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Ward c. Procureur général du Canada, 2023 QCCS 793 (CanLII)

Date :
2023-02-28
Numéro de dossier :
500-06-000829-164
Référence :
Ward c. Procureur général du Canada, 2023 QCCS 793 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jw78f>, consulté le 2024-04-23

Ward c. Procureur général du Canada       

2023 QCCS 793

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT De MONTRÉAL

 

N°:

500-06-000829-164

 

DATE:

10 octobre 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE DONALD BISSON J.C.S. 

(JB4644)

______________________________________________________________________

 

MARY-ANN WARD

MARIO WABANONIK

CLARA HALLIDAY

JULIE SINAVE

Demandeurs

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Défendeurs

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ

(sur demande d’autorisation d’exercer une action collective)

______________________________________________________________________

 

Table des matières

 

1.          Introduction : contexte, position des parties et questions en  litige...................... 3

2.          Analyse et discussion.................................................................................................. 8

2.1         Demande de modification de la Demande d’autorisation 5 d’exercer une action collective            8

2.2         Autorisation de l’action collective........................................................................... 9

2.2.1      Les critères de l’article 575 Cpc....................................................................... 9

2.2.2      Apparence de droit – 575 (2) Cpc................................................................. 10

2.2.2.1     L’Entente Riddle......................................................................................... 12

2.2.2.2     Les allégations – cas individuels des demandeurs.............................. 13

2.2.2.2.1     Mary-Ann Ward................................................................................... 13

2.2.2.2.2     Mario Wabanonik................................................................................ 15

2.2.2.2.3     Clara Halliday...................................................................................... 17

2.2.2.2.4     Julie Sinave.......................................................................................... 19

2.2.2.2.5     Conclusion sur les demandeurs....................................................... 21

2.2.2.3     Les allégations visant les actions ou omissions des défendeurs. 21

2.2.2.3.1     Responsabilité extracontractuelle : existence du programme AIM ou tout autre programme ou politique similaire d’assimilation................................... 21

2.2.2.3.2     Connaissance réelle ou présumée par le PGC des abus et omissions d’agir               34

2.2.2.3.3     Existence d’entente du PGQ avec le gouvernement fédéral – responsabilité du commettant - solidarité.................................................................................... 34

2.2.2.3.4     Les allégations de violation de la Charte canadienne, de la Charte du Québec et de la Déclaration canadienne des droits......................................................... 35

2.2.2.3.5     Allégations de violation de traités, de la « duty of care », de manquement à l’obligation de fiduciaire ou au principe de « l’honneur de la Couronne », de génocide et de « negligence » en common law...................................................................... 37

2.2.2.4     Présence de dommages compensatoires............................................. 40

2.2.2.5     Présence de dommages punitifs............................................................. 42

2.2.2.6     Conclusion sur l’apparence de droit, impact de l’Entente Riddle et question des sous-groupes..................................................................................................... 42

2.2.3      Questions identiques, similaires ou connexes – 575(1) Cpc.................... 44

2.2.4      Composition du groupe – 575(3) Cpc........................................................... 47

2.2.5      Représentant – 575(4) Cpc............................................................................ 49

2.2.6      Définition du groupe et reformulation des questions identiques, similaires ou connexes......................................................................................................................... 52

2.2.7      District judiciaire – Art. 576 Cpc..................................................................... 55

2.2.8      Avis d’autorisation et exclusion...................................................................... 56

2.2.9      Les frais de justice........................................................................................... 56

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:................................................................................ 56

 

1.       Introduction : contexte, position des parties et questions en    litige

[1]         Le Tribunal est saisi d’une Demande modifiée numéro 6 pour autorisation d’exercer une action collective[1] (la « Demande 6 »), dans laquelle les demandeurs Mary-Ann Ward, Mario Wabanonik, Clara Halliday et Julie Sinave demandent l’autorisation d’exercer une action collective contre les défendeurs Procureur général du Canada (« PGC ») et Procureur général du Québec (« PGQ ») pour le compte du groupe suivant[2] :

All Indians and Aboriginal persons who were, as children, placed in the “Adopt Indian Metis” program or any similar assimilative program(s), policy(ies) through the childcare services promoted or operated by either of the Defendants, and who were subsequently placed in the care of non-Aboriginal foster or adoptive parents or guardians from 1951 until January 1st, 2020;

The group includes a subgroup consisting of all Indian (as defined in the Indian Act) and Inuit persons who were removed from their homes in Canada between January 1, 1951 and December 31, 1991 and placed in the care of non-Indigenous foster or adoptive parents (“Indian and Inuit subclass”).

The Indian and Inuit subclass claims only as against the Attorney General of Québec and makes no claim against the Attorney General of Canada in this action.

[2]         Voici la version française de ce groupe, traduite par le Tribunal :

Tous les Indiens et les Autochtones qui ont été, dans leur enfance, placés dans le programme « Adopt Indian Metis » ou dans tout programme ou politique d'assimilation similaire par le biais des systèmes de protection de la jeunesse promus ou exploités par l'un ou l'autre des défendeurs, et qui ont été par la suite placés en familles d’accueil non autochtones ou donnés en adoption à des parents non-autochtones ou confiés à des tuteurs non autochtones de 1951 jusqu'au 1er janvier 2020;

Le groupe comprend un sous-groupe composé de tous les Indiens (tels que définis à la Loi sur les Indiens) et les Inuits qui ont été retirés de leur foyer au Canada entre le 1er janvier 1951 et le 31 décembre 1991 et placés en familles d'accueil non autochtones ou donnés en adoption à des familles non autochtones (« sous-groupe des Indiens et des Inuits »).

Le sous-groupe des Indiens et des Inuits ne fait une réclamation que contre le Procureur général du Québec et ne réclame rien du Procureur général du Canada dans la présente action.

[3]         Lors de l’audition, les demandeurs ont indiqué oralement que le groupe vise uniquement les enfants autochtones placés au Québec en familles d’accueil non autochtones ou donnés en adoption au Québec à des parents non-autochtones ou confiés au Québec à des tuteurs non autochtones.

[4]         En résumé, les demandeurs réclament des dommages-intérêts compensatoires et des dommages punitifs de la part des défendeurs pour eux-mêmes et au nom des Indiens et des Autochtones qui auraient été placés dans des foyers d’accueil ou d’adoption non autochtones en vertu de programmes à cet effet et qui auraient subi des pertes culturelles et des abus de nature psychologique, physique ou sexuelle. La réclamation du sous-groupe des Indiens et des Inuits vise uniquement le PGQ et exclut expressément le PGC.

[5]         Selon les demandeurs, les défendeurs auraient promu et opéré le programme Adopt Indian Metis (« programme AIM » ou « AIM ») ou tout autre programme ou politique similaire d’assimilation au Québec qui visait le placement en familles d’accueil et l'adoption systémiques d’enfants autochtones auprès de familles non autochtones afin de les assimiler à la « société blanche » à compter de 1951 jusqu’au 1er janvier 2020. Selon les demandeurs, conformément au programme AIM ou à tout autre programme ou politique d’assimilation similaire au Québec promu et opéré par les défendeurs, des enfants autochtones auraient été retirés de force de leurs communautés autochtones, placés sous la tutelle ou sous la garde de familles d'accueil ou de familles adoptives non autochtones contre la volonté de leurs parents. En raison de ces placements, ces enfants auraient été empêchés de grandir dans le respect de leurs cultures et de leurs langues en plus d’être soumis à diverses formes d’abus.

[6]         Les recours des demandeurs sont les suivants :

               Responsabilité extracontractuelle pour action fautive dans la promotion ou l’opération de programmes ou politiques d’assimilation au Québec des enfants autochtones par le placement en familles d’accueil et l'adoption systémiques auprès de familles non autochtones;

               Responsabilité extracontractuelle pour connaissance de ces programmes et omission d’agir pour empêcher les abus;

               Responsabilité du PGC à titre de commettant du PGQ;

               Violation de la Charte canadienne des droits et libertés[3] (la « Charte canadienne »);

               Violation de la Charte des droits et libertés de la personne[4] (la « Charte du Québec »);

               Violation de la Déclaration canadienne des droits[5];

               Violation de divers traités, de la « duty of care », manquement à l’obligation de fiduciaire ou au principe de « l’honneur de la Couronne », génocide et « negligence » en common law.

[7]         Voici les questions communes proposées par les demandeurs[6] :

a)        Did the Defendants permit unqualified individuals to hire servants, agents and employees to administer and operate foster homes?

b)        Did the Defendants permit unqualified and otherwise unsuitable individuals to act as adoptive parents without proper screening and investigation as to the risks of abuses?

c)         Did the Defendants Fail to protect the Applicant and group members from harm?

d)        Did the Defendants fail in general to take proper and reasonable steps to prevent injury to the Applicant and Group Members physical health and mental well-being and moral safety while the Applicant and Group members were residents at foster homes, and when they were adopted by non-aboriginal families?

e)        Did the Defendants Having occupied a position analogous to that of parents, fail to establish and maintain systems to protect the Applicant and Group members as good parents should have?

f)         The cause of the physical and sexual assaults and surrounding circumstances were or ought to have been within the knowledge of the Defendants and the sexual and physical assaults would not have occurred but for the negligence of the Defendants?

g)        Are the Defendants liable to pay compensatory damages to Group Members stemming from their actions?

h)   What are the categories of damages for which the Defendants are responsible to pay to Group Members, and in what amount?

i)         Are Defendants liable to pay any other compensatory, moral, punitive and/or exemplary damages to Group Members, and if so in what amount?

[8]         Les demandeurs recherchent les conclusions suivantes[7] :

GRANT Applicant’s action against Defendants;

ORDER for an aggregate monetary award respecting all or any part of a Defendant’s liability to group members including an Order that Group Members share in the award on an average or proportionate basis, and an award applying any undistributed award for the benefit of Group Members;

ORDER and CONDEMN general and special damages for the Group in amounts to be determined at trial, including:

(a) on the elections of the Applicant and Group Members, the:

(i) the value of damages that can be attributed to loss of identity;

(ii) the value of damages attributed to sexual abuse; or

(iii) the value of damages that can be attributed to physical abuse

(b) sentimental damages;

(c) mental distress;

(d) recovery of health care costs.

CONDEMN Defendants to reimburse to the Group Members any costs or fees paid in relation to the counselling;

CONDEMN Defendants to pay compensatory damages to the Group Members for the loss of their cultural identity, anxiety and fear, and other moral damages;

CONDEMN Defendants to pay punitive and/or exemplary damages to the Group Members, to be determined by the Court;

GRANT the class action of Applicant on behalf of all the Members of the Group;

ORDER the treatment of individual claims of each Member of the Group in accordance with articles 599 to 601 C.C.P.;

RENDER any other order that this Honourable Court shall determine and that is in the interest of the Members of the Group;

THE WHOLE with interest and additional indemnity provided for in the Civil Code of Quebec and with full costs and expenses including expert’s fees and publication fees to advise members;

[9]         Le 20 janvier 2021[8], le Tribunal a accordé les demandes du PGC et du PGQ pour permission de déposer une preuve documentaire et pour interroger par écrit les demandeurs Mary-Ann Ward et Mario Wabanonik. Ces pièces et les réponses aux interrogatoires écrits sont les Pièces PGC-1 à PGC-6 et PGQ-1 à PGQ-13.

[10]      Le PGC et le PGQ contestent à tous égards la Demande 6, en présentant les arguments suivants :

Absence d’apparence de droit :

               Les affirmations contenues à la Demande 6 sont totalement insuffisantes pour supporter l’apparence d’une cause d’action contre le PGC et le PQG.  Il d’agit de généralités imprécises, vagues et non supportées par une certaine preuve;

               Le programme AIM visait le placement d’enfants de la Saskatchewan et aucun des demandeurs n’allègue avoir été placé dans ce programme;

               Aucun programme ou politique similaire au AIM ayant opéré au Québec par le PGC ou le PGQ n’a été identifié ni démontré. Il n’y a aucune preuve de l’existence d’un programme AIM ou d’un programme ou politique d’assimilation similaire;

               Le présent dossier ne contient aucune allégation à l’effet que le PGC avait connaissance d’abus;

               Les allégations de violation de la Charte canadienne, de la Charte du Québec, de traités, de la « duty of care », de manquement à l’obligation de fiduciaire ou au principe de « l’honneur de la Couronne » et de génocide ne sont pas étayées;

               L’existence de quelqu’entente du PGQ avec le gouvernement fédéral n’a pas été démontrée. Le PGC n’est pas le commettant du PGQ;

               Les demandeurs Mary-Ann Ward et Mario Wabanonik sont tous les deux membres de l’Entente de règlement ayant trait à la rafle des années 1960 et n’ont donc plus de recours personnel à faire valoir contre le PGC;

               Les demandeurs échouent à faire la démonstration prima facie d’un syllogisme juridique valable pouvant leur permettre d’entreprendre un recours personnel à l’encontre des défendeurs;

Représentants non valides :

               Puisque les demandeurs n’ont pas de cause d’action, ils n’ont pas l’intérêt juridique et ne peuvent donc être des représentants. De plus, aucune allégation n’établit la compétence des demandeurs M. Wabanonik, Mmes Halliday et Sinave d’agir à titre de représentants;

               Aussi, quant au PGQ, les demanderesses Clara Halliday et Julie Sinave ne peuvent représenter les indiens non-inscrits ni les métis;

               De plus, quant au PGC, les demandeurs ne sont pas en mesure d’assurer la représentation adéquate des membres du groupe des « Indiens et des Autochtones » tel que proposé dans le présent dossier :

   Les demandeurs Mary-Ann Ward et Mario Wabanonik n’ont plus de cause d’action à faire valoir contre le PGC vu leur non-exclusion d’une action collective réglée et approuvée par la Cour fédérale; et

   Les demanderesses Clara Halliday et Julie Sinave n’ont pas l’intérêt ni la compétence pour agir comme représentantes étant notamment déjà membres d’un recours collectif certifié pour leur placement et leur adoption dans des familles non autochtones;

Échec quant à : la composition - la description et la définition du groupe - questions communes :

               Les demandeurs n’ont pas fait la démonstration que le groupe proposé existe au Québec, ce qui fait également obstacle à l’identification de questions communes;

               La description du groupe proposé comporte d’importantes lacunes auxquelles le Tribunal ne peut remédier et qui font obstacle à son autorisation. Cette description a une portée très large et arbitraire, et est imprécise puisqu’elle est centrée sur le critère que des enfants autochtones auraient été placés au Québec dans le programme AIM ou dans tout autre programme ou politique similaire d’assimilation, mais n’identifie pas ce(s) programme(s) ou politique(s). La description est donc circulaire et empêche les défendeurs de se défendre;

               Les membres putatifs du groupe et des sous-groupes ne sont pas tous identifiables par des critères objectifs;

               Il n’y a pas de démonstration que le groupe existe réellement;

               Il n’y a pas de question commune;

               L’action collective proposée ne constitue qu’un amalgame de recours individuels visant à contester des ordonnances judiciaires de placement et/ou d’adoption;

               Bref, la Demande 6 a essentiellement les mêmes déficiences que celles qu’avait la demande des orphelins de Duplessis dans l’arrêt Boudreau c. Procureur général du Québec[9].

[11]      Le Tribunal revient plus loin en détail sur les arguments des parties.

2.       Analyse et discussion

[12]      Le Tribunal débute par la question de la demande de modification.

2.1      Demande de modification de la Demande d’autorisation 5 d’exercer une action collective

[13]      En début d’audience, les demandeurs ont demandé au Tribunal la permission de modifier la Demande modifiée numéro 5 pour autorisation d’exercer une action collective afin de déposer la Demande 6, laquelle contient principalement des précisions sur la définition du groupe proposé. Le Tribunal a indiqué oralement qu’il allait accorder cette demande dans le jugement écrit à venir, et que les parties devaient procéder en fonction de la Demande 6.

[14]      Le Tribunal indique maintenant qu’il accorde la permission demandée et permet le dépôt de la Demande 6 compte tenu de l’absence de contestation du PGC et du PGQ et vu que la demande pour permission de modifier et le contenu de la Demande 6 respecte les critères de la modification prévus aux articles 585 et 206 du Code de procédure civile (« Cpc ») et à la jurisprudence[10].

[15]      Le Tribunal accueille donc selon ses conclusions la demande des demandeurs pour permission de modifier la Demande modifiée numéro 5 pour autorisation d’exercer une action collective, sans frais de justice.

2.2      Autorisation de l’action collective

[16]      Débutons par les critères de l’article 575 Cpc.

2.2.1   Les critères de l’article 575 Cpc

[17]      L’autorisation d’exercer une action collective est accordée si chacun des quatre critères de l’article 575 Cpc est rempli. Cet article se lit ainsi :

575.  Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que :

1.      les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

2.      les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

3.      la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;

4.      le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

[18]      Dans les arrêts Infineon[11], Vivendi[12], Oratoire Saint-Joseph[13] et Asselin[14], la Cour suprême du Canada a établi les principes suivants :

               L’autorisation d’un recours collectif au Québec nécessite l’atteinte d’un seuil peu élevé;

               Une fois les quatre conditions énoncées à l’article 575 Cpc satisfaites, le juge d’autorisation doit autoriser le recours collectif; il ne bénéficie d’aucune discrétion résiduelle lui permettant de refuser l’autorisation au prétexte que, malgré l’atteinte de ces quatre conditions, le recours ne serait pas le véhicule « le plus adéquat »;

               La vocation de l’étape de l’autorisation du recours collectif est d’exercer une fonction de filtrage pour écarter les demandes frivoles, sans plus. L’exercice auquel le Tribunal est convié en est un de filtrage dont l’objectif est de se satisfaire de l’existence d’une cause défendable. Les conditions de l’article 575 Cpc doivent être appliquées de manière souple, libérale et généreuse afin de faciliter l’exercice de l’action collective comme moyen d’atteindre le double objectif de la dissuasion et de l’indemnisation des victimes. Tout doute doit jouer en faveur de l’autorisation;

               Quant à l’apparence de droit, le requérant n’a qu’un fardeau de démonstration et non de preuve. Il doit démontrer l’existence d’une « apparence sérieuse de droit », d’une « cause défendable »;

               Il n’y a aucune exigence au Québec que les questions communes soient prépondérantes par rapport aux questions individuelles. Au contraire, une seule question commune suffit si elle fait progresser le litige de façon non négligeable. Il n’est pas nécessaire que celle-ci soit déterminante pour le sort du litige;

               Le Tribunal ne doit pas, à ce stade, se pencher sur le fond du litige et il doit prendre les faits pour avérés, sauf s’ils apparaissent invraisemblables ou manifestement inexacts. Le Tribunal doit prêter une attention particulière, non seulement aux faits allégués, mais aussi aux inférences ou présomptions de fait ou de droit qui sont susceptibles d’en découler et qui peuvent servir à établir l’existence d’une « cause défendable ».

[19]      Il faut garder à l’esprit qu’avant le jugement d’autorisation, le recours n’existe pas sur une base collective[15]. C’est donc à la lumière du recours individuel de la personne désignée par la demanderesse qu’il sera déterminé s’il y a apparence de droit; les trois autres conditions doivent être remplies par la demanderesse[16].

[20]      Le Tribunal reviendra plus loin sur certains autres principes applicables. Abordons maintenant un par un les quatre critères de l’article 575 Cpc, en débutant par l’apparence de droit.

2.2.2   Apparence de droit – 575 (2) Cpc

[21]        Dans l’arrêt Benjamin c. Crédit VW Canada inc.[17], la Cour d’appel résume l’état du droit sur l’article 575(2) Cpc :

[27]      Lorsqu’il analyse le deuxième critère énoncé à l’article 575 C.p.c., le juge autorisateur doit respecter les limites inhérentes à son rôle de filtrage, qui se résume à « écarter les demandes frivoles, sans plus ». Ainsi, lorsqu’il se demande si les faits allégués par le demandeur paraissent justifier les conclusions recherchées, il doit garder à l’esprit les récents enseignements de la Cour suprême selon lesquels le seuil imposé au demandeur est « peu élevé », notamment parce qu’« il n’est pas nécessaire, contrairement à ce qui est exigé ailleurs au Canada, que le demandeur démontre que sa demande repose sur un “fondement factuel suffisantˮ ». À l’étape de l’autorisation, « le demandeur n’a qu’à établir une simple “possibilitéˮ d’avoir gain de cause sur le fond, pas même une possibilité “réalisteˮ ou “raisonnableˮ ». Les allégations d’une demande d’autorisation « peuvent être imparfaites » et « n’ont pas à contenir le menu détail de la preuve qu’un demandeur entend présenter au mérite ». Par ailleurs, le juge autorisateur doit tenir pour avérées les allégations de la demande, dans la mesure où elles sont suffisamment précises ou, si ce n’est pas le cas, dans la mesure où elles sont accompagnées d’une certaine preuve.

[28]      Il s’ensuit que l’analyse du deuxième critère d’autorisation doit être empreinte de prudence. Tout d’abord, le juge autorisateur doit se garder d’apprécier la preuve contradictoire lui étant soumise, de tenir pour avérés les faits et la preuve allégués par la partie défenderesse ou encore de se prononcer sur les moyens soulevés par cette dernière. Autrement, il risque de faire des constats de fait ou mixtes de fait et de droit de manière prématurée étant donné qu’il ne détient qu’un portrait parcellaire des faits à cette étape de l’instance .

[29]      Par ailleurs, s’il est bien établi que le juge autorisateur « peut trancher une pure question de droit si le sort de l’action collective projetée en dépend » , il doit également le faire avec prudence, car le principe demeure qu’il n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions au regard des faits allégués. Il doit s’assurer qu’il s’agit d’une question de droit dont la réponse suffit, à elle seule, pour déterminer « si l’action collective projetée est “frivole” ou “manifestement non fondée” en droit » en tenant les faits allégués par le demandeur pour avérés. Si la réponse donnée à une question de droit ne suffit pas en elle-même pour que le juge exerce sa fonction de filtrage puisqu’elle est tributaire de l’appréciation de certains faits contradictoires ou encore de l’administration en preuve de certains faits importants, il est préférable de laisser au juge du fond le soin de la trancher.

[22]      Le Tribunal précise donc la portée de la jurisprudence :

               Une allégation générale visant le comportement d’une partie défenderesse ne peut être tenue avérée sans la présentation par le demandeur d’un élément de preuve. Tout fait ne doit cependant pas être supporté par un élément de preuve, car le Tribunal[18] peut faire des inférences ou tirer des présomptions de fait ou de droit qui sont susceptibles de découler des éléments de preuve et qui peuvent servir à établir l’existence d’une cause défendable. L’exemple classique est la causalité;

               Une allégation relative à un élément factuel propre à un demandeur est tenue avérée, sauf si invraisemblable. Par exemple, l’allégation « La bouilloire que j’ai achetée ne fonctionne pas » doit être tenue avérée. L’allégation « J’ai été enlevé par des extra-terrestres » ne peut être tenue avérée car elle est invraisemblable. L’allégation « Ma bouilloire ne fonctionne pas car le fabricant a installé volontairement un élément chauffant défectueux » ne peut être tenue avérée sans aucun élément de preuve.

[23]      Le Tribunal souligne que, outre les allégations de fait contenues à la Demande 6 et les pièces à son soutien, il doit aussi tenir compte de la preuve que les défendeurs ont été autorisés à produire pour évaluer l’opportunité d’autoriser l’action collective proposée, avec les limites selon lesquelles cette preuve ne doit pas être susceptible d’être contestée quant à sa véracité, sa portée ou sa force probante, et ne doit pas générer un débat contradictoire[19]. En effet, la preuve de la défense n’est pas tenue pour avérée[20].

[24]        Rappelons en terminant ce que la Cour d’appel a écrit le 17 novembre 2022 au paragraphe 16 de l’arrêt Davies c. Air Canada[21] :

As the Supreme Court made clear in L’Oratoire SaintJoseph du MontRoyal and Asselin, the role of a motion judge on an application for authorization to institute a class action is very limited. His or her task is not to make [] determination[s] as to the merits in law of the conclusions in light of the facts being alleged”,  but rather to “filter out frivolous claims, and nothing more”.  This explains why, in order to clear the hurdle set by article 575(2) C.C.P., “[t]he applicant need establish only a mere ‘possibility’ of succeeding on the merits, as not even a ‘realistic’ or ‘reasonable’ possibility is required”.

[25]      Que révèlent les allégations de la Demande 6?

2.2.2.1      L’Entente Riddle

[26]      Avant de passer un par un les cas des demandeurs, le Tribunal fait état des éléments factuels suivants, non en litige.

[27]        Il existe l’Entente de règlement ayant trait à la rafle des années 1960 (l’« Entente Riddle) (Pièce PGC-1 ou Pièce PGQ-11). Cette entente de règlement porte sur la « rafle des années 1960 » et a été conclue en 2017 entre le Canada et les demandeurs représentant les « Indiens et Inuit » dans l’objectif d’une résolution nationale de ces litiges. La rafle des années 1960 est définie dans le préambule de l’entente de règlement comme couvrant la période « [b]etween 1951 and 1991, [where] Indians and Inuit were taken into care and placed with non-Indigenous parents … ».

[28]        L’Entente Riddle englobe «[a]ll actions, causes of actions, liabilities, claims and demands whatsoever of every nature or kind for damages, contribution, indemnity, costs, expenses and interest which any Class Member ever had, now has or may hereafter have arising in relation to the Sixty Scoop against Canada …» (par. 1.10 et 10.01 de la Pièce PGC-1).  Le Tribunal constate que la portée de cette quittance est non équivoque : elle vise tout dommage, quel qu’il soit, subi par un « Indien inscrit ou un Inuit » découlant du placement ou de la prise en charge par une famille non autochtone entre 1951 et 1991, et ce sans égard à la cause d’action invoquée.

[29]        Cette entente de règlement a été approuvée par la Cour fédérale et la Cour supérieure de l'Ontario, et elle a été mise en œuvre le 1er décembre 2018[22].  Tous les individus membres de l’action omnibus fédérale (Riddle) et du dossier Brown qui ne sont pas exclus ou qui n’ont pas été réputés exclus sont liés par cette entente.

[30]        Les conséquences de l’Entente Riddle sur le présent dossier sont étudiées à la section 2.2.2.6.

2.2.2.2      Les allégations – cas individuels des demandeurs

[31]        Voici ce que les demandeurs allèguent quant à leurs cas personnels, aux paragraphes 26 à 72 de la Demande 6, en y ajoutant ce que les interrogatoires écrits des demandeurs Mme Ward et M. Wabanonik ont révélé.

2.2.2.2.1      Mary-Ann Ward

[32]        La demanderesse Mary-Ann Ward est née le 6 septembre 1955, à Amos, au Québec. Elle est une « Indienne inscrite »[23].

[33]        Les faits allégués au soutien de sa cause d’action sont les suivants[24] :

               Alors qu’elle était âgée d’environ 4 ans (en 1959 ou 1960), la demanderesse a été retirée de sa maison à Amos et placée par les services sociaux du Québec dans une « group home » située à Aylmer, au Québec;

               La demanderesse a ensuite été adoptée par une famille non autochtone à l’âge de 10 ans (en 1965 ou 1966);

               Cette adoption a été faite dans le cadre d’un programme ou d’une politique d’assimilation Canada-Québec visant à « remove the Indian from the Indian » ou « make Aboriginal children into Caucasian adults »;

               Elle a découvert en 1995 qu’elle est une indienne crie de Chibougamau;

               Elle allègue avoir subi des dommages psychologiques découlant de son adoption par une famille non autochtone;

               La demanderesse habite maintenant à Saskatoon, en Saskatchewan.

[34]      Le PGQ présente l’argument suivant :

1)        La question 2 de l’interrogatoire écrit transmis par le PGQ à la demanderesse Ward reprend le libellé du paragraphe 28 de la Demande 6 :

28.        The Applicant remembers that at about the age of 4 years old she was taken from her home in Amos Quebec and she was moved by the Quebec social services to a group home in Aylmer Quebec; (PGQ-12, p.333)

2)        Or, pour être en mesure d’affirmer sous serment avoir dit la vérité en répondant à l’interrogatoire écrit, le libellé du paragraphe 28 de la demande a été reformulé à même la question 2 de l’interrogatoire avant que la demanderesse y réponde :

28.     The Applicant has been told that at about the age of 4 years old she was taken from her home in Misstissini, Quebec and she was moved by the Quebec social services to a foster home in Aylmer Quebec; (PGQ-12, p.337)

3)        Cette modification du libellé contredit le fait qu’elle « se souvienne » des faits en indiquant plutôt qu’on les lui a rapportés (« qu’on lui a dit ») ;

4)        Cette modification force à mettre en doute le récit qu’on devrait tenir pour avéré, et ce, malgré le peu de faits précis, concrets et palpables qu’il contient ;

5)        D’autant plus qu’au paragraphe 31 de la Demande 6, elle allègue que « she discovered the (sic) she was a Cree status Indian from the town of Chibougameau Quebec ».

[35]      Le Tribunal ne peut retenir cet argument du PGQ.  Les réponses à l’interrogatoire écrit viennent simplement préciser l’histoire de Mme Ward quant à la ville et au type de foyer.  Il ne s’agit pas de contradictions fatales ou centrales, mais bien de précisions. Par ailleurs, à l’étape de l’autorisation, la crédibilité d’un demandeur ne peut être remise en question par le jeu de questions et de réponses.

[36]      Ce que le Tribunal retient, c’est l’essentiel, et il est tenu pour avéré : Mme Ward est une indienne inscrite qui a été retirée de sa famille en 1959 ou 1960 et placée par les services sociaux du Québec dans une famille à Aylmer, au Québec. Elle a été ensuite adoptée par une famille non autochtone à l’âge de 10 ans, en 1965 ou 1966.  Cette adoption a été faite dans le cadre d’un programme ou d’une politique d’assimilation Canada-Québec (le Tribunal revient plus loin sur ces programmes ou politiques). Elle allègue avoir subi des dommages psychologiques découlant de son adoption par une famille non autochtone.

[37]      Sans autre allégation ou élément de preuve, le Tribunal n’aurait pas pu retenir comme avéré ou démontré que l’adoption de Mme Ward a été faite par les services sociaux du Québec dans le cadre d’un programme ou d’une politique d’assimilation Canada-Québec. La simple affirmation de Mme Ward à cet égard est insuffisante. Cependant, comme on le verra plus loin, le Tribunal est d’avis qu’il existe une certaine preuve de ces programmes et que ces programmes ont été mis en place et exécutés par les deux défendeurs.

[38]      Par ailleurs, Mme Ward ne s’est pas exclue de l’entente de règlement dans le dossier Riddle (Pièce PGC-1 ou Pièce PGQ-11)[25].

[39]      Il est vrai que cette entente[26] lui a accordé spécifiquement un paiement forfaitaire d’un montant de 10 000 $ à titre de représentant d’une action collective contre un gouvernement provincial, en sus de toute indemnité qu’elle pourrait réclamer. Cependant, le Tribunal n’y voit ici aucun problème ou empêchement juridique quelconque qui viendrait changer quoi que ce soit à l’apparence de droit de Mme Ward ou à sa capacité d’être représentante. Cet élément est neutre.

[40]      Le Tribunal conclut donc que Mme Ward a démontré faute de la part des deux défendeurs, dommage et causalité. Quant à la causalité, le Tribunal est satisfait ici qu’il y a causalité entre le placement de Mme Ward et les dommages psychologiques, même si les parents adoptifs de Mme Ward ont pu avoir joué un rôle; la causalité n’est pas rompue pour autant et les allégations de la Demande 6 sont suffisantes. Le débat sera fait en détail au mérite.

2.2.2.2.2     Mario Wabanonik

[41]        Le demandeur Mario Wabanonik est né le 22 décembre 1968 au Québec.  Il est un « Indien inscrit »[27].

[42]        Les faits allégués au soutien de sa cause d’action sont les suivants[28] :

               Vers l’âge de 5 ans (1973 ou 1974), le demandeur a été retiré de sa maison et placé par les services sociaux du Québec dans un foyer privé (group foster home) situé à Senneterre, au Québec;

               À l’âge de 8 ans (1976-1977), il a été transféré dans un autre foyer privé (foster home) situé à Belcourt, au Québec;

               À l’âge de 11 ans (1979 ou 1980), il a été envoyé dans une famille d’accueil située dans la réserve indienne de Lac-Simon, où il a vécu durant environ 4 ans;

               À l’âge de 14 ans (1982-1983), il a été à nouveau déplacé dans une famille d’accueil située dans la réserve indienne de Lac-Simon et il y est demeuré jusqu’à l’âge de 18 ans;

               Il allègue avoir subi des dommages psychologiques découlant de ses placements en familles non autochtones et avoir été maltraité physiquement (frappé par coups de pieds et lavé les oreilles avec des épingles à cheveux (« bobépines »);

               Le demandeur a confirmé qu’il n’a jamais été adopté, bien qu’il soit allégué dans la demande d’autorisation qu’il a été « adopted out » par une famille non autochtone dans le cadre d’un programme ou d’une politique d’assimilation Canada-Québec;

               Le demandeur réside encore dans la réserve indienne de Lac-Simon, au Québec.

[43]      Le PGQ présente l’argument suivant :

1)        La Demande 6 allègue que les membres du groupe et le représentant auraient été adoptés par des familles non autochtones (non-Aboriginal) dans le cadre du programme canadien et saskatchewanais (modifié le 1er novembre 2022 pour « Québec ») visant à « remove the Indian from the Indian » ou à faire des enfants autochtones des adultes caucasiens (par. 44).

2)        Pourtant, M. Wabanonik a clairement admis dans son interrogatoire écrit ne jamais avoir été adopté (Pièce PGQ-13);

3)        Sa situation personnelle ne supporte donc aucunement le syllogisme de la présente demande reprochant au PGQ d’avoir retiré les membres de leurs familles pour les placer (et les faire adopter, ce qui n’est pas le cas du demandeur) par des familles allochtones dans le but de les acculturer.

[44]      Encore ici, le Tribunal ne peut retenir cet argument du PGQ.  Les réponses à l’interrogatoire écrit viennent simplement préciser l’histoire de M. Wabanonik quant à la ville et à sa non-adoption. Il ne s’agit pas de contradictions fatales ou centrales, mais bien de précisions. Par ailleurs, à l’étape de l’autorisation, la crédibilité d’un demandeur ne peut être remise en question par le jeu de questions et de réponses.

[45]      Ce que le Tribunal retient, c’est l’essentiel, et il est tenu pour avéré : M. Wabanonik est un indien inscrit qui, vers l’âge de 5 ans en 1973-1974, a été retiré de sa maison et a été placé par les services sociaux du Québec dans des familles d’accueil non autochtones successives au Québec. Ce placement a été fait dans le cadre d’un programme ou d’une politique d’assimilation Canada-Québec (le Tribunal revient plus loin sur ces programmes ou politiques). Il allègue avoir subi des dommages psychologiques et avoir été maltraité physiquement, le tout découlant de ses placements en familles non autochtones.

[46]      Encore ici, sans autre allégation ou élément de preuve, le Tribunal n’aurait pas pu retenir comme avéré ou démontré que le placement de M. Wabanonik a été fait par les services sociaux du Québec dans le cadre d’un programme ou d’une politique d’assimilation Canada-Québec. La simple affirmation de M. Wabanonik à cet égard est insuffisante. Cependant, comme on le verra plus loin, le Tribunal est d’avis qu’il existe une certaine preuve de ces programmes et que ces programmes ont été mis en place et exécutés par les deux défendeurs.

[47]      Par ailleurs, tout comme Mme Ward, M. Wabanonik ne s’est pas exclu de l’entente de règlement dans le dossier Riddle (Pièce PGC-1 ou Pièce PGQ-11)[29].

[48]      Le Tribunal conclut donc que M. Wabanonik a démontré faute de la part des deux défendeurs, dommage et causalité. Quant à la causalité, le Tribunal est satisfait ici qu’il y a causalité entre le placement de M. Wabanonik et les dommages psychologiques et physiques, même si les parents d’accueil de M. Wabanonik ont pu avoir joué un rôle; la causalité n’est pas rompue pour autant et les allégations de la Demande 6 sont suffisantes. Le débat sera fait en détail au mérite.

2.2.2.2.3     Clara Halliday

[49]      La demanderesse Clara Halliday est née le 16 novembre 1969 au Manitoba. Elle s’identifie comme une « Indienne non-inscrite » dans la Demande 6[30].

[50]      Les faits allégués au soutien de sa cause d’action sont les suivants[31] :

               Elle a été retirée de sa famille biologique par les services sociaux du Manitoba, et à l’âge de 3 ans (1972 ou 1973), elle a été adoptée par une famille non autochtone de Montréal;

         Elle allègue avoir subi des dommages psychologiques découlant de son adoption;

         Elle habite maintenant à Montréal, au Québec.

[51]      Le 29 mars 2019, elle a présenté une réclamation dans le cadre de l’Entente Riddle, mais celle-ci a été rejetée au motif que : « […] based on your individual payment application form and the supporting documentation available, we determined that you are not Inuit, Indian or entitled to be registered as an Indian (as defined by the Indian Act) »[32]

[52]      Mme Halliday allègue ceci au paragraphe 57 de la Demande 6 quant aux actions des défendeurs :

57.      The Applicant Halliday, and members of the group, were intentionally removed from the care of their biological families and communities, and adopted out to non-Aboriginal families due to the actions of the Defendants. The goal was to take children away and reprogram them to become ‘white adults’;

[53]        Le PGQ argumente que Mme Halliday n’a pas démontré être une indienne non-inscrite. Il est frappant de noter que le PGC prétend à l’inverse que Mme Halliday est une indienne non-inscrite qui ne peut être représentante valide dans le présent dossier car elle se qualifierait comme membre du groupe dans le dossier d’action collective Varley visant les « Métis et les Indiens non-inscrits »[33].

[54]      Le Tribunal est d’avis qu’il doit tenir pour avéré l’allégation de Mme Halliday selon laquelle elle est une indienne non-inscrite, même en l’absence de tout élément de preuve. Il s’agit ici d’un élément factuel propre à une partie demanderesse qui doit être tenu avéré, puisque non invraisemblable.

[55]      Ce que le Tribunal retient, c’est l’essentiel, et il est tenu pour avéré : Mme Halliday s’identifie comme une « Indienne non-inscrite », elle a été retirée de sa famille biologique par les services sociaux du Manitoba, et à l’âge de 3 ans (1972 ou 1973), elle a été adoptée par une famille non autochtone de Montréal. Ce placement a été fait grâce aux actions des défendeurs (le Tribunal revient plus loin sur les programmes ou politiques). Elle allègue avoir subi des dommages psychologiques découlant de son adoption.

[56]      Encore ici, sans autre allégation ou élément de preuve, le Tribunal n’aurait pas pu retenir comme avéré ou démontré que le retrait et l’adoption de Mme Halliday ont été faits intentionnellement par les défendeurs dans le but de les reprogrammer comme des « adultes blancs ». La simple affirmation de Mme Halliday à cet égard est insuffisante. Cependant, comme on le verra plus loin, le Tribunal est d’avis qu’il existe une certaine preuve de ces programmes d’assimilation et que ces programmes ont été mis en place et exécutés par les deux défendeurs.

[57]      De plus, même si ce sont les services sociaux du Manitoba qui ont retiré Mme Halliday de sa famille, elle s’est retrouvée en adoption au Québec; le Tribunal présume que les services sociaux du Québec ont dû être impliqués, comme c’était le cas pour Mme Ward et M. Wabanonik.

[58]      Le Tribunal conclut donc que Mme Halliday a démontré faute de la part des deux défendeurs, dommage et causalité. Quant à la causalité, le Tribunal est satisfait ici qu’il y a causalité entre le placement de Mme Halliday et les dommages psychologiques, même si les parents adoptifs de Mme Halliday ont pu avoir joué un rôle; la causalité n’est pas rompue pour autant et les allégations de la Demande 6 sont suffisantes. Le débat sera fait en détail au mérite.

[59]      Le Tribunal revient plus loin sur la question des indiens non-inscrits.

2.2.2.2.4     Julie Sinave

[60]      La demanderesse Julie Sinave est née le 10 novembre 1972 au Québec d’un père autochtone et d’une mère non autochtone[34].  

[61]      Les faits allégués au soutien de sa cause d’action sont les suivants[35] :

               Elle a été retirée de sa famille biologique à l’âge de 2 ans (juillet 1975) et adoptée par une famille non autochtone de la province de Québec;

               Elle allègue avoir subi des dommages psychologiques découlant de son adoption;

               Elle réside maintenant à Régina, en Saskatchewan.

[62]      La preuve déposée au soutien de sa réclamation[36] démontre que :

               Sa mère biologique avait 15 ans au moment de sa naissance;

               Elle a vécu avec sa mère biologique jusqu’à son placement dans une famille adoptive;

               Le consentement à l’adoption a été donné le 29 juillet 1975, le placement dans sa famille adoptive a été fait le 22 août 1975 et l’adoption légale a eu lieu le 18 novembre 1976.

[63]      Mme Sinave allègue ceci au paragraphe 70 de la Demande 6 quant aux actions des défendeurs :

70.      The Applicant, Sinave, and members of the group, were intentionally removed from the care of their biological families and communities, and adopted out to non-Aboriginal families due to the actions of the Defendants.  The goal was to take Indigenous children away from their culture and biological families, and reprogram them to become ‘white adults’;

[64]      Le PGQ argumente que Mme Sinave n’est pas une métis car la Pièce P-2, qui contient les antécédents sociobiologiques de Mme Sinave, indique « Aucun renseignement » en ce qui concerne l’identité de son père et démontre qu’elle a vécu exclusivement avec sa mère biologique qui était canadienne-française jusqu’à ce que cette dernière consente le 29 juillet 1975 à son adoption.

[65]      Encore ici, il est frappant de noter que le PGC prétend à l’inverse que Mme Sinave est une métis qui ne peut être représentante valide dans le présent dossier car elle se qualifie comme membre du groupe dans le dossier d’action collective Varley visant les « Métis et les Indiens non-inscrits ».

[66]      Le Tribunal est d’avis qu’il doit tenir pour avéré l’allégation de Mme Sinave selon laquelle son père est autochtone, même en l’absence de tout élément de preuve. Il s’agit ici d’un élément factuel propre à une partie demanderesse qui doit être tenu avéré, puisque non invraisemblable.

[67]      Ce que le Tribunal retient, c’est l’essentiel, et il est tenu pour avéré : Mme Sinave est née d’un père autochtone et d’une mère non autochtone et elle a été adoptée par une famille non autochtone. Cette adoption a été faite grâce aux actions des défendeurs (le Tribunal revient plus loin sur les programmes ou politiques). Elle allègue avoir subi des dommages psychologiques découlant de son adoption.

[68]      Encore ici, sans autre allégation ou élément de preuve, le Tribunal n’aurait pas pu retenir comme avéré ou démontré que l’adoption de Mme Sinave a été faite intentionnellement par les défendeurs dans le but de les reprogrammer comme des « adultes blancs ». La simple affirmation de Mme Sinave à cet égard est insuffisante. Cependant, comme on le verra plus loin, le Tribunal est d’avis qu’il existe une certaine preuve de ces programmes d’assimilation et que ces programmes ont été mis en place et exécutés par les deux défendeurs.

[69]      De plus, même si Mme Sinave n’allègue pas que les services sociaux du Québec ont été impliqués, la Pièce P-2 le démontre très clairement.

[70]      Le Tribunal conclut donc que Mme Halliday a démontré faute de la part des deux défendeurs, dommage et causalité. Quant à la causalité, le Tribunal est satisfait ici qu’il y a causalité entre le placement de Mme Sinave et les dommages psychologiques, même si les parents adoptifs de Mme Sinave ont pu avoir joué un rôle; la causalité n’est pas rompue pour autant et les allégations de la Demande 6 sont suffisantes. Le débat sera fait en détail au mérite.

[71]      Le Tribunal revient plus loin sur la question des métis.

2.2.2.2.5     Conclusion sur les demandeurs

[72]      En conclusion, et en ajoutant ce que le Tribunal détaille à la section 2.2.2.3.1, pour les quatre demandeurs, le Tribunal conclut qu’ils ont réussi à établir une simple possibilité d’avoir gain de cause sur le fond; leur recours n’est pas frivole. Les allégations de la Demande 6 les concernant peuvent être imparfaites et n’ont pas à contenir le menu détail de la preuve qu’ils entendent présenter au mérite.

[73]      Le Tribunal revient évidemment plus loin sur les questions de la conséquence de l’Entente Riddle, de la portée temporelle du groupe et des représentants.

2.2.2.3      Les allégations visant les actions ou omissions des défendeurs

[74]      Le Tribunal passe maintenant en revue les allégations visant les actions ou omissions des défendeurs, en fonction des bases de responsabilité argumentées par les demandeurs.

2.2.2.3.1     Responsabilité extracontractuelle : existence du programme AIM ou tout autre programme ou politique similaire d’assimilation

[75]      Les demandeurs poursuivent ici le PGQ et le PGC en vertu de la responsabilité civile extracontractuelle au terme de l’article 1457 du Code civil du Québec (« CcQ »). Ce régime de responsabilité s’applique au PGC en vertu des articles 2 et 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif[37].

[76]      Le Tribunal est d’avis que la Demande 6 n’a pas à indiquer l’article 1457 CcQ et la loi fédérale comme bases de responsabilité. Cela est implicite et les demandeurs peuvent l’indiquer en plaidoirie orale, ce qui est suffisant. C’est après tout le régime de responsabilité de droit commun au Québec.

[77]      Mais les demandeurs doivent alléguer faute, dommage et causalité.  L’ont-ils fait?

[78]      Le Tribunal sait des allégations des cas individuels des demandeurs qu’ils ont été placés ou adoptés au Québec en vertu de programmes ou politique d’assimilation du Québec et du Canada. Mais y a-t-il une démonstration de l’existence de ces programmes? Puisque les allégations des demandeurs à cet égard sont assez imprécises, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit ici d’un cas où une « certaine preuve » est requise.

[79]      Le PGQ et le PGC argumentent qu’il y a absence totale de toute preuve et que l’action collective doit être rejetée. Le Tribunal est en désaccord avec la position des défendeurs. Voici pourquoi.

[80]      Les demandeurs allèguent ceci à la Demande 6 :

               Par. 4 : Les demandeurs allèguent que le PGC et le PGQ ont la responsabilité de mettre en œuvre les programmes de services sociaux pour les autochtones au Québec;

               Par. 7 : À compter de 1962, le Canada a conclu une entente avec la province de Québec en vertu de laquelle le Canada a délégué les services de protection de l'enfance indienne à la province de Québec;

               Par. 9 à 11, 14, 32, 44, 57, 70 et 76 : Les défendeurs auraient promu et opéré le programme AIM ou tout autre programme ou politique similaire d’assimilation au Québec qui visait le placement en familles d’accueil et l'adoption systémiques d’enfants autochtones auprès de familles non autochtones afin de les assimiler à la « société blanche » à compter de 1951 jusqu’au 1er janvier 2020.  Selon les demandeurs, conformément au programme AIM ou à tout autre programme ou politique d’assimilation similaire au Québec promu et opéré par les défendeurs, des enfants autochtones auraient été retirés de force de leurs communautés autochtones, placés sous la tutelle ou sous la garde de familles d'accueil ou de familles adoptives non autochtones contre la volonté de leurs parents.  En raison de ces placements, ces enfants auraient été empêchés de grandir dans le respect de leurs cultures et de leurs langues en plus d’être soumis à diverses formes d’abus.

[81]        En soi, cela est insuffisant car il faut une certaine preuve pour appuyer ces allégations qui sont imprécises et générales.

[82]        Mais cette certaine preuve existe, et elle est au dossier. La voici.

[83]        Premièrement, l’Entente Riddle est la Pièce PGC-1 et mentionne ceci à son préambule :

A.      Between 1951 and 1991, Indian and Inuit children were taken into care and placed with non-Indigenous parents where they were not raised in accordance with their cultural traditions nor taught their traditional languages (the “Sixties Scoop”);

[84]        De l’avis du Tribunal, ceci démontre l’existence d’une « rafle des années 60 » opérée par le PGC auprès des enfants autochtones depuis au moins 1951.

[85]        Deuxièmement, le jugement d’approbation de l’Entente Riddle (Riddle c. Canada, 2018 CF 641) est la Pièce PGC-2.  Il contient les passages suivants[38] :

I.       Aperçu

[1]     Le présent litige est « unique dans l’histoire » et était « intrinsèquement empreint de risques ». La Cour doit tenir compte du fait que les prétentions dans le présent recours collectif renvoient à une perte d’identité culturelle, puisque c’est la première fois que cette question a été soulevée dans la décision Brown v Canada (Attorney General) en Ontario en 2009 et reconnue comme telle par le juge Edward Belobaba.

[I]l      s’agit du premier cas dans le monde occidental à tenir le gouvernement responsable de la consultation (compensation) lorsque l’enjeu est l’identité culturelle des enfants d’un peuple. [Il] s’agit du plus important montant de dommages-intérêts jamais accordé en réponse au grief de la perte d’identité culturelle des enfants d’un peuple.

(Affidavit de M. Brown, aux paragraphes 43 et 44, pièce « 113 » à l’affidavit de D. Rosenfeld à l’appui de l’approbation de règlement, au paragraphe 252, dossier de requête (approbation de règlement), onglet 6(113), à la page 2107.)

Les précédents dans Brown v Canada (Attorney General) du juge Belobaba sont historiquement exemplaires par leur compréhension de l’identité culturelle comme essentielle à la personnalité humaine. (La décision certifiée est Brown v Canada (Attorney General), 2013 ONSC 5637. La décision rendue par un jugement sommaire se trouve dans Brown v Canada (Attorney General), 2017 ONSC 251 dans lequel il a été question de la responsabilité légale du Canada sous les règles de la common law.)

II.      Introduction

[2]     Après la conclusion des discussions sur le règlement et la Fondation proposée, en principe respectivement, le premier ministre Justin Trudeau a pris la parole devant l’Assemblée générale des Nations Unies au Siège de l’Organisation des Nations Unies le 21 septembre 2017. Lors d’une première historique, le premier ministre a présenté des excuses pour les abus les plus honteux perpétrés au Canada. Le premier ministre a mentionné l’héritage dévastateur du traitement des peuples autochtones.

[3]     Le 6 octobre 2017, la ministre des Relations avec les Autochtones et des Affaires du Nord, Carolyn Bennett, a fait l’annonce relative à l’accord de principe conclu concernant le règlement et la Fondation proposée.

[4]     La tragédie des enfants autochtones « arrachés » à leurs foyers, à leurs communautés et à leurs familles a déjà été désignée et soulignée dans le rapport de 1983 du Conseil canadien de développement social de Patrick Johnson et dans le rapport de 1985 du juge Edwin Kimelman, No Quiet Place.

[5]     La perte de l’identité culturelle des enfants retirés de leurs foyers traditionnels a entraîné une perte du sentiment d’appartenance. La perte de la culture, de la langue et de l’identité a entraîné une perte d’essence personnelle et collective pour les enfants vulnérables qui ont été « arrachés » à leurs familles entre 1951 et 1991. La perte du sentiment d’appartenance a fait disparaître le but et la raison d’être de la vie des personnes qui ont perdu tout sens d’un parcours de vie avant même qu’il puisse commencer. Par conséquent, cela a aussi entraîné l’impression d’être incapable d’identifier une perte de personnalité. La tentative de commettre le « génocide culturel » de nations autochtones entières, comme l’a déclaré l’ancienne juge en chef Beverley McLachlin, est ce qu’elle a défini comme « la pire tache au bilan du Canada en matière des droits de la personne ».

[6]     « La tache la plus flagrante de notre histoire canadienne concerne notre traitement des Premières Nations qui vivaient ici au temps de la colonisation. » L’ancienne juge en chef du Canada a fait ces observations lors de la quatrième Conférence annuelle sur le pluralisme du Centre mondial du pluralisme en 2006 (sous la direction de l’Aga Khan, chef spirituel des musulmans ismailis, qui a fondé le Centre en collaboration avec le gouvernement fédéral). La juge en chef a continué en déclarant catégoriquement que le Canada avait développé une « philosophie d’exclusion et d’annihilation culturelle ».

[7]     N’oublions pas ce qui a été dit par le premier ministre du Canada, John A. Macdonald, à savoir qu’il était important de résoudre le problème des « Indiens » en « sortant l’Indien de l’enfant ».

[8]     L’objectif était de supprimer les traditions sociales et religieuses autochtones, d’interdire aux enfants de parler leurs langues maternelles et de ne pas leur permettre de s’habiller de façon traditionnelle, les ayant ainsi soumis à la perte d’un sentiment d’appartenance.

[9]     Plus important encore, lorsqu’une personne perd ses racines, elle perd la possibilité de « se voir pousser des ailes » pour s’élever et réaliser ses rêves, ses espoirs et ses aspirations.

[10]   Une Fondation est proposée dans l’entente de règlement conclue entre les représentants du groupe et le gouvernement fédéral. Au sein du conseil de développement de la Fondation, le juge soussigné est simplement là pour mettre en œuvre les termes de l’entente pour que la Fondation soit entièrement transférée aux Autochtones. Comme l’a indiqué la juge en chef de la Cour suprême du Canada, Beverly McLachlin, le rôle d’un juge ne se résume pas à rendre un jugement; il doit aussi veiller à sa mise en œuvre. Il incombe à un juge de s’assurer qu’un jugement est mis en application. La Fondation doit s’assurer que la revendication de l’identité culturelle crée une entité vivante pour tous les peuples autochtones du Canada, y compris les Métis, pour revendiquer un retour aux langues, aux cultures et aux traditions spirituelles autochtones, en plus de changer le paradigme au Canada en ce qui concerne tous les peuples autochtones. Pour garantir que la souffrance du passé ne tombe pas dans l’oubli, chaque histoire qui peut être racontée le sera, pour que l’on s’en souvienne. Que tout soit fait pour que les larmes dont se souviennent les individus ne soient pas perdues dans les annales de l’histoire, mais qu’elles soient inscrites dans les mémoires. Ceci, pour qu’une telle aberration ne se reproduise jamais dans ce que nous appelons le Canada civilisé! Tous les manuels d’histoire du primaire, du secondaire, des collèges et des universités doivent inclure ce chapitre sordide de l’histoire canadienne. Il est important de rappeler que la justice ne peut pas exister sans la vérité; et la vérité ne peut pas exister sans compassion.

[11]   Une réconciliation est proposée par la création et l’établissement de la Fondation proposée. Par conséquent, il faut établir des liens entre les générations dans les familles et les communautés autochtones; pour que les générations divisées comprennent ce qui s’est passé. Les liens, qui seront établis entre les générations dans les familles et les communautés autochtones, créeront alors un climat permettant de comprendre la douleur et les souffrances cachées qui ont causé du tort aux générations suivantes. En outre, un dialogue est proposé entre les enfants des victimes et les enfants des auteurs afin de garantir la vérité et la réconciliation pour la guérison de notre nation. (Cela inclura le travail de professionnels de la santé.)

[12]   La population générale, lorsqu’elle était consciente des abus, a perdu son sens de l’humanité. La population générale qui était au courant de ce qui était perpétré n’avait ainsi plus de conscience. Les individus des nations autochtones ont perdu leur identité culturelle qui doit être restituée à ceux qui ont perdu leur sphère familiale mentale et physique pour leur permettre un retour aux sources.

[86]      De l’avis du Tribunal, ceci démontre amplement l’existence de programmes ou de politiques d’assimilation des enfants autochtones mis sur pied et opérés par le PGC, partout au Canada.

[87]      Troisièmement, le paragraphe 76 de la Demande 6 fait référence au Rapport final de la Commission d'enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès du 30 septembre 2019 (le « Rapport Viens »[39]). Ce rapport n’a pas été coté par les demandeurs, mais il apparaît en note en bas de page au paragraphe 76 et a été communiqué aux parties et au Tribunal. Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une pièce validement alléguée et mise en preuve par les demandeurs, même si tardive.

[88]      Dans le Rapport Viens[40], on peut lire ceci :

Pages 85 et 86 :

En ce qui a trait à la santé et aux services sociaux, les années 1970 et 1980 seront aussi marquées par un nouveau contexte. La signature des traités modernes par les Eeyou (Cris), les Inuit et les Naskapis leur accorde en effet un statut particulier. En vertu de ces conventions, ces communautés assurent elles-mêmes le déploiement et la gestion des services de santé et des services sociaux sur leurs territoires485. Les ententes conclues prévoient également que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec finance le déploiement des services et des infrastructures requises dans les communautés. L’approche donnera naissance au Conseil Cri de la santé et des services sociaux de la Baie James, au CLSC Naskapi et ultérieurement à la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik. Un certain nombre d’ententes complémentaires s’avéreront toutefois nécessaires pour baliser le fonctionnement de ce nouveau partage des responsabilités.

À l’opposé, dans les communautés non conventionnées, toujours assujetties à la Loi sur les Indiens, l’offre et le financement des services de santé et de services sociaux sont assumés par le gouvernement fédéral. En d’autres termes, à moins d’une entente spéciale, aucun service de base direct n’est offert par les établissements du réseau québécois de santé dans les communautés. Cela dit, les lois en vigueur au Québec, dont la Loi sur les services de santé et les services sociaux et la LPJ s’appliquent et doivent être respectées. La complexité du partage de responsabilité entre les différents paliers de gouvernement ne sera pas sans susciter un certain nombre de problèmes qui perdureront bien au-delà de cette période.

Pages 125, 126 et 127 :

4.3.9 Protection de la jeunesse

Quant aux enfants, l’étude la plus récente en matière de protection de la jeunesse fait état d’un taux de signalement – point de départ de toute intervention en protection de la jeunesse – trois fois et demie plus élevé pour les enfants autochtones que pour les enfants allochtones. Le taux de prise en charge, c’est-à-dire le nombre de fois où un signalement est jugé fondé et mène à des actions, serait quant à lui quatre fois plus élevé que dans la population en général. Les enfants autochtones seraient aussi quatre fois plus susceptibles d’être jugés en situation de compromission et cinq fois et demie plus susceptibles d’être placés que les enfants non autochtones. Pour toutes ces raisons, la surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de la jeunesse au Québec est un fait admis.

Parmi les enfants autochtones, le taux de placement à l’extérieur d’une communauté (37 pour 1 000 enfants) était aussi supérieur au taux de placement dans une communauté (24 pour 1 000 enfants).

[…]

Chez les Eeyou (Cris), la situation semble encore plus alarmante. Selon un rapport déposé dans le cadre des audiences de la Commission, le taux d’enfants signalés était en 2016-2017, de 352 pour 1 000 enfants et le taux de signalements retenus étaient de 97 pour 1 000845. La moitié des signalements reçus avaient trait à de la négligence. Ces données sont respectivement six fois et quatre fois plus élevées que les moyennes provinciales. Le rapport mentionne également qu’un enfant sur cinq sur le territoire d’Eeyou Istchee est suivi en protection de la jeunesse. En 2016, 613 enfants étaient en outre placés en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, ce qui représente un taux de 94 pour 1 000 enfants. En ce qui a trait aux enfants inuit résidant sur le territoire du Nunavik, l’absence de données statistiques rend impossible l’établissement d’un portrait détaillé. Il est tout de même établi que 2 137 signalements ont été reçus en 2016 et que 374 enfants inuit étaient placés en 2015- 2016848. Un rapport d’enquête effectuée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur le territoire en 2007 établissait en outre à l’époque que le principal motif des signalements retenus était la négligence associée soit à des problématiques de consommation d’alcool ou de drogue et de violence conjugale. Ce même rapport révélait qu’un enfant sur cinq au Nunavik avait vécu un placement à l’extérieur de son milieu familial.

Pages 263 et 264 :

Du point de vue de Daniel Salée, «on ne peut proprement saisir les difficultés et les tensions qui se manifestent dans le champ des services publics destinés aux Autochtones si on ne tient pas compte du contexte historique et de la trame sociopolitique qui alimentent les rapports de l’État à ces derniers». Or, précise-t-il:

Les gens des services sociaux ou des services policiers, des services de santé ou du ministère de l’Éducation font leur travail. On peut estimer qu’ils le font très bien en général, mais ils le font en général aussi en toute méconnaissance des contextes et des enjeux internes aux communautés, et surtout, je dirais, en toute ignorance de l’histoire.

D’abord imprégnés par une volonté d’assimilation, puis par la certitude que l’équité dans les services passe nécessairement par une offre de services unique, le Québec du dernier siècle et sa cohorte d’événements sociaux et politiques ont en effet fourni un terreau fertile à la distanciation des cultures.

Page 435 :

Si les voix entendues sont multiples, toutes convergent cependant vers les mêmes constats : le système actuel de protection de la jeunesse est imposé de l’extérieur aux peuples autochtones et ne tient pas compte de leurs conceptions de la famille ni de leurs cultures. Plus grave encore, en faisant en sorte de retirer chaque année un nombre important d’enfants de leurs familles et de leurs communautés pour les confier à des familles d’accueil allochtones, le système de protection de la jeunesse perpétue – du point de vue de plusieurs – les effets délétères de la politique des pensionnats. C’est dire à quel point la question est sensible et les défis majeurs.

Page 474 :

À la lumière des données obtenues, il est également impossible de savoir si les personnes qui accueillent les enfants autochtones (à titre de famille d’accueil ou de parents adoptifs) sont autochtones ou non et s’ils appartiennent à la même nation autochtone que l’enfant qu’ils hébergent. Les données obtenues ne permettent pas non plus de savoir s’il s’agit de placements temporaires (ex. : 6 mois) ou de placements permanents (ex. : à majorité). Or, ces données présentent une importance capitale dans la perspective de la préservation de l’identité culturelle de l’enfant autochtone lors d’un placement.

[89]      De l’avis du Tribunal, ceci démontre amplement l’existence de programmes ou de politiques d’assimilation des enfants autochtones par placement ou adoption, mis sur pied et opérés par le PGQ via les systèmes de services sociaux.

[90]        Ces propos du Rapport Viens ne se limitent pas aux années 2001 à 2016, mais couvrent également le « siècle dernier », soit le 20e siècle[41].

[91]        Quatrièmement, le paragraphe 4 de la Demande 6 fait référence au Renvoi à la Cour d'appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2022 QCCA 185 (le « Renvoi »), rendu le 10 février 2022. Cet arrêt de la Cour d’appel n’a pas été coté par les demandeurs, mais il apparaît en note en bas de page au paragraphe 2 et a été communiqué aux parties et au Tribunal.  Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une pièce validement alléguée et mise en preuve par les demandeurs, même si tardive. De plus, comme il s’agit d’une décision judiciaire du Québec, il n’était même pas besoin de l’alléguer.

[92]        Le Renvoi porte sur une loi provinciale du Québec.  Dans le Renvoi, on lit ceci :

[12]   La Loi marque une étape récente dans un processus enclenché il y a près de deux siècles. Il convient d’exposer à grands traits le contexte de son adoption. Pendant des décennies, des politiques d’assimilation ont gravement préjudicié à plusieurs générations d’Autochtones. En raison à la fois d’un chevauchement des compétences constitutionnelles et d’un sous-financement chronique par le gouvernement fédéral, les peuples autochtones peinent encore aujourd’hui à surmonter les effets à long terme de cet état de fait.

[13]   Depuis quarante ans, plusieurs importantes commissions d’enquête ont mis en évidence les conséquences dramatiques que subirent ainsi les peuples autochtones et leurs enfants. La nécessité s’est progressivement imposée de laisser les Autochtones prendre en main les services à l’enfance et aux familles qui les concernent. Cela conduisit à l’entrée en vigueur de la Loi le 1er janvier 2020.

[17]   Plus de 150 000 enfants autochtones ont fréquenté des pensionnats autochtones jusqu’aux années 1990. Des milliers d’entre eux ont été victimes de sévices physiques, psychologiques et sexuels. La fin progressive du système des pensionnats ne mettra cependant pas un terme à la séparation forcée des enfants autochtones de leurs familles. Aux pensionnats succèdent les familles d’accueil allochtones, ce qu’on appellera par la suite la « rafle des années soixante ». L’adoption massive d’enfants autochtones entraînera chez eux d’importants problèmes identitaires et comportementaux.

[19]   Par ailleurs, entre 1991 et 2019, quatre commissions d’enquête distinctes ont abordé sous plusieurs angles différents les conséquences du sort fait aux Autochtones : la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (« Commission de vérité et réconciliation »), la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (« Commission Viens ») et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. La première d’entre elles, qui fit rapport en 1996, identifiait comme thème central de ses recommandations l’idée qu’il faut laisser les Autochtones exercer leur autonomie et élaborer leurs propres solutions. Dans son rapport de 2015, la deuxième énumérait une série de mesures pour remédier à la surreprésentation des enfants autochtones dans les prises en charge par les services à l’enfance. La Commission Viens concluait en 2019 à l’existence d’une discrimination systémique envers les Premières Nations et à l’inadéquation d’un système de protection de la jeunesse qui confie des enfants autochtones à des familles allochtones. La même année, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées formulait plusieurs recommandations visant elles aussi à confier aux Autochtones, dans l’exercice de leur autodétermination, la conception et la mise en place de services à l’enfance et aux familles respectueux des spécificités autochtones.

[20]   Tous conviennent désormais que la déplorable surreprésentation des enfants autochtones au sein des services de protection de la jeunesse perdure de manière marquée encore aujourd’hui. Les trois plus récentes commissions déjà évoquées ont dénoncé cette réalité, de même que la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (« Commission Laurent ») en 2021. Les causes, dont un sous-financement chronique, en sont multiples et en interrelation les unes avec les autres.

[21]   Les modalités de financement des services à l’enfance autochtone varient sensiblement d’une communauté à l’autre, mais le gouvernement fédéral demeure sa principale source, soit directement par les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (« SEFPN »), soit indirectement par l’entremise de services dispensés par les provinces. L’image qui s’en dégage dans le dossier du renvoi est imprécise à divers égards. Cela dit, des décisions récentes du Tribunal canadien des droits de la personne (« TCDP ») ont bien mis en évidence le caractère discriminatoire et lacunaire des pratiques en place.

[95]   Lorsque les gouvernements provinciaux commencent à intervenir sur une base plus régulière, à la suite de conclusion d’ententes de financement avec le gouvernement fédéral, ils perpétuent en quelque sorte la politique assimilatrice qu’incarnait le système des pensionnats. Des milliers d’enfants sont retirés de leur milieu naturel et confiés à l’adoption dans des familles allochtones :

Les travailleurs sociaux provinciaux affectés aux réserves évaluent la sécurité et le bien-être de l’enfant selon les normes culturelles dominantes, et ont peu ou pas de formation en culture autochtone. Comme on ne leur a pas enseigné à détecter des problèmes qui trouvent leur origine dans un traumatisme multigénérationnel lié aux pensionnats, ils jugent que les méthodes parentales autochtones sont mauvaises ou négligentes. En conséquence, les travailleurs provinciaux en protection de l’enfance enlèvent des milliers d’enfants des collectivités autochtones à partir des années 1960, opération qui prend le nom de « rafle des années soixante ».

Des enfants autochtones sont ainsi placés dans des foyers non autochtones au Canada, aux États-Unis et même outre-mer, sans qu’on cherche à préserver leur culture et leur identité. Ces adoptions en masse se poursuivent entre 1960 et 1990.

Les enfants de la rafle des années soixante souffrent de séquelles très semblables à celles des enfants placés dans des pensionnats. Les enfants autochtones adoptés ou mis en foyer d’accueil avec des parents blancs sont parfois maltraités, et souffrent de confusion d’identité, d’une faible estime de soi, de toxicomanies, d’un faible niveau d’instruction et de chômage. Ils connaissent parfois aussi le dénigrement et, dans la quasi-totalité des cas, souffrent de dislocation sociale et de dénégation de leur identité autochtone. [Soulignements ajoutés]

[96]   L’impact de l’enlèvement massif des enfants autochtones à compter des années 1960 a été jugé « horrendous, destructive, devastating and tragic » et aussi dommageable que la fréquentation des pensionnats où les enfants autochtones étaient avec leurs pairs :

Residential schools incarcerated children for 10 months of the year, but at least the children stayed in an Aboriginal peer group; they always knew their First Nation of origin and who their parents were and they knew that eventually they would be going home. In the foster and adoptive system, Aboriginal children vanished with scarcely a trace, the vast majority of them placed until they were adults in non‑Aboriginal homes where their cultural identity and legal Indian status, their knowledge of their own First Nation and even their birth names were erased, often forever.

[97]   L’effet dévastateur de ce qui a été qualifié de « rafle des années soixante » – laquelle a entraîné l’adoption massive d’enfants autochtones – est à la source d’importants problèmes identitaires et comportementaux. L’experte Christiane Guay traite des études qui ont démontré les répercussions négatives découlant de ces adoptions. Certains enfants ont rencontré des difficultés à s’identifier à la culture de leur famille d’accueil, d’autres ont souffert du racisme et des stéréotypes manifestés envers leur peuple d’origine. Dans bien des cas, le fait de vivre entre deux cultures a engendré « chez les jeunes une image négative d’eux-mêmes qui en a poussé plusieurs à se réfugier dans la consommation d’alcool ou de drogues pour échapper à leurs souffrances. […] Des auteurs ont également montré que ces problèmes se sont également traduits par des idées suicidaires ou une plus grande propension à la criminalité […] ».

[98]   Devant cette vague d’« enlèvements » systématiques, plusieurs communautés mettent sur pied des organismes afin de fournir elles-mêmes certains services en matière de protection à l’enfance. Ces organisations demeurent cependant assujetties aux lois provinciales et aux critères applicables, qui ne prennent pas nécessairement en compte les cultures et la réalité autochtones. S’ajoute à cette problématique, le sous-financement chronique et important des services, comme nous le verrons ci-après.

[130]   Au Québec, la même problématique de surreprésentation est également bien ancrée, et ce, malgré les modifications apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse et les diverses ententes conclues entre le gouvernement et des communautés autochtones. Cet état de fait documenté a été rappelé sans ambages par la Commission Viens :

Si les voix entendues sont multiples, toutes convergent cependant vers les mêmes constats : le système actuel de protection de la jeunesse est imposé de l’extérieur aux peuples autochtones et ne tient pas compte de leurs conceptions de la famille ni de leurs cultures. Plus grave encore, en faisant en sorte de retirer chaque année un nombre important d’enfants de leurs familles et de leurs communautés pour les confier à des familles d’accueil allochtones, le système de protection de la jeunesse perpétue – du point de vue de plusieurs – les effets délétères de la politique des pensionnats. C’est dire à quel point la question est sensible et les défis majeurs.

[131] Selon l’honorable Jacques Viens, « il ne fait aucun doute que les limites du système de protection de la jeunesse en contexte autochtone sont atteintes ». En effet, les ententes visées par les art. 37.6 et 37.7 de la Loi sur la protection de la jeunesse ne permettent pas l’exercice d’une véritable autonomie, et une seule nation est parvenue à conclure une entente prévue à l’art. 37.5, après des négociations de près de 20 ans.

[132] Plus récemment encore, le rapport de la Commission Laurent réitérait un constat de même nature :

Une conséquence importante découlant de l’application de la LPJ, sans adaptation aux réalités autochtones, est la surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de la jeunesse.

[…]

Plusieurs témoignages ont mis en lumière que l’application actuelle de la LPJ engendre des effets négatifs, voire discriminatoires, auprès des familles autochtones et, conséquemment, une surreprésentation de ces enfants dans le système de protection de la jeunesse. [Renvois omis]

[133] Cette prise en charge abusive des enfants autochtones au Québec et dans l’ensemble du Canada par les autorités étatiques a des effets dévastateurs sur ces enfants et leurs communautés, tout comme le fait que les services offerts ne tiennent pas compte de leurs cultures. Les causes de cette surreprésentation sont multiples, mais interreliées.

[134] D’emblée, les interventions étatiques à visées colonialiste et assimilatrice depuis plus d’un siècle, tout particulièrement en matière de services à l’enfance et à la famille, ont causé d’importants torts aux peuples autochtones, qui doivent encore aujourd’hui composer avec les conséquences du traumatisme intergénérationnel en découlanthttp://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php?ID=E7D48B9EBB9F6A0F78885A495DDF0C75&captchaToken=03AEkXODCW75Uh2au_EgaCxGlTDGV1GfQImO7rLx2uTMXnVaL-S-0pNBLbhg3CxnUpHXdYwnZcrtVvEYW_7Wjfeh7CkcSnlYqKZBG4wSNdJ_xFTgy7VQ1eZYu-3FJMMDHNVmDmVwPZ1Cs9d9jUWozlrHo7BcA4XLeYbXntkUM8fYBWgw_-nPHGZ1GnC1qPyvCRKN06Q0QbjZMFlfSBd59K5vG8diMxHFXGE1QMx0DLU6b4DrbX87Q8uPgNa9qbXlNYoTwisoUMeO6KVYoo_-IbWeQReGnHfqfP9xGotOVnPhaDfdjGm4cnb3VJL0-VclsftVquFuPTVhfbArxq7g5hCirtvwLH8t8OMS_kcRKvcSJrvxa05_Kg1wwreHEe3g01apCDisWtsVPCcaUx63eTD0PR9QKlSGNTkpKjgdngMkOL6jyUSbMKYSZBwqG_taYYIXbukTzaW_7R9W1ECEzQrzNa4mdqqZfcnn45yiuFN2h5b9QjMPt-3GKUjhioK-4GGBKQARix-dNBZXi-0X6biyl_ugyAJqbIkA - _ftn115. Ces politiques sont également une cause importante des inégalités sociales auxquelles font face plusieurs communautés autochtones. Ces inégalités sont elles‑mêmes un facteur déterminant dans la crise de surreprésentation des enfants autochtones au sein des systèmes de protection de la jeunesse, puisque plusieurs d’entre eux sont pris en charge pour des motifs de « négligence », une catégorie « fourre‑tout » qui justifie trop souvent des mesures d’intervention par les conditions socioéconomiques des familles autochtones, et ce, sans tenir compte des préjudices qu’elles ont historiquement subis.

[93]      De l’avis du Tribunal, ceci démontre amplement l’existence de programmes ou de politiques d’assimilation des enfants autochtones par placement ou adoption, mis sur pied et opérés par le PGQ et par le PGC.

[94]      Ces propos couvrent eux aussi également le « siècle dernier », soit le 20e siècle.

[95]      Il est vrai que le Renvoi a été porté en appel de plein droit à la Cour suprême du Canada[42] et que l’audition est prévue pour les 7 et 8 décembre 2022[43]. Cependant, l’arrêt de la Cour suprême du Canada n’est pas encore rendu et les constatations factuelles de la Cour d’appel dans le Renvoi subsistent néanmoins, tant que non spécifiquement renversées par la Cour suprême du Canada.

[96]      Le Tribunal conclut donc que les demandeurs ont démontré l’existence de programmes ou de politiques d'assimilation des enfants autochtones au Québec par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, mis sur pied et opérés par le PGQ et le PGC, existant depuis au moins 1951. Ceci constitue donc une faute extracontractuelle envers les demandeurs, et les membres du groupe.

[97]      Le PGQ a déposé les Pièces PGQ-3 à PGQ-7 pour venir contredire l’existence de tels programmes. Il s’agit des éléments suivants :

               Document intitulé Les services sociaux dispensés à Senneterre, rédigé par Le service social de l’Ouest québécois inc., daté du 7 novembre 1972, Pièce PGQ‑3;

               Convention de la Baie James et du Nord québécois (1975), extraits, Pièce PGQ-4;

               Convention du Nord-Est québécois (1978), extraits, Pièce PGQ-5;

               Rapport statistique et narratif des services sociaux aux Amérindiens, années 1980-1981 par le Centre de services sociaux du Nord-Ouest québécois, Pièce PGQ-6;

               Lettre de M. Michel Garceau du Service du Nouveau-Québec et des communautés autochtones, datée du 6 avril 1982, intitulée Services de Bien-être à l’enfance, Pièce PGQ-7.

[98]      Le PGQ veut démontrer que le placement en famille d’accueil et l’adoption d’enfants autochtones au sein de foyers autochtones étaient non seulement possibles et constituaient même une pratique courante et favorisée par les services sociaux du Québec.

[99]      Or, le Tribunal ne peut retenir cette preuve car elle est de nature contradictoire.  Elle ne tend pas à démontrer l’invraisemblance des allégations de la demande. Le débat sera fait au mérite.

[100]   Pour les mêmes raisons, les références par le PGQ à plusieurs décisions[44] en matière d’adoption ou de placement d’un enfant autochtone auprès d’une famille non-autochtone ne permettent pas de démontrer l’invraisemblance des allégations de la demande. Elles créent un débat contradictoire, qui sera fait au mérite.

[101]   Les demandeurs n’ont cependant pas démontré que le programme AIM a été mis en place au Québec. En effet, les demandeurs n’offrent aucun élément de preuve selon lequel ce programme aurait existé au Québec. Le PGC et le PGQ ont déposé le document Report of the Adopt Indian-Métis Project, 1967-1969[45], lequel démontre clairement que ce programme relève du gouvernement de la Saskatchewan et a été mis en œuvre dans cette province.

[102]   Le Tribunal rappelle qu’à l’étape de l’autorisation, les demandeurs n’ont qu’à établir une simple possibilité d’avoir gain de cause sur le fond, pas même une possibilité réaliste ou raisonnable; ils ont réussi cette démonstration. Les allégations de la Demande 6 peuvent être imparfaites et n’ont pas à contenir le menu détail de la preuve que les demandeurs entendent présenter au mérite. Le Tribunal a comme rôle d’écarter les demandes frivoles, sans plus. La Demande 6 n’est pas frivole.

[103]   Les demandeurs n’avaient pas à expliquer en détail le nom des programmes et des politiques ni leur durée ou portée. Cela sera fait au mérite, et fort probablement par l’entremise des interrogatoires préalables et communication de documents.

[104]   Ainsi, même si lors de l’audition du 12 janvier 2021 sur la question de la preuve appropriée, l’avocate des demandeurs a indiqué ignorer le détail des programmes et des politiques assimilateurs, cela ne change rien à l’apparence de droit qui est ici démontrée par les demandeurs.

[105]   Enfin, le fait que l’action collective puisse toucher et remettre en question le processus d’adoption de plusieurs membres n’est pas un motif qui nie l’apparence de droit. Cet élément est une considération de la défense pour le mérite.

[106]   Le Tribunal ajoute que, s’il est permis de faire référence à des articles de journaux ou à des études semi-scientifiques pour démontrer une apparence de droit, alors il est sûrement permis de faire référence à des énoncés d’excuse gouvernementaux et à des rapports de commission d’enquête afin de démontrer une apparence de droit.

[107]   Le Tribunal revient plus loin sur la formulation des questions communes, l’impact de l’Entente Riddle et la définition du groupe.

2.2.2.3.2     Connaissance réelle ou présumée par le PGC des abus et omissions d’agir

[108]   Le Tribunal est d’avis que, pour les mêmes motifs qu’à la section précédente, les demandeurs ont établi cette cause d’action à l’encontre du PGC. Si les programmes ou politiques assimilatrices des enfants autochtones ont existé, ont été mis sur pied par le PGC et ont été opérés par ce dernier, alors le PGC est présumé connaître les abus qui s’y sont déroulés. À cette étape, cela est démontré et est suffisant, et constitue donc une faute extracontractuelle, incluse dans la faute précédente et constituant un tout.

2.2.2.3.3        Existence d’entente du PGQ avec le gouvernement fédéral – responsabilité du commettant - solidarité

[109]   Au paragraphe 7 de la Demande 6, les demandeurs font état d’une entente entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral quant au financement, et à la mise en œuvre des programmes ou politiques d’assimilation des enfants autochtones. Les demandeurs concluent[46] à la responsabilité solidaire du PGC et du PGQ, en plus de conclure à la responsabilité du PGC comme commettant du PGQ.

[110]   Le PGQ argumente que ces allégations ne sont pas démontrées car il n’y a eu aucune production par les demandeurs d’une quelconque entente entre les gouvernements provincial et fédéral, ni allégation du contenu avec précision.

[111]   Le Tribunal ne peut retenir les arguments du PGQ à la lumière des passages suivants du Renvoi :

[21]   Les modalités de financement des services à l’enfance autochtone varient sensiblement d’une communauté à l’autre, mais le gouvernement fédéral demeure sa principale source, soit directement par les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (« SEFPN »), soit indirectement par l’entremise de services dispensés par les provinces. L’image qui s’en dégage dans le dossier du renvoi est imprécise à divers égards. Cela dit, des décisions récentes du Tribunal canadien des droits de la personne (« TCDP ») ont bien mis en évidence le caractère discriminatoire et lacunaire des pratiques en place.

[95]   Lorsque les gouvernements provinciaux commencent à intervenir sur une base plus régulière, à la suite de conclusion d’ententes de financement avec le gouvernement fédéral [….]

[112]     De l’avis du Tribunal, ceci est suffisant pour démontrer l’existence de telles ententes. Encore ici, les demandeurs n’avaient pas à expliquer en détail le nom des ententes ni leur durée ou portée. Cela sera fait au mérite, et fort probablement par l’entremise des interrogatoires préalables et communication de documents.

[113]   Le PGC conteste la question de la solidarité quant au sous-groupe des Indiens et Inuits. Le Tribunal y revient plus loin.

[114]   Pour l’instant, le Tribunal conclut que les demandeurs ont démontré, via l’existence des ententes Québec-Canada, la possibilité de solidarité entre le PGC et le PGQ et la possibilité de responsabilité extracontractuelle du PGC pour la faute de son préposé le PGQ, en vertu de l’article 1463 CcQ.

2.2.2.3.4     Les allégations de violation de la Charte canadienne, de la Charte du Québec et de la Déclaration canadienne des droits

[115]   Au paragraphes 12 et 13 de la Demande 6, les demandeurs font état de violation de :

12.   The Defendants breached their duty to the Applicant to protect their right to family life and various other rights elaborated in The Canadian Bill of Rights, 1960 c. 44 C-12.3 and the Charter of Rights and Freedom;

13.   In particular, the arbitrary and wanton manner in which the Defendants treated the Applicants illustrates that the right of the Applicants to equality before the law and protection of the law were breached as per Section 1(b) of The Canadian Bill of Rights, 1960 c. 44 C-12.3 and the Charter of Rights and Freedoms.

[116]   En plaidoirie orale, les demandeurs ajoutent qu’ils réclament également des compensations pour violation de la Charte du Québec.

[117]   Le PGQ et le PGC contestent et argumentent que :

               Les évènements allégués qu’auraient vécus les demandeurs se sont produits avant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne et de la Charte du Québec;

               Les demandeurs ne démontrent aucunement quel droit protégé aurait été violé alors qu’il s’agit d’une démonstration préalable et incontournable à toute détermination sur une éventuelle réparation.

[118]   Le PGQ ajoute que la Déclaration canadienne des droits ne s’applique tout simplement pas au gouvernement du Québec.

[119]   Le Tribunal est d’accord avec la position du PGQ et du PGC. En effet, les allégations de la Demande 6 sont ici totalement laconiques et superficielles quant aux chartes et ne démontrent aucunement le détail minimum requis. Même lors des plaidoiries orales, les demandeurs n’ont pas identifié les bases factuelles et juridiques de leurs réclamations, outre parler de la discrimination en très général. Sans explication ou allégation, le Tribunal ne peut simplement accepter qu’il y a violation du « droit à la vie familiale » ou qu’il y a discrimination.

[120]   En effet, qu’est-ce que le droit à la vie familiale? À quels articles des chartes se rapporte-t-il? Quels aspects de la discrimination sont visés? Comment? Par quel moyen? Quels autres droits des chartes sont visés? Le droit à la dignité? Le traitement contre les peines cruelles et inusitées?

[121]   De plus, il est vrai que la Déclaration canadienne des droits ne s’applique pas au gouvernement du Québec et à l’Assemblée nationale du Québec[47].

[122]   Il est vrai que, dans l’arrêt Levy c. Nissan Canada inc.[48], la Cour d’appel a précisé que, lorsqu’une partie réclame des dommages punitifs pour violation illicite et intentionnelle d’un droit garanti par la Charte du Québec, une allégation de conduite illicite et intentionnelle qui se rapporte à une faute spécifique suffit, dans la mesure où les autres allégations de fait d’une demande d’autorisation permettent au tribunal de déduire que l’auteur de la faute devait savoir que sa conduite pouvait mener à une violation d’un droit protégé par la Charte du Québec. La Cour d’appel est d’avis que cela est suffisant car il serait prématuré d’exiger davantage, puisque l’évaluation de l’octroi ou non de dommages punitifs est une question qui dépend du comportement global de la partie fautive.

[123]   Cependant, le Tribunal est ici d’avis que la Demande 6 ne comporte pas suffisamment d’allégations de faits pertinents pour donner ouverture aux conclusions recherchées en dommages punitifs. Le Tribunal le répète : Qu’est-ce que le droit à la vie familiale? À quels articles des chartes de rapporte-t-il? Quels aspects de la discrimination sont visés? Comment? Par quel moyen? Quels autres droits des chartes sont visés? Le droit à la dignité? Le traitement contre les peines cruelles et inusitées?

[124]   Le Tribunal n’a pas à faire lui-même un exercice de devinettes à ces égards.  Le Tribunal conclut que ces demandes des demandeurs portant sur les chartes n’ont pas été démontrées, même minimalement. Cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas recevables, mais elles ne le sont pas à ce stade dans le présent dossier.

[125]   Le Tribunal ajoute en obiter dictum que le fait que les évènements allégués par les demandeurs se sont produits avant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne et de la Charte du Québec n’aurait pas été un empêchement à l’autorisation. En effet, les deux questions suivantes sont valides :

               Les chartes ont-elles une portée rétroactive?

               La responsabilité civile extracontractuelle inclut-elle les droits et libertés fondamentaux?

[126]     À prime abord, sans aucune recherche juridique, on aurait pu croire que la réponse à ces deux questions est négative. Or, la Cour d’appel du Québec a spécifiquement laissé la porte ouverte et n’a pas répondu à la question dans l’arrêt Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil Québécois sur le tabac et la santé[49]. La Cour d’appel a écrit qu’elle « n’a pas non plus à se prononcer sur l’existence de droits fondamentaux avant l’entrée en vigueur de la Charte, ce qui est loin d’être exclu ». Si cela est loin d’être exclu, cela veut dire qu’il y aurait eu une apparence de droit à cette question, qui aurait alors dû être tranchée au mérite en fonction d’une preuve élaborée quant aux faits législatifs entourant les droits et libertés et les dommages punitifs[50]. Autrement dit, cette question ne peut être tranchée à l’autorisation.

[127]   À tout événement, le Tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas démontré de violation de la Charte du Québec, de la Charte canadienne ni de la Déclaration canadienne des droits.  Il ne peut donc pas y avoir de dommages compensatoires ni de dommages punitifs octroyés dans le présent dossier en vertu de la Charte du Québec, de la Charte canadienne et de la Déclaration canadienne des droits.

[128]   Cette conclusion peut paraître injuste ou même surprenante à la lumière de la conclusion du Tribunal quant à l’apparence de droit de faute extracontractuelle du PGQ et du PGC, mais le Tribunal doit traiter la Demande 6 comme elle est rédigée, et non pas comme elle aurait pu être rédigée.

[129]   Comme le mentionne la Cour d’appel dans l’arrêt Poitras c. Concession A25[51], « [e]ssentiellement, l’appelant soumet donc au tribunal tous les fondements possibles et lui laisse la charge de choisir. Une telle façon de faire est à proscrire. C’est au demandeur qu’il revient de qualifier son recours et de limiter celui-ci aux alternatives que seule la preuve peut départager ». Le Tribunal a le sentiment que c’est ce que les demandeurs ont fait ici en soupoudrant des allégations de violation des chartes.

2.2.2.3.5     Allégations de violation de traités, de la « duty of care », de manquement à l’obligation de fiduciaire ou au principe de « l’honneur de la Couronne », de génocide et de « negligence » en common law

[130]   Dans la Demande 6, les demandeurs allèguent plusieurs violations par le PGQ et le PGC de plusieurs éléments assez variés.

[131]   Ils invoquent ainsi la violation de divers traités :

18.   The Defendant’ actions were in contravention of the treaties between the Defendants and the First Nation and in contravention of the United Nations Genocide Convention, particularly Article (2) (3) thereof to which the Defendant Government of Canada was a signatory, the Applicants and other children of First Nation heritage were to be systemically assimilated into white society through their forced adoption.  In pursuance of that plan, they were forcibly removed from their aboriginal communities and placed in the custody of foster families and later in the custody of adoptive families against the will of their parents.  Their cultures and their languages were taken from them with sadistic punishment and practices;

[132]   Les demandeurs invoquent ainsi la violation de la « duty of care » et la présence de « negligence » en common law :

73.   Every member of the group of all persons, that have suffered injury, economic loss, and damages as a result of the Defendants’ acts, omissions, wrong doings, and breaches of legal duties and obligations, including but not limited to, sexual abuse, physical abuse, cultural genocide, tortuous liability, causing personal injury and harm, breach of duty of care, breach of fiduciary duty and obligations, negligence, and failure to fulfill their statutory and common law duties and obligations. 

[133]   Ils allèguent un manquement à l’obligation de fiduciaire ou au principe de « l’honneur de la Couronne » :

22.   The Defendants were under a positive fiduciary duty to protect the Applicants and group members from injuries to their person, physical or mental health or morals, and the Defendants knew or ought to have known that the Applicants and group members would suffer damages if the Defendants failed to carry out this duty;

[134]   Ils invoquent la présence d’un génocide et d’une violation de traités à cet égard, au paragraphe 18 de la Demande 6 précité et au paragraphe 19 : 

19.   Through the organized genocide imposed upon them by the Defendants, their programs, and their agents and servants, the Applicant and other members of the group had their Indigenous cultures denigrated and taken away from them.  Through the combination of sexual, physical, and psychological abuse members of the group were made to feel meaningless and to believe that their culture and all things “Indian” were worthless;

[135]   Or, avec égards, le Tribunal ne peut conclure que les demandeurs ont démontré une quelconque apparence de droit quant à tous ces éléments.

[136]   En effet, outre la question du génocide, les demandeurs n’identifient aucun traité applicable à la situation qu’ils déplorent dans leur recours. Au surplus, ils ne démontrent aucune violation spécifique d’une disposition d’un de ces traités par le PGQ et le PGC.

[137]   Aucune allégation de fait précis, concret et palpable ne supporte la conclusion juridique demandée par les demandeurs au paragraphe 73 de la Demande 6 voulant que le PGQ et le PGC aient manqué à une « duty of care ».

[138]   Les demandeurs invoquent de façon générale un manquement du PGQ et du PGC à une obligation fiduciaire et à l’honneur de la Couronne.  Or, la Demande 6 n’allègue aucun fait précis, concret ou palpable permettant d’établir quelque obligation fiduciaire des défendeurs ou un manquement à cet égard, le cas échéant.  Comme l’explique la Cour suprême du Canada[52], l’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens, de sorte qu'en l'absence d'allégation factuelle précise quant à un engagement spécifique à l'égard des autochtones, ou une atteinte à des droits particuliers propres aux autochtones, le recours est mal fondé. En outre, quant à l’honneur de la Couronne, la Cour suprême du Canada[53] a déterminé que cela ne constitue pas une cause d’action en soi, mais d’un principe qui a trait aux modalités d’exécution des obligations dont il emporte l’application. Aucun détail n’est ici allégué par les demandeurs.

[139]   Quant au génocide, les demandeurs invoquent des manquements à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. D’une part, les demandeurs ne démontrent pas que cette convention et ses dispositions trouvent application en droit interne et s’applique au PGC et au PGQ, ce qui est absolument requis[54]. D’autre part, ils n’allèguent aucune disposition précise de ce traité qui pourrait servir de base à leur recours. Enfin, les demandeurs ne font aucune démonstration quelconque par des allégations de faits précises et suffisantes que des personnes représentant le PGC et le PGQ auraient commis un crime de génocide. Aucune démonstration des éléments requis du génocide[55] n’est même tentée.  

[140]   Enfin, les demandeurs font même référence à des violations du Code criminel[56] au paragraphe 15 de la Demande 6 :

15.   The behavior of the Defendants and their servants constitute a number of criminal offences including, assault, battery, kidnaping, sexual assault, and sexual exploitation. In particular, the forcible removal of aboriginal children from aboriginal communities constitutes abduction pursuant to Criminal Code, R.S., 1985, c. C-46, s. 283; 1993, c. 45, s. 5;

[141]   Encore ici, il s’agit d’allégations trop générales et sans aucun détail. Le Tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas démontré de violation du Code criminel par le PGQ et le PGC.

[142]   Le Tribunal conclut donc que les demandeurs n’ont pas démontré leurs allégations de violation de traités, de la « duty of care », de manquement à l’obligation de fiduciaire ou au principe de « l’honneur de la Couronne », de génocide et de « negligence » en common law.

[143]   Passons aux dommages.

2.2.2.4      Présence de dommages compensatoires

[144]   Le Tribunal précise que les dommages compensatoires qui sont possibles ici le sont en vertu de la responsabilité extracontractuelle du PGQ et du PGC en vertu du CcQ.  Toutes les autres causes d’action ne sont pas autorisées par le Tribunal, incluant les dommages compensatoires en vertu de vertu de la Charte du Québec, de la Charte canadienne et de la Déclaration canadienne des droits.

[145]   Les demandeurs ont démontré faute extracontractuelle en vertu du CcQ.  Ont-ils démontré la présence de dommages compensatoires et de causalité?  Le Tribunal est d’avis que oui.  Voici pourquoi.

[146]   Premièrement, les demandeurs ont chacun démontré validement voir subi des dommages causés directement par leur placement ou adoption (dommages psychologiques et avoir été maltraités physiquement).

[147]   Deuxièmement, la Demande 6 allègue les préjudices et la causalité en ces termes :

74.   Each Member of the Group is justified in claiming at least one or more of the following:

a)         Damages for loss of identity;

b)         Damages attributable to sexual abuse;

c)         Damages attributable to physical abuse;

d)         Sentimental damages;

e)         Damages for mental distress;

f)         Recovery of health care costs;

g)         And such further and other damages as this Court may be advised.

75.   All of these damages to the Group Members are a direct and proximate result of the Defendants’ conduct;

[148]   De l’avis du Tribunal, ceci est totalement suffisant, tant pour le préjudice que pour la causalité.

[149]   En effet, dans l’arrêt Infineon Technologies AG c. Options consommateurs[57], la Cour suprême du Canada rappelle que le préjudice ne doit pas nécessairement être établi pour chaque membre du groupe proposé, mais qu’il suffit d’établir qu’un préjudice global existe. Quant à l’apparence d’un lien de causalité, la Cour suprême du Canada[58] enseigne qu’il suffit de démontrer qu’il est possible que le dommage allégué soit la conséquence directe et probable des fautes alléguées à l’action collective.

[150]   Le PGC ne conteste pas la présence de dommages compensatoires ni la causalité.  Le PGQ indique que les quatre demandeurs n’ont pas subi tous les types de dommages énumérés au paragraphe 74 de la Demande 6. Le PGQ conteste la causalité des dommages pour abus physiques et sévices.

[151]   De l’avis du Tribunal, les demandeurs ont établi un préjudice propre à leurs cas individuels et au niveau global. Les allégations des cas individuels sont suffisantes et les paragraphes 74 et 75 sont suffisants. Les demandeurs n’ont pas à avoir subi tous les préjudices qui peuvent découler de la faute des défendeurs.

[152]   En effet, compte tenu des cas individuels des quatre demandeurs et des faits décrits à la section 2.2.3.3.1, le Tribunal est d’avis que les demandeurs sont en droit ici de faire les inférences et présomptions de faits quant aux conséquences des adoptions, placements et mises en tutelles qui sont susceptibles d’en découler. Le Tribunal est d’avis que ces inférences et présomptions établissent ici l’existence d’une « cause défendable »[59] quant aux dommages compensatoires.

[153]   À partir de cette preuve, le Tribunal conclut qu’il y a apparence de droit aux dommages énumérés plus haut, à divers degrés, pour l’ensemble des membres du groupe. Le fait que les quatre demandeurs n’ont pas subi tous les mêmes dommages n’est pas fatal ici. 

[154]   Enfin, le Tribunal décide que la causalité est ici présumée. Elle est alléguée dans les quatre cas des demandeurs, et elle est alléguée pour l’ensemble des membres. Ceci est suffisant, même pour les abus physiques et les sévices, et même si les parents adoptifs ou les familles d’accueil ont pu y jouer un rôle. Tout le procès de la causalité sera fait au mérite; elle est présentement démontrée suffisamment.

[155]   De toute façon, compte tenu de la nature des fautes, le Tribunal précise que les dommages et la causalité s’inféreraient facilement, comme c’est le cas en matière d’agression sexuelle.

[156]   Le Tribunal est d’avis que les demandeurs ont démontré les dommages compensatoires suivants :

a)        Dommages moraux pour perte d’identité;

b)        Dommages moraux pour peur et anxiété;

c)        Dommages pour abus sexuels;

d)        Dommages pour abus physiques et sévices;

e)        Dommages moraux pour perte d’affection et de relation à l’égard des parents biologiques;

f)         Dommages moraux pour détresse psychologique;

g)        Dommages pour frais reliés aux coûts de soins de santé et de consultations psychologiques, psychiatriques et autres similaires, dans la mesure où non remboursés par le système de santé gouvernemental, par un assureur ou par une autre source;

[157]   Le détail de ces réclamations et leur formulation exacte seront faits au mérite, où ils pourront bien sûr être contestés, probablement à l’étape du recouvrement.

[158]   Le Tribunal comprend que les demandeurs demandent le recouvrement collectif des dommages compensatoires, lorsqu’ils présentent la conclusion suivante dans la Demande 6 :

ORDER for an aggregate monetary award respecting all or any part of a Defendant’s liability to group members including an Order that Group Members share in the award on an average or proportionate basis, and an award applying any undistributed award for the benefit of Group Members; (le Tribunal souligne)

[159]   Le Tribunal ne fait que le noter, car la décision à cet égard se fera au niveau du jugement final au mérite. Le PGC et le PGQ n’ont d’ailleurs émis aucun commentaire à cet égard. À tout événement, les demandeurs se positionneront sur le recouvrement dans leur demande introductive d’instance en action collective.

[160]   Passons aux dommages punitifs.

2.2.2.5      Présence de dommages punitifs

[161]   Le Tribunal a déjà conclu que les demandeurs n’ont pas démontré de violation de la Charte du Québec, de la Charte canadienne ni de la Déclaration canadienne des droits.  Il ne peut donc pas y avoir de dommages compensatoires ni de dommages punitifs octroyés dans le présent dossier en vertu de la Charte du Québec, de la Charte canadienne et de la Déclaration canadienne des droits.

2.2.2.6      Conclusion sur l’apparence de droit, impact de l’Entente Riddle et question des sous-groupes

[162]   Le Tribunal débute la présente section en indiquant qu’il conclut plus loin qu’il y a ici des questions identiques, similaires ou connexes au sens de l’article 575(1) Cpc (voir la section 2.2.3).

[163]   Le Tribunal a donc conclu que les demandeurs ont démontré une apparence de droit à l’égard : 1) du recours en responsabilité extracontractuelle en vertu de l’article 1457 CcQ contre le PGQ et le PGC; et 2 du recours en responsabilité extracontractuelle du PGC pour la faute de son préposé le PGQ, en vertu de l’article 1463 CcQ.  Le Tribunal a également conclu à la démonstration de la possibilité de solidarité entre le PGC et le PGQ. En effet, le Tribunal ne peut convenir que la Demande 6 repose sur des hypothèses et de la spéculation. Les demandeurs n’ont pas à faire la preuve de ce qu’ils avancent. Ils doivent énoncer des faits spécifiques et précis. Leur fardeau en est un de logique. Or, les demandeurs se déchargent de ce fardeau.

[164]   Le Tribunal doit cependant aller plus loin et conclure sur l’apparence de droit en considérant l’Entente Riddle et les divers sous-groupes potentiels. Ceci ne vise que le PGC, et pas le PGQ.

[165]   En effet, comme on l’a vu à la section 2.2.2.1, l’Entente Riddle et la quittance reliée visent tout dommage, quel qu’il soit, causé par le PGC et subi par un « Indien inscrit ou un Inuit » découlant du placement ou de la prise en charge par une famille non autochtone entre 1951 et 1991, et ce sans égard à la cause d’action invoquée. Puisque Mme Ward et M. Wabanonik, les représentants qui sont indiens, ne se sont pas exclus de l’entente de règlement dans le dossier Riddle, ils sont donc visés par la quittance et leurs recours contre le PGC pour les années 1951 à 1991 est donc éteint. Il n’y a aucun demandeur indien qui s’est exclu de l’Entente Riddle et il n’y a aucun demandeur qui est inuit, de sorte que le Tribunal conclut qu’il n’y a aucune apparence de droit contre le PGC pour tout recours des indiens et des inuits pour les années 1951 à 1991.

[166]   Cela laisse donc la porte ouverte à ce qu’il y ait en théorie un recours contre le PGC pour les indiens et les inuits pour les années 1991 à 2020. Or, aux paragraphes 1a et 1b de la Demande 6, les demandeurs indiquent spécifiquement que les indiens et les inuits ne réclament rien au PGC dans leur action, mais ne font une réclamation que contre le PGQ.

[167]   Dans ces circonstances, le Tribunal n’a pas à élargir le groupe ni à remédier aux erreurs potentielles des demandeurs, qui ont pourtant fait les modifications aux époques visées par le recours qui ont donné lieu à la Demande 6. S’ils avaient voulu viser les indiens et les inuits pour les années 1991 à 2020, ils l’auraient fait. Après tout, ils ont quand même modifié six fois leur demande. Cela libère aussi le Tribunal de décider de la question à savoir si l’absence d’un représentant inuit a une conséquence ou non pour le recours des demandeurs contre le PGC.

[168]   Le Tribunal ajoute que les mots clairs de l’Entente Riddle excluent également toute responsabilité du PGC pour la faute de son préposé PGQ pour les indiens et inuits.

[169]   Donc, pour le PGC, le groupe qui reste qui a une apparence de droit est donc les indiens non-inscrits et les métis, de 1951 à 2020. Le Tribunal revient plus loin à la section 2.2.5 sur la question des représentants.

[170]   Pour le PGQ, le groupe qui reste qui a une apparence de droit est tous les autochtones, de 1951 à 2020, peu importe le statut (indien, indien non-inscrit, métis et inuit). Le Tribunal revient plus loin à la section 2.2.5 sur la question des représentants.

[171]   La Tribunal aborde maintenant le critère des questions identiques, similaires ou connexes.

2.2.3   Questions identiques, similaires ou connexes – 575(1) Cpc

[172]   Tel qu’indiqué précédemment, une seule question commune suffit si elle fait progresser le litige de façon non négligeable. Il n’est pas nécessaire que celle-ci soit déterminante pour le sort du litige.

[173]   Revoici les questions communes proposées par les demandeurs[60] :

a)        Did the Defendants permit unqualified individuals to hire servants, agents and employees to administer and operate foster homes?

b)        Did the Defendants permit unqualified and otherwise unsuitable individuals to act as adoptive parents without proper screening and investigation as to the risks of abuses?

c)        Did the Defendants Fail to protect the Applicant and group members from harm?

d)        Did the Defendants fail in general to take proper and reasonable steps to prevent injury to the Applicant and Group Members physical health and mental well-being and moral safety while the Applicant and Group members were residents at foster homes, and when they were adopted by non-aboriginal families?

e)         Did the Defendants having occupied a position analogous to that of a parent, fail to establish and maintain systems to protect the Applicant and Group members as a good parent should have?

f)         The cause of the physical and sexual assaults and surrounding circumstances were or ought to have been within the knowledge of the Defendants and the sexual and physical assaults would not have occurred but for the negligence of the Defendants?

g)        Are the Defendants liable to pay compensatory damages to Group Members stemming from their actions?

h)        What are the categories of damages for which the Defendants are responsible to pay to Group Members, and in what amount?

i)         Are Defendants liable to pay any other compensatory, moral, punitive and/or exemplary damages to Group Members, and if so in what amount?

[174]   Le PGC et le PGQ argumentent qu’il n’y a pas de question commune permettant de faire progresser le litige de façon non négligeable.  Leur argumentation se base en grande partie sur la position selon laquelle il n’y a pas d’apparence de droit à l’existence de programmes ou politiques d’assimilation des enfants autochtones, ce qui fait en sorte que rien ne peut être commun et qu’un groupe ne peut être défini. Or, le Tribunal a conclu / autochtones au Québec par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, mis sur pied et opérés par le PGQ et le PGC.

[175]   Le PGQ et le PGQ présentent ensuite des arguments selon lesquels des distinctions entre les membres du groupe empêchent le traitement collectif par le Tribunal. Voici leurs arguments :

               Il existe des particularités et distinctions nécessaires entre certains membres putatifs, notamment les Cris, Inuit et Naskapis, et un exercice fastidieux et individualisé préalable à toute détermination sur une question éventuelle qui pourrait être non négligeable pour vérifier l’appartenance au groupe des membres putatifs qui se considéreraient « Métis » ou « Indiens non-inscrits »;

               Au surplus, même s’il était judiciairement possible par le biais d’une action collective de remettre en cause la validité des jugements d’adoption ou de placement en famille d’accueil intervenus à la période concernée, ce qui n’est pas le cas, chaque jugement indirectement contesté devrait faire l’objet d’une analyse au cas par cas selon les circonstances factuelles et la situation propre à chaque enfant;

               En effet, la situation de chacun des demandeurs, tout comme celle de chacun des membres potentiels du groupe, est unique selon :

   Qu’il s’agisse d’un placement ou d’une adoption ou d’une mise en tutelle;

   Le droit applicable au moment des faits;

   L’implication des nations autochtones dans l’administration des services sociaux, tant au niveau factuel que du cadre juridique qui s’applique à une nation ou à une région;

   Les causes à l’origine du placement ou de l’adoption;

   La disponibilité d’une famille autochtone pour accueillir l’enfant;

   Les circonstances propres à chaque cas ayant constitué le fondement des ordonnances judiciaires rendues.

[176]   Le Tribunal ne peut retenir ces arguments car ils visent plutôt des éléments en superficie du débat commun ou des éléments de la phase du recouvrement individuel.

[177]   Le débat est ici assez identique à celui déjà tranché en faveur de la présence de questions identiques, similaires ou connexes dans la décision Conseil pour la protection des malades c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre[61].

[178]   Ainsi, même si les questions que proposent les demandeurs ne sont pas déterminantes pour la solution complète du litige et ne permettent pas de déterminer le sort des cas individuels, elles permettent l’avancement d’une part non négligeable des réclamations des membres, sans une répétition de l’analyse juridique.  En effet, le procès au mérite va permettre de définir la portée et le détail des programmes ou politiques d’assimilation, leur portée et leur application spatio-temporelles, les acteurs impliqués, la relation entre le PGQ et le PGC, et d’en préciser les tenants et les aboutissants, d’une manière et d’une spécificité dont dépendra la preuve présentée. Cette détermination s’appliquera au PGC, au PGQ et à tous les membres. S’il n’y a pas de preuve probante de l’existence de ces programmes ou politiques, alors le PGQ et le PGC auront gain de cause à tous égards. Si au contraire cette preuve est faite, le procès commun va permettre au Tribunal de faire une série de conclusions et déterminations factuelles qui orienteront la suite des procès individuels.

[179]   C’est à l’étape du recouvrement ou des procès individuels que la question de la preuve d’un membre, de son appartenance au groupe sera faite. Ça sera aussi lors des procès individuels que les spécificités propres au cas individuel d’adoption, de placement ou de mise en tutelle seront étudiées et prises en compte. Des sous-groupes pourront également être faits pour refléter les situations factuelles et juridiques diverses[62] propres aux divers organismes et nations autochtones quant à l’offre des services sociaux aux enfants.

[180]   La détermination des questions communes ne constituera donc pas une résolution complète du litige. Ces questions donneront certainement lieu à de courts procès à l’étape du règlement individuel des réclamations, ou à la création de sous-groupes par type de problématique, par défendeur ou groupe géographique ou par institution ou par législation applicable. Cela ne fait pas obstacle à une action collective.

[181]   Comme la Cour d’appel le mentionne[63], il n’est pas nécessaire pour la partie demanderesse de démontrer à l’étape initiale que la réponse à la question posée apporte à elle seule une solution complète de l’ensemble du litige, tout comme il n’est pas obligatoire que la question proposée soit inévitablement commune à tous les membres du groupe. Comme la loi le prévoit, elle peut aussi n’être que « connexe ».

[182]   Enfin, le Tribunal note qu’il ne doit pas anticiper des moyens de défense afin de décider du caractère identique, similaire ou connexe des questions proposées[64].

[183]   Le Tribunal note que, pour toutes ces raisons, il est d’avis que le présent jugement se distingue de l’arrêt Boudreau c. Procureur général du Québec[65].

[184]   Dans ces circonstances, le Tribunal note que l’arrivée à bon port au mérite du présent dossier nécessitera que l’avocate des demandeurs doive potentiellement requérir les services d’autres avocats qualifiés pour agir au Québec[66] et de divers services de divers professionnels. Il n’y a en effet que Me Nasraoui qui exerce seule comme avocate au Québec dans le cabinet Merchant Law Group[67]. Une seule personne ne peut faire la tâche colossale qui sera requise.

[185]   Ceci étant dit, le Tribunal est d’avis qu’il faut regrouper et formuler les questions communes, à la lumière des conclusions précédentes sur l’apparence de droit.  Ceci sera fait à la section 2.2.6.

[186]   Enfin, le Tribunal note que, si jamais la preuve qui sera communiquée, alléguée et présentée au mérite démontrait une absence de questions communes, il est toujours loisible aux parties de s’adresser au Tribunal en vertu de l’article 588 Cpc.

2.2.4   Composition du groupe – 575(3) Cpc

[187]   Les éléments généralement considérés dans l’analyse de cette condition de l’article 575 Cpc sont les suivants[68] :

               Le nombre probable de membres;

               La situation géographique des membres; et

               Les contraintes pratiques et juridiques inhérentes à l’utilisation du mandat et de la jonction des parties en comparaison avec l’action collective.

[188]   Dans l’arrêt récent Charbonneau c. Location Claireview[69], la Cour d’appel précise que, quant à la composition du groupe, la partie demanderesse n’a pas à démontrer que sa demande repose sur un fondement factuel suffisant, puisque la partie demanderesse n’a qu’à établir une simple possibilité d’avoir gain de cause sur le fond, pas même une possibilité réaliste ou raisonnable. La Cour d’appel conclut que la partie demanderesse n’a pas à apporter d’éléments de preuve quant à la composition du groupe, les allégations factuelles étant suffisantes.

[189]   Les arguments des défendeurs pour contester l’existence d’un groupe sont les mêmes que ceux formulés quant à l’apparence de droit et aux questions communes.

[190]   Voici ce qu’allèguent les demandeurs à la Demande 6 :

76.   The number of persons included in the Group is estimated to be in the thousands. According to the Statistics Canada, only between 1960 and 1990 there are 11,132 known status Indians adoptions. However that is only status Indians adoptions the number of children will be much higher if we include non-status Indians and Metis children where some of these adoptions were never recorded. At all material times during the class period, “a significant number” of aboriginal children are removed by the child welfare services from their families and communities each year to be placed with non-Indigenous foster families, including Quebec [NOTE 4];

NOTE 4: Indigenous children in Québec’s youth protection service is a recognized fact. The rate of Indigenous children who were placed in foster care outside of their community (37 for every 1,000 children) was also higher than the rate placed within their community (24 for every 1,000 children)”.  In Viens Commission, Final report, 2019, pages: 121, 122.

77.   The names and addresses of all persons included in the Group are not known to the Applicant but are known to the Defendants;

78.   In addition, given the costs and risks inherent in an action before the Courts, many people will hesitate to institute an individual action against the Defendants.  Even if the Group Members themselves could afford such individual litigation, the Court system could not as it would be overloaded.  Furthermore, individual litigation of the factual and legal issues raised by the conduct of Defendants would increase delay and expense to all parties and to the Court system;

79.   These facts demonstrate that it would be impractical, if not impossible, to contact each and every Member of the Group to obtain mandates and to join them in one action;

80.   In these circumstances, a class action is the only appropriate procedure for all of the Members of the Group to effectively pursue their respective rights and have access to justice;

[191]   De l’avis du Tribunal, ces allégations tenues pour avérées sont amplement suffisantes pour démontrer l’existence d’un groupe de membres. De plus, le Tribunal est d’avis que sont suffisantes en soi pour démonter l’existence d’un groupe les conclusions du Tribunal à la section 2.2.2.3.1 quant aux programmes ou politiques d'assimilation des enfants autochtones au Québec par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, mis sur pied et opérés par le PGQ et le PGC, existant depuis au moins 1951. Ceci fait échec aux arguments des défendeurs.

2.2.5   Représentant – 575(4) Cpc

[192]   Dans l’arrêt Boudreau c. Procureur général du Québec[70], la Cour d’appel résume ainsi l’état du droit :

[56]   Dans l’arrêt de principe Infineon, les juges Wagner et LeBel soulignent que « la représentation adéquate impose l’examen de trois facteurs : « […] l’intérêt à poursuivre […], la compétence […] et l’absence de conflit avec les membres du groupe … », sachant que la Cour devrait interpréter ces critères de façon libérale.

[57]   Pour conclure qu’il a l’intérêt à poursuivre, le demandeur doit ainsi pouvoir poursuivre pour lui-même et faire partie du groupe pour lequel l’autorisation est demandée .

[58]   Le facteur de la compétence renvoie notamment à la compréhension qu’a le représentant de la cause et à son implication dans celle-ci, sachant que le seuil à franchir est, là encore, peu élevé . Quant au dernier facteur, l’absence de conflit, les juges Wagner et LeBel précisent que :

[150]     Même lorsqu’un conflit d’intérêts peut être démontré, le tribunal devrait hésiter à prendre la mesure draconienne de refuser l’autorisation. […] Puisque l’étape de l’autorisation vise uniquement à écarter les demandes frivoles, il s’ensuit que l’al. 1003d) ne peut avoir pour conséquence de refuser l’autorisation en présence d’une simple possibilité de conflit. Ce point de vue est d’ailleurs étayé par la jurisprudence qui semble refuser l’autorisation en vertu de l’al. 1003d) pour cause de conflit d’intérêts seulement lorsque les représentants demandeurs omettent de divulguer des faits importants ou intentent le recours dans le seul but d’obtenir des gains personnels.

[193]   Les défendeurs argumentent que la Demande 6 ne fait référence qu’au cas de Mme Ward et n’allègue rien quant à la représentation des trois autres demandeurs.  En plaidoirie orale, l’avocate des demandeurs a indiqué qu’il y a une erreur cléricale d’omission au paragraphe 86 de la Demande 6, qui devrait comporter un « s » au mot « Applicant » afin de couvrir les quatre demandeurs.

[194]   Le Tribunal retient la version de l’avocate de la demande et est d’avis que cette erreur cléricale est sans conséquence[71].  Il faut donc lire le paragraphe 86 de la Demande 6 comme s’appliquant aux quatre demandeurs.  Voici le paragraphe 86 :

86.   The Applicant, who is requesting to obtain the status of representative, will fairly and adequately protect and represent the interest of the Members of the Group, since Applicant:

a)         was taken and adopted out to a white family and had a loss of culture, and is thus a Member of the Group;

b)         understands the nature of the action and has the capacity and interest to fairly and adequately protect and represent the interests of the Members of the Group;

c)         is available to dedicate the time necessary for the present action before the Courts of Quebec and to collaborate with Group attorneys in this regard;

d)         is ready and available to manage and direct the present action in the interest of the Group Members that the Applicant wishes to represent, and is determined to lead the present file until a final resolution of the matter, the whole for the benefit of the Group;

e)         does not have interests that are antagonistic to those of other members of the Group;

f)         has given the mandate to the undersigned attorneys to obtain all relevant information to the present action and intend to keep informed of all developments;

g)         is, with the assistance of the undersigned attorneys, ready and available to dedicate the time necessary for this action and to collaborate with other Members of the Group and to keep them informed;

[195]   Ces allégations sont amplement suffisantes ici. Compte tenu que le Tribunal a déjà décidé que les demandeurs ont une apparence de droit, ces allégations démontrent qu’ils ont l’intérêt à poursuivre, la compétence requise et une absence de conflit avec les membres du groupe.

[196]   Le Tribunal rappelle ce qu’il a décidé à la section 2.2.2.6 :

               Pour le PGC, le groupe qui reste qui a une apparence de droit sont les indiens non-inscrits et les métis, de 1951 à 2020;

               Pour le PGQ, le groupe qui reste qui a une apparence de droit sont tous les autochtones, de 1951 à 2020, peu importe le statut (indien, indien non-inscrit, métis et inuit).

[197]   Quant au PGC, le Tribunal décide que :

               Mme Ward et M. Wabanonik ne peuvent être représentants vu leur absence d’exclusion de l’Entente Riddle;

               Mme Halliday est une représentante valide, à titre d’indienne non-inscrite;

               Mme Sinave est une représentante valide, vu qu’elle n’est ni une indienne inscrite ni une inuit. La balance des probabilités penche vers la conclusion qu’elle soit métis, au présent stade des procédures;

               Ceci inclut la responsabilité du PGC comme commettant du PGQ.

[198]   Pour les mêmes raisons, quant au PGQ, le Tribunal décide que les quatre demandeurs sont des représentants valides des indiens, des indiens non-inscrits et des métis, et également des inuits.

[199]   Voici pourquoi.

[200]   Le Tribunal accepte comme avérées les allégations des quatre demandeurs quant à leur statut autochtone, même en l’absence de tout élément de preuve. Il s’agit ici d’un élément factuel propre à une partie demanderesse qui doit être tenu avéré, puisque non invraisemblable. Au surplus, le PGC ne le conteste pas.

[201]   Tous les arguments du PGQ[72] quant à la qualification factuelle et juridique des indiens non-inscrits et des métis est un débat pour le mérite, possiblement pour le recouvrement.

[202]   Le fait qu’aucun des demandeurs ne soit inuit n’est pas un obstacle à la représentation des inuits par les quatre demandeurs contre le PGQ. Puisqu’il y apparence de droit quant aux inuits, le Tribunal est d’avis que les quatre demandeurs sont plus qu’adéquats pour la représentation; cet élément vise davantage le création de sous-groupes lors du déroulement de l’action au mérite. Contre le PGQ, le groupe pourrait être défini comme étant les autochtones, sans donner davantage de précisions. Le Tribunal rappelle[73] que l’article 575(4) Cpc exige du représentant qu’il soit en mesure d’assurer une représentation adéquate du groupe et non que son recours personnel soit représentatif ou constitutif d’un modèle type de celui de tous les membres ou de la majorité de ceux-ci.

[203]   Par ailleurs, même si aucun des demandeurs n’a été placé ou adopté par une famille non autochtone pour la période du 1er janvier 1992 au 1er janvier 2020, cela ne change rien pour la représentation valide des demandeurs contre le PGQ. Ils ont subi des événements dans la période de 1951 à 2020; cela est suffisant. La question ne se pose pas pour le PGC car la période temporelle du recours contre lui se termine en 1991.

[204]   Le Tribunal rejette aussi l’argument du PGC selon lequel Mmes Halliday et Sinave ne seraient pas des représentantes adéquates car elles sont toutes les deux membres du recours collectif certifié dans le dossier Varley[74] qui vise le groupe « des métis et indiens non-inscrits qui ont été retirés de leur foyer au Canada entre le 1er janvier 1951 et le 31 décembre 1991 et confiés à des familles d’accueil ou à des parents adoptifs non autochtones ». Selon le PGC, Mmes Halliday et Sinave sont liées par les décisions de la Cour fédérale autorisant ce recours et par les décisions à être rendues dans cette affaire; ces décisions sont exécutoires au Québec. Le Tribunal est en désaccord car le fait d’être membre potentiel d’une autre action collective devant la Cour fédérale n’est pas un empêchement à une représentante pour une autre action collective en Cour supérieure du Québec.

[205]   Le débat que propose le PGC vise plutôt une question de suspension. Or, par décision du 8 mars 2022[75], le Tribunal a déjà reporté à l’étape du mérite la question de la suspension du présent dossier au profit de l’action collective Varley en Cour fédérale.

[206]   Le Tribunal conclut donc que le critère de la représentation (Art. 574(4) Cpc) est rencontré comme suit :

               Quant au PGC, Mmes Halliday et Sinave sont les représentantes valides des indiens non-inscrits et des métis, de 1951 à 2020;

               Quant au PGQ, les quatre demandeurs sont les représentants valides des indiens, indiens non-inscrits, métis et inuits, de 1951 à 2020.

[207]   Abordons maintenant la définition du groupe et la formulation des questions communes.

2.2.6   Définition du groupe et reformulation des questions identiques, similaires ou connexes

[208]   Dans l’arrêt Boudreau c. Procureur général du Québec[76], la Cour d’appel rappelle l’état du droit sur la question, aux paragraphes 21 et 22 :

[22]      Dans l’arrêt George c. Québec, la Cour a résumé les quatre caractéristiques auxquelles doit répondre la définition d’un groupe :

1.      La définition du groupe doit être fondée sur des critères objectifs.

2.      Les critères doivent s’appuyer sur un fondement rationnel.

3.      La définition du groupe ne doit être ni circulaire ni imprécise.

4.      La définition du groupe ne doit pas s’appuyer sur un ou des critères qui dépendent de l’issue du recours collectif au fond.

[22]      Ainsi, « le groupe qui est diffus au point de ne pas pouvoir identifier pour ses membres des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes, est clairement indéfini »

[209]   Le PGQ et le PGC argumentent qu’il est totalement impossible de définir le groupe en respectant ces critères. Le Tribunal est en désaccord.

[210]   Le Tribunal est d’avis qu’est parfaitement acceptable ici une description du groupe qui fait référence aux programmes ou aux politiques d'assimilation des enfants autochtones au Québec par le biais des systèmes de protection de la jeunesse. Cela n’est pas imprécis, ni circulaire, ni ne dépend de l’issue du procès au mérite. Les demandeurs ont démontré l’existence de ces programmes ou politiques, même si aucun détail spatio-temporel n’a été démontré. Cela est donc suffisant.

[211]   Par ailleurs, une définition qui conviendrait simplement aux enfants autochtones adoptés, placés ou mis en tutelle par des familles non autochtones serait trop vaste et imprécise.

[212]   La définition du groupe doit également être limitée dans le temps et dans l’espace, ce qu’elle est ici : le Québec, de 1951 à 2020. La date de départ de 1951 provient de l’Entente Riddle. Elle correspond également à l’entrée en vigueur de l’ancêtre de l’article de la Loi sur les Indiens[77]. Selon les demandeurs, cet article fait en sorte que les lois provinciales d’ordre général sont applicables aux Indiens à partir de 1951. Selon la Cour d’appel dans le Renvoi[78], les régimes provinciaux de protection à l’enfance et à la famille s’appliquent aux Autochtones ex proprio vigore et non par l’effet de l’art. 88 de la Loi sur les Indiens. Le Tribunal n’a pas à décider de la question puisque l’année 1951 correspond au début de programmes et politiques, tel que démontré par les demandeurs au moyen de l’Entente Riddle.

[213]   Quant à la date de fin, les demandeurs ont choisi le 1er janvier 2020, qui est la date d’entrée en vigueur de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis[79]. Selon les demandeurs, à cette date, les Autochtones ont pris en main les services à l’enfance et aux familles qui les concernent. Les défendeurs disent que cette date est artificielle car cette loi permet aux Autochtones la possibilité de donner eux-mêmes les services sociaux aux enfants autochtones, mais cela ne veut pas dire que tout cela a été mis sur pied le 1er janvier 2020 pour toutes les Premières Nations, tous les Inuits et tous les Métis du Québec.

[214]   Sur la date de fin, le Tribunal est d’accord avec la proposition des demandeurs, qui se trouve à fermer dans le temps de façon non arbitraire la période visée par la problématique des programmes et politiques en jeu. Même si la problématique survivait après le 1er janvier 2020, alors tant mieux pour les défendeurs dans le présent recours.

[215]   Le Tribunal n’a donc pas à reformuler de façon significative le groupe proposé par les demandeurs, ce qui rentre donc dans les paramètres permis[80].

[216]   Le Tribunal note que, ici aussi, pour toutes ces raisons, il est d’avis que le présent se distingue de l’arrêt Boudreau c. Procureur général du Québec[81].

[217]   Voici donc la définition du groupe que le Tribunal adopte :

Contre le Procureur général du Canada :

Tous les Indiens non-inscrits et Métis qui ont été, dans leur enfance, retirés de leur foyer par l’application de programmes ou politiques d'assimilation des enfants autochtones par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, mis sur pied et opérés par le Procureur général du Canada et/ou le Procureur général du Québec, et qui ont été par la suite placés au Québec en familles d’accueil non autochtones ou donnés en adoption au Québec à des parents non-autochtones ou confiés au Québec à des tuteurs non autochtones, de 1951 jusqu'au 1er janvier 2020.

Contre le Procureur général du Québec :

Tous les Indiens, Indiens non-inscrits, Métis et Inuits qui ont été, dans leur enfance, retirés de leur foyer par l’application de programmes ou politiques d'assimilation des enfants autochtones par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, mis sur pied et opérés par le Procureur général du Canada et/ou le Procureur général du Québec, et qui ont été par la suite placés au Québec en familles d’accueil non autochtones ou donnés en adoption au Québec à des parents non-autochtones ou confiés au Québec à des tuteurs non autochtones, de 1951 jusqu'au 1er janvier 2020.

[218]   Passons aux questions communes. Le Tribunal doit ici les reformuler, pour les rendre conformes aux conclusions sur l’apparence de droit. Le Tribunal n’invente pas ici de questions, mais reformule un sous-ensemble de questions déjà comprises dans les questions très générales soumises par les demandeurs.

[219]   Voici les questions identiques, similaires ou connexes que le Tribunal reformule et accepte :

1)        Les défendeurs ont-ils commis une faute extracontractuelle envers les membres du groupe en ayant mis sur pied, financé et opéré des programmes ou des politiques d'assimilation des enfants autochtones au Québec par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, entre 1951 et 2020 (« programmes et politiques »)?

2)        Quel est le détail spatio-temporel de ces programmes ou politiques?

3)        Quel est le niveau de connaissance réelle ou présumée par les défendeurs de ces programmes et politiques?

4)        Le défendeur Procureur général du Québec a-t-il été, à quelque moment entre 1951 et 2020, le préposé du Procureur général du Canada à l’égard de ces programmes et politiques? Si oui, y a-t-il responsabilité du commettant?

5)        Y a-t-il solidarité entre les défendeurs?

6)        Les membres du groupe ont-il subi les dommages compensatoires suivants :

a)        Dommages moraux pour perte d’identité?

b)        Dommages moraux pour peur et anxiété?

c)         Dommages pour abus sexuels?

d)        Dommages pour abus physiques et sévices?

e)        Dommages moraux pour perte d’affection et de relation à l’égard des parents biologiques?

f)         Dommages moraux pour détresse psychologique?

g)        Dommages pour frais reliés aux coûts de soins de santé et de consultations psychologiques, psychiatriques et autres similaires, dans la mesure où non remboursés par le système de santé gouvernemental, par un assureur ou par une autre source?

7)        Y a-t-il causalité entre dommages et faute?

8)        Doit-il y avoir recouvrement collectif de ces dommages?

[220]     Dans les conclusions du présent jugement, le Tribunal reformule en conséquence les conclusions recherchées par les demandeurs.

[221]     Passons au district judiciaire.

2.2.7      District judiciaire – Art. 576 Cpc

[222]     Les demandeurs allèguent ceci dans la Demande 6 :

85.   Applicant suggests that this class action be exercised before the Superior Court in the District of Montreal for the following reasons:

a)   Many Group Members are domiciled in the District of Montreal;

b)   The Defendants have a business establishment in the District of Montreal;

c)   Many of the abuses were suffered by Group Members in District of the Montreal;

d)   The Applicant’s counsel is domiciled in the District of Montreal;

[223]   Les défendeurs ne prennent pas position sur le sujet.

[224]   Le Tribunal est en accord avec les motifs mis de l’avant par les demandeurs et décide que l’action collective sera introduite dans le district judiciaire de Montréal.

2.2.8   Avis d’autorisation et exclusion

[225]   À l’audition, les parties ont indiqué au Tribunal de remettre à plus tard la question des avis d’autorisation et du délai d’exclusion. Le Tribunal est d’accord et décidera de la question plus tard.

2.2.9      Les frais de justice

[226]   Quant à la Demande 6, le Tribunal va accorder aux demandeurs les frais de justice, mais ceux-ci excluent pour l’instant tout montant pour la publication des avis, cet élément étant à décider ultérieurement avec les avis eux-mêmes.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

Sur la demande de modification :

[227]   ACCUEILLE la Demande des demandeurs pour permission de modifier la Demande modifiée numéro 5 pour autorisation d’exercer une action collective;

[228]   PERMET le dépôt de la Demande modifiée numéro 6 pour autorisation d’exercer une action collective;

[229]   LE TOUT, sans frais de justice;

Sur la demande d’autorisation d’exercer une action collective :

[230]   ACCUEILLE en partie la Demande modifiée numéro 6 pour autorisation d’exercer une action collective;

[231]   AUTORISE l’exercice d’une action collective en responsabilité extracontractuelle et en responsabilité du commettant contre les défendeurs Procureur général du Canada et Procureur général du Québec, pour le compte des quatre demandeurs et du groupe suivant :

Contre le Procureur général du Canada :

Tous les Indiens non-inscrits et Métis qui ont été, dans leur enfance, retirés de leur foyer par l’application de programmes ou politiques d'assimilation des enfants autochtones par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, mis sur pied et opérés par le Procureur général du Canada et/ou le Procureur général du Québec, et qui ont été par la suite placés au Québec en familles d’accueil non autochtones ou donnés en adoption au Québec à des parents non-autochtones ou confiés au Québec à des tuteurs non autochtones, de 1951 jusqu'au 1er janvier 2020;

Contre le Procureur général du Québec :

Tous les Indiens, Indiens non-inscrits, Métis et Inuits qui ont été, dans leur enfance, retirés de leur foyer par l’application de programmes ou politiques d'assimilation des enfants autochtones par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, mis sur pied et opérés par le Procureur général du Canada et/ou le Procureur général du Québec, et qui ont été par la suite placés au Québec en familles d’accueil non autochtones ou donnés en adoption au Québec à des parents non-autochtones ou confiés au Québec à des tuteurs non autochtones, de 1951 jusqu'au 1er janvier 2020;

[232]   ATTRIBUE aux deux demanderesses Clara Halliday et Julie Sinave le statut de représentant pour le compte du groupe contre le Procureur général du Canada;

[233]   ATTRIBUE aux quatre demandeurs Mary-Ann Ward, Mario Wabanonik, Clara Halliday et Julie Sinave pour le compte du groupe contre le Procureur général du Québec;

[234]   IDENTIFIE comme suit les principales questions de faits ou de droit qui seront traitées collectivement :

1)        Les défendeurs ont-ils commis une faute extracontractuelle envers les membres du groupe en ayant mis sur pied, financé et opéré des programmes ou de politiques d'assimilation des enfants autochtones au Québec par le biais des systèmes de protection de la jeunesse, entre 1951 et 2020 (« programmes et politiques »)?

2)        Quel est détail spatio-temporel de ces programmes ou politiques?

3)        Quel est le niveau de connaissance réelle ou présumée par les défendeurs de ces programmes et politiques?

4)         Le défendeur Procureur général du Québec a-t-il été, à quelque moment entre 1951 et 2020, le préposé du Procureur général du Canada à l’égard de ces programmes et politiques?  Si oui, y a-t-il responsabilité du commettant?

5)        Y a-t-il solidarité entre les défendeurs?

6)        Les membres du groupe ont-il subi les dommages compensatoires suivants :

a)         Dommages moraux pour perte d’identité?

b)         Dommages moraux pour peur et anxiété?

c)         Dommages pour abus sexuels?

d)         Dommages pour abus physiques et sévices?

e)        Dommages moraux pour perte d’affection et de relation à l’égard des parents biologiques?

f)         Dommages moraux pour détresse psychologique?

g)        Dommages pour frais reliés aux coûts de soins de santé et de consultations psychologiques, psychiatriques et autres similaires, dans la mesure où non remboursés par le système de santé gouvernemental, par un assureur ou par une autre source?

7)        Y a-t-il causalité entre dommages et faute?

8)        Doit-il y avoir recouvrement collectif de ces dommages?

[235]   IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s'y rattachent :

ACCUEILLIR l’action collective des demandeurs contre les défendeurs ;

DÉCLARER que les défendeurs sont responsables solidairement des dommages subis par les quatre demandeurs et les membres du groupe;

CONDAMNER les défendeurs à payer aux demandeurs et à tous les membres du groupe un montant à être déterminé mais incluant les intérêts et l’indemnité additionnelle, pour couvrir les dommages suivants :

a)        Dommages moraux pour perte d’identité?

b)        Dommages moraux pour peur et anxiété?

c)         Dommages pour abus sexuels?

d)        Dommages pour abus physiques et sévices?

e)        Dommages moraux pour perte d’affection et de relation à l’égard des parents biologiques?

f)         Dommages moraux pour détresse psychologique?

g)        Dommages pour frais reliés aux coûts de soins de santé et de consultations psychologiques, psychiatriques et autres similaires, dans la mesure où non remboursés par le système de santé gouvernemental, par un assureur ou par une autre source?

ORDONNER le recouvrement collectif de ces dommages;

RENDRE toute autre ordonnance que le Tribunal déterminera et qui est dans l'intérêt des membres du Groupe;

LE TOUT, avec frais de justice, frais de publication d’avis, frais d’administration de l’exécution du jugement à être rendu, et frais d’experts.

[236]   DÉCLARE qu’à moins d’exclusion, les membres du groupe sont liés par le présent jugement et par tout jugement à intervenir sur l’action collective de la manière prévue par la Loi;

[237]   REPORTE à plus tard le débat et la décision sur : 1) le délai d’exclusion des membres; 2) le contenu et la publication des avis d’autorisation; et 3) le paiement des frais de publication comme frais de justice;

[238]   DÉTERMINE que l’action collective sera introduite dans le district judiciaire de Montréal;

[239]   LE TOUT, avec frais de justice en faveur des demandeurs, excluant les frais d’avis pour l’instant.

 

 

__________________________________DONALD BISSON J.C.S.

 

Me Christine Nasraoui

Merchant Law Group LLP

Avocate des demandeurs

Mary-Ann Ward, Mario Wabanonik, Clara Halliday et Julie Sinave

 

Me Josianne Philippe et Me Marie-Ève Robillard

Ministère de la Justice Canada

Avocates du défendeur Procureur général du Canada

Me Émilie Fay-Carlos et Me Alexis Milette

Bernard, Roy (Justice Québec)

Avocats du défendeur Procureur général du Québec

Date d’audition :

30 novembre 2022

 



[1]    Accompagnée des Pièces P-1 et P-2, d’un rapport d’une commission d’enquête et d’un arrêt de la Cour d’appel. Le Tribunal explique à la section 2.1 du présent jugement que la Demande 6 est la version finale dont il est saisi, suite aux dernières modifications des demandeurs que le Tribunal accorde. Le présent dossier, institué en décembre 2016, a été suspendu pendant plus de deux ans par décision du juge en chef Fournier du 31 octobre 2017; cela explique les délais.

[2]    Par. 1, 1a et 1b de la Demande 6.

[3]    Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.).

[6]    Par. 81 de la Demande 6.

[7]    Par. 84 de la Demande 6.

[8]    Ward c. Procureur général du Canada, 2021 QCCS 109.

[10]    Voir Conseil pour la protection des malades c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre, 2020 QCCS 2869, par. 26 à 29.

[11]    Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.

[12]    Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1.

[13]    L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35.

[14]    Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30.

[15]    Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, par. 109.

[16]    Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820, par. 10.

[18]    Voir par exemple Morfonios (Succession de Sarlis) c. Vigi Santé ltée, 2021 QCCS 2489, par. 67 et autorités citées.

[19]    Association pour la protection automobile (APA) c. Banque de Montréal, 2021 QCCA 676, par. 61 et 62.

[20]    Benamor c. Air Canada, 2020 QCCA 1597, par. 44.

[22]    Voir : jugement d’approbation de l’entente de règlement rendu par la Cour fédérale le 21 juin 2018: Riddle c. Canada, 2018 CF 641 (Pièce PGC-2); jugement d’approbation de l’entente de règlement rendu par la Cour fédérale le 2 août 2018: Riddle c. Canada, 2018 CF 901 (Pièce PGC-3); et Brown v. Canada (Attorney General), 2018 ONSC 3429.

[23]    Par. 27et 27a de la Demande 6, et réponse à la question 1 de l’interrogatoire écrit de la demanderesse Mary-Ann Ward, daté du 9 février 2021 (Pièce PGC-5).

[24]    Par. 26, 28, 29, 30, 31 et 32 de la Demande 6 et réponse à la question 2 de l’interrogatoire écrit de la demanderesse Mary-Ann Ward, daté du 9 février 2021 (Pièce PGC-5).

[25]    Voir :

-     Pièce PGC-5 : Interrogatoire écrit de la demanderesse, Mary-Ann Ward, daté du 9 février 2021, question 2;

-     Pièce PGQ-12 : Interrogatoire écrit en date du 9 février 2021 de la demanderesse, Mary-Ann Ward, question 4.

[26]    Aux termes de l’Annexe C de l’Entente Riddle (Pièce PGC-1) et du par. 30 de l’ordonnance du juge Shore de la Cour fédérale du 11 mai 2018 (Pièce PGC-2).

[27]    Par. 36 et 27a de la Demande 6.

[28]    Par. 35 et 38 à 44 de la Demande 6 et Pièce PGQ-13, interrogatoire écrit en date du 4 février 2021 du demandeur Mario Wabanonik, questions 2, 3, 4 et 5.

[29]    Voir :

-     Pièce PGC-6 : Interrogatoire de Mario Wabanonik du 11 février 2021 par le PGC (en liasse), question 2;

-     Pièce PGQ-13 : Interrogatoire écrit en date du 4 février 2021 du demandeur, Mario Wabanonik, question 7.

[30]    Par. 48.

[31]    Par. 47 à 59 de la Demande 6.

[32]    Par. 55 de la Demande 6 et Pièce P-1.

[33]    Action collective autorisée par la Cour fédérale : Varley c. Canada (Procureur général), 2021 CF 589; Varley c. Canada (Procureur général), 2021 CF 671.

[34]    Par. 61 de la Demande 6.

[35]    Par. 60 à 72 de la Demande 6.

[36]    Pièce P-2, Sommaire de vos antécédents socio-biologiques, Centre de la Protection de l’Enfance et de la Jeunesse – Centre d’Accueil des Laurentides. 

[38]    La Pièce PGC-2 contient uniquement la version anglaise du jugement. Le Tribunal reproduit ici un extrait de la traduction française officielle, trouvée sur le site Web de la Cour fédérale.

[39]    Du nom du président de la commission, le juge retraité Jacques Viens de la Cour supérieure.

[40]    Version française.

[41]    Le mandat de la commission visait les années 2001 à 2016, en vertu du Décret 1095-2016 du gouvernement du Québec.

[42]    En vertu de l’article 5.1. de la Loi sur les renvois à la Cour d'appel, RLRQ, c. R-23.

[43]    Dossier no. 40061.

[44]    En matière d’adoption : Directeur de la protection de la jeunesse c. J.K., 2004 CanLII 60131 (C.A.), par. 7 à 15; Adoption – 08452, 2008 QCCQ 18822, par. 9 à 23; Adoption – 15253, 2015 QCCQ 16124, par. 7, 21-24; Adoption – 1927, 2019 QCCQ 558, par. 85 à 91. En matière de placement en famille d’accueil : Protection de la jeunesse – 620, (1993) AZ-93031245 (C.Q. no 565-41-000008-892), pp. 4 à 9; K. (M.-K.), 2000 CanLII 14434 (C.Q.), pp. 3-10 et 21-23; X, Re., 2002 CanLII 38040 (C.Q.), par. 1-2, 19-23, 28-29 et 41-48.

[45]    1969 [ASK-00217], Pièces PGC-4 et PGQ-1. Voir au même effet la Pièce PGQ-2 (exemples d’annonces d’enfants à adopter via le programme AIM, en liasse,).

[46]    Au paragraphe 5 de la Demande 6.

[47]    Voir l’article 5(2) de la Déclaration canadienne des droits.

[49]    2019 QCCA 358, par. 971, citant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés, 1996 CanLII 208 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 345, par. 118 et deux textes de doctrine.  Voir au même effet : A.B. c. Frères des écoles chrétiennes du Canada francophone, 2022 QCCS 1772, par. 55 et 56.

[50]    Le Tribunal note que la Cour supérieure a pris une avenue différente dans la décision J.B. c. Soeurs Grises de Montréal, 2022 QCCS 964, par. 74 à 79.

[51]    2021 QCCA 1182, par. 45 (demande de permission d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée, 3 mars 2022, no. 39860).

[52]    Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, par. 81.

[53]    Manitoba Metis Federation inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, par. 73.

[54]    ColombieBritannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général); Acte concernant le chemin de fer de l'Île de Vancouver (Re), 1994 CanLII 81 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 41; Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, Toronto, Carswell, 2007, par. 11:6.

[55]    Voir à cet effet : Bigeagle v. Canada, 2021 FC 504, par. 231 (en appel).

[57]    Précité, note 11, par. 101 et 125 à 127.

[58]    Par. 144.

[59]    Comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., précité, note 13, par. 24.

[60]    Par. 81 de la Demande 6.

[61]    2019 QCCS 3934, par. 55 et suivants.

[62]    Comme par exemple parmi plusieurs autres, la Convention de la Baie James et du Nord Québécois prévoit que l’administration des services sociaux est effectuée localement par des organismes cris et inuit jouissant d’une certaine autonomie, sur leurs territoires de juridiction. Voir les Pièces PGQ-4 à PGQ-8 qui démontrent l’existence de plusieurs régimes factuels et juridiques.

[63]    Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval,         2017 QCCA 199 (C.A.), par. 51.

[64] Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval,          précité, note précédente, par. 67 à 74.

[65]    Précité, note 9.

[66]    Embauche ou avocats-conseil.

[67]    Recherchistes, archivistes, lecteurs de documents, traducteurs pour les langues autochtones, etc.

[68]    Yves LAUZON, Le recours collectif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 38; Brière c. Rogers Communications, 2012 QCCS 2733, par. 72.

[69]    2022 QCCA 659, par. 10 à 13.  Quant à cet arrêt, le Tribunal est d’avis qu’il ne vient pas renverser la condition établie par la Cour suprême du Canada d’avoir une démonstration de l’existence d’un préjudice subi par l’ensemble des membres du groupe, peu importe le quantum des dommages.

[70]    Précité, note 9.

[71]    Contrairement à l’omission des demandeurs d’avoir allégué suffisamment d’éléments quant à la Charte du Québec, à la Charte canadienne, à la Déclaration canadienne des droits, à la violation de traités, de la « duty of care », de manquement à l’obligation de fiduciaire ou au principe de « l’honneur de la Couronne », de génocide et de « negligence » en common law.  Ces omissions ne sont pas des erreurs cléricales ou d’inattention.

[72]    Selon le GQ, pour être reconnue comme « métis » ou comme « indien non-inscrit » au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, une personne doit démontrer qu’elle remplit les critères établis par la jurisprudence pour être reconnue comme métis ou indien non-inscrit. La Cour suprême du Canada précise que la façon de déterminer si une personne donnée peut être considérée comme un « métis » ou un « indien non inscrit » ne fait pas l’objet d’un consensus et constitue essentiellement une question de fait qui devra être décidée au cas par cas dans le futur : Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, par. 47; R. c. Powley, 2003 CSC 43, par. 10 et 23. Selon le PGQ, la demande ne présente aucune allégation qui permettrait d’établir prima facie l’existence d’une communauté métisse au Québec, la preuve démontrant au contraire qu’aucune communauté métisse n’a été à ce jour reconnue au Québec ni par le gouvernement du Québec ni par les tribunaux : Pièces PGQ-9 et PGQ-10 et arrêt Corneau c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 1172.

[73]    Poitras c. Concession A25, précité, note 51, par. 79

[74]    Varley c. Procureur général du Canada, 2021 CF 671, avec motifs supplémentaires datés du 10 juin 2021 (Varley c. Procureur général du Canada, 2021 CF 589).

[75]    Ward c. Procureur général du Canada, 2022 QCCS 789.

[76]    Précité, note 9.

[78]    Par. 566.

[79]    L.C. 2019, c. 24.  Cette loi est entrée en vigueur conformément à un décret pris en vertu de son art. 35 (Décret fixant au 1er janvier 2020 la date d’entrée en vigueur de cette loi, C.P. 2019-1320).

[80]    Lallier c. Volkswagen Canada inc., 2007 QCCA 920, par. 18.

[81]    Précité, note 9.