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Accès aux médecins de famille: s’attaquer aux vrais enjeux

Accès aux médecins de famille: s’attaquer aux vrais enjeux
Photo Courtoisie


Le gouvernement du Québec a déposé la semaine dernière un projet de loi pour augmenter l’offre de services des médecins de famille au Québec. Au-delà de technicalités relatives à la prise de rendez-vous, à l’inscription de nouveaux patients et à l’accès à des informations de gestion, cette pièce législative ne s’attaque pas à la source du problème : la disponibilité des médecins de famille au cabinet et leur mode de rémunération.  

Phénomène de génération, les jeunes médecins travaillent moins que les générations précédentes, mais les médecins de famille sont aussi occupés ailleurs qu’au cabinet. Le mode de rémunération à l’acte n’incite pas non plus à la délégation des tâches aux autres professionnels. 

Assez de médecins?

Pour analyser le problème d’accès au médecin de famille, la première question à se poser est : avons-nous suffisamment de médecins de famille au Québec ? La réponse n’est pas simple. Avec un taux de médecins de 2,7 par 1000 habitants, le Canada et le Québec se situe, il est vrai, en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE qui est de 3,6 médecins par 1000. Cependant, notre taux est du même ordre que celui des États-Unis (2,6) ou du Royaume-Uni (3,0). La distribution des médecins de famille par rapport aux autres spécialités est aussi à considérer. Alors que nous avons près de la moitié de nos médecins en médecine de famille, les pays de l’OCDE sont plutôt autour de 25 %; les États-Unis à 12 %. Nous serions donc dans une position privilégiée quant au nombre de médecins de famille. 

Mais voilà, il faut prendre en compte divers facteurs qui influent sur la disponibilité réelle des médecins de famille. La médecine de famille a évolué au Québec depuis quarante ans comme une médecine globale s’intéressant à l’ensemble de la personne, dans son contexte familial et social. Les programmes universitaires de formation en médecine de famille se sont développés dans les années quatre-vingt et sont devenus en 1988 la seule voie d’accès à la pratique générale. Contrairement aux généralistes des pays européens, le médecin de famille s’occupe de tous les aspects de la santé de ses patients et patientes : santé mentale, enfance, gynécologie, obstétrique, personnes âgées, etc.  

Ce rôle a été confirmé au Québec par la hiérarchisation des soins qui confie au médecin de famille la responsabilité médicale de la première ligne et le rôle de portier du système médical. Les autres spécialistes prennent le relais pour évaluer et traiter les cas les plus complexes. 

Si cette hiérarchisation des soins a beaucoup de mérite, elle induit, par contre, un rôle critique du médecin de famille dans l’accès aux soins et un goulot d’étranglement dans le système de soins médicaux, comme c’est le cas de l’urgence pour les services hospitaliers. 

  • Écoutez l'entrevue de Philippe-Vincent Foisy avec Réjean Hébert sur QUB Radio:  

Conciliation travail-famille

Dans les années quatre-vingt-dix, de savantes projections prédisaient un excès de médecins au Canada pour le début du XXIème siècle. Les facultés de médecine ont donc réduit leur nombre d’admission jusqu’à ce qu’on se rende compte, une décennie plus tard, que ces projections ne semblaient pas s’avérer. Les chercheurs n’avaient pas inclus dans leur modèle deux phénomènes alors émergeants : la féminisation de la profession et le désir des nouvelles générations de mieux concilier vie professionnelle et personnelle, en réduisant leurs heures de travail. Ces deux phénomènes se sont manifestés plus précocement et plus intensément au Québec, de sorte que des pénuries de médecins et des risques de rupture de service sont apparues.  

Les facultés de médecine ont dû prendre les bouchées doubles pour augmenter les admissions, mais il faut compter presque une décennie avant de commencer à voir les effets de cette stratégie. En attendant, on a demandé aux médecins de famille de combler en partie la pénurie des autres spécialités en s’occupant des patients à l’hôpital, pour laisser à leur confrère un rôle de consultant. Alors qu’en 1980, les médecins de famille devaient se battre pour hospitaliser leurs propres patients, ils sont devenus un maillon essentiel de la médecine hospitalière.  

Pour éviter des ruptures de services, on a aussi imposé aux nouveaux médecins de famille des activités médicales particulières obligatoires aux urgences et en CHSLD, notamment. 

Résultat : les médecins de famille québécois passent 40 % de leur temps professionnel à l’extérieur du cabinet, alors que dans les autres provinces, cela ne constitue que 15 à 20 % de leur tâche. Ajoutons à cela que la proportion de médecins qui travaille plus de 45 heures par semaine n’est que de 44 % au Québec versus 55 % dans les autres provinces et on constate aisément que le temps passé au cabinet à suivre des patients est passablement réduit.  

Il faut enfin tenir compte d’une autre donnée qui intervient dans cette analyse comparative de la disponibilité médicale. Au Québec, 48 % des médecins consacre à leur patient plus de 25 minutes par consultation, alors que cette proportion n’est que de 18 % au Canada, 7 % en Ontario. Bien que cette donnée puisse être interprétée comme un indicateur de la qualité des soins, il n’en demeure pas moins que cela réduit encore davantage leur disponibilité à voir plus de patients. 

Solutions

Quelles sont les solutions pour améliorer l’accès aux médecins de famille. Bien sûr, on peut faciliter l’inscription par un guichet d’accès, et soutenir la prise de rendez-vous par un mécanisme centralisé.  

On peut aussi changer la façon de donner les rendez-vous par ce qu’on appelle l’accès adapté : au lieu de donner des rendez-vous des mois à l’avance, on ouvre plutôt des fenêtres d’une ou deux semaines pour répondre rapidement aux demandes des patients. C’est l’approche du coiffeur ou du garagiste. Ce mode de fonctionnement est en implantation au Québec et donne des résultats intéressants. 

Devons-nous former plus de médecins? Je ne crois pas. Les facultés de médecine n’ont pas les capacités de formation clinique pour absorber des admissions supplémentaires. Il faut que les étudiants puissent effectuer des stages dans les milieux cliniques qui sont déjà saturés. Par contre, on doit inciter les étudiants en médecine à choisir davantage la médecine de famille plutôt que les autres spécialités. Un travail considérable de valorisation de la médecine de famille a été réalisé il y a une vingtaine d’années : participation des médecins de famille à l’enseignement, stages d’immersion précoce et stage obligatoire d’externat en médecine de famille, et surtout élimination des allusions péjoratives aux médecins de famille pas toujours subtiles dans le matériel pédagogique. L’objectif était de passer d’un rapport généraliste/spécialiste d’entrée en formation de spécialité de 45/55 en 2000 à 55/45 en 2015. En dix ans, on avait franchi le cap du 50 % mais l’attitude du Dr Barrette envers les médecins de famille et les menaces de contraintes et de pénalités ont eu des effets désastreux sur l’attraction de la discipline. On doit revenir à l’objectif de 55 % d’admission dans les programmes de médecine de famille si on veut produire les médecins dont le Québec a besoin. 

Déléguer certaines tâches

L’autre option est de dégager le médecin de famille de certaines tâches. La reprise de la responsabilité des médecins spécialistes à l’hôpital est incontournable pour que les médecins de famille soient plus disponibles au cabinet. L’utilisation du téléphone et du courrier électronique pour régler des problèmes simples a été grandement facilitée par la pandémie. La collaboration interprofessionnelle est sans doute la mesure la plus prometteuse. Plusieurs tâches pourraient et devraient être réalisées par des infirmières, des travailleurs sociaux et des psychologues, des nutritionnistes, des kinésiologues et des pharmaciens.  

Ces solutions, cependant, ne sont possibles qu’en changeant le mode de rémunération des médecins de famille. Difficile de répondre au patient par téléphone ou courriel si ce n’est pas rémunéré. Difficile de confier des cas à un autre professionnel lorsque cela représente un manque à gagner. La rémunération à l’acte est un mode archaïque qui nécessite en plus une lourde bureaucratie pour gérer les milliers d’actes à compiler et rémunérer. 

Des modes de rémunérations alternatifs existent. Le paiement à capitation conditionne le revenu au nombre de patients suivis, en tenant compte de leur vulnérabilité. Il faut toutefois accompagner ce mode par des indicateurs de performance pour s’assurer de la qualité des services rendus. Ce paiement à la performance peut incorporer des indicateurs de gestion, tels le délai pour avoir un rendez-vous ou la satisfaction des patients. Ou encore des indicateurs cliniques comme la qualité du suivi des maladies chroniques comme c’est le cas en Angleterre ou des objectifs de santé publique (vaccination, dépistage) en France.  

Et pourquoi pas, une rémunération globale intégrée dans le contrat GMF, basée sur le nombre d’usagers suivis par l’ensemble du groupe avec des indicateurs de performance globale. Aux médecins alors de se diviser la somme selon leurs propres règles internes. 

Pour régler l’accès aux médecins de famille, il faut plus que des accommodements techniques, il faut s’attaquer aux sources du problème : l’attraction des étudiants pour la médecine de famille et le mode de rémunération. Pour réaliser ce virage majeur, il faut un gouvernement déterminé et une fédération médicale qui met de côté son attitude défensive pour collaborer à améliorer l’image de la médecine de famille et surtout trouver une nouvelle façon plus simple et efficace de rémunérer leur travail. 

Dr Réjean Hébert, Professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et ex-ministre de la Santé et des Services sociaux et ministre responsable des Aînés de 2012 à 2014

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