du groupe de Métis au Lac Sainte-Marie réside dans les rapports du père Joseph Desautels et de l’arpenteur John Snow, cités dans les rapports DC-3, DC-16 et PC-23, le Mémoire de Mathieu Sabourin, les articles de Goudreau sur les pionniers du Lac Sainte-Marie et de la Lièvre, les témoignages des défendeurs et ceux de six membres de la CMAM sur les pratiques ancestrales de leurs ancêtres autour des emplacements en litige.[164]

[372]   Analysons cette preuve. La pièce DC-3, le rapport Allaire/Morin est essentiellement un document axé sur la généalogie des individus et qui démontre que certaines familles, incluant celles d’Andrew McPherson et son gendre François Naud, dont les enfants étaient de sang mixte se sont établies dans la région en question à partir de 1838. Le rapport fait état de nombreux baptêmes d’enfants de sang mixte sur une période d’environ 10 ans.

[373]   Cependant, le Tribunal estime que l’arrivée de ces personnes dans la région ne suffit pas à démontrer l’existence d’une communauté. Ainsi, pour compléter leur thèse, Allaire et Morin réfèrent à plusieurs sources contemporaines.

[374]   L’arpenteur Snow en est une; mais regardons ce qu’il dit :

The inhabitants heretofore have subsisted chiefly by hunting & fishing of which the lakes & vicinity afford a superabundance. They are commencing however to pay more attention to the improvements of their farms.[165]   

(Le Tribunal souligne)

[375]   Bien que les défendeurs mettent l’emphase sur les mots “subsisted chiefly by hunting & fishing”, pour le Tribunal sont plus importants les mots “more attention to the improvement of their farms”. La thèse des défendeurs est que la culture distinctive de la communauté historique métisse comprenait la chasse, la pêche, la trappe et la cueillette de subsistance et que les fermes étaient surtout négligées. Or, la preuve colligée par les experts en demande démontre le contraire. Parfois ils se servaient des mêmes sources que les experts en défense. Les personnes que les défendeurs retiennent comme étant à l’origine de la communauté historique travaillaient avec acharnement pour défricher le maximum de leurs terres, ce qui va à l’encontre des affirmations de Malette, Marcotte et  Bouchard à l’effet que les Métis n’étaient pas attirés par l’agriculture  Et, au moins une de ces personnes, François Naud, était également très actif dans l’industrie forestière, pas comme ouvrier, mais plutôt comme commerçant.

[376]   Les propos du Père Desautel offrent peu d’information sur les traits culturels distinctifs, sauf pour dire que les familles du Lac Sainte-Marie vivaient de la chasse et de la pêche. Par contre, il n’identifie aucunement une communauté métisse et plus important en 1847, il décrit ces familles comme étant : « seize familles canadiennes, métisses et sauvages »[166], et ce, après avoir parlé des familles canadiennes en 1841. Qui plus est, d’autres rapporteurs de la période, dont le père Durocher, à titre d’exemple, réfère à des familles canadiennes, tel que mentionné ci-haut, et non pas à des familles métisses.

[377]   Quant aux auteurs Malette, Marcotte et Bouchard, ils concluent à l’existence d’une communauté historique mixte d’ascendance indienne et européenne dans la région de Maniwaki[167]. Mais, avec égards, il est très difficile de saisir comment ils arrivent à cette conclusion. Regardons certains aspects de leur tableau 2[168].

[378]   Pour ce qui est de la reconnaissance culturelle, bien que plusieurs des documents colligés pour le dossier réfère à des Half-Breeds, le Tribunal reconnait que plusieurs des observateurs considérés par les experts de la défense se servent de ce terme ou de mots semblables. On retrouve des Half-Breeds dans la région sous étude. Cependant la preuve ne permet pas de conclure que nous les voyons dans une communauté avec des pratiques culturelles distinctives. Ils vivent dans les mêmes communautés que les Canadiens et les Indiens.  

[379]   Et, le témoignage de M. Marcotte sur les trois étapes à la création de la communauté surprend aussi. Il voit la création de la communauté dès l’arrivée des hivernants. Or, le Tribunal estime que l’arrivée de certaines personnes à un même endroit ne démontre pas qu’une communauté a été créée au même moment. D’autres indices, absents dans le présent dossier, sont requis.

[380]   La preuve offerte par les défendeurs s’avère insuffisante pour établir une communauté distinctive. Rappelons ce que la Cour d’appel dit dans Corneau :

[68]        Pour établir l’existence d’une communauté historique, il faut, en plus du métissage biologique, faire la preuve que le groupe visé partage des coutumes, des traditions et une identité collective. Or, de l’avis du juge, cette démonstration ne lui a pas été faite, la preuve prépondérante démontrant au contraire que les personnes d’ascendance mixte n’ont pas évolué comme groupe distinctif, mais qu’ils se sont tantôt intégrés aux Montagnais, tantôt aux Eurocanadiens. C’est l’opinion qu’expriment les historiens Nelson Martin Dawson et Réal Brisson qui ont produit chacun un rapport pour le compte de l’intimée, de même que celle de l’anthropologue Paul Charest qui a aussi produit un rapport au nom des Premières nations mises en cause.

[…]

[76]        Une revue de la jurisprudence canadienne indique que les tribunaux, dans leur recherche d’une communauté métisse historique donnée, tiennent compte de traits distinctifs tels la création d’institutions, le mode de vie, l’économie, la musique, la langue, les vêtements, etc.[169]

[381]   Qui plus est, bien qu’au Lac Sainte-Marie et aux alentours il y ait de nombreux enfants nés des unions mixtes, il y avait une absence de pratiques endogames chez ces enfants, contrairement à ce qui s’est produit dans l’ouest du Canada. Pour la plupart, ils intégraient la communauté canadienne française par leurs mariages.

[382]   Et, beaucoup de personnes identifiées comme Métisses par les experts de la défense intégraient la communauté algonquine.

[383]   Bref, il n’y avait aucune pérennité de la prétendue communauté historique. Les familles mixtes se sont rapidement intégrées à la communauté des Canadiens-français ou, parfois, à la communauté algonquine. Le Tribunal estime qu’une certaine continuité est requise pour conclure à l’existence d’une communauté :

42                              Peterson décrit ainsi les communautés métisses des Grands Lacs (à la p. 41) :

 

[TRADUCTION]  Ces gens n’étaient ni des membres par association des tribus indiennes ni des porte‑étendards de la civilisation européenne dans les contrées sauvages.  De plus en plus, ils se sont distingués des deux autres groupes ou, pour être plus précis, ils se sont taillés une place entre les deux.  Une fois les dernières luttes pour l’empire terminées en 1815, leurs villes, qui se distinguaient visuellement, ethniquement et culturellement des villages indiens avoisinants et des « villes blanches » situées le long du littoral est, s’étendaient de Detroit et Michilimackinac à l’est jusqu’à la rivière Rouge au nord‑ouest.

 . . .

 . . . [L]es résidants [de ces communautés commerçantes] [. . .] basaient leur subsistance sur l’exploitation des ressources locales plutôt que sur l’importation de produits européens [. . .]  Ces villes se sont développées sous l’impulsion des descendants de commerçants canadiens et de femmes indiennes, qui y occupaient une place de plus en plus dominante.  Une fois majeurs, ces descendants se sont mariés entre eux et ont donné naissance à des générations successives de Métis. Dans les deux cas, ces communautés n’étaient pas le prolongement de la culture coloniale d’abord française, ensuite britannique, mais résultaient plutôt d’« adaptation[s] à l’environnement du secteur supérieur des Grands Lacs ».  [Nous soulignons.][170]

 

[384]   Quant aux éléments politiques et idéologiques, la preuve que la prétendue communauté de la région se serait adonnée à des pétitions ou à des négociations pour différentes causes, ou qu’il y aurait eu des organisations politiques est complètement absente. En outre, les expressions politiques régionales de l’époque, généralement sous forme de pétitions, furent entreprises par les Algonquins et souvent des personnes identifiées comme Métisses par les experts de la défense signaient ces pétitions. Ce fait en est un qui démontre l’absence d’une culture distinctive et surtout l’absence d’une communauté historique identifiable.

[385]   De plus, il faut se questionner sur l’existence ou non d’une masse critique de personnes métisses dans la région sous étude. L’Annexe I du rapport de Malette, Marcotte et Bouchard permet de faire le constat qu’il y avait un petit nombre d’adultes de sang métis dans la région au moment de la mainmise. En revanche, il faut normalement qu’une société de sang mixte atteigne une masse critique afin qu’une culture distinctive se développe[171].

[386]   Un autre élément frappe quand nous considérons cet Annexe I. Un grand nombre des personnes que Malette, Marcotte et Bouchard lient à la communauté sont nés ailleurs :

 Ambroise Beaulieu (Grand Lac des Esclaves);

Joseph Jussiaume (fils) (étranger à l’Outaouais);

(Joseph Foubert (Pays d’en Haut);

Elizabeth Frances McDonell (Ouest, indéterminé);

Thomas Taylor (Terre de Rupert);

Mary Keith (Grands Lacs);

Louise Forcier (Pays d’en Haut);

James Beads (Moose Factory);

Joseph David (Rivière Rouge);

Pierre Paul (Nord-Ouest);

Jean-Baptiste Bernard (Pays d’en haut).[172]

[387]   Plusieurs se sont brièvement établis au Lac Sainte-Marie[173].

[388]   Il est également important de considérer que ces experts voient les débuts de la communauté métisse avec l’arrivée des couples en unions mixtes. Or, ces personnes n’étaient pas elle-même métisses. Les enfants de ces unions pouvaient l’être, mais étaient d’un jeune âge au moment de la mainmise.

[389]   Cela amène au constat que les quelques « adultes de lignage Métis » de 1860, que les auteurs identifient, qui ont pu pratiquer les prétendues « traditions » et les «  rapports au territoire » de la communauté alléguée dans les années 1830, sont surtout une poignée de nouveaux, arrivés au compte-gouttes, à des moments divers, qui provenaient de différentes régions aussi éloignées que les Territoires du Nord-Ouest, les Grands-Lacs ou la Rivière Rouge.

[390]   En 1861, des 60 « adultes de lignage Métis » identifiés par Malette, Marcotte et Bouchard, dont certains sont morts ainsi que ceux qui sont partis et ceux qui ne sont pas encore arrivés, tous doivent être considérés, à la lumière de la présence de plus d’un millier de colons adultes tous simultanément recensés sur place dans le secteur qui fait l’objet du litige[174].

[391]   Il est aussi important de souligner que cette communauté historique devait être en place avant la mainmise, car ce sont les personnes sur place avant celle-ci qui auraient fait l’expérience des coutumes et traditions héritées des ancêtres avant que ces pratiques ne soient marginalisées par l’arrivée des colons.

[392]   Sur la question de la mainmise, les experts semblent s’entendre qu’elle se situe entre 1850 et 1860. Le Tribunal retient du témoignage de M. Morneau qu’elle ne peut pas avoir eu lieu plus tard que 1860.

[393]   Rappelons que les premiers hivernants arrivent entre 1838 et 1840, de sorte qu’ils n’auraient eu que 20 ans pour développer une communauté avec des pratiques culturelles distinctives. Une telle communauté n'a pas pu exister avant 1860. Plus important, comme nous avons vu, le manque de pratiques endogames fait en sorte que, s’il y avait une telle communauté, ce que le Tribunal n’accepte pas, elle n’aura que brièvement existé.  

4.4  Une culture distinctive

[394]   Les défendeurs soutiennent que la culture distinctive de la communauté historique s’illustre par la chasse, la pêche et la trappe de subsistance et que ces pratiques ont été transférées de génération en génération. Ils ajoutent que ces pratiques de chasse et pêche pour s’alimenter sont corroborées par les écrits de deux témoins oculaires qui les ont côtoyées, le prêtre Joseph Desautels en 1842 et l’arpenteur John Snow en 1848.

[395]   Or, il y a une faille avec la thèse des défendeurs. Le prêtre Desautels n’a pas identifié la chasse et la pêche comme pratiques distinctives des Métis, mais plutôt de toutes les familles qu’il a observées, dont des familles canadiennes, sauvages et métisses.

[396]   Quant à Snow, comme le Tribunal a dit, son constat était que les familles portaient plus d’attention à leurs fermes, ce qui n’est pas un indice de  pratique de la chasse et de la pêche pour subvenir à leurs besoins.

[397]   Un autre chroniqueur dit ceci en relation avec la pratique des colons :

 La pêche et la chasse lui sont d'un grand secours pour rompre la monotonie de son ordinaire, A sa perpétuelle soupe aux pois, à ses crêpes, à ses omelettes et grillades de gros lard il ajoute quelques tourtres et quelques perdrix, ou, les jours de maigre, quelques poissons pris au lac voisin, tel que truites, anguilles, carpes, brochets, maskinongés, perches, barbottes et barbues.[175]

[398]   Il revient aux défendeurs de faire la preuve de la pratique distinctive qu’ils soulèvent. L’arrêt de la Cour Suprême du Canada dans R. c. Van der Peet, établit ce principe :

 

Pour faire partie intégrante d’une culture distinctive, une coutume, pratique ou tradition doit avoir une importance fondamentale pour la société autochtone concernée

 55               Pour satisfaire au critère de l’élément faisant partie intégrante d’une culture distinctive, le demandeur autochtone doit non seulement démontrer qu’une coutume, pratique ou tradition était un aspect de la société autochtone à laquelle il appartient ou qu’elle y était exercée, mais en outre qu’elle était un élément fondamental et important de la culture distinctive de cette société.  Autrement dit, il doit établir que la coutume, pratique ou tradition était l’une des choses qui rendaient la culture de la société distinctive — que c’était l’une des choses qui véritablement faisait de la société ce qu’elle était.

[…]

70               Le tribunal appelé à identifier les coutumes, pratiques et traditions qui constituent les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) doit s’assurer que la coutume, la pratique ou la tradition invoquée dans un cas donné revêt une importance particulière pour la collectivité autochtone qui revendique le droit.  Il ne doit pas s’agir d’une coutume, pratique ou tradition simplement accessoire d’une autre coutume, pratique ou tradition, mais elle doit plutôt présenter ellemême une importance fondamentale pour la société autochtone concernée.  Lorsqu’il existe deux coutumes, mais que l’une d’elles est simplement un accessoire de l’autre, la coutume qui fait partie intégrante de la culture de la collectivité autochtone en cause sera considérée comme un droit ancestral, mais pas celle qui a simplement un caractère accessoire.  Les coutumes, pratiques et traditions accessoires ne peuvent être considérées comme des droits ancestraux du fait qu’elles se greffent sur des coutumes, pratiques et traditions faisant partie intégrante d’une culture.[176]

[399]   La preuve qu’offre les défendeurs sur la chasse et la pêche est surtout axée sur le présent et non pas sur le passé. Bien sûr la preuve du passé n’est pas facile à administrer, mais de l’avis du Tribunal les références à Desautels et Snow ne suffisent pas.

[400]   Néanmoins les défendeurs demandent au Tribunal de faire des inférences :

[…] La souplesse s’impose lorsqu’on entreprend l’analyse retenue dans l’arrêt Van der Peet, puisque l’objectif est d’assurer la sécurité et la continuité culturelles de la société autochtone concernée. Cet objectif constitue le contexte de l’analyse. Pour cette raison, les tribunaux doivent, en  l’absence de preuves directes, être disposés à faire les inférences nécessaires pour déterminer si la pratique existait et si elle faisait partie intégrante de la culture distinctive.[177]

[401]   Le Tribunal ne peut pas être en désaccord avec cette affirmation, mais il doit être lu avec les mots suivants :

[…] Il ne faut pas minimiser l’importance de présenter des éléments de preuve établissant l’existence de la pratique antérieure au contact sur laquelle repose le droit revendiqué.  Car en l’absence de tels éléments, les tribunaux auront du mal à établir un lien entre le droit revendiqué et le mode de vie antérieur au contact du peuple autochtone concerné de façon à faire intervenir la protection prévue à l’art. 35.[178]

[402]   Et, dans le présent dossier il y a une absence ou quasi-absence des éléments de preuve qui permettraient de faire des inférences au fait que les personnes au Lac Sainte-Marie vivaient de la chasse, de la pêche ainsi que de la trappe de subsistance. De plus, le Tribunal estime qu’il ne peut pas ignorer que les Anishinabeg réclament des droits sur le territoire et que leur revendication est beaucoup plus étayée par la preuve.

[403]   En outre, M. Bouchard avoue que les Algonquins de la région avaient essentiellement les mêmes pratiques de chasse, soulevant des différences subtiles, sans les préciser.

[404]   Quant à M. Marcotte, quand il estime que l’implication de plusieurs familles dans l’industrie forestière était un indice de leur prospérité, mais pas une indication qu’elles aient abandonné leur identité métisse, il semble mettre de côté le trait culturel distinctif de subsistance de la pratique de chasse et pêche que les défendeurs proposent comme pratique culturelle distinctive.

[405]   Pour conclure sous cette rubrique, le Tribunal ne peut pas conclure que la chasse, la pêche et la trappe, aux fins de subsistance, étaient des pratiques culturelles distinctives de la prétendue communauté au Lac Sainte-Marie.

4.5  La continuité de la communauté

[406]   Si nous acceptions qu’une communauté historique métisse existait aux alentours de 1850 ou 1860, qu’en est-il de sa continuité. Le Tribunal a déjà discuté de cela lors de sa discussion des pratiques exogames des enfants de couples mixtes, mais, quels sont les autres indices?

[407]   Comme le Tribunal a dit, le recensement de 1871, pour les sous-districts analysés depuis les sous-districts de Masham à Baskatong sur la rivière Gatineau, ainsi que les sous-districts de Portland à Lièvre Est dans la rivière du Lièvre, ne révèle aucun cas où un chef de famille aurait fourni la réponse « Métis » ou « Half-Breed » pour lui-même ou un des membres de sa famille.

[408]   Les différentes pétitions à partir de 1871 révèlent également un manque de continuité de la communauté métisse, en ce que  les gens ne s’identifiaient pas comme Métis. Plusieurs des personnes que Malette, Marcotte et Bouchard identifient comme Métisses, dont M. Riel et M. Sévère St. Denis signent à titre de « White People » et M. Chaussé comme « Indians of Maniwaki ».  

[409]   Par ailleurs, il est très curieux qu’après que M. Bouchard ait mis de l’emphase sur la démarche de Paul Riel de 1880, qu’il en conclue finalement que les Métis ne sont pas un peuple dominant. Il a raison de dire que les Métis n’étaient pas un peuple dominant de la région, mais le traitement contemporain de l’identité de Paul Riel permet aussi de mettre en doute que le noyau des habitants du Lac Sainte-Marie se soit transformé en communauté.  

[410]   Le commentaire de M. Bouchard voulant que les installations des Métis soient souvent abandonnées mène à la même conclusion. Comment peut-on conclure à l’existence d’une communauté devant un tel constat?

[411]   Ses mots sur la pétition de 1873 contre l’agent White voulant que les mots « in a mixed community like this » prouvent qu’il y ait eu des Métis dans la communauté, bien que sans doute véridiques, surprennent. Les mots remettent clairement en question l’existence d’une communauté métisse avec des pratiques culturelles distinctives, tout comme le fait que la démarche n’en était pas une qui venait des leaders d’une communauté métisse.  La communauté comportait plutôt plusieurs cultures.

[412]   Qu’en est-il des propos de M. Bouchard sur la communauté à Michomis en 1899? Ni plus ni moins, ses références démontrent une communauté mixte, comme, en passant, la plupart des auteurs ont constaté vers 1849 au Lac Sainte-Marie.

[413]   Pour le Tribunal le propos de M. Marcotte voulant que la décision de plusieurs personnes métissées de rechercher la protection des communautés autochtones n’est pas un indice de l’absence d’une communauté métisse surprend. S’il y avait une vraie communauté métisse, il semble peu probable que ses membres auraient eu besoin de cette protection.

4.6  Existe-t-il une communauté contemporaine?

[414]    En 2016, le juge Pierre Dallaire concluait que les défendeurs n’ont pas réussi à démontrer l’existence d’une communauté contemporaine[179]. À l’instar de son collègue le Tribunal estime que la preuve d’une communauté contemporaine n’a pas été offerte.

[415]   CMAM n’est pas une communauté mais plutôt un organisme qui offre, à ceux qui se qualifient, des cartes de membres ainsi que de l’aide avec la recherche de leur généalogie. Elle offre également une certaine protection aux personnes qui ont des camps de chasse comme les défendeurs. Voici ce que Serge Paul dit à ce sujet :

Q. Si vous n’êtes pas affilié au CAP et à son Alliance autochtone au Québec, vous n’avez pas les fonds pour les programmes spéciaux. Donc, l’organisation aujourd’hui a son membership, par contre, ce qu’elle peut offrir, c’est les cartes des membres de la Communauté Autochtone de Maniwaki qui sont affichées dans les camps de chasse de leurs membres, c’est exact?

R Veux-tu juste répéter la dernière chose que tu as dit.

Q Votre organisation émet des cartes à ses membres...

R Oui.

Q ... et ses membres les affichent dans les fenêtres de leurs camps de chasse?

R Oui.

Q Et c’est écrit dans ces cartes, dans ces affichettes-là : « Ce camp appartient à un membre de la Communauté métisse autochtone de Maniwaki, communiquez avec Serge Paul. »?

R Oui.[180]

[416]   La preuve démontre également que CMAM n’est pas la continuité d’une quelconque communauté historique qui existait au Lac Sainte-Marie. La liste de membres s’élève à plus de 7 000 dont la plupart n’habitent pas dans la région. Une liste bonifiée en comporte 2 000. Mais, comme expliquait M. Goudreau, des souches principales du membership liées à la communauté historique, très peu de descendants se sont mariés avec d’autres familles métisses de la région. CMAM est plutôt un organisme crée sans  compréhension de la communauté historique.  

[417]   Mais CMAM a essayé d’y remédier. Une des listes de 2013 s’intitule « Liste des membres dont les ancêtres se trouvaient dans la région avant 1870. » Cependant la « région » comprend « Baie James à Vaudreuil-Dorion, Montréal non inclus, rivière l’Assomption comme limite nord, Ontario acceptée également »[181]. La dite communauté contemporaine s’éloigne de la prétendue communauté historique.

[418]   Elle n’exerce aucune activité traditionnelle réclamée par les défendeurs; pas de chasse, pas de pêche et pas de piégeage. Bien sûr CMAM tient des soupers de saucisses à Noël, mais pour le Tribunal un souper annuel ne suffit pas pour démontrer l’existence d’une communauté contemporaine et encore moins une qui continue les pratiques culturelles de la communauté historique.

[419]   Mais il y a plus, le Tribunal retient de la preuve que les différents témoins qui se disent Métis ne se connaissent pas bien ou pas de tout. M. Généreux n’a rencontré ni Mme L’Heureux, ni Serge Paul lors de son adhésion à CMAM entre 2008 et 2018.

[420]   Ils n’exercent pas d’activités traditionnelles ensembles. Leurs camps ainsi que leur usage leur sont propres en dépit du fait que les droits ancestraux soient collectifs.

[421]   En disant cela, le Tribunal reconnait qu’il se pourrait que dans certaines situations des individus puissent revendiquer l’exercice d’un droit ancestral à titre individuel, mais cette question n’a pas encore été tranchée. Néanmoins, la communauté alléguée actuelle n’exerce aucune surveillance sur l’usage que les défendeurs font des terres autour de leurs camps de chasse et les défendeurs se permettent d’abattre un nombre important d’animaux; les quantités qui vont bien au-delà des besoins de subsistance.

[422]   On peut mettre cette situation en contraste avec les pratiques de KZA qui contrôle l’abattage de certains animaux comme M. Whiteduck l’a expliqué. Devant une vraie communauté, on peut de demander si elle aurait permis à M. Séguin de tuer 14 loups aux fins de « subsistance ».

[423]   Le Tribunal conclut que nous ne sommes pas devant une communauté contemporaine mais plutôt devant des individus qui tentent de tirer avantage de leur prétendu statut de Métis pour garder leurs camps de chasse.

[424]   Mais qu’en est-il de ce statut réclamé?

4.7  Le statut de Métis des défendeurs

[425]   Sous ce titre, rappelons que les défendeurs doivent non-seulement démontrer leur statut de Métis, mais également leur lien avec la communauté historique. 

[426]   Pour les raisons déjà discutées, ils échouent.

[427]   Mais il y a plus. Le défendeur Généreux n’a aucune ascendance autochtone[182].

[428]   Il « devient » Métis en 2008 à l’âge de 45 ans alors qu’il chasse depuis qu’il est tout jeune. Ce n’est pas un hasard qu’il adhère à cette organisme au moment où il souhaite conserver un bon « spot » de chasse au Lac Francine alors que toutes les démarches pour régulariser son occupation n’ont donné aucun résultat.

[429]   Contrairement aux exigences de la jurisprudence le défendeur Généreux ne prétend même pas que son grand-père Donat avait des ancêtres autochtones. Il soutient plutôt ,et ce, à répétition, que son grand-père Donat et sa descendance deviennent Métis par le simple fait d’avoir appris les pratiques traditionnelles de chasse, de pêche et de piégeage de Louis Tanascon. Que Donat Généreux ait appris les pratiques de chasse de M. Tanascon semble invraisemblable à la lumière du moment où les deux sont arrivés à la région.

[430]   De plus Donat Généreux n’avait aucune connexion avec une quelconque communauté historique au Lac Sainte-Marie. Louis Tanascon n’était pas un Métis de la communauté métisse du Lac Ste-Marie car lui et ses parents ont passé la totalité de leur vie au sein des communautés indiennes de l’Outaouais[183]. Et, comme dit M. Whiteduck, il faisait partie de la communauté algonquine.

[431]   Quant à M. Séguin, bien qu’il ait des ancêtres amérindiens, sur trois lignées suivant la thèse en défense ou sur deux selon les demandeurs, ses ancêtres dans deux de ces lignées ne sont arrivés dans la région sous étude qu’au 20ième siècle[184], ce qui rend peu probable une connexion avec la communauté historique proposée.

[432]   Quant au troisième, la lignée Beaulieu/Minoé, il s’agit d’un mariage entre deux conjoints issus directement d’unions entre un homme Euro-canadien et une femme appartenant aux  Premières Nations et, au surplus, présents sur le territoire pertinent à l’époque pertinente.

[433]   Toutefois, l’histoire du couple ne permet pas de conclure qu’il pratiquait les coutumes traditionnelles lesquelles selon les experts en défense caractérisaient la communauté historique. Pendant la première étape de sa vie active (dès l’âge de 17 ans en 1822 jusqu’à l’âge de 28 ans en 1833) Ambroise Beaulieu prend part au commerce de la fourrure au Lac des Sables. Mais, il y possédera  par la suite une ferme et engagera ses services et sa production agricole dans des rôles de soutien à la foresterie; il possède en 1846 une maison avec un grenier, une étable et un atelier et a défriché depuis 1833 plus de 29 acres de terre. Dans les dernières années de sa vie, soit vers 1860, il partage une maisonnée avec son gendre Filiatrault dit Saint-Louis, Canadien des Basses Laurentides (St-Benoît) et tous les deux sont alors qualifiés de « farmer » dans le recensement[185].

[434]   Pour conclure, même si M. Séguin a démontré avoir des ancêtres autochtones ou métissés, il n’a pas prouvé que ces personnes faisaient partie d’une communauté historique métisse.

[435]   En dernier lieu, regardons la question de l’autoidentification. Sans aucunement nier la possibilité que les défendeurs puissent s’identifier comme Métis, Powley émet des limites :

31                              Premièrement, le demandeur doit s’identifier comme membre de la communauté métisse.  Cette auto‑identification ne doit pas être récente : en effet, bien qu’il ne soit pas nécessaire que l’auto‑identification soit constante ou monolithique, les revendications présentées tardivement, dans le but de tirer avantage d’un droit visé à l’art. 35, ne seront pas considérées conformes à la condition relative à l’auto‑identification.[186]

(Le Tribunal souligne)

[436]   Ici, la preuve permet de constater une identification tardive des défendeurs qui veulent protéger leurs camps de chasse.

5.            les frais de justice

[437]   Le PGQ demande que les frais de justice, suivant l’article 340 C.p.c., soient payés à 100% par les défendeurs. Pour les frais des experts, il réduit sa réclamation à 100 000 $ sur un total de 195 239 $[187].

[438]   Les défendeurs font valoir qu’ils ne devront pas supporter les frais des experts. Ils s’expriment en ces termes :

377.     Advenant que le tribunal accueille la Requête et la Demande en éviction du PGQ, les défendeurs et l’intervenante demandent dispense de tous les frais de justice et le remboursement de l’entièreté de tous ses frais de justice, tel qu’il sera davantage plaidé.

378.     L’adjudication des frais de justice par les juges d’instance est un exercice discrétionnaire. Ils peuvent faire exception à la règle à la demande d’une partie. Ils doivent écouter et soupeser les arguments. Ils peuvent aussi y faire exception d’office.

379.     Les défendeurs et l’intervenante CMAM n’ont pas fait montre de témérité. Ils se croyaient brimés dans certains de leurs droits ancestraux métis reconnus par la Constitution canadienne. Ils ont soulevé un débat de fond et non un débat théorique. Ils ont fait appel à des experts. Leur bonne foi n'a pas été mise en doute.

380.     Pour invoquer leurs droits ancestraux, ils se sont attaqués à l'État. Le rapport de force était en soi inégal.

381.     Mieux vaut ne pas dissuader les citoyens, ici les Métis, d'invoquer leurs droits ancestraux issus de la Constitution de façon responsable. Leur recours judiciaire a une saveur démocratique. Dans ce contexte, il ne serait pas indiqué de les faire supporter les dépens.

289.     Vu l’importance de la présente affaire en droit public, sa complexité et le fait que la Couronne n’a pas respecté son obligation de consulter les Autochtones sur la cession de leur titre autochtone, la défense de nature constitutionnelle et les droits ancestraux réclamés selon l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, cette demande est bien fondée en faits et en droit.[188]

[439]   L’attribution des frais d’experts relève de la discrétion du Tribunal[189]. Comment l’exercer ici?

[440]   Le Tribunal estime la proposition du PGQ tout à fait appropriée. Dans le cas présent le Tribunal ne partage pas complètement l’affirmation des défendeurs qu’ils n’aient pas agi avec témérité. Regardons ce que le juge Dallaire a dit en 2016 :

 [135]     Tout ceci pour dire que, sur la base de la preuve que le Tribunal a entendue, et sans se prononcer sur le fond du dossier, il ressort que les requérants sont très mal partis pour établir qu’ils font partie d’une communauté métisse contemporaine avec des coutumes et des façons de faire qui sont dans la continuité d’une communauté historique.

[136]     De l’ensemble de leurs témoignages, il semble que l’organisation de la Communauté métis autochtone de Maniwaki dont ils font partie vise surtout à tenter de suivre ou calquer le modèle de l’arrêt Powley, rendu en 2003 (notons que la Communauté métis autochtone de Maniwaki n’a adopté ce nom qu’en 2006, trois ans après Powley), pour permettre à ses membres de revendiquer des droits ancestraux sur cette base.

[137]     C’est du moins l’image qui ressort de ce que le Tribunal a entendu et des procès-verbaux des réunions annuelles de la communauté métis autochtone de Maniwaki.

[138]     Comme le juge Banford dans Corneau, le Tribunal ne doute pas de l’attachement des témoins entendus et des membres de la communauté pour les valeurs provenant de leurs origines autochtones ancestrales. À la lumière de la preuve entendue, Il fait siens les commentaires du juge Banford :

 

[364]         Il ne fait pas de doute, dans l’esprit du Tribunal, que l’intimé Ghislain Corneau, tout comme un grand nombre des co-intimés, a développé un lien privilégié avec la forêt pour satisfaire un profond besoin pour les activités qui s’y pratiquent, telles la chasse, la pêche et la cueillette de petits fruits, par exemple.

[365]         De même, le Tribunal ne peut nier la sincérité du témoin lorsqu’il relie cet attachement quasi-spirituel à la faune, à ses origines autochtones ancestrales.

[366]         Toutefois, prouver, au sens de l’arrêt Powley, son appartenance à une communauté métisse actuelle nécessite une démonstration plus rigoureuse.

[139]     Sans vouloir leur manquer de respect aux témoins qu’il a entendus, car il s’agit de bonnes personnes pour lesquelles le Tribunal a beaucoup d’estime, le portrait qui ressort de leur témoignages pourrait s’illustrer au moyen des commentaires que le juge Banford adresse à Ghislain Corneau quand il écrit :

 

[373]         En fait, ce n’est que face à la menace de ses intérêts de chasseur que l’intimé entreprend de s’intéresser à ses origines autochtones.

[374]         Dans les circonstances, ce réveil tardif laisse présumer de l’opportunisme de l’identification de la part de l’intimé Ghislain Corneau. En effet, tenter de fonder un droit autochtone sur la seule base d’un lien de sang, ne peut suffire à démontrer objectivement, à la fois le fait qu’une personne est un descendant direct des premiers habitants du pays et le fait de la continuité entre ses propres pratiques et celles de ses ancêtres métis.

 

 [140]     Cette référence au fait qu’on ne puisse fonder un droit autochtone sur la seule base d’un lien de sang prend un sens bien particulier dans le présent dossier où la preuve préliminaire révèle par exemple que Séguin doit remonter environ 12 générations (ou peut-être cinq générations, car la preuve n’est pas si claire) pour trouver dans son lignage un ou une autochtone.

[141]     Évidemment, ceci ne permet pas d’exclure la possibilité qu’il y ait entre Séguin et son ancêtre une continuité quant à la transmission des valeurs et coutumes métisses (pour autant que la présence d’un autochtone dans la lignée ait mené à l’intégration des enfants à une communauté métisse), mais on ne peut passer sous silence l’ampleur presqu’insurmontable du défi à relever pour en faire la preuve.[190]

(Références omises)

[441]   Ce qui frappe à la lecture de ces mots est que, nonobstant les réserves quant au bienfondé potentiel du recours très bien exposées par le juge Dallaire, les défendeurs ont décidé d’aller de l’avant et n’ont presque pas adressé les lacunes dans la preuve identifiées par ce dernier. Dans de telles circonstance, le Tribunal estime qu’ils doivent verser une partie importante du coût des frais d’expertises.

[442]   Sans nier que les Métis ont le droit de faire avancer des réclamations, comme celle qui fait l’objet du présent dossier, nous ne sommes pas ici devant une revendication d’une communauté, mais plutôt celle de trois individus, dont deux sont supportés par CMAM, qui n’est pas une communauté. Une décision de les dispenser du paiement des frais de justice et d’une partie importante des frais d’expertise dans le présent dossier, pourrait avoir pour effet d’encourager d’autres réclamations sans que les personnes ou organismes qui revendiquent un droit en présentent la preuve requise pour établir une communauté historique et même une communauté contemporaine.

[443]   De plus, le Tribunal doit avoir un regard envers la réalité que les droits de chasse, de pêche et de trappe que les membres de KZA pourraient revendiquer semblent, à première vue, plus solides. Il doit se garder contre la possibilité que des individus avec des revendications peu solides ou même frivoles puissent s’ingérer dans ces droits.

[444]   Le PGQ propose un partage des frais d’expertise entre la CMAM, M. Séguin et M. Généreux. Le Tribunal n’est pas d’accord. Il partagera les frais d’expertise entre les deux dossiers, 50 000 $ par dossier et cela reviendra à la CMAM et ses membres de partager le paiement entre eux.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier 560-17-001385-126

[446]   ORDONNE au défendeur en reprise d’instance, Martin Séguin, de délaisser l'emplacement faisant partie intégrante des terres du domaine de l’État à savoir :

« Un emplacement situé au nord du lac Chevreuil, canton McGill, rang V, lot 28, (coordonnées MTM 5114206 Nord, 376064 Est, du feuillet 31 J/04 N.-E), district de Labelle »

[447]   ORDONNE au défendeur en reprise d’instance, Martin Séguin, de remettre les lieux en état dans un délai de dix (10) jours de la date où le présent jugement deviendra exécutoire et, à défaut, AUTORISE le demandeur à effectuer ou à faire effectuer les travaux requis à cette fin aux frais du défendeur en reprise d’instance;

[448]   DÉCLARE que, le dixième jour suivant la date où le présent jugement deviendra exécutoire, tous les biens tant meubles qu'immeubles se retrouvant sur ledit emplacement seront dévolus sans indemnité et en pleine propriété, au domaine de l’État et, à cette fin, DISPENSE le demandeur de signifier le préavis prévu à l'article 565, alinéa 2 du Code de procédure civile (L.R.Q., c. C-25);

[449]   LE TOUT avec frais de justice et des frais d’expertises au montant de 50 000 $ contre le défendeur en reprise d’instance et l’intervenante la Communauté Métis Autochtone de Maniwaki.

Dossier 560-17-001970-182

[451]   ORDONNE au défendeur de délaisser l'emplacement faisant partie intégrante des terres du domaine de l’État à savoir :

« Un emplacement situé dans une partie non-divisés du Bassin-de-la-Rivière-Gatineau, feuillet 31011-200-0202 aux coordonnées MTM  9, 5281123 m Nord et 398931 m Est »

[452]   ORDONNE au défendeur de remettre les lieux en état dans un délai de dix (10) jours de la date où le présent jugement deviendra exécutoire et, à défaut, AUTORISE le demandeur à effectuer ou à faire effectuer les travaux requis à cette fin aux frais du défendeur;

[453]   DÉCLARE que, le dixième jour suivant la date où le présent jugement deviendra exécutoire, tous les biens tant meubles qu'immeubles se trouvant sur ledit emplacement seront dévolus sans indemnité et en pleine propriété, au domaine de l’État et, à cette fin, DISPENSE le demandeur de signifier le préavis prévu à l'article 565, alinéa 2 du Code de procédure civile (L.R.Q., c. C-25);

[454]   LE TOUT avec frais de justice et des frais d’expertises au montant de 50 000 $ contre le défendeur et l’intervenante la Communauté Métis Autochtone de Maniwaki;

Dossier 560-17-002257-225

[455]   ACCUEILLE la Requête introductive d’instance du demandeur;

[456]   ORDONNE au défendeur de délaisser l'emplacement faisant partie intégrante des terres du domaine de l’État à savoir :

« un emplacement situé dans la MRC Antoine-Labelle, municipalité de Sainte-Anne-du-Lac, canton Pau, partie non divisée, carte 31J14-200-0201, coordonnés MTM 09, 5202498 Nord, 385880 Est »

[457]   ORDONNE au défendeur de remettre les lieux en état en enlevant toute construction et déchet s’y trouvant dans un délai de dix (10) jours de la date où le jugement à intervenir deviendra exécutoire et, à défaut, AUTORISE le demandeur pour une période de trois ans suite audit défaut, à effectuer les travaux de remise en état requis à cette fin aux frais du défendeur;

[458]   DÉCLARE que le dixième (10e) jour suivant la date où le présent jugement deviendra exécutoire, tous les biens tant meubles qu’immeubles se trouvant sur ledit emplacement seront dévolus, sans indemnité et en pleine propriété, au domaine de l’État et, à cette fin, DISPENSE le demandeur de signifier le préavis prévu à l'article 565, alinéa 2 du Code de procédure civile (L.R.Q., c. C-25);

[459]   LE TOUT avec frais de justice.

 

 

__________________________________ thomas m. davis, j.c.s.

 

Me Leandro Steinmander

Me Maxence Duchesneau

Me Daniel Benghozi

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Avocats du Procureur général du Québec

 

Me Pierre Montour

Avocat des défendeurs

 

Me Soudeh Alikhani

Me Eamon Murphy

Woodward & Co. Lawyers LLP

Avocats de la partie intervenante  Kitigan Zibi Anishinabeg

 

Dates d’audience :

16,17,18,19, 24, 25, 26, 27 mai 2022; 1, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 13, 14,15, 16 juin 2022; 24, 25, 26, 27 octobre 2022.

 



[1]    R. c. Powley, 2003 CSC 43.

[2]    Son fils Martin Séguin est défendeur en reprise d’instance.

[3]    Pièce DC-89.

[4]    Pièce DC-1c; les personnes inscrites devaient avoir des ancêtres dans la région de Gatineau.

[5]    Pièce DC-1a; les personnes sur cette liste sont plus répandues.

[6]    Pièce DC-21.

[7]    Voir paragraphe 164 de la défense Séguin.

[9]    Pièce PC 48.

[10]    Pièce DC-T1-1.

[11]    Pièce DC-T1-2.

[12]    Pièce D-S-1.

[13]    Pièce P-S-2.

[14]    Pièce P-S-3.

[15]    Pièce P-S-4.

[16]    Le Tribunal va parfois utiliser des termes comme indien, sauvage et « halfbreed », et ce, car ils s’agissent des mots utilisés par les témoins dans la preuve et pas par un manque de respect du Tribunal.

[17]    Pièce DC-T3-1.

[18]    Voir Pièces DG-12 et PC-25, doc. 454.

[19]    Pièce PC-25, doc. 394.

[20]    Pièce DCT-13-3.

[21]    Pièce PC-4.

[22]    Pièce PC-5.

[23]    Pièce P-3, dossier Chamaillard.

[24]    Pièce PC-48.

[25]    Pièce PC-53.

[27]    Pièces DS-2, DG-14c et DG-14i.

[28]    Pièce DC1a.

[29]    Pièce DC-1c.

[30]    Pièces DC-49 à DC-85 et pièce DC-88.

[31]    Pièce DC-T5-6 (Brun/Tanascon), pièce DC-4 (Serge Paul), pièces DG-1 à DG-6 (Louis Généreux), DC-T-3-2 (Martin Séguin), DC-T-12 (Louis Riel).

[32]    Pièce DG-6.

[33]    Pièce DG-4.

[34]    Pièce DG-2.

[35]    Pièce DC-T-12.

[36]    Pièce DC-T12-1.

[37]    Pièce DC-70.

[38]    Pièce DC-1, fichier Excel (Alain liste avec couleurs).

[39]    Pièce DC-21.

[40]    Pièce DC-3, p. 10.

[41]    Id., p. 14.

[42]    Id., p. 155

[43]    Id., p. 153.

[44]    Id. p. 180; voir également PC-25, doc. 110, p. 61.

[45]    Id., p. 187.

[46]    Id., p. 191.

[47]    Id., p. 185.

[48]    Id., p. 222.

[49]    Id., p. 16.

[50]    Id., p. 230.

[51]    Pièce DC-3 p. 194.

[52]    Pièce DC-16.

[53]    Id., p. 8.

[54]    Id., p. 13.

[55]    Id., p. 15.

[56]    Id.

[57]    Pièce DC-16, p. 106.

[58]    Pièce PC-69.

[59]    Pièce DC-16, p. 216.

[60]    Pièce PC-8.

[61]    Pièce PC-43.

[62]    Pièce DC-16 (Lexique).

[63]    Témoignage du 3 juin 2022.

[64]    Pièce DC-16, p. 168.

[65]    Id.

[66]    Id. p. 169.

[67]    AD, Archives Deschâtelets-NDC, Richelieu, Québec. Lettre de N. Z. Lorrain à Mgr. Duhamel, Pembroke, 24 avril 1894. Doc. A-4 de DC-16.

[68]    Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa. Maniwaki Reserve—Correspondence regarding 49 persons not paid by the Indian Department and four affidavits concerning irregular distribution of money by agent White. 1873. RG 10, volume 1906, pièce 2284; Pièce DC-16, doc. A-10.

[69]    Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa. Maniwaki Reserve—Agent John White requesting authority for the River Desert Indians to hold an election of chiefs. 1874; Pièce DC-16, doc. A-12; ce document comporte plusieurs documents, dont un qui réfère également aux « English Half-breeds ».

[70]    AD, Archives Deschâtelets-NDC, Richelieu, Québec. Guinard, Joseph-Étienne. Mémoires d’un père oblat. 1944-1946. Fonds Deschâtelets. HEB 6964 .E83C 1; Pièce DC-16, doc. A-2.

[71]    Pièce DC-16, p. 202.

[72]    Pièce PC-17, suite de la page 7.

[73]    Pièce PC-14, p. 30.

[74]    Témoignage du 6 juin 2022. Il réfère à la pièce DC-19.

[75]    Témoignage du 6 juin 2022.

[76]    Pièce DC-16, par. 282.

[77]    Pièce DC-16, doc. A-155.

[78]    Pièce DC-16, par. 283.

[79]    François Naud opérait également un moulin à scie, pièce PC-35.

[80]    Pièce DC-16, par. 280 et doc. A-1, p.74.

[81]    Pièce PC-25, doc. 180, Eusèbe Durocher, Mélanges religieux, scientifiques, politiques et littéraires, p. 680.

[82]    Pièce PC-25, doc. 167, Histoire de la province ecclésiastique d'Ottawa et de la colonisation dans la vallée de l'Ottawa.

[83]    Pièce PC-25, doc. 250.

[84]    Témoignage du 7 juin.

[85]    Pièce DC-16, par. 286.

[86]    Pièce PC-25, doc. 010, Jaqueline Peterson, Many Roads to the Red River: Métis Genesis in the Great Lakes Region, 1680 – 1815, particulièrement à la page 63.

[87]    Pièce DC-16, section 2.7.

[88]    Id., Annexe I.

[89]    Pièce PC-23, p. 205.

[90]    Pièce DC-16, p. 20.

[91]    Pièce DC-6 p. 224.

[92]    Témoignage du 7 juin 2022.

[93]  Pièce PC-23, sommaire exécutif.

[94]    Id., p. 71.

[95]    Pièce P-23, tableau 7, p. 91.

[96]    Id., p. 102

[97]    Pièce PC-23 p. 112

[98]    Id. et PC-25, doc. 109.

[99]    Id. pp. 115 et 116.

[100] Id., Figure 12, p. 126.

[101] Id., p. 135 et Pièce PC-25, doc. 046, p. 24 pdf.

[102] Id. p. 151.

[103] Pièce PC-25. Doc 091, p. 121.

[104] Témoignage du 8 juin 2022.

[105] Pièce PC-23, p. 23.

[106] Id., p. 25 et pièce PC-25, doc. 15, p296-298.

[107] Id., p. 26.

[108] Pièce PC-25, doc. 022 : REIMER et CHARTRAND 2002 : Tableau 1.2.

[109] Pièce PC-23, p. 55.

[110] Id. pp. 54-55.

[111] Pièce PC-73: One of the Family, Metis Culture in Nineteenth-Century Northwestern Saskatchewan.

[112] Id., p. 20.

[113] Id., p. 244.

[114] Pièce PC-25, doc. 10; “Many Roads to Red River” in The New Peoples : Being and Becoming Métis in Nort America, p. 41.

[115] Pièce PC-25, doc. 32; Historical Report on the Métis Community at Sault Sainte-Marie, p. 19.

[116] Pièce PC-25, doc. 68; « Rapport sur les affaires des sauvages en Canada, Appendice T. » (Rapport Bagot, section III). Appendices des Journaux de l'Assemblée législative de la province du Canada. Montréal, Louis Perrault, 1847, pp. 75 et 93 (pdf).

[117] Pièce PC-25, doc. 112; Document présenté au ministère de la justice, juin 2005.

[118] Id., p. 105.

[119] Pièce PC-23, pp. 8 et 9.

[120] Id., p. 10.

[121] Pièce DC-19.

[122] Pièce PC-23, p. 157; voir également Pièce PC-25, doc. 163.

[123] Id., p. 168.

[124] Id., p. 171.

[125] Pièce DC-16b, doc. A-149, p. 839 (pdf).

[126] Pièce PC-23, p.182.

[127] Id., pp. 183 et 182.

[128] Id., p. 214.

[129] Pièce PC-25, doc. 182.

[130] Id., doc. 187.

[131] Voir également pièce DC-16b, doc. A-11, une autre pétition des Indiens et personnes blanches signée par Paul Riel.

[132]  Id.

[133] Id., C’est cette famille qui s’identifie également par le nom Kristano.

[134] Pièce PC-23, p. 207.

[135] Id. p. 210.

[136] Pièce DC-16, p. 51.

[137] Id., p. 184.

[138] Id., p.257, Tableau 16.

[139] Voir aussi pièce PC-25, doc. 163, 23 août et 25 septembre.

[140] Pièce PC-28 et pièce PC-24, p 41.

[141] Pièce PC-24, p. 42.

[142] Pièce PC-24.

[143] Pièce PC-23, p. 187

[144]  Dans la preuve documentaire le nom « Naud » peut être épelé à différentes façons, dont Nault, Nau ou No.

[145] Pièce PC-23, p. 221.

[146] Id.

[147] Pièce PC-25, doc. 211.

[148] Id., doc. 231.

[149] Id., doc. 216.

[150] Pièce PC-23, p. 223, Tableau 14.

[151] Pièce PC-8.

[152] Pièce PC-23, Tableau 23, p. 305.

[153] Id., p. 306.

[154] Id. p. 317.

[155] Son fils Martin Séguin n’a aucune ascendance autochtone du côté de sa mère.

[156] Pièces DC-T3-1 et DC-T-2.

[157] Pièce PC-23, p. 288.

[158] Pièce PC-25, doc. 190, Tableau 1.

[159] Pièce P-23, p. 295.

[160] Pièce PC-23, pp. 209-210.

[161] R. c. Van der Peet, 1996 CanLII 216 (CSC), par. 51.

[162] R. c. Sundown, 1999 CanLII 673 (CSC), [1999] 1 RCS 393, par. 33.

[163] R c. Powley précité note 1; voir également Corneau c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 1172, par. 68.

[164] Plan d’argumentation des défendeurs.

[165] Pièce DC-3, p. 191.

[166] Id., p. 187.

[167] Pièce DC-16, p. 8.

[168] Id. p, 39.

[169] Corneau c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 1172.

[170] R. v. Powley, précité note 1.

[171] Pièce PC-25, Doc. 18 p. 5 (pdf).

[172] Plan d’argumentation du PGQ, par. 215.

[173] Id., par. 216.

[174] Pièce PC-23, Figure 11 : Population euro-canadienne par subdivision de recensement, 1844-1871, p. 121.

[175] Histoire de la Province ecclésiastique d'Ottawa et de la colonisation dans la Vallée de l’Ottawa, pièce PC-25, doc. 167, p. 287.

 

[177] R. c. Sappier; R. c. Gray, 2006 CSC 54 (CanLII).

[178] Id., par. 24.

[179]  Québec (Procureure générale) c. Séguin, 2016 QCCS 1881, par. 156 -158.

[180] Témoignage de Serge Paul du 19 mai 2022.

[181] Voir les pièces DC-1c et la légende de la pièce DC-1a.

[182] Pièce PC-25, doc. 379.

[183] Pièce PC-24, pp. 33-45.

[184] Pièces DC-T3-2 et DC-T3-3.

[185] Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, Les pionniers de La Lièvre en 1846 - Serge Goudreau, pièce PC-25, doc. 190 pp. 56-57.

[186] R. c Powley, précité note 1.

[187] Pièce PC-80.

[188] Plan d’argumentation de CMAM du 17 octobre 2022; le paragraphe 289 suit le paragraphe 381.

[189] Vermette c. Boisvert, 2019 QCCA 829.

[190] Québec (Procureure générale) c. Séguin, précité note 196.