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Un logo qui leurre: des emballages recyclables qui ne le sont pas réellement

Des produits en plastique affichent le symbole de recyclage, mais sont refusés dans bien des centres de tri



Une foule d’emballages alimentaires qui se présentent comme recyclables ne le sont pas réellement au Québec, générant la confusion chez les consommateurs.

«100% recyclable», «S’il vous plaît recycler», «Recyclable là où les installations le permettent»: ces mentions qu’on trouve sur une foule d’emballages alimentaires n’ont aucune valeur, tout comme l’affichage de la boucle de Möbius, le symbole universel du recyclage.

Photo Agence QMI, JOEL LEMAY

Le 24 heures a trouvé plusieurs produits qui portent ce genre de mentions, mais qui ne sont pas acceptés dans la grande majorité des centres de tri québécois et finissent au dépotoir. Ces emballages ont en commun d’être fabriqués avec un plastique qui n’est pas étirable.

«On peut faire le test en prenant notre pouce et en appuyant dessus, si ça s’étire, ça va au bac, explique Jacob Bouchard, porte-parole de Société VIA qui exploite cinq centres de tri, dont à Lachine et à Québec. Ceux qui ne s’étirent pas ne sont pas acceptés aux centres de tri parce qu’il n’y a pas de marché pour eux.»

  • Écoutez l'entrevue avec la journaliste Élizabeth Ménard à l’émission de Richard Martineau via QUB :

Lorsqu’ils sont déposés au bac par erreur, ces emballages qui arrivent au centre de tri sont simplement écartés et envoyés au dépotoir.

Recyclable pour vrai

En théorie, tout est recyclable, souligne l’expert en gestion des matières résiduelles Grégory Pratte, mais on n’inscrit pas pour autant la mention «recyclable» sur tous nos objets de consommation.

«II y a une grande nuance à apporter entre “recyclable” et “recyclable pour vrai”, dit-il. Ça dépend du traitement de la matière, de la filière de récupération, du recycleur, du débouché: est-ce qu’il existe ? C’est théoriquement recyclable, mais est-ce que ça va au bac? Non.»

«Un jour, il y aura des débouchés, mais l’heure juste c’est qu’on doit réduire notre consommation de ce type d’emballages en attendant d’avoir une solution», estime-t-il.

Aucun contrôle

Si on voit autant de boucles de Möbius et de mentions de recyclabilité sur des emballages qui ne sont pas réellement recyclables au Québec, c’est que leur utilisation n’est pas réglementée.

«Il n’y a pas de police qui va aller vérifier si on a le droit de mettre le Möbius ou si la communication est mensongère», explique Geneviève Dionne, directrice écoconception et économie circulaire chez Éco Entreprises Québec.

«On n’a pas de cadre qui fait en sorte qu’on a une police du greenwashing au Québec ni au Canada», souligne celle qui parle d’un far west de l’emballage.

«Je pourrais me tatouer un Möbius dans le front et je ne serais pas mise à l’amende», image-t-elle.

En France, lorsqu’il est impossible de recycler un produit ou un emballage sur le territoire et dans le respect de certains paramètres, la mention de recyclabilité est interdite depuis 2023.

Trois exemples de produits qui leurrent les clients

RIZ DAINTY

Sur l’arrière de ce sac de riz, on voit les mentions «100% recyclable» et «25% recyclé» ainsi que le chiffre 4, utilisé pour identifier le type de résine. Il est agrémenté de feuilles vertes et d’un court texte expliquant que cet emballage est un «pas vert vers zéro déchet».

Dainty nous assure que ses emballages sont «100% recyclables», mais concède être au courant d’un «énorme manque d’infrastructures dans le domaine du recyclage des plastiques» au Québec.

Photos courtoisie

GRANOLAS OATBOX

Sur l’arrière de ce sac de granola, on voit la boucle de Möbius et la mention «100% recyclable». On n’y trouve pas de code de résine.

Oatbox s’est dite préoccupée par nos révélations. L’entreprise affirme avoir récemment changé de type d’emballage pour en choisir un qui coûte plus cher, censé être plus facilement recyclable.

Photos courtoisie

COUSCOUS CLIC

À l’arrière de ce sac de couscous, on lit «S’il vous plaît recycler» et le code de résine numéro 7.

AGT Aliments, propriétaire de la marque CLIC, affirme ne pas être au courant que ses emballages ne sont pas recyclables au Québec, mais mentionne aussi étudier des options d’emballages plus facilement recyclables.

Photos courtoisie

Il est interdit de tromper le consommateur

Au Québec, la Loi sur la protection du consommateur (LPC) interdit de tromper le consommateur «par quelque moyen que ce soit». Elle peut s’appliquer à des représentations fausses ou trompeuses au sujet de caractéristiques environnementales de l’emballage d’un produit, confirme l’Office de la protection du consommateur (OPC).

Aucune entreprise n’a été condamnée à cause de prétentions sur la recyclabilité d’un produit ou d’un emballage, en vertu de cette loi.

Action collective

Joey Zukran, avocat chez LPC Avocats, mène un combat pour démontrer qu’il est trompeur de présenter un article comme recyclable s’il ne l’est pas sur le territoire où il est vendu.

Il chapeaute actuellement une demande d’action collective pancanadienne contre Dollarama, Rona, la SAQ, Tigre Géant, Toys «R» Us, Costco, Metro et McKesson pour avoir vendu des sacs d’emplettes présentés comme recyclables alors qu’ils ne le seraient pas au Canada.

«Ce serait illégal d’afficher un symbole sur un contenant ou un emballage qui indique que c’est recyclable alors que les centres de tri ne le recyclent pas, estime-t-il. Le commerçant qui se livre à une telle pratique s’expose à des poursuites civiles, à des peines administratives ou même pénales», dit-il.

Un consommateur qui se sent lésé peut faire une plainte à l’OPC.

En 2022, l’entreprise de café Keurig a été condamnée à payer 3 millions $, en vertu d’une loi fédérale, pour avoir présenté ses capsules de café jetables comme recyclables alors qu’elles n’étaient pas acceptées par la collecte sélective dans plusieurs provinces canadiennes.

Un secret de Polichinelle

Les plastiques souples qui ne s’étirent pas se retrouvent majoritairement au dépotoir, mais Éco Entreprises Québec et RECYC-QUÉBEC ne vous le diront pas, ce qui ajoute encore plus à la confusion.

Sur le site web de RECYC-QUÉBEC, la référence en la matière, on ne fait pas de distinction entre les sacs qui s’étirent (et peuvent être recyclés) et ceux qui ne s’étirent pas. On peut facilement croire que tous les emballages de plastique souples numérotés de 1 à 7 peuvent être placés dans le bac et seront donc recyclés.

Quand on demande directement à Éco Entreprises Québec, l’organisme désigné par le gouvernement pour gérer la collecte sélective, si les emballages de plastique qui ne s’étirent pas sont recyclables à l’heure actuelle, difficile d’avoir une réponse claire.

«Actuellement, les débouchés ne sont pas matures, mentionne Geneviève Dionne, directrice écoconception et économie circulaire. Mais ce n’est pas parce que les débouchés ne sont pas matures qu’il ne faut pas les déposer dans le bac. Pour être capable de développer une filière mature, ça prend un gisement», dit-elle.

Une simple visite sur les sites web ou pages Facebook des 23 centres de tri du Québec confirme que ce type d’emballages n’est pas accepté dans une majorité d’entre eux.

Le spécialiste en gestion des matières résiduelles Grégory Pratte, qui a travaillé neuf ans en centre de tri, parle d’un «secret de Polichinelle».

Réforme attendue

Pourquoi est-ce si compliqué d’avoir l’heure juste? En partie parce qu’Éco Entreprises Québec s’apprête à réformer la collecte sélective.

À compter du 1er janvier 2025, les pratiques de tous les centres de tri vont s’harmoniser et tout ce qui est un contenant, un imprimé ou un emballage, étirable ou non, devra être déposé dans le bac bleu.

Les emballages difficilement recyclables à l’heure actuelle seront-ils effectivement recyclés à compter de cette date? À ce stade-ci, rien ne nous permet de le croire.

«On est en train de transformer les pratiques, fait valoir Geneviève Dionne. Nous, notre objectif c’est de ne rien mettre à l’enfouissement, donc c’est de trouver des façons de valoriser des emballages qui vont être difficiles à recycler en regardant d’autres formes de valorisation», dit-elle.

Mais, pour l’heure et jusqu’à preuve du contraire, ils prennent majoritairement la direction du dépotoir.

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