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Parizeau c. Lafferty, Harwood & Partners Ltd., 2000 CanLII 17899 (QC CS)

Date :
2000-03-16
Numéro de dossier :
500-05-002501-938
Autres citations :
[2000] RRA 417 — EYB 2000-17424
Référence :
Parizeau c. Lafferty, Harwood & Partners Ltd., 2000 CanLII 17899 (QC CS), <https://canlii.ca/t/1kgbq>, consulté le 2024-03-28

REJB 2000-17424 - Texte intégral

CITATION: Parizeau c. Lafferty, Harwood & Partners Ltd.

 

 

 


Cour supérieure (Chambre civile)

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE Montréal

NO : 500-05-002501-938

DATE :  2000-03-16

EN PRÉSENCE DE :

Luc Lefebvre , J.C.S.


Jacques Parizeau et Lucien Bouchard
Demandeurs
c.
Lafferty, Harwood & Partners Ltd. et Richard Lafferty
Défendeurs


Lefebvre J.C.S.:-

Introduction

1  MM. Jacques Parizeau et Lucien Bouchard poursuivent en libelle diffamatoire M. Richard Lafferty et la compagnie qu'il dirige Lafferty, Harwood & Partners Ltd. (Lafferty, Harwood) à la suite des propos publiés dans l'exemplaire de janvier 1993 de leur bulletin, le «Lafferty Canadian Report».

2  Chacun des demandeurs réclame 150 000 $ de dommages pour atteinte à sa réputation, soit 100 000 $ à titre de dommages moraux et 50 000 $ à titre de dommages exemplaires.

Les Faits

3  En janvier 1993, M. Jacques Parizeau est président du Parti québécois et chef de l'Opposition à l'Assemblée nationale alors que Lucien Bouchard est chef du Bloc québécois et député à la Chambre des communes.

4  M. Richard Lafferty, analyste financier, dirige depuis une trentaine d'années la société de conseillers en investissements Lafferty, Harwood qui publie mensuellement un bulletin d'analyse à l'intention de ses 275 clients, des gens d'affaires qui paient annuellement 10 000 $ pour le recevoir. Ce bulletin se veut confidentiel et contient une note à cet effet1.

5  Le bulletin lui-même est divisé en différentes sections. La première contient une analyse de la situation politique prévalant tant au Québec que dans le reste du Canada. La seconde contient une analyse des conditions économiques générales et des commentaires sur les principaux secteurs industriels, alors que les sections suivantes contiennent des analyses détaillées des meilleures actions boursières à détenir dans différents secteurs de l'économie.

6  En janvier 1993, M. Robert Bourassa est toujours premier ministre du Québec mais son cancer étant réapparu, il doit suivre de nouveaux traitements aux Etats-Unis. Quant à M. Brian Mulroney, l'on s'attend à ce qu'il se retire bientôt de la vie politique. C'est dans ce contexte que M. Lafferty écrit dans le bulletin de janvier 1993 son analyse politique. Il convient de retranscrire les extraits qui ont donné lieu au présent débat:

The Premier is considering further treatment at the National Institute of Health in Bethesda, Maryland.

[...]

[...] while under this treatment it is unlikely that Premier Bourassa could be politically active. This would create a political vacuum which the nationalists led by Jacques Parizeau are naturally anxious to engulf.

[...]

The Quebec scene is more serious, particularly if Premier Bourassa were to be absent. It is serious from the viewpoint that the leading contending party is based on demoguery2 which has as its fountain of political rhetoric the dominating theme of nationalism.

Nationalism is the equivalent of tribalism and is amongst the most primitive forms of any human society. It is prevalent through most countries of Africa and inevitably results in a dictatorship because the concepts of democracy are overridden by collective emotionalism. It cannot be otherwise.

Jacques Parizeau, the leader of the Parti Québécois at the provincial level, and Lucien Bouchard, the leader of the Bloc Québécois at the federal level, aim their appeal entirely at nationalism. It is a classic form of demoguery and is no different from what Hitler did although Hitler at the time was operating in a greater political vacuum than that which presently prevails in Quebec or Canada, although with the financial pressures developing both constituencies are coming into a political inoperative environment.

If people, because it gives them a sense of security and an emotional satisfaction, want to engage in nationalism and become the subjects of demagogues, that is their choice. What is interesting is after a long period of what might be termed crude democracy, the collective trend in the Province of Quebec should be in this direction and that there is no organized hard core within the population that is willing to stand up and show how shallow the political thesis is. There are no organized patriots in Quebec with the concepts of liberty, equality, and paternity3.

The same situation prevailed with Hitler. The large industrialists and the banks did not wish to offend the dictatorial leadership for fear of punitive retaliation and that today seems largely the situation in the Province of Quebec.

The Chairman of the Royal Bank of Canada at the time of the Referendum last October predicted economic ruin if the Charlottetown accord failed.

He was strongly criticized by the leader of the Parti-Québécois for the bank's report “Unity or Disunity: The Benefits and the Costs”. It comprised 47 pages.

In the report the Bank contended that if the “No” vote were to win the referendum, Quebec would leave confederation. The report predicted if that were to happen, inflation would triple and a further 800,000 Canadians would become unemployed.

The report went on to predict that by the year 2000 the standard of living of Canadians would drop by 20%; family income would drop by $10,000 and one million Canadians would move south.

As a result of publishing the report, the Royal Bank lost $100 million in deposits essentially as a consequence of demoguery.

We too will probably be punitized for expressing these views but Hitler's success was based entirely on fear and these are the tactics of the Parti-Québécois. (Soulignements du Tribunal)

7  Le 9 février, un journaliste du Devoir à qui l'on a remis une copie de ce bulletin, en publie certains extraits en première page sous le titre «Bouchard, Parizeau, Hitler: même combat».

8  Prenant connaissance de cet article, MM. Parizeau et Bouchard se disent blessés et profondément indignés. Ils décident alors de poursuivre en diffamation tant M. Lafferty que Lafferty, Harwood.

9  Dans les jours qui suivent, les éditorialistes des principaux journaux du Québec condamnent les propos de M. Lafferty. Il en est de même de la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada.

10  Le 16 février, M. Lafferty réitère les mêmes propos dans une lettre adressée à ses clients et dont il transmet copie aux médias.

11  Le 19 février, MM. Parizeau et Bouchard intentent leur action.

Les Prétentions des Parties

Les demandeurs

12  MM. Parizeau et Bouchard prétendent avoir été diffamés. Même si, en tant que politiciens, ils sont sujets à la critique, ils allèguent que les défendeurs ont dépassé la limite de ce qui est acceptable comme critique politique en comparant leur action politique et leur nationalisme à ceux d'Hitler. Ils considèrent que ce faisant, ils ont violé leur droit à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation.

Les défendeurs

13  M. Lafferty et Lafferty, Harwood prétendent qu'ils ont le droit d'exprimer leur opinion, qu'ils n'ont pas diffamé les demandeurs et que même s'il y avait eu diffamation, leur responsabilité ne saurait être retenue, vu que l'opinion qu'ils ont émise constitue un commentaire loyal au sens de notre droit.

Les Questions en Litige

14  Il y a trois questions en litige dans le présent débat:

a) Les propos tenus par M. Lafferty sont-ils diffamatoires à l'égard de MM. Parizeau et Bouchard?

b) Dans l'affirmative, la défense de commentaire loyal doit-elle recevoir application?

c) Si responsabilité il y a, quels sont les dommages auxquels ont droit les demandeurs?

Les droits fondamentaux en cause

La liberté d'opinion et d'expression

15  L'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne4 garantit la liberté d'opinion et d'expression.

16  Dans l'arrêt Irwin Toy c. Procureur général du Québec 5, le juge en chef Dickson de la Cour suprême se penche sur la notion de liberté d'expression:

L'«expression» possède à la fois un contenu et une forme et ces deux éléments peuvent être inextricablement liés. L'activité est expressive si elle tente de transmettre une signification. Le message est son contenu. La liberté d'expression a été consacrée par notre Constitution et est garantie dans la Charte québécoise pour assurer que chacun puisse manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, toutes les expressions du coeur ou de l'esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient-elles. Cette protection est, selon les Chartes canadienne et québécoise, «fondamentale» parce que dans une société libre, pluraliste et démocratique, nous attachons une grande valeur à la diversité des idées et des opinions qui est intrinsèquement salutaire tant pour la collectivité que pour l'individu.

17  Dans l'arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto 6, le juge Cory de la Cour suprême écrit:

On a beaucoup écrit sur l'importance primordiale de la liberté de parole. Sans cette liberté d'exprimer des idées et de critiquer tant le fonctionnement des institutions que le comportement des particuliers attachés aux offices gouvernementaux, les formes démocratiques de gouvernement se détérioreraient et disparaîtraient.

La dignité, l'honneur et la réputation

18  L'article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne énonce que «toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation».

19  Dans la cause Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste 7, le juge André Rochon analyse ces concepts:

La dignité est un attribut fondamental de l'être humain. Elle englobe à la fois le respect et la considération que les autres nous portent (la réputation) et la valeur que chacun accorde à sa propre dignité morale (son honneur). La dignité, tant dans sa dimension interne qu'externe, est une composante essentielle et innée à chaque individu. Cette valeur inhérente à la personne humaine constitue, de l'avis de la Cour suprême, le fondement des droits et libertés.

[...]

La réputation, proprement dite, constitue un aspect de la dignité humaine, sa dimension externe. C'est «le fait d'être honorablement connu du point de vue moral»8.

La Cour suprême, dans l'arrêt Hill, accorde un caractère autonome aux droits à la réputation9:

La réputation est un aspect intégral et fondamentalement important de tout individu. Elle vaut pour tous, peu importe l'emploi occupé.

À l'opposé, la notion d'honneur fait appel à une conception éthique de nature intime. Elle représente la réflexion que chaque individu porte sur ses valeurs profondes et sur son ordre moral. En ce sens, l'honneur représente le socle sur lequel l'être humain fait reposer sa dignité.

20  Dans l'arrêt Champagne c. Cégep de Jonquière 10, le juge Rothman de la Cour d'appel souligne qu'il y a une limite à la liberté d'expression:

Among the reasonable limits to freedom of expression are the provisions of our law against libel and slander. One has no right to make false statements which will injure the reputation of another.

21  Le Tribunal doit donc décider si, en l'espèce, cette limite fut dépassée.

Le droit de la diffamation

La notion de diffamation

22  Dans Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc. 11 le juge LeBel, au nom de la Cour d'appel, définit ainsi la diffamation:

La diffamation consiste dans la communication d'écrits qui font perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou qui encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. Elle implique une atteinte injuste à la réputation d'une personne par le mal que l'on dit d'elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l'expose.

23  Dans l'arrêt Le Devoir inc. c. Centre de psychologie préventive et de développement humain G.S.M. inc. 12, le juge Letarte, ad hoc, au nom de la Cour d'appel, cite avec approbation le juge Baudouin13 sur la nature du recours en diffamation:

Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts, son auteur doit avoir commis une faute. Cette faute peut résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. La seconde résulte d'un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnant droit à réparation, sans qu'il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d'autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d'abandonner résolument l'idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d'un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire. De plus, la diffamation en droit civil ne résulte pas seulement de la divulgation ou de la publication de nouvelles fausses ou erronées. Il y a, à notre avis, responsabilité lorsque les faits publiés sont exacts, mais que la publication n'a pour autre but que de nuire à la victime.

24  Dans l'arrêt Société Radio-Canada14, le juge LeBel commente le rôle des médias:

[...] Les médias ont pour fonction de rechercher, de traiter et de communiquer l'information. Ils ont aussi vocation à la commenter et à l'interpréter. Dans leur activité de recherche de l'information, leur responsabilité paraît essentiellement une responsabilité d'ordre professionnel, basée sur un critère de faute. Celui-ci fait certes appel au critère de la personne raisonnable, mais oeuvrant dans ce secteur de l'information. Dans le cas d'un reportage, il faut rechercher si l'enquête préalable a été effectuée en prenant des précautions normales, en utilisant des techniques d'investigation disponibles ou habituellement employées. On déterminera si l'on a procédé, en somme, avec un soin raisonnable à la préparation de l'article ou du reportage.

[...]

La faute ne se réduit pas à la seule publication d'une information erronée. Elle se rattache à l'inexécution d'une obligation de diligence ou de moyen, comme cela arrive fréquemment en responsabilité professionnelle15. S'il y a atteinte à la réputation, cette atteinte ne peut être source de responsabilité civile que lorsqu'elle est fautive. Elle n'aura ce caractère que si l'on retrouve une violation des standards professionnels de l'enquête et de l'activité journalistique. On doit ainsi rechercher si les règles de prudence normale dans l'exercice de cette activité ont été respectées par les auteurs d'un reportage.

25  Dans l'arrêt Le Devoir16, le juge Letarte nous rappelle:

Le journaliste demeure un des importants piliers de la démocratie: il a mission d'informer, il se doit d'être un témoin de premier plan de la vérité. Lorsque l'intérêt public le justifie, et pourvu qu'il le fasse à l'intérieur de limites raisonnables, il a le droit et le devoir de critiquer et de publier des informations pourvu qu'elles soient exactes, même si elles peuvent engendrer des inconvénients sérieux pour les personnes atteintes. Il le fait cependant à ses risques et périls, lorsqu'il choisit de tenir des propos susceptibles d'exposer des individus à la haine et au mépris sans avoir fait précéder ses affirmations des vérifications dont l'importance tient compte du préjudice auquel la victime est exposée.

26  Pour juger s'il y a diffamation, il faut adopter le test de la personne raisonnable. Ainsi, dans le même arrêt17, le juge Letarte ajoute:

La signification et la portée des mots utilisés dans un texte publié doivent être estimées sur la base d'un test objectif, celui de la compréhension de la personne raisonnable, et non pas selon l'interprétation voulue par l'auteur de la publication. Bien qu'elle représente un élément important dans l'estimation des dommages punitifs, l'intention de l'auteur est étrangère à la qualification du caractère libelleux ou diffamatoire du texte qu'il a publié.

La défense de commentaire loyal

27  Les défendeurs soulèvent la défense de commentaire loyal, qui a son origine dans le droit anglais.

28  Dans l'arrêt Steinhaut c. Vigneault 18, la Cour d'appel résume la nature de cette défense:

Une telle défense de commentaire loyal ou honnête en matière d'intérêt public comporte trois critères bien définis:

1) l'existence d'un intérêt public dans la matière au sujet de laquelle il s'exprime;

2) l'intention honnête de servir une cause juste;

3) une conclusion raisonnablement soutenable à l'égard des faits rapportés.

29  Ces critères ont été repris par la Cour d'appel dans l'arrêt Picard c. Gros-Louis 19.

Analyse

Le bulletin

30  MM. Parizeau et Bouchard prétendent qu'ils ont été diffamés lorsque M. Lafferty a comparé leur action politique à celle d'Hitler.

31  En fait, c'est à trois reprises dans l'article de janvier 1993 que M. Lafferty fait ce rapprochement:

D'abord, celui-ci souligne que l'action politique des leaders du Parti québécois et du Bloc québécois repose sur l'appel au sentiment nationaliste des Québécois. Pour lui, le nationalisme est l'équivalent du tribalisme qui mène inévitablement à la dictature. Il s'agit d'une forme classique de démagogie comparable à celle d'Hitler;

Plus loin, l'auteur souligne l'absence au Québec de groupes patriotiques organisés fondés sur le concept de liberté, d'égalité et de fraternité, et capables de freiner cet appel au courant nationaliste. La même situation prévalait sous Hitler. Sous son régime, les banques et les grandes industries n'ont pas voulu offenser son leadership dictatorial de peur de représailles. La même situation prévaut au Québec; et

Finalement, l'analyste financier conclut que son entreprise sera probablement pénalisée pour avoir exprimé ses vues. Il conclut que le succès d'Hitler fut basé sur la peur et que ce sont les tactiques employées par le Parti québécois.

Faits historiques concernant la personnalité, l'idéologie et l'action politique d'Adolf Hitler

32  Pour limiter le débat, les parties ont admis, avant l'audition, que les faits historiques suivants concernant la personnalité, l'idéologie et l'action politique d'Adolf Hitler, étaient des faits notoires, dont le Tribunal a connaissance d'office:

Circonstances historiques d'ordre général:

a) Le fait qu'Adolf Hitler est un personnage historique notoire pour sa démagogie et son fanatisme, ses idées radicales et racistes, son mépris total pour les valeurs démocratiques et son attachement à des solutions violentes, dictatoriales et totalitaires;

b) Le fait que les idées véhiculées par Adolf Hitler et le Parti National Socialiste (Nazi) pendant la période qui a précédé la guerre ainsi que les moyens qu'ils ont employés pour prendre le pouvoir et s'y maintenir sont tout à fait extrémistes et de la nature d'une dictature totalitaire;

c) Le fait qu'Adolf Hitler et les nazis sont responsables de la persécution et de l'extermination systématique de plusieurs millions de juifs, notamment dans des camps de concentration, pendant cette période de l'histoire que l'on a qualifiée d'Holocauste.

Faits spécifiques:

a) Le fait qu'Adolf Hitler a commencé sa carrière politique au lendemain de la première guerre mondiale en se joignant au German Workers Party qui est par la suite devenu le Parti National Socialiste (NSDAP ou Nazi) avec lequel il a pu prendre le pouvoir en 1933;

b) Le fait que le programme politique du «National Socialist German Workers Party», tel que préparé par Hitler et Drexler en février 1920, est celui qui est relaté aux pages 142 à 145 inclusivement de la biographie, Pièce P-114;

c) Le fait que les discours prononcés par Hitler dans le cadre de ses activités au sein du National Socialist German Workers Party au début des années 20 dénonçaient ce qu'il appelait le «Jewish International Stock Exchange Capital» comme grand responsable de la défaite allemande de la première guerre mondiale ainsi que du Traité de Versailles (qu'il considérait injuste). Le fait que les juifs n'étaient pas admis lors de ces discours;

d) Le fait que le 14 septembre 1921, Hitler et deux autres membres de son parti ont attaqué physiquement Monsieur Otto Ballerstedt, l'un des dirigeants du «Bavarian Monarchist Party» et que, suite aux accusations portées contre lui en rapport avec cet incident, Hitler a écopé d'une sentence de trois mois d'emprisonnement;

e) Le fait que le 8 novembre 1923, Hitler et ses camarades ont tenté un coup d'état armé contre le gouvernement de Munich et que, suite à cet attentat armé, Hitler a écopé d'une sentence d'emprisonnement de cinq ans après un procès qui a été tenu du 16 février 1924 au 27 mars 1924;

f) Le fait que pendant son séjour en prison suite au coup d'état manqué de novembre 1923, Hitler a écrit l'ouvrage Mein Kampf dans lequel il a consigné l'essentiel de sa philosophie et de ses intentions politiques;

g) Le fait que, parmi les ressources à la disposition d'Hitler et du Parti National Socialiste pour promouvoir leur idéologie politique, il y avait un groupe paramilitaire (Storm troopers) connu sous le nom de SA qui, pendant plusieurs années, a été dirigé par un nommé Ernst Roehm;

h) Le fait que, le 27 février 1933, les nazis, agissant sous les ordres indirects d'Adolf Hitler, ont délibérément incendié l'édifice parlementaire connu sous le nom de Reitchstag dans le cadre d'une tactique de propagande aux fins de blâmer le Parti Communiste, justifier l'arrestation de plusieurs d'entre eux et l'abolition de plusieurs des garanties de droits et libertés qui avaient existé en Allemagne jusque là;

i) Le fait que, parmi les proches collaborateurs d'Hitler pendant toute sa carrière, il y avait un nommé Joseph Gobbels qui portait le titre de «Minister of Enlightenment and Propaganda» et qui, dans l'exercice de ses fonctions, a délibérément manipulé l'opinion publique aux fins de justifier les pires abus de la part du Régime Nazi;

j) Le fait que, le 14 juillet 1933, un décret officiel fut adopté par le gouvernement nazi en vertu duquel le Parti National Socialiste est devenu le seul parti officiel en Allemagne et décrétant l'illégalité de tous les autres partis politiques;

k) Le fait que, les 29 et 30 juin 1934, et dans les jours qui ont suivi, les dirigeants du gouvernement nazi se sont livrés à une purge systématique des SA (incluant leur chef Ernst Roehm qui fut arrêté et fusillé) de même que de nombreux opposants politiques dans le cadre d'une opération qui est passée à l'histoire sous le nom de Nuit des Longs Couteaux «Night of the Long Knives»;

l) Le fait que, pendant la guerre, Hitler et son gouvernement ont émis des ordres clairs et précis à l'effet de se livrer à une guerre sans merci contre leurs opposants, notamment les communistes et les juifs, dans le cadre duquel les forces militaires et les SS furent expressément autorisés à exécuter sommairement hommes, femmes et enfants. Les mesures adoptées dans le cadre de cette guerre sans merci sont passées à l'histoire sous le nom de «The final solutions» et incluent notamment l'extermination des juifs dans les camps de concentration;

m) Le fait que, conformément aux instructions données par Hitler et son gouvernement nazi dans le cadre des «Final solutions», plusieurs millions de juifs ont été systématiquement exterminés, notamment dans des camps de concentration situés à Aushwitz, Dachau, Berkenau et Treblinka, pendant cette période de l'histoire que l'on a depuis qualifié Holocauste;

n) Le fait que, plus de dix millions de russes ont péri aux mains des allemands pendant la deuxième guerre mondiale.

Analyse des propos tenus par M. Lafferty

33  M. Lafferty, tant à l'audience que lors de son interrogatoire après défense, a précisé la nature de sa pensée lorsqu'il a comparé le nationalisme des demandeurs à celui d'Hitler.

34  Pour lui, le nationalisme est l'équivalent du tribalisme qui mène inévitablement à la dictature qui, elle, conduit à la confiscation de la propriété et du capital20.

35  Quant à la dictature, il la définit ainsi:

One who does not recognize the principles of freedom, freedom of choice, freedom of ideas, freedom of expression.21

36  Il se défend de comparer MM. Parizeau et Bouchard à Hitler mais ajoute:

I only say the policies which ... they followed in terms of demagogy was similar to the policies which Hitler followed.22

37  Plus loin, il précise:

My article said in effect that they engaged in demagogy and that was a policy which Hitler followed. That's all I said and Hitler indulged in demagogy. Mr. Parizeau and Mr. Bouchard, I said, indulged in demagogy. If we'd like to find demagogy, then demagogy is where the speaker seeks to cheer popularity and position by arousing the emotions, the passions and the prejudices of the people.23

38  Finalement, lorsqu'on lui demande s'il maintient toujours à l'audience l'opinion émise près de sept ans auparavant, il répond dans l'affirmative24.

Opinion du Tribunal

39  Le Tribunal n'a aucune hésitation à conclure que les propos tenus par M. Lafferty à l'endroit des demandeurs sont mensongers et diffamatoires.

40  Lorsque le défendeur fut sommé de donner des exemples concrets pouvant justifier les comparaisons faites entre l'action politique des demandeurs et celle d'Hitler, il en a été incapable.

41  Il n'a pu citer aucun fait établissant que les demandeurs défendaient des principes anti-démocratiques ou racistes ou encore qu'ils voulaient restreindre les libertés fondamentales des citoyens ou de certains d'entre eux.

42  Au contraire, la preuve, non contredite, soumise au Tribunal, établit clairement que les demandeurs étaient profondément attachés aux principes et aux valeurs démocratiques de notre société.

43  Les défendeurs ont tenté d'introduire en preuve certaines déclarations postérieures à leur bulletin de janvier 1993. L'objection des procureurs des demandeurs à cette preuve, fondée sur le fait que ces déclarations postérieures ne devaient pas être prises en considération, fut retenue par le Tribunal au motif que c'est en janvier 1993 que le Tribunal doit se situer pour déterminer si les propos de M. Lafferty sont diffamatoires et si sa responsabilité doit être retenue.

44  De nombreux documents, incluant des publications, des discours, des articles de journaux et des programmes politiques ont été produits et commentés par les demandeurs eux-mêmes.

45  Dans le cas de M. Parizeau, il y a lieu de noter plus particulièrement:

le programme du Parti québécois qui est explicite quant à l'objectif de réaliser démocratiquement la souveraineté du Québec25;

l'attachement du parti aux institutions démocratiques et aux droits et libertés individuels26;

le discours de M. Parizeau du 23 janvier 199227 démontrant son attachement aux droits de la personne et à la promotion des droits des minorités, que ce soit les autochtones, les anglophones ou les minorités ethniques;

son discours du 9 octobre 1991, quant au respect des minorités28;

son discours du 21 octobre 1991, portant notamment sur le racisme et l'antisémitisme29;

l'article de «La Presse» du 28 août 1989, rapportant la décision de M. Parizeau d'exclure la candidature de Claude Jasmin, qui avait tenu des propos controversés concernant les immigrants30;

l'article de «The Gazette» du 8 octobre 1991, rapportant les mesures mises en place par M. Parizeau pour la protection des droits des anglophones dans un Québec souverain31;

l'article de «La Presse» du 16 février 1992, rapportant les déclarations faites par M. Parizeau sur le droit des anglophones au Québec32;

l'article du journal «Le Soleil» du 26 janvier 1989, rapportant la condamnation, par M. Parizeau, de l'incendie criminel des locaux d'Alliance-Québec, de même que sa réprobation de la violence en général33; et

certains articles de journaux, rapportant l'indignation de M. Parizeau et sa solidarité avec la communauté juive suite au saccage des cimetières juifs dans la ville de Québec34.

46  Lors de son témoignage, M. Parizeau a commenté les publications, discours et prises de position ci-haut mentionnés, qui confirment son attachement aux valeurs démocratiques et au respect des droits et libertés de la personne et des minorités.

47  Son ancien chef de cabinet, M. Hubert Thibault, a également témoigné sur l'attachement de M. Parizeau aux valeurs démocratiques de notre société.

48  Il en est de même de M. Jacques-Yvan Morin qui connaît M. Parizeau depuis qu'il est enfant, qui l'a côtoyé tout au long de sa vie et qui a témoigné sur l'attachement de M. Parizeau et du Parti québécois aux valeurs démocratiques ainsi qu'au respect des minorités linguistiques et ethniques.

49  Dans le cas de M. Bouchard, il y a lieu de noter plus particulièrement:

son autobiographie publiée en 1992 et intitulée «À visage découvert», qui fut commentée par l'auteur lui-même et qui traite, entre autres, de la mission du Bloc québécois, du respect des droits de la communauté anglophone et de son attachement aux valeurs démocratiques35;

l'article du journal «The Gazette» du 15 septembre 1990, rapportant l'insistance de M. Bouchard pour inclure les communautés culturelles au sein de la Commission sur l'avenir constitutionnel du Québec36:

l'article de «La Presse» du 6 janvier 1989, rapportant la réaction de M. Bouchard à l'incendie des locaux d'Alliance-Québec, sa condamnation de la violence et son engagement à venir en aide à Alliance-Québec37;

l'article du journal «Le Devoir» du 6 janvier 1989, rapportant sa condamnation de la violence affectant le débat linguistique38.

50  Lors de son témoignage, M. Bouchard a mentionné qu'il avait beaucoup lu sur l'Allemagne nazie et qu'il a essayé de comprendre pourquoi un crime aussi horrible avait pu se produire.

51  Pour lui, Hitler, selon ses termes, «c'est la honte de la race humaine», «c'est un psychopathe assassin pour qui la vie humaine ne comptait pas», «c'est l'être le plus monstrueux».

52  MM. Parizeau et Bouchard ont tous deux reconnu qu'ils avaient souvent été attaqués, insultés. On les a souvent traités de dictateurs, de traitres et de démagogues. Pour aller en politique, il faut accepter, selon eux, d'être sujets à la critique et pouvoir y résister. Mais il y a une limite à respecter et celle-ci a, selon eux, été franchie.

53  Le Tribunal est d'accord. Lorsque l'article libelleux a été écrit, tant MM. Parizeau que Bouchard étaient dans l'opposition. Ils n'avaient jamais été premiers ministres et pourtant, on les comparaît à Hitler qui avait gouverné l'Allemagne nazie pendant de nombreuses années et qui, en tant que chef d'État, avait commandé les pires atrocités.

54  M. Lafferty se défend d'avoir comparé les hommes. Il n'a comparé, dit-il, que leurs politiques. C'est du pareil au même.

55  Le lecteur moyen, la personne raisonnable qui lit l'article de M. Lafferty comprendra pour le moins:

que les demandeurs sont des nationalistes dont l'action politique mène inévitablement à la dictature, comme cela a été le cas pour Hitler;

que leurs propos démagogiques suscitent la peur et que personne n'ose les critiquer de peur de représailles; et

qu'ils ont recours aux mêmes tactiques de peur dont se prévalait Hitler.

56  D'ailleurs, tous les éditorialistes et les chroniqueurs ont condamné ses propos.

57  Le quotidien «The Gazette», dans son éditorial du 10 février 1993 intitulé «More unwelcome demagoguery»39 a qualifié de «bombastic and misleading» l'analyse politique de M. Lafferty. Le même éditorial conclut comme suit quant à l'effet de ses propos à l'endroit de MM. Parizeau et Bouchard:

Besides which, they are deeply unfair to both Mr. Parizeau and Mr. Bouchard, each of whom would recoil from anything approaching Nazi methods. Equating Quebec with unnamed Third World dictatorships is no better. Such sweeping statements offer investors no insight into Quebec's political situation: they contribute to no identifiable cause, and certainly not to economic stability, a value normally cherished by investment counsellors.

The investment community would surely be better served if the Lafferty Canadian Report stuck to its specialty: offering financial advice. (Soulignements du Tribunal)

58  Mme Agnès Gruda du quotidien «La Presse», dans son éditorial du 11 février 1993, intitulé «La moustache du Furher»40 écrit:

Nationalisme égale tribalisme égale dictature. Hitler est un nationaliste et un dictateur. Parizeau et Bouchard sont nationalistes, donc ils sont de potentiels dictateurs. Il ne peut en être autrement, point. C'est avec sophisme déguisé en analyse politico-économique qu'ils veulent donner à leurs meilleurs clients des outils de décision pour de futurs investissements.

59  Suite à la réponse de M. Lafferty du 16 février, le quotidien «The Gazette» publie un second éditorial sur la question:41

So let's get this straight. Mr. Lafferty said the policies of leading Quebec nationalists are «no different from what Hitler did.» He said nationalism is primitive and «inevitably» results in a dictatorship. And he cannot understand why nationalists are upset.

Here is why they are upset. It is bad enough to call someone primitive. Far worse is to say someone is no different from Hitler, the founder of the Nazi regime based on racism and on the cold-blooded extermination of whole peoples. Such statements are not only mortally insulting but also gravely irresponsible. Quebec nationalism is often ethnocentric, but it is light-years removed from Nazism. To suggest otherwise arouses needless fears and poisons Quebec' climate. (Soulignements du Tribunal)

60  La communauté juive a elle aussi réagi vigoureusement suite aux propos de M. Lafferty. Le 11 février 1993, elle émettait le communiqué de presse suivant42:

Montreal .. B'nai Brith's League for Human Rights today categorically rejected the analogy drawn by the firm Lafferty, Harwood & Partners Ltd.

[...]

Poor research, a poor understanding of nationalism and history and a brutally inappropriate conclusion.

[...]

To draw an analogy between the policies of Jacques Parizeau and those of Hitler is scurrilous and just plain wrong.

61  Le porte-parole de la Ligue, M. Jonathan Schneiderman, a réitéré les mêmes propos lors de l'audience.

62  Les réactions des éditorialistes, des chroniqueurs et de la Ligue B'Nai Brith démontrent comment ont été perçus les rapprochements faits par M. Lafferty dans son article litigieux.

63  Ce n'est pas parce que l'on est en politique que l'on n'a plus droit à la sauvegarde de son honneur, de sa dignité et de sa réputation. Dans l'arrêt Hill43, la Cour suprême a réitéré que le droit à la réputation vaut pour tous, peu importe l'emploi occupé.

La défense de commentaire loyal

64  Les défendeurs invoquent la défense de commentaire loyal. Ils doivent donc établir l'existence des trois conditions requises pour que le Tribunal puisse y faire droit.

65  La première condition, soit celle de l'intérêt public, est sans aucun doute respectée. D'ailleurs, les demandeurs l'admettent. Par contre, ils contestent la deuxième condition, soit l'intention honnête.

66  Dans l'affaire Société Saint-Jean-Baptiste44, cette dernière avait fait paraître un texte dans le journal «Le Devoir» dénonçant comme «traîtres» et «collaborateurs» les députés et ministres du Québec qui avaient voté en faveur du rapatriement de la Constitution canadienne.

67  Le juge Rochon en est venu à la conclusion que la deuxième condition était également respectée:

[...] les défendeurs Bouthillier et Rhéaume, de même que l'organisme qu'ils représentent, partagent une cause commune. Leurs convictions sont sincères. Ils estiment avoir non seulement le droit, mais l'obligation de dire ce qu'ils ont dit puisqu'ils y croient sincèrement.45

68  En l'espèce, le Tribunal considère lui aussi que M. Lafferty croit sincèrement à ce qu'il a écrit et qu'il se sentait dans l'obligation d'en faire part à ses clients.

69  Ce que le Tribunal doit réellement décider, c'est si la troisième condition est respectée, à savoir si les propos de M. Lafferty pouvaient être raisonnablement soutenables.

70  Le Tribunal a été surpris de constater jusqu'à quel point M. Lafferty n'en savait pas beaucoup sur Hitler. Il n'a jamais lu de biographies sur lui. Il n'a pas lu non plus «Mein Kampf»46. Il ne connaît pas le contenu du livre. Il ne savait même pas que Hitler fut élu démocratiquement47.

71  Sa connaissance d'Hitler, il l'a acquise en allant à la Deuxième guerre, en lisant les journaux de l'époque ainsi que d'autres biographies comme celles de Churchill ou d'Eisenhower48. Il dira d'ailleurs à l'audience:

I haven't been studying Hitler for the forty years, fifty years.49

72  Quant au programme du Parti québécois, il ne l'a jamais lu. Tout ce qu'il a lu sont les résumés qu'en ont faits les journaux50.

73  Il reconnaît de plus qu'il n'a lu aucun document faisant état de la position de MM. Bouchard et Parizeau sur les droits et libertés de la personne et des minorités. Il dit toutefois connaître personnellement M. Parizeau et avoir lu la biographie de M. Bouchard parue en la langue anglaise. Or, celle-ci ne fut publiée qu'en 1994. Le Tribunal conclut donc qu'il ne l'avait pas lue en janvier 1993, date de la publication diffamatoire.

74  Il ressort donc de la preuve qu'avant de comparer l'action politique des demandeurs à celle d'Hitler, le défendeur Lafferty n'a fait aucune recherche, aucune démarche ni aucune vérification. L'on ne peut même pas dire que son enquête était bâclée, car il n'en a pas faite. Il s'est fié à ses impressions, à ce dont il se souvient de l'action politique d'Hitler, même s'il ne l'avait pas étudiée depuis plus de 40 ou 50 ans.

75  Le Tribunal est d'opinion que M. Lafferty n'a pas relevé le fardeau qui était le sien d'établir que ses propos de janvier 1993 étaient raisonnablement soutenables. Sa défense de commentaire loyal doit donc échouer.

76  La responsabilité de Lafferty, Harwood, qui a publié l'article diffamatoire, est également engagée.

Les dommages moraux

77  MM. Parizeau et Bouchard réclament chacun 100 000 $ pour dommages moraux.

78  De leur côté, les défendeurs plaident que si leur responsabilité devait être retenue, les dommages accordés devraient être minimes, sinon inexistants, pour les motifs suivants:

les demandeurs ont maintes fois déclaré qu'ils ne recherchaient pas une compensation monétaire mais désiraient plutôt que le Tribunal trace la ligne entre ce qui est acceptable comme débat politique et ce qui ne l'est pas. Ce qu'ils veulent, c'est avant tout des dommages exemplaires;

le bulletin mensuel en litige n'était destiné qu'à 275 clients. C'est à cause d'une «fuite» du journal «Le Devoir» que le contenu du rapport fut rendu public. Les défendeurs ne peuvent être responsables des dommages causés par une diffusion plus grande que celle qui avait été voulue; et

le préjudice subi par les demandeurs fut de très courte durée. Aucune preuve n'a été apportée, établissant qu'à part l'indignation du moment, ils ont été affectés ou angoissés pendant une longue période de temps.

79  Quant au premier motif, il est vrai que, par leur action en diffamation, les demandeurs veulent que le Tribunal trace la ligne. Mais il ne s'agit que d'une des raisons justifiant leur action. Ils désirent également être indemnisés pour le préjudice moral qu'ils ont subi. Le fait qu'ils ont décidé de remettre à une oeuvre de charité le produit net de tout jugement pouvant leur être accordé ne doit aucunement influencer le Tribunal.

80  Quant au deuxième motif, il est vrai que le bulletin n'était destiné qu'à 275 clients. Par contre, si l'on consulte la liste des clients de Lafferty, Harwood, l'on y constate qu'en grande majorité, les clients se recrutent dans les banques, les institutions financières et les grandes compagnies. On peut citer, à titre d'exemple, comme abonnés, la Sun Life, la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Banque Royale, Assurance vie Desjardins, La Sauvegarde, le Royal Trust, Canada-Vie, le Groupe Commerce. Une compagnie cliente qui paie 10 000 $ annuellement pour recevoir ce bulletin d'analyse en fera probablement une diffusion à l'interne, qui rendra la soi-disant confidentialité du bulletin très aléatoire. Lors de l'audience, M. Lafferty a d'ailleurs reconnu qu'il n'a aucun contrôle sur ce que ses clients font de sa publication51.

81  De plus, compte tenu de la gravité des attaques de M. Lafferty à l'endroit des leaders souverainistes, il ne pouvait ignorer qu'il était probable qu'il y ait une «fuite» de son rapport dans des journaux à plus grande diffusion.

82  Qui plus est et surtout, il a réitéré les mêmes propos le 16 février 1993 dans une lettre adressée à ses clients et dont il a transmis copie aux médias, lesquels en ont fait largement état.

83  Reste le troisième moyen.

84  En matière de diffamation, les condamnations varient en fonction de la gravité des propos diffamatoires et de l'importance des dommages subis par ceux qui en ont été victimes.

85  Dans Rizzuto c. Rocheleau 52, le député Rocheleau, lors d'une assemblée publique, avait relié le sénateur Rizzuto à Vito Rizzuto, une personne généralement associée à la pègre.

86  Quelques jours plus tard, le défendeur réitère ses attaques contre le sénateur Rizzuto, le traitant de fripouille sans scrupule, d'homme de bras et de nuisance publique, tout en soulignant qu'il est le cousin de Vito Rizzuto. La juge Lemelin l'a condamné à 150 000 $ pour atteinte à sa réputation et dommages moraux.

87  Sans minimiser les faits de l'espèce, il faut toutefois reconnaître que les attaques étaient sévères et que le sénateur Rizzuto en fut profondément affecté. Les extraits suivants du jugement en témoignent:

Le Tribunal retient de la preuve que le défendeur a commis une faute qui a porté atteinte à la réputation du demandeur et semé un doute qui perdure encore lors de l'audition de la cause à la fin de l'année 1995. Il a exposé le demandeur à l'humiliation. Le demandeur avait une bonne réputation.53

[...]

Il vit une période d'angoisse, de stress et d'indignation. Il ne peut comprendre les attaques de Rocheleau. Les témoins qualifient sa réaction; il est déstabilisé, crispé, il est visiblement affecté, et ce, bien après la fin de la campagne électorale. Homme de famille, le demandeur est très inquiet de la répercussion de cette histoire sur les siens et se dit peiné des dommages que cela peut causer à sa famille immédiate.

Après la campagne électorale, Rizzuto s'inquiète de son retour au Sénat, il se sent mal à l'aise. Il connaît cet inconfort depuis le début des accusations de Rocheleau; il limite ses activités à son travail et évite les autres rencontres; il s'isole plus.

Pietro Rizzuto témoigne avec modération et franchise. Il n'a pas perdu son emploi ou ses revenus suite à ces événements. Il précise que l'insomnie et le stress venaient de cette affaire mais il a eu d'autres troubles de santé et il ne peut les relier aux accusations de Rocheleau.

Il souffre de ces accusations, car elles portent atteinte à son intégrité.54

88  Dans l'affaire Société Saint-Jean-Baptiste55, le juge Rochon a accordé à chacun des demandeurs, députés à la Chambre des communes, 5 000 $ pour leur angoisse, leur anxiété et leur perte générale de jouissance de la vie, et 5 000 $ pour atteinte à leur dignité, à leur honneur et à leur réputation.

89  Dans le cas de Mme Hervieux-Payette, la preuve a révélé ce qui suit56:

Dans la période qui a suivi la parution du 4 décembre 1981, elle a eu des moments d'angoisse et d'inquiétude. Elle dit avoir vécu des heures pénibles. Elle craint pour sa personne. Elle a fait l'objet, pour la première fois de sa carrière politique, de lettres et de documents anonymes l'insultant. Elle a reçu des appels téléphoniques d'insultes. Elle dit avoir pris des précautions supplémentaires pour se déplacer, surtout en soirée.

[...]

Mme Hervieux-Payette affirme avoir été également touchée dans sa dignité, son honneur et sa réputation.

[...] elle conclut que sa dignité, son honneur et sa réputation furent affectés. Elle en veut pour preuve les réactions négatives dont elle n'avait jamais été victime avant.

90  Quant à M. Berger, les séquelles furent les suivantes:

La parution du texte, en plus de le blesser et de l'insulter, a créé chez ce dernier un sentiment d'amertume et de dégoût.

D'origine juive, issu de parents qui avaient quitté une Europe en pleine guerre pour venir s'établir au Canada, imprégné de cette culture, le mot «collaborateur» avait une signification très particulière: «La population est, dit-il, conviée à exécuter ceux qui collaborent avec l'ennemi.»

91  Dans cette affaire, le juge Rochon a conclu de la preuve qu'ils furent passablement affectés par les attaques de la défenderesse ainsi que par l'incitation à la violence présente dans les propos diffamatoires.

92  Dans l'affaire Falcon c. Cournoyer 57, le juge Lanctôt a condamné l'animateur radiophonique Jean Cournoyer à payer 15 000 $ de dommages généraux à la directrice des Travaux publics de la Ville de Montréal pour l'avoir injuriée à plusieurs reprises sur les ondes de la station radiophonique CKAC.

93  La preuve a révélé que Mme Falcon avait longtemps été affectée par les injures à son égard. Elle abordait dorénavant les gens qu'elle ne connaissait pas avec crainte. Elle avait perdu le sommeil. Elle se remettait continuellement en question. Elle était devenue anxieuse.

94  Dans Groupe R.C.M. inc. c. Morin 58, le juge Dalphond a accordé au demandeur Carbonneau 25 000 $ en dommages-intérêts et 25 000 $ en dommages exemplaires pour avoir été traité faussement de menteur, de manipulateur et d'exploiteur de personnes handicapées.

95  Dans un jugement rendu le 13 décembre 199959, la Cour d'appel a maintenu la condamnation pour atteinte à la réputation mais a réduit à 10 000 $ les dommages exemplaires.

96  Dans l'arrêt Conseil de la nation huronne Wendat et Max Gros-Louis c. Picard 60, le juge Rochette, alors à la Cour supérieure, a condamné le défendeur à payer au demandeur, son adversaire politique, 6 000 $ à titre de dommages moraux pour l'avoir faussement accusé de malversations et d'avoir ainsi atteint à sa réputation. Dans cette affaire, le défendeur avait transmis sa lettre diffamatoire au ministre délégué aux Affaires indiennes et du Nord canadien, avec copie à tous les membres de la nation huronne Wendat, de même qu'à des médias écrits et électroniques de la région de Québec.

97  Le 2 février dernier61, la Cour d'appel confirmait ce jugement.

98  Tous ces jugements accordant des indemnités souvent disparates en matière de diffamation, confirment que chaque cas est un cas d'espèce et qu'il est parfois difficile de mesurer le préjudice subi en termes pécuniaires. En cette matière, la première mesure de réparation est le jugement lui-même sanctionnant la diffamation et, en conséquence, la conduite de la partie fautive.

99  M. Bouchard a témoigné sur le fait qu'il avait été blessé par les propos de M. Lafferty. Il était fier de son nationalisme qui se fondait sur la démocratie et sur la tolérance. Or, on comparaît maintenant son nationalisme à celui d'Hitler. Il a, selon ses dires, été soufflé, secoué. Il a pris le coup très durement. Indigné, il a remis en question son rôle et son choix d'aller en politique. Il s'est demandé s'il devait accepter, chaque jour, le risque de subir de telles angoisses. Il a alors pensé à sa femme et à ses enfants:

[...] est-ce que je suis prêt à payer ce prix-là, moi? Je m'en suis posé une troisième: et si moi, je suis prêt, est-ce que ma femme, est-ce que mes enfants sont prêts à payer ce prix-là, est-ce que mes enfants, quand ils sauront plus tard ce qui est arrivé, est-ce qu'ils ne penseront pas que leur père a manqué de courage et a été très lâche, d'ailleurs, d'accepter de se faire traiter comme ça de Hitler, le jour où ils sauront qui a été Hitler!62

100  Il s'est immédiatement confié à son frère Gérard ainsi qu'à M. Parizeau, qu'il devinait partager les mêmes émotions.

101  M. Parizeau a lui aussi souligné comment il a pu être blessé d'être comparé «au plus monstrueux des tueurs», «à l'auteur d'un crime gigantesque et terriblement organisé contre l'humanité». Il était d'autant plus indigné que sa première femme, une Polonaise, a vécu les horreurs du nazisme. Ses parents ont été tués par les Allemands. Elle-même, a fait l'insurrection de Varsovie et a été prisonnière des Allemands jusqu'à la fin de la guerre.

102  Sur la réaction qu'il avait eue en prenant connaissance du journal «Le Devoir» rapportant les propos de M. Lafferty, il dira:

Moi, c'était ... j'étais furieux, j'étais ... puis indigné. On a beau être en politique, il y a quand même des limites à se faire... Parce que ça, c'était blessant, ça; ça, ça faisait mal de se faire associer à Hitler, là, alors j'ai dû tempêter toute la journée, moi, j'ai dû ... tel que je me connais, là, ça a dû prendre pas mal de temps pour me calmer, mais ça a dû se produire, monsieur Bouchard et moi, on a dû prendre, je ne sais pas, probablement dans l'après-midi, la décision pour voir si on pouvait avoir un recours juridique quelconque.63

103  Prié de préciser le préjudice subi, M. Parizeau ajoutera:

Rendu à mon âge, j'allais dire on se préoccupe un peu de savoir quel genre de souvenir on va laisser. C'est pas drôle de se dire qu'on a passé une bonne partie de sa vie active, dans le système parlementaire, à défendre les valeurs démocratiques aussi fortement qu'on le pouvait, dans une atmosphère de confrontation, mais ça, c'est normal, c'est comme ça que fonctionne notre système, et que là, ça se met à dévier ou ça peut dévier et puis on commence à ... l'image, puis l'image de quelqu'un d'intolérant, d'un fasciste, qu'on vous a ... avance petit à petit.

C'est pas drôle du tout. Ce dont, l'association que fait monsieur Lafferty avec moi détourne, au fond, le sens que j'ai voulu donner à ma vie politique.

On me dira, il y a bien des gens qui ne croiront pas ça, l'association avec Hitler c'est vrai, c'est évident, mais d'autre part il y a encore bien des gens qui acceptent ces associations sans sourciller. Combien? J'en sais rien. Quelle influence ontils sur les autres? Je ne le sais pas.

Quand tout à coup, là, on voit dans les journaux ou dans des écrits une image de fasciste qui apparaît, est-ce que c'est dû à ça, à ça seulement? Tout ça est impondérable, mais je peux dire une chose, cependant, c'est que de toutes les attaques que j'ai reçues, celle-là est, à mon sens, quant au souvenir que je vais laisser, le plus dangereux et ça ne m'est pas indifférent de savoir qu'un certain nombre de gens dans la société peuvent garder ça, comme impression.64

104  Après avoir discuté entre eux, les demandeurs ont immédiatement décidé qu'ils ne pouvaient laisser passer cet affront. Ils ont donc aussitôt consulté leurs procureurs. Moins de dix jours plus tard, l'action en libelle diffamatoire était intentée.

105  Déjà, à ce moment, les éditorialistes des principaux journaux du Québec avaient sévèrement condamné ces propos diffamatoires et mensongers.

106  Le Tribunal est d'opinion que la preuve n'a pas révélé que les demandeurs ont été longtemps affectés par les propos diffamatoires de M. Lafferty. Aucun témoin n'a fait mention, sauf M. Bouchard65, par une très brève allusion, que leur blessure, leur angoisse, avaient persisté.

107  La réaction immédiate des journaux, qui leur était favorable, ainsi que le fait qu'ils ont remis l'affaire entre les mains de leurs procureurs, a probablement fait en sorte qu'ils ont pu tourner la page plus facilement.

108  Au paragraphe 23 de leur déclaration amendée, les demandeurs mentionnent:

À première vue ... les propos haineux des défendeurs sont si mensongers et loufoques au point d'en perdre toute crédibilité...

109  Néanmoins, la preuve établit que M. Lafferty a recueilli un certain nombre de lettres d'appui suite à la publication de son article.

110  L'on sait toutefois qu'à l'automne 1993, M. Bouchard est devenu chef de l'Opposition à la Chambre des communes, remportant 54 des 75 sièges au Québec.

111  M. Parizeau, quant à lui, est devenu premier ministre du Québec en 1994, remportant 77 sièges sur 125.

112  En résumé, le Tribunal conclut de la preuve:

a) que les demandeurs, des chefs politiques habitués à la critique, n'ont pas été longtemps affectés par les écrits diffamatoires de M. Lafferty pour les motifs déjà énoncés;

b) que les comparaisons faites par le défendeur étaient si grossières et si loin de la vérité qu'il est probable que peu de gens aient pu être influencés négativement par ces écrits et que les rares qui aient pu l'être, étaient sans doute des personnes qui avaient déjà une opinion défavorable des demandeurs.

113  Les procureurs des demandeurs ont fait valoir que le montant devant être accordé à chacun des demandeurs devait être le même.

114  Pour toutes ces raisons, le Tribunal considère juste et raisonnable d'allouer à chacun des demandeurs une somme 10 000 $ à titre de dommages moraux pour atteinte à leur dignité, leur honneur et leur réputation.

Les dommages exemplaires

115  La Charte des droits et libertés de la personne permet une condamnation à des dommages exemplaires en cas d'atteinte illicite et intentionnelle aux droits fondamentaux protégés par elle.

116  Dans l'arrêt St-Ferdinand66, la Cour suprême, sous la plume du juge L'Heureux-Dubé, traite des conditions requises pour que de tels dommages soient accordés.:

Pour conclure à l'existence d'une atteinte illicite, il doit être démontré qu'un droit protégé par la Charte a été violé et que cette violation résulte d'un comportement fautif. Un comportement sera qualifié de fautif si, ce faisant, son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c'est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte elle-même.

[...]

[...] il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l'atteinte illicite a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.

117  Dans Société Saint-Jean-Baptiste67, le juge Rochon a accordé à chacun des demandeurs 10 000 $ à titre de dommages exemplaires.

118  Dans l'arrêt Picard68, la Cour d'appel a confirmé le jugement du juge Rochette qui avait accordé à M. Max Gros-Louis 2 000 $ à titre de dommages exemplaires.

119  Bien que le Tribunal considère que M. Lafferty avait l'intention sincère de servir ses clients, cela n'exclut pas qu'il y ait ouverture à des dommages exemplaires. En l'espèce, le Tribunal conclut de la preuve que M. Lafferty a agi «en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que cette conduite engendrera».69

120  Lorsqu'il fut joint par le journaliste du journal «Le Devoir», il lui a confirmé avoir tenu les propos apparaissant dans le bulletin de janvier 1993 et n'a pas tenté de les mitiger.

121  Après avoir été blâmé par les médias, il transmet une lettre70 à tous ses clients avec copie aux médias écrits et électroniques. Dans cette lettre, non seulement il ne se rétracte pas, mais il réitère les mêmes propos. Il joint même à sa lettre de réponse, une caricature publiée dans «La Presse», qu'il trouve amusante et qui montre Parizeau et Bouchard faisant le salut nazi.

122  De plus, dans la même lettre, il ajoute: «At any rate we have been through an interesting experience».

123  Qui plus est, lors de l'audience, il refuse encore de se rétracter même s'il n'a pu d'aucune façon justifier par des faits concrets, les rapprochements diffamatoires.

124  Les critères devant servir de guide au Tribunal quant au montant des dommages exemplaires, ont été discutés par la Cour d'appel dans l'arrêt West Island Teachers' Association c. Nantel 71:

En matière de détermination d'une telle imposition, il est reconnu qu'une large discrétion est accordée au juge du fond. Dans le cas d'espèce, j'estime qu'il a tenu compte des critères applicables que, dans son étude intitulée «Évaluation des dommages-intérêts exemplaires», Me Pierre E. Audet72 énonce comme étant:

l'aspect préventif, dissuasif ou punitif des dommages;

la conduite de l'auteur du délit;

l'importance du préjudice subi;

la capacité de payer du fautif;

le quantum accordé au titre des dommages réels.

125  Ces critères ont été repris par la Cour suprême dans St-Ferdinand73.

126  La capacité de payer les dommages exemplaires réclamés a été admise par les défendeurs.

127  En tenant compte des critères ci-haut mentionnés, le Tribunal estime juste et raisonnable d'attribuer à chacun des demandeurs une somme de 10 000 $ à titre de dommages exemplaires.

Les intérêts et l'indemnité additionnelle

128  Bien que les procédures débutent en février 1993, la première déclaration de mise au rôle des demandeurs n'est toutefois produite que le 15 décembre 1997. Aucune raison n'a été fournie justifiant ce délai indu.

129  Pour cette raison, l'indemnité additionnelle ne courra qu'à compter de cette date. Par contre, les intérêts courront à compter de l'assignation.

130  Quant aux dommages exemplaires, les intérêts et l'indemnité additionnelle ne courront qu'à compter des présentes74.

Par ces Motifs, Le Tribunal:

ACCUEILLE en partie l'action;

CONDAMNE les défendeurs solidairement à payer à M. Jacques Parizeau la somme de 10 000 $, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation plus l'indemnité additionnelle à compter du 15 décembre 1997;

CONDAMNE les défendeurs solidairement à payer à M. Lucien Bouchard la somme de 10 000 $, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation plus l'indemnité additionnelle à compter du 15 décembre 1997;

CONDAMNE les défendeurs solidairement à payer à M. Jacques Parizeau la somme de 10 000 $ à titre de dommages exemplaires avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter du présent jugement;

CONDAMNE les défendeurs solidairement à payer à M. Lucien Bouchard la somme de 10 000 $ à titre de dommages exemplaires à compter du présent jugement;

LE TOUT, avec dépens.

Lefebvre J.C.S.

Me Yvan Bolduc, Me Guy Sarault et Me Christine Baudouin, pour les demandeurs.
Me Mark Bantey et Mme Marie-Claude Sabourin, pour les défendeurs.

1. This report is distributed on the understanding that the contents are confidential to the recipient, whether it be an individual or an organization. Our reports are distributed on a fee basis and it is contrary to the professional relationship between the recipient and our firm to make the contents and views of the reports known to those who do not subscribe to the service. (Soulignements du Tribunal.)

2. Le mot «demagoguery» aurait dû être employé.

3. Le mot «fraternity» aurait dû être employé, selon M. Lafferty.

4. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. chap. C-12.

5. Irwin Toy c. Procureur général du Québec , (1989) 1989 CanLII 87 (CSC), 1 R.C.S. 927 , p. 968, 969.

6. Hill c. Église de scientologie de Toronto , (1995) 1995 CanLII 59 (CSC), 2 R.C.S. 1130 , p. 1172, 1173.

7. Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste 1997 CanLII 8276 (QC CS), [1998] R.J.Q. 131 , p. 138, 139 (présentement en appel).

8. Nouveau Petit Robert: dictionnaire de la langue française, Paris, 1994.

9. Église de scientologie de Toronto, (1995) 1995 CanLII 59 (CSC), 2 R.C.S. 1130 , p. 1161.

10. Champagne c. Cégep de Jonquière 1997 CanLII 10001 (QC CA), [1997] R.J.Q. 2395 , p. 2400 (C.A.).

11. Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc. 1994 CanLII 5883 (QC CA), [1994] R.J.Q. 1811 , p. 1818 (C.A.).

12. Le Devoir inc. c. Centre de psychologie préventive et de développement humain G.S.M. inc. 1999 CanLII 13631 (QC CA), [1999] R.R.A. 17 , p. 25 (C.A.).

13. Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, nº 476, p. 301-302.

14. Précité, note 9, p. 1820.

15. Par exemple: Roberge c. Bolduc 1991 CanLII 83 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 374 , 393 à 396, opinion de la juge L'Heureux-Dubé.

16. Précité, note 10, p. 27.

17. Id., p.27.

18. Steinhaut c. Vigneault [1986] R.R.A. 548 , p. 551 (C.A.).

19. Picard c. Gros-Louis , C.A. Québec 2000 CanLII 4396 (QC CA), 200-09-001151-965, 2000-02-02, AZ 50069199, p. 3, J.E. 2000-367.

20. Interrogatoire après défense, 3 novembre 1993, p. 84.

21. Transcription de l'audition, 6 décembre 1999, p. 32.

22. Id. p. 40; au même effet, p. 35.

23. Id. p. 55 et 56.

24. Id., p. 153.

25. Tant celui de 1991 (pièce P-35) que ceux antérieurs (pièces P-36 à P-46).

26. Article 18 du programme de 1991 (pièce P-33).

27. Pièce P-9.

28. Pièce P-7, p. 5 et 9.

29. Pièce P-6, p. 8.

30. Pièce P-24.

31. Pièce P-30.

32. Pièce P-32.

33. Pièce P-21; voir également P-18 et P-22.

34. Pièces P-70 à P-74.

35. Transcription de l'audition du 7 décembre 1999, p. 370, 341, 366 et 367.

36. Pièce P-26.

37. Pièce P-19.

38. Pièce P-20.

39. Pièce P-49.

40. Pièce P-53.

41. Pièce P-62.

42. Pièce P-69.

43. Précité, note 6.

44. Précitée, note 7.

45. Id., p. 144.

46. Transcription de l'audition du 6 décembre 1999, p. 64.

47. Transcription de l'audition du 6 décembre 1999, p. 68.

48. Interrogatoire du 6 novembre 1993, p. 23.

49. Transcription de l'audition du 6 décembre 1999, p. 68.

50. Interrogatoire du 6 novembre 1993, p. 25, transcription de l'audition du 6 décembre 1999, p. 90.

51. Transcription de l'audition du 6 décembre 1999, p. 112.

52. Rizzuto c. Rocheleau [1996] R.R.A. 448 .

53. Id, p. 455.

54. Id, p. 457.

55. Supra, note 7.

56. Id., p. 151.

57. Falcon c. Cournoyer , J.E. 2000-231 (C.S.).

58. Groupe R.C.M. inc. c. Morin [1996] R.R.A. 1005 .

59. Précité, note 16.

60. Id., note 16.

61. Id., note 16.

62. Transcription de l'audition du 7 décembre 1999, p. 167, 168 (soulignements du Tribunal).

63. Id., p. 49 (soulignements du Tribunal).

64. Id., p. 60, 61 (soulignements du Tribunal).

65. Transcription de l'audition du 7 décembre 1999, p. 168.

66. Curateur public c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand 1996 CanLII 172 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 211 , p. 260 et 262.

67. Précité, note 7.

68. Précité, note 16.

69. St-Ferdinand, précité, note 63.

70. Pièce P-3A.

71. West Island Teachers' Association c. Nantel 1988 CanLII 795 (QC CA), [1988] R.J.Q. 1569 , p. 1576 (C.A.).

72. Pierre E. Audet. «Évaluation des dommages-intérêts exemplaires», [1981-82] F.P. du B. 225.

73. Précité, note 63, p. 264.

74. Association des professeurs de Lignery (A.P.L.), syndicat affilié à la C.E.Q. c. Avelta Comeau 1989 CanLII 1247 (QC CA), [1990] R.J.Q. 130 , 137 (C.A.); voir aussi Jouhannet c. Samuelli [1996] R.R.A., p. 571 C.A.