Loin de moi l’envie de jeter de l’huile sur le feu, mais la controverse de la semaine, celle qui a enflammé l’Assemblée nationale et qui a fait grimper dans les rideaux la moitié des chroniqueurs-hommes-blancs-hétérosexuels du Québec, cette controverse, donc, sur la discrimination positive à l’Université Laval, c’est un peu la faute… d’Amir Attaran.

Vous savez, ce professeur de l’Université d’Ottawa qui s’est mis le Québec à dos, l’an dernier, en qualifiant la province d’« Alabama du Nord » dirigé par une poignée de « suprémacistes blancs » ?

Eh oui, ce prof-là.

Ça m’est revenu quand l’Université Laval a été plongée dans l’embarras pour avoir exclu d’emblée la candidature de tout homme blanc à un poste offert au sein de sa chaire de recherche du Canada (CRC) en biologie.

Il y a un an, en plein AlabamaduNordgate, j’avais fouillé dans les archives judiciaires pour découvrir qu’Amir Attaran était abonné aux plaintes en discrimination. La plupart avaient été rejetées.

Mais une plainte avait poussé le gouvernement à réagir. Le professeur l’avait déposée à la Commission canadienne des droits de la personne, parce que son mandat à la CRC en droit de la santé n’avait pas été renouvelé par l’Université d’Ottawa.

Le règlement conclu en avril 2021 fait en sorte que, désormais, les universités qui n’atteignent pas leurs cibles en matière d’équité, de diversité et d’inclusion en subissent les conséquences : le programme fédéral réduit le nombre de CRC attribuées à ces établissements.

« Ce règlement affectera 2000 professeurs et 70 universités au pays. Il fera du Canada un pays plus égalitaire pour toutes les races, sexes et capacités, m’avait écrit Amir Attaran à l’époque. Je suis très fier d’un travail comme celui-ci. »

Je le répète, mon but n’est pas de jeter de l’huile sur le feu. Plutôt de prendre un pas de recul. Et une grande respiration.

Non, l’appel de candidatures de l’Université Laval n’est pas un autre signe imparable de la déliquescence de la civilisation occidentale…

Ce n’est pas davantage la preuve irréfutable du triomphe de l’idéologie wokiste à l’Université Laval.

On parle ici d’un programme fédéral bien précis, celui des chaires de recherche du Canada. Pour en bénéficier, toutes les universités du pays doivent se soumettre à ses exigences et pratiques en matière d’équité, de diversité et d’inclusion.

Avant Amir Attaran, d’autres universitaires, des femmes, avaient porté plainte pour discrimination à la Commission canadienne des droits de la personne contre le programme fédéral, qui avait cette fâcheuse tendance à avantager les hommes blancs.

En 2017, Ottawa s’était donc engagé à accroître la représentativité des femmes, des Autochtones, des personnes en situation de handicap et des membres de minorités visibles. Il avait fixé des cibles à atteindre pour chacune des universités qui bénéficieraient de son programme.

Voilà pour le contexte.

L’affaire, maintenant.

L’affichage du poste à la CRC en biologie de l’Université Laval a été publié l’automne dernier. Peu importe leurs mérites, les hommes blancs n’étaient pas invités à soumettre leur candidature. Même pas la peine de tenter leur chance : ils étaient exclus d’avance.

Cette exclusion était clairement indiquée dans l’appel de candidatures, même si l’Université Laval prenait aussi la peine de spécifier qu’elle garantissait « l’égalité des chances à tous les candidates et candidats ».

C’était pour le moins contradictoire. L’humoriste Guy Nantel a eu raison de souligner l’absurdité de la chose dans les réseaux sociaux.

Les politiciens de toutes allégeances ont condamné l’affaire. « Les critères des chaires de recherche du Canada qui en viennent à exclure des personnes compétentes vont beaucoup trop loin », a déclaré la vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault.

« Exclure d’office des gens pour des candidatures, je ne pense pas que ce soit la bonne approche », a renchéri la cheffe libérale, Dominique Anglade. « Ça va trop loin. »

Tout le monde s’entend là-dessus. Ça va trop loin.

Évidemment, comme dans n’importe quel débat, tout est question de perspective. À l’Université Laval, les femmes comptent pour 38 % du corps professoral. Les minorités visibles, pour 6 %. Les Autochtones et les personnes handicapées ramassent des miettes.

Bref, l’université a encore du chemin à faire sur la route de l’équité et de la diversité. Elle doit trouver le moyen de faire mieux. D’aller plus loin… sans aller trop loin.

En septembre dernier, l’English Touring Opera, un orchestre de Londres, a fait scandale en annonçant que 14 de ses musiciens blancs allaient devoir céder leur place à des membres des minorités visibles.

L’objectif était louable : favoriser la diversité dans la musique classique, encore massivement blanche. Mais en voulant réparer une injustice, l’orchestre en créait une autre.

Au nom d’un principe vertueux, 14 virtuoses qui n’avaient absolument rien à se reprocher se retrouvaient au chômage.

C’est le genre de dérapages qui alimentent l’incompréhension, pour ne pas dire une certaine hargne, envers les politiques actuelles d’équité, de diversité et d’inclusion.

On ne gagnera rien à vouloir faire payer le prix des injustices sociales à des individus qui n’y sont pour rien. Ni en tentant d’enfoncer des réformes, aussi cruciales soient-elles, dans la gorge de la population.

Malheureusement, on dirait que c’est un peu ce que fait Ottawa avec son Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada.

Les cibles de recrutement sont-elles plus faciles à atteindre à Montréal qu’à Québec, où le bassin de candidats issus des groupes minoritaires est plus restreint ?

Toujours est-il que l’Université Laval n’a pas atteint ses cibles, contrairement à l’Université de Montréal. Dans l’espoir d’y parvenir, elle a dû aller plus loin. Trop loin. Exclure les hommes blancs de son appel de candidatures.

Si elle ne l’avait pas fait, le programme fédéral lui aurait retiré des chaires de recherche. Il l’aurait privée d’une précieuse source de financement.

Chaque année, Ottawa fait pleuvoir 311 millions sur les universités du pays. C’est bien gentil de sa part, mais il le fait à ses conditions. Pour recevoir des sous, les universités sont forcées de se plier à ses quatre volontés.

À nouveau, cette histoire apparaît sous une autre perspective. Celle du sous-financement chronique des universités. Celle de leur dépendance aux fonds de recherche – y compris à ceux du gouvernement fédéral. Une dépendance qui les empêche d’exercer pleinement leur liberté universitaire.

Il est peut-être là, le vrai scandale.