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Protection de la jeunesse — 23672, 2023 QCCS 734 (CanLII)

Date :
2023-03-09
Numéro de dossier :
650-24-000003-238; 650-24-000002-230
Référence :
Protection de la jeunesse — 23672, 2023 QCCS 734 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jw5hz>, consulté le 2024-04-18

Protection de la jeunesse — 23672

2023 QCCS 734

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MINGAN

 

 

 

No :

650-24-000002-230

650-24-000003-238

 

DATE :

9 mars 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CARL LACHANCE, J.C.S

______________________________________________________________________

 

 

A

Père / Appelant

et

X

Enfant / Intimé

et

Y

Enfant / Intimée

et

B

Mère / Intimée

et

[INTERVENANTE 1], ès qualités de personne autorisée par le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ)

Demanderesse / Intimée

et

NATION A

Partie intervenante

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT sur demandes en rejet d’appel

______________________________________________________________________

Mise en contexte

[1]           Le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) demande le rejet des appels formés par la partie appelante Monsieur A, le père de X, 2 ans ([...] 2020) et de Y, 5 ans ([...] 2017).

[2]           L’appel vise deux décisions de la Cour du Québec chambre de la jeunesse, du 19 décembre 2022 déclarant, entre autres, compromis la sécurité et le développement des enfants, confiant ceux-ci à des familles d’accueil autochtones jusqu’à leur majorité et accordant des contacts supervisés aux parents.

[3]           Les enfants se trouvent placés en famille d’accueil depuis leur tout jeune âge en raison, entre autres, de l’inaptitude des parents d’en prendre soin et de jouer leur rôle malgré sa récente thérapie du père.

[4]           L’avocate de l’intimée demande le rejet des appels pour les motifs suivants:

1.   Ils n’ont pas été logés dans les délais légaux de rigueur de trente (30) jours;

2.   Aucune raison valable n’explique le retard d’inscrire en appel;

3.   Les appels sont voués à l’échec sans chance raisonnable de succès, ils sont abusifs et clairement non fondés selon les lois applicables.

[5]           L’avocate de l’appelant plaide de son côté que les appels ont été notifiés et inscrits dans les délais légaux.

[6]           Elle soutient que des erreurs manifestes en faits et en droit sautent aux yeux à la lecture des jugements ce qui justifie les appels.

[7]           Elle vise, entre autres, à casser les placements a majorité et à ce que les enfants soient confiés à leur père après un certain délai.

Les faits essentiels

[8]           La mère fait partie de la communauté A de Ville A et le père est [de nation A] de [la communauté B].

[9]           Les enfants sont [de nation A].

[10]        Les parents ont eu des relations conflictuelles par le passé et possèdent un historique de consommation de drogue et d’alcool.

[11]        Le père a fait une thérapie de huit (8) mois à « Portage » et maintient une sobriété. Il veut guérir de sa dépendance et prendre ses responsabilités paternelles. Il veut devenir stable.

[12]        Durant l’instruction en octobre 2022, il a témoigné qu’il voulait un retour progressif des enfants avec lui et plusieurs membres de sa famille.

[13]        Au procès, la nation A a fait valoir l’importance que les enfants soient élevés en contexte [de la nation A].

[14]        Le 18 janvier 2023, à la suite des jugements du 19 décembre 2022 transmis par courriel aux avocats le même jour[1], l’avocate de l’appelant a déposé le 18 janvier 2023 les avis d’appel[2] au greffe numérique et notifiés le même jour ces avis aux parties intimées[3].

[15]        Après dépôt des avis d’appel au greffe numérique, l’avocate de l’appelant a reçu des avis[4], le 19 janvier 2023 pour l’appel concernant X et le 24 janvier 2023 pour celui de Y avec la mention suivante concernant le paiement des frais judiciaires et l’importance d’un paiement pour que les appels soient légalement reçus et traités :

‘’La présente est pour vous informer que vous devez acquitter le paiement des frais judiciaires d’un montant de 95,00 $ exigibles pour le dépôt des documents portant le numéro de demande… dans le cadre du dossier judiciaire 650-…

[…]

Les documents ne seront légalement reçus et traités par le greffe que lorsque les frais judiciaires auront été acquittés en totalité. Pour les documents en matière civile ou jeunesse, votre paiement doit être acquitté au plus tard deux jours après la notification du présent avis de paiement pour que vos documents soient considérés comme reçus à la date de leur dépôt au greffe.

[Nos soulignements]

[16]        Les frais judiciaires ont été payés le 19 janvier 2023[5] pour l’appel relatif à X et le 25 janvier 2023 pour celui de Y, et ce, dans le délai requis (2 jours) par Justice Québec (greffe de la Cour supérieure).


Analyse et motifs de la décision

         Les appels sont-ils formés dans le délai de trente (30) jours requis par la loi?

[17]        L’article 103 de la Loi sur la protection de la jeunesse[6] prévoit comme suit le délai d’appel :

[103] L’appel est formé dans les 30 jours de la date à laquelle la décision ou l’ordonnance est consignée par écrit par le dépôt au greffe de la Cour d’une déclaration d’appel avec la preuve de sa signification ou de sa notification à l’intimé.

Le délai d’appel est de rigueur et emporte déchéance du droit d’appel. Néanmoins, la Cour peut autoriser l’appel si elle estime que la partie a des chances raisonnables de succès et qu’elle a, en outre, été en fait dans l’impossibilité d’agir plus tôt.

[18]        L’avocate de la DPJ écrit ce qui suit dans la demande de rejet concernant X :

4.   The appelant-Father failed to file the notice of the appeal to the clerk within 30 days whereas it is a strict time limit, as indicated in the Exhibit YC-1;

5.   In particular, the appelant-father paid the judicial fees of the procedure on January 19th, 2023, whereas the procedure must be completed by January 18th, 2023, as indicated in the Exhibit YC-2;

[19]        En ce qui concerne la demande de rejet par rapport à Y, elle écrit :

4.   The appelant-Father failed to file the notice of the appeal to the clerk within 30 days whereas it is a strict time limit, as indicated in the Exhibit YC-1;

5.   In particular, the appelant-father paid the judicial fees of the procedure on January 25th, 2023, whereas the procedure must be completed by January 18th, 2023, as indicated in the Exhibit YC-2;

[20]        La pièce YC-2 à laquelle l’avocate réfère intitulée ‘’greffe numérique judiciaire du Québec’’ sous le titre ‘’Information pertinente’’ contient le texte suivant :

[…]

Si des frais judiciaires sont prescrits pour le dépôt d’un acte de procédure ou d’un document, celui-ci ne sera légalement reçu que lorsque les frais judiciaires auront été acquittés en totalité.

[21]        À notre avis, les deux appels sont logés dans les délais légaux, à l’intérieur des trente (30) jours prévus à l’article 103 de la loi[7].

[22]        Voici pourquoi.

[23]        Le 18 janvier 2023, le trentième jour suivant l’envoi aux parties des jugements, les deux avis d’appels[8] sont déposés au greffe numérique et notifiés ce jour-là aux parties intimées comme le prévoit cet article.

[24]        En outre, le paiement des frais judiciaires respecte le délai de deux (2) jours indiqué dans chacun des avis[9] de Justice Québec générés par le greffe numérique.

[25]        Pour l’appel dans le dossier 650-24-000003-238, l’avis du greffe porte la date du 19 janvier et le paiement est fait le 19 janvier tandis que dans le dossier 650-24-000002-230, l’avis du greffe porte la date du 24 janvier et le paiement est fait le 25 janvier.

[26]        Dans les circonstances, s’étant conformé aux exigences de Justice Québec pour payer, le père appelant respecte le délai légal.

[27]        Le retard du greffe numérique et des employés de l’état de générer les avis de paiement ne peut être reproché à l’appelant.

[28]        Son avocate, sur réception des avis, a payé les frais dans le délai requis.

[29]        La procédure et les directives du greffe numérique ont été respectées.

La demande de rejet sur la base des articles 51 et 168 du C.p.c.

[30]        Les articles se lisent comme suit :

[51] Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif.

L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.

[168] Une partie peut opposer l’irrecevabilité de la demande ou de la défense et demander son rejet dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes:

1°  il y a litispendance ou chose jugée;

2°  l’une ou l’autre des parties est incapable ou n’a pas la qualité exigée pour agir;

3°  l’une ou l’autre des parties n’a manifestement pas d’intérêt.

Elle peut aussi opposer l’irrecevabilité si la demande ou la défense n’est pas fondée en droit, quoique les faits allégués puissent être vrais. Ce moyen peut ne porter que sur une partie de celle-ci.

[…]

[31]        Selon un arrêt de la Cour d’appel[10], lorsque ces deux articles sont invoqués au soutien d’une demande de rejet, le Tribunal doit d’abord trancher le moyen de l’article 168 du C.p.c.

[32]        Dans le cadre de cet article, les principes applicables à l’examen de l’irrecevabilité se retrouvent dans l’arrêt Bohémier[11] de la Cour d’appel. Ils sont les suivants :

o   Les allégations de la requête introductive d’instance sont tenues pour avérées ce qui comprend les pièces déposées à son soutien;

o   Seuls les faits allégués doivent être tenus pour avérés et non pas la qualification de ces faits par le demandeur;

o   Le Tribunal n’a pas à décider des chances de succès du demandeur ni du bien-fondé des faits allégués;

o   Il appartient au juge du fond de décider, après avoir entendu la preuve et les plaidoiries, si les allégations de faits ont été prouvées;

o   Le Tribunal doit déclarer l’action recevable si les allégations de la requête introductive d’instance sont susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées;

o   La requête en irrecevabilité n’a pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties son seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des faits allégués ce qui nécessite un examen explicite, mais également implicite du droit invoqué;

o   On ne peut rejeter une requête en irrecevabilité sous prétexte qu’elle soulève des questions complexes;

o   En matière d’irrecevabilité, un principe de prudence s’appliquer. Dans l’incertitude, il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès;

o   En cas de doute, il faut laisser au demandeur la chance d’être entendu au fond.

[33]        Sur la base de ces principes, examinons les motifs d’appel à la lumière des paramètres d’intervention de la Cour supérieure siégeant en appel d’une décision de la chambre de la jeunesse de la Cour du Québec.

[34]        Les principes d’intervention peuvent se résumer comme suit selon la jurisprudence[12] :

[31] Le Tribunal retient ce qui suit des principes mentionnés plus haut :

a) À moins qu’il ne s’agisse d’une question de droit ou que le juge de première instance ait commis une erreur de principe isolable en déterminant ou en appliquant une norme juridique, la norme d’intervention en appel est celle de l’erreur manifeste et dominante ;

b) Bien que la Cour supérieure puisse entendre des témoins et recueillir de la preuve additionnelle si elle le désire, ce pouvoir doit être exercé de façon parcimonieuse compte tenu de la grande réserve dont elle doit faire preuve à l’égard des conclusions de fait du juge de première instance ;

c) Le juge de première instance est en effet mieux placé pour apprécier la preuve et la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec est un tribunal spécialisé chargé d’appliquer la Loi sur la protection de la jeunesse. Une grande déférence lui est donc due ;

d) La Cour supérieure ne doit intervenir sur une question qui concerne l’appréciation des faits qu’en cas d’erreur manifeste et dominante. Elle doit donc s’abstenir de le faire pour l’unique motif qu’elle serait parvenue à une conclusion différente. Par ailleurs, une erreur manifeste est claire et facilement décelable alors qu’une erreur est déterminante si elle porte sur un aspect crucial de la preuve qui a influencé les conclusions du juge de première instance. Ces conditions sont cumulatives.

[35]        L’avocate de l’appelant invoque deux motifs d’appel.

[36]        Le premier motif peut se résumer comme suit :

o   La juge de première instance a mal analysé la première condition[13] pour ordonner un placement à majorité en décidant que le retour des enfants dans leur environnement familial ne peut être envisagé parce que les déficiences des parents sont irréversibles ou qu’un changement dans les problématiques des parents est impossible dans un avenir prévisible.

[37]        À ce sujet elle plaide que plusieurs erreurs se retrouvent au jugement :

o   Mauvaise analyse de la capacité parentale du père. Celui-ci ayant été proactif pour changer sa situation de dépendance;

o   Absence de considération de la responsabilité collective et du rôle d’une communauté autochtone et de la famille étendue pour supporter le père;

o   La disqualification des grands-parents sur la base d’informations n’étant pas à jour.

[38]        Comme second motif d’appel, elle soutient que la juge n’a pas analysé le plan de vie de façon à préserver les droits des enfants à leur identité culturelle comme l’exige la Loi sur la protection de la jeunesse à l’article 3 et la Loi fédérale à l’article 10 (2) (3).

[39]        La juge aurait mal considéré l’importance de maintenir les relations des enfants avec leur famille et leur communauté A.

[40]        De son côté, l’avocate de la nation A, partie intervenante, plaide entre autres que l’appel soulève des questions de droit importantes dont :

o   Dans quelle mesure le placement à majorité, une mesure discriminatoire, est compatible avec la nouvelle Loi fédérale C-92[14];

[41]        Elle ajoute que le placement à majorité a été décidé sans prendre en compte l’opinion de la nation A qui demandait le retour dans la communauté pour assurer la continuité culturelle.

[42]        En outre, rejeter les appels à ce stade-ci, va à l’encontre de l’honneur de la couronne.

[43]        De son côté, l’avocate du Directeur de la protection de la jeunesse plaide que la juge de première instance a bien motivé les raisons pour lesquelles le retour chez le père n’était pas possible ni envisageable à court terme. Celui-ci n’a pas joué son rôle depuis la naissance des enfants.

[44]        Quant à la sécurisation de leur identité [nation A], elle souligne qu’après avoir entendu une quinzaine de témoins, la juge a prévu un plan pour assurer la continuité culturelle.

[45]        Elle ajoute que les motifs d’appel sont frivoles. La juge avait raison de se baser par la trajectoire passée du père pour décider du placement à majorité. Elle a considéré l’intérêt des enfants et ne pouvait prévoir le futur du père même s’il avait fait des efforts pour sortir de sa dépendance.

[46]        À notre avis, les appels ne peuvent être déclarés irrecevables.

[47]        Selon toutes les circonstances exposées, rejeter les appels au stade actuel sans entendre les plaidoiries, sans le bénéfice des notes sténographiques, et peut-être sans une preuve supplémentaire, ne servirait pas les intérêts de la justice et des enfants.

[48]        Nous devons faire preuve de prudence face à certaines questions soulevées en appel sans toutefois nous prononcer sur leur bien-fondé.

[49]        Plus particulièrement, mais non limitativement, il faut laisser à la partie appelante le droit d’être entendue au fond sur les questions de faits et de droit suivantes :

o   La juge de première instance a-t-elle suffisamment pris en compte la responsabilité collective et le rôle de la communauté A pour supporter le père avant d’ordonner un placement à majorité?;

o   La juge de première instance a-t-elle suffisamment pris en compte le contexte autochtone et l’opinion de la nation pour décider d’un placement à majorité?;

o   La juge de première instance a-t-elle fait le nécessaire pour préserver l’identité culturelle des enfants?;

o   Les placements à majorité sont-ils discriminatoires pour les autochtones?;

o   La nouvelle Loi fédérale et les facteurs de l’article 10 (3) de la Loi fédérale ont-ils été suffisamment pris en compte dans le cadre de l’analyse de l’intérêt des enfants?

[50]        Ces questions sont importantes considérant que la juge de première instance souligne aux paragraphes 137 du jugement que la sécurisation culturelle de X n’est pas débutée et au paragraphe 142 que celle de Y doit être favorisée.

[51]        Finalement, le Tribunal ne peut conclure que les appels sont frivoles ou abusifs.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[52]        REJETTE les demandes en rejet d’appel;

[53]        LE TOUT, frais à suivre l’issue.

 

 

__________________________________

CARL LACHANCE, J.C.S.

 

Me Eve Laoun

DDC Legal

Avocats de l’appelant / père

 

Me Chantal Gaudreau

Aide juridique A

Avocate aux enfants-intimés

 

Me Lyne Monger

CISSS A

Avocats de la DPJ, intimée / demanderesse

 

Me Christina Caron

Cain Lamarre

Avocats de la partie intervenante

 

Date d’audience :

16 février 2023

 



[1]    Pièce YC-3.

[2]    Pièce F-6.

[3]    Pièce F-1.

[4]    Pièces F-2 et F-4.

[5]    Pièce F-3.

[6]    Loi sur la protection de la jeunesse, P-34.1.

[7]    Id. 6.

[8]    Pièce F-6.

[9]    Id. 4.

[10]    Linda’s Fashion & Co c. Shtern, 2019 QCCA 906.

[11]    Bohémier c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 308, par. 68.

[12]    Protection de la jeunesse – 207001, 2020 QCCS 4291, par. 31.

[13]    Loi sur la protection de la jeunesse, P-34.1, article 91.1.

[14]    Loi concernant les enfants, les jeunes familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, L.C. 2019, ch. 24.