Commission de l'éthique en science et en technologie

La transformation numérique du réseau de la santé et des services sociaux en vue d'intégrer l'intelligence artificielle : un regard éthique

L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé pourrait apporter des bénéfices importants dans la gestion et la prestation des soins ainsi qu’en recherche. Le présent avis identifie les conditions technologiques préalables à l’implantation de l’IA, relève et analyse les enjeux éthiques soulevés par la transformation numérique du réseau de la santé et des services sociaux, puis formule des recommandations aux décideurs.

Intelligence artificielle, Technologies de l'information et des communications, Santé, Données numériques et massives

SOMMAIRE

Selon les défenseurs de l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé, celle-ci peut apporter des bénéfices importants dans la gestion et la prestation des soins ainsi qu’en recherche. Les gouvernements du Québec et du Canada ont investi des sommes importantes en recherche et développement en IA. Des outils d’IA en santé existent ou sont en développement au Canada et ailleurs dans le monde. Cependant, il y a de nombreux obstacles à l’intégration de l’IA, notamment le fait que, dans plusieurs établissements de santé, l’infrastructure technologique actuelle est vétuste ou inadaptée. Aussi, il manque de données numériques diversifiées et de qualité pour entrainer et valider les systèmes d’intelligence artificielle (SIA) en milieux de soins réels locaux. Ces considérations révèlent l’importance de s’engager plus activement dans la transformation numérique du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS). Qui plus est, cette dernière est en elle-même, avec ou sans IA, une innovation qui a le potentiel d’apporter des bénéfices importants pour le système de santé.

L’objectif du présent avis est d’identifier les conditions technologiques préalables à l’implantation de l’IA, de relever et d’analyser les enjeux éthiques soulevés par la transformation numérique du RSSS, puis de formuler des recommandations aux décideurs (voir le résumé des recommandations dans l'avis). Dans le cadre de ses travaux, la Commission a fait les principaux constats suivants (pour plus de détails, nous référons aux sections correspondantes de l’avis) :

Les données

L’utilisation des données de santé a le potentiel d’apporter des bénéfices en matière d’organisation et de prestation des soins de santé puis d’avancement des connaissances. Pour en tirer un maximum de bénéfices, les données de santé doivent :

  • être en format numérique de qualité (cf. 4.2.1);
  • être accompagnées d’informations contextuelles appelées « métadonnées » afin d’être interprétées correctement par les machines et d’être faciles à trouver (découvrabilité) (cf. 4.2.2);
  • être indexées afin de favoriser leur découvrabilité et leur réutilisation (cf. 4.2.3);
  • être conformes aux standards reconnus, tant sur le plan des formats que des terminologies et ontologies, afin d’être interopérables, découvrables et réutilisables (cf. 4.3);
  • être mobiles et portables afin de favoriser leur réutilisation (cf. 4.4).  

Les infrastructures numériques et des systèmes d’information

L’utilisation des données de santé et d’outils numériques a le potentiel d’apporter des bénéfices en matière d’organisation et de prestation des soins de santé puis d’avancement des connaissances. Pour en tirer un maximum de bénéfices, l’infrastructure numérique et les systèmes d’information doivent :

  • être à jour, interopérables et intégrés (cf. 5.1);
  • pour l’IA, comprendre des supercalculateurs permettant le traitement de vastes ensembles de données (cf. 5.1);
  • respecter les normes internationales en matière de cybersécurité afin de protéger la vie privée des citoyens puis d’établir et maintenir leur confiance (cf. 5.2);
  • être adaptés aux besoins et aux rôles des utilisateurs (cf. 5.3), c’est-à-dire :
    • être conviviaux;
    • ne pas nuire aux travailleurs de la santé ou aux patients;
    • être conçus en tenant compte du savoir expérientiel des utilisateurs;
    • lorsque pertinent, comprendre un portail patient;
    • lorsque pertinent, comprendre un registre des opérations.
  • être pérennes afin d’utiliser les ressources de manière responsable et efficiente (cf. 5.4).

La gouvernance

Sur le plan de la gouvernance, des mesures doivent être mises en place afin de tirer un maximum de bénéfices des données de santé et des outils numériques puis de réduire le plus possible les risques et les coûts. Notamment, il importe de :

  • favoriser l’autodétermination des organisations publiques et des collectivités en évitant de devenir dépendant des fournisseurs de technologies (cf. 6.1). Pour se faire, il convient de :
    • développer et maintenir une expertise interne forte en technologies de l’information (TI);
    • prévoir, dans les contrats avec les fournisseurs, les modalités et coûts de sortie des données;
    • privilégier des serveurs appartenant aux ministères et organismes publics pour l’hébergement de données sensibles.
  • consacrer une part du financement affecté à la formation en TI au développement d’une main-d’œuvre hautement qualifiée dans les domaines actuellement plus négligés (cf. 6.2);
  • proposer, dans les universités offrant des programmes de médecine, de pharmacie, de sciences de la santé et de gestion de la santé, davantage de cours de terminologie destinés aux professionnels et aux gestionnaires de la santé (cf. 6.2);
  • renforcer la transparence, la neutralité, l’indépendance, la concurrence, la reddition de comptes et l’imputabilité dans la gestion des contrats publics en TI afin d’utiliser les ressources de manière responsable, de favoriser l’autodétermination des organismes publics et des collectivités puis d’établir et de maintenir la confiance des citoyens (cf. 6.3);
  • s’assurer que les établissements ont accès à de l’expertise en gestion du changement, en formation et soutien en TI pour leur personnel ainsi qu’en évaluation des technologies (cf. 6.4).

Les risques d’accroissement des inégalités de santé

La transformation numérique du RSSS et l’intégration de SIA pourraient apporter d’importants bénéfices pour les patients. Cependant, dans certaines circonstances, ces technologies pourraient contribuer à l’accroissement des inégalités de santé pour certains groupes de personnes (cf. 7). Afin de réduire ces risques, il importe de :

  • s’assurer que les outils numériques destinés aux patients et aux citoyens soient faciles d’utilisation;
  • mettre en place des mesures favorisant l’accès aux TI, la littératie de santé et la littératie numérique afin que les citoyens puissent profiter des bénéfices associés aux outils numériques d’une part, puis être représentés dans les ensembles de données utilisés dans la conception d’autres outils numériques et la production de connaissances d’autre part;
  • s’assurer que le mode de financement des services de santé employant des outils numériques n’accroisse pas les inégalités d’accès aux soins.
Date de mise en ligne : 1 août 2023